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Confédéralisme Démocratique : Excellent entretien avec des membres de Tekosina Anarsist / Lutte Anarchiste du Rojava… Analyse, compte-rendu de terrain et perspective pour une révolution sociale prise entre le marteau et l’enclume (1ère partie)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, documentaire, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , on 24 octobre 2020 by Résistance 71

Un entretien particulièrement bien vu et utile  car il permet d’évaluer beaucoup mieux la situation interne au Rojava qui n’est, comme nous l’avons souvent répété, ni blanche ni noire, mais possède une énorme variété de paramètres à prendre en considération. Nous n’avons que peu d’information filtrant de la région et de la situation réelle de terrain au-delà de toutes les propagandes possibles des entités impliquées conflictuerllement ou pseudo-conflictuellement dans la zone. Il est donc difficile de comprendre tous les tenants et aboutissements du terrain. Cet entretien est une véritable torche qui éclaire une bonne partie de la situation, ce depuis 2011.

Le mouvement Tekosina Anarsist (TA) ou “Lutte Anarchiste” a été créé à l’automne 2017 au Rojava, il y a donc trois ans. Ce mouvement est international et est essentiellement une unité médicale de combat qui dispense à la fois des soins dans les zones de combat et forme des équipes médicales pour les unités kurdes du Rojava. L’an dernier, un membre italien de TA, Lorenzo Orsetti, a été tué dans les zones de combat du Rojava.

Cet entretien repositionne historiquement la lutte pour le Confédéralisme Démocratique dans cette région du monde et partout ailleurs, comme le préconise Abdullah Ocalan dans son manifeste pour le Confédéralisme Démocratique (CD) de 2011, qui n’a pas grand chose à voir avec le “Contrat Social du Rojava” pondu en 2016 et régissant le Rojava comme un proto-état à l’inverse du CD qui invoque l’abolition de l’État et des institutions. C’est donc avec un immense plaisir que nous avons traduit cet entretien, qui répond à bien des questions et des spéculations. Nous remercions les intervenants de cet éclairage si nécessaire.

~ Résistance 71 ~

“Chaque orage commence avec une simple goutte de pluie. Sois cette goutte !”
(devise du Tekosîna Anarsîst)

Tekosîna Anarsîst / Rojava

Un an après l’invasion turque du Rojava : un entretien avec des membres du Tekosîna Anarsîst sur la participation anarchiste dans l’expérience révolutionnaire de la Syrie du Nord-Est [1/2]

CrimethInc

Octobre 2020

url de l’article original :
https://crimethinc.com/2020/10/11/one-year-since-the-turkish-invasion-of-rojava-an-interview-with-tekosina-anarsist-on-anarchist-participation-in-the-revolutionary-experiment-in-northeast-syria

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

1ère partie
2ème partie

Il y a un an, avec la bénédiction de Donald Trump, les forces militaires turques ont envahi le Rojava, cherchant à procéder à un nettoyage ethnique afin de réarranger de force la région, commettant de nombreuses exécutions sommaires et déplaçants des centaines de milliers de personnes. Depuis 2012, la région autonome du Rojava est l’hôte d’une expérience multi-ethnique d’auto-détermination politique et d’émancipation féminine tout en combattant Daesh / EIIL. Des anarchistes ont participé à la résistance à l’invasion et à l’occupation turque, certains dans des équipes médicales de combat en Syrie et d’autres comme membres d’une campagne de solidarité internationale. Jusqu’à aujourd’hui, les forces turques continuent d’occuper une bande de territoire en Syrie, mais elles ont été bloquées dans leur conquête de la région complète.
Des anarchistes du monde entier ont été impliqués dans l’expérience du Rojava depuis bien des années, rejoignant les rangs des YPJ ou des YPG (les Unités de Protection du Peuple) lors de la défense de la province et de la ville de Kobané contre l’EIIL, formant plus tard leurs propres organisations, incluant les Forces de Guerilla Populaires Révolutionnaires Internationales (FGPRI) et plus récemment en 2017, le Tekoşîna Anarşîst (Lutte Anarchiste ou TA). Dans l’entretien extensif qui s’ensuit, plusieurs participants au TA comparent leurs expériences dans le combat contre Daesh et contre la Turquie, explorent ce qu’il s’est passé en Syrie depuis l’invasion [turque], évaluent l’efficacité des interventions anarchistes au Rojava et discutent de ce que les gens du monde entier peuvent apprendre des luttes se déroulant dans cette région.
Ceci constitue un document historique très important qui tire sa source de plusieurs années d’expérience de terrain et de réflexion. Pour les anarchistes qui s’opposent à toutes formes de hiérarchie et de force coercitive centralisée, la mise en place et la création des organisations armées d’auto-défense posent toute une série de question épineuses. Alors que l’entretien qui s’ensuit ne répond pas définitivement à toutes ces questions possibles, il est éclairant et informatif pour toute discussion concernant ces sujets.
~ CrimethInc ~

—Que s’est-il passé depuis l’attaque du Rojava par la Turquie en Octobre 2019 ?

Garzan: Nous avons discuté préalablement de la crise humanitaire qui a suivi l’occupation turque. Depuis cette invasion, le Rojava a vécu la plus longue période de temps sans une ligne de front active. Il y a toujours des opérations anti-Daesh et ses cellules dormantes à Deir Ezzor et occasionnellement des attaques turques à Aïn Issa, Manbij et Til Temir, mais les FDS ou “Forces Démocratiques Syriennes”, la structure parapluie des forces militaires combattant pour défendre la zone autonome auto-administrée du Nord-Est de la Syrie, prennent ce temps pour se préparer contre la prochaine attaque majeure turque. Les académies militaires entrainent de nouvelles forces, les villes proches de la ligne de front préparent leurs systèmes de défense. Les corps diplomatiques de l’auto-administration travaillent pour parvenir à un accord avec différentes forces dans en en dehors de la Syrie, poussant pour des solutions politiques, parce que cette révolution recherche la paix, mais sait aussi qu’elle doit être prête pour faire la guerre.

Mazlum: L’incursion militaire de la Turquie et de ses suppléants dans le nord-est syrien est un processus qui continue jusqu’à aujourd’hui. L’attaque de cette région implique toutes les bombes et roquettes qui se sont abattues sur les maisons des gens, toutes les cultures céréalières qui ont été brûlées et tous ces gens qui ont été tués y compris nos camarades ainsi qu’un grand nombre d’enfants, chaque balle qui a été tirée sur cette terre, chaque maison perdue, et tous ces gens qui sont maintenant des réfugiés dans leur propre pays ; mais tout ceci n’est qu’une partie de ce qui se passe. L’état turc mène aussi un type de guerre spécialisé dans le domaine de l’information et de la propagande, du renseignement et de l’espionnage, limitant la liberté des femmes, bloquant les accès à l’eau et d’autres ressources essentielles, éradiquant la culture, sabotant l’économie et mettant en péril l’écologie. La Turquie joue une diplomatie de guerre sur une très grande échelle.

Par exemple, après avoir capturé Serêkaniye en 2020, la Turquie a transformé le seul cimetière des FDS de la ville, là où des combattants ayant combattus Daesh ont été enterrés, en une base militaire pour les factions djihadistes de la SNA. Ceci pour montrer comment cette guerre est menée.

Imaginez une grand ligne de front, très intense. Puis imaginez l’équivalent de cela se situant chaque jour dans toutes les sphères de la vie, sauf celle de lutter physiquement avec des armes. C’est ce qu’il s’est passé depuis le début de l’invasion en 2018 à Afrin et maintenant après la prise de la ville de Serêkaniye en 2019. L’invasion n’a jamais cessé. Cette une guerre de basse intensité dans laquelle la tension demeure constante mais où il n’y a que très rarement des clashes et des combats. Le plus grand des évènements prend place à un niveau différent, mettre en place les conditions politiques dans la région et préparer la voie pour las prochaine offensive militaire.

Botan: Il y a aussi eu les histoires avec les prisonniers de Daesh, les émeutes de prison et les évasions. L’auto-administration ne reçoit que très peu de soutien pour gérer ces prisonniers de Daesh de manière judiciaire. Elle continue d’avoir la responsabilité de s’en occuper tout en préparant la défense contre la prochaine agression turque. La Turquie a aussi ciblé les révolutionnaires au moyen d’attaques par drones dans des zones civiles, par exemple, l’assassinat de trois femmes de l’Étoile de Kongra à Kobané en juin.

—Comment est-ce que l’invasion turque et le COVID19 ont affecté la vie des gens au Rojava ?

Garzan: La première vague COVID de mars a infecté moins de 50 personnes, grâce à la fois à la réponse préventive de l’auto-administration et aussi à l’embargo qui a rendu très difficile de voyager. Malheureusement il y a eu une seconde contamination en septembre qui a commencé depuis l’aéroport de Qamislo, contrôlé par l’état syrien et qui s’est étendue à toutes les villes principales du nord de la Syrie. Nous avons quelques 1800 cas connus et 70 morts, mais il est possible que le chiffre soit supérieur car nous manquons de facilités médicales. L’auto-administration fut proactive au début, interdisant les voyages entre les villes et encourageant le port de masques. Il y a aussi eu un couvre-feu pour les magasins et les endroits publics, sauf pour les magasins d’alimentation et les pharmacies, qui n’étaient autorisés à ouvrir que quelques heures dans la matinée. De manière générale, les gens prirent plus au sérieux ce virus lors de la seconde contamination, mais après des années de guerre, i est difficile de faire prendre au sérieux quelque chose qu’on ne voit pas. Les mesures de distanciation sociale ont peu de prise sur une société si fondamentalement axée sur la communauté et à partager la vie ensemble.

Vous pouvez lire des discussions plus détaillées sur la question de la part de volontaires médicaux internationalistes sur la façon dont le nord-est syrien gère la pandémie du coronavirus. Il y a des mises à jour régulières sur le  Rojava Information Center.

—Décrivez la différence entre combattre l’EIIL / Daesh et la Turquie. Quels sont les différents défis, tactiquement, politiquement et aussi émotionnellement ?

Garzan: La différence la plus évidente est la technologie militaire utilisée par l’ennemi. Daesh combattait avec des armes légères et de la petite artillerie ; ils se spécialisaient dans les voitures piégées, les attaques suicides et des Engins Explosifs Improvisés (EEI) très bien faits. L’état turc lui, combat avec des milices, par procuration, qui ont des chars et du soutien aérien au moyen d’avions de combat et de drones. Il y a très peu de soldats turcs sur les lignes de front, mais sur le terrain, l’ennemie est le même qu’auparavant. Il a été très bien documenté le fait que les combattants de Daesh mettent le drapeau noir de l’état islamique au rancard et sortent les bannières rouges de l’état turc. Ils ont maintenant le soutien total d’une armée qui fait partie de l’OTAN. Ceci nous a forcé à changer de tactique, comment nous bougeons, comment nous défendons à la fois nos forces militaires et les civils. Les lignes de front ne sont plus les tranchées où se formèrent les YPG/YPJ, ni non plus les zones de désert que les FDS ont libérées de Daesh. Maintenant, la ligne de front est partout où les avions turcs et les drones peuvent voler.

C’est aussi un gros défi politiquement. Quand nous combattions Daesh, tout le monde savait que ceci était un combat pour l’humanité, afin de stopper une sorte de fascisme théocratique qui utilisait la torture brutale et les exécutions publiques comme propagande. Mais maintenant que la Turquie continue ce que Daesh n’a pas pu finir, les défis sont bien plus gros. Non seulement les forces turques ont une technologie bien plus avancée que celle de Daesh, mais leur guerre politique et médiatique est bien plus forte, ce qui force les FDS et l’auto-administration à faire de plus gros efforts dans les relations diplomatiques avec les autres puissances afin de défendre le territoire libéré. Maintenir des relations diplomatiques veut aussi dire forger un narratif que d’autres forces puissent soutenir parce que si l’auto-administration parle ouvertement de l’horizon révolutionnaire et de Confédéralisme Démocratique, c’est à dire, de dépasser le cadre des états-nations et de mettre à bas le capitalisme et le patriarcat, il sera alors facile pour Erdogan d’obtenir le feu vet des autres puissances pour balayer le territoire libéré.

Şahîn: Il y a un risque accru pour les internationaux, particulièrement ceux qui combattent sur le front avec des armes. Plusieurs états qui ne poursuivaient pas leurs “citoyens” pour être venus ou venir ici pour combattre Daesh, ont changé leur politique ou arrêté de regarder ailleurs et poursuivent maintenant judiciairement ceux qui retournent. Et pas seulement les combattants. Ceci ne devrait en rien affecter la décision de venir, mais il est important de bien comprendre les risques et les positions dans lesquelles on peut se trouver afin de les minimiser au maximum tout en ne diminuant en rien notre volonté de lutter.

Une autre différence, et pour moi celle-ci fut énorme, est émotionnelle. Les dernières années contre Daesh, nous étions à l’offensive, nous étions le camp libérateur. Aussi dangereux que l’ennemi fut, il y avait une façon de combattre. Se battre contre la Turquie, nous étions sur la défensive, dans des situations où parfois la ligne de front était derrière nous et nous ne pouvions pas vraiment savoir comment les choses allaient se passer. Il est important de comprendre qu’il y aura encore des marches en avant, que nous allons continuer à défendre cette terre et à récupérer ce qui a été perdu. Mais dans cette réalité, le processus fait payer certaines factures. C’est un des pires tests mental qu’on puisse se voir infliger. Mais si nous ne pouvons pas percevoir la possibilité de la victoire, alors on ne peut jamais gagner. C’est à dire que nous devons y croire fortement et être plus malins afin d’identifier le talon d’Achille de l’ennemi. Il peut être bien caché, mais ce serait une grave erreur que de penser et de dire que simplement parce qu’ils sont plus gros et plus forts, ils doivent être imbattables.

Mazlum: Le défi émotionnel en ce qui me concerne et l’application d’une discipline militaire dans des situations où les vies de personnes furent directement menacées et où nous pouvions les aider. Pourtant, par ordre de la chaîne de commandement, nous ne pouvions pas le faire, faire ce que nous considérions comme nécessaire en accord avec notre propre jugement. Il y a eu beaucoup de situations comme celle-là. Par exemple une fois, nous avons appris que plusieurs camarades avaient été touchés par une attaque de drone quelques kilomètres plus loin sur la route. Nous savions qu’ils étaient blessés mais toujours en vie. Nous savions également que le drone tournait toujours autour de la zone, en attente que des équipes de secours arrivent pour aider les blessés et les tirer comme des lapins. Pour cette raison, un ordre strict fut émis de ne bouger sous aucun prétexte et nous pouvions parfaitement comprendre cet ordre après avoir été les témoins de camarades tués en pareille circonstance pour ne pas avoir respecté une certaine discipline et qui s’étaient déplacés au moment où on leur avait dit de ne pas bouger quelques soient les circonstances.

En même temps, nous savions que nos camarades étaient en train de saigner et que souvent la différence entre la vie et la mort est matière de quelques secondes en de telles circonstances. Calculant froidement, nous savions que le choix était de laisser quelques camarades certainement mourir et envoyer une unité médicale de combat à leur secours, qui serait plus que certainement bombardée et aussi tuée. En de tels moments, on ne peut qu’imaginer ce qui se passe dans la tête de nos camarades blessés et ce que vous ressentiriez si vous étiez là-bas, allongés en train de saigner et brûlés, cloués au sol, réalisant que vous êtes utilisés comme un piège. Ceci est une situation tactique et psychologique avec laquelle nous avons à faire face. Cette stratégie est sciemment utilisée par l’armée turque, capitalisant sur l’impact psychologique des attaques aériennes et de la surveillance des drones armés de missiles.

Les FDS ont déjà fait l’expérience de tout ça en 2016-17 dans des combats autour d’Al-Bab, lorsque la Turquie a utilisé un drone de surveillance et des frappes aériennes. Lors de la guerre contre Daesh, nous pouvions voir les positions des djihadistes frappées depuis les airs. Maintenant nous sommes les cibles froidement observées par les opérateurs entraînés de drones de la seconde plus grosse armée de l’OTAN.


Communes Libres du Rojava

—Comment la relation entre l’auto-administration et les Etats-Unis a t’elle changé cette année écoulée ? Que paraissent être les priorités des Etats-Unis dans la région ?

Şahîn: On pouvait rencontrer les militaires américains lorsque nous étions au front contre Daesh, dans les hôpitaux de terrain, sur les points d’artillerie et dans le soutien aérien. Ceci ne se passe plus sur le front contre la Turquie. La Turquie a commencé son offensive quelques jours après que Trump ait annoncé le retrait américain de Syrie. Ceci fut une mise en scène : Les Etats-Unis ne laisseraient pas si facilement les champs de pétrole et ils ne l’ont pas fait. dans les mois qui ont précédé l’invasion turque, les Etats-Uns se sont positionnés comme négociateur, faisant différents arrangements avec les FDS et la Turquie au prétexte d’assurer une “solution pacifique”. A la fin, frustrant bien des gens, les FDS ont coopéré, abandonnant plusieurs positions défensives, retirant toute arme lourde sur une bande de 30km de la frontière turque, diminuant le nombre de militaires dans les check points frontaliers et laissant les véhicules militaire turcs patrouiller la zone libérée avec les véhicules américains.

Tout ça n’avait pas d’importance. Trump a pris sa décision à l’emporte pièce. Finalement, toutes ces étapes n’ont fait qu’affaiblir la défense et rendu la tache plus facile à Erdogan et à ses milices par procuration d’envahir la zone.

Pas tout le monde en Syrie du nord-est est un révolutionnaire. Certains ont vu les Etats-Unis comme une force positive considérant qu’ils aidèrent à chasser Daesh et étaient du côté des “camarades du Rojava”, qui représentent une véritable alternative au régime de Bachar Al Assad, à l’EIIL / Daesh ou à l’Armée Libre Syrienne (ALS), soutenue par la Turquie, les groupes djihadistes aussi soutenus par la Turquie dans l’occupation du nord de la Syrie. Après cette trahison, tout le monde dans la région a compris l’autre tranchant de cette double épée qu’est la politique américaine. Au travers de cette société, des sentiments de méfiance devinrent rapidement apparents.

Les FDS comprennent que la guerre civile en Syrie comprend des défis complexes. En conséquence, elles n’ont pas pris la voie de la riposte et de la vengeance, mais ont essayé de se positionner afin de faire avancer la défense du peuple le plus possible. Sur le terrain, cela veut dire que la coopération avec l’armée américaine continue dans certains endroits, bien que les FDS comprennent parfaitement que les Etats-Unis ne retourneront jamais leurs armes contre la Turquie pour défendre la Syrie du Nord-Est. Ces contradictions sont difficiles à comprendre et les FDS donnent des responsabilités à beaucoup de groupes différents et qui sont bien difficiles à réaliser.

Garzan: En ce qui concerne les priorités des Etats-Unis, nous pouvons en fait citer henry Kissinger : “L’Amérique n’a ni amis ni ennemis, elle n’a que des intérêts.” Il y a plusieurs agendas derrière la politique américaine et parfois ils ne sont même pas en accord l’un avec l’autre. Les contradictions entre la Maison Blanche et le Pentagone se sont vues à plusieurs reprises. Quand Trump a déclaré que les troupes américaines resteraient en Syrie seulement pour sécuriser le contrôle des réserves pétrolières, se retirant de la frontière du nord alors que la Turquie se préparait à envahir, ceci fut une indication de priorités différentes. D’un côté, la Maison blanche voulait faire plaisir à Erdogan qui se rapprochait trop de la Russie et menaçait la stabilité de l’OTAN ; d’un autre côté, le Pentagone voulait contrôler l’expansion de l’influence iranienne dans le croissant chiite et freiner les avances des milices chiites acquises lors de leurs combats contre Daesh en Irak et en Syrie. La Syrie orientale possède de grandes ressources pétrolières et gazières et l’administration américaine voulait empêcher les milices chiites de gagner le contrôle sur celles-ci tout en empêchant l’Iran d’établir un couloir complet chiite connectant l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban.

Sur le terrain, ceci se traduit par de gros véhicules blindés avec le drapeau américain sur les routes, se déplaçant et distribuant des bonbons aux enfants dans les villages. Ils en partageaient les photos sur les réseaux sociaux, essayant de sortir de cette image datant d’un an où les Kurdes jetèrent des pierres et des tomates à leurs véhicules après la trahison qui mena à l’invasion turque. La coalition (à savoir les FDS) a mené des opérations contre Daesh et soutenu les raids des forces anti-terroristes contre les cellules dormantes de Daesh, mais aussi mené des opérations dans des zones contrôlées par les Turcs comme celle qui a soi-disant tué le leader de l’EIIL Abou Bakhar al-Baghdadi. Cette opération reçut une publicité et audience internationale, mentionnant aussi parfois le soutien en renseignement fournit par les FDS.

—Avec le recul, comment les combattants du Rojava ont-ils vu les relations avec le gouvernement américain qui mena à l’invasion turque ?

Mazlum: Juste six mois avant l’invasion turque, en octobre 2019, les FDS battaient militairement Daesh dans la bataille de Baghouz Fawqani après plusieurs années de combats qui furent généralement soutenus par la “communauté internationale”. En rapport à cela, il y eut une certaine assomption, ou peut-être plus un espoir, qu’à cause de cela, la CI ne permettrait pas l’invasion qui mènerait au massacre des populations de la Syrie du Nord-Est. Tout le monde se posa la question. Maintenant nous pouvons regarder tout cela a posteriori et demander : qu’est-ce que cette communauté internationale ? Comprenons-nous cela comme tout le monde, toutes les institutions et les médias du monde qui prennent une position politique active et parlent de ce sujet ? Ou bien n’est-ce qu’un groupe de leaders politiques de pays avec leurs ministères et intérêts géopolitiques personnels ? Si c’est cette dernière, alors on ne peut s’attendre à rien d’autre de ces entités qui vendent des armes à la Turquie aujourd’hui, condamnent la guerre demain et le jour suivant, réaffirme l’importance et le soutien de l’OTAN et de cette alliance, tout en menant des vagues de répression contre le peuple kurde et le mouvement de libération dans leurs pays en même temps.

Un manque de confiance fondamental de l’establishment politique et des états est quelque chose que les anarchistes partagent avec un grand nombre de personnes en Syrie du NE. “Pas d’amis sauf les montagnes” (Ji bilî çiya hevalên me tune ne), comme dit le dicton kurde. Et si nous comprenons le vocable de “communauté internationale” comme tout le monde, institutions et médias du monde, nous pouvons dire qu’il est important que les gens parlent sur ce qu’il se passe et dissémine l’info. Mais honnêtement, si nous devons avoir un espoir pour que la communauté internationale arrête l’invasion, elle devra non seulement protester contre celle-ci, mais aussi la combattre et perturber la guerre économique turque. Aussi, nous pouvons constater que nous-mêmes en tant qu’anarchistes n’avons pas un mouvement révolutionnaire suffisamment fort pour donner un exemple qui pourrait être suivi.

La question qui se pose à nous est donc : A quel point pouvons-nous nous fier à ce terme si vague de “communauté internationale”, quand nous avons besoin de défendre et de changer nos sociétés ici et maintenant ? Et qu’est-ce que nous pouvons construire sur quoi nous reposer pour que nous ne soyons pas seuls quand les bombes tomberont sur nos têtes ? Pas seulement en terme d’être physiquement présents avec nos camarades à ce moment, mais plutôt dans l’échelle de la sincérité de ressentir avec nos cœurs que ce que nous défendons et ce pour quoi nous combattons est connecté à d’autres gens et peuples et endroits autour du monde ?

—En quoi la relation entre l’auto-administration et la Russie a t’elle changé ?

Garzan: Les relations avec la Russie ont été difficiles depuis qu’ils ont abandonné la ville d’Afrin à l’invasion turque en 2018. Ceci fut une énorme trahison. Ceci provoqua le fait que l’auto-administration dût plus dépendre des Etats-Unis, jusqu’à ce que ceux-ci firent la même chose en abandonnant aux Turcs les villes de Serêkaniye et de Gire Spi. Après ça, on peut voir comment l’auto-administration a pris plus d’initiatives en relations diplomatiques avec la Fédération de Russie, cherchant à court-circuiter le régime afin de négocier avec ceux qui prennent vraiment les décisions en Syrie. Il est important d’avoir présent à l’esprit le nombre de Kurdes qui vivent en Russie, bien plus que ceux qui vivent aux Etats-Unis, ce qui aide quand on parle diplomatie.

Leur politique semble toujours vouloir chercher à trouver un équilibre entre les relations avec les Etats-Unis et la Russie. Par exemple, Ilham Ahmed, le représentant du Conseil Démocratique Syrien, a visité Moscou quelques mois après une conférence avec la Maison Blanche. Après les accords sur les champs pétroliers de Deir Ezzor avec une obscure compagnie américaine du nom de Delta Crescent*, des négociations concernant les champs gaziers se sont ouvertes avec Gazprom, la plus grosse entreprise énergétique liée au gouvernement russe, La Russie est un état très pragmatique en ce qui concerne la diplomatie, mais la Russie se focalise plus sur la Turquie, pas seulement sur des négociations ayant trait à des ventes d’armes et autres intérêts économiques, mais aussi pour éloigne la Turquie de l’OTAN et affaiblir la suprématie des Etats-Unis.

(*) note de R71: renseignements pris, Delta Crescent Energy est une entreprise pétrolière enregistré dans l’état du Delaware aux USA (état paradis fiscal qui facilite les exemption d’impôts etc…) en août 2019. En partenariat sont James Reese (ex-officier de l’armée US, membre de l’unité commando Delta Force, d’où le nom de l’entreprise…) et fondateur de la firme TigerSwan, firme de “sécurité, de logistique et de gestion de risque” louant ses services à des entreprises privées et au gouvernement américain, en clair, une boîte de barbouzeries en tout genre, et un autre associé du nom de John Dorrier, ex-exécutif de l’entreprise pétrolière britannique GulfSands qui a travaillé auparavant en Syrie. Donc associés: un pétrolier et un garde du corps de luxe…
Toute l’opération est soutenues par Mike Pompeo, ministre des affaires étrangères de Trump et ex-directeur de la CIA… bref c’est du pillage en bande organisée au plus haut niveau entrepreneurial et gouvernemental. Tout le monde sait, personne ne dit rien, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes oligarque.

–*–

—Quelles sont maintenant les dynamiques de pouvoir entre le gouvernement d’Al-Assad et l’auto-administration ?

Şahîn: L’Armée Arabe Syrienne (AAS), la force militaire de l’état syrien est présente sur quelques lignes de front contre la Turquie, bien que ce soit plus une question de diplomatie venant de leur part. Il y a un ennemi commun mais des buts différents. Donc, ils sont moins motivés à combattre la Turquie et une relation différente avec les alliés.

Le conflit avec le régime Assad est plus politique et économique. Les camarades ne perdent ni leur temps ni leur énergie et ressources à contester l’AAS et ceci ne serait en rien le meilleur choix. Les négociations ont échoué parce que les deux positions opposées étaient trop différentes et trop intransigeantes pour trouver une voie commune. Assad essaie d’affaiblir la révolution en offrant de meilleurs prix aux paysans, en coupant l’électricité et tactiques de ce genre. Il n’a aucun soutien dans la population kurde du NE de la Syrie, mais ceci est plus complexe au sein des populations arabes et assyriennes. Il essaie de jouer la carte du diviser pour mieux régner. Les camarades savent cela. C’est déjà un des objectifs de la révolution, du confédéralisme démocratique, de ne pas fonder la société sur une identité nationale ou ethnique unique, mais de trouver le chemin pour que les différentes communautés puissent vivre ensemble, peut-être avec des zones semies-autonomes sur le même territoire. Ceci est un des points clefs de la solution sans état qui constitue la proposition d’Ocalan.

Garzan: Le gouvernement Assad est fondé sur la logique de l’état-nation. Il a survécu à cette guerre grâce à des interventions extérieures, essentiellement de la Russie, mais aussi par l’influence interne de factions nationalistes dures, comme le parti national socialiste de Syrie. Ceci leur rend impossible d’accepter la proposition de la nation démocratique et du modèle confédéral proposé par l’auto-administration. Lorsque les négociations sont au point mort, le régime revient aux stratégies que tous les états emploient pour assurer leur hégémonie : la violence et la répression. A l’été 2019, une vague d’incendies a ravagé les cultures agricoles du NE syrien.

Le blé est une des ressources principales de la région, donc ceci fut un coup terrible pour l’économie de l’auto-administration. Au début, les gens pensèrent que c’était l’œuvre de Daesh, mais il se trouva que la plupart des personnes qui furent arrêtées alors qu’elles mettaient le feu étaient membres des services de renseignements du régime Assad. En novembre, en conséquence de l’invasion turque, la menace commune à l’intégrité du territoire syrien mena à des négociations qui résultèrent en un accord de déploiement commun autour de la frontière turque. Les deux forces sont au front pour combattre les Turcs et leurs milices proxies, mais les négociations politiques ne progressent pas. La Russie commence maintenant une procédure de médiation, soutenant publiquement quelques demandes de l’auto-administration sur le comité de constitution et les pourparlers de paix de Genève, ainsi que de faire de la Syrie un état fédéral. Le régime n’est pas satisfait de cela mais sa dépendance du soutien russe fait qu’il lui est difficile de s’opposer aux décisions russes.

—A posteriori dans les premières phases de la révolution syrienne, y a t’il eu des opportunités manquées dans le processus ?

Garzan: Il est très intéressant de réfléchir sur les premières années de la révolution, le soi-disant “printemps arabe”, afin d’analyser comment les évènements s’enchaînent pour nous mener là où nous en sommes aujourd’hui. En ces temps, il y a presque 10 ans, bien des forces différentes s’opposaient au régime d’Al-Assad. En bref, nous pouvons dire que la première vague de soulèvement démocratique s’est effondrée lorsque la situation a dégénéré en conflit armé, mais l’histoire est bien plus compliquée que ça. Cette vague de soulèvements démocratiques fut diverse et organique, comme les conseils locaux organisés dans les différentes villes en vue d’une perspective révolutionnaire. Un réseau de conseils locaux émergea, influencé par la vie et le travail d’Omar Aziz, un anarchiste syrien qui prit une part active dans les soulèvements jusqu’à ce qu’il soit arrêté et tué dans les prisons de Damas.

(NdT: Omar Aziz ou “Abou Kamel”, 1949-2013, anarchiste syrien, diplômé de l’université de Grenoble, promoteur des conseils populaires, fondtreur du premier conseil populaire à Damas en 2011 dans le district de Barzeh, mort en détention des suites de maltraitance et de malnutrition comme bon nombre de prisonniers politiques en Syrie.)

Ces soulèvements reçurent un soutien des sociétés occidentales et le régime savait à quel point un mouvement pouvait être dangereux lorsqu’il gagne le soutien de l’opinion publique occidentale.

Du côté militaire, la création de l’Armée Syrienne Libre (ASL) en opposition à l’AAS a marqué le début de la “guerre civile”. Le régime Assad voulait et œuvrait à écraser les forces révolutionnaires et permettre à d’autres courants de gagner le contrôle sur les soulèvements populaires. L’escalade militaire endommagea les mouvements socialistes, démocratiques et séculiers, tandis que des groupes salafistes furent plus utilisés à opérer clandestinement comme une force insurgée. Lorsque Daesh a commencé à s’infiltrer en Syrie en 2013 [depuis l’Irak], plusieurs factions islamistes de l’ASL trahirent et rejoignirent L’EIIL/Daesh. Lorsqu’Al-Bagdhadi déclara le califat à Mossoul en 2014 et que leurs forces se déplacèrent vers la Syrie depuis l’Irak, elles commencèrent à avancer sur les arrières de l’ASL Avec le régime d’un côté et Daesh de l’autre, les territoires sous contrôle de l’opposition furent écrasés sous les bannières du califat.

Au Rojava, la situation fut différente. L’expérience du mouvement kurde sur la résistance à long terme, spécifiquement avec ces trente dernières années de guerre contre l’état turc, lui a donné les moyens de naviguer sur les flots tumultueux des évènements. Au début, le mouvement kurde fut capable d’écarter les représentants du régime Assad avec une utilisation minimale de la force, simplement e étant bien plus nombreux que les soldats syriens et les forçant à partir. Les Kurdes saisirent cette opportunité pour commencer une révolution pendant ces temps convulsifs, mais ils maintinrent leurs distances avec les mouvements arabes d’opposition par manque de confiance et par surprécaution. Nous ne devrions pas oublier l’oppression qu’ont subi les Kurdes en tant que minorité ethnique, avec leur langue non reconnue officiellement, leur nationalité mise en question, leur chance de finir en prison ou de vivre dans la pauvreté bien supérieure que les personnes de la majorité ethnique.

Et bien sûr, il y eut aussi des divisions au sein même de la population kurde, les milices armées kurdes furent divisées entre les YPJ/YPG loyales au YPD, parti politique dévoué aux idées du confédéralisme démocratique, les milices liées au PDK-Syrie, parti politique affilié au PDK ou parti démocratique kurde d’Irak (NdT: créé et sponsorisé par la CIA depuis l’époque de Saddam Hussein, mené par le clan Barzani), le parti politique le plus influent de la zone kurde d’Irak, et d’autres milices sans affiliation claire particulière. Les milices kurdes furent impliquées dans quelques combats avec l’AAS, mais les plus gros clashes commencèrent lorsque les unités de défenses populaires YPG et YPJ (unités populaires féminines de protection combattantes) accrochèrent le groupe islamiste du Jahbat Al-Nosra, la branche d’Al Qaïda en Syrie. Alors que les combats et la guerre s’intensifiaient, les factions plus faibles furent absorbées par les plus fortes ou furent juste démantelées. Quand l’EIIL commença à pénétrer en Syrie en 2013, les factions en opposition durent choisir un camp, avec Daesh ou contre. A cette époque commença une coopération entre les YPG et YPJ et des groupes d’opposition révolutionnaires formant une alliance Euphrates Volcano. L’EIIL gagna du terrain et monta en puissance et commença le siège de la ville de Kobané, là où éventuellement Daesh fut vaincu. Les FDS commencèrent leur offensive contre le califat. Cette vidéo (This video ) offre une revue complète du devenir des territoires durant le conflit.

Il est difficile de vraiment cerner ce qui aurait pu se passer différemment. On peut imaginer des scénarios différents, mais ils ne seront que de la pure spéculation subjective.

La première idée qui vient à l’esprit est que si Bachar Al-Assad avait négocié avec l’opposition pendant les premiers mois des soulèvements, on peut imaginer un processus de transition dans lequel quelques réformes auraient été mises en place dans l’état syrien, quelques concessions auraient été faites à l’opposition et une partie de cette opposition intégrerait l’état en accord avec une stratégie de diviser pour mieux régner. Ceci aurait isolé les mouvements cherchant un changement radical ; d’un côté le mouvement révolutionnaire kurde et de l’autre les groupes salafistes comme Al-Nosra. Dans ce scénario on peut imaginer une opposition politique kurde essayant de faire passer des propositions auprès d’un gouvernement transitoire, ce qui aurait plus que vraisemblablement refusé. Toute tentative de poussée révolutionnaire dans la zone kurde aurait été écrasée par l’AAS, qui n’aurait pas été occupée à défendre les grandes villes dans ce scénario. Ce scénario ne suggère aucune opportunité pour une meilleure situation révolutionnaire.

Un second scénario aurait pu impliquer une plus grande coordination organique entre l’opposition révolutionnaire et le mouvement kurde, par laquelle le régime aurait été mis à bas avant qu’il ne puisse consolider le soutien de la Russie. Je crois que c’était le scénario dont avait le plus peur Bachar al-Assad et c’est pour cela qu’il a mis tant d’effort à écraser l’opposition, bombardant les mobilisations de protestation et faisant relâcher les islamistes des prisons pour s’assurer que l’opposition soit bien contrôlée par les groupes salafistes. Un autre facteur qui a rendu ce scénario  difficile a réaliser fut le manque d’un mouvement révolutionnaire arabe pré-existant en Syrie qui aurait pu développer des connexions organiques avec le mouvement révolutionnaire kurde avant la révolution. Une fois la première balle tirée, les urgences de la guerre rendent difficile l’établissement de nouvelles passerelles. L’alliance “Euphrates Volcano” ci-dessus mentionnée fut un bon pas dans cette direction.

Ça aurait peut=être pu se produire plus tôt, mais l’opposition était une mosaïque de différents groupes et factions, ce qui rendait difficile l’établissement d’une coordination avec une organisation formelle comme le mouvement de libération kurde. Maintenant on peut aussi critiquer le mouvement kurde de ne pas avoir plus pousser pour ce scénario, mais nous devons aussi comprendre que la première rencontre majeure entre le YPG et l’ASL fut dans la bataille d’Alep durant laquelle le front Al-Nosra a fréquemment bombardé les voisinages kurdes de Sheikh Maqssod. Ces clashes rendirent la coordination avec l’opposition encore plus difficile. Manis dans un scénario ayant une meilleure coordination, Bachar al-Assad serait tombé.

Dans un troisième scénario potentiel dans lequel les choses auraient pu en être bien différentes, Kobané aurait pu tomber aux mains de Daesh en 2014. Dans ce cas, la révolution aurait été écrasée, Erdogan pourrait souffler, et le califat serait devenu de plus en plus fort. Fin de partie. Ceci aurait pu avoir des effets géopolitiques massifs. Il n’y a aucune opportunité révolutionnaire dans ce scénario. Dans un autre scénario potentiel, celui dont rêvait les soutiens de la cause kurde, il y aurait eu connexion entre les trois cantons le long de la frontière turque qui ont une population kurde considérable Après la libération de Kobané, Le YPG/YPJ a commencé une campagne qui libéra Serêkaniye et Tal Abyad, connectant ainsi les cantons de Kobané et de Ciziré.

Les opérations pour se connecter avec le dernier canton , Afrin, se mirent en route des deux directions. Ceci était le scénario qui faisait le plus peur à la Turquie : une frontière complète sour le contrôle des forces révolutionnaires kurdes aurait été un véritable cauchemar for le régime Erdogan, Quand Manjib fut libérée sur le front de Konané et que le front d’Afrin commença à glisser vers Tel Rifat, la Turquie lança l’opération “Bouclier sur l’Euphrate”, mesure désespérée pour bloquer la mise en place d’un couloir complet sous contrôle kurde le long de la frontière. La course pour Al-Bab devint une folle situation de toute première importance. La coopération entre l’état turc et l’état islamique de Daesh joua un rôle capital, l’EIIL se retirant pour laisser l’armée turque prendre le contrôle de ces territoires. Lorsque les soldats turcs arrivèrent aux portes d’Al-Bab, le rêve de connecter les cantons entre eux prit fin.

Finalement, il faut mentionner quelque chose au sujet de la création des Forces de Défense Syriennes (FDS). Elle fut un parapluie militaire créé en partie pour permettre à la coalition internationale menée par les Etats-Unis, de soutenir les forces kurdes sans mettre en colère la Turquie. La Turquie menaçait les Etats-Unis de quitter l’OTAN si les US soutenaient les YPG/J, alors les Etats-Uns ont mis au point le parapluie des FDS plutôt que de soutenir directement les YPG/J. Pour le mouvement de libération kurde, cette étape était nécessaire pour assurer la survie du Rojava, pour continuer de combattre Daesh sans que la Turquie n’écrase la révolution. dans le même temps, cela créa une dépendance envers l’hégémonie impérialiste mondiale, ceci avec tous les problèmes contradictoires que cela entraîne. S’il y avait déjà eu en place un mouvement révolutionnaire international fort à ce moment là, les choses auraient pu se passer bien différemment.

Aujourd’hui, nous en sommes là à cause de ce qui s’est passé auparavant et nous devons apprendre de tout ça. En tant qu’internationalistes, nous pouvons voir que notre rôle, bien que très médiatisé par certains médias, n’a été que très marginal et symbolique. Nous sommes bien loin de pouvoir mobiliser les quelques 50 000 internationalistes ou plus qui se sont mobilisés pour la guerre et la révolution espagnoles et la plupart d’entre nous n’étions pas des révolutionnaires très expérimentés lorsque nous sommes arrivés ici. Mais nous avons l’opportunité d’apprendre de la lutte en Syrie et de transmettre ces expériences aux autres mouvements révolutionnaires. Une leçon qui est très claire est que les mouvements révolutionnaires demandent du temps et de l’expérience pour être préparés à jouer un rôle signifiant dans tout conflit, car la seule façon possible est en développant une organisation et en devenant un mouvement de masse connecté avec la société.

A suivre…

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Lectures complémentaires :

Confédéralisme Démocratique

Abdullah Ocalan Confédéralisme Démocratique

Textes fondateurs pour un changement politique radical

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Confédéralisme Démocratique du Rojava: De l’État à la démocratie… Anatomie d’un changement de paradigme 2ème partie

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 15 octobre 2019 by Résistance 71

La seconde partie nous indique ce qu’est le Confédéralisme Démocratique et comment il s’applique sur le terrain, au Rojava et potentiellement ailleurs…
Pour que voit le jour la Société des Sociétés, à bas l’État ! A bas la marchandise ! A bas l’argent ! A bas le salariat ! Vive la confédération des communes libres volontairement associées !

~ Résistance 71 ~

En résultat [de la colonisation], la terre natale kurde fut divisée et les Kurdes furent forcés de se soumettre à des politiques d’états de déni et de diminution de leur volonté et pouvoir politique. Leurs réalités sociales furent divisées et bientôt ils se perdirent eux-mêmes. Pour subvenir à leurs besoins économiques, ils durent abandonner leur identité et furent démunis de statut légal et d’opportunités contemporaines d’éducation afin de récupérer leur existence idéologique et culturelle fondée sur leur identité. Ce déni d’identité tourna alors sur une question du fait qu’ils ne pouvaient pas vivre librement.
(Abdullah Öcalan)

“Les états sont maintenant des synonymes de chaos, de crise, de ruine et de malheur pour l’humanité. Nous devons nous libérer de cette calamité. Si vivre sous le joug de l’exploitation et de l’oppression n’est pas dans la nature de l’être humain, alors ni l’État, ni le drapeau qui le représente ne peuvent représenter le peuple et la société.”
(Commune Internationaliste du Rojava)

 


Réseau de Résistance & Rébellion International 

 

De l’État à la démocratie: anatomie d’un changement de paradigme

 

Komun

Commune Internationaliste du Rojava

 

Juin 2018

Source: https://komun-academy.com/2018/06/27/the-new-paradigm/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

1ère partie

2ème partie

 

De cette façon, depuis 2005, le PKK et toutes les organisations affiliées ont été restructurés sur la base d’un projet appelé KCK (Union des Communautés du Kurdistan ou Koma Civakên Kurdistan).

Le KCK est une organisation fondée sur la société et créée comme alternative à l’État, elle vise à s’organiser depuis la base sous la formes d’assemblées populaires.Le KCK est un mouvement qui lutte pour former sa propre démocratie, il ne voit pas les états existants comme un modèle, ni ne les voit comme un obstacle. 

Note de R71: Ce lâcher-prise de l’antagonisme est une excellente chose qui ne peut mener qu’à la synthèse politique adéquate, celle de la société des sociétés. Bien entendu, toutes les impostures et dictatures de la marchandise œuvrent et œuvreront contre…

Le but principal dans la formation du KCK est défini comme une lutte pour disséminer la démocratie radicale (fondamentale) sur l’organisation démocratique du peuple et sa capacité à prendre des décisions. La formation du KCK met en place un nouvel instrument qui surpasse la façon de voir étatique des relations sociales. En cela, le confédéralisme démocratique, qui constitue l’idée fondamentale du KCK et de son organisation, est valide partout dans la vie des Kurdes. Ceci inclut l’Irak, où les Kurdes vivent dans une structure d’état fédéral ayant des droits constitutionnels, incluant l’auto-gouvernement.

Il y a deux facteurs clefs dans le projet: une compréhension de la démocratie en tant que pouvoir du peuple, non pas une forme de gouvernement et que l’état et la nation doivent être laissés en dehors de cette compréhension.

Le confédéralisme démocratique est l’organisation du peuple, dans toutes les sphères non-étatiques de la vie. Il correspond à la diminution drastique de l’état existant dans le monde et de la tendance de la société à s’organiser en dehors de structures étatiques pour arranger sa propre vie sociale… Même si l’État fait obstacle, le mouvement de la liberté kurde exercera son droit légitime de s’organiser finalement démocratiquement. Il n’abandonnera définitivement pas ce but en disant: “l’état nous met des bâtons dans les roues”.

En définitive, tandis que la république démocratique est un projet de réforme d’un état, le confédéralisme démocratique et l’autonomie démocratique se situent au-delà de l’État et comprennent une idée politique sans État.

En conséquence, le projet de confédéralisme démocratique est lié au projet de république démocratique et d’après Öcalan, un Kurdistan libre ne peut exister que dans un Moyen-Orient démocratique. (a.g.e 34-5)

Nous avons mentionné que tout en suivant la ligne de développement de la pensée d’Öcalan, se situe l’importance centrale de ces trois concepts inter-reliés: la république démocratique, le confédéralisme démocratique et l’autonomie démocratique. Dans tous ces projets, le concept de démocratie est d’une importance capitale. La compréhension de ce terme a évolué vers plus de radicalité (NdT: une fois encore pris dans son sens de “racine”, d’ancrage profond dans la réalité et non pas dans le sens galvaudé usuel “d’extrémiste”, manipulation sémantique bien utile pour l’oligarchie…) depuis la contradiction entre les traditions démocratique et républicaine. Pour le PKK, la démocratie est un antidote à la structure centralisée de la république turque qui est fondée sur le concept d’état-nation et la version séculière française. L’idée la plus fondamentale de cette approche est que “la centralisation a tué la démocratie”.

Les différences principales entre le projet de république démocratique et le confédéralisme démocratique / autonomie démocratique sont que le point de focalisation de la première se situe sur la définition de l’état et de la citoyenneté tandis que les deux autres focalisent sur le développement d’une alternative à l’état et sur le peuple construisant sa propre organisation. Nous allons ici aborder le sujet du développement d’alternatives à l’État. Au lieu que les projets de confédéralisme et d’autonomie démocratiques ne soient vus comme potentiellement contradictoires vis à vis de l’organisation, il serait mieux de les considérer comme étant ensemble parties d’une stratégie d’harmonisation. Ils donnent une direction politique à la lutte d’aujourd’hui où que soit située l’action du PKK.

Le changement de paradigme qu’a vu le PKK au XXIème siècle a rendu une fière contribution aux vues politiques radicales en ce qui concerne une approche radicalement différente de ces trois aspects de la vie politique : l’état, la classe et le parti et “la politique non-étatique, l’organisation politique en dehors du parti et de thèmes politiques en dehors de la classe.” Du point de vue du PKK, ceci a impliqué une réforme de lui-même en amenant toute une série de transformations. Certaines de ces transformations du PKK et les changements radicaux effectués sur des points comme le droit à l’auto-détermination, la nation, la libération nationale, la violence et les femmes, sont particulièrement marquantes et frappantes.

Le principe d’auto-détermination des nations, qui fut soulevé dans le premier quart du XXème siècle, a laissé sa marque sur le siècle dernier. Les formes d’auto-détermination exprimées à la fois par le leader américain Woodrow Wilson et par le fondateur de l’URSS, Lénine, sont devenues un tremplin fondamental pour bien des luttes de libération et une partie inaliénable du droit international. Mais ce qui ne doit pas être oublié, est cette vérité que l’auto-détermination est en tout premier lieu, un principe d’action défini comme politique.

C’est pourquoi, lorsque le président Wilson a annoncé ce principe au congrès américain le 11 février 1918, il insista ouvertement sur le fait que : “L’auto-détermination n’est pas qu’une simple expression, c’est un principe impératif d’action que les hommes d’état ne pourront ignorer qu’à leur péril.” Ainsi, le PKK, du noyau de ce qui en a émergé dans les années 1970 et plus avant, adressa le principe d’auto-détermination comme principe impératif d’action puisque le peuple kurde avait été privé de tous droits fondamentaux et de libertés et condamnés sur leur terre même à un manque de statut, en retrait même du statut et de la règle coloniaux. Les territoires sur lesquels vivaient traditionnellement le peuple kurde furent divisés entre 4 états-nations (La Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran) dans les années 1920 et les très nombreuses réglementations et politiques coloniales imposées par ces états menèrent le peuple kurde à la ruine. Abdullah Öcalan exprime cet état de fait de la façon suivante:

En résultat, la terre natale kurde fut divisée et les Kurdes furent forcés de se soumettre à des politiques d’états de déni et de diminution de leur volonté et pouvoir politique. Leurs réalités sociales furent divisées et bientôt ils se perdirent eux-mêmes. Pour subvenir à leurs besoins économiques, ils durent abandonner leur identité et furent démunis de statut légal et d’opportunités contemporaines d’éducation afin de récupérer leur existence idéologique et culturelle fondée sur leur identité. Ce déni d’identité tourna alors sur une question du fait qu’ils ne pouvaient pas vivre librement.” (A. Öcalan, Kurdish Question and Democratic Nation Solution, published in Turkish, p.226).

Dans un tel environnement, le PKK a adopté comme guide le droit à l’auto-détermination du peuple kurde comme principe d’action fondamental. Bien sûr, sa conception et son application de ce principe fut lourdement influencé par les caractéristiques idéologiques, politiques et sociales de la période. Après la seconde guerre mondiale, les luttes de libération nationale se déroulèrent dans un système bi-polaire, d’abord au Vietnam et en Algérie, ce qui mena à l’indépendance de bon nombre d’anciennes colonies. Ceci affecta grandement le monde des années 1970. a ce sujet, Öcalan dira ceci plus tard:

Dans cette période des années 50 à 70, lorsque les luttes de libération nationale arrivèrent à leur point culminant et qu’elles eurent pour résultat des états séparés, ceci devint presque le seul modèle valide… En fait, le principe du droit des nations à l’auto-détermination fut en premier lieu exprimé par le président américain Wilson après la 1ère guerre mondiale et fut très lié avec les politiques hégémoniques des Etats-Unis. Lénine, afin de ne pas être en reste devant Wilson et pour gagner le soutien de nations opprimées et des peuples colonisés, radicalisa le même principe et le réduisit au fait de fonder un état indépendant. Une course commença alors entre les deux systèmes.
(The Kurdish Question and the Democratic Nation Solution [Turkish], p. 271-2).

Le PKK a approché l’auto-détermination au sein d’un cadre de compréhension d’un socialisme déjà existant à cette époque, se faisant ainsi l’avocat du modèle de la création d’un état. Mais, à partir du début des années 1990, la critique d’Öcalan de, premièrement, la compréhension du socialisme existant et, plus tard, de l’idéologie même de l’état-nation dans les premières années du nouveau millénaire, ont démontré un renouveau radical de l’approche du PKK sur le sujet. Aujourd’hui, l’auto-détermination est toujours un principe impératif d’action, mais la façon de le mettre en pratique ne passe plus par l’État, mais de mettre ce principe d’auto-gouvernement en mouvement à chaque niveau de la société.

La compréhension de l’autonomie démocratique constitue le cadre principal de cet auto-gouvernement. Les résultats de cette ligne de conduite, basés sur les Kurdes déterminant leur propre destinée sur la base du principe d’auto-gouvernement sans incliner à créer leur propre état séparé, où qu’ils vivent, d’abord et en premier lieu en Turquie, en Irak, en Iran et en Syrie, ont clairement émergé avec les développements historiques en Irak et en Syrie, au cœur même du Moyen-Orient.

En conséquence, le PKK a renversé l’argument de Lénine qu’”il serait erroné d’amener une interprétation différente au droit d’auto-détermination que d’être le droit à un état séparé d’exister.”, disant qu’il serait tout aussi erroné et trompeur de ne voir le droit à l’auto-détermination que comme s’il ne contenait aucune autre signification que ce droit à un état séparé d’exister. Cette vision est aussi corroborée dans l’analyse historique de l’état moderne en tant que projet bourgeois. (Mustafa Karasu, Radical Democracy, 2009).

Une fois de plus, lié à cela, le concept de nation du PKK a aussi été radicalement renouvelé. Au milieu des années 70, lorsque le PKK fut formé, la plupart des mouvements socialistes et de libération nationale étaient sous l’influence de l’idéologie de l’état-nation avec la plus rigide des définitions de ce terme exprimée par Staline. Sa célèbre formule: “Les nations ont une langue, un territoire, une vie économique et une culture en commun”, fut aussi un point de départ pour le PKK. Avec le nouveau paradigme politique, Öcalan critiqua cette formule, développant la définition d’une nation démocratique:

D’abord il est nécessaire de montrer qu’il n’y a pas qu’une seule définition de la nation. Quand un état-nation est fondé, la définition la plus commune est justement d’être un “état-nation”. Si l’élément unificateur est l’économie, alors il est possible de l’appeler nation-marché… On ne peut pas faire la généralisation qu’une nation partage une langue, une culture, un marché, une histoire, ce qui veut dire qu’on ne peut pas rendre absolu une unique compréhension de ce qu’est une nation. Cette compréhension de nation qui fut adoptée par le socialisme existant est contraire à la notion de nation démocratique. Cette définition qui fut développée par Staline en particulier pour l’appliquer à l’URSS, fut en fait une des raisons principales de l’effondrement de celle-ci. Aussi longtemps que la définition de nation, qui est rendue absolue par la modernité capitaliste, n’est pas transcendée, la résolution des questions nationales restera dans une impasse. Le fait que se pose toujours la question nationale avec une intense gravité après 300 ans est intimement lié à cette définition inepte se voulant absolue.” (2012, p.432).

D’après Öcalan: “En ce qui concerne la nation démocratique, c’est une société mutualiste établie par la libre volonté, la libre association d’individus et de communautés. La force unificatrice de la nation démocratique est la volonté d’association libre des individus et des groupes qui décident d’être dans la même nation… a définition de la nation démocratique exprime une vie commune de solidarité de citoyens pluralistes, libres et égaux qui ne sont pas entravés par des frontières politiques rigides, une langue unique, une religion ou une interprétation de l’histoire. Une société démocratique ne peut se réaliser qu’avec un tel modèle de nation.”(p.432).

L’approche de la violence dont l’utilisation stratégique et tactique fut toujours une pierre angulaire de la lutte du PKK est aussi passée par un changement radical. Au départ, l’approche de la violence, “la sage-femme de la société nouvelle”, fut une approche marxiste classique. Dans le processus induit de la révolte, la violence, sous forme de méthode de combat de guérilla, fut une tactique fondamentale de la lutte. A terme, la violence prit même une dimension fanonnienne, gagnant une personnalité existentielle et le rôle de libérateur social et individuel. Mais dans le nouveau paradigme, le PKK n’envisage pas un rôle de la violence au-delà du cadre de la self-defense légitime.
(Legitimate Defence Strategy, 2004).

La plus sévère forme de domination

Aujourd’hui, à la fois l’État et sa version capitaliste moderne, l’état-nation, sont sérieusement mis en question. Il est reconnu que l’état-nation ne profite en rien aux peuples et à l’humanité et qu’il contient même en lui une caractéristique génocidaire qui prépare le terrain pour la disparition de différentes cultures et différentes identités. Dans les circonstances de la règle du profit maximum du capitalisme de l’état-nation et de la modernité capitaliste, tout comme cela mena à la grande douleur des deux guerres mondiales, il a commis autant de crimes contre l’humanité que tous ceux qui ont été commis au cours de l’histoire de l’humanité.

La plus grande preuve de ceci est la disparition, ou la mise au bord de l’extinction de groupes ethniques qui vivaient au Moyen-Orient jusqu’à il y a encore quelques 200 ans. Les peuples arménien et assyro-syrien ont été décimés à cause de cette mentalité. Les Kurdes ont aussi été amenés au bord de l’abîme de la destruction sous la domination incessante des états-nations. Les peuples Alevis, Yazidis, Druze et autres groupes de foi ont été chassés de leurs terres en résultat de cette compréhension du concept. La même chose est arrivée aux peuples circassiens qui furent expulsés des montagnes du Caucase.

Il est trop difficile de comptabiliser tous les maux engendrés par les états-nations ; mais quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas seulement de l’état-nation de la modernité capitaliste, mais tous les États qui sont devenus une charge bien trop lourdes à supporter pour l’humanité. Les premiers problèmes sociaux ont commencé avec la domination masculine sur les femmes et avec ceux s’établissant hiérarchiquement plus haut que les autres, affirmant une domination sur d’autres segments sociaux pour mieux les exploiter. Après tout, l’État a été défini comme un instrument d’oppression des classes dirigeantes de la société. Ceci n’a en rien diminué avec le temps et est devenu une des pires formes de domination jusqu’à ce jour. De fait, l’État-nation est devenu la pire forme de domination.

L’état-nation a atteint la caractéristique d’être une sphère de domination et d’exploitation de la société entière, avec ses frontières, tout comme le patron d’une usine entouré de ses murs. tandis que dans le passé les états ne représentaient que la domination politique, dans l’époque capitaliste, ils se sont développés en une domination totalitaire qui cherche à dominer tous les aspects de la société et d’aller aussi loin que de dominer toutes les cellules de celle-ci.

Avec le système dirigeant de l’état intensifiant les problèmes sociaux, l’État et son gouvernement ont été amenés à être de plus en plus critiqués. Dans le passé, les anarchistes se sont opposés à l’État comme l’origine de tous les maux, graduellement développant des solutions politiques, idéologiques et de paradigme sur une base historique et systémique. Dans le présent, le zénith de l’analyse en ce qui concerne l’état et son gouvernement provient de ceux semblables à Abdullah Öcalan. La grande différence avec celui-ci résidant dans la profondeur de son analyse sur les femmes et l’État. Il a aussi soumis le capitalisme et l’état-nation à une analyse critique compréhensive. L’analyse d’Öcalan sur les femmes en particulier, est de très grande valeur dans la mesure où elle a apronfondi toutes les autres analyses et aidé à atteindre son véritable caractère.

Plus il y a de démocratie, moins il y a d’État : le système confédéral démocratique

Le gouvernement et l’État sont, par essence, une concentration et une intensification du pouvoir, une centralisation. A cet égard, ils sont des facteurs qui sont opposés au peuple. Il ne peut ainsi pas y avoir d’état et de gouvernement qui appartiennent au peuple. Le gouvernement et le peuple ne devraient pas être confondus. Un gouvernement populaire (NdT: de par et pour le peuple) est une démocratie. Ce n’est pas la concentration ni l’intensification du pouvoir, celui-ci étant donné à certains cercles particuliers, mais celui-ci allant à la base, au local, appartenant et retournant au peuple. La démocratie et l’État peuvent coexister pendant un certain temps dans une accommodation, mais ce sont des faits contradictoires par nature. Il y a une formule dialectique qui dit que plus il y a d’État et moins il y a de démocratie et plus il y a de démocratie et moins il y a d’État. Même aujourd’hui, dans l’âge moderniste, avec le capitaliste qui dirige les états, la diminution de l’État est en discussion.

Nous sommes maintenant dans une ère où on peut penser, envisager une vie sans l’État, une société sans (NdT; contre) l’État, sans vie politique, économique, sociale et culturelle dirigée par l’État. L’humanité doit trouver un système qui la libèrera de l’État qui la tyrannise. Nous sommes entrés dans l’ère où nous pouvons penser vivre sans État. Même si les gens peuvent s’accommoder de vivre avec l’Etat un peu plus longtemps, ils doivent atteindre un système politique, social, économique et culturel qui n’aura pas d’État. Ce n’est ni une obligation, ni une fatalité que de vivre sous un régime étatique, car la démocratie exprime la transcendance de l’État. Aujourd’hui, une alternative à l’État est un système confédéral démocratique fondé sur une société démocratique organisée. Le peuple peut se gouverner lui-même dans un système confédéral démocratique sans être exposé à l’oppression et à l’exploitation.

Un système démocratique peut mettre en place un système administratif démocratique où il n’y aura ni exploitation ni oppression. L’État et ses rouages appartiennent aux dirigeants, tandis que le confédéralisme démocratique est le système de fonctionnement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Les états sont maintenant des synonymes de chaos, de crise, de ruine et de malheur pour l’humanité. Nous devons nous libérer de cette calamité. Si vivre sous le joug de l’exploitation et de l’oppression n’est pas dans la nature de l’être humain, alors ni l’État, ni le drapeau qui le représente ne peuvent représenter le peuple et la société.

Öcalan a mis en place le confédéralisme démocratique en le fondant sur une société démocratique organisée comme une alternative viable à l’État et ce pour toutes les sociétés et non pas pour le peuple kurde uniquement. C’est un système qui par sa différence crée une identité unique contrairement à l’état-nation. Toute différence peut parvenir à la liberté avec sa propre identité au sein d’une confédération démocratique. A cet égard, le confédéralisme démocratique représente la vie libre pour tout peuple et toute communauté. Ceci peut aussi être appelé la démocratie complète réalisée. Il ne peut pas y avoir de démocratie dans un système étatique. Qui peut parler de démocratie véritable et complète là où il y a des dirigeants ?

Le temps des peuples

Le confédéralisme démocratique est une alternative viable à l’État. Si nous disons que le temps et l’ère des peuples arrive, cela veut dire que l’ère du confédéralisme démocratique pointe à l’horizon. Au sein d’un état il ne peut y avoir ni démocratie, ni socialisme. L’État ne peut pas être éradiqué en tant qu’état par un état. L’État ne peut être transcendé et mené à l’extinction que par le confédéralisme démocratique. Les peuples ne peuvent pas s’émanciper avec l’État ni atteindre une vraie liberté et une véritable vie démocratique. Les peuples seront libérés par le confédéralisme démocratique.

Ceci constitue la ligne politique et idéologique d’Öcalan, son paradigme politique. Ceci constitue sa compréhension de la démocratie, de la liberté et du socialisme. Il ne peut pas y avoir de gouvernement de par et pour le peuple en dehors du Confédéralisme Démocratique.

Partant de ce principe, il est impossible pour les peuples de défendre l’État.

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Lectures complémentaires:

Longue vie au Rojava !… Le texte du Confédéralisme Démocratique

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Pierre_Bance_Lheure_de_la_commune_des_communes_a_sonne

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

Ricardo_Flores_Magon_Textes_Choisis_1910-1916

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Appel au Socialisme Gustav Landauer

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

Entraide_Facteur_de_L’evolution_Kropotkine

6ème_déclaration_forêt.lacandon

kaianerekowa Grande Loi de la Paix

 


Commune Internationaliste du Rojava

Confédéralisme Démocratique du Rojava: De l’État à la démocratie… Anatomie d’un changement de paradigme 1ère partie

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , on 10 octobre 2019 by Résistance 71

En regard de la situation des Kurdes du Rojava, il est important de comprendre que si de mauvaises décisions de terrain ont été récemment prises, du moins depuis 2016, notamment de faire “alliance” avec les Américains (qui du reste a vraiment pris cette décision?… Les assemblées populaires des communes ?… ou quelques leaders financièrement inféodés, corrompus, par les Américains ?…), ce que représente le Rojava en terme de progrès politique est expliqué ci-dessous, de l’intérieur, dans une chronologie du développement politique du PKK (Parti Ouvrier du Kurdistan) d’origine marxiste, ayant vu le jour en Turquie au milieu des années 1970 et avec son adhésion en 1999 à un modèle de communalisme, municipalisme libertaire, non étatique et non exclusif aux communes kurdes, mais ouvert à tout à chacun, inspiré des travaux de l’ex-marxiste devenu anarchiste américain Murray Bookchin.

Mis en place dès 2005 au Rojava sous la forme de l’organisation du YPG, extension dans la zone du PKK, le confédéralisme démocratique préconisé par Abdullah Öcalan, leader du PKK et prisonnier politique en Turquie, se renforça en 2011 avec le début des troubles en Syrie et la lutte armée contre l’EIIL, armée d’ingérence mercenaire salafiste, financées par le Qatar et l’Arabie Saoudite et aidé logistiquement par la Turquie, les Etats-Unis, Israël, la Grande-Bretagne et la France. N’oublions pas que l’EIIL est une création des Etats-Unis en Irak pour perpétrer la guerre civile et diviser une population dirigée par un gouvernement d’obédience chiite, aidé par l’ennemi juré des Yanks dans la région: l’Iran.

En 2011, Öcalan publia son “Manifeste du Confédéralisme Démocratique”, comme feuille de route politique des communes libres confédérées.

Depuis 2016, un grand flou règne au Rojava, l’EIIL a été vaincu sur le terrain, par les forces kurdes seules jusqu’à récemment, et devant les pressions syrienne mais surtout turque, certains éléments influents pactisèrent avec le fourbe empire américain, plaçant ainsi le Rojava entre le marteau et l’enclume, dans une configuration politique hybride, celle de la “charte du Rojava”, ayant trahi en grande partie le Confédéralisme Démocratique ; ce qui fit dire à Hassan Nasrallah, SG du Hezbollah, en 2018:

Les États-Unis ne font qu’exploiter les Kurdes afin de réaliser leurs plans ; les Américains n’hésiteront à trahir les Kurdes, une fois qu’ils auront fini leur travail …
Nous savons que le Pentagone reçoit un budget de 500 à 700 millions de dollars sous couvert de l’appui aux Kurdes de Syrie…À quoi est destiné ce budget ? Cette somme, devra-t-elle être dépensée pour instaurer la démocratie en Syrie ou pour soutenir les Kurdes qui sont censés tirer la leçon de l’expérience du passé… Vous devez savoir qu’à l’heure actuelle, les États-Unis vous utilisent comme un instrument pour faire avancer leurs plans, y compris le cadre de leur lutte contre la Syrie, l’Iran, la Russie et l’axe de la Résistance. Mais finalement, ils ne se préoccupent que d’assurer leurs propres intérêts. Ils vous vendront tout simplement et vous laisseront seuls. »

Nasrallah avait raison bien entendu, la preuve en est faite depuis quelques jours, mais il y a néanmoins une chose à dire: Il ne peut y avoir de démocratie en Syrie, ni dans toute la région, ni dans le monde, sous l’égide d’un régime politique étatique quel qu’il soit. La voie du futur pour les peuples, l’émancipation et la liberté est celle du Confédéralisme Démocratique, bien compris et intégré par les peuples où qu’ils soient pour servir leurs intérêts en toute autonomie politique.

Le fait est que l’expérience politique du Confédéralisme Démocratique kurde et de toute initiative politique mondiale tendant à mettre l’état et la dictature marchande sur la touche, voient systématiquement une coalition de tous les états se lever pour préserver les intérêts des privilégiés au pouvoir. Aujourd’hui, nous voyons tout le monde, des traîtres yankees, aux Russes en passant par les Iraniens, demander aux Kurdes du Rojava de “s’en remettre à l’autorité du gouvernement syrien”. En cela, cette affaire de l’autonomie confédérale non étatique kurde commence à singulièrement ressembler  à celle menée par les Espagnols entre 1936 et 1939, qui vit une coalition étatique multinationale de l’URSS marxiste à l’Allemagne nazie en passant par l’Italie fasciste et la France “modérée” de Front Populaire ne l’oublions pas, se liguer contre les collectifs autonomes de Catalogne, d’Aragon et du Levant pour éradiquer le seul type d’organisation politique fondamentalement létale pour l’État et les oligarchies en place, la société libre émancipée, qu’on l’appelle “confédéralisme démocratique”, ou quoi que ce soit d’autre. Ils le firent en soutenant directement ou indirectement la réaction franquiste qui finît par l’emporter.

Ce scénario est en train d’être rejoué au Rojava, situé dans le nord de l’actuelle Syrie résultat d’un découpage colonial arbitraire et donc par essence oppresseur, via les rouages étatiques toujours en vigueur. C’est ce qu’a finalement magnifiquement compris le leader du PKK Abdullah Öcalan lorsqu’il émit l’idée du confédéralisme démocratique en 1999.

Pour mieux comprendre la position fondamentale des Kurdes du Rojava et du PKK tel qu’il est pensé depuis 1999 et non pas au travers du prisme des délires propagandistes turcs, occidentaux et moyen-orientaux, il est important de lire ce qui suit, ce texte de la Commune Internationaliste du Rojava, que nous avons scindé en deux parties pour en alléger la lecture.

Vive les Communes Libres Confédérées pour que vive enfin la Société des Sociétés  au Rojava, au Moyen-Orient, partout dans le monde!…

~ Résistance 71 ~

« Quiconque se fie aux Américains ou mise sur les accords conclus avec eux finira par être trahi . c’est le destin de quiconque  voudrait miser sur les Etats-Unis.”
~ Hassan Nasrallah ~

Pour qui en doute… Demandez aux nations originelles amérindiennes ce qu’elles en pensent…

 

 

De l’État à la démocratie: anatomie d’un changement de paradigme

 

Komun

Commune Internationaliste du Rojava

 

Juin 2018

 

Source: https://komun-academy.com/2018/06/27/the-new-paradigm/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~ Octobre 2019 ~

 

1ère partie
2ème partie

 

Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkêren Kurdistan)  a émergé au milieu des années 1970 comme un mouvement de libération nationale, largement inspiré par les idées d’un socialisme réellement existant. Mais, au cours du processus de développement du parti, le fondateur et le leader de ce parti, Abdullah Öcalan, préféra développer une compréhension du socialisme et de la révolution allant au delà de celle, centralisée, trouvée en Russie et en Chine. Au travers de ce processus, le PKK fut transformé d’un petit groupe idéologique en une des forces politiques et militaires les plus puissantes au Moyen-Orient. Tandis que la lutte armée de guérilla qui continue depuis 1984 est une des plus longues et endurantes luttes armées au monde, les zones d’organisation du PKK se sont étendues du nord-Kurdistan aux autres parties du Kurdistan (ouest, est et sud) et englobent les diasporas kurdes de l’Australie aux Etats-Unis en passant par la Russie et l’Europe.

A la fin des années 1990, le PKK est devenu le plus grand et le plus dynamique des mouvements kurdes. Alors que tout ceci prit forme sous l’égide d’un mouvement de libération nationale et une compréhension du socialisme qui fut cadrée lors du processus fondateur du parti ; au début des années 90, Ocalan intensifia ses efforts pour renouveler ses buts idéologiques et organisationnels. Son but fut de développer une nouvelle approche, en particulier avec une critique radicale de la compréhension du socialisme existant et en ouvrant la question de la femme dans la société. Bien que le congrès du PKK en 1995 fit quelques progrès sur ce sujet, il n’y eut pas de changement d’échelle signifiant à ce niveau.

Le PKK entreprit alors une régénération radicale après que son leader et fondateur Abdullah Öcalan fut enlevé au Kenya par l’entremise d’une conspiration internationale et fut livré à la Turquie en 1999. Öcalan, qui est détenu en QHS et en isolation dans la prison de l’île de Imrali en Mer de Marmara depuis le jour de sa capture, a créé un changement de paradigme au PKK au moyen de ses écrits de défense légale soumis à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, écrits préparés sur l’île de sa détention. De fait, le seul rare contact qu’Öcalan puisse avoir avec l’extérieur, sont ses contacts, souvent empêchés, avec ses avocats.. Dans les premières années de sa détention, il était autorisé de voir ses avocats une fois par semaine pendant deux heures, temps réduit pas la suite à une heure. Il était aussi autorisé de recevoir la visite de proches pendant une heure une fois par mois. Au cours de ses rencontres hebdomadaires avec ses avocats, Öcalan produisit deux groupes de textes qui formeront l’idéologie fondamentale du parti.

Le premier groupe de textes fut celui de sa défense légale en regard de ses procès en Turquie et à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), textes qui étaient manuscrits et passés à ses avocats, ils devinrent une référence idéologique fondamentale pour le PKK. Le second groupe de textes était composé de notes prises par ses avocats lors de leurs rencontres. Ceci fut autorisé jusqu’en 2005, puis interdit, ce qui obligea les avocats à écrire ces notes juste après les réunions. Ces notes furent communiquées au public au travers des chaînes de télévision, des agences de presse et des journaux kurdes. Ces textes de manière générale traitaient de questions politiques spécifiques. Après des années d’obstruction, les réunions d’Öcalan avec ses avocats prirent fin en 2011. Depuis 2014, à part une visite, Öcalan n’a plus la permission même de recevoir les membres de sa famille.

Mais le véritable travail en profondeur qui détermina la transformation idéologique du PKK eut lieu sur une période de douze ans entre 1999 et 2011, fondée sur les textes qui constituèrent sa défense légale, soumise aux tribunaux par Ôcalan. Ces textes peuvent être divisés en deux groupes : ceux soumis aux tribunaux turcs et ceux soumis aux tribunaux européens, en fait à la CEDH de Strasbourg et à un tribunal en Grèce s’occupant de son extradition depuis la Grèce. Ces textes de défense ont été publiés en kurde, en turc et dans d’autres langues. Le premier groupe de ces textes consistent en deux textes fondamentaux: le texte principal envoyé au tribunal d’Imrali et ses appendices soumis à la Cour de Cassation (Haute Cour d’Appel turque) en 1999 et à un tribunal de district d’Urfa en 2001. Les titres, tels qu’ils sont publiés de ces deux textes sont: “‘Resolution Declaration in the Kurdish Question’ and ‘Urfa: a symbol of history, sanctity and malediction in the Tigris-Euphrates basin’.

Quant au second groupe de texte soumis à la CEDH en 2001, la cour d’Athènes en 2003 et à la grande chambre de la CEDH en 2004, il consiste en deux livres de trois volumes. Le titre du premier livre en deux volumes est :  From the Sumerian Priest State towards the People’s Republic I-II’ (2001), le second livre connu sous le vocable de “la défense d’Athènes”, porte le titre : ‘Free Human Defence’ (2003) and ‘To Defend a People’ (2004). Dû au fait d’une autre affaire enregistrée avec la CEDH sur la base qu’il n’y avait pas eu de juste procès, Öcalan prépara une nouvelle défense. Ce travail, définit par Öcalan comme ‘The Problematisation of Capitalist Modernity’ fut publié en turc en cinq volumes entre 2009 et 2012. Ces textes de défense furent publiés par le PKK et furent acceptés en congrès du parti après 1999 comme étant la ligne officielle du PKK.

Öcalan en général résume sa position sur le premier groupe de textes soumis à la cour d’Imrali puis à la Haute Cpur d’Appel de cette façon: “[Pour ma défense], je n’ai pas de vue pour un nationalisme kurde classique ni pour une interprétation de gauche de celui-ci. L’ère s’en est allée bien au-delà de tout cela.” (Ocalan, 1999:10)

Dans le second groupe de textes envoyé à la CEDH, Öcalan approfondit son approche théorique. Le premier des trois volumes s’engage dans une analyse historique de la civilisation, commençant au Moyen-Orient, focalisant sur la civilisation sumérienne comme étant la “première société étatique”. Bien que plus loin dans le livre, Öcalan parle d’autres sociétés et d’autres périodes, son but principal est d’analyser l’État comme étant le “pêché originel” de l’humanité. Ceci est stupéfiant, car il est un leader politique d’une société largement décrite comme “le plus grand peuple du monde sans état”. Quoi qu’il en soit, Öcalan maintint sa critique de l’État, y ajoutant l’expérience du socialisme, disant que la libération ne peut pas être acquise en construisant un état, se faisant au contraire l’avocat du fait que la démocratie devrait être renforcée. Comme sa première défense, ceci fut accepté comme un nouveau manifeste qui prit le titre de “Manifeste pour le Confédéralisme Démocratique” au VIIIème congrès du PKK de Serxwebûn en 2002.

Dans le second volume soumis à la CEDH, Öcalan analyse en détail la société kurde, son histoire et en particulier, le rôle du PKK dans celle-ci. Tout en positionnant la société kurde dans l’histoire de la civilisation, Öcalan la présente comme uns société naturelle ou comme une communauté vis à vis des sociétés à état. Il attribue ce naturalisme à l’existence d’une culture néolithique profonde assumée avoir longtemps continuer dans les tribus kurdes. D’après Öcalan, les société de classe (état) et la modernisation ont amené la ruine aux Kurdes, le PKK devenant ainsi le dernier rempart de résistance à ce processus. Dans ce cadre précis, Öcalan a entrepris de montrer les limites et le point de congestion du PKK. Les restrictions idéologico-politiques de la guerre froide ont conditionné le PKK, même 10 ans après la fin de ce conflit. Avec cette analyse, Öcalan visait à évaluer l’histoire du PKK et à adresser ses erreurs passées.

Dans ses écrits de défense légale à la Cour d’Athènes et à la Grande Chambre de la CEDH, Öcalan transforma ses idées théoriques en une conceptualisation pour une démocratie radicale (NdT: ancrée dans ses racines profondes). Cette idée de démocratie radicale fut développée dans le contexte de trois projets connectés: une répubique démocratique, une autonomie démocratique et un confédéralisme démocratique. Ces trois projets politiques fonctionnent comme “un déterminant stratégique”. En d’autres termes, elles sont des idées et des instruments, moyens par lesquels les demandes politiques des Kurdes sont redéfinies et réarrangées. Cette idée de démocratie radicale est radicale parce qu’elle analyse le concept de démocratie au-delà de la nation et de l’État.

Le concept d’une république démocratique envisage une réforme dans la république turque dans laquelle la citoyenneté est séparée du nationalisme. De cette façon, la démocratie retournera à la “compréhension de la démocratie du début de l’époque moderne” et à son pouvoir radical de transformation. En fait, la démocratie fut formulée au XVIIIème siècle sur la base des droits des citoyens et que chacun gouvernerait chacun. Mais aux XIXème et XXème siècles avec la perte dominante de la notion de démocratie radicale, celle-ci perdit de sa substance et gagna une signification culturelle. Cette veine, qui émergea de la pensée moderne, considéra l’homogénéité culturelle être nécessaire pour l’état moderne et affirma la forme nationaliste de ceci comme étant indispensable.

Cette condition “nationale” de modernité est exclusive et intolérante ; elle ne permet pas une quelconque alternative à ceux qui ne possèdent pas les caractéristiques culturelles “correctes” et ne laissent pas d’autre choix que l’assimilation (réelle ou fictive, superficielle) ou l’émigration. Les autres options dans ce contexte pour l’État en plus de l’assimilation sont le déplacement forcé, le nettoyage ethnique ou le génocide. En Turquie, le kémalisme fut formulé d’un point de vue de projet de modernisation, résultant en des politiques d’assimilation dures et drastiques envers les Kurdes.

Ôcalan, en proposant une république démocratique, se fait l’avocat de la démocratie dans le contexte des droits citoyens.

L’idée de Confédéralisme Démocratique, dans des écrits de sa défense ultérieurs, fut développé avec l’idée d’autonomie démocratique, est défini comme un modèle “d’auto-gouvernement démocratique” (Öcalan, 2008: 32). La démocratie radicale d’Öcalan est intrinsèque au concept de confédéralisme démocratique qui est emprunté à Murray Bookchin. Celui-ci, qui appela son idéologie, le municipalisme, proposa une nouvelle politique radicale. Il reconnut “les origines de la démocratie dans les communautés de villages et dans les tribus” et arriva éventuellement à formuler son projet de Municipalisme Libertaire.

Dans ce projet, Bookchin envisageait la mise en place de structures démocratiques locales comme des “assemblées communales, des réunions de ville et des conseils de voisinages”. Afin de prévenir du danger que ce projet ne s’épuise ou ne soit utilisé que pour des buts purement locaux, Bookchin proposa le principe du confédéralisme. Par ceci il voulait dire “un réseau consistant en des conseils administratifs directement élus par des assemblées de membres ou de délégués de villageois, des villes et même de voisinages pour les grandes villes. Ôcalan fut influencé par ces idées et des principes du confédéralisme, développa une compréhension toute similaire.

En parallèle à son analyse historique de la civilisation fondée sur une critique de l’État, Öcalan insiste également sur les échecs du socialisme existant et des mouvements de libération nationale. Selon lui, les deux tombèrent dans le piège de l’idée de la création d’un état. Au lieu de cela, Öcalan puise dans les influences toujours existantes des valeurs communales de la société néolithique qui n’ont pas été entièrement éradiqués par le développement d’une société hiérarchique fondée sur l’état. Ces valeurs communales peuvent être résumées comme la socialisation fondée sur le genre, une vie en harmonie avec la nature et une société fondée sur le collectivisme et la solidarité. Ceci constitue la base de la compréhension d’Öcalan sur la démocratie prenant la forme du confédéralisme démocratique.

Basé sur ces valeurs, le confédéralisme démocratique est organisé sur quatre niveaux. En bas se situent les communes des villages et des districts. Ces communes sont inter-reliées dans une ville et aussi au niveau régional. Puis il y a les catégories sociales comme les enfants et les femmes. Un autre niveau d’organisation émerge au niveau culturel dans un cadre d’interaction des différents groupes ethniques, religieux et culturels. Le quatrième et dernier niveau est celui des organisations de la société civile. Le confédéralisme démocratique organisera la société au travers d’assemblées au niveau des villages, des villes et des régions, via une organisation horizontale. En d’autres termes, le confédéralisme démocratique se définit comme un modèle “d’auto-gouvernement démocratique”.

D’après Öcalan “ce projet est fondé sur l’auto-gouvernement des communautés locales, de parlements locaux et de congrès plus larges. Les agents directs de cet auto-gouvernement sont les citoyens eux-mêmes et non pas des fonctionnaires d’état.

De ce point de vue, Öcalan insiste constamment pour que la structure confédérale de ce projet n’ait absolument rien à voir avec la “communauté des états membres dirigeant”. Au contraire, le confédéralisme démocratique vise à consolider, à approfondir les communautés fondées sur la démocratie. En plus de cela, il y a un besoin de refaçonner les processus politiques et judiciaires et la structure politique dans le pays. En conséquence,  le modèle d’organisation des gens par delà l’État, c’est définir leur relation avec l’état existant ou l’autorité.

Öcalan propose une république démocratique comme forme de gouvernement à cet égard. Il sera possible de trouver une résolution de la question kurde sous cette forme de gouvernement. Il a ensuite développé le concept d’autonomie démocratique comme une forme de relation. Le confédéralisme démocratique est en même temps un complément de l’autonomie démocratique pour la position des gens sur un plan économique, culturel et social. L’autonomie démocratique exprime la forme de relation avec l’état et ses fonctionnaires. (NdT: ceci est un concept développé par Gustav Landauer dans les années 1910). En ce qui concerne la Turquie, une alternative pour une résolution politique démocratique de la question kurde lui est offerte et cette résolution nécessite la reconnaissance constitutionnelle de l’identité nationale kurde.

Quoi qu’il en soit, cette reconnaissance n’est pas proposée par le PKK comme une façon de dessiner une ligne séparant le système confédéral démocratique kurde et l’état turc. Au lieu de cela, une relation inclusive est envisagée exprimée de la sorte: “l’autonomie démocratique est un concept qui définit le relation avec l’état, cela peut-être réalisé au sein d’un état unitaire ou dans un système fédéral.

Mais cette relation inclusive n’exclut pas une sorte “d’unité” entre les kurdes dispersés dans bien des pays du Moyen-Orient. Comme Öcalan a proposé la mise en place de corps de gouvernement partout au Kurdistan et où les Kurdes vivent, le confédéralisme démocratique deviendra le mécanisme principal pour unifier le Kurdistan et les Kurdes. D’après Öcalan, le mouvement de libération kurde devrait s’attacher à établir un tel système d’auto-gouvernement.

A suivre…

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Lectures complémentaires:

Longue vie au Rojava !… Le texte du Confédéralisme Démocratique

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Pierre_Bance_Lheure_de_la_commune_des_communes_a_sonne

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

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Déclaration de la Commune Internationaliste du Rojava à propos de l’invasion turque en cours

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 10 octobre 2019 by Résistance 71

 

Déclaration de la Commune Internationaliste du Rojava

 

Jour X – Le moment est venu – La guerre a commencé !

Nous appelons à mobilisation, à défendre le Rojava

 

0ctobre 2019

 

Source:

https://internationalistcommune.com/jour-x-le-moment-est-venu-la-guerre-a-commence/

 

Il y a quelques heures, l’État fasciste turc a commencé son opération d’occupation sur les territoires libérés du nord-est de la Syrie.

Des avions de guerre turcs attaquent les villes et villages de Serekaniye et Gire Spi. Qamishlo, Derik et beaucoup d’autres endroits le long de la frontière sont sous le feu de l’artillerie lourde. Les forces d’autodéfense de la Fédération démocratique du Nord-Est de la Syrie réagissent avec sévérité aux attaques des hordes de fascistes, des centaines de milliers de combattants et la population civile à leurs côtés sont prêts à combattre jusqu’au bout. La situation est claire, nous appelons à une résistance mondiale.

Les forces impérialistes ont décidé de déclarer la guerre. Les troupes sur le terrain agitent les drapeaux de la Turquie et de l’État islamique, mais la décision a été prise non seulement à Ankara mais aussi dans les palais de Washington, Moscou, Paris et Berlin.

Depuis le début, la Révolution du Rojava a été une révolution internationaliste. Une révolution pour libérer non seulement la population kurde en Syrie, mais aussi le Moyen-Orient des siècles de colonialisme, d’oppression et de dictature. Et c’est une révolution internationaliste, parce que beaucoup d’internationalistes ont rejoint cette révolution, en première ligne contre l’État islamique et le fascisme turc, nous avons aidé dans les hôpitaux, planté des arbres et travaillé pour construire une société démocratique et écologique, basée sur la libération des femmes. Et de nombreux révolutionnaires se sont joint.es à la lutte dans le monde entier, parce que la révolution en Syrie nous a montré à tous qu’un autre monde n’est pas seulement théoriquement possible, mais qu’il est en train de se construire dans la vie quotidienne.

Aujourd’hui, le moment est venu de montrer ce que nous avons construit au cours des dernières années en termes de camaraderie et d’internationalisme à travers le monde. Aujourd’hui, le moment est venu de remettre l’internationalisme en pratique en défendant la révolution, et à travers elle, nous défendrons nos espoirs, nos souhaits et nos rêves.

Même si nous nous opposons à la deuxième plus grande armée de l’OTAN, avec des milliers de gangs islamistes comme chair à canon, nous savons que derrière cette révolution se cachent des millions de révolutionnaires, ami.es, sœurs et frères. Et avec elles et eux tous, avec vous tous, nous augmenterons notre protestation politique au niveau de la résistance politique, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’exportations d’armes vers la Turquie, jusqu’à ce que le régime fasciste turc soit vaincu.

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A lire:

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

 

Révolution sociale: Info de l’intérieur du Rojava et du Confédéralisme Démocratique pour une convergence des luttes émancipatrices…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, documentaire, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 26 septembre 2019 by Résistance 71

Ce texte ci-dessous répond à des questions que bien des gens se posent au sujet du Rojava. Un témoignage de l’intérieur, celui d’un militant combattant français du Rojava (entre 2015 et 2017), qui confirme ce que nous pensions sans avoir d’info plus précise sur la situation, car beaucoup de choses dites et écrites n’étant que propagande. Hébert répond à des questions que nous nous étions posées ici sur ce blog en compagnie d’un lecteur attentif et assidu, « Bernardo », et qui menèrent à quelques discussions des plus intéressantes ; Bernardo que nous remercions au passage pour ses participations actives. Nous lui dédions cette publication.
Il devient impératif de fusionner les luttes émancipatrices de la dictature marchande:
Rojava, Chiapas, Oaxaca, ZAD, Gilets Jaunes, même combat !

A bas l’État ! A bas la marchandise ! A bas l’argent ! A bas le salariat cet esclavagisme « moderne » ! Pour que vive la société des sociétés, celle des communes libres confédérées pour le bien commun et le bonheur de toutes et tous.

~ Résistance 71 ~

 

 

Prendre les armes pour la révolution au Rojava, entretien avec André Hébert

 

Revue Ballast

 

Septembre 2019

 

url de l’article original:

https://www.revue-ballast.fr/prendre-les-armes-pour-la-revolution-du-rojava-entretien-avec-andre-hebert/

 

Convoquant la mémoire internationaliste de la guerre d’Espagne, André Hébert a rejoint le Rojava (ou Fédération démocratique de la Syrie du Nord) pour défendre, sous le nom de Firat, la révolution au sein de ses armées. Son livre, Jusqu’à Raqqa, est un journal de guerre : il rend compte des mois passés, entre 2015 et 2017, à lutter contre l’État islamique. Sans haine, écrit-il : il fallait seulement le mettre « hors d’état de nuire ». Mais la fin du califat ne signe pas celle des hostilités. À la faveur d’un pacte conclu avec les États-Unis, Erdoğan vient de renoncer à attaquer une nouvelle fois le Rojava. L’un de ses trois cantons vit déjà sous occupation turque depuis début 2018 : la situation demeure instable pour la révolution communaliste, menacée, en outre, par le nationalisme acharné de Damas — avec qui les autorités kurdes se voient contraintes de négocier. « Mon esprit est peuplé de fantômes, ceux de mes amis morts au combat », écrit-il encore. Nous nous sommes entretenus avec le militant marxiste de 27 ans, qui réside actuellement en France.

Mediapart a récemment publié un article sur les militants internationalistes rentrés du Rojava. Vous le jugez « insultant » et estimez qu’il a « tout l’air d’être une commande de la DGSI ». Comment l’entendre ?

La seule explication que je trouve, c’est qu’il s’agit, pour la rédaction de Mediapart, d’un moyen de remercier ses sources. Elles l’informent sur quantité de sujets : il faut des renvois d’ascenseur de temps en temps. Visiblement, c’en est un. Tout ce papier obéit au schéma narratif du ministère de l’Intérieur depuis des années. Il ne donne à lire que des suppositions, des éléments que la police n’arrive pas à prouver. Mediapart n’a pris aucun recul : leur rédaction a déroulé le tapis rouge à l’argumentaire du pouvoir. Tout en me citant à deux reprises — ce qui ne contrebalance rien. C’est un papier anxiogène et mensonger. Sans parler, dans l’affaire qui me concerne, du fait que Mediapart commet une erreur grossière : la Justice m’a donné raison. Elle m’a rendu mon passeport et m’a indemnisé.

Vous écrivez dans votre livre que, quand bien même la révolution du Rojava trahirait un jour « ses promesses », cela ne salirait en rien l’expérience internationaliste qui fut la vôtre. Est-ce encore une crainte, cette trahison ?

Toute révolution peut être trahie, l’Histoire l’a montré. Sur place, j’ai parfois eu des doutes mais je n’ai jamais cessé de soutenir la cause. C’est d’ailleurs un risque moins présent, aujourd’hui. Même si, pour survivre, les Kurdes doivent passer un accord avec le régime de Bachar el-Assad et négocier, avec les Américains et la Turquie, une zone de sécurité. Un risque existe, à l’avenir, que les YPG/J [branches armées du Parti de l’union démocratique, ndlr] intègrent, le couteau sous la gorge, l’armée syrienne. Ce qui amoindrirait considérablement tous les bienfaits de la révolution. Mais, aujourd’hui, je suis confiant. Ces derniers temps, face à la Turquie, les Kurdes ont clairement fait savoir qu’ils ne céderaient pas les territoires pour lesquels ils ont combattu. Ils n’ont pas l’air de vouloir faire des concessions dangereuses.

Vous insistez sur le caractère tyrannique du régime de Damas. Est-ce une manière de rappeler que Daech n’était pas le seul ennemi ?

La guerre civile syrienne a, assez tôt, débouché sur un statu quo entre le Rojava et le régime syrien. Pour ce dernier, la partie kurde (le nord, donc) ne représentait pas un enjeu vital et stratégique. Même s’il y eut, au début de la guerre civile, des combats entre les Kurdes et le régime (on parle d’un millier de morts), Assad et le Rojava étaient trop occupés à combattre leurs ennemis respectifs pour se combattre eux-mêmes. L’intégralité des gens avec qui j’ai discuté là-bas détestent le régime. Les YPG nous disaient qu’ils étaient, sous les Assad, des citoyens de seconde zone. Que leur langue était méprisée, interdite, qu’ils n’avaient pas de papiers, pas de passeport. Que les secteurs dans lesquels ils vivaient avaient été volontairement sous-développés. Qu’ils avaient difficilement accès aux emplois publics. Bref, les Kurdes sont victimes, depuis longtemps, de discriminations en Syrie. Je voulais rappeler que même si ces deux camps ne sont pas entrés en guerre l’un contre l’autre, il n’existe aucune proximité entre eux.

Certains, à gauche, ont déploré que le Rojava et l’opposition syrienne ne marchent pas main dans la main…

Aux premiers temps de la guerre civile, des unités arabes ont combattu à Kobané, avec des Kurdes, contre Daech. Quand j’étais à Raqqa, mes compagnons d’armes étaient tous arabes. Pratiquement tous avaient servi dans l’Armée syrienne libre avant de rejoindre les Forces démocratiques syriennes. Mais la réponse à votre question est simple : l’opposition à Assad a été complètement noyautée et prise en main par les islamistes. Aucun accord n’était possible avec les YPG/J. À quoi il faut ajouter que la Turquie a entièrement mis la main sur l’opposition à Assad, ajoutant des mercenaires aux islamistes. Tout rapprochement a donc été impossible.

Une autre critique, toujours à gauche, a porté sur l’implication des États-Unis : le Rojava est accusé d’être une base-arrière de l’impérialisme occidental. C’est délirant ?

Complètement. Quand un groupe révolutionnaire a à sa charge la vie de millions de personnes, il se voit aussitôt confronté à la question des puissances impérialistes régionales et internationales. En Syrie, elles sont toutes présentes, et s’affrontent toutes. Les Kurdes ont manœuvré intelligemment. Ils ont joué des rivalités entre les nations. Ils ont fait des alliances de circonstance — pour leur survie, tout simplement. Raisonner en termes de pureté idéologique, c’est une affaire de révolutionnaires européens dans des salons. Quand tant de vies sont en jeu, oui, il faut faire des alliances stratégiques. Au Rojava, tous les gens que j’ai rencontrés savent parfaitement que les Américains ne sont que des alliés de circonstance. Ça s’arrête là.

Vous estimez que les organisations révolutionnaires françaises, qu’elles soient marxistes ou libertaires, n’ont pas été à la hauteur. Qu’elles ont alterné entre une « position équivoque » et un « soutien critique ». Pourquoi cette prudence ?

Ces organisations ont effectivement manqué à leurs devoirs. Elles n’ont pas analysé dans le détail la complexité de la guerre civile syrienne. Elles sont passées à côté de la révolution du Rojava. C’est extrêmement grave. Peut-être existait-il aussi une forme de condescendance : c’est le Moyen-Orient, il y a tout le temps des guerres là-bas, c’est trop compliqué… Soutenir le Rojava impliquait que ces organisations viennent sur place, que ce soit dans le civil ou dans le militaire, pour être acteurs de la révolution et, de retour, transmettre en Europe ce qu’elles y ont appris. Ces organisations se mobilisent contre le capitalisme en France mais elles se sont rendues compte qu’elles n’étaient pas prêtes à aller au bout de leur engagement révolutionnaire. Déficit d’analyse et hypocrisie lâche, donc.

Le Chiapas zapatiste jouit, lui, d’un soutien quasi unanime.

La gauche anticapitaliste se montre également bien moins critique avec la cause palestinienne. Comment l’expliquer ? J’ai encore du mal à l’appréhender rationnellement.

Le fait qu’il existe, en France, une OPA des libéraux sur la « question kurde » ne pèse-t-il pas ? On pense bien sûr à Fourest, Kouchner, BHL

Si, c’est certain. Les Kurdes ont détruit le califat de l’État islamique pour leur propre survie, non pour faire plaisir à l’Occident. On les a dépeints comme les fers de lance de la lutte contre le jihadisme : un certain nombre de personnalités se sont greffées sur eux et ont dénaturé, par leur communication médiatique, le mouvement révolutionnaire. Elles ne parlent pas du socialisme, des communes. Elles n’ont parlé que des femmes contre l’État islamique. Bien sûr que le féminisme est réellement le premier pilier de la révolution — Öcalan [cofondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan, ndlr] écrit noir sur blanc qu’il faut libérer les femmes pour commencer à libérer la société. Mais un cadre du Parti me disait regretter que la communication se fasse, à l’international, uniquement sur cette question, souvent traitée de manière caricaturale. Tout en me disant qu’ils ne pouvaient refuser cette exposition, dans un contexte de survie, d’autant qu’ils n’étaient pas responsables de ce que les Occidentaux retenaient de leur lutte.

Vous évoquez la mémoire de la guerre d’Espagne. Le point commun avec le Rojava, est-ce l’antifascisme ?

Il y a cet aspect. J’utilise le mot « fascisme » parce que la révolution l’utilise pour qualifier ses ennemis. Pour eux, Daech et Erdoğan sont des équivalents des fascismes que nous avons connus en Europe. Ce qui ne signifie pas que je transpose exactement les deux époques et les deux situations. Mais c’est aussi lutter aux côtés de révolutionnaires socialistes et féministes contre cet État ultra-nationaliste, militarisé et policier qu’est la Turquie, ou contre l’obscurantisme ultra-violent qu’est Daech. C’est également de retrouver des gens venus du monde entier, qu’ils soient apoïstes1, communistes ou libertaires, réunis pour le même but et se battant sous une étoile rouge.

Les désaccords historiques entre les marxistes et les anarchistes s’estompent, racontez-vous, sur le terrain. C’est l’un des enseignements de la révolution ?

C’est même l’un des principaux succès du Bataillon international de libération et plus largement des forces armées sur place. Chacun conservait son origine politique et sa grille d’analyse, mais on œuvrait ensemble. Quand on voit l’importance des querelles de chapelles en Europe, leur difficulté à travailler ensemble, c’est ridicule. On passe tellement de temps à discuter de ces divergences… Au Rojava, on était unis. On participait à un mouvement qui est déjà entré dans l’Histoire : on n’avait vraiment pas le temps de se diviser sur des questions idéologiques. Notre urgence, en Europe, c’est le climat ; c’est donc se débarrasser du capitalisme. Il est criminel de nous diviser au lieu d’agir.

Votre ancrage est marxiste. Combattre pour la révolution vous a‑t-il déplacé idéologiquement ?

Je ne dirais pas ça. Mais ça m’a apporté une vision concrète de ce que pourrait être une révolution au XXIe siècle. De voir la pratique, la mise en place des communes, l’introduction de la démocratie dans les forces armées.

D’ailleurs, pourquoi avoir choisi ce nom, Hébert, et pas Saint-Just, Roux, Desmoulins ou Robespierre ?

À vrai dire, ce n’est pas vraiment une référence à l’homme que fut Hébert. J’ai fait des études d’histoire, c’était un simple clin d’œil à la Révolution française. Mais, d’un strict point de vue politique, j’aurais choisi Gracchus Babeuf.

Vous avez salué la décision de François Hollande d’avoir appuyé militairement le Rojava. Venant d’un révolutionnaire, c’est un aveu qui pourra en étonner plus d’un !

Ça peut faire grincer des dents. Mais c’est une réalité objective : l’État français a joué un rôle moteur dans la coalition. La France a connu 130 morts sur son territoire [le 13 novembre 2015, ndlr] ; le pouvoir devait donner le change et montrer à la population qu’il comptait lutter contre Daech. Bien sûr que la décision d’Hollande n’était pas désintéressée. Il n’en reste pas moins que c’était une bonne décision. L’envoi de forces spéciales sur le terrain a été bénéfique. Ce n’est pas parce qu’on est révolutionnaire qu’il faut donner dans la critique stérile et obtuse. Je suis le premier à critiquer la politique impérialiste de mon pays, mais je tiens à faire preuve de cette même lucidité quand il y a de bonnes — mais rares — décisions gouvernementales. Sauf à être malhonnête intellectuellement.

En prenant la plume, vous vouliez toucher qui ?

Je ne veux pas m’adresser aux seuls militants, mais aux Français dans leur ensemble. Je m’inscris dans la stratégie des Kurdes, à savoir parler au plus grand nombre pour avoir un maximum de soutiens — vu la puissance de leurs ennemis, on va au plus utile, on n’est pas des purs. Ce livre permet de donner à voir, pour des gens qui ne sont pas forcément politisés, ce que signifié d’être communiste et internationaliste à notre époque.

La révolution reste « inachevée » par bien des aspects, dites-vous. Les défaillances écologiques sont assez régulièrement pointées. Quel autre chantier majeur voyez-vous pour les prochaines années ?

L’ambition écologique vient au départ du PKK, donc de la Turquie. Sa guérilla se déroule dans les montagnes, en symbiose avec la nature et au cœur de cet équilibre. Sans les comparer, son rapport à l’écologie s’intègre à la lutte à la manière d’un certain nombre de peuples indigènes. Au Rojava, qui est un territoire semi-désertique, c’est un tout autre environnement. Dans une économie de guerre, dans un quotidien sous embargo où toutes les forces sont tournées vers la guerre, l’écologie est en effet l’un des points les moins travaillés. L’autre point majeur, et c’est la critique que j’aurais à formuler, c’est que le Rojava, même si bien des choses ont été accomplies, a tendance à faire primer le politique sur l’économique. Ils ont encadré la propriété privée, ils ont redistribué des terres, et tout ne peut pas se faire d’un coup. Mais il faut que le Rojava tienne ce cap, tienne bon sur les coopératives : c’est ce qui conditionne tout le reste. C’est sans doute ma formation de marxiste… Mais c’est une jeune révolution. Les conditions sont extrêmes. Il faut être patient.

Le culte de la personnalité mis en place autour d’Öcalan est incontestable. Vous le critiquez, tout en expliquant qu’il y a là un « déplacement de religiosité ». C’est-à-dire ?

C’est une hypothèse que je formule. Ça m’a rappelé la Révolution russe : on retirait les portraits du tsar et les icônes religieuses pour les remplacer par les portraits des dirigeants bolcheviks. Un des points les plus admirables de la révolution, c’est cette forme de laïcité — ils ne l’appellent pas comme ça — qu’ils ont instaurée. C’est un travail de fond qu’ils mènent, dans une société extrêmement conservatrice et religieuse. Ils desserrent l’emprise religieuse sur les populations. D’où ce mécanisme inconscient de transfert.

Votre livre s’achève sur un sentiment : la nostalgie. De la fraternité, de la lutte révolutionnaire, des armes ?

Du collectif. De l’unité, du but. On sait qu’on change radicalement les choses, la vie des gens. L’existence, en France, c’est le contraire absolu. C’est la raison de cette nostalgie. Ce but collectif, ça n’a pas de prix. On se lève le matin, on souffre, mais on sait pourquoi on est là, on sait qu’on est utiles. Ça tombe sous le sens, et c’est inestimable.

Jamie Janson, un volontaire britannique engagé dans la lutte armée au Rojava, s’est suicidé il y a quelques jours, de retour chez lui. Vous parlez des vies de combattants comme de « vie[s] sacrifiée[s] »…

Six volontaires se sont suicidés, sur place ou de retour chez eux. En Europe, nous n’avons aucune structure d’encadrement. Les Kurdes sont pris en charge par leur communauté ; nous, nous sommes livrés à nous-mêmes. On est en train, avec des volontaires français, de réfléchir comment on pourrait répondre à ces situations psychologiques. La vie d’un combattant révolutionnaire, c’est la mort violente ou la prison : c’est inévitable. Personne n’est dupe. Nous étions conscients de ce que nous faisions. Si on repart, ce sera en connaissance de cause. Bien sûr qu’on ne décide pas de prendre des armes pour aller n’importe où.

Comment peut se traduire, dans le contexte français, la suite de votre engagement politique ?

Honorer la promesse que nous faisons au Rojava : parler de la révolution. Nous, militants anticapitalistes, avons enfin un modèle qui existe et qui fonctionne à citer en exemple. Il est impératif le défendre par tous les moyens. J’ai encore des choses à régler avec la Justice. Et je sais que nous sommes surveillés : on est un peu radioactifs… Si on s’implique dans une organisation, elle sera sous les radars du ministère de l’Intérieur. J’ai tenu à l’éviter.

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Lectures complémentaires:


Le livre

3ri-et-societe-des-societes-du-chiapas-zapatistes-aux-gilets-jaunes-en-passant-par-le-rojava-fevrier-2019

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

Manifeste pour la Société des Sociétés

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

6ème_déclaration_forêt.lacandon

confederalisme_democratique (Rojava)

 


Notre dossier « Rojava »
et « Confédéralisme Démocratique »

 


Réseau de Résistance et de Rébellion International

Résistance et solidarité: Avec le Rojava contre la guerre de la Turquie (Commune Internationaliste du Rojava)

Posted in actualité, altermondialisme, écologie & climat, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, pédagogie libération, politique et social, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 31 janvier 2019 by Résistance 71


Réseau Résistance Rébellion International

 

Avec le Rojava contre la guerre de la Turquie

 

Commune Internationaliste du Rojava

 

24 janvier 2019

 

url de l’article:

http://internationalistcommune.com/stand-with-rojava-oppose-turkeys-war/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistsance 71 ~

 

Une fois de plus, la menace d’une autre guerre pointe son nez sur le nord de la Syrie. Les troupes turques et leurs mercenaires islamistes se massent aux frontières de la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie qui s’auto-gouverne ; ces régions à prédominance kurde aussi connues sous le nom de Rojava. Les Turcs et leurs sbires se préparent à une invasion qui causera de nombreux morts et le déplacement, la migration, de dizaines voire de centaines de milliers de personnes civiles.

La situation sur le terrain est extrêmement tendue. Les populations de Mandjib et de Kobané ont formé un bouclier humain afin de protester contre l’invasion turque et se sont préparées à la guerre. Les Unités de Défense Populaires et Féminines (YPG et YPJ), tout comme les milices locales ne font pas que défendre leurs terres, mais elles défendent l’espoir. L’espoir d’une vie meilleure qui s’étend bien au-delà de la Syrie du nord. Un espoir qui a inspiré un bon nombre d’internationalistes du monde entier de venir ici au Rojava et de se joindre à la lutte.

Le week-end à venir, ils appelleront pour des journées mondiales d’action commune pour parler et manifester contre la menace de l’invasion turque.

“Sable et mort”

Peu de temps avant Noël, le président Trump a annoncé qu’il ordonnait le retrait des troupes américaines de Syrie, laissant la route libre à une invasion anticipée de longue date du Rojava par la Turquie et ses sbires mercenaires islamistes par procuration. Pourquoi ce changement si soudain de direction ? Depuis l’effondrement de l’URSS, les préoccupations principales des Etats-Unis et de ses alliés de l’OTAN au Moyen-Orient ont été d’affirmer leur contrôle et leur influence et d’affaiblir les positions de la Russie et de l’Iran dans la région. En œuvrant à ces objectifs, les états de l’OTAN ont mené une guerre partout dans la région, ont aidé les groupes terroristes islamistes, ont établi des milices et ont soutenu des régimes dictatoriaux.

Aujourd’hui, cette stratégie est en lambeaux, tandis que la Russie et l’Iran ont réussi à étendre leur influence dans la région. A l’exception d’Israël et de l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis sont relativement seuls maintenant que l’allié de l’OTAN Turquie, elle aussi, tourne le dos à la coalition et recherche activement un rapprochement avec la Russie et l’Iran. A cet égard, il serait logique pour Washington d’essayer d’obtenir un accord avec Ankara pour les ramener dans le moule, sacrifiant la Syrie du Nord dans le processus. D’après Trump, il n’y a pas grand chose à y gagner pour les Etats-Unis de toute façon, mis à part du “sable et la mort”. De manière admise, beaucoup de personnes au sein de l’establishment américain ne voient pas les choses de cette façon., ils ne veulent pas laisser le champ libre à l’Iran ni à la Russie et ils ne veulent pas dépendre exclusivement de la Turquie.

Dès que Trump eut fini d’appeler Erdogan au téléphone, il se retrouva dans la ligne de mire de sévères critiques et a dû rapidement faire marche arrière. Le scenario suivant ne fut pas pour rien dans ce revirement: Bachar al Assad annonça que l’armée syrienne prendrait la place des Etats-Unis, bien entendu avec le soutien de la Russie et de l’Iran.

En réponse à l’annonce surprise de Trump, la France déclara que ses troupes demeureront en Syrie et rapidement, Trump revint sur ses décisions précédentes, disant qu’il était d’accord pour ralentir le processus. Après un attentat suicide revendiqué par l’EIIL/EI, qui tua plusieurs militaires américains à Mandjib le 16 janvier, l’affirmation non vérifiée de Trump disant que l’EI/Daesh avait été vaincu fut encore une fois prouvée fausse. Il apparaît pour l’heure, que les forces de la coalition maintiendront une présence sur le terrain à la fois pour continuer le combat contre l’EIIL et aussi pour protéger leurs alliés kurdes d’une attaque de la Turquie.


Confédéralisme Démocratique

Remonter le temps ?

Est-ce que cela veut dire que le peuple du Rojava et sa révolution sont maintenant en sécurité ? Pas du tout. Ni Assad, ni la Russie, ni aucune des puissances occidentales ne sont concernés par la protection de la population de la Syrie du Nord, ni de la sécurité des Kurdes ou de quelque autre minorité de la région que ce soit et certainement pas préoccupés par la sécurité et la libération des femmes et de la révolution démocratique en cours dans la région du Rojava. Ceci est devenu on ne peut plus évident l’an dernier après l’invasion de la région d’Afrin par l’armée turque et ses alliés des groupes djihadistes, ce avec le consentement à la fois de la Russie et de l’occident.

Cette fois encore, c’est la Russie qui a les cartes en main. S’il devait y avoir un accord entre Moscou et Ankara, alors Poutine pourra ordonner à Assad de se retirer et donner le feu vert à Erdogan pour l’invasion. Cet accord concernerait la situation à Idlib, une des dernières régions de Syrie qui n’a pas encore été ramenée sous le contrôle du régime. Erdogan pourrait être d’accord pour retirer ses groupes islamistes du Front de Libération National (Jabhat al-Wataniya lil-Tahrir) de la région d’Idlib, permettant ainsi une offensive des forces gouvernementales syriennes contre la forteresse islamiste. En retour, Assad offrirait le Rojava à la Turquie.

Bref, le Rojava demeure en très grand danger. Pour imaginer ce qu’une nouvelle guerre ferait aux gens d’ici, il n’y a qu’à regarder la situation dans les régions kurdes du sud-est de la Turquie ou dans la région d’Afrin occupée. Spécifiquement pour les femmes, une occupation par les forces cléricales fascistes serait un vrai désastre. Quant à Afrin, ce serait un retour en arrière et annulerait tout ce qui a été obtenu en termes de libération des femmes.

De nombreux appels contre la guerre ont été lancés ces dernières semaines. La demande est faite pour que les états et les entreprises impliqués dans la guerre en Syrie arrêtent Erdogan et arrêtent de vendre des armes à la Turquie. D’autres demandes suggérèrent d’établir une zone de contrôle aérien contre les avions de guerre turcs. Ces appels sont urgents, mais il est douteux qu’ils soient entendus par les états et les entreprises. S’ils sont entendus, rien ne se fera par gentillesse, mais seulement parce qu’ils seront forcés de le faire. et cela ne se produira pas sans une certaine mise sous pression par la base.

Protéger l’écologie mésopotamienne

“Nous aussi allons défendre le Rojava !” explique un internationaliste français dans une de nos vidéos publiées par la Commune Internationaliste #resistancediaries. La résistance contre le fascisme turque ne se fait pas seulement au Rojava. Quelques douzaines de Kurdes et leurs alliés se sont mis en grève de la faim, en rotation, demandant la fin de la mise à l’isolement du leader du PKK Abdullah Ocalan. Des actions solidaires avec des grèves de la faim ont été organisées dans le monde entier, impliquant à la fois des militants kurdes et des prisonniers politiques turcs, avec en premier lieu la députée HDP Leyla Güven, qui en est à sa 78ème journée de grève de la faim.

Dimanche et lundi prochains sont prévues des actions de solidarité dans des pays autour du monde en plus de la Commune Internationaliste et au groupe activiste féministe allemand Gemeinsam Kämpfen, beaucoup de groupes écologistes ont répondu à l’appel de la campagne du “Rendre le Rojava Vert de Nouveau” et du mouvement écologiste de Mésopotamie, ainsi que d’activistes écologistes du Canada, de groupes anti-chasse britanniques et du mouvement anti-charbon allemand Ende Gelände.

Ces dernières années, un mouvement écologiste divers, coloré et parfois radical a pris racine en Mésopotamie. Ce mouvement a pris naissance suite à la dévastation écologique ayant cours dans toute la région en résultat des guerres impérialistes qui y sont menées, de la négligence environnementale de la politique régionale. La production pétrolière, la construction de barrage hydro-électrique, la déforestation, la désertification et l’énorme chaos écologique dû aux puits de pétrole en feu, du bombardement des usines et de l’utilisation d’armes à munition à l’uranium appauvri pendant les guerres de ces dernières décennies, ne sont juste que quelques exemples de ce marasme écologique.

Ce mouvement est toujours petit, mais il pose des questions très importantes. Les gens de la région ont aussi trouvé des réponses. Dès le début, la révolution sociale du Rojava fut aussi conçue comme une révolution écologique en poursuivant le but d’une société décentralisée auto-gouvernée et en harmonie avec la nature. Le but est de parvenir à établir un système municipal ayant une agriculture, une source d’énergie et unité de recyclage décentralisées. Une vision sociale déjà conçue par des éco-socialistes comme Murray Bookchin.

Révolution et reboisement

Malheureusement, dans bien des cas, ces idéaux ne demeurent que cela: des idéaux. A cause de la terrible situation économique, les embargos et la guerre, les initiatives écologiques sont le plus souvent mises sur la touche. Mais il y a de gros progrès au Rojava, spécifiquement dans le domaine du reboisement. Ces dernières décennies, le gouvernement syrien a coupé dans la région, le peu de forêt qui y restait. Ceci mena à une désertification accrue et à un sévère manque de retenues d’eau. Mais avec la révolution, petit à petit les arbres reviennent.

Ce processus est soutenu par la campagne internationaliste du “Rendre le Rojava Vert de Nouveau”, qui construit une ferme arboricole sur le site de la Commune Internationaliste du Rojava (CIR). Les internationalistes ont déjà replanté des milliers d’arbres et sont construites des stations d’épuration pour l’eau et des centres de traitement des déchets. Des modèles pour le recyclage de l’eau sont en train d’être développés pour les municipalités locales.

Par dessus tout doit-être résolu le problème de manque d’eau, c’est un problème urgent dans tout le nord de la Syrie et au Moyen-Orient au sens large. La guerre du pouvoir dans la région est toujours au sujet de l’eau. Le manque d’eau est devenu un gros problème pour bien des gens. Les paysans ont toujours été dépendants de l’eau des rivières pour l’irrigation, eau qui provient de rivières ayant leurs sources dans le nord de la Turquie avant de redescendre à travers la Syrie et l’Irak.

Erdogan le sait: quiconque contrôle l’eau, contrôle la vie. L’état turc a, depuis bien des années, construit des super barrages hydro-électriques dans le sud-est du pays, comme celui de Hasyankeyf. C’est pourquoi le niveau de l’eau des rivières les plus importantes de la région: l’Euphrate, le Tigris et la Xabur, décroit tout le temps. Des régions entières se désertifient, pas seulement au Rojava mais aussi en Irak.

Il y a quoi qu’il en soit, une solution partielle à ce problème: le reboisement peut singulièrement inverser l’assèchement des sols. Il y a aussi le système de filtrage qui empêche l’eau de se polluer et d’être perdue. La CIR fat aussi des recherches en ce domaine avec le développement d’un système aquifère noir et gris.

Renforcer la résistance

Mais maintenant, même la fragile graine du réveil écologique du Rojava est menacée par la guerre d