Une chose que nous voudrions dire ici, est que dans la plupart des langages amérindiens, le mot “guerrier” n’existe pas… Par exemple dans les langues iroquoises (Haudenosaunee), le “guerrier” est “celui qui a la charge du fardeau de la paix”, rien à voir avec la “guerre”. Le concept de “guerrier” est un concept occidental, colonial, qui le plus souvent n’existe pas chez les natifs, du reste, les Indiens n’ont pas d’armée de “métier”, chaque homme d’un clan est, dès son adolescence, formé, entrainé pour devenir un chasseur et un “gardien de la paix”, le concept du peuple en arme est intrinsèque à toute société non-coercitive. De la même manière le “chef” indien n’a quasiment pas d’autorité et seul le “chef de guerre” dirige en cas de conflit. Le “chef” indien est un conseiller, un parleur, un conteur, celui qui rappelle toujours la voie (voix) des ancêtres, qui rappelle au groupe le chemin de la tradition. Le “chef” autoritaire est un concept purement occidental. Un “chef” indien qui serait autoritaire et donnerait des ordres serait ignoré, puis sans doute tué ou banni s’il persistait… Il y a eu des précédents à ce sujet.
En langue Cheyenne (prononcez cha-iane), le mot “guerrier” se dit “nótaxe”. Il faudrait savoir quel est le sens littéral du mot, nous doutons que cela veuille dire “guerrier” au sens européen du terme. Il faut toujours garder présent à l’esprit que la “guerre”, la violence collective de conquête organisée, est un concept essentiellement colonial, étatique et européen dans cette partie du monde. Si l’État n’a pas inventé la guerre, il l’a codifiée et en a fait une institution incontournable servant sa perpétuation ainsi que celle de la caste dominante.
L’auteur aborde aussi dans cette analyse un aspect que nous avons abordé ici à maintes reprises et qui est primordial pour toute société autonome librement associée : le peuple en arme. Alors que nous nous dirigeons vers l’abîme de la tyrannie globale en ce XXIème siècle, nous devons nous poser la question et envisager cet aspect si nous voulons changer réellement de société en embrasser les associations libres et l’entraide universelle, notre nature profonde, n’œuvrant que pour le bien commun, en rupture totale d’avec la pourriture marchande décatie, qui règne depuis bien trop longtemps et au bout de son rouleau capitaliste. Dans un premier temps, nous devrons défendre les acquis territoriaux et politiques de la nouvelle société post étatico-marchande. La question du peuple en arme est une question incontournable. Les Indiens l’avaient bien résolue.
Nous attirons aussi l’attention sur le passage montrant la façon, pour les Cheyennes, de punir un criminel meurtrier. Quelle leçon de cohérence sociale !
~ Résistance 71 ~
“Les Apaches, qui en fonction des circonstances, acceptaient le leadership de Geronimo pour son habileté de combattant, lui tournaient systématiquement le dos lorsqu’il voulait mener sa guerre personnelle. Geronimo, dernier grand chef de guerre nord-américain, qui passa trente années de sa vie à vouloir ‘faire le chef’ et n’y parvint pas…”
~ Pierre Clastres, 1974 ~
“Je salue la lumière dans tes yeux, là où réside l’univers entier. Car quand tu es au centre de toi-même et que je suis également en cet endroit en mon sein, alors nous sommes un.”
~ Tasunke Witko, Crazy Horse, Cheval Fou, chef de guerre Oglala, Sioux ~
Les inclinaisons anarchistes des tribus amérindiennes des Grandes Plaines
Anarchblr
2018
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Mai 2024
Dans mes recherches, j’ai trouvé qu’une sorte d’Anarchie était pratique commune chez les populations natives des Grandes Plaines, peut-être plus de nature collectiviste que communiste. Ici l’anarchie doit être comprise en tant que société sans État et un état doit être compris comme un système d’autorité hiérarchique qui a une forme professionnelle de violence monopolisée afin de mettre et de maintenir en place, d’étendre son pouvoir et son autorité.
