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Tekosina Anarsist (TA) : nouvel entretien avec les anarchistes du Rojava en octobre 2023

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, documentaire, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , on 5 février 2024 by Résistance 71

Notre introduction du premier article d’un entretien avec “Tekosîna Anarsîst” (TA) ou “Lutte Anarchiste” que nous avons traduit et publié  en octobre 2020 :

Le mouvement Tekosina Anarsist (TA) ou “Lutte Anarchiste” a été créé à l’automne 2017 au Rojava, il y a donc trois ans. Ce mouvement est international et est essentiellement une unité médicale de combat qui dispense à la fois des soins dans les zones de combat et forme des équipes médicales pour les unités kurdes du Rojava. L’an dernier, un membre italien de TA, Lorenzo Orsetti, a été tué dans les zones de combat du Rojava.

Cet entretien repositionne historiquement la lutte pour le Confédéralisme Démocratique dans cette région du monde et partout ailleurs, comme le préconise Abdullah Ocalan dans son manifeste pour le Confédéralisme Démocratique (CD) de 2011, qui n’a pas grand chose à voir avec le “Contrat Social du Rojava” pondu en 2016 et régissant le Rojava comme un proto-état à l’inverse du CD qui invoque l’abolition de l’État et des institutions. C’est donc avec un immense plaisir que nous avons traduit cet entretien, qui répond à bien des questions et des spéculations. Nous remercions les intervenants de cet éclairage si nécessaire.

~ Résistance 71 ~

“Chaque orage commence avec une simple goutte de pluie. Sois cette goutte !”
(devise du Tekosîna Anarsîst / TA)

Des nouvelles de TA 3 ans plus tard…

MaJ du 6 février 2024 : Jo vient de nous envoyer en temps record l’excellent PDF de ce texte à lire et diffuser:
Nouvel-entretien-avec-les-anarchistes-du-rojava-oct-2023

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TA_medic

Anarchistes au Rojava

La révolution est une lutte en elle-même

Tekosîna Anarsîst (TA)

Octobre 2023

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Février 2024

1. Nous avons lu des déclaration au sujet du travail de TA hors du champ de bataille, dans les domaines de l’éducation et du soutien médical par exemple. Le côté éducatif  est très intéressant pour nous, pourriez-vous clarifier un peu votre mode opératoire dans vos campagnes éducatives, pas seulement entre vous mais aussi au sein des communautés locales ? Y a t’il des enseignements que vous voudriez partager sur le rôle (et le processus) révolutionnaire de l’éducation ? Comment voyez vous la pédagogie non seulement comme un outil, mais aussi comme un espace au sein des luttes que vous devez affronter ?

L’éducation est ce qui construit les fondations d’une nouvelle société. C’est souvent le meilleur des outils pour nous défendre ainsi que nos communautés. Le mouvement de libération kurde met grandement en valeur le rôle de l’éducation et ceci nous a aussi amené à réfléchir sur notre approche. (NdT : ceci est tout à fait similaire à l’expérience zapatiste au Chiapas, fondé sur une approche éducative dans le veine du grand éducateur brésilien Paulo Freire) Au Rojava, il est courant de rejoindre des programmes éducatifs pour plusieurs mois, là où des militants de différents endroits n’ont rien d’autre à faire que d’étudier et de se développer. Ceci n’est pas nouveau au Rojava, le mouvement kurde a travaillé sur l’éducatif et les méthodes d’enseignement depuis des décennies. En rejoignant certains de ces programmes, nous avons aussi constaté que la plupart de notre compréhension de l’éducation est connectée à l’école, université et autres systèmes étatiques (NdT : ce que Paulo Freire appelle “le système éducatif bancaire”… dans le sens de l’accumulation de connaissance comme une banque de données enseignées par des profs assujettis au système, la connaissance pilotée, organisée, sélective et donc forcément tronquée et incomplète puisqu’assujettie à des intérêts particuliers de la classe dominante, ce que Gramsci appelait aussi “l’hégémonie culturelle”…) et l’importance de ce que nous devrions développer nos propres programmes éducatifs, façonner nos propres vues et valeurs politiques. En cela “LA PEDAGOGIE DES OPPRIMES” de Paulo Freire peut nous donner de très bonnes et importantes perspectives.

NdR71 : Devant l’importance de l’ouvrage de Freire, nous l’avons traduit et publié entièrement en français il y a quelques années, cliquez sur le lien ci-dessus pour le télécharger en format PDF. Également, en 2022, notre traduction française du livre de Freire a été utilisée avec notre consentement , gratuitement, comme base pour la traduction de l’ouvrage en arabe. Vous pouvez télécharger le livre en arabe sous format PDF également gratuitement ICI… Bonne lecture !

L’éducation révolutionnaire peut être tout ce qu’on fait si on apprend de manière organisée. Des éducations fermées nous permettent de travailler plus profondément sur un sujet, comme par exemple étudier et analyser la philosophie et la vision politique d’Abdullah Ocalan, ou de Makhno ou de Malatesta sur l’anarchisme organisé et les différentes tentatives de mettre tout cela en pratique, ou d’apprendre les premiers secours et les soins médicaux en situations de guerre. Mais tout ceci doit aussi s’enraciner dans la pratique, qui est souvent la meilleure des éducations, comme lorsque nous travaillons dans la société avec nos camarades kurdes et arabes et autres camarades, lorsque nous construisons notre organisation jour après jour, ou lorsque nous sommes des infirmiers sur le front, dans les zones de combat. La théorie apporte la connaissance et aide à comprendre et à avoir confiance en soi, mais c’est le travail pratique qui construit notre expérience et le savoir complet.

Une certaine connaissance que nous transportons avec nous est rare ici et il est important de la collectiviser. Nous avons fait des séminaires éducatifs de premiers secours et de soins sur le champ des opérations à nos camarades kurdes, arabes et arméniens. Nous avons aussi partagé les connaissances entre nous, parfois sous la forme de courts séminaires, parfois sous la forme de programmes plus longs d’éducation fermée. Ceci nous a aidé à construire nos capacités et à developper un cadre commun d’organisation, dans les domaines tout à la fois pratique et théorique, idéologique. Avec le temps, nos méthodes éducatives deviennent plus adaptées à nos besoins, dénotant non seulement ce que nous voulons enseigner et apprendre mais aussi comment nous voulons le faire. Pour certains camarades, cela aide beaucoup de lire ou d’écouter des séminaires pendant plusieurs heures, pour d’autres, c’est mieux d’apprendre avec de la mise en pratique. Nous essayons de toujours garder cela à l’esprit mais aussi nous nous lançons des défis, comme par exemple encourager les camarades qui sont plus familiers avec le travail académique, de travailler de manière pratique et de pousser un travail plus idéologique et théorique avec ceux qui sont plus orientés vers la pratique.

2.Dans des déclarations précédentes, vous avez évoqué le besoin pour les révolutionnaires de se désengager d’états d’esprit individualistes, égoïstes ainsi que de relation d’ego quand ils approchent le relationnel avec leurs camarades et l’organisation. Comment avez-vous à TA pu gérer ce type d’état d’esprit ? Nous reconnaissons cette vision où l’anarchisme et la lutte révolutionnaire sont toujours des funambules sur le fil entre le mode de vie et la commodité, ne nous permettant pas de relations profondes dans la marche vers la libération. Y a t’il des leçons ou des avertissements que vous voudriez partager de vos activités et de votre expérience pratique ?

C’est une question très difficile, parce que c’est un des principaux défis, difficulté principale à laquelle nous devons faire face. L’anarchisme a toujours discuté des contradictions entre les militants individuels et le besoin d’organisations révolutionnaires. Nous travaillons à l’équilibre de ces points, parce que nous voyons des arguments très importants à faire des deux côtés. Comme bien des anarchistes avant nous, nous en sommes venus à la conclusion que l’organisation est une nécessité, pas en tant que but en soi mais comme moyen pour parvenir à un objectif. Nous n’acceptons pas de hiérarchies inutiles et nous respectons grandement l’individualité de nos militants, souvent nous référant à l’idée “qu’il ne peut pas y avoir d’organisation sans les individus militant et qu’il n’y a pas non plus de militants sans organisation.” (NdT : ce que nous disons ici de longue date : certes l’humain crée les systèmes de fonctionnement,  mais aussi à terme les systèmes créent les humains selon ses besoins, c’est une voie à deux sens…) Nous voulons aussi faire remarquer l’importance de la responsabilité individuelle vers l’organisation, tout autant que la responsabilité collective de l’organisation envers les individus.

Devenir un militant dans une organisation révolutionnaire amène des contradictions individuelles et collectives. Les aspects principaux de notre personnalité ont été façonnés par les sociétés dans lesquelles nous avons grandi, avons été éduqués. La vie dans la modernité capitaliste repose sur l’individualisme. A l’école, sur les lieux de travail, dans les médias, nous consommons, on nous dit que la liberté individuelle est tout ce qui importe. “Votre liberté s’arrête là où commence celle des autres” est très souvent le slogan de base de nos sociétés. Ceci nie une appartenance collective et fait la promotion d’un état d’esprit individualiste ainsi que des valeurs lui étant intrinsèques. Il n’est donc pas surprenant que l’anarchisme individualiste fleurisse dans ces sociétés capitalistes desquelles nous venons, parce que cela connecte avec ces individualistes des valeurs que le libéralisme promeut. Nous voulons défier cela. Nous pensons que notre seule façon d’en sortir est au travers de la solidarité et de l’entraide et pour ce faire, nous devons défier cet individualisme profondément ancré en nous et que nous transportons partout avec nous.

L’individualisme peut prendre plusieurs formes. Certaines sont évidentes comme l’égoïsme, l’élitisme ou le narcissisme ; mais il y a des formes plus subtiles plus difficiles à remarquer comme refuser de l’aide , ne pas partager l’information ou la connaissance avec des camarades, ne pas écouter ou ne pas considérer les idées et/ou les propositions des autres. Nous avons tous des traces d’individualisme en nous et elles sont souvent connectées avec notre ego et l’image que nous voulons projeter de nous-mêmes. Dépasser tout cela requiert que nous soyons capables de nous évaluer nous-mêmes et les autres ainsi que les méthodes auxquelles nous sommes affiliés. La critique et l’auto-critique vont la main dans la main, nous avons besoin de reconnaître nos défauts pour nous engager de manière efficace avec les défauts des autres. Admettre qu’il y a une différence entre comment nous nous percevons nous-mêmes, comment nous désirons être perçus et comment les autres nous perçoivent peut être pénible et difficile. Mais reconnaître que ce fossé nous ouvre la porte pour que nous puissions nous développer. Tout le monde a ce fossé, pour certains il est plus grand que pour d’autres et le défier peut créer un espace pour la connaissance et l’apprentissage. En gardant ceci présent à l’esprit, nous pouvons construire de meilleures relations qui sont fondées sur l’honnêteté et la confiance.

La confiance est rare dans nos sociétés. Il est plus facile d’apprendre à se méfier, à avoir peur de son voisin, de marcher sur la tête de vos collègues de travail pour avancer et avoir un plus gros morceau du gâteau. Le capitalisme est fondé sur la concurrence (NdT : pas le capitalisme monopoliste tel qu’il est devenu dans sa phase de développement réelle, cf Marx. Dans cette phase le capitalisme tout puissant élimine toute concurrence et monopolise, phagocyte l’ensemble du système au profit du plus petit nombre), sur le mensonge et sur la vente de soi, sur la société du spectacle (marchand). Il n’y a pas de place pour l’honnêteté et la confiance dans un système qui n’est basé que sur la performance, sur l’apparence de ce que vous n’êtes pas, sur la fabrication, la manipulation et sur la croyance qu’un jour vous allez réussir et être au top. Être honnête et transparent avec nos camarades demande de la vulnérabilité. On nous a dit de cacher tout ça, ne jamais laisser les autres voir vos points faibles, de vous présenter comme cette personne capable de tout, performante en tout ce qui doit être fait. Tous ces traits de caractère individualistes jouent contre nous, spécifiquement dans les moments difficiles où le stress et les difficultés révèlent ces choses que nous essayons de cacher.

Nous avons travaillé sur ces problèmes en menant en pratique des outils comme tekmil et une plateforme, que nous avons apprise du mouvement kurde. Nous avons aussi exploré d’autres méthodes et récemment nous avons augmenté notre connaissance sur la résolution de conflit au moyen de cercles restaurateurs et d’une justice transformatrice. Celle-ci fournit une bonne approche, connectée à nos valeurs idéologiques et orientée vers des sujets comme la responsabilité, qui devrait toujours être partie de la base de notre mode organisationnel. Nous avons pris que l’organisation est une lutte en soi et que les contradictions, les conflits et les défis vont toujours surgir au sein de toute organisation. En l’absence de structures hiérarchiques, comment prenons-nous des décisions et comment résolvons nous des conflits devient une partie très importante de notre mode organisationnel.

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3.Ceci peut être relié à ce qui précède, comment est résolu le conflit inter-personnel dans une organisation comme le NES (Administration Autonome du Nord-Est de la Syrie ou AANES) ? Nous avons vu plusieurs perspectives abstraites mais peu de compte-rendus réels sur les processus de justice et d’équité, comment gérez-vous ces affaires ? Est-ce que les groupes autonomes variés ont la liberté de s’en occuper en leur sein ? Est-ce que toutes les résolutions de conflit sont centralisées ?

Il y a en ce moment deux systèmes de justice en place dans la Zone Autonome du Nord-Est Syrien (AANES). Un qui est similaire à une justice d’état et un qui est fondé sur la justice communautaire (droit coutumier). Ce dernier consiste en des comités de consensus paysans et des conseils locaux qui sont souvent composés de leaders religieux et d’anciens des communautés. Ceci encourage les gens à être responsables et à agencer leurs propres problèmes. Mais ce système ne fonctionne pas très bien malheureusement. A cause de cela donc, beaucoup de problèmes locaux sont toujours soumis au système de justice étatique qui est en partie hérité du système Assad mais aussi géré par l’administration autonome. C’est une mixture bizarre qui fonctionne avec les outils disponibles dans une situation qui est difficile à gérer. Le syndicat des avocats jouent un rôle important ainsi que les efforts d’écriture d’un “contrat social” de l’AANES, une sorte de constitution qui est révisée toutes es quelques années suite à des discussions entre les différentes organisations politiques et sociales.

NdR71 : Nous constatons ici que comparé aux années 2010-15, le Rojava ne fonctionne plus sous le confédéralisme démocratique prôné par le leader kurde ex-marxiste, inspiré du communalisme libertaire de Murray Bookchin et mis en place au début de l’expérience du Rojava dès le début des années 2000, mais qu’il fonctionne désormais de manière hybride, beaucoup plus comme un système étatique et hiérarchique, dont le “contrat social” (2016 et révisé) crypto-étatique, est manifestement imposé depuis Washington afin de contrôler cette zone stratégique. Depuis 2016, les communes du Rojava ont été en grande partie mises sous tutelle d’un régime hybride essentiellement vendu à l’empire. Les anarchistes y sont tolérés, mais la hiérarchisation demeure. TA doit s’adapter pour y survivre politiquement et certainement y faire des concessions au système étatico-marchand qui contrôle les zones pétrolières de la région pour le compte de l’empire. Les questions demeurent toujours : doit-on faire des compromis ? La révolution sociale peut-elle se satisfaire de compromis ? Exister partiellement est-il mieux que ne pas exister du tout ?

Les raisons qui ont poussé l’Administration Autonome à faire plus d’efforts à réorganiser le système légal général plutôt que de promouvoir les conseils judiciaires communautaires ne sont pas claires pour nous. (NdT : Voir notre note au dessus…) Nous suggérons que vous alliez parler directement avec le comité judiciaire de l’AANES, ils pourront mieux répondre que nous. A part cela, il y a aussi des structures autonomes pour les femmes comme les habitations pour femmes (Tala gin) et une loi pour les femmes. Ceci a joué et joue toujours un rôle important dans la résolution des problèmes entourant le genre tout en trouvant des solutions dans des domaines comme les problèmes familiaux (mariage, conflit, divorce, abus, violence etc…)

Les conseils, comités, communes et organisations autonomes ont un certain degré de liberté pour gérer ces conflits de l’intérieur. Comment ces problèmes sont approchés quant à savoir si les gens vont impliquer le système juridique étatique dépend de la nature et de l’envergure du conflit ainsi que des personnes et groupes impliqués. Dans des cas de crimes qui ont un grave impact social, comme meurtres ou trahison organisée (comme donner des informations à la Turquie, information utilisée pour assassiner des révolutionnaires, aider Daesh à planifier et mener des attaques), il y a eu des procès devant des tribunaux populaires. Ces procès rassemblent différents représentants de a communauté sociale, spécifiquement ceux les plus touchées par le crime commis ; ces personnes fonctionnent comme un jury populaire pour décider de la punition.

(NdT : c’est ce qu’il faudra mettre en place pour juger tous les gens responsables au sein des gouvernements, partis politiques, institutions et entreprises privées, d’avoir mené des guerres par tromperie et disséminer l’arme biologique SRAS-CoV-2 et ses injections à ARNm attenantes… Nous ne pouvons pas nous fier à la justice corrompue du système étatico-marchand pour se juger lui-même. C’est comme demander à Al Capone d’être juge de son propre procès.. résultat garanti : une farce ! Les peuples devront se faire justice, pas d’autre solution…)

Pour notre organisation et les organisations en Europe, nous pensons qu’il est important d’en venir à comprendre la valeur réelle de la justice transformatrice et que nous commencions à bâtir la capacité à commencer d’offrir des alternatives au système “judiciaire” en place, qui n’est qu’un vaste mensonge raciste, suprémaciste et profondément connecté au pouvoir des états-nations. Le sujet de la justice transformatrice a été sur la table des débats des cercles de gauche en Europe depuis un bon moment. Nous voyons que tout cela commence à bouger vers des actions pratiques, une phase active de mise en place. Commençons par de petits ajustements pratiques, une fois que nous avons des exemples de la vie quotidienne, nous pouvons et devons les agrémenter de quelques lectures / études / théories. La résolution de conflits ne peut pas s’apprendre de bouquins, ses fondements ne peuvent être pris que dans la pratique, les livres seront utiles pour nous améliorer mais à la seule condition que nous soyons prêts à mettre la connaissance en pratique directe. Nous ferons pas mal d’erreurs et c’est normal. Nous avons tant à désapprendre du système de “justice” étatique imposé. Nous commençons de manière imparfaite en utilisant des outils comme tekmil, les cercles de restauration et les structures autonomes de femmes pour construire plus avant.

4.Quel est le statut actuel de l’art et de l’auto-expression au Rojava ? Y a t’il eu la chance et l’espace pour que les personnes puissent jouer, créer ou montrer des créations artistiques ? Comment cela est-il reçu ? Comment le conflit a t’il changé ou affecté tout cela ?

Tevgera Çand û Hûner (Tev-çand,) l’organisation de l’art et de la culture est une coordination des centres d’art et de culture présents dans chaque ville. La plupart de ces centres ont différents groupes d’activités variées comme la danse, la musique, le cinéma, la peinture, la littérature, la sculpture etc… Ils font essentiellement la promotion de l’art en connexion avec la culture kurde, sa langue et son identité. Chaque groupe ethnique est encouragé à promouvoir sa culture et son art tout en fournissant un espace pour d’autres formes et traditions d’art en dehors de la tradition folklorique. Tev-çand a une approche politique de l’art, le voit comme un véhicule de partage et de dissémination des valeurs de la révolution. Quelques exemples de succès sont Hunergeha Welat et le chaîne YouTube qui publie de nouvelles chansons et des videoclips “faits au Rojava” ou la commune du cinéma Romina film a Rojava, qui a produit plusieurs films, des courts-métrages, des clips. Ils ont récemment sorti une série au sujet du Rojava intitulée “Elina Kurd” “Un amour kurde”.

Les groupes locaux font souvent des représentations dans les célébrations locales, durant les jours fériés et autre évènements culturels. Ces dernières années bien des groupes et des artistes sont devenus bien plus professionnels et nous commençons à voir leur art dans différents théâtres, expositions ou évènements culturels. L’art est vu comme une richesse populaire et culturelle et il n’y a aucun processus de marchandisation autour de lui. Théâtre, cinéma, musique sont faits, joués et partagés gratuitement et nous n’avons jamais vu d’évènement culturel faisant payer un droit d’entrée. Ceci fait partie de l’approche politique, de la morale et de l’esthétique qui sont promus. Brièvement, remarquons les efforts faits pour connecter l’esthétique avec la politique et les valeurs éthiques de la révolution. Cet approche défie les standards de beauté capitalistes que la modernité essaie d’imposer, voyant ainsi l’art comme un véhicule de l’expression du peuple, de la société et de ses valeurs. Une grande partie de cet art est connecté à la résistance contre l’État Islamique / Daesh et le fascisme turc, tout en ayant un point de focalisation sur les résistances de femmes et du YPJ, tout en ayant aussi ses racines dans l’histoire des luttes du peuple kurde.

NdR71 : si un “art” est “capitaliste” ou “révolutionnaire”, il n’est pas de l’art. L’art est universel. La “Joconde” de de Vinci, la “Pastorale” de Beethoven ou “Notre Dame de Paris” de Victor Hugo sont universels dans leur essence et l’idée véhiculée. Le Beau (et le Vrai) n’ont rien de politico-économique. Une approche artistique “capitaliste” ou “révolutionnaire” ne peut atteindre l’universel, elle ne peut générer que du partiel, du momentané, sous une forme plus ou moins épurée de propagande. Un bâtiment de musée stalinien n’est pas de l’art, une église romane ou le Taj Mahal oui.

Dans cette approche de l’art, nous pouvons voir un changement apporté par la révolution, qui a peut-être même commencé avant le Rojava. Le cinéma kurde du XXème siècle est souvent tragique, au sujet des massacres et des exils infligés au peuple kurde. Dengbêj, une musique / poésie traditionnelle est aussi infusée d’histoires de villages détruits, de familles assassinées et d’enfants orphelins. C’est dans ce nouveau siècle que l’art kurde a commencé a réfléchir sur une nouvelle image. Une qui ne soit pas trop focalisé sur les Kurdes en tant que victimes ou sur des tragédies inhumaines, mais aussi en voyant le peuple kurde comme un acteur du changement Les chansons des comités de défense YPG et YPJ (femmes) battant Daesh ou des guérilleros combattant dans les montagnes, les nouveaux films sur la résistance a Sur ou Kobané, les grandes célébrations de NewRoz (le nouvel an kurde), sont des exemples de la renaissance du peuple kurde et de sa volonté de résister. Ce n’est pas juste un peuple dont la destinée est la souffrance, c’est une nation sans état dont les terres ancestrales ont été occupées et dont les villages ont été brûlés. Le peuple kurde a appris des autres luttes anti-coloniales et autres mouvements révolutionnaires ou de libération nationale et il va prendre sa destinée en main. Le peuple kurde va défendre sa terre et sa culture, construire un futur pour les prochaines générations, avec des armes certes mais aussi avec de la musique, de la danse et du cinéma.

NdR71 : pour l’heure le peuple kurde est divisé selon des lignes de fractures artificielles créées par l’empire. Le Rojava kurde n’a rien à voir avec le Kurdistan du nord de l’Irak de tout temps inféodé à l’empire, géré par la famille mafieuse Barzani, affiliée à la CIA et au Mossad. Il y a eu des tentatives d’extension des Kurdes irakiens en Syrie, qui, aussi loin que nous sachions, ont échoué. Mais depuis 2016 et l’affaire du “contrat social” du Rojava, qui est une trahison du concept du Confédéralisme Démocratique qui était en place auparavant, a mis cette zone autonome sous contrôle feutré des Yankees qui continuent à agir avec leurs mercenaires de Daesh, soutenus, formés et soignés par la Turquie et l’entité sioniste. Le pillage du pétrole local continue sous contrôle yankee. C’est compliqué. Une des raisons qui a vu notre enthousiasme pour le Rojava des années 2011-2015, se flétrir pour donner naissance à une méfiance que nous pensons justifiée. Nous admirons les camarades de TA pour leur pugnacité sur le terrain, sachant qu’ils doivent faire pas mal de concessions pour subsister. Le potentiel est toujours là, mais rien de positif à long terme ne fleurira tant que turcs et yankees seront là.

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5.Quelle est la vue de TA sur le rôle de la religion et comment cela a t’il affecté sa capacité à se connecter et à se relier avec les communautés locales ? Y a t’il eu des challenges ou changements dans l’attitude des militants ? En occident, nous luttons pour séparer l’anti-cléricalisme de l’islamophobie de base et l’eurocentrisme, quelles leçons avez-vous apprises de votre insertion dans des sociétés kurde et arabe ?

La religion n’est pas un problème pour nous quand elle est connectée avec la morale et l’éthique des personnes, du peuple ; elle devient un problème lorsqu’elle est connectée avec le pouvoir et domine, règne. C’est contre cette assertion et exercice d’autorité que nous sommes, comme vous parlez aussi d’anti-cléricalisme. Certains anarchistes sont arrivés ici avec une culture athée et quand on nous demande ce qu’est notre religion, il est facile pour nous de répondre que nous n’en avons pas. Mais cette réponse est souvent comprise comme si nous n’avions pas de morale et cela nous fait aussi réfléchir sur le fait que la plupart d’entre nous, même si nous ne sommes pas pratiquants, avons été élevés, éduqués dans une culture chrétienne.

Nous sommes d’accord avec vous pour dire que nous, en occident, pouvons faire un mauvais boulot de séparer l’anti-cléricalisme de l’islamophobie et de l’eurocentrisme. La société dans laquelle nous sommes immergés est musulmane dans les grandes largeurs, même s’il y a effectivement de petites minorités ayant d’autres croyances, mais ici pratiquement tout le monde croit dans le Coran, même si tout le monde ne se déclare pas musulman pratiquant. Cette réalité enracine notre travail avec les gens d’ici. Nous devons comprendre l’importance que la religion a pour les personnes et nos camarades locaux. Connaître un peu, ou beaucoup de choses au sujet de l’islam, est très utile quand nous discutons avec nos camarades locaux. Argumenter d’une base religieuse pour développer une perspective révolutionnaire a prouvé être une tactique à succès.

Il est important de respecter les convictions religieuses des personnes, mais en même temps, nous critiquons aussi ou questionnons nos camarades quand la religion les mène à prendre des décisions ou à agir de manière qui n’est pas en phase avec les valeurs révolutionnaires du NES. Il y a des efforts commis pour construire un islam démocratique, regardant du côté de l’éthique et de la morale de la religion musulmane et moins la charria. C’est une nécessité de venir à terme avec l’après fondamentalisme musulman, fondamentalisme qui est colporté par un fascisme théocratique comme celui de l’EI/Daesh. Bien que de l’extérieur on peut croire qu’il n’y a plus de Daesh, le combat contre leur idéologie continue ici plus que jamais. Dans quelques régions du NES, l’idéologie de l’EI est toujours répandue et cela prendra du temps et de grands efforts à tout le monde pour faire bouger les choses vers un islam démocratique.

6.Les mouvements anarchistes et soi-disants révolutionnaires en Europe, ont lutté pendant des décennies pour trouver quelque chose qui pourrait dépasser notre propre faiblesse et petitesse, observant des méthodes anciennes ou nouvelles. Quelle est votre perspective là-dessus ? Etes-vous d’accord ou ressentez-vous que les mouvements de lutte se limitent eux-mêmes et si oui, pourquoi ? Le manque d’utilisation de violence insurrectionnelle, le manque de structures de direction de lutte, le manque de ressources, le manque de conviction, qu’en est-il selon vous ?..

Ceci constitue un point et une question des plus importantes. Nous pensons effectivement que les mouvements de lutte se limitent eux-mêmes. Nous voyons ce problème en son cœur comme un manque d’organisations qui peuvent créer et promouvoir à long terme des buts et des perspectives, car en ce moment, nous voyons essentiellement des groupes fondés sur l’affinité est ayant une pensée à très court terme.

La vague insurrectionnelle des années 90, surtout en Italie, a amené une perspective de lutte sur le court terme qui semblait promouvoir l’efficacité. Dans un certain sens, cela a marché, mais au détriment de la capacité organisationnelle. La capacité de s’organiser et absolument cruciale. En devenant une organisation, TA, a maintenant la capacité d’accumuler de l’expérience, nous ne devons pas constamment recommencer à zéro. Nous pouvons aussi construire des projets et des relations sur la durée, nous pouvons approfondir notre apprentissage et compréhension des autres organisations qui ont lutté et luttent toujours. Pas seulement à un niveau individuel, mais aussi et surtout sur un plan organisationnel. Ceci veut dire qu’une telle connaissance et expérience cesse d’être liée à une personne ou à une cellule de groupe f’affinité, mais que toute l’organisation se l’approprie. Ceci accroit exponentiellement notre capacité en tant qu’organisation.

Se développer en tant qu’organisation révolutionnaire n’est pas facile, nous en avons déjà parlé. Nous devons nous séparer de l’´état d’esprit individualiste libéral qui est tant imbriqué dans la socialisation capitaliste. Nos sociétés sont organisées autour de ces valeurs capitalistes, et pour la changer, nous devons développer nos propres valeurs et nos institutions sociales (NdT ; ce que Gustav Landauer voyait comme la seule façon d’abolir l’État : en changeant nos relations internes pour le faire disparaître en nous changeant nous-mêmes dans nos relations puisque l’état n’est que ça : nos relations institutionnalisées en miroir des institutions imposées..), nous devons anticiper la société que nous désirons. Les choses que vous mentionnez manquant dans les mouvements anarchistes, les structures de direction de lutte, les ressources, les convictions, l’action, peuvent souvent être connectées au manque d’organisation. Si nous nous retrouvons isolés, en tant qu’individus ou par petits groupes, notre capacité d’influencer et de changer la société autour de nous sera grandement affectée et diminuée. Comme nous pouvons apprendre beaucoup de choses au Rojava, il y a aussi pas mal de leçons que nous puissions tirer des mouvements anarchistes en lutte en Amérique du Sud. Ces idées de “especifismo”, ou spécifisme, , un cadre théorique orienté pour développer la spécificité des organisations anarchistes, sont le résultat de décennies de lutte. On peut remonter jusqu’au plateformisme prôné par Peter Arshinov et Nestor Makhno, mais développé par la Fédération Anarchiste d’Uruguay (FAU). Comme anarchistes portugais, vous avez accès aux matériaux et textes développés par les organisations anarchistes brésiliennes.

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7.Il y a eu récemment des critiques concernant l’attention et les ressources données par les gauchistes occidentaux à des mouvements anarchistes naissants en Ukraine, qui, sans véritables structure autonomes et étant insérés dans des armées étatiques, ont reçu un soutien généreux et des fonds, alors que des mouvements non-blancs ont peiné dans le temps pour recevoir une fraction de ce soutien. Etes-vous d’accord avec cette critique ?

Nous assumons que vous faites allusion à l’article “Anarchiste qui a combattu au Rojava : réponse au débat sur ‘pas de guerre si ce n’est la guerre de classe’”, que l’on peut trouver sur Abolition Media. Nous sommes d’accord avec l’article quand il dit que les ressources envoyées en Ukraine par les gauchistes occidentaux sont très disproportionnées par rapport aux ressources qu’ont obtenues les camarades de la NES, spécifiquement alors que la révolution ici est tant enracinée dans l’idéologie et la praxis révolutionnaire anarchiste, alors qu’il y a bien à dire pour l’Ukraine comme l’article l’a fait. “La solidarité est quelque chose que vous pouvez tenir dans vos mains”, un slogan popularisé par le groupe anti-impérialiste KAK danois dans les années 70, est une déclaration dans laquelle nous nous retrouvons. Alors que le NES a reçu une bonne dose de solidarité, de campagnes d’information, diplomatiques etc, sur le plan matériel, financier et autre soutien que nous pouvons “tenir dans nos mains”, la gauche occidentale n’a pas fait d’effort sérieux.

Ceci dit, la guerre en Ukraine dure depuis un peu plus d’un an et celle du Rojava depuis plus de 10 ans. Bien entendu cette échelle de temps a aussi son effet. L’Ukraine fait l’info, pas nous, nous ne le serons pas sauf une autre invasion, et même là, nous ne recevrons qu’une fraction d’attention médiatique que reçoit l’Ukraine. Quand on regarde plus loin que l’Ukraine et le Rojava, on se demande qui a prêté attention à la guerre génocidaire qui se tient au Tigray ou la nouvelle guerre qui se déroule au Soudan ? Qui a organisé un soutien logistique pour ces conflits ? Les forces d’auto-défense populaire de Tigray ont une longue tradition révolutionnaire avec un projet similaire aux idées du Confédéralisme Démocratique. Au Soudan, nous avons récemment vu une escalade militaire après que de grosses mobilisations populaires et des soulèvements eurent secoué le pays. Il y a là un remarquable mouvement anarchiste organisé pas commun à trouver dans les pays africains. Mais il n’y a que peu d’articles écrits à son sujet et encore moins de discussions dans les réunions littéraires anarchistes pour en discuter. Il n’est pas juste du tout que ces mouvements n’aient reçu aucune couverture médiatique, sans parler du soutien logistique. C’est une part du colonialisme que nous essayons aussi de combattre. C’est aussi une raison pour nous de rester au Rojava, là où les valeurs anti-coloniales sont véritablement actives et en vie.

Pour en revenir à l’Ukraine. Des anarchistes ont lutté depuis le début du récent conflit, ils étaient sur la place de Maïdan et essayèrent d’organiser depuis là. Ce n’est probablement pas l’endroit pour discuter combien ce mouvement anarchiste est ancré dans la tradition anarchiste ukrainienne, celle de l’armée noire de libération paysanne et la révolution makhnoviste (NdT : 1918-1923) ; mais aujourd’hui la présence des anarchistes est cruciale pour questionner le narratif nationaliste de l’extrême droite (NdR71 : avec ses nationalistes intégraux tendance Stepan Bandera sous contrôle de la CIA, mis au pouvoir par le coup d’´état de Maïdan en 2014 par l’OTAN et l’empire n’oublions jamais ce fait. Nazillons qui une fois au pouvoir ont agressé systématiquement les populations russophones de l’Est de l’Ukraine, amenant ces populations à faire sécession et à demander récemment la protection russe et leur rattachement à la Russie. Il convient de garder à l’esprit la réalité narrative historique des évènements qui ont mené à cette guerre depuis 2022, nous ne prenons pas parti, nous relatons les faits réels de terrain…), extrême droite qui a dominé les manifestations en Ukraine depuis le départ. La situation actuelle en Ukraine n’est pas révolutionnaire, rien n’est aligné sur nos principes, mais c’est notre tache que de mettre en avant ces principes et de les faire connaître. Nous pouvons citer Malatesta lorsqu’il disait “Nous sommes de toute façon une des forces agissantes dans la société et l’histoire avancera, comme toujours, dans la direction résultante de toutes les forces.

Historiquement, guerre et révolution ont une importante connexion. Les environnements de guerre voient l’autorité de l’état caler et l’autorité se diffuse en d’autres endroits. L’état n’est plus toujours là pour fournir aux gens infrastructure et ressources. Ce qui veut dire qu’il y a souvent des fenêtres d’opportunité pour assister dans l’auto-organisation et l’auto-gestion du peuple, initialement le long d’une ligne d’action d’entraide et de solidarité. C’est une situation dans laquelle amener notre vision des choses et la mettre en pratique avec des personnes peut être une manière utile de renforcer notre tendance, comme le dit Malatesta.

Nous soutenons nos camarades anarchistes combattant en Ukraine, nous avons une approche de solidarité critique envers le peuple ukrainien et avons pour objectif aussi d’engager les contradictions que cela fait surgir et nous ne nous dévouons pas à une approche dogmatique binaire. Nous voudrions aussi attirer votre attention sur les camarades Leshly et Ciya, qui ont passé un bon moment ici dans la zone autonome du NES et qui sont tombés avec d’autres camarades anarchistes sur le front ukrainien. Nous sommes en deuil et avons pour objectif d’en savoir plus sur leurs vies et le pourquoi de leur décision ; ils nous montrent aussi la voie d’une analyse et considération nuancées ayant un espace pour les contradictions qui immanquablement surgissent quand vous mettez vos mains dans une révolution sale. Nous sommes d’accord avec le camarade qui a écrit l’article lorsqu’il dit qu’il est très facile d’être puriste et de juger des décisions prises en Ukraine et au Rojava depuis un fauteuil confortable. Participer à une véritable révolution ou à un conflit armé rend rapidement très clair qu’il n’y a souvent pas de solutions “propres” ou taillées sur mesure et être un révolutionnaire en action, pas seulement en mots, veut dire gagner une profonde compréhension d’analyses et de contradictions nuancées.

TA2

8.Comment pouvons-nous assister TA, matériellement ou autrement ?

Les points essentiels pour lesquels votre assistance serait de grande utilité sont : a)  développement idéologique b) réseau engagé c) résistance à la répression d) militants e) ressources

  1. Le développement idéologique de la lutte anarchiste est la base pour nous pour aller de l’avant. Nous avons constaté que nous sommes arrivés à un point où nous réalisons en tant qu’anarchistes européens que la seule organisation basée sur l’affinité n’est pas suffisante. Nous avons besoin d’une organisation anarchiste ou de structures qui nous rassemblent de manière organisée, afin d’être capable de penser le long terme et de développer une stratégie plus large. Mais développer plus avant l’idéologie et la praxis anarchiste dans notre contexte actuel, nous nous renforçons les uns les autres.
  2. Les réseaux engagés sont la fondation même de la discussion, de l’échange, de la création de projets, de ressources et d’expériences. Nous voyons ceci sous la forme de la construction de relations de long terme au moyen d’organisations solides et un tel échange peut se faire via des visites et des échanges de militants ainsi que sous d’autres formes de communication. En relation avec le point sur le dévelopement idéologique, ceci inclut la lecture et les discussions des déclarations et correspondances des uns et des autres, apprendre des expériences de chacun et donner un compte-rendu, des propositions et des critiques constructives.
  3. Les réseaux mènent aussi à la résistance contre la répression. Ces dernières années, des militants qui sont venus au Rojava et dans le mouvement kurde de manière générale se sont retrouvés de plus en plus criminalisés. Un certain nombre de camarades sont emprisonnés ou sont impliqués dans des problèmes juridiques. Nous avons besoin que les anarchistes de partout résistent à cette criminalisation.
  4. Nous avons besoin que toujours plus de militants nous rejoignent au Rojava pour lutter ici. Il y a aussi l’opportunité pour des camarades déjà organisés en Europe, de nous rejoindre tout en restant connectes avec leurs organisations en Europe. De fait, nous aimerions beaucoup que cela se produise. Nous voyons cela comme un potentiel de renforcement des liens entre notre organisation et des organisations anarchistes en Europe.
  5. Sur le plan purement matériel, nous avons besoin d’argent. Comme ce dont nous avons besoin change souvent, cela peut être un peu compliquée de nous envoyer des choses mais nous pouvons toujours discuter de ces choses là. Avec des fonds, nous pouvons les allouer directement là où c’est nécessaire et pouvons faire les ajustements requis, car notre situation change constamment.

NdR71 : cette dernière remarque sur l’aspect monétaire pourrait bien relancer le débat “collectivisme” / “communisme”. Nous pensons qu’il est bien maladroit de terminer cet entretien, par ailleurs excellent, sur cette (fausse) note. Les Zapatistes par exemple, n’ont jamais demandé d’argent à quiconque… une loi connue de la pédagogie, dite de la “proximité temporelle” (law of recency), dit que les gens se rappellent le mieux ce qu’ils ont entendu ou appris en dernier. Il est dommage que le fric soit cette dernière chose évoquée dans un entretien avec des anarchistes…

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TA1

Lire notre première traduction d’entretien avec des membres de Tekosîna Anarsîst en octobre 2020, publiée en deux parties :

https://resistance71.wordpress.com/2020/10/24/confederalisme-democratique-excellent-entretien-avec-des-membres-de-tekosina-anarsist-lutte-anarchiste-du-rojava-analyse-compte-rendu-de-terrain-et-perspective-pour-une-revolution-sociale-pris/

Lectures complémentaires :

Confédéralisme Démocratique

Abdullah Ocalan Confédéralisme Démocratique

Textes fondateurs pour un changement politique radical

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

Lire “Le confédéralisme démocratique”, Abdullah Öcalan, 2011, format PDF

Rojava_solidarite_revolutionnaire

A bas l’État ! A bas la marchandise !..

RR

A bas l’argent ! A bas le salariat !
Vive la Commune Universelle de notre humanité réalisée !

Confédéralisme Démocratique du Rojava: De l’État à la démocratie… Anatomie d’un changement de paradigme 2ème partie

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 15 octobre 2019 by Résistance 71

La seconde partie nous indique ce qu’est le Confédéralisme Démocratique et comment il s’applique sur le terrain, au Rojava et potentiellement ailleurs…
Pour que voit le jour la Société des Sociétés, à bas l’État ! A bas la marchandise ! A bas l’argent ! A bas le salariat ! Vive la confédération des communes libres volontairement associées !

~ Résistance 71 ~

En résultat [de la colonisation], la terre natale kurde fut divisée et les Kurdes furent forcés de se soumettre à des politiques d’états de déni et de diminution de leur volonté et pouvoir politique. Leurs réalités sociales furent divisées et bientôt ils se perdirent eux-mêmes. Pour subvenir à leurs besoins économiques, ils durent abandonner leur identité et furent démunis de statut légal et d’opportunités contemporaines d’éducation afin de récupérer leur existence idéologique et culturelle fondée sur leur identité. Ce déni d’identité tourna alors sur une question du fait qu’ils ne pouvaient pas vivre librement.
(Abdullah Öcalan)

“Les états sont maintenant des synonymes de chaos, de crise, de ruine et de malheur pour l’humanité. Nous devons nous libérer de cette calamité. Si vivre sous le joug de l’exploitation et de l’oppression n’est pas dans la nature de l’être humain, alors ni l’État, ni le drapeau qui le représente ne peuvent représenter le peuple et la société.”
(Commune Internationaliste du Rojava)

 


Réseau de Résistance & Rébellion International 

 

De l’État à la démocratie: anatomie d’un changement de paradigme

 

Komun

Commune Internationaliste du Rojava

 

Juin 2018

Source: https://komun-academy.com/2018/06/27/the-new-paradigm/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

1ère partie

2ème partie

 

De cette façon, depuis 2005, le PKK et toutes les organisations affiliées ont été restructurés sur la base d’un projet appelé KCK (Union des Communautés du Kurdistan ou Koma Civakên Kurdistan).

Le KCK est une organisation fondée sur la société et créée comme alternative à l’État, elle vise à s’organiser depuis la base sous la formes d’assemblées populaires.Le KCK est un mouvement qui lutte pour former sa propre démocratie, il ne voit pas les états existants comme un modèle, ni ne les voit comme un obstacle. 

Note de R71: Ce lâcher-prise de l’antagonisme est une excellente chose qui ne peut mener qu’à la synthèse politique adéquate, celle de la société des sociétés. Bien entendu, toutes les impostures et dictatures de la marchandise œuvrent et œuvreront contre…

Le but principal dans la formation du KCK est défini comme une lutte pour disséminer la démocratie radicale (fondamentale) sur l’organisation démocratique du peuple et sa capacité à prendre des décisions. La formation du KCK met en place un nouvel instrument qui surpasse la façon de voir étatique des relations sociales. En cela, le confédéralisme démocratique, qui constitue l’idée fondamentale du KCK et de son organisation, est valide partout dans la vie des Kurdes. Ceci inclut l’Irak, où les Kurdes vivent dans une structure d’état fédéral ayant des droits constitutionnels, incluant l’auto-gouvernement.

Il y a deux facteurs clefs dans le projet: une compréhension de la démocratie en tant que pouvoir du peuple, non pas une forme de gouvernement et que l’état et la nation doivent être laissés en dehors de cette compréhension.

Le confédéralisme démocratique est l’organisation du peuple, dans toutes les sphères non-étatiques de la vie. Il correspond à la diminution drastique de l’état existant dans le monde et de la tendance de la société à s’organiser en dehors de structures étatiques pour arranger sa propre vie sociale… Même si l’État fait obstacle, le mouvement de la liberté kurde exercera son droit légitime de s’organiser finalement démocratiquement. Il n’abandonnera définitivement pas ce but en disant: “l’état nous met des bâtons dans les roues”.

En définitive, tandis que la république démocratique est un projet de réforme d’un état, le confédéralisme démocratique et l’autonomie démocratique se situent au-delà de l’État et comprennent une idée politique sans État.

En conséquence, le projet de confédéralisme démocratique est lié au projet de république démocratique et d’après Öcalan, un Kurdistan libre ne peut exister que dans un Moyen-Orient démocratique. (a.g.e 34-5)

Nous avons mentionné que tout en suivant la ligne de développement de la pensée d’Öcalan, se situe l’importance centrale de ces trois concepts inter-reliés: la république démocratique, le confédéralisme démocratique et l’autonomie démocratique. Dans tous ces projets, le concept de démocratie est d’une importance capitale. La compréhension de ce terme a évolué vers plus de radicalité (NdT: une fois encore pris dans son sens de “racine”, d’ancrage profond dans la réalité et non pas dans le sens galvaudé usuel “d’extrémiste”, manipulation sémantique bien utile pour l’oligarchie…) depuis la contradiction entre les traditions démocratique et républicaine. Pour le PKK, la démocratie est un antidote à la structure centralisée de la république turque qui est fondée sur le concept d’état-nation et la version séculière française. L’idée la plus fondamentale de cette approche est que “la centralisation a tué la démocratie”.

Les différences principales entre le projet de république démocratique et le confédéralisme démocratique / autonomie démocratique sont que le point de focalisation de la première se situe sur la définition de l’état et de la citoyenneté tandis que les deux autres focalisent sur le développement d’une alternative à l’état et sur le peuple construisant sa propre organisation. Nous allons ici aborder le sujet du développement d’alternatives à l’État. Au lieu que les projets de confédéralisme et d’autonomie démocratiques ne soient vus comme potentiellement contradictoires vis à vis de l’organisation, il serait mieux de les considérer comme étant ensemble parties d’une stratégie d’harmonisation. Ils donnent une direction politique à la lutte d’aujourd’hui où que soit située l’action du PKK.

Le changement de paradigme qu’a vu le PKK au XXIème siècle a rendu une fière contribution aux vues politiques radicales en ce qui concerne une approche radicalement différente de ces trois aspects de la vie politique : l’état, la classe et le parti et “la politique non-étatique, l’organisation politique en dehors du parti et de thèmes politiques en dehors de la classe.” Du point de vue du PKK, ceci a impliqué une réforme de lui-même en amenant toute une série de transformations. Certaines de ces transformations du PKK et les changements radicaux effectués sur des points comme le droit à l’auto-détermination, la nation, la libération nationale, la violence et les femmes, sont particulièrement marquantes et frappantes.

Le principe d’auto-détermination des nations, qui fut soulevé dans le premier quart du XXème siècle, a laissé sa marque sur le siècle dernier. Les formes d’auto-détermination exprimées à la fois par le leader américain Woodrow Wilson et par le fondateur de l’URSS, Lénine, sont devenues un tremplin fondamental pour bien des luttes de libération et une partie inaliénable du droit international. Mais ce qui ne doit pas être oublié, est cette vérité que l’auto-détermination est en tout premier lieu, un principe d’action défini comme politique.

C’est pourquoi, lorsque le président Wilson a annoncé ce principe au congrès américain le 11 février 1918, il insista ouvertement sur le fait que : “L’auto-détermination n’est pas qu’une simple expression, c’est un principe impératif d’action que les hommes d’état ne pourront ignorer qu’à leur péril.” Ainsi, le PKK, du noyau de ce qui en a émergé dans les années 1970 et plus avant, adressa le principe d’auto-détermination comme principe impératif d’action puisque le peuple kurde avait été privé de tous droits fondamentaux et de libertés et condamnés sur leur terre même à un manque de statut, en retrait même du statut et de la règle coloniaux. Les territoires sur lesquels vivaient traditionnellement le peuple kurde furent divisés entre 4 états-nations (La Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran) dans les années 1920 et les très nombreuses réglementations et politiques coloniales imposées par ces états menèrent le peuple kurde à la ruine. Abdullah Öcalan exprime cet état de fait de la façon suivante:

En résultat, la terre natale kurde fut divisée et les Kurdes furent forcés de se soumettre à des politiques d’états de déni et de diminution de leur volonté et pouvoir politique. Leurs réalités sociales furent divisées et bientôt ils se perdirent eux-mêmes. Pour subvenir à leurs besoins économiques, ils durent abandonner leur identité et furent démunis de statut légal et d’opportunités contemporaines d’éducation afin de récupérer leur existence idéologique et culturelle fondée sur leur identité. Ce déni d’identité tourna alors sur une question du fait qu’ils ne pouvaient pas vivre librement.” (A. Öcalan, Kurdish Question and Democratic Nation Solution, published in Turkish, p.226).

Dans un tel environnement, le PKK a adopté comme guide le droit à l’auto-détermination du peuple kurde comme principe d’action fondamental. Bien sûr, sa conception et son application de ce principe fut lourdement influencé par les caractéristiques idéologiques, politiques et sociales de la période. Après la seconde guerre mondiale, les luttes de libération nationale se déroulèrent dans un système bi-polaire, d’abord au Vietnam et en Algérie, ce qui mena à l’indépendance de bon nombre d’anciennes colonies. Ceci affecta grandement le monde des années 1970. a ce sujet, Öcalan dira ceci plus tard:

Dans cette période des années 50 à 70, lorsque les luttes de libération nationale arrivèrent à leur point culminant et qu’elles eurent pour résultat des états séparés, ceci devint presque le seul modèle valide… En fait, le principe du droit des nations à l’auto-détermination fut en premier lieu exprimé par le président américain Wilson après la 1ère guerre mondiale et fut très lié avec les politiques hégémoniques des Etats-Unis. Lénine, afin de ne pas être en reste devant Wilson et pour gagner le soutien de nations opprimées et des peuples colonisés, radicalisa le même principe et le réduisit au fait de fonder un état indépendant. Une course commença alors entre les deux systèmes.
(The Kurdish Question and the Democratic Nation Solution [Turkish], p. 271-2).

Le PKK a approché l’auto-détermination au sein d’un cadre de compréhension d’un socialisme déjà existant à cette époque, se faisant ainsi l’avocat du modèle de la création d’un état. Mais, à partir du début des années 1990, la critique d’Öcalan de, premièrement, la compréhension du socialisme existant et, plus tard, de l’idéologie même de l’état-nation dans les premières années du nouveau millénaire, ont démontré un renouveau radical de l’approche du PKK sur le sujet. Aujourd’hui, l’auto-détermination est toujours un principe impératif d’action, mais la façon de le mettre en pratique ne passe plus par l’État, mais de mettre ce principe d’auto-gouvernement en mouvement à chaque niveau de la société.

La compréhension de l’autonomie démocratique constitue le cadre principal de cet auto-gouvernement. Les résultats de cette ligne de conduite, basés sur les Kurdes déterminant leur propre destinée sur la base du principe d’auto-gouvernement sans incliner à créer leur propre état séparé, où qu’ils vivent, d’abord et en premier lieu en Turquie, en Irak, en Iran et en Syrie, ont clairement émergé avec les développements historiques en Irak et en Syrie, au cœur même du Moyen-Orient.

En conséquence, le PKK a renversé l’argument de Lénine qu’”il serait erroné d’amener une interprétation différente au droit d’auto-détermination que d’être le droit à un état séparé d’exister.”, disant qu’il serait tout aussi erroné et trompeur de ne voir le droit à l’auto-détermination que comme s’il ne contenait aucune autre signification que ce droit à un état séparé d’exister. Cette vision est aussi corroborée dans l’analyse historique de l’état moderne en tant que projet bourgeois. (Mustafa Karasu, Radical Democracy, 2009).

Une fois de plus, lié à cela, le concept de nation du PKK a aussi été radicalement renouvelé. Au milieu des années 70, lorsque le PKK fut formé, la plupart des mouvements socialistes et de libération nationale étaient sous l’influence de l’idéologie de l’état-nation avec la plus rigide des définitions de ce terme exprimée par Staline. Sa célèbre formule: “Les nations ont une langue, un territoire, une vie économique et une culture en commun”, fut aussi un point de départ pour le PKK. Avec le nouveau paradigme politique, Öcalan critiqua cette formule, développant la définition d’une nation démocratique:

D’abord il est nécessaire de montrer qu’il n’y a pas qu’une seule définition de la nation. Quand un état-nation est fondé, la définition la plus commune est justement d’être un “état-nation”. Si l’élément unificateur est l’économie, alors il est possible de l’appeler nation-marché… On ne peut pas faire la généralisation qu’une nation partage une langue, une culture, un marché, une histoire, ce qui veut dire qu’on ne peut pas rendre absolu une unique compréhension de ce qu’est une nation. Cette compréhension de nation qui fut adoptée par le socialisme existant est contraire à la notion de nation démocratique. Cette définition qui fut développée par Staline en particulier pour l’appliquer à l’URSS, fut en fait une des raisons principales de l’effondrement de celle-ci. Aussi longtemps que la définition de nation, qui est rendue absolue par la modernité capitaliste, n’est pas transcendée, la résolution des questions nationales restera dans une impasse. Le fait que se pose toujours la question nationale avec une intense gravité après 300 ans est intimement lié à cette définition inepte se voulant absolue.” (2012, p.432).

D’après Öcalan: “En ce qui concerne la nation démocratique, c’est une société mutualiste établie par la libre volonté, la libre association d’individus et de communautés. La force unificatrice de la nation démocratique est la volonté d’association libre des individus et des groupes qui décident d’être dans la même nation… a définition de la nation démocratique exprime une vie commune de solidarité de citoyens pluralistes, libres et égaux qui ne sont pas entravés par des frontières politiques rigides, une langue unique, une religion ou une interprétation de l’histoire. Une société démocratique ne peut se réaliser qu’avec un tel modèle de nation.”(p.432).

L’approche de la violence dont l’utilisation stratégique et tactique fut toujours une pierre angulaire de la lutte du PKK est aussi passée par un changement radical. Au départ, l’approche de la violence, “la sage-femme de la société nouvelle”, fut une approche marxiste classique. Dans le processus induit de la révolte, la violence, sous forme de méthode de combat de guérilla, fut une tactique fondamentale de la lutte. A terme, la violence prit même une dimension fanonnienne, gagnant une personnalité existentielle et le rôle de libérateur social et individuel. Mais dans le nouveau paradigme, le PKK n’envisage pas un rôle de la violence au-delà du cadre de la self-defense légitime.
(Legitimate Defence Strategy, 2004).

La plus sévère forme de domination

Aujourd’hui, à la fois l’État et sa version capitaliste moderne, l’état-nation, sont sérieusement mis en question. Il est reconnu que l’état-nation ne profite en rien aux peuples et à l’humanité et qu’il contient même en lui une caractéristique génocidaire qui prépare le terrain pour la disparition de différentes cultures et différentes identités. Dans les circonstances de la règle du profit maximum du capitalisme de l’état-nation et de la modernité capitaliste, tout comme cela mena à la grande douleur des deux guerres mondiales, il a commis autant de crimes contre l’humanité que tous ceux qui ont été commis au cours de l’histoire de l’humanité.

La plus grande preuve de ceci est la disparition, ou la mise au bord de l’extinction de groupes ethniques qui vivaient au Moyen-Orient jusqu’à il y a encore quelques 200 ans. Les peuples arménien et assyro-syrien ont été décimés à cause de cette mentalité. Les Kurdes ont aussi été amenés au bord de l’abîme de la destruction sous la domination incessante des états-nations. Les peuples Alevis, Yazidis, Druze et autres groupes de foi ont été chassés de leurs terres en résultat de cette compréhension du concept. La même chose est arrivée aux peuples circassiens qui furent expulsés des montagnes du Caucase.

Il est trop difficile de comptabiliser tous les maux engendrés par les états-nations ; mais quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas seulement de l’état-nation de la modernité capitaliste, mais tous les États qui sont devenus une charge bien trop lourdes à supporter pour l’humanité. Les premiers problèmes sociaux ont commencé avec la domination masculine sur les femmes et avec ceux s’établissant hiérarchiquement plus haut que les autres, affirmant une domination sur d’autres segments sociaux pour mieux les exploiter. Après tout, l’État a été défini comme un instrument d’oppression des classes dirigeantes de la société. Ceci n’a en rien diminué avec le temps et est devenu une des pires formes de domination jusqu’à ce jour. De fait, l’État-nation est devenu la pire forme de domination.

L’état-nation a atteint la caractéristique d’être une sphère de domination et d’exploitation de la société entière, avec ses frontières, tout comme le patron d’une usine entouré de ses murs. tandis que dans le passé les états ne représentaient que la domination politique, dans l’époque capitaliste, ils se sont développés en une domination totalitaire qui cherche à dominer tous les aspects de la société et d’aller aussi loin que de dominer toutes les cellules de celle-ci.

Avec le système dirigeant de l’état intensifiant les problèmes sociaux, l’État et son gouvernement ont été amenés à être de plus en plus critiqués. Dans le passé, les anarchistes se sont opposés à l’État comme l’origine de tous les maux, graduellement développant des solutions politiques, idéologiques et de paradigme sur une base historique et systémique. Dans le présent, le zénith de l’analyse en ce qui concerne l’état et son gouvernement provient de ceux semblables à Abdullah Öcalan. La grande différence avec celui-ci résidant dans la profondeur de son analyse sur les femmes et l’État. Il a aussi soumis le capitalisme et l’état-nation à une analyse critique compréhensive. L’analyse d’Öcalan sur les femmes en particulier, est de très grande valeur dans la mesure où elle a apronfondi toutes les autres analyses et aidé à atteindre son véritable caractère.

Plus il y a de démocratie, moins il y a d’État : le système confédéral démocratique

Le gouvernement et l’État sont, par essence, une concentration et une intensification du pouvoir, une centralisation. A cet égard, ils sont des facteurs qui sont opposés au peuple. Il ne peut ainsi pas y avoir d’état et de gouvernement qui appartiennent au peuple. Le gouvernement et le peuple ne devraient pas être confondus. Un gouvernement populaire (NdT: de par et pour le peuple) est une démocratie. Ce n’est pas la concentration ni l’intensification du pouvoir, celui-ci étant donné à certains cercles particuliers, mais celui-ci allant à la base, au local, appartenant et retournant au peuple. La démocratie et l’État peuvent coexister pendant un certain temps dans une accommodation, mais ce sont des faits contradictoires par nature. Il y a une formule dialectique qui dit que plus il y a d’État et moins il y a de démocratie et plus il y a de démocratie et moins il y a d’État. Même aujourd’hui, dans l’âge moderniste, avec le capitaliste qui dirige les états, la diminution de l’État est en discussion.

Nous sommes maintenant dans une ère où on peut penser, envisager une vie sans l’État, une société sans (NdT; contre) l’État, sans vie politique, économique, sociale et culturelle dirigée par l’État. L’humanité doit trouver un système qui la libèrera de l’État qui la tyrannise. Nous sommes entrés dans l’ère où nous pouvons penser vivre sans État. Même si les gens peuvent s’accommoder de vivre avec l’Etat un peu plus longtemps, ils doivent atteindre un système politique, social, économique et culturel qui n’aura pas d’État. Ce n’est ni une obligation, ni une fatalité que de vivre sous un régime étatique, car la démocratie exprime la transcendance de l’État. Aujourd’hui, une alternative à l’État est un système confédéral démocratique fondé sur une société démocratique organisée. Le peuple peut se gouverner lui-même dans un système confédéral démocratique sans être exposé à l’oppression et à l’exploitation.

Un système démocratique peut mettre en place un système administratif démocratique où il n’y aura ni exploitation ni oppression. L’État et ses rouages appartiennent aux dirigeants, tandis que le confédéralisme démocratique est le système de fonctionnement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Les états sont maintenant des synonymes de chaos, de crise, de ruine et de malheur pour l’humanité. Nous devons nous libérer de cette calamité. Si vivre sous le joug de l’exploitation et de l’oppression n’est pas dans la nature de l’être humain, alors ni l’État, ni le drapeau qui le représente ne peuvent représenter le peuple et la société.

Öcalan a mis en place le confédéralisme démocratique en le fondant sur une société démocratique organisée comme une alternative viable à l’État et ce pour toutes les sociétés et non pas pour le peuple kurde uniquement. C’est un système qui par sa différence crée une identité unique contrairement à l’état-nation. Toute différence peut parvenir à la liberté avec sa propre identité au sein d’une confédération démocratique. A cet égard, le confédéralisme démocratique représente la vie libre pour tout peuple et toute communauté. Ceci peut aussi être appelé la démocratie complète réalisée. Il ne peut pas y avoir de démocratie dans un système étatique. Qui peut parler de démocratie véritable et complète là où il y a des dirigeants ?

Le temps des peuples

Le confédéralisme démocratique est une alternative viable à l’État. Si nous disons que le temps et l’ère des peuples arrive, cela veut dire que l’ère du confédéralisme démocratique pointe à l’horizon. Au sein d’un état il ne peut y avoir ni démocratie, ni socialisme. L’État ne peut pas être éradiqué en tant qu’état par un état. L’État ne peut être transcendé et mené à l’extinction que par le confédéralisme démocratique. Les peuples ne peuvent pas s’émanciper avec l’État ni atteindre une vraie liberté et une véritable vie démocratique. Les peuples seront libérés par le confédéralisme démocratique.

Ceci constitue la ligne politique et idéologique d’Öcalan, son paradigme politique. Ceci constitue sa compréhension de la démocratie, de la liberté et du socialisme. Il ne peut pas y avoir de gouvernement de par et pour le peuple en dehors du Confédéralisme Démocratique.

Partant de ce principe, il est impossible pour les peuples de défendre l’État.

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Lectures complémentaires:

Longue vie au Rojava !… Le texte du Confédéralisme Démocratique

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

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Commune Internationaliste du Rojava

Longue vie au Rojava !… Le texte du Confédéralisme Démocratique

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Résistance 71

 

13 octobre 2019

 

Devant l’ignominie perpétrée en ce moment même au Rojava (zone des communes libres autonomes du nord syrien) par l’impérialisme turc totalement soutenu par ses alliés dans le meurtre et le pillage de l’OTAN, vous savez cette Organisation Terroriste de l’Atlantique Nord, il est important de comprendre ce qu’est le Rojava et son Confédéralisme Démocratique mis en place depuis 2005 et étendu depuis 2011.
La confusion règne, la propagande et l’amalgame vont bon train, faits pour que les opinions publiques maintenues dans l’ignorance puissent être toujours plus avant manipulées au profit des intérêts mafieux des états, du business de la guerre à tout va et de toutes les cliques de la dictature marchande.
Nous défendons le Confédéralisme Démocratique dans son principe et son application politico-sociale de terrain au Rojava sur la base du texte qui le définit, écrit et publié en 2011 par Abdullah Öcalan et s’avérant comme un glissement de la rigidité marxiste préalable du PKK (et de son extension YPG locale) vers le municipalise libertaire, refusant le principe de l’état-nation en faveur de la confédération des communes libres.

Nous engageons toutes celles et ceux désirant avoir une base sérieuse de réflexion sur le sujet du Rojava (à ne pas confondre avec le « Kurdistan » irakien qui n’a rien à voir politiquement avec le Rojava…) de lire les deux textes ci-dessous. Le premier est notre compilation illustrée faite du texte d’Öcalan, le second est le texte complet du « Confédéralisme Démocratique » (2011), nous les mettons dans cet ordre car ils furent publiés dans cet ordre sur notre blog mais le texte à lire est l’original d’Öcalan dans son intégralité. Il est à noter que ce qui a été appelé depuis 2016 la « Charte du Rojava » ou sa « constitution » est une imposture concoctée par les agents de l’empire afin de diviser à la fois la population kurde locale, mais aussi la diaspora et le soutien internationaliste au Rojava. Seul le Confédéralisme Démocratique insuffle la structure politique et sociale du Rojava.

Lisez et gardez présent à l’esprit que le Rojava est une application de ce texte:

confederalisme_democratique

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

 

A lire:
Confédéralisme Démocratique du Rojava:
De l’État à la démocratie, anatomie d’un changement de paradigme


Réseau de Résistance et Rébellion International

Mobilisation Internationaliste pour la (r)évolution sociale, Paris 12 janvier

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Les GJ ne sont pas seuls !

 

Appel à une mobilisation internationaliste lors de la manifestation pour Sakine, Fidan et Leyla

 

Paris-Luttes Infos

 

8 janvier 2019

 

url de l’article: https://paris-luttes.info/pour-une-mobilisation-11427?lang=fr

 

Le 9 janvier 2013, Sakine Cansiz, Fidan Doğan et Leyla Söylemez sont assassinées par un agent du gouvernement fasciste turc en plein Paris. Elles faisaient partie du mouvement révolutionnaire kurde.

Sakine Cansiz, est un symbole de la lutte révolutionnaire au Kurdistan. L’ une des fondatrices du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Emprisonnée dans les geôles turcs durant 12 ans, elle fut battue et torturée. A sa sortie de prison, elle continua de lutter au sein de la guérilla du PKK, puis en Europe pour faire connaître la cause de son peuple. Fidan et Leyla qui sont tombées à ses cotés participaient activement au mouvement kurde en Europe. Ces trois femmes représentaient tout ce qu’un État fasciste comme celui de Recep Tayyip Erdoğan et de son parti l’AKP déteste. C’est pour cela qu’ils ont commandité leurs morts.

Mais la lutte de ces trois femmes ne s’est pas éteinte avec elles. Leur lutte continue dans les montagnes à Qendil, Zagros ou Dersim. Surtout, elle nous montre un exemple pratique de révolution au Rojava. Dans cette région du nord de la Syrie un système politique progressiste et populaire est en train de se construire. La libération des femmes y tient une place majeure. Elles sont à l’avant garde du mouvement révolutionnaire.

En ce moment, cette région est plus que jamais menacée. Après avoir combattu l’État Islamique, les forces révolutionnaires du Rojava sont maintenant sous la menace de la Turquie et de ses alliés islamistes. Des milices formées d’anciens combattants de l’EI et de Al-Qaida sont entrain de préparer l’offensive aux cotés de l’armée Turque. Pendant ce temps les forces impérialistes des États-Unis et de la Russie jouent et s’amusent avec leur alliés locaux afin de se tailler leur part du gâteau.

Tout comme ce que Sakine, Fidan et Leyla représentaient, le Rojava est une menace pour tous les états réactionnaires et pour cette raison il est prit pour cible. En temps que révolutionnaires en Europe nous devons défendre le projet révolutionnaire du Rojava et la mémoire de nos trois camarades qui ont tout donné pour la lutte.

Nous appelons à une mobilisation internationaliste lors de la manifestation à la mémoire de Sakine, Fidan et Leyla , le Samedi 12 janvier à Paris, 10h30 Gare du Nord.

Solidarité révolutionnaire avec les combattant.es au Kurdistan et en Turquie !

Vive la solidarité internationale !

Sehid Namirin !

Secours Rouge Genève

Secours Rouge Belgique

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Six textes fondamentaux pour nous aider à  y parvenir, ensemble, à  lire, relire et diffuser sans aucune modération:

Déclaration des Unités de Défenses Féminines du Rojava (décembre 2018)

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Manifeste du Confédéralisme Démocratique

 

Nous défendons le nord syrien et le Rojava parce que nous croyons en un monde sans fascisme et sans patriarcat

 

Déclaration des Unités de Défenses Féminines (YPJ) du Rojava

 

Décembre 2018

 

url de l’article original:

https://www.ypjrojava.org/We-defend-Northern-Syria-and-Rojava-because-we-defend-a-world-without-fascism-and-patriarchy

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Erdogan et les fascistes de l’AKP-MHP ont montré avec les récents bombardements des gens déjà déplacés du camp de Maxmur et des Yazidis au Sengal, leur volonté d’envahir le Rojava / Syrie du Nord et d’introduire le fascisme dans le Kurdistan et au-delà. Depuis longtemps l’état turc a maintenu de fortes connexions avec Daesh / État islamique. Pour nous, il a toujours été clair qu’ils ne sont que les visages différents d’un même ennemi.

Cette unité fasciste de l’état turc, ses mercenaires et Daesh, sont confrontés par les camarades et la société ici en Syrie du Nord et dans tout le Kurdistan. Après l’invasion brutale et sans relâche d’Afrin, l’état turc membre de l’OTAN, menace une fois de plus d’attaquer la zone nord-syrienne, où la révolution sociale fait de grands pas avec ses femmes en première ligne.

Au moment où nos camarades combattent Daesh à Deir ez Zor, avançant et libérant Hajin, d’autres continuant à attaquer les envahisseurs d’Afrin, nous répondons par un cri de liberté à la menace contre la révolution. Ceci est devenu notre révolution, parce qu’en tant qu’internationalistes, nous avons appris, vu et vécu, que le peuple habitant le nord de la Syrie crée la base pour une société communale libre fondée sur la démocratie organique, l’écologie et l’égalité de genre.

L’opposition au fascisme, au féodalisme, au patriarcat et à toutes les formes d’oppression nous unifie nous les femmes de différents endroits, de différentes cultures et traditions. Nous sommes venues ici pour être confrontées à ce que cela veut dire de construire un processus révolutionnaire d’y prendre part, et de développer tout ce dont il a besoin en le défendant si besoin est.

Ce n’est pas seulement une défense physique mais aussi une défense idéologique. C’est aussi une révolution de femmes ! Le front contre l’oppression est partout.

Les relations politiques et économiques que toute organisation ou tout état maintient avec la Turquie sont de la même manière responsables de cette situation et de la guerre à venir. Un seul exemple réside dans l’état allemand qui vend des chars à la Turquie et qui maintient une “bonne diplomatie” avec les fascistes. Tout ceci contribue à ce que la Turquie continue sa tradition de coloniser et de massacrer les gens.

En tant qu’internationalistes, nous prenons les armes contre l’état turc également à cause de la collaboration d’autres états dans cette guerre. C’est pour cette raison que nous nous opposons au fascisme de manière plus forte pour défendre la révolution du Rojava. Nous partageons la même lutte avec les peuples kurdes, arabes, assyriens, turkmènes et une grande variété d’autres contre le système étatique, le patriarcat et le capitalisme. Les graines d’une vie libre sont déjà en train d’être semées dans le monde entier. Nous développerons une résistance partout. Nous avons besoin que tout le monde, camarades, se sente responsable, non pas à juste attendre la guerre mais à l’empêcher maintenant ! Le temps est venu de se dresser contre le fascisme ! Nos endroits sont nombreux tout autant que nos méthodes dans cette bataille. Garder le silence veut dire être complice, montrons du doigt nos ennemis et ciblons-les, rendons la situation visible de toutes et tous, organisons-nous, commencez à partager et à disséminer les belles idées qui sont la base fondamentale de cette révolution.

En tant que combattantes internationalistes nous pensons que nous devenons des femmes libres lorsque nous faisons face aux attaques de l’ennemi épaule contre épaule ; nous rappelant tous les camarades qui ont combattu pour la liberté jusqu’à la fin, parmi eux des milliers de femmes, notre réponse à ces menaces est celle-ci: Résistance illimitée !

Leur courage et amour pour la vie est un exemple pour nous toutes alors que nous leur emboitons le pas.

Nous vaincrons !

Longue vie à la lutte des peuples pour la liberté !

Longue vie à la résistance du Rojava et du nord-syrien !

Statement of YPJ international

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Textes complémentaires:

Six textes fondamentaux pour nous aider à  y parvenir, ensemble, à  lire, relire et diffuser sans aucune modération:

 

Guerre impérialiste au Moyen-Orient: Éclairage nécessaire sur les développements récents de la révolution sociale du Rojava

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , on 2 janvier 2019 by Résistance 71

Ce texte, initialement publié en allemand, éclaire bien des points demeurées sombres depuis la période 2015-16 et « l’alliance » des Yankees avec les Kurdes. Ce texte sert aussi de mise au point avec ceux qui avaient jeter le bébé avec l’eau du bain concernant la révolution sociale du Rojava. Il montre  qu’il y a eu aussi une divergence au sein des forces kurdes et que les forces proches du PKK et de la révolution sociale n’ont pas perdu le fil de l’enjeu historique, ni n’ont jamais été dupes d’une « alliance tactique » avec l’empire.
De plus ce texte entre parfaitement dans la dynamique de création d’un Réseau de Resistance et de Rébellion International tel que prôné depuis le Chiapas mexicain et la révolution sociale zapatiste.

Il est aussi essentiel de comprendre que le mouvement des Gilets Jaunes en France et les mouvements à venir dans les pays européens font parties de cette dynamique émancipatrice et se doivent de se coordonner pour mettre à bas le système étatico-capitaliste qui nous domine et nous exploite depuis bien trop longtemps maintenant.

Puisse l’année 2019 être l’année de la prise de conscience politique collective et de l’unification des luttes émancipatrices pour que vive une Société des Sociétés organique planétaire.

Voici ce qui nous est dit dans l’excellent petit livre publié par la Commune Internationaliste du Rojava en septembre 2018:
« Les liens entre l’économie de marché, l’exploitation, la destruction de la nature, la guerre et la migration des populations montrent le résultat de ce qui se passe lorsque des systèmes centralisées et hiérarchiques tentent de subjuguer la nature. Une solution qui ignore ces relations, une solution au sein du système existant n’est en rien possible. »

çà vous rappelle quelque chose ?…

~ Résistance 71 ~

 

 

L’impérialisme n’a pas d’amis

 

Peter Schaber 

 

21 décembre 2018

 

du magazine allemand Lower Class Mag

 

source: http://internationalistcommune.com/imperialism-has-no-friends/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Deux stratégies un but: les Etats-Unis et le mouvement kurde en Syrie

an article from lower class mag

La semaine dernière, le président américain Trump a annoncé le retrait des troupes américaines de Syrie (NdT: rappelons que ces troupes étaient sur le sol syrien de manière totalement illégale car non invitée, contrairement aux Russes et autres alliés de la Syrie…), disant que l’EI/Daesh a été battu et que les soldats peuvent maintenant rentrer à la maison, apparaissant de la sorte, toujours aussi confus. Trump a pris cette mesure alors que l’autocrate turc Recep Erdogan intensifiant ses menaces d’annihilation des Kurdes du Rojava, annonçait une nouvelle invasion de la Syrie du nord. Quelques heures plus tôt, nous apprenions que Washington avait accepté de vendre des missiles Patriots à Ankara pour une valeur de 3,5 milliards de dollars, une transaction qui a été sujet à débat depuis bien longtemps. Ainsi, il est apparu qu’un accord compréhensif a été forgé entre les gouvernements de Trump et d’Erdogan. Facile et direct.

Lorsqu’il a fallu évaluer le rôle de l’impérialisme américain en Syrie, alors là bien des commentateurs ont, de manière prévisible, botté en touche. Certains, comme le député allemand du parti de gauche Alexander Neu par exemple, ont pensé que le retrait annoncé par Trump était quelque chose de positif envers la paix. Comme si les Etats-Unis avaient jamais agi contre leurs intérêts sans besoin discernable de le faire !

Des “anti-impérialistes” auto-proclamés dont l’analyse a idéalisé les gouvernements syrien, russe et iranien comme étant altruistes et désintéressés, soutiens du droit international depuis des années, allèrent un pas plus avant, ils souhaitèrent un génocide imminent des Kurdes. N’avaient ils pas averti les Kurdes qu’il n’était jamais bon de coucher avec les Etats-Unis ? Les Kurdes auront ce qu’ils méritent ! Aucun sacrifice de sang n’est assez grand pour les guerriers du clavier si cela peut leur donner raison sur internet ! pourvu, bien entendu, que le sang à payer ne soit pas le leur.

Ceux qui n’ont jamais rien compris à la région ne furent d’ailleurs pas les seuls à s’être plantés. La même chose fut vraie pour bien des soutiens de la révolution du Rojava vociférant depuis le côté plus libéral du spectre politique. Surpris par le vice de nos “amis” américains, ils s’épanchèrent en appels moraux vers les Etats-Unis, comme si les décisions politiques impérialistes dépendaient de la conscience et de l’intégrité.

Le baiser de la mort

Analysons un peu en arrière. Ayant défendu la ville frontalière kurde de Kobané contre l’EI/Daesh, les unités de Protection du Peuple et des Femmes (YPG/YPJ) s’embarquèrent dans une alliance avec des pays étrangers qui étaient aussi intéressés de repousser l’EI. Daesh fut ainsi repoussé peu à peu, ceci occasionna de sévères pertes humaines, spécifiquement au sein des forces kurdes. Alors que la libération des territoires syriens se déroulaient toujours, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) impliquant des membres arabes, assyriens et kurdes au sein de milices, furent mises en place. Les FDS furent référées comme étant “alliées” par les Etats-Unis et dans des proclamations diplomatiques, les FDS décrivirent les Etats-Unis comme étant un “partenaire de valeur”. Il y eut des livraisons d’armes et des soutiens aériens conséquents.

Quoi qu’il en soit, les parties les plus politiquement conscientes de la résistance kurde, c’est à dire ceux s’orientant vers les idées défendues par le Parti des Ouvriers Kurdes (PKK), ne se firent absolument aucune illusion sur cette alliance et ce depuis le départ. Ce fut une “alliance tactique”, dirent-ils, étant parfaitement conscients que les Etats-Unis et le mouvement kurde se situaient à l’opposé des objectifs poursuivis. En janvier 2018, un combattant guerillero kurde influent, Riza Altun, insista une fois de plus sur le fait que “nous sommes engagés dans une lutte anti-impérialiste. Une force anti-impérialiste ne peut pas dire que des impérialistes l’ont trahi.

Tout comme l’impérialisme mondialiste et les états hégémoniques régionaux représentent leur propre position stratégique, le paradigme politique créé par les Kurdes [du Rojava] représente leur ligne claire et leur position bien distincte.

Cette déclaration ne fut jamais suffisante pour les anti-impérialistes en fauteuil. Furieusement, ils combattirent la seule guerre qu’ils aient jamais connue: celle de l’internet. Pour eux, les Kurdes furent des traîtres et des petits soldats de l’impérialisme et ils leur firent savoir sur Facebook et dans des posts de blogs. Mais en fait, Les grandes gueules de l’internet n’eurent même pas à le prendre du PKK, qui incidemment a combattu l’OTAN au Moyen-Orient pendant 40 ans. Il aurait juste fallu savoir ce que l’impérialisme américain avait à dire au sujet de leurs intérêts en regard de cette alliance déséquilibrée. Des articles innombrables publiés par des think-tanks durant les présidences à la fois d’Obama et de Trump en formulent une stratégie claire: Les Etats-Unis doivent s’impliquer dans une double stratégie. Les institutions kurdes du nord de la Syrie doivent être compromises et cooptées par le moyen de concessions et de coercition indirecte (comme par exemple au moyen d’une augmentation des menaces turques). Dans le même temps, la Turquie doit être soutenue dans son combat contre le PKK.

Le but était de retourner le mouvement kurde en une entité par procuration des Etats-Unis de la même manière que le mouvement kurde régional d’extrême-droite irakien de Maoud Barzani. Mais pour y parvenir, il faudra éliminer ou du moins aliéner la colonne vertébrale politique et idéologique du mouvement, à savoir le PKK et sa guérilla de montagnes. Si cette stratégie était couronnée de succès, il n’y aurait même pas besoin d’envahir le Rojava pour y détruire la révolution. Le baiser de la mort des Etats-Unis et de leur impérialisme l’aurait rendue complètement aliénée de ses idées fondatrices et ne serait en rien différente des autres sphères d’influence du Moyen-Orient.

Annihilation militaire

Au début de sa présidence, Donald Trump poursuivit également cette stratégie. Au moins depuis la libération de Raqqa néanmoins, il a transpiré que Washington pourrait opter pour une voie différente pour imposer ses intérêts. Le retour à son vieil allié de confiance, la Turquie, a joué un rôle majeur dans tout ceci, sans doute aussi parce qu’Ankara paraît être en bonne position. Erdogan a savamment exploité le besoin de la Russie de protéger son flanc sud et de contrôler une partie de l’opposition djihadiste armée. Pour Moscou, il fut fondamentalement plus important d’aliéner la Turquie de l’OTAN que de “protéger l’intégrité du territoire syrien”, telle fut la réthorique récitée par la Russie et ses groupies de gauche.

Les antagonismes entre Moscou et Washington qu’Erdogan exploita si finement, furent la raison du pourquoi l’invasion turque de la province nord de la Syrie à Afrin fut tolérée par les deux grandes puissances au début de 2018. A ce moment au plus tard, l’alliance tactique entre les Etats-Unis et le mouvement kurde toucha essentiellement à sa fin.

Naturellement, le côté kurde essaya de maintenir l’alliance aussi longtemps que possible. D’abord, parce que cela faisait plier le désir d’Ankara de l’annihiler ; secundo, parce que la protection aérienne permettait au mouvement kurde de ménager ses forces militaires dans sa lutte contre l’EI/Daesh. Dans le même temps, les Etats-Unis arrêtèrent de manière croissante de camoufler le fait que le temps de leur “partenariat” supposé était imparti. Un haut-cadre du mouvement kurde, Zekî Sengalî, fut la victime d’un assassinat par la Turquie et les Etats-Unis dans les montagnes de Sindjar. Les Etats-Unis mirent à prix les têtes de trois cadres du PKK. La Turquie bombarda le camp de réfugiés de Makhmour. Tout ceci fut le signe avant-coureur de la remise actuelle du nord de la Syrie à la Turquie.

L’annonce du retrait militaire US par Trump, dans le même temps, envoie un signal stratégique très clair: Les troupes américaines n’entendent plus sécuriser ses sphères d’influence en cooptant le mouvement kurde et ses alliés arabes, mais le confronter directement au moyen de son partenaire de l’OTAN, la Turquie. Ceci en revanche ne peut réussir que si les YPG/YPJ sont militairement vaincues Ankara veut s’assurer de cela en commettant un génocide ou du moins en nettoyant ethniquement les zones géographiques relevantes, c’est à dire en déplaçant les populations kurdes. L’idée est de refaire le plan d’Afrin dans les autres cantons du nord-syrien, Jazira et Kobané. Ainsi, la région sera conquise par une coalition des forces armées turques et des dizaines de milliers de djihadistes, puis sera mise sous le contrôle administratif d’Ankara. Pillages, assassinats, viols seront les outils et compagnons de ce processus.

Le facteur subjectif

Le fait que les Etats-Unis font maintenant ce que le PKK a toujours prédit qu’ils feraient ne rend pas pour autant mauvaise cette alliance tactique, ceci ne veut pas non plus dire que tout est perdu. En premier lieu, le retrait US veut dire que les conditions géopolitiques changent. Damas peut être un peu concernée par une zone protégée turque des anciens combattants de l’EI, des groupes d’Al Qaïda et les djihadistes d’usage du nord de la Syrie. De plus, il convient de voir comment réagira la Russie lorsqu’elle réalisera que les petites fissures dans la relation turco-américaine à l’épreuve du temps, ont maintenant été fixées.

Ce qui nous importe le plus, c’est qu’une focalisation géopolitique sur l’équilibre des forces seule n’est jamais suffisante. Politiquement et militairement, le mouvement kurde est un facteur autonome très fort. Il est profondément ancré dans la population et a des millions de supporteurs. Il se prépare pour la défense de ses territoires, de plus le PKK a déjà annoncé que chaque attaque trouvera également sa réponse en territoire turc. Les gains présents ne seront pas abandonnés sans lutter. Quant à nous en occident, nous ne devons pas céder à la résignation ni au désespoir.

Nos amis kurdes nous on dit encore et toujours que les forces de gauche, socialistes et démocratiques internationales sont leurs partenaires stratégiques dans la longue durée. Faisant partie de ces forces, notre tâche est maintenant de porter la lutte dans les pays où nous vivons afin de défendre la révolution sociale du Rojava. Même si nous ne nous en sentons pas la capacité, ceci demeure notre tâche. Personne ne le fera pour nous. Dans les jours et mois à venir, chaque acte public, chaque manifestation, chaque campagne si mineure soit-elle, ont leur importance. Ceci est le travail sur lequel nous devons maintenant nous focaliser ; il est futile de regretter ou de se demander pourquoi ceux qui ne furent jamais nos “amis” ont maintenant cessé d’être nos “amis” aux yeux de tous.

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Textes complémentaires:

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Manifeste pour la Société des Sociétés

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Effondrer le colonialisme

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Nouvelles de la Commune Internationaliste du Rojava…

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Il n’y avait plus de nouvelles sérieuses filtrant du Rojava depuis un bon moment. Les seules infos disponibles émanant d’entités impérialistes  ou de l’état syrien, il était particulièrement difficile de savoir de quoi il retournait de l’intérieur. Il y a eu une tentative de récupération yankee de la révolution sociale avec depuis 2016 cette affaire de « charte / contrat social du Rojava » qui n’a rien à voir avec le Confédéralisme Démocratique tel que mis en place depuis 2012, à l’instigation de cadres renégats ayant créé un parti et bouffant au râtelier de l’impérialisme occidental.
Depuis quelques mois, des informations plus crédibles parviennent du terrain, certaines sont en anglais que nous nous efforcerons de traduire plus régulièrement en 2019, d’autres sont déjà diffusées en français.
Les nouvelles récentes font état des Yankees qui évacueraient la zone et leurs bases militaires (ce qui demeure à vois s’ils le feront), mais cela serait aussi pour laisser le champ libre à l’attaque impérialiste turque…
Ci-dessous un article d’analyse de la situation au Rojava et de la Commune Internationaliste résultant de la mise en application du Confédéralisme Démocratique tel que prôné par son fondateur Abdullah Ocalan depuis la fin des années 90. Ci dessous également, le texte entier et sa version abrégée en format PDF. La Commune du Rojava, à l’instar des Zapatistes du Chiapas soutiennent le mouvement des Gilets Jaunes. Nous sommes entrés dans le domaine du Réseau de Résistance et de Rébellion International tel qu’envisionné par les Zapatistes !…

~ Résistance 71 ~

Texte intégral du confédéralisme démocratique d’Abdullah Ocalan (2011):

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

Notre version abrégée de 2015:

confederalisme_democratique

 

Dépolitiser la liberté: Les tentatives impérialistes de séparer le Rojava d’Ocalan

 

Ali Ciçek

 

14 décembre 2018

 

Source: 

https://komun-academy.com/2018/12/14/depoliticizing-freedom-imperialist-attempts-to-separate-rojava-from-ocalan/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

L’année 2018 a commencé avec une invasion de la Turquie et de ses mercenaires et par l’occupation de la ville d’Afrin au Rojava dand le nord de la Syrie et se termine de manière assez similaire. Alors que des prisonniers kurdes dans les prisons turques et des activistes du monde entier sont en grève de la faim pour la cause d’Abdullah Ocalan, le président turc Erdogan menace une nouvelle fois d’une autre intervention militaire turque à l’Est de l’Euphrate à laquelle la Fédération Démocratique du nord-syrien a répondu par un état d’urgence. Cette année a aussi vu des attaques idéologiques contre le mouvement de liberté kurde, au Kurdistan, aussi bien qu’en Europe, particulièrement en Allemagne.

Afrin, Öcalan et 25 ans d’interdiction du PKK

Observons trois exemples très significatifs de ce qui peut être décrit comme des attaques idéologiques et leurs conséquences. Par exemple, un très grand nombre d’actions de solidarité se sont déroulées pendant les deux mois de la résistance d’Afrin au début de l’année. Beaucoup des slogans qui furent entonnés pendant ces manifestations le furent en faveur de la libération d’Abdullah Ocalan. Je peux me rappeler les réactions de quelques participants de ces manifestations vers le vieux slogan “Bijî Serok Apo” (longue vie au leader Apo) [Apo étant le petit nom affectueux donné à Ocalan].

Ils dirent: “Nous sommes ici pour Afrin et le Rojava. Ne chantons que des slogans ayant un rapport avec cela. Qu’est-ce qu’Ocalan a à voir avec Afrin ?” L’année 2018 a marqué les 25 ans de l’interdiction du PKK (NdT: Parti Ouvrier Kurde d’obédience marxiste jusqu’à la fin des années 90, communaliste libertaire depuis l’emprisonnement de son leader Ocalan en Turquie) en Allemagne, ce pourquoi bon nombre de manifestations furent organisées dans ce pays. Dans les discussions au sujet des formes possibles de protestation pour marquer cet anniversaire et au vu de la criminalisation et de la persécution accrues des activistes kurdes et des structures de solidarité, une tendance se cristallisa en faveur de l’approche suivante: “Ne nous focalisons pas sur le PKK. Le YPG et le YPJ sont plus socialement acceptés en Allemagne. Des actions pour lever l’interdiction des symboles du YPG et du YPJ ont plus de chance de réussir.

L’année a aussi vu un accroissement de la coopération entre les activistes kurdes et les mouvements actifs de gauche en Allemagne. Des discussions communes, des séminaires et des conférences furent organisés au sujet du Confédéralisme Démocratique.

Des centres culturels kurdes furent utilisés comme endroits communs d’éducation. Ces pièces sont souvent décorées de drapeaux kurdes, de portraits d’Ocalan et autres personnalités centrales de la lutte kurde pour la liberté. Voici la réaction d’une personne envers ces drapeaux et portraits d’Ocalan: “Pourquoi accrocherait-on des drapeaux et des photos d’Ocalan, du PKK et du YPG/YPJ les uns à côté des autres ? Ne sont-ce pas ces mêmes images que l’état allemand utilise pour les amalgamer ensemble ?

La bataille entre la modernité démocratique et capitaliste

Beaucoup de discussions se tinrent au sujet de l’occupation d’Afrin et de ses conséquences. La violation flagrante de la loi internationale est une honte pour la “communauté internationale” ; mais la résistance d’Afrin avec ses plus de 1000 combattants tombés démontra aux forces démocratiques, une fois de plus, que le combat du mouvement de la liberté kurde en général et de la révolution du Rojava en particulier, représentent une bataille entre deux visions du monde, entre le socialisme et le capitalisme, entre la modernité démocratique et la modernité capitaliste.

Politiquement, on peut parler de trois lignes ou acteurs dans notre évaluation: d’un côté il y a les puissances hégémoniques comme les Etats-Unis, la Russie et les pays de l’UE ; puis il y a les états-nations régionaux comme la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie et enfin, les communautés locales, les hommes, les femmes, les travailleurs, les identités opprimées et les sections sociétales.

Alors que les deux premiers acteurs sont essentiellement préoccupés à se partager le gâteau moyen-oriental et de s’approprier le plus pour chacun dans le processus, le troisième acteur a des intérêts totalement différents, à savoir la démocratisation et la libération définitive du joug de la détermination étrangère. Il y a donc deux lignes idéologiques majeures: celle des états capitalistes qu’is soient globaux ou régionaux d’un côté et celle des peuples de l’autre, qui pour la première fois sont parvenus à libérer un espace au Rojava pour se déterminer eux-mêmes.

La révolution est-elle en marche ?

Une grande part de la discussion se concentra sur l’alliance tactique militaire de l’Auto-Administration Démocratique en Syrie du Nord avec les Etats-Unis impérialistes. Cette alliance commença avec la résistance de Kobané et atteignit son pic militaire avec la libération de Raqqa. Des spéculations furent émises au sujet du futur du projet démocratique après la bataille de Raqqa, car “l’ennemi commun”, soi-disant “État Islamique” serait bientôt battu. La question se posa: la révolution continuera t’elle son chemin ou sera t’elle intégrée dans le système mondial capitaliste ?

L’ennemi indéfectible des Etats-Unis

Les révolutionnaires du Rojava insistèrent sur leur vision du futur de la région en arborant une immense bannière à l’effigie d’Abdullah Ocalan dans le centre de la ville de Raqqa devant laquelle posèrent des centaines de femmes combattantes des Unités de Défense Féminines (YPJ) afin de déclarer officiellement la libération de la ville en tant que victoire pour toutes les femmes du monde.

Les Etats-Unis réagirent immédiatement par un communiqué du Pentagone qui montrait leur stratégie du long-terme: “Le PKK a été désigné comme une organisation terroriste étrangère par les Etats-Unis depuis 1997 et nous continuons de regarder le PKK comme un agent déstabilisateur dans la région. Les Etats-Unis continuent de soutenir notre allié la Turquie membre de l’OTAN dans sa lutte de plusieurs dizaines d’années contre le PKK et reconnaissent les vies turques perdues dans ce conflit. […] Nous condamnons l’exposition en public de l’effigie du fondateur et leader du PKK Abdullah Ocalan pendant la libération de Raqqa.

Les commentateurs politiques ont interprété cette déclaration des Etats-Unis comme étant essentiellement dirigée vers leur partenaire de l’OTAN, la Turquie. Mais un point de vue considérant les dimensions idéologiques de ce développement nous aidera à comprendre le problème derrière la façade géopolitique. Ce furent ces mêmes Etats-Unis qui, il y a maintenant près de 20 ans, menèrent et exécutèrent cette conspiration internationale contre Abdullah Ocalan. Ocalan, en tant qu’architecte du PKK, du paradigme du Confédéralisme Démocratique et de la révolution du Rojava, personnifie l’ennemi mortel des Etats-Unis.

Ce fut lui qui, après l’effondrement du vrai socialisme et de l’intégration des mouvements de libération nationaux au sein du système étatique, aussi bien après qu’il eut “prophétisé” la “fin de l’histoire”, déclara: “Insister sur le socialisme veut dire insister sur être humain.

En 1991, l’ancien premier ministre turc Bülent Ecevit, a admis après le kidnapping et l’arrestation d’Ocalan qu’il n’avait toujours pas bien compris pourquoi les Etats-Unis l’avaient remis à la Turquie. Ces mots démontrent le rôle mineur que joua la Turquie dans la conspiration internationale contre Ocalan.

Dans le même temps, dans ses travaux de rédaction entrepris depuis son île prison d’Imrali, Ocalan explique en détail que le système capitaliste l’accuse et le condamne dans son identité d’anti-capitaliste.

La seconde étape de la conspiration internationale 

20 ans ont passé depuis le début de cette conspiration internationale. L’emprisonnement d’Ocalan ne fut qu’une dimension du concept de la destruction du PKK.

L’autre dimension fut de tenter de marginaliser la ligne socialiste au sein du PKK, qui se manifestait au travers du personnage d’Ocalan, et ce afin de mettre en exergue et de renforcer ses éléments libéraux. La tentative fut de créer un PKK qui serait dans le moule de la conception américaine du “Moyen-Orient élargi”, un PKK qui se retire de sa lutte de guérilla, soi-disante vieille méthode n’ayant plus cours au XXIème siècle, un PKK qui ne demanderait plus cette question cruciale du “Comment vivre ?…”

La conspiration internationale a échoué en ce sens. Pourtant, au cours de ces 20 années, il y a eu des tentatives constantes d’annihiler le PKK. Une des stratégies principales est de tenter de liquider et de fragmenter le leadership du mouvement kurde.

En parallèle de cette conspiration internationale, des campagnes sous le slogan “Oui au PKK, non à Apo !” furent lancées. Ces tentatives atteignirent un nouveau niveau en 2018, voilà pourquoi nous pouvons nous référer à cette nouvelle étape comme celle de la seconde étape de la conspiration internationale. Mis à part les attaques physiques brutales sur les zones libérées tel le canton d’Afrin ou des campagnes d’assassinats ciblés comme celui du membre du conseil exécutif du KCK Zekî Sengalî en août de cette année à Sengal (Sinjar), par une attaque de drone au travers de la frontière avec l’état turc, nous devons aussi considérer les attaques idéologiques.

L’isolation complète et continue d’Abdullah Ocalan et la tentative de normaliser son emprisonnement sont symboliques de cette seconde étape de la conspiration internationale. En plus vient se greffer la décision des Etats-Unis de mettre des récompenses sur les têtes de trois personnalités importantes de la lutte kurde pour la liberté: Duran Kalkan, Cemil Bayik et Murat Karayilan. Les premiers commentaires en ce qui concerne cette décision américaine ont insisté sur ce que les Etats-Unis voulaient rassurer la Turquie à la lumière de leur coopération avec les forces kurdes.

Mais par essence, l’intention est de mettre en place une solution militaire contre le PKK suivant ce qui fut appelé le modèle de la “solution Tamil” (NdT: au Sri Lanka). Après tout, c’est le PKK et sa vision d’un Moyen-Orient démocratique qui constitue un gros obstacle à la refonte capitaliste et impérialiste de la région. Les Etats-Unis n’essaient même pas de cacher leurs intentions.

Ainsi, le document d’un think tank américain fut publié à la mi-2016, qui formulait on ne peut plus clairement une stratégie pour libéraliser le potentiel révolutionnaire de la région du Rojava. La thèse centrale de cet article stratégique argumente que les acteurs politiques principaux en Syrie du nord, comme le Parti d’Union Démocratique (PYD), doivent être coupés du PKK et de son idéologue Abdullah Ocalan (NdT: d’où sans aucun doute cette traître initiative de la formulation en 2016 de la “charte / contrat social du Rojava”, se voulant un ersatz du confédéralisme démocratique et menée vraisemblablement par des traîtres à la révolution sociale kurde)

L’impérialisme américain a beaucoup d’expériences et de moyens pour asphyxier les mouvements démocratiques ayant des vues et actions anti-capitalistes dans le système des états-nations. La campagne de diffamation envers le PKK et  le moment choisi, les millions de dollars de récompenses sur les têtes des leaders du PKK qui jouissent d’une très grande popularité dans le peuple et la société kurdes ou la réaction des Etats-Unis au déploiement de la bannière à l’effigie d’Ocalan lors de la libération de Raqqa, exprimant que celui-ci n’était en aucun cas une personne respectable, sont tous des aspects qui peuvent être compris dans ce contexte bien particulier.

Le rôle de l’Allemagne

A part les Etats-Unis, des pays comme la Grande-Bretagne, Israël, la Russie, la Grèce et l’Allemagne ont aussi joué un rôle décisif dans la conspiration internationale qui a mené à l’enlèvement d’Abdullah Ocalan en février 1999. Durant cette affaire en Europe, l’Allemagne a émis une interdiction de séjour envers Ocalan.

A cette époque, un mandat d’arrêt allemand contre Ocalan était actif, ce qui aurait demandé son arrestation et extradition vers l’Allemagne en accord avec la loi existante. Mais la loi fut négligée et l’extradition vers l’Allemagne fut refusée. Le gouvernement allemand refusa l’asile à Ocalan et signala aux autres gouvernements européens de faire de même.

Accorder l’asile à Ocalan et le poursuivre judiciairement en Allemagne aurait voulu dire de porter les contradictions historiques et sociales au centre de l’Europe. C’est pourquoi tous les états impliqués jouèrent un rôle distinct dans cette “conspiration internationale”.

Dans cette même veine, l’Allemagne continua de soutenir matériellement l’état turc contre la société kurde, le PKK et l’idée du Confédéralisme Démocratique en 2018. Nous connaissons tous ces images des chars allemands Léopard à Afrin ou le tapis rouge déroulé pour la visite d’Erdogan en Allemagne. Beaucoup a déjà été écrit sur la coopération économique entre l’Allemagne et la Turquie.

Observons donc plus particulièrement la confrontation idéologique de l’Allemagne avec la société kurde et son avant-garde du mouvement de la liberté kurde.

L’histoire des attaques idéologiques contre le mouvement kurde a commencé bien avant l’interdiction maintenant vieille de 25 ans du PKK en Allemagne. L’activiste kurde Mehmet Demir a dit au bureau d’information de Berlin du Civaka Azad:

“La première attaque physique de l’état se produisit en 1986. Le 21 mars 1985, le Front National de Libération du Kurdistan (FNLK) fut formé. Son premier anniversaire qui coïncide avec notre nouvel an, Newroz, devait être célébré au Mercatorhalle dans la ville de Duisbourg. Ce jour là, les autorités allemandes fermèrent les accès autoroute vers la ville.

Les gens qui voulaient se rendre à la première célébration en bus, furent violemment tirés des véhicules et furent mis à terre, face contre le sol alors qu’ils étaient fouillés individuellement. La raison pour cette attaque excessive fut, on l’apprit plus tard, une rumeur au sujet qu’Abdullah Ocalan ferait partie des participants et y ferait un discours.

La division internationale du travail

La guerre et les massacres au Kurdistan, aussi bien que la répression internationale contre le mouvement de la liberté kurde, furent organisés dans le cadre de l’OTAN sous le couvert de maintenir les “relations bilatérales”, ce qui semble être requis par l’alliance OTAN. L’Allemagne fut et continue d’être partie de cette guerre.

Tout comme chaque état joua un rôle différent durant la conspiration internationale il y a 20 ans, la seconde étape qui se déroule maintenant comprend aussi une division internationale du boulot afin d’affaiblir et d’éliminer le mouvement pour la liberté kurde. Tandis que les Etats-Unis interviennent idéologiquement au Moyen-Orient comme nous l’avons décrit ci-dessus, afin d’influencer la société kurde dans sa tentative de l’aliéner du PKK et d’Ocalan, les efforts en Europe et spécifiquement en Allemagne, ciblent la diaspora kurde de l’étranger.

Les exemples mentionnés au début de l’article montrent les tentatives en Allemagne de séparer le PKK d’Ocalan, représentants de la politique auto-confiante kurde ayant des aspirations démocratiques universelles, de la société kurde et de la révolution du Rojava. Même si les méthodes peuvent différer, l’intention demeure essentiellement la même. En comparaison du Moyen-Orient, l’Allemagne utilise des méthodes plus subtiles comme la criminalisation, les interdictions, les campagnes de diffamation et ces deux dernières années, dans le contexte de circulaires du ministère de l’intérieur fédéral, des jeux arbitraires avec la loi allemande pour mettre en place créativement une interdiction du PKK.

Le pouvoir du mouvement pour la liberté kurde, qui lui a permis de contourner et de surmonter la conspiration internationale de 20 ans à son encontre, ainsi que de surmonter tous les concepts d’annihilation qui furent lancés contre lui, repose sur sa confiance en son propre pouvoir et sa forte base sociétale.

Alors qu’il y a presque un an la modernité capitaliste personnifiée par la Turquie a attaqué les résultats démocratiques faits à Afrin, la société kurde passa à l’offensive pour briser l’isolation de la prison d’Imrali avec des implications ratissant très large: avec toutes les grèves de la faim entreprises en parallèle des manifestations civiles, la société kurde dit haut et clair:

“Oui au PKK et oui à Apo !” Avec cette détermination, la société kurde du nord de la Syrie et dans d’autres parties du Kurdistan ainsi que dans la diaspora, va confronter la menace des attaques turques sur le Fédération Démocratique du nord et de l’Est syrien.

 

Déclaration de solidarité de la Commune Internationaliste du Rojava aux Gilets Jaunes (vidéos et texte)

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Dans l’esprit de la création d’un Réseau de Résistance et de Rébellion International dont le souffle émane du Chiapas zapatiste mexicain, soutien du confédéraclisme démocratique, nous relayons avec grand plaisir cette déclaration de soutien au mouvement des Gilets Jaunes depuis les communes libres confédérées du Rojava dans le nord-syrien. Vous trouverez ci-dessous deux vidéos et le texte en français.

Nous sommes au courant des différents problèmes rencontrés par les populations kurdes vivant en confédéralisme démocratique dans le Nord de la Syrie, alors que certains groupes de leur population se sont vendus à l’impérialisme occidental. Nous ne soutenons en rien les organisations traîtres du “contrat social du Rojava”, mais continuons à soutenir le Confédéralisme Démocratique tel qu’envisagé par Abdullah Ocalan à la fin des années 1990 et dont la Commune Internationaliste est une des représentantes.

Le temps est venu pour une confédération des mouvements de communes libres autogérées, pratiquées au Chiapas, au Rojava et dont les Gilets Jaunes peuvent s’inspirer à l’instar des compagnon(e)s de Commercy dans la Meuse dont nous avons relayé l’appel à la Commune.

A bas l’État, à bas les institutions, à bas la société marchande, à bas l’argent et le salariat ! Pour une société des sociétés, confédération des Communes Libres.

Il n’y a pas de solutions au sein du système et ne saurait y en avoir !

Qu’on se le dise !

Fraternellement à toutes et tous.

Merci à Pierre Bance pour nous avoir communiqué les liens des vidéos.

~ Résistance 71 ~

 

Note aux Gilets Jaunes et à tous ceux intéressés: le site d’où émane la déclaration et la vidéo ci-dessous est multilingue et la plupart des informations sont traduites et publiées en français. Bonne lecture !

 

 

En solidarité avec les Gilets Juanes, déclaration de la Commune Internationaliste du Rojava

 

Commune Internationaliste du Rojava (CIR)

 

Décembre 2018

 

Source: 

http://internationalistcommune.com/en-solidarite-avec-le-gilet-jaunes-declaration-de-la-commune-internationaliste-de-rojava/

Le site en français:

http://internationalistcommune.com/category/lang-other/lang-fre/

 

 

 

Aux gilets jaunes, à celles et ceux qui manifestent, qui sont sur les barricades et blocages, qui occupent leurs lycées et leurs facs, qui sont en grève, qui s’organisent. Nous nous adressons à vous en tant que Commune Internationaliste depuis le Rojava, le Kurdistan de l’Ouest, au Nord de la Syrie.

Nous suivons avec attention depuis plus d’un mois la révolte populaire qui a lieu en France. Nous avons été impressionné.e.s, aussi bien par la détermination des manifestant-e-s que par le niveau de répression policière et étatique. Nous adressons notre solidarité à toutes celles et ceux qui en font les frais. Force à vous, votre résistance est populaire jusqu’ici, où tout le monde espère d’heureux développements, à l’heure où nous sommes ici menacées d’une nouvelle guerre par l’Etat turc.

La France a connu une longue histoire de résistances et soulèvements populaires, qu’on ne saurait réduire à la Révolution française et à Mai 68, mais dans laquelle s’inscrivent aussi les révoltes paysannes du Moyen-Age, toutes les résistances locales, régionales, d’indépendance contre la colonisation par l’état, les mouvements ouvriers, les luttes des travailleurs et travailleuses immigrées, celles des quartiers populaires, les milliers d’années de lutte incessante des femmes contre le système patriarcal.

La Commune de Paris, qui est un exemple de la possibilité de la prise du pouvoir par le peuple est aussi une inspiration majeure pour les révolutionnaires du monde entier.

Dans ce sens, l’appel de Commercy, que nous avons aussi relayé, a été pour nous une source d’espoir et l’un signe que le mouvement pouvait mener à cette « chose très importante, que partout le mouvement des gilets jaunes réclame sous diverses formes, bien au-delà du pouvoir d’achat ! », à ce « pouvoir au peuple, par le peuple, pour le peuple. »

C’est ce qui s’expérimente maintenant ici au Rojava, où les différents peuples s’organisent sans état-nation, à partir des assemblées démocratiques des communes, au sein d’un système appelé le confédéralisme démocratique.

Bien sûr, réorganiser une société, sans état, n’est pas une chose facile. Bien sûr cela demande du temps, de l’investissement, de la formation, mais cela peut aussi nous remplir de la joie la plus intense.

Il s’agit de retrouver la manière de vivre librement en tant que société. Des milliers de personnes se souviendront des jours passés sur les ronds-points, les routes, dans les rues, les lycées bloqués, comme des moments particulièrement important et significatifs. Les enfants en parleront pendant des mois. Pourquoi ? Parce que dans ces rassemblements, c’est la société qui surgit de nouveau. Les gens y (re)découvrent ce que cela signifie de vivre communalement.

Pour achever cela, il est plus que jamais nécessaire de briser une fois pour toute le mythe de l’Etat-nation, celui d’une fausse unité républicaine. Il faut abattre les frontières qui nous séparent bien sûr mais aussi retrouver la capacité de revendiquer des identités multiples, immigrées, de faire revivre nos cultures, nos langues « regionalisées ».

Il nous faut aussi, en tant que femmes, reprendre ce qui nous a été volé, faire entendre nos voix, prendre place dans tous les espaces de la société.

Il nous faut aussi construire un autre système économique, socialiste, contrôlé et géré par le peuple, sur la base d’une production coopérative, auto-gerée et écologique, débarrassée de l’exploitation des humain-e-s et de la nature.

Il nous faut enfin, en tant que jeunes, avec notre esprit de résistance, devenir les forces motrices d’un mouvement qui n’acceptera aucune compromission.

Tout le monde à compris que « gagner » ce mouvement ce n’est pas gagner de trompeuses augmentations du SMIC ni de réelles améliorations du pouvoir d’achat. Gagner, c’est dépasser le stade de la revendication et commencer, en s’appuyant sur les structures alternatives existantes, à construire un autre système, d’auto-gouvernement. Gagner c’est faire face aux contradictions. C’est essayer, se tromper, réessayer encore. C’est ne jamais perdre l’espoir que nous pouvons nous émanciper de l’état et des structures d’oppression existantes, que nous pouvons vivre libres.

Solidarité avec les gilets jaunes et toutes celles et ceux qui résistent, en France et partout dans le monde !

A bas le fascisme turc !

Bijî Berxwedana Frensa ! Bijî berxwedana Rojava !

Bijî Rêber Apo !

Jin Jiyan Azadî !

= = =

Lectures complémentaires:

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Pierre_Bance_Lheure_de_la_commune_des_communes_a_sonne

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Manifeste pour la Société des Sociétés

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

Compilation Howard Zinn

6ème_déclaration_forêt.lacandon

Appel au Socialisme Gustav Landauer

 

Résistance politique et changement de paradigme… Rojava kurde de l’intérieur: entretien avec deux anarchistes allemands

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A lire:

Notre dossier sur le Rojava et la révolution sociale kurde

« Le confédéralisme démocratique » (Abdullah Ocalan, 2011)

Un exemple de « Charte confédérative » (Michel Bakounine, 1895)

~ Résistance 71 ~

 

“Au sein de la révolution kurde”, entretien avec des anarchistes allemands

 

La Voie du Jaguar

 

11 juin 2017

 

url de l’article en français:

http://www.lavoiedujaguar.net/Au-sein-de-la-revolution-kurde 

 

Depuis leur victorieuse défense de Kobané contre Daech en 2014, le mouvement de résistance kurde — en particulier le YPG (la milice des hommes) et le YPJ (la milice des femmes) — a retenu l’attention des médias internationaux. Durant cette même période, leur expérience dans la constitution d’une société apatride dans les cantons autonomes du Rojava a fasciné les anarchistes à travers le monde. Cependant, afin de comprendre la résistance kurde du Rojava (Kurdistan de l’Ouest), il est nécessaire d’avoir une vision plus large des luttes pour la liberté et l’autonomie dans la région.

Compte rendu d’un entretien mené en 2015 en Allemagne avec deux membres d’un réseau anarchiste international qui ont passé du temps au Bakur (Kurdistan du Nord), leur permettant ainsi d’en apprendre plus sur les luttes se déroulant là-bas. Leur récit débute par un rappel historique sur l’émergence du mouvement kurde et du « nouveau modèle » adopté par le PKK au cours de la dernière décennie. Ensuite, ils décrivent en quoi leurs expériences au Kurdistan ont changé leur compréhension des luttes anarchistes en d’autres points du globe.

Pourriez-vous nous donner le contexte historique de l’émergence du mouvement kurde et décrire les luttes qui se déroulent aujourd’hui au Bakur (Kurdistan du Nord) ?

Eh bien, l’histoire commence il y a très longtemps avec des gens assis autour d’un feu en Haute Mésopotamie. Il y a environ quatre mille trois cents ans, une nouvelle structure sociétale commence à se mettre en place au Moyen-Orient, une forme très vigoureuse d’organisation sociale qui ébranle les anciennes structures communautaires en place : l’État des prêtres sumériens. Le processus historique ayant mené à la révolution du Rojava ne peut être compris sans la reconnaissance de la longue tradition de résistance et de soulèvements dans les régions kurdes se situant autour des chaînes montagneuses de Zagros et Tauros. Il s’agit probablement de la première région ayant été l’objet d’une colonisation par le système étatique, alors en formation et dont les racines se situent en Basse Mésopotamie (aujourd’hui le Nord-Irak, et qui est également l’ancêtre de l’État tel que nous le connaissons aujourd’hui en Occident). Le PKK et le mouvement kurde s’inscrivent dans cette longue tradition de résistance antigouvernementale et se définissent comme la 29e insurrection kurde dans l’histoire. Les régions kurdes se sont toujours trouvées aux abords d’empires puissants et ont été confrontées à des attaques par quasiment chacune des structures impériales qui ont émergé dans la région depuis quelques milliers d’années. Grâce au terrain montagneux et au mode d’organisation sociétale décentralisée adopté dans les villages par les Kurdes, ces régions n’ont jamais été totalement conquises ou assimilées. En conséquence, depuis des millénaires ils ont dû faire face à des efforts des puissances étrangères pour conquérir leur territoire et nommer des élites kurdes sous un mode féodal afin d’assurer l’obéissance et empêcher (ou tout du moins isoler) toute forme de rébellion.

Si nous avançons rapidement jusqu’au XXe siècle, nous voyons que ces dynamiques sont toujours d’actualité lorsque émerge le système d’États-nations. L’État turc a été fondé en 1923 à la suite de l’effondrement de l’Empire ottoman, lequel avait dirigé les territoires kurdes situés à l’est mais leur avait cependant accordé une indépendance culturelle et même politique. Durant la Première Guerre mondiale, les Ottomans s’étaient alliés avec les Empires centraux, établissant des liens politiques et idéologiques particuliers avec l’Allemagne, liens qui subsistent encore aujourd’hui. Après la défaite des Empires centraux et l’effondrement de l’Empire ottoman, les groupes nationalistes turcs ont combattu pour leur propre État. Depuis sa fondation, l’idéologie de ce nouvel État était de ce fait ultranationaliste. Ils ont proclamé la Turquie comme étant un État pour tous les Turcs et défini les personnes vivant à l’intérieur de ses frontières comme faisant partie de la grande nation turque, liant ainsi l’État à un sentiment de supériorité ethnique. En conséquence, toutes les personnes revendiquant une origine ethnique ou identité différente, que ce soient les Assyriens, les Arméniens, les Kurdes ou autres, étaient traitées comme des traitres et des terroristes séparatistes. Jusque dans les années 1990, le kurde et tout autre langage autre que le turc étaient officiellement interdits en Turquie — non seulement au niveau de l’appareil d’État mais également dans la sphère privée.

Nous faisons référence à toute cette histoire car il est important de comprendre l’âpreté des conditions dans lesquelles a été fondé le Partiya Karkeren Kurdistan (PKK), le Parti des travailleurs du Kurdistan. Le mouvement kurde contemporain est apparu lors de la révolte des jeunes de 1968 en Turquie, où le principe révolutionnaire se répandait par le biais des organisations socialistes, des étudiants radicaux, des travailleurs et des paysans. Dans les années 1970, un groupe d’amis kurdes et turcs s’est retrouvé à Ankara autour d’Abdullah Öcalan, de Kemal Pir, de Haki Karer et d’autres ; ces amis ont commencé à discuter de la question kurde au travers d’un prisme révolutionnaire. Une de leurs principales idées était que le Kurdistan était une colonie interne et devait être libérée de l’oppression coloniale afin d’y mettre en place l’utopie socialiste. Le PKK fut ainsi fondé en 1978 et il a été organisé autour de préceptes issus de la théorie marxiste-léniniste. Sous ce « vieux principe » comme ils l’appellent aujourd’hui, le PKK avait pour but d’établir une avancée politique et de commencer une guerre révolutionnaire afin de libérer les territoires kurdes et d’y établir un État kurde, lequel serait ensuite utilisé pour instaurer le socialisme.

Dans le climat fortement oppressant de la Turquie des années 1970, beaucoup n’attendaient que la possibilité de se battre pour une vie meilleure et la stratégie ainsi que la conviction du PKK se répandirent rapidement. En 1984, ils ont commencé une guérilla qui s’est transformée en une violente guerre civile. La guérilla s’est attiré un considérable soutien au sein de la société ; d’ailleurs dans beaucoup de régions il n’était pas possible de la séparer de la population dans son ensemble. En guise de réponse, l’armée turque, la police militaire ainsi que les services secrets ont mis en place des campagnes de représailles pour combattre les rebelles et intimider la population. Sous les auspices du programme anticommuniste « Gladio » supporté par l’OTAN, ils ont détruit quatre mille villages et tué plus de quarante mille personnes.

À la suite de ce bain de sang, le mouvement de libération kurde a commencé un processus de réflexion et d’autocritique au début des années 1990. En plus d’être confrontée à une violente répression menée par l’État et des groupes paramilitaires, la guérilla était minée par des problèmes internes, certains leaders du PKK se comportant comme des seigneurs de guerre avec une logique militaire fondée sur la vengeance sanguinaire. Il était devenu clair qu’une simple lutte militaire ne résoudrait rien. Le « vieux principe » avait mené à une guerre implacable et ne pourrait jamais répondre aux problèmes sociaux dans les territoires kurdes ni les défendre efficacement contre les menaces extérieures. Le PKK a déclaré unilatéralement un cessez-le-feu en 1993, mettant fin à la guerre civile afin de créer un espace au mouvement pour qu’il puisse formuler un nouveau concept amenant à une transformation sociétale. Le mouvement kurde a fait face à beaucoup de revers et de défis pendant ce processus de réflexion : efforts répétés de l’État turc pour provoquer des situations susceptibles de mener à une nouvelle guerre civile, kidnapping et emprisonnement du leader du PKK Abdullah Öcalan et ascension de partis kurdes avec un mode de fonctionnement de type féodal, tel que le clan Barzani au Nord-Irak. Malgré ces défis, entre 1993 et 2005, le mouvement kurde a développé ce qu’ils appellent aujourd’hui le « nouveau principe », lequel changerait profondément la stratégie et les objectifs du mouvement kurde.

Un souffle important vers un processus de changement interne est venu du mouvement des femmes kurdes. Des milliers de femmes ont rejoint les forces de la guérilla pendant la guerre civile. Souvent, elles se sont retrouvées en conflit avec des commandants démodés qui ont tenté de les maintenir dans des rôles sexuels traditionnels et de ne pas les traiter de manière égale. En réponse, elles ont établi des groupes de guérilla féminins complètement autonomes, ce qui était un acte tout à fait révolutionnaire dans leur contexte culturel. Elles ont repris le droit de combattre dans la bataille et se sont organisées par elles-mêmes, au sein du mouvement, mais en prenant leurs propres décisions de manière autonome. Comme nos amis nous ont dit, il y avait aussi une différence dans leur façon de combattre : dans les unités masculines ou mixtes, le comportement compétitif persistait, héritage de plusieurs générations de la société hiérarchique qui, à ce jour, constitue toujours un problème. La dynamique chez les combattantes était moins compétitive que parmi leurs collègues masculins ; nous pouvons voir des preuves à cet effet dans le nombre de combattants tombés au front. La plupart des victimes ont eu lieu lors de retours de mission, où l’attitude d’effronterie et de fierté victorieuse chez les combattants masculins était très courante. En revanche, dans les unités de femmes, leur vigilance tendait à être à plus long terme, et leurs combattantes se sont révélées être moins vulnérables en raison de cet excès de confiance potentiellement mortel.

En plus des unités militaires autonomes, les femmes kurdes ont également formé des comités sociaux et politiques pour discuter du problème de l’oppression patriarcale. Aujourd’hui, la tête dirigeante du mouvement des femmes est le Komalen Jinen Kurdistan (KJK), la Confédération des femmes au Kurdistan, qui fait partie du KCK, la confédération générale, mais prend des décisions de manière autonome. En outre, le mouvement des femmes maintient un droit de veto sur les décisions prises par des groupes d’hommes ou des assemblées générales. Sous leur influence, le mouvement kurde a contesté les schémas patriarcaux et hiérarchiques enchâssés depuis longtemps dans leurs modèles d’organisation.

Le processus de changement vers un nouveau paradigme a également été poussé de l’avant par une aile idéologique au sein du PKK formée autour de leur président Abdullah Öcalan, qui a avancé l’idée de confédéralisme démocratique après avoir entrepris une analyse historique approfondie du système hiérarchique du Moyen-Orient, voire au-delà de ce territoire. Il a souligné que les problèmes de pouvoir, d’oppression et de violence ont émergé du processus historique de civilisation lui-même, à commencer par les anciens États prêtres sumériens qui avaient précédé et qui, initialement, représentaient un défi pour l’adoption de formes plus égalitaires, souvent matriarcales, d’organisation sociale. Les problèmes d’oppression, de guerre et de quête du pouvoir sont liés à l’institutionnalisation des relations patriarcales dans les structures de l’État ainsi que dans le sacerdoce. Le système capitaliste, l’État-nation et l’industrialisme sont des concepts ayant évolué sur ces modes hiérarchiques et ayant été dominés par des modes de pensée masculine. Öcalan a également mis en relief les idées de l’anarchiste américain Murray Bookchin qui a réalisé une analyse du potentiel utopique du confédéralisme démocratique où il soulignait l’importance d’adopter un nouveau paradigme écologique, démocratique et libéré des rôles sexuels traditionnels. Au centre de la conception de ce « nouveau paradigme » du PKK se trouvait l’idée de communalisme, où chaque partie de la société devrait s’organiser et se rassembler dans une confédération communautaire décentralisée.

Inspiré par ce nouveau paradigme, le Komalen Ciwaken Kurdistan (KCK), la Confédération des sociétés du Kurdistan, a été fondée en 2005.On y retrouve, à sa base, un système de conseils dans les quartiers, les villages et les villes, servant de puissant contre-pouvoir civil afin de favoriser le développement de l’autonomie de l’État-nation et de l’économie capitaliste. Le KCK forme le noyau principal du système de conseils dans le Kurdistan, y compris les délégués de toutes les régions kurdes participantes. Ils élisent un organe exécutif dont le mandat est de travailler sur des questions importantes pour toutes les régions, comme la représentation diplomatique au niveau mondial, des propositions idéologiques et stratégiques et des questions de défense. Ils administrent également des Forces de défense populaires (HPG) comprenant les ailes armées de toutes les parties du mouvement. Au cours de la dernière décennie, malgré de lourdes conditions de répression et de guerre, le mouvement dans le nord du Kurdistan a créé des structures pour une société démocratique, écologique et libérée des rôles sexuels traditionnels.

Comme le KCK, qui englobe les structures de l’autonomie démocratique dans le Kurdistan, le Demokratik Toplum Kongresi (DTK), le Congrès de la société démocratique, comprend le système de conseils dans la région de Bakur, dans le nord du Kurdistan, qui tombe à l’intérieur des frontières de l’État-nation turc. La structure fédérée du DTK commence au plus bas niveau de village ou de voisinage soit le quartier, la ville et, finalement, la plus grande région de Bakur. Au plus haut niveau de la fédération, l’assemblée DTK, se situent des délégués révocables provenant de plus de cinq cents organisations de la société civile, de syndicats et de partis politiques, avec un quota de genre de quarante pour cent, de postes réservés aux minorités religieuses dans les assemblées, ainsi que d’un cosystème de sièges où un poste est réservé à un homme et l’autre à une femme. Dans la forme classique de base, les participants tentent de résoudre les problèmes locaux à un niveau local et c’est seulement s’ils n’arrivent pas à trouver de solution qu’ils se dirigent au niveau suivant. Les personnes non kurdes prennent part à certains des regroupements, y compris les membres des communautés azerbaïdjanaises et araméennes. En outre, les jeunes s’organisent d’eux-mêmes, à la fois à l’intérieur de ces structures et de façon parallèle, sous le slogan « Le capitalisme est un homme — nous sommes un mouvement créé des pouvoirs unifiés des femmes et des jeunes. » Ce sentiment souligne l’importance de la jeunesse et de l’organisation des femmes à surmonter les héritages enracinés de la hiérarchie dans la société kurde, mais reflète aussi la philosophie que la jeunesse n’est pas réellement une question d’âge, mais plutôt un état d’esprit très semblable au slogan zapatiste preguntando caminando, c’est-à-dire avancer tout en s’interrogeant.

Cette structure fédérée des assemblées et organisations civiles a été créée pour résoudre des problèmes communs et soutenir l’auto-organisation de l’ensemble de la population à travers des processus démocratiques partant de la base jusqu’au sommet. Ainsi, plutôt que d’être défini uniquement en termes d’ethnicité ou de territoire, le concept d’autonomie démocratique propose des structures locales et régionales à travers desquelles les différences culturelles peuvent être librement exprimées. En conséquence, il existe une variété haute en couleur d’organisations éducatives, culturelles et sociales et d’expériences d’économie de coopération qui se développent autour du Kurdistan du Nord. Il vaut la peine de mettre en évidence les commissions de médiation, qui visent à trouver un consensus entre les parties en conflit et donc une entente à long terme, plutôt que de reporter le problème par la punition. Cela conduit souvent à longues discussions, mais reflète aussi un concept de responsabilité collective dans lequel l’accusé ne devrait pas être exclu par des sanctions ou de la détention, mais devrait plutôt être mis au courant de l’injustice et du mal qu’a causés son comportement. Cela a rendu les tribunaux de l’État superflus dans de nombreux fiefs du mouvement de libération kurde. Parallèlement à ces commissions de médiation et d’autres conseils, on peut trouver des centres sociaux pour les jeunes et pour les femmes à tous les niveaux de la société, offrant des activités allant de cours de langue kurde et de séminaires politiques à des groupes de musique et de théâtre.

C’est dans ce contexte que nous devons comprendre le succès de la révolution en cours au Rojava. Le mouvement kurde peut jeter un regard sur quarante ans de lutte radicale, avec ses échecs, ses réflexions et ses avancées. Même si la formation de l’autonomie démocratique au Kurdistan du Nord s’est avérée être beaucoup plus chaotique, empêtrée avec les anciennes structures de l’État, et aux prises dans une guerre sociale et écologique plutôt que militaire, il n’en demeure pas moins qu’elle est largement comparable aux processus actuellement en cours au Rojava.

Une question que les anarchistes se sont posée à propos de cette lutte est de savoir à quel point la récente orientation antiautoritaire de la lutte kurde — incluant les structures de confédéralisme démocratique, les principes de la libération des femmes et ainsi de suite — est venue d’en haut vers le bas, à partir d’Abdullah Öcalan vers la direction du PKK. Il y aurait une contradiction apparente si une révolution antiautoritaire avait été dirigée d’en haut ! Quel est votre point de vue sur la relation entre l’idéologie des leaders de ces organisations et la transformation des rapports sociaux et des structures dans le Kurdistan ?

Voilà un point assez important, à propos duquel nous discutons beaucoup et qui, du moins en Allemagne, est lié à une certaine crainte découlant de mauvaises expériences dans les luttes révolutionnaires. Bien sûr, la question du leadership et de l’initiative est l’une des plus difficiles lorsque nous traitons de l’auto-organisation et c’est aussi difficile pour le mouvement kurde. Les vraies questions sont : comment peut-il y avoir un changement révolutionnaire radical dans la société ? Qui évalue la nécessité ? Qui prend les décisions au sujet de l’orientation ? La réponse doit être : tout le monde, pour tout, toujours. Peut-être que l’évolution du mouvement kurde et du PKK peut offrir un exemple utile, qui doit encore être pleinement compris dans le monde occidental. Öcalan et le PKK n’agissent pas simplement à partir d’un motif idéologique ou d’un système dogmatique fixes, comme la seule et unique vraie voie du marxisme-léninisme affirmée par les anciens États socialistes. Quand nous ne regardons pas au-delà de l’image et nous ne nous renseignons pas davantage, peut-être que l’image du socialisme révolutionnaire — leader barbu et sombre, guérillero désintéressé — nous trompe.

Ce que nous voyons dans le Kurdistan aujourd’hui, à la fois au Rojava et dans le nord, c’est une nouvelle démarche par laquelle l’ensemble de la société est en voie d’en arriver à un nouvel état de conscience. Si nous envisageons la persistance de l’État et de l’oppression patriarcale comme un problème de personnes qui demeurent inconscientes des possibilités de résistance, nous voyons l’importance de l’activation de la conscience de la société. Dans toutes les parties du Kurdistan où le mouvement de libération s’organise, nous retrouvons des comités de formation qu’ils appellent académies. Une académie peut prendre de nombreuses formes différentes, mais nous pouvons plus facilement le comprendre comme un espace collectif pour former une conscience commune. Certains pourraient être aussi simples qu’un groupe de discussion qui se réunit une fois par semaine, mais il y en a aussi de plus intensifs et à long terme, dans lesquels tous les militants participent (et au cours des dernières années tous les membres de la société qui veulent participer peuvent s’y joindre). Les académies sont toujours liées à d’autres organisations sociales ; les groupes de jeunes et le mouvement des femmes ont leurs propres académies, tandis que d’autres groupes organisent des académies générales pour tout le monde. Chacun de ces groupes souligne l’auto-émancipation, et dans ces institutions les propositions faites par Öcalan et le PKK sont discutées et critiquées intensément. Ces dirigeants ne sont pas les seuls à suggérer des propositions : chaque institution, chaque comité, et chaque individu peuvent propager leurs propres idées.

Cette pratique développée sur la base du processus d’éducation politique au sein de l’ancien PKK, où le standard pour chaque combattant militant et guérillero était de recevoir à la fois une formation militaire et idéologique. Le nouveau paradigme ayant émergé, il est devenu clair que l’objectif était non seulement de créer une avant-garde philosophique bien éduquée comme dans l’ancien système-cadre du léninisme, mais aussi de libérer la conscience de littéralement chaque personne prenant part dans le processus de formation de la nouvelle société. Ceux qui veulent s’auto-organiser ont à réfléchir sur leur relation avec le monde, ce qui signifie un approfondissement de leur démarche d’exploration philosophique.

Une méthode souvent utilisée dans ces académies est ce que nous pourrions appeler l’analyse associative. Lors de l’étude d’un certain sujet, chacun le propose à ses propres associations, par le biais d’un processus où chaque personne partage ses impressions et ses expériences, tandis que d’autres écoutent attentivement et s’efforcent de comprendre la personne, un consensus pouvant alors être formé. Sur un plan théorique, cette approche altère la possibilité d’« objectivité » et met en place une forme de subjectivités multiples. Lorsque vous identifiez votre propre position face à une certaine thèse, incluant à la fois votre propre volonté d’agir ainsi que les craintes qui surgissent en vous, alors ce qui est nécessaire deviendra plus clair sur le plan stratégique.

Aujourd’hui, le rôle et la position des militants du PKK et du PAJK (le parti des femmes) ont changé par rapport aux années 1980 et 1990. Leur image de soi s’est accrue de façon à être plus près de ce que nous pouvons envisager comme une personnalité de militante anarchiste : luttant pour leur autodétermination et une aide mutuelle. Sous l’ancien paradigme, le militant avait besoin d’être désintéressé et de faire preuve d’abnégation. Bien que cette conception ne soit pas totalement disparue, elle est en train de changer et les discussions au sein du mouvement rejettent les dichotomies et soutiennent, à la fois, la lutte pour une démarche individuelle d’autotransformation ainsi que pour la beauté et la force collectives. Comme la conception du rôle des militants a changé, ils ont rejeté l’idée dépassée de devenir une avant-garde. Au lieu de cela, ils se limitent à vivre sous la forme d’une vie ascétique et laïque bien organisée, fondée sur l’idée que la lutte pour nos amis et pour la révolution est la meilleure façon dont une vie peut être vécue.

Quelles leçons avez-vous tirées de votre temps passé au Kurdistan pour les luttes radicales en Allemagne et au-delà de ses frontières ?

Tout d’abord, mon engagement avec le mouvement de libération kurde, comme lutte historique et société dans la rébellion, m’a effectivement rendu possible de croire à nouveau, non seulement que ce monde est absolument inacceptable, mais aussi en la possibilité de se battre pour un autre monde. Je voudrais appeler cette reconquête le pouvoir de l’imagination, qui a déclenché un énorme sentiment de motivation mais aussi un certain sentiment de gravité chez beaucoup de nos amis. Il est abasourdissant de voir la grande conscience collective dans la société kurde.

En jetant un regard en arrière sur la vie métropolitaine occidentale, il semble évident que le patriarcat et le capitalisme se sont propagés dans chaque sphère de nos vies. Je pense que nous avons fait d’énormes bonds dans la compréhension de notre propre histoire et de la société, à travers la discussion avec nos amis du mouvement de la jeunesse kurde. En particulier, l’accent mis sur la philosophie et la perception de soi a clairement fait ressortir à quel point nous, anarchistes ou gauche radicale, sommes entravés par le moralisme. Nous avons appris à fonder nos actions sur ces notions de bon/mauvais, vrai/faux, et la culpabilité/pitié qu’on nous a serinés par le biais de la religion et du monde universitaire et de la théorie, plutôt que sur nos attachements communs réels et éthiques ainsi que nos amitiés. Pour démarrer la démarche nous permettant de nous libérer, nous avons à surmonter la personnalité libérale bourgeoise et le comportement capitaliste et à vaincre l’état interne suscité par cette mentalité.

En revanche, en Allemagne et plus largement dans l’Ouest, nous sommes confrontés à l’individualisme et au libéralisme intériorisés, non seulement dans la société en général, mais aussi au sein de notre « scène » politique — une scène ayant une tendance générale vers des modes de vie nihilistes et des politiques fondées sur l’identité. Dans mon observation, la plupart des militants de notre scène politique, ainsi que la majorité des jeunes libéraux, accordent une priorité absolue à la « liberté » de l’individu, suivant simplement les penchants qui leur viennent, dans un environnement où tout est autorisé. En même temps, il y a un sentiment de soumission et donc une acceptation d’un environnement immuable prédéterminé. Cela conduit souvent, d’une part, à un sentiment de paralysie pessimiste, de désespoir et de dépression et, d’autre part, à un réenracinement de la culpabilité — alimentée à même les identités découlant des structures de pouvoir qu’ils critiquent (blanc, classe moyenne, privilégiée) et la submersion dans diverses formes de scènes de vie commercialisées (punk, hardcore, gauche radicale, « anarchiste »)… qui tous deux mènent et découlent de cet individualisme omniprésent. Je pense qu’il pourrait être intéressant d’analyser l’impact des rébellions de la jeunesse de 1968, car il a donné un énorme souffle à ce développement. Nous sommes confrontés à des masses de gens autour de nous qui blâment l’inconscience de la société, des politiciens, des flics, ou des épouvantails fascistes, mais qui ont totalement perdu leur emprise sur la réalité ainsi que sur leurs propres responsabilités et agenda. Au lieu de cela, la plupart d’entre nous continuons à vivre le mythe libéral de la réussite économique et de la retraite, fuyant dans les études, le travail, les loisirs, l’activisme politique privatisé, les vacances, les partis, les médicaments, la consommation, le suicide !

La ligne est mince entre la conception occidentale de l’anarchisme et le libéralisme. Bien que les anarchistes classiques comme Emma Goldman aient reconnu l’importance de la liberté positive, « la liberté pour », le libéralisme met l’accent sur la liberté négative, ou la « liberté de », l’idée que les gens sont libres dans la mesure où ils ne sont pas contraints par des lois et des règlements. Cette compréhension de la liberté se glisse facilement dans la philosophie de l’individualisme, de la propriété privée, et du capitalisme, niant complètement la relation dialectique entre l’individu et la société, et le fait que les êtres humains ont toujours vécu dans des communautés en tant qu’individus sociaux, liés par des règles et des valeurs communes. Nous pensons que les valeurs humaines sont déterminées socialement et que les règles et les règlements sociaux pour les défendre ne représentent pas de restrictions à une certaine liberté préexistante, mais font partie des conditions d’une vie libre, qui doit inclure les libertés individuelle et collective. Comme un contre-exemple à la « liberté » libérale des anarchistes des scènes de la gauche radicale de l’Ouest, il convient de mentionner que le mouvement de la jeunesse kurde est sérieusement en lutte stricte contre l’utilisation et l’abus de drogues, parce que l’État turc essaie clairement de détruire le mouvement non seulement avec des gaz lacrymogènes et des arrestations, mais aussi avec tous les moyens disponibles de contre-insurrection modernes, y compris le soutien au trafic de drogues et à la prostitution. Nous pensons qu’il doit y avoir une réflexion collective sur la façon dont le consumérisme, l’individualisme et d’autres formes de libéralisme agissent comme fonctions de contre-insurrection et de savoir à quel point nous les avons intériorisées dans nos mentalités et nos comportements. Nous avons besoin d’organiser une autodéfense contre les attaques de ces idéologies capitalistes qui nous réduisent à rien de plus que des consommateurs et des entrepreneurs/travailleurs indépendants piégés.

Contrairement à ces illusions libérales, nos expériences avec des camarades dans le mouvement kurde nous ont donné une perspective sur l’importance de résoudre cette polarisation de l’Ouest entre l’individu et la société, en mettant l’accent sur les valeurs et l’éthique collectives plutôt que des points de vue politiques et identitaires. Inspirés par l’exemple du mouvement kurde, je pense que nous devrions étudier et récupérer notre histoire dans le cadre du processus d’élaboration de la conscience de soi pour résoudre le dilemme de l’Ouest, auquel nous sommes confrontés. Grâce à la critique de la civilisation et à l’analyse de notre patrimoine communal et démocratique, nous pouvons développer la conscience historique et la confiance dans ce que nous faisons. Abdullah Öcalan a essayé, dans ses écrits en prison, de se plonger assez profondément dans le contexte historique de la lutte des Kurdes, de façon à avoir l’occasion de le comparer à des expériences antérieures de luttes révolutionnaires. Plusieurs membres du PKK ressortent aujourd’hui cette histoire pour réaliser une réflexion critique sur leur idéologie et leurs stratégies, l’intégrant dans leur processus d’autoquestionnement et de création de leur propre philosophie de libération — qui est peut-être une mythologie révolutionnaire.

En même temps, cela ne signifie pas de se laisser aller à la nostalgie. Au lieu de cela, il faut nous inspirer de la force rénovatrice de la jeunesse, de toujours aller de l’avant tout en questionnant. Ne soyez pas effrayé par l’autodéveloppement ; soyez ouvert à la critique et apprenez de ses erreurs et de celles des autres. Laissez le processus de changement révolutionnaire commencer par vous-même. Peut-être est-ce aussi une bonne chose dont les anarchistes européens doivent se rappeler : le processus révolutionnaire n’est jamais quelque chose en dehors de vous ; il doit être identique à votre propre progrès vers la liberté, pour que vous deveniez une partie symbiotique d’une société libre. Je pense que chaque militant anarchiste devrait accepter notre responsabilité historique ainsi que la possibilité de recueillir et d’agencer notre pouvoir collectif afin de construire et défendre une société fondée sur la créativité, la diversité et l’autonomie. Mais cela signifie que nous avons à vivre selon la façon dont nous pensons et dont nous parlons. Donc, nous devons balayer nos idées libérales dans la poubelle de l’histoire. Seulement alors, serons-nous en mesure d’aller au-delà d’un accord théorique commun et d’être en mesure de « tout changer », comme vous dites !

Le lien entre les anarchistes ou gauche radicale et la lutte de libération kurde semble être fort en Allemagne, avec beaucoup d’anarchistes actifs dans les efforts de solidarité et qui s’inspirent grandement du Rojava et d’ailleurs dans le Kurdistan. Pouvez-vous parler de l’histoire de ces liens de solidarité ? Quelles seraient certaines des formes concrètes que cette solidarité ait pu prendre ?

Dans un premier temps, des groupes de solidarité ont émergé du mouvement des squats en Allemagne. Depuis les années 1990, des camarades allemands ont rejoint la lutte de la guérilla. Certains d’entre eux sont morts à la guerre, comme Shehid Ronahi (Andrea Wolf). Elle devait disparaître car elle était persécutée par l’État allemand pour ses actions dans la Fraction armée rouge, elle avait rejoint les rangs du PKK et elle avait combattu en tant qu’internationaliste. Plusieurs militants allemands ont aussi rejoint la lutte kurde armée et il y a donc des camarades, plus âgés, qui peuvent partager leurs expériences et réfléchir sur les erreurs qui ont été faites à cette époque. Dans les années 1990, il y avait beaucoup de problèmes, provenant des deux côtés, entre la gauche allemande et le mouvement kurde. D’une part, le PKK était encore ancré dans l’ancien paradigme et fortement axé sur la lutte au Kurdistan, à l’exclusion de tout le reste, ce qui faisait en sorte qu’il était difficile d’établir une vraie relation d’amitié. D’autre part, les Allemands ont maintenu nos modèles classiques de maintien à distance, critiquant sans comprendre, et démontrant l’arrogance de la métropole. Lorsque Öcalan a été arrêté et que le mouvement a eu à lutter durement pour survivre, cette solidarité ténue s’est fracturée.

Heureusement, comme le nouveau paradigme a commencé à émerger, un nouveau processus d’apprentissage a débuté, même s’il prenait forme très lentement et timidement depuis longtemps. Certains camarades allemands ont à nouveau visité le Kurdistan et été en contact avec des organisations de la diaspora, tandis que d’autres ont rejoint la lutte de la guérilla. Le PKK se perçoit lui-même comme internationaliste et il considère le fait que les liens internationaux soient renforcés comme étant d’une très grande valeur pour toutes les parties. Il a toujours été difficile de s’organiser avec les communautés kurdes dans la diaspora et, honnêtement, cela demeure un gros problème à ce jour. Bien qu’il y ait beaucoup de Kurdes vivant en Europe, les liens entre eux et d’autres radicaux européens ne sont pas très forts. Plusieurs raisons l’expliquent : l’une d’elles est le fait que la société allemande est très raciste et que beaucoup de communautés de migrants s’organisent seulement parmi leur propre peuple, comme une sorte de mécanisme d’autodéfense. De plus, le nationalisme tend à être plus fort chez les Kurdes de la diaspora, et la société de la diaspora est encore souvent organisée le long des lignes féodales. Dans les années 1990, il y avait des manifestations communes, et aujourd’hui les Allemands et les groupes kurdes marchent encore une fois à nouveau ensemble. Par contre, au niveau de l’auto-organisation commune, nous demeurons encore faibles.

Après l’attaque de l’année dernière de Shengal et le siège de Kobané, l’attention fut aussitôt ravivée et l’ensemble de la scène radicale de l’Allemagne a réagi. Depuis, les choses ont commencé à bouger lentement, de plus en plus de gens ont essayé de retrouver leur voie en retournant au Rojava et certains se sont joints aux rangs de la GPJ/YPJ.

Quelles suggestions feriez-vous aux anarchistes de partout ailleurs sur la façon d’apprendre et de faire preuve de solidarité avec la lutte pour la libération kurde ?

Nous pensons que les anarchistes doivent envisager la lutte de la libération kurde comme leur propre lutte, comme une lutte internationaliste. Le fait d’apprécier les camarades du Kurdistan peut nous aider à outrepasser les illusions libérales dont nous avons discuté. Il doit y avoir une reconnaissance, une conscience de responsabilité sur le dilemme du Moyen-Orient. L’ouverture d’esprit et la volonté de s’engager philosophiquement et théoriquement avec l’idéologie du mouvement est important, de sorte que nous pouvons exprimer ces possibilités dans de nombreuses langues et couleurs. Ce qui exige que nous soutenions aussi la lutte pour les questions de communication, qui peut être l’une des nombreuses façons de la soutenir sur le plan technique. En outre, il y a toujours eu une chaleureuse invitation à se rendre effectivement au Kurdistan pour apprendre, critiquer et affiner ses idées sur l’organisation locale et internationale. Comme nos amis kurdes l’ont souligné à plusieurs reprises, c’est finalement à ceux d’entre nous qui vivent dans les métropoles occidentales de construire nos propres mouvements révolutionnaires — il s’agit du plus grand soutien que nous puissions leur donner, car c’est une occasion de défense mutuelle. D’aussi loin que nous ayons pu l’entendre, l’aide pratique est nécessaire sur plusieurs thèmes : la connaissance de l’ingénierie, des trucs médicaux et de toutes sortes de choses pratiques peut s’avérer être utile.

Pouvez-vous nous faire une mise à jour sur la récente vague de répression antikurde par l’État qui se déroule en Turquie ? Comment le mouvement kurde répond-il à cette violence ?

Actuellement, nous sommes dans une situation d’escalade. En réponse à la lourde défaite électorale de son parti aux élections législatives du 7 juin 2015, le président turc, Erdogan, a déclaré la guerre à la population kurde et a donc mis fin au processus de paix, engagé par Öcalan en 2013. Depuis le massacre qui a coûté la vie à trente-quatre jeunes radicaux kurdes et turcs dans la ville frontalière de Suruç, sur le chemin pour Kobané, à la fin du mois de juillet, il y a eu des milliers d’arrestations et de bombardements des camps de la guérilla du PKK, à la fois dans Bakur (Kurdistan du Nord / sud-est de la Turquie) et dans les territoires du Medya défense dans Bashur (Kurdistan du Sud / nord de l’Irak). Le conflit militaire est en hausse, avec de nombreux militants et des civils abattus par l’État, alors que les attaques, pogroms contre les Kurdes et d’autres mouvements sociaux ont eu lieu, pendant des semaines, dans le nord du Kurdistan et dans toute la Turquie. Plus récemment, l’armée turque a assiégé la ville de Cizre pendant une semaine, tandis que les ultranationalistes turcs ont attaqué les Kurdes et les bureaux de la HDP (un parti politique kurde) dans tout le pays. Beaucoup de magasins kurdes ont été incendiés par les partisans de l’AKP, Parti de la justice et du développement conservateur de M. Erdogan, ainsi que par des membres d’organisations fascistes comme les Loups gris, l’organisation de jeunesse fasciste du Parti du mouvement nationaliste. Des attaques similaires contre les Kurdes et les autres opposants à la guerre ont eu lieu en Europe ces derniers jours et, alors que l’État allemand garde le silence sur ces attaques par des nationalistes turcs, des militants kurdes ont été criminalisés et arrêtés.

Dans le visage de cette violence, le mouvement a développé un modèle appelé la théorie de la légitime défense ou la théorie de la rose. C’est une métaphore fondée sur l’idée que chaque être vivant doit défendre sa propre beauté qui lutte pour survivre. Tous les êtres doivent créer des méthodes d’autodéfense en fonction de leur propre façon de vivre, en grandissant et en se liant avec d’autres et, où l’on ne vise pas à détruire son ennemi, mais plutôt à l’obliger à changer son intention de passer à l’attaque. Les guérilleros discutent de cela comme d’une stratégie défensive au sens militaire, mais ils travaillent également à d’autres échelles. Dans son essence, nous pouvons l’envisager comme une méthode d’auto-émancipation. Pendant longtemps, les guérilleros du PKK n’ont rien fait, prenant pour acquis que l’État turc poursuivrait les négociations, parce qu’ils savaient qu’ils ne pouvaient pas les vaincre militairement. Si vous êtes assez fort et suivez votre chemin, la violence ne sera pas nécessaire ; cela devient tout simplement une question d’organisation. Cette compréhension de l’autodéfense fait également partie du nouveau paradigme.

Étant donné le contexte géopolitique complexe de la lutte des Kurdes, pris entre différents États hostiles et forces armées, que pensez-vous que cela prenne pour qu’une révolution antiautoritaire s’enracine véritablement et soit la dernière dans la région ?

Eh bien, comme nous l’avons appris de l’étude d’autres révolutions à travers l’histoire : la seule occasion de durer pour une révolution est de se propager, d’élargir ses horizons et de surmonter toutes les frontières établies destinées à la contenir. Comme nos camarades kurdes l’expliquent, il y a deux piliers de la lutte révolutionnaire. Le premier et le plus important est le processus de construction de l’autonomie démocratique ; il réfère à la simple question sur la façon dont nous voulons vivre, sur la façon d’organiser nos vies quotidiennes. À l’heure actuelle, il est difficile de mettre l’emphase sur cette question, parce que toute la région est mise à feu et prise dans la guerre. Voilà pourquoi le second pilier est l’autodéfense par tous les moyens nécessaires. Les deux sont essentiels et doivent être appliqués à différents niveaux. Les soulèvements révolutionnaires à travers l’histoire, en Europe et ailleurs, où l’un ou l’autre de ces piliers a été négligé, ont été inévitablement vaincus.

Il est vraiment important de renforcer la position révolutionnaire dans le Kurdistan, non seulement militairement, mais aussi par l’élaboration de la communication avec des camarades du monde entier. Comme le soulèvement révolutionnaire en Turquie et le soutien au sein de l’Occident se développent, il y a moins de possibilités pour d’autres puissances régionales d’attaquer le mouvement kurde. En outre, afin élargir notre propre perspective, nous devons reconnaître l’énorme potentiel que l’expérience de ce mouvement nous offre. Depuis le début, ils se sont organisés au sein d’une situation qui était plus désespérée que la nôtre et, pourtant, ils ont réussi. Je dirais que c’est, d’une certaine manière, le fait de traiter avec un danger concret qui les rendait si forts. En outre, il serait tout à fait productif d’échanger des expériences. Les méthodes et outils de mouvements anarchistes de l’Ouest sont très créatifs et pourraient offrir beaucoup de soutien sur les questions spécifiques d’auto-organisation.

Nous retrouvons au Moyen-Orient, à l’heure actuelle, une étrange situation d’équilibre relatif de puissances, avec le Rojava positionné dans l’œil du cyclone. C’est la grande vision de la politique de l’islam sunnite, poussé de l’avant principalement par les gouvernements de la Turquie et de l’Arabie Saoudite. On y retrouve aussi les États chiites de l’Iran, l’Irak et les restes du régime Assad en Syrie. Enfin, il y a l’OTAN, duquel la Turquie est membre et où elle affirme ses propres intérêts. Au centre, nous y retrouvons aussi l’État islamique (Daech), une armée de zombies qui ne peut plus être contrôlée par personne, même si elle a probablement été créée et soutenue pour écraser la résistance kurde et le régime de Damas. Donc, dans cette situation chaotique, le Rojava est encore nécessaire pour l’OTAN, par exemple, parce qu’il est la seule option locale fiable qui soit en mesure d’infliger une défaite à Daech. Alors oui, le Rojava est en quelque sorte coincé entre toutes ces puissances militaires. Par contre, comme nous l’avons appris dans le cadre de nombreuses révolutions, la guerre n’est pas simplement une question de mathématiques. Elle est plus liée à une certaine façon de combattre et à une question de conscience. Nous devrions en tirer des leçons.

Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par cette « façon de combattre », ou forme spécifique de conscience dans la lutte armée, qui fait le caractère distinctif de la résistance kurde ?

Permettez-moi de partager une histoire qu’un ami m’a racontée une fois. Il a pris part à la guerre dans les monts Qandil en 2011. À cette époque, il y avait une alliance pragmatique entre la Turquie et l’Iran : les deux avaient un problème avec le mouvement kurde et avaient peur des possibilités militaires dont disposait la guérilla. Qandil forme l’extrémité sud des territoires de défense Mediya, les montagnes contrôlées par la guérilla dans les régions frontalières de l’Iran, de l’Irak et de la Turquie. Il m’a raconté une situation où un millier et demi de pasdaran, les régiments d’infanterie de l’Iran, ont tenté de prendre d’assaut la colline où les guérilleros se cachaient. Il y avait seulement une trentaine de camarades qui défendaient leur montagne. Il a expliqué que ce que l’armée iranienne a tenté d’utiliser contre eux étaient seulement leurs balles et leur crainte de la punition par ses dirigeants. Ils couraient aveuglément vers le sommet et ont été défaits. Ils n’avaient aucune conviction, aucune énergie, aucune amitié entre eux. D’autre part, m’a-t-il dit, quand ses camarades ont défendu leur position, ils n’ont pas simplement utilisé leurs armes. Ils se battaient pour leurs villages pillés, pour leurs familles brisées, gardant à l’esprit leurs amis tombés et ayant conscience que l’armée qui les attaquait ferait brûler les montagnes et les forêts derrière eux et détruirait la nature de leurs terres. Ils se sont battus pour ceux qui étaient trop faibles pour se tenir seuls, pour tous les membres de la société qui se tenaient derrière eux et les soutenaient en retour. Peut-être est-ce difficile à comprendre si vous ne le ressentez pas vous-même. Leur énergie a été soutenue par une longue lignée d’amis, par l’oppression historique connue, par une protection mutuelle — un amour pour la vie et la conviction de croire en eux-mêmes.

Toutes ces choses vous viennent en premier, dit-il, quand vous êtes assis à côté de vos amis dans votre position de garde et que vous élevez vos armes pour vous défendre : votre confiance en vos camarades, votre gratitude pour ceux qui croient en une société libre vivant dans les vallées et qui cultivent les jardins et vous nourrissent, votre tristesse à propos des horreurs que l’État a fait subir à vos amis et à vos familles. Et à la fin, il y a la balle que vous tirez sur celles qui viennent dans votre direction. Comment pourraient-ils éventuellement gagner, a-t-il demandé en souriant.

Même le combattant qui, objectivement, est plus faible peut produire une grande force, si elle se bat pour son propre bien et pour ceux à qui appartient son cœur, sans être poussée dans une direction ou par une idéologie ou encore d’être pressée de faire quelque chose qu’elle ne veut pas faire. Ceux qui se battent pour leur société et les relations symbiotiques qu’ils ont protégées et nourries entre eux sauront toujours vaincre les méthodes conventionnelles fondées sur la destruction ou sur des intérêts et stratégies hégémoniques fondées sur l’hostilité. Il m’a rappelé les mots que des amis philosophiques de l’Ouest avaient déjà dits une fois : la réalité reliée à vos propres désirs a une signification révolutionnaire. Si vous savez vraiment ce pour quoi vous vous battez, si vous percevez les éléments essentiels de la situation dans laquelle vous vous trouvez, vous pouvez le relier à votre volonté de vivre, ce qui vous donnera une beauté même au-delà de la mort. Cette guérilla m’a appris qu’ils se considèrent eux-mêmes comme les gardiens de la vie, en utilisant leurs propres capacités pour protéger la vie de leur société. Cela m’a beaucoup impressionné.

Il pose aussi la question : d’où va venir l’énergie révolutionnaire pour l’Occident ? Nous comprenons à peine notre propre situation, pressés par des décisions pragmatiques fondées sur un système de dépendances complexe. Peut-être cela est-ce la leçon que nous devons apprendre pour nous-mêmes : quelle est la réalité de notre situation commune que nous devons comprendre pour commencer ? C’est la raison même pour laquelle aucune autre armée en ce moment ne peut repousser les forces de Daech en Syrie. En défendant Kobané, les GPJ/YPJ ont fondé leur défense sur cette même conscience. Personne ne pouvait croire qu’ils libéreraient leur ville ; cela va au-delà du rationalisme. C’est fondé plus sur la foi en vous-même et sur la conviction en votre propre énergie révolutionnaire, qui évolue à partir de votre désir de vivre. C’est cette chose qui été presque évacuée hors de vous si vous avez été élevé dans le capitalisme occidental.

Un autre ami a ajouté que si vous voulez vraiment créer une nouvelle société fondée sur des relations non oppressives, vous essayez de construire quelque chose qui n’existe pas encore. Un quelque chose qui fait partie d’un nouveau monde, d’un autre monde. Comment pourriez-vous comprendre de façon rationnelle, à partir de votre point de vue aujourd’hui ? Ce n’est pas écrit dans les livres. Vous auriez besoin de devenir fou pour outrepasser le statu quo ; vous devez être convaincu par votre fantaisie et par votre désir. Voilà votre problème en Europe, a-t-il conclu : vous avez oublié comment faire cela.

Rojava (kurde) et Chiapas (zapatiste), deux lueurs émancipatrices à soutenir et à faire connaître….

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Analyse intéressante et lucide de Pierre Bance qui met en relief les difficultés (géo)politiques de ces deux ateliers émancipatoires. A lire en complément pour mieux comprendre de quoi il retourne, ces deux textes fondateurs de ces îlots émancipateurs mondiaux, format PDF:

Ces deux textes sont importants car ils définissent un certain cadre politique de fonctionnement et on peut s’y référer pour analyser ce qui a été fait ou non sur le terrain. Ce ne sont pas des textes rigides, mais des suggestions pratiques ciblées. 

~ Résistance 71 ~

 

Rojava et Chiapas deux lueurs d’émancipation dans un monde halluciné

 

Pierre Bance

 

22 mars 2017

 

url de l’article:

 

http://www.autrefutur.net/Rojava-et-Chiapas-deux-lueurs-d-emancipation-dans-un-monde-hallucine

 

Dans le cadre de la Semaine anticoloniale et antiraciste, s’est tenu à Paris, le 11 mars 2017, un débat sur les expériences comparées des zapatistes et des Kurdes à l’initiative du collectif « Sortir du colonialisme ». Le texte ci-dessous n’en est pas le compte rendu mais la mise en forme des notes préparatoires de l’auteur qui s’est aidé des travaux sur le Chiapas d’un autre intervenant, Jérôme Baschet.

De cette comparaison, il ressort que si les zapatistes du Chiapas se sont résolument inscrits dans un projet de démocratie directe, au Rojava, le processus est plus compliqué. Semble se dessiner un type de démocratie participative au risque de contrarier l’ambition de construire une société sans État.

L’autonomie, au sens révolutionnaire, est la volonté et la capacité d’une communauté de s’organiser et de s’autogouverner sur un territoire restreint, la commune, qui, fédérée à d’autres communes, forme la commune des communes. Cette idée, ancienne, de supprimer la séparation entre gouvernants et gouvernés, de s’éloigner de tout pouvoir autoritaire étatique, patriarcal ou autre, traverse l’épopée zapatiste comme la dynamique kurde.

Les Indiens du Mexique comme les Kurdes de Turquie et de Syrie ont conscience qu’ils ne luttent pas seulement pour leur émancipation, mais pour celle de tous les peuples de l’humanité. Aussi, ne nous demandent-ils pas de sanctifier leurs actions et réalisations, mais de profiter de leur expérience pour construire notre propre autonomie à partir de notre histoire et du contexte dans lequel nous vivons.

Aperçu géopolitique

Avant que l’autonomie ne devienne la finalité politique, c’est une lutte de libération nationale qu’entreprirent les deux peuples pour sortir de leur statut colonial. Ils la commencèrent sous la bannière du marxisme-léninisme. Sous l’impulsion de leurs leaders, le sous-commandant Marcos et Abdullah Öcalan, qui ne faisaient qu’exprimer un questionnement profond, se révélèrent l’impasse de la construction d’un État-nation comme la dangerosité du marxisme-léninisme pour édifier une société émancipée. En Amérique centrale et en Mésopotamie se mirent en route, à l’orée du siècle, deux mouvements d’émancipation par le communalisme, sur un territoire a peu près égal à celui de la Belgique, mais avec une population plus importante au Rojava (4 millions d’habitants) qu’au Chiapas (quelques centaines de milliers),

Dans les deux cas l’environnement est hostile.
Au Chiapas, la guerre fut courte. La résistance perdure néanmoins pour se prémunir des provocations, menaces et interventions du gouvernement national ou régional et des capitalistes. Aussi, de la confrontation avec des organisations paysannes rivales.
Au Rojava, la guerre est totale. Contre les djihadistes, le régime de Bachar al-Assad, les opposants à ce régime et pour finir les envahisseurs turcs. Également contre une opposition interne soutenue par le Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak, allié des Turcs.

L’un et l’autre sont pauvres. Encore le Rojava a-t-il des ressources pétrolières et agricoles potentielles dont l’exploitation locale a été rendue difficile par le colonisateur syrien. Par contre, les deux territoires ont une sociologie différente. 
Le Chiapas présente une identité ethnique, les Indiens, et religieuses, la chrétienté. 
Le Rojava est une mosaïque de peuples (Kurdes, Arabes, Chaldéens, Syriaques, Turkmènes, Arméniens, Caucasiens) et de religions (musulmans et chrétiens de diverses obédiences). Le premier acte des révolutionnaires kurdes sera de proclamer l’égalité de tous les peuples et de toutes les religions en précisant, pour ces dernières, qu’elles appartiennent au domaine privé.

Institutions de l’autonomie

Le Chiapas ne se revendique pas d’une idéologie déterminée, il construit son système politique en avançant sur le chemin de l’autonomie. 
Le Rojava, lui, se réfère directement au confédéralisme démocratique pensé par Abdullah Öcalan, lui-même inspiré par le municipalisme libertaire du philosophe américain Murray Bookchin, père de l’écologie sociale.

L’autonomie a-t-elle besoin d’une constitution, de lois ? C’est toute la question du droit en anarchie qui conduit à rechercher des normes non-étatiques de gouvernement, c’est-à-dire des normes d’autogouvernement et pour mieux dire encore, d’autogestion politique et économique.

Si l’organisation de la société civile fondée sur la commune présente la même structuration au Chiapas et au Rojava, dans ce derniers pays subsiste un proto-État. Le Chiapas est divisé en cinq zones autonomes et 27 communes, le Rojava en trois cantons autonomes et une vingtaine de municipalités dont 12 au Jazira (Cizîrê), le plus grand des cantons.

Au Chiapas, à la base, est la communauté (ou village) organisée avec une assemblée communautaire et des agents communautaires. Les communautés se fédèrent en communes avec un conseil municipal formé de délégués élus pour deux ou trois ans. Les communes autonomes envoient des représentants à l’assemblée générale de zone laquelle désigne un conseil de bon gouvernement chargé de la coordination de la mise en œuvre des décisions collectives relatives à la gestion des ressources, l’éducation, la santé, la justice, etc. 
Au niveau de la zone, les mandats sont de courte durée, la rotation des charges assurant la liaison permanente avec les communes. Un va-et-vient constant s’établit entre le conseil de bon gouvernement, l’assemblée générale de zone et les communautés et communes avant toute décision. Le processus de ratification peut prendre du temps. En l’absence de consensus, la décision est mise au vote, la position minoritaire n’étant pas écartée mais conservée pour, éventuellement, compléter ou remplacer le choix majoritaire qui se révélerait inadéquat. Tous les délégués doivent strictement respecter leur mandat et consulter la base s’ils ne s’estiment pas mandatés sur la question soulevée. Ils sont révocables et non rémunérés.
 Ainsi, peut-on parler d’une société sans État, d’une démocratie directe où le législatif et l’exécutif sont fondus dans les assemblées générales des autonomies et dans le conseil de bon gouvernement qui n’est justement pas un gouvernement. Sans constitution ni corpus de lois mais plutôt avec un droit coutumier en perpétuelle élaboration, les zapatistes recherchent la meilleure manière de faire fonctionner l’autonomie.

Au Rojava, les communes autonomes qui correspondent aux communautés du Chiapas se fédèrent en district puis en municipalités, ces dernières sont l’équivalent des communes du Chiapas. Par exemple, la municipalité de la grande ville du Jazira, Qamislo, est composée de 6 districts et 108 communes. Au niveau municipal, est formé un conseil populaire composé des présidents et co-présidents des districts et de conseillers élus qui sont en majorité. Cette organisation en trois niveaux est empruntée au projet du Mouvement de la société démocratique (TEV-DEM) lequel assure, aujourd’hui, les services publics de la santé, de l’éducation, des transports, etc.
Comme au Chiapas on retrouve des modalités de mandatement avec rotation des tâches, mandat précis et révocation instantanée (ad nutum). Dans toutes les assemblées générales, tous les conseils et comités, toutes les délégations, l’égalité entre les hommes et les femmes est assurée alors qu’au Chiapas, les acteurs de l’autonomie ont conscience que la place des femmes est insuffisante dans les processus de décision et les modes de représentation.
 Parallèlement à l’autonomie communale existe une structure proto-étatique contenu dans une constitution d’un type particulier appelée Charte du contrat social du Rojava. L’organisation mise en place dans chacun des cantons est directement inspirée de la démocratie des Lumières avec la séparation des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire préconisée par Montesquieu. Le nom même de « contrat social » est une référence à Jean-Jacques Rousseau. Chaque canton du Rojava possède donc :
– Un conseil législatif qui fait les lois. Il est en principe élu au suffrage universel mais à cause de la guerre, les « députés » dans les cantons de Jazira et de Kobane sont actuellement désignés par les organisations de la société civile de manière à respecter la représentation de toutes les tendances politiques, ethniques et religieuses et l’équilibre homme-femme. Le TEV-DEM ayant sa propre représentation, mais minoritaire.
– Un conseil exécutif et un gouverneur chargés de faire appliquer les lois.
– Une justice indépendante du législatif et de l’exécutif.
 On ajoutera à cela une Cour suprême constitutionnelle pour veiller au respect de la Charte et un Conseil judiciaire pour garantir l’indépendance de la justice. 
Cette survivance d’un législatif et d’un exécutif est en contradiction avec l’idée d’autonomie. Il ne suffit pas renommer le système « Auto-administration démocratique » parce que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ne feraient qu’exécuter les décisions venues d’en bas, pour qu’il en soit ainsi dans les faits. D’ailleurs, quel gouvernement n’avance-t-il pas la souveraineté du peuple pour justifier son pouvoir ?
 La Charte du Rojava, dans le contexte proche-oriental, n’en est pas moins un texte novateur en ce sens qu’elle affirme la volonté de construire l’autonomie démocratique, le principe d’égalité entre les hommes et les femmes et entre toutes les ethnies, la nécessité d’un développement durable et qu’elle condamne l’autoritarisme, le militarisme, le centralisme et l’intervention des autorités religieuses dans les affaires publiques. La structuration politique qu’elle institue est bien celle d’un État avec son gouvernement sauf à considérer que cet État et ce gouvernement sont des institutions provisoires aux pouvoirs limités au strict nécessaire pour coordonner le canton pendant la situation conflictuelle, et organiser les premiers pas de la nation démocratique quand la paix sera revenue. Alors, cet État fonctionnel se dissoudra progressivement et naturellement dans la société civile. Hélas, l’histoire ne nous donne que des exemples contrariant une telle intention. La Commune de Paris crée un comité de salut public, le gouvernement bolchévique écrase les soviets, et les anarchistes entrent au gouvernement républicain pendant la guerre d’Espagne. Faudra-t-il alors, si les autorités proto-étatiques n’ont pas elles-mêmes programmées leur disparition que, comme prévu dans le confédéralisme démocratique d’Abdullah Öcalan, les communes autonomes se substituent à l’État et éliminent définitivement les institutions de la démocratie parlementaire ? On peut se demander si c’est le chemin que prend le projet de Fédération démocratique de la Syrie du Nord.

Parce que la coordination des trois cantons s’est révélée défaillante, parce qu’il fallait intégrer les régions libérées de l’État islamique dans l’ensemble de l’autonomie démocratique, les autorités du Rojava décident, fin 2015, d’engager un processus d’étude et de consultation qui aboutira à une première assemblée constituante les 17 et 18 mars 2016. Celle-ci lance le chantier d’élaboration d’une charte constitutionnelle pour la Fédération de la Syrie du Nord-Rojava puisqu’il s’agit de fédérer les trois cantons et de nouveaux territoires libérés ou en voie de l’être avec vocation de s’étendre à toute la Syrie. Là encore est organisée une consultation tant des populations concernées que de personnes qualifiées (universitaires, intellectuels, artistes…). Une deuxième assemblée constituante s’est tenue du 27 au 29 novembre 2016. Les 165 délégués ont adopté un projet de Fédération démocratique de la Syrie du Nord (DFNS), le mot Rojava a disparu pour marquer qu’il ne s’agit pas d’une ambition essentiellement kurde mais ouverte aux autres communautés, notamment la population arabe. Que penser de la représentativité des délégués de cette assemblée notamment de celle des 22 partis politiques participants ? En janvier 2017, est constitué un conseil exécutif coprésidé par une Kurde et un chrétien.
 Le projet de nouvelle charte affirme, comme dans la Charte du Rojava, l’ensemble des droits et libertés civils et politiques : égalité des sexes et des ethnies, liberté religieuse et laïcité, liberté d’opinion et de réunions, libération des femmes et des jeunes du patriarcat… sans oublier le droit de propriété. Le projet refonde la structure politique sans, apparemment, se référer au confédéralisme démocratique, ce que ne fait pas non plus la Charte du Rojava. Les communes, districts et municipalités sont intégrés au système. Simple mise en conformité ou limite à l’autonomie ? Au niveau supérieur, le canton change d’appellation et devient la région. Toutes les régions seront représentées dans un conseil populaire démocratique. Chacun des cinq niveaux de décision se dotera d’un conseil exécutif et de commissions indépendantes sur les questions économiques, sociales et culturelles (femmes, jeunesse, économie, écologie, etc.). Les assemblées de ces cinq niveaux seront composés pour 60 % de membres élus et pour 40 % de délégués de la société civile (associations sociales, coopératives, organisations professionnelles, groupes de défense des droits de l’homme ou communautés religieuses). Comme dans la Charte du Rojava sera garanti un quota minimum de représentation de 40 % pour chacun des deux sexes. La structure constitutionnelle est donc prête pour être mise en place, mais elle ne l’est pas encore ne serait-ce qu’en raison de la difficulté d’organiser des élections régionales et fédérales.
Comme qualifier ce système politique ? Bien qu’une majorité de délégués soient élus, nous ne sommes plus dans une pure démocratie représentative. Pour autant, l’existence d’un conseil législatif et d’un conseil exécutif écarte la qualification de démocratie directe telle que celle du Chiapas. La nouvelle auto-administration démocratique sera un type de démocratie participative, ce qui n’est déjà pas mal au regard de ce qui existe au Proche-Orient et, probablement, de toutes les constitutions en vigueur dans le monde. Pouvait-il en être autrement ? Peut-être pas, mais on reste encore loin du confédéralisme démocratique. Il n’est ni écrit ni dit que ce système ne soit qu’une étape préalable à la société sans État. Reste encore à savoir quelle sera la répartition des pouvoirs entre chacun des échelons de la fédération et quel sera le statut des délégués, notamment des « députés » du conseil législatif fédéral. Les assemblées communales et municipales jouiront-elles d’une totale autonomie comme entendue dans un cadre municipaliste ? Le conseil exécutif fédéral sera-t-il un gouvernement classique ou un organe de coordination fonctionnel c’est-à-dire assurant les missions qui ne peuvent l’être à des niveaux inférieurs ? Et, dans l’esprit même du projet émancipateur, quelle sera la participation effective de la population à la démocratie ? Sera-t-elle autre que de mettre un bulletin de vote dans l’urne ?

Les interférences politico-militaires

Deux personnalités dominent le théâtre politique du Chiapas et du Rojava. Le sous-commandant Marcos a su médiatiser, avec un talent tout personnel, la lutte des Indiens sans donner l’impression d’en être le chef. Il n’est qu’un « sous-commandant » anonyme. Abdullah Öcalan est, par contre, le leader incontesté du Mouvement kurde, un chef sans pouvoirs directs puisque emprisonné depuis 1999. On s’étonne en Occident du culte de la personnalité dont bénéficie Öcalan à la différence de Marcos. Sans entrer dans un débat sans fin, soulignons que sa personne scelle l’unité et la lutte du peuple kurde, porte l’espoir de la libération et, mais cela ne plaît à tout le monde, symbolise la société libertaire à venir.

Au Chiapas comme au Rojava, s’insinue dans le jeu de l’autonomie et, pour ce qui est du Rojava, des institutions constitutionnelles, un tuteur : l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) à la fois armée et parti ; le Parti de l’Union démocratique (PYD) qui contrôle les Unités de protection du peuple (YPG-YPJ).

Aux dires même des zapatistes, l’EZLN n’est pas démocratique puisque c’est une armée. Mais comme elle a mis en place le système de l’autonomie et assure sa pérennité, l’organisation politico-militaire jouit d’une forte influence morale et se laisse parfois aller à des intrusions dans le jeu de l’autonomie malgré l’interdiction du cumul d’une fonction de commandement dans l’EZLN et d’une charge dans l’autonomie.

La même observation pourrait être faite pour le PYD. S’agissant des milices des YPG, les questions de leur militarisation voire de leur militarisme sont évidemment sensibles, spécialement pour les libertaires. Peut-on faire l’économie d’une discipline militaire en temps de guerre ? Celle-ci et toutes ses contraintes placent le PYD comme au-dessus d’un système qui lui doit son originalité et sa survie. Il serait contraire à l’esprit des chartes de TEV-DEM et du Rojava que le parti « noyaute » les institutions publiques ou civiles. Toutefois, comme au Chiapas les membres de l’EZLN, les militants du PYD sont aussi des acteurs en première ligne pour la promotion de l’autonomie et l’acceptation de charges. Autrement, comment expliquer que la fonction de ministre des Affaires étrangères ou celle d’ambassadeur itinérant du Rojava soit, de fait, assurée par le co-président du PYD, Saleh Muslim, même s’il n’est pas question de mettre en doute son dévouement et son honnêteté politique ?

Composer avec les frontières étatiques

Les Indiens du Chiapas comme les Kurdes de Syrie ne demandent pas leur indépendance, mais l’autonomie, le droit de se gouverner eux-mêmes dans un cadre fédéraliste, au sein des frontières du Mexique et le la Syrie.

Au Chiapas, si l’État n’est pas dedans bien que tentant d’y entrer en faisant, par exemple, du chantage aux programmes d’aide sociale, il est tout autour. Toujours menaçant. Il n’en faut pas moins composer avec lui et notamment avec les autorités officielles qui partagent le même territoire pour régler tant les questions communes que les conflits entre communautés.

Au Rojava, le fédéralisme est présenté comme une solution de paix pour résoudre la crise syrienne en particulier et proche-orientale en général. L’idée chemine mais davantage vers un fédéralisme étatique qui n’a rien à voir avec le confédéralisme démocratique ou le municipalisme libertaire (voir ci-dessus le projet de Fédération démocratique de la Syrie du Nord). Pour l’immédiat, l’État syrien n’a pas totalement disparu au Rojava. Deux exemples. Tout le monde sait que la Syrie rémunère des fonctionnaires du Rojava, ce qui est considéré comme normal par les autorités locales puisque ces fonctionnaires remplissent des missions publiques et que le Rojava est partie intégrante de la Syrie. Second exemple, il reste des poches de l’administration étatique, ainsi à Qamislo, la justice d’État et la justice du consensus de l’autonomie démocratique demeurent en concurrence.

À la différence du Chiapas qui, au niveau international, recherche une solidarité internationale militante, le Rojava met d’avantage l’accent sur sa reconnaissance par les États étrangers, les institutions internationales, les partis établis et les personnalités de la social-démocratie ou de la démocratie libérale. La situation militaire n’est évidemment pas étrangère à cette démarche qui est aussi une explication diplomatique, mais non la seule, de la survivance d’un État au Rojava.

Composer avec le capitalisme

Dans les zones autonomes du Chiapas, les collectivités autogérées remplacent l’entreprise privée et le monde marchand tel que le comprend le consommateur occidental a disparu. Mais le Chiapas n’est pas en mesure de vivre en autarcie, il doit s’arranger avec le capitalisme à ses portes pour ses besoins vitaux notamment en matériel domestique, agricole ou autre, pour aussi écouler ses modestes productions.

Au Rojava, il est clair que le capitalisme pas plus que la propriété privée des moyens de production ne sont abolis. La livre syrienne continue d’avoir cours légal. L’auto-administration démocratique assure, avec beaucoup d’entraves dues aux embargos des gouvernements turc et kurde d’Irak, les échanges internationaux et organise, s’il le faut, le marché noir. Elle fait même appel aux investissements internationaux. Sans succès. Dans la théorie du municipalisme libertaire comme dans celle du confédéralisme démocratique, au même titre que la société civile va progressivement se substituer à l’État, l’économie sociale emmenée par les coopératives va subvertir le capitalisme. Ce sera long. Risqué donc puisque le temps joue en faveur du couple fusionnel Capital-État.

À noter, dans les deux pays, un souci écologique pour assurer un développement durable et se prémunir des méfaits d’une production agricole et industrielle non maîtrisée.

Perspectives

Les défis des révolutionnaires du Chiapas comme du Rojava sont grands. Seront-ils relevés ? Il est des questions récurrentes. Pourquoi l’expérience du Chiapas qui a maintenant plus de vingt ans ne s’est pas répandu au Mexique et ailleurs ? Pourquoi l’expérience du Rojava, dont la proposition politique est novatrice, n’intéresse pas au-delà de petits cercles militants ?

Restons optimistes. Partout dans le monde se manifestent des initiatives pour vivre et produire autrement. Partout, les mises en gardes aux pouvoirs politiques corrompus se multiplient. Il ne reste plus qu’à nous organiser comme l’ont fait les habitants du Chiapas et de la Syrie du Nord, puis d’aller, avec eux, plus loin en nous fédérant pour effacer de l’avenir du monde l’État et le capitalisme. Difficile mais pas impossible parce que la Commune ne meurt jamais !