
Repenser l’apocalypse
Un manifeste indigène anti-futuriste
Indigenous Action
Mars 2020
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
…Ceci est une transmission depuis un futur qui n’arrivera pas. D’un peule qui n’existe pas…
“La fin est proche. Ou est-elle venue et repartie auparavant ?”
– Un ancêtre ~
Pourquoi peut-on imaginer la fin du monde et pas la fin du colonialisme ?
Nous vivons le futur d’un passé qui n’est pas le notre.
C’est l’histoire de fantasmes utopiques et d’une idéalisation apocalyptique.
C’est un ordre social global pathogène du futurs imaginés, construit sur le génocide, la mise en esclavage, l’écocide et la ruine totale.
Quelles conclusions peuvent se réaliser dans un monde construit sur des ossements et des métaphores vides de sens ? Un monde de finalités fétichisées calculées parmi la fiction collective de spectres virulents. De tomes religieux à un spectacle scientifique fictif, chaque ligne de temps imaginée construite de manière si prévisible : un début, un milieu et éventuellement… une fin.
Inévitablement dans ce narratif, il y a un protagoniste combattant un Autre, ennemi et attention… ce n’est ni vous ni moi. Tant de gens s’apprêtent avidement à être les derniers survivants de “l’apocalypse zombie”. Mais tout cela n’est que métaphores interchangeables, cet Autre / Zombie, cette apocalypse.
Ce ne sont que des métaphores vides, cette linéarité n’existe que dans le langage des cauchemars, elles fait partie d’emblée de l’imagination et de l’impulsion apocalyptiques.
Cette façon de “vivre” ou cette “culture”, est celle de la domination qui consomme tout pour son propre bénéfice. C’est une réorganisation économique et politique pour se calquer sur une réalité reposant sur les piliers de la concurrence, de la propriété et du contrôle dans le but du profit et de l’exploitation permanente. Elle professe la “liberté” et pourtant son fondement même est basé sur des terres volées alors que sa structure même est construite sur des vies volées.
C’est cette même culture qui doit toujours avoir Un Autre Ennemi, pour le blamer, pour pouvoir réclamer, affronter, assassiner et réduire en esclavage.
Une ennemi sous-homme que toutes formes de violence ne sont pas seulement attendues pour le vaincre, mais fortement encouragées. S’il n’y a pas d’Autre immédiat, alors la “culture” en construit un de toutes pièces. Cet Autre n’est pas construit de la peur mais sa destruction est motivée par celle-ci. Cet Autre est constitué d’axiomes apocalyptiques et de misère permanente. Ce monde Autre, cette maladie de weitko, est peut-être le mieux mis en évidence dans son plus simple stratagème, dans le silence de la refabrication :
Ils [les ennemis] sont sales, ne méritent pas de vivre, ils sont incapables, inutiles ; ce sont des non-croyants, des impis, ils n’en valent pas la peine, n’ont aucune valeur ; ils sont faits pour que nous en profitions, ils détestent notre liberté ; ils sont ignorants, mal documentés ; ils sont noirs, indigènes ; ce sont des moins que rien, ils sont contre nous jusqu’à ce que finalement, ils n’existent plus.
Avec ce mantra constant de violence, on ne peut comprendre qu’une chose : c’est vous ou eux…
C’est toujours l’Autre qui est sacrifié à une continuité cancéreuse et immortelle. C’est l’Autre qui est empoisonné, bombardé et abandonné dans le silence sous les gravas.
Cette voie de non-être, qui a infecté tous les aspects de nos vies, qui est responsable de l’annihilation d’espèces entières, de l’empoisonnement des eaux et des océans, de l’air et de la terre, des abattages massifs de forêts, de l’incarcération de masse, de la possibilité technologique d’une fin du monde par les armes, de la pollution généralisée, voilà la politique mortelle du capitalisme, elle est là la pandémie.
“Cher colon,
Ton futur est terminé.”
~ Un ancêtre ~

Une fin qui s’est déjà produite
L’invasion physique, mentale, émotionnelle et spirituelle de nos terres, de nos corps et nos esprits afin de s’établir et d’exploiter, est le colonialisme. Des navires ont fait voiles sous des vents empoisonnés et des marées sanglantes à travers les océans les ont poussés d’un souffle court et mis en place l’entrave, des millions et des millions de vies furent tranquillement éteintes avant même qu’elles ne puissent nommer leur ennemi. 1492, 1918, 2020…
Des couvertures infectées de germes en guise de guerre biologique, le massacre de notre frère le bison, la damnation polluante de nos rivières donneuses de vie, l’incendie d’une terre immaculée, les marches forcées de déportation, l’emprisonnement suivant des traités scélérats et jamais respectés, une éducation coercitive par l’abus et la violence.
L’humiliation quotidienne d’après-guerre (indienne), post génocide dans les postes avancés du commerce, notre lent suicide sur l’autel du capitalisme. Travaillez, payez vos loyers, buvez, baisez, reproduisez, prenez votre retraite et mourrez. C’est sur la route, c’est en vente sur les marchés indiens, servir les boissons dans les casinos, Les Indiens laissés pour compte.
Ce sont les cadeaux des destinées manifestes infectieuses, voilà l’imaginaire futur que nos geôliers voudraient nous voir perpétuer et être parties prenantes. L’imposition sans pitié de ce monde mort fut motivée par une utopie idéalisée, tout ceci fut “pour notre propre bien”, ce fut sans conteste disent-ils “un acte de civilisation”.
“Tuer “l’Indien”, tuer notre passé et avec lui notre futur en “sauvant l’homme”, cet humain en imposant un autre passé débouchant sur un autre futur.
Ce sont les idéaux apocalyptiques d’abuseurs, de violeurs, de racistes et de patriarches. La foi doctrinaire aveugle de ceux qui ne peuvent voir la vie qu’à travers un prisme, un caléidoscope fracturé d’une guerre totale et sans fin.
Une idée apocalyptique qui colonise nos imaginations et détruit notre passé et notre futur simultanément. C’est une lutte pour dominer le sens de la vie humaine et toute existence.
Voilà le futurisme du colonisateur, du capitaliste. Il est en même temps tout le futur volé par le pilleur, le va t’en guerre et le violeur.
Ceci a toujours été une question d’existence et de non-existence. C’est l’apocalypse actualisée avec pour seule certitude une fin mortelle, le colonialisme est une peste.
Nos ancêtres comprirent bien vite que cette façon d’être ne pouvait pas être ramenée à la raison ni qu’on pouvait négocier avec elle. Qu’on ne pouvait pas faire de compromis ni qu’elle ne pouvait être sujette à rédemption. Ils avaient compris que l’apocalyptique n’existe que dans l’absolu.
Nos ancêtres rêvèrent contre la fin du monde
Bien des mondes s’en sont allés avant celui-là. Nos histoires traditionnelles sont étroitement imbriquées dans la fabrique de la naissance et de la fin de mondes. Au travers de ces cataclysmes, nous avons retenu de nombreuses leçons qui nous ont forgée et fait de nous qui nous sommes et comment nous interagissons avec les autres. Nos façons d’être sont informées de la nature des choses en trouvant l’harmonie de et par la destruction des mondes. L’elliptique naissance, mort, renaissance…
Nous avons une connaissance d’histoires après histoires du monde qui fait partie de nous. C’est la langue du cosmos. Elle parle en prophéties taillées dans les cicatrices où nos ancêtres rêvèrent. C’est la ghostdance, les sept feux, la naissance du bison blanc, la 7ème génération, les cinq soleils, c’est écrit dans la pierre près d’Oraibi et au-delà. Ces prophéties ne sont pas juste des prédictions, elles ont aussi été des diagnostiques et des instructions.
Nous sommes les rêveurs rêvés par nos ancêtres. Nous avons traversé tout le temps entre les respirations et nos rêves. Nous existons avec nos ancêtres et les générations non-nées. Notre futur est au creux de nos mains. C’est notre mutualité et notre interdépendance. C’est notre famille. C’est dans les crevasses de nos souvenirs, gentiment pliés par nos ancêtres. Cette notre Rêverie collective et c’est Maintenant. Jadis, demain, hier.
L’imagination anti-coloniale n’est pas une réaction subjective aux futurismes coloniaux, c’est un futur anti-colon, anti-occupation. Nos cycles de vie ne sont pas linéaires, notre futur existe sans temps ; c’est un rêve non-colonisé.
Ceci est l’anti-futur indigène
Nous ne sommes en rien concernés du comment nos ennemis nomment leur monde de mort ni comment ils nous reconnaissent, nous ou cette terre. Nous ne sommes pas concernés par le re-travail de leurs façons de contrôle de gestion ou d’honorer les accords ou traités morts et enterrés. Nous ne les supplions pas de mettre un terme à ce réchauffement climatique qui n’est que la conclusion de leur impératif apocalyptique ; leurs vies sont construites sur la destruction de notre Terre-Mère.
Nous enterrons la gauche et la droite ensemble dans cette terre qu’ils sont si avides de consumer. La conclusion de la guerre idéologique de la politique coloniale est que les peuples indigènes perdent toujours, à moins que ce ne soit nous qui nous perdions nous-mêmes.
Les capitalistes et les colons ne vont pas nous mener vers leurs futurs de mort.
L’idéalisation apocalyptique est une prophétie auto-réalisatrice. C’est le monde linéaire qui prend fin et se détruit de l’intérieur La logique apocalyptique existe au sein d’une zone morte spirituelle, mentale et émotionnelle qui se cannibalise elle-même. Les morts se lèvent pour consumer toute vie.
Notre monde vie quand le leur cesse d’exister.
En tant qu’anti-futuristes indigènes, nous sommes la conséquence de l’histoire du futur des colonisateurs. Nous sommes la conséquence de leur guerre contre la Terre-Mère. Nous ne permettrons pas au spectre du colon, aux fantômes du passé de hanter les ruines de ce monde. Nous sommes l’actualisation de nos prophéties.
Ceci constitue la ré-émergence des cycles du monde.
Ceci est notre cérémonie.
Entre les cieux silencieux. Le monde respire de nouveau et la fièvre tombe.
La terre est tranquille. Attendant que nous écoutions
Quand il y a moins de distractions, nous allons à l’endroit d’où ont émergé nos ancêtres.
Et leur/notre voix.
Il y a une chanson plus vieille que les mots ici. Une chanson qui guérit et cicatrise plus profond encore que la lame du colon ne puisse jamais couper.
Voilà notre voix. Nous avons toujours été des guérisseurs.. C’est la première des médecine.
Le colonialisme est une peste, le capitalisme une pandémie.
Ces systèmes sont anti-vie, ils ne pourront pas se soigner.
Nous ne permettrons pas à ces systèmes malades et corrompus de guérir.
Nous nous étendrons, nous multiplierons.
Nous sommes les anticorps
Addendum
Dans notre passé / votre futur, ce furent les attaques non-systémiques non linéaires sur l’infrastructure critique vulnérable comme les facilités de gaz, les couloirs de transport, les fournisseurs d’énergie, les systèmes de communication et plus, qui firent du colonialisme d’occupation une impossibilité sur ces terres.
- Notre organisation était cellulaire, elle n’avait pas besoin de mouvements formels.
- La pratique de la cérémonie fut et est notre libération, notre libération fut et est cérémonie.
- Nous avons honoré nos enseignements sacrés, nos ancêtres et les générations à venir.
- Nous n’avons pris de crédit pour rien. Nous n’avons pas fait de communiqués. Nos actions furent notre propagande.
- Nous avons célébré la mort de la solidarité gauchiste et de son romantisme apocalyptique myope.
- Nous n’avons rien demandé des capitalistes / colonisateurs.
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Lectures complémentaires :
“Païens en terre promise, décoder la doctrine chrétienne de la découverte”, Steven Newcomb
« Meurtre par décret, le crime de génocide au Canada », Kevin Annett
Taiaiake Alfred (Ph.D, Mohawk, prof. science politique) sur Résistance 71
« Effondre le colonialisme », Résistance 71
« Nous sommes tous des colonisés », Résistance 71
“Si vous avez oublié les noms des nuages, vous avez perdu votre chemin”, Russell Means
Gustav Landauer
N’oublions jamais…
Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)
Comprendre et transformer sa réalité, le texte:
Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »
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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:
Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être
Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche
Manifeste pour la Société des Sociétés
Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie
Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

La colonisation est une peste
Résistance !