Ma source principale d’information pour cette affirmation provient de “Jambe de bois : un guerrier qui combattit Custer” du nom de “Jambe de bois”, un membre de la nation Cheyenne du Nord né en 1858 (NdT : en décédé en 1940), un compte-rendu de sa vie raconté à Thomas B. Marquis, souvent référencé et enrichi par ce dernier d’autres témoignages de première main et documentation, en regard de certains évènements particuliers, pour clarification. Quoi qu’il en soit, jamais dans le livre n’apparaissent les mots “anarchie” ou “socialisme”, il n’y a pas non plus de quelconque initiative d’opposer la voie Cheyenne de vie à la société capitaliste de classes, je vais donc maintenant citer de manière extensive Jambe de bois et mettre ses dires en contraste avec des écrits d’anarchistes en ajoutant ma propre analyse afin de soutenir cette thèse.
Jambe de bois, vers 1907
Jambe de bois était un Cheyenne du Nord appartenant à la société des guerriers du Cerf de sa tribu, une des trois sociétés existantes. Les deux autres sociétés des guerriers étant celles du Chien Fou et du Renard. Pour appliquer le mode de vie Cheyenne à celui des autres nations des Grandes Plaines, Jambe de bois dit que “Les tribus Sioux ressemblaient grandement aux Cheyennes. Nous allions souvent leur rendre visite, particulièrement les Oglalas, parfois aussi les Minneconjoux.” Il continue :
“Les gouvernements tribaux sioux étaient presque les mêmes que les nôtres. […] L’entrainement de leurs guerriers par précepte et discipline était très similaire au notre. Ils combattaient par bandes d’individus, comme nous, comme tous les Indiens que nous connaissions. Ils avaient des danses de guerre, des danses de guérison, qui différaient un peu de nos cérémonies. Ainsi, quand les hommes blancs apprirent les modes cheyennes, ils apprirent aussi grandement sur les modes sioux et autres Indiens de cette partie du monde.” P. 121-122
Commençons :
En décrivant le type d’organisation gouvernementale, Jambe de bois déclare que “Les sociétés de guerriers étaient la fondation même du gouvernement tribal parmi les Cheyennes. C’est à dire que les membres des sociétés de guerriers élisaient les chefs qui gouvernaient le peuple. Tous les 10 ans, toute la tribu se rassemblait pour le but spécifique de choisir 40 grands chefs. Ces 40 sélectionneraient quatre anciens chefs ou “chefs des anciens”, pour servir de conseillers suprêmes pour eux et la tribu. Il n’y avait pas de chefs héréditaires parmi les Cheyennes,” p.56
“Chaque société de guerriers avait un chef de guerre et neuf petits chefs de guerre. Donc, il y avait beaucoup d’hommes pouvant demander le titre de chef. En tout, il y avait 74 officiels de la sorte en comptant les chefs de tribus et les chefs de guerre.”
“Les chefs de guerre n’avaient d’autorité que dans leurs sociétés, chacun dans son organisation spéciale. En alternance, les chefs de tribu déléguaient le pouvoir de gouvernement aux chefs des sociétés de guerriers. C’est à dire qu’un groupe ou un autre des chefs de guerre et leurs suiveurs étaient appelés à servir comme subordonnées officiels pour mettre en œuvres des décisions promulgués par les grands chefs. Un tel groupe de guerriers, quand il était de service, était un peu comme les Shériffs, la police ou l’armée de l’homme blanc.” P-57
Notons ici qu’au premier abord ceci peut bien paraître être comme l’État, ne serait-ce que par l’utilisation du mot “gouvernement” (NdT : encore faudrait-il même savoir si ce mot de “gouvernement” n’est pas un ajout, une “interprétation” du journaliste de ce que disait Jambe de bois, il faudrait avoir le texte original, le verbe “gouverner” existe t’il en langue algonquine cheyenne ?… Nous en doutons.) ; mais comme l’a écrit Kropotkine dans son “L’État et son rôle historique” : “D’un autre côté l’État a souvent été pris pour le gouvernement.. Comme il ne peut pas y avoir d’État sans gouvernement, il a parfois été dit qu’on doit viser à l’absence de gouvernement et non pas à l’abolition de l’État. Mais il me semble qu’État et gouvernement soient deux concepts d’ordre différent. L’idée de l’État est quelque chose de différent de l’idée de gouvernement . Cela inclut non seulement l’existence d’un pouvoir au dessus de la société, mais aussi d’une concentration territoriale ainsi que la concentration dans les mains de peu, de beaucoup de fonctions de la vie en société. Cela implique de nouvelles relations entre les membres de la société, qui n’existaient pas avant la formation de l’État. Tout un mécanisme de législation et de politique a du être développé afin de soumettre quelque classes à la domination d’autres.” Puis il élabore en disant : “Le fait est que tous les animaux, à l’exception de quelques carnivores et oiseaux de proie et quelques espèces en voie de disparition, vivent en sociétés… Dans toute classification animale, ils sont au sommet de l’échelle [évolutive] et il ne peut pas y avoir le moindre doute que les premiers êtres humains ayant des attributs humains, vivaient déjà en sociétés. L’Homme n’a pas créé la société, la société existait bien avant l’humain.”
Ceci est surenchéri par Emma Goldman lorsqu’elle contraste ces concepts de société et État : “On nous accuse souvent de vouloir annihiler la société, on nous appelle constamment les ennemis de la société organisée… Ceci est faux. L’État n’est pas une organisation sociale, c’est une organisation née du despotisme et maintenue par la force et imposée par la force aux masses.” (Congrès International Anarchiste, 1907)
Ce que Jambe de bois décrit ici est certainement une forme de gouvernement mais l’appeler un état est tout simplement indéniablement incorrect.
D’abord, Jambe de bois clairement explique les limites de ces chefs de guerre et une tribu était généralement comprise de plusieurs sociétés de guerriers, il s’en suit donc que ces organisations agissaient plus comme des extensions familiales suivant les unes les autres plutôt que d’être sous une action forcée unique d’une élite. Et en élaborant un peu plus la caractéristique des grands chefs et ce qu’il appelle des policiers et soldats, il dit que “La promotion dans la vie publique suivait la ligne du membre individuel d’une société de guerriers au petit chef de guerre de la même, puis au chef leader, puis au grand chef de la tribu, puis à l’ancien chef conseiller. Bien entendu, tous les chefs de tribus et anciens chefs conseillers étaient tous membres d’une société de guerrier ou d’une autre. Il arrivait très souvent que lors du temps d’une bataille ou d’une grande chasse organisée, un grand chef de tribu ou un ancien chef conseiller, n’avaient en ce temps précis que le rôle d’une simple personne subordonnée à la direction des chefs de guerre.” P.57 (NdT : Il en va de même chez les Sioux, Arapahos, Iroquois, Apaches, Navajos et la plupart des nations amérindiennes)
Et c’est cette particulière dernière phrase qui empêche totalement la société d’être étiquetée comme État dans un cadre anarchiste. Pour que cette société soit considérée un état, pour être considérée comme un groupe d’individus ayant un monopole de la violence, les chefs ne seraient en aucune circonstance soumis à une autorité autre que la leur. Ceci était une pratique récurrente comme ces souvenirs le rappellent “Normalement, il y avait un roulement d’autorité de manière régulière, mais ceci n’état pas toujours le cas. Le conclave des grands chefs décidaient quelle société devait l’avoir. Une société pouvait avoir un mandat d’une journée, deux jours, trois jours, une durée toujours limitée, ou elle pouvait recevoir un mandat pour servir durant un évènement complet. Leur mandat pouvait être révoqué à tout moment par les grands chefs et une autre société était mandatée à sa place. Quoi qu’il en soit, quelqu’un ou une autre bande de guerrier étaient toujours de service pour mettre à exécution les décisions des conseils de grands chefs.” P.60
Et le rôle de ces grands chefs était, comme précisé auparavant, plus celui de “conseillers” que d’organisateurs de la société. En fait, dans son livre de 1937 “Social Anthropology of North American Tribes”, Fred Eggan écrit au sujet des Apaches Chiricahua (NdT : nation de Geronimo) disant que “Les groupes locaux ont des leaders qui ont été appelés “chefs” dans la littérature, terme bien trompeur s’il est utilisé comme c’est souvent le cas, pour indiquer un large contrôle sur un groupe de personnes sujettes à son autorité.” Il explique : “Il est difficile de voir pourquoi ces hommes devraient être appelés autrement avec un titre suggérant plus de pouvoir que celui de “leader” ou “conseiller”. L’ascendance qu’ils ont ensuite obtenue est essentiellement due aux contacts avec l’homme blanc. Celui-ci vint en territoire Chiricahua cherchant des “chefs” avec qui traiter. Les Indiens firent au mieux pour les diriger vers les leaders de leurs groupes. Puis les Chiricahua découvrirent, à leur grand inconfort, que les officiels blancs assumaient ce qu’aucun Apache n’aurait admis, qu’un quelconque accord avec un leader de groupe liait not le groupe à cet accord.” Il termine ce paragraphe en réfléchissant : “L’image du leadership apache, le rang, le statut sous conditions aborigènes et bien différente de celle de la société blanche.” (NdT : voir aussi l’explication et analyse de l’anthropologue politique français Pierre Clastres sur “la chefferie sans pouvoir”…)
D’autre part, les anarchistes ont, en commun avec tous les socialistes révolutionnaires, argumenté que les gens doivent avoir accès aux armes et être armés et avec ce type particulier d’organisation à autorité rotative, il y a une vraie coopération entre les sociétés de guerrier pour promouvoir le bien-être de tout individu de manière établie et amicale. Ceci est de plus soutenu par “A tout moment, l’effort était de mener à bien toute tache impartie à la société de guerrier, que ce soit leurs organisations de chasses, dans les camps, pendant la journée, en temps de bataille ou sous toute autre condition où elle avait une quelconque autorité. Les trois sociétés de guerrier étaient en concurrence l’une contre l’autre pour leur efficacité dans les taches et toute autre affaire sous leurs auspices. Chacun essayait de faire de son mieux au sein de chaque société.” P.62-63
Ceci est un exemple de ce que les anarchistes appellent les sociétés d’entraide, où la division du travail se fait pour le bénéfice de tous, ce même quand il y peut y avoir une concurrence entre des groupes et des individus.
De plus, le concept de “l’exécution de la volonté des chefs” doit être évalué car ceci semble en contradiction au premier abord avec les principes anarchistes. Jambe de bois donne un exemple détaillé du comment une telle méthode organisationnelle fonctionne dans la pratique :
“Peut-être qu’à un moment donné, les guerriers de la société du Chien Fou pourraient agir comme “policiers” en cet endroit particulier de campement. Peut-être que les 4 vieux chefs conseillers vont déterminer qu’on devra partir dans une chasse aux bisons… Les grands chefs vont alors décider quelle société de guerrier devra être responsable du mouvement du campement. Peut-être vont-ils se mettre d’accord pour que ce soit la société des guerriers du Renard… Le lendemain matin, alors que tout le monde se prépare à bouger le camp, les guerriers de la société du Renard vont se rassembler dans la direction à emprunter… Alors, on verra les guerriers de la société du Chien Fou, qui avaient été les “policiers” durant ce campement, se mettre à faire les taches normales quotidiennes et redevenir des Cheyennes du quotidien,” p.60-61
En ce qui concerne la loi et les crimes, le plus sérieux des crimes est de tuer un homme (ou une femme) et que “Aucun guerrier faisant fonction de “policier” n’a le droit de tuer un Cheyenne, personne en fait n’a le droit de tuer un Cheyenne.” P-97 Mais leur approche d’un tel crime est très proche de la ligne anarchiste. Les anarchistes ont toujours pensé abolir les prisons parce que “les prisons ne moralisent pas leurs détenus, elles ne les empêchent en rien de commettre de nouveau des crimes.” (“Les prisons sont-elles nécessaires ?”) Kropotkine analyse la situation : “La liberté et l’attention fraternelle sont prouvées être les meilleurs remèdes de notre côté… Le progrès est dans cette direction.”
Voyons donc la direction prise :
“Le meurtre d’un Cheyenne était de loin le plus sérieux des crimes contre nos lois tribales. La punition était rapide. Un conseil des grands chefs et des chefs de guerre se réunissait immédiatement. L’affaire faisait l’objet d’une enquête. Si la culpabilité était évidente, le criminel payait sans plus attendre sa pénalité. Parfois, une action était entreprise avant même que le conseil ne se soit rassemblé, la situation était si claire que l’unanimité du sentiment était exprimée soit pour ou contre la personne incriminée et accusée du crime. L‘accusé n’était pas autorisé à être présent au conseil du procès. Lorsque la décision avait été prise, on lui notifiait dans sa loge par le truchement de la société des guerriers en charge de la “police” à ce moment là. Si trouvé coupable, ils commençaient sans attendre à mettre en place la punition standard et fixe pour ce crime…
La pénalité était généralement le bannissement de la tribu / nation pour 4 ans. Ceci prenait effet le même jour que la sentence, si le criminel protestait ou refusait, il encourait une peine supplémentaire d’être fouetté, d’avoir ses chevaux abattus ou son Tipi détruit. S’il acceptait la sentence de bonne grâce, il était autorisé de prendre avec lui ses possessions. En tous les cas, il devait partir. Sa femme et ses enfants pouvaient soit partir avec lui, soit rester avec la tribu, c’était leur choix. S’il avait un calumet médical, cet objet sacré généralement en la possession de tout homme adulte Cheyenne, son premier acte volontaire d’entrée en bannissement consistait en la destruction, pulvérisation de ce talisman des plus révérés. (NdT : dans la tradition indienne, le tabac est une plante médicinale sacrée) Tout le reste de ses possessions pouvait partir avec lui, mais il ne pouvait pas emmener son dévoué calumet.” P.102-103
“A la fin des 4 ans, l’homme absous revenait et demeurait de manière temporaire dans les Tipis de membres de sa famille. Dès qu’il avait mis en place son propre logement, il était alors de nouveau admis dans la tribu avec tous les droits et immunités prévus, Mais il y avait d’importantes exceptions à cette réhabilitation. Ainsi, il n’était plus jamais autorisé à posséder un calumet, ni de prendre part aux cercles de cérémonies où l’on fume le tabac. Sa présence physique y était tolérée, s’il choisissait d’y participer, mais alors que le calumet passait de mains en mains, il sautait toujours son tour, de la même manière que s’il n’avait pas du tout été là. Personne n’abusait de lui, simplement, à ce moment, il était ignoré. Ainsi donc, les criminels réintégrés évitaient en général ces réunions.” P.105
Il n’y a pas de prisons et il y a une forme naissante de réhabilitation qui peut sûrement être améliorée, mais qui existe néanmoins. Même dans la punition, les principes sont en accord avec le maintien de a cohésion sociale, mais pas au prix de tolérer l’injustice. Il n’y a pas de système (coercitif), équivalent à celui des complexes carcéraux, qui aliène autant et maintienne l’aliénation de l’individu de manière anti-sociale. Ce n’est donc pas une surprise que Kropotkine dise par ailleurs que “les peuples sans organisation politique [c’est à dire les peuples indigènes aborigènes collectivistes], et donc moins dépravés que nous-mêmes, ont parfaitement compris que celui que l’on appelle un “criminel” est simplement malchanceux, que le remède n’est pas de le fouetter, de l’enchaîner, ou de le tuer sur l’échafaud ou en prison, mais de le soulager par une attention des plus fraternelles, par un traitement fondé sur l’égalité, par les us et coutumes de vie parmi les honnêtes gens.” (La loi et l’autorité, 1886)
Pour l’essentiel, Jambe de bois décrit les rôles des grands chefs en tant que leaders qui agiraient en tant que juges et choisis pour leur honnêteté, leur sang-froid et leur réputation de prises de bonnes décisions et ceci était considéré comme un honneur. Cette sorte d’organisation n’a en rien la nature coercitive d’un état, ce n’est pas un État.
Après tout, une analyse de Bakounine nous dit que “S’il y a un État, il doit y avoir domination d’une classe sur une autre et, en résultat, esclavage ; l’état sans esclavage est impensable (NdT : le salariat est une forme d’esclavage moderne, de plus l’esclavage n’a pas complètement disparu au XXIème siècle, loin s’en faut…) et voilà pourquoi nous sommes les ennemis de l’État.” Il ajoute : “ Un état fort ne peut avoir qu’une seule forte fondation : la centralisation militaire et bureaucratique. La différence fondamentale entre une monarchie et même la plus démocratique des républiques est qu’en monarchie, les bureaucrates oppriment et volent le peuple pour le bénéfice des privilégiés dudit système au nom d’un roi et pour remplir leurs coffres ; tandis que dans une république, les gens sont volés et opprimés de la même manière pour le bénéfice de la même classe, mais au nom de la “volonté du peuple” et pour remplir les coffres des bureaucrates “démocrates.”” ~ État et Anarchie (1873) ~
Nous avons vu qu’il n’y a pas de centralisation possible avec une autorité temporaire et rotative, le pouvoir va et vient de l’autorité entre des sociétés différentes travaillant en collaboration les unes avec les autres, ceci est un gouvernement décentralisé mais organisé ; les grands chefs guident et prennent certaines décisions, mais l’exécution est collective et faite de manière agréable pour tous.
Maintenant, évaluons s’il y a exploitation parmi eux.
“Notre façon de faire était d’allumer un feu et d’appeler les chefs. Pas de serment, la vérité était supposée être dite sans promesse particulière. […]
“Des Cheyennes s’en vinrent avec du café, du sucre et du tabac. D’autres articles furent amenés, mais ceux pré-cités étaient les trois favoris. Les présents de luxe étaient distribués entre amis, de petites quantités ici et là. Quelqu’un se dirigeait devant un Tipi, appelait le nom d’amis spéciaux et invitaient : “J’ai du tabac. Venez et fumez avec moi.” Ou alors : “J’ai du café et du sucre. Venez en profiter avec moi.” Les Sioux pouvaient faire de tels cadeaux aux Cheyennes et inversement. Ou des membres de deux partis d’Indiens pouvaient s’inviter pour manger et fumer. Le plus souvent, les invitations se produisaient intra-tribus Pourtant, tout Indien qui prospérait d’une manière ou d’une autre était attendu de partager et être désireux de partager son bien avec ses pairs, avec en fait toutes personnes amicales, même avec des ennemis avoués si cela devait amener la paix et devait être désiré. Un principe premier de la conduite des Indiens était d’être généreux envers tout autre Indien, quel qu’il soit.” P.159
Ceci fait écho dans les dernières lignes du livre : “Je souhaite pouvoir vivre encore comme dans les jours passés quand c’était la toute première pensée de chaque Indien prospère de lancer cet appel : “Ho-oh-oh-oh-oh, Venez, venez, venez. J’ai beaucoup de viande de bison. J’ai du café, j’ai du sucre, j’ai du tabac, Venez, amis, faisons la fête et fumez avec moi.” P.384
Kiowa, autre nation des grandes plaines
Maintenant comparez ceci avec la déclaration d’Eric Malatesta disant que : “Dans le sillage de la révolution, ce sera un devoir moral pour tous de démontrer amour et respect les une envers les autres, de protéger les faibles, les enfants, le travail, de considérer les intérêts de la société dans chaque action individuelle, bref, tout ce que la science et l’expérience ont ou peuvent démontrer d’utile aux hommes.” Programme et organisation de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), 1884 ~
Les parallèles entre ce qui fut et ce qui est proposé sont indéniables.
Je conclurai ceci en disant que cette société est très exemplaire en esprit, à la société révolutionnaire des anarchistes car il n’y avait aucun moyen formalisé pour eux d’obtenir les plans d’une telle société de théoriciens extérieurs. C’était plutôt simplement l’organisation née de leur propre prise de décision indépendante. Une méthode organisée avec ses propres codes moraux qui s’est exprimée au sein de l’humanité à travers le temps et l’espace.
= = =
“Il y a des connexions philosophiques entre les sociétés indigènes et quelques sensibilités anarchistes sur l’esprit de la liberté et les idéaux pour une bonne société. Des idées critiques parallèles et des visions d’un futur post-impérialiste ont bien été notées par quelques penseurs, mais quelque chose qu’on pourrait appeler ‘anarcho-indigénisme’ doit toujours se développer en une philosophie et une pratique cohérentes. Il y a également une grande similitude entre les façons de voir le monde des anarchistes et des peuples autochtones: un rejet des alliances avec des systèmes légalisés, centralisés d’oppression et une non-participation aux institutions qui structurent la relation coloniale, ainsi que la croyance d’amener le changement par l’action directe et la résistance au pouvoir d’état.”
~ Taiaiake Alfred, professeur sciences politiques, Mohawk ~
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« Du chemin de la société vers son humanité réalisée » (Résistance 71)
« Kaianere’kowa, la Grande Loi de la Paix » des nations Haudenosaunee, XIIème siècle
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« Nous sommes tous des colonisés » (Résistance 71 )
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Ericco Malatesta, écrits choisis
3 textes sur le peuple en arme
« EZLN, Chiapas, une communauté en arme » (Tikva Honig-Parnass)
« Si vous avez oublié le nom des nuages, vous avez oublié votre chemin » (Russell Means)
« Un manifeste indigène », Taiaiake Alfred (Mohawk)
« Wasase, La grande loi du changement » Taiaiake Alfred
« Echange et pouvoir de la chefferie indienne » (Pierre Clastres)
« Chiapas, feu et parole d’un peuple qui dirige et un gouvernement qui obéit » (EZLN)
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« Entretien avec des anarchistes du Rojava » (TA)
« Du Chiapas aux Gilets Jaunes en passant par le Rojava » (Résistance 71)
« Le communisme anarchiste » Sam Dolgoff
« L’art de ne pas être gouverné » James C. Scott
« L’après-histoire ou la révolution par le don » (Zénon)
« Effondrer le colonialisme par apostasie collective » (Jo Busta Lally)
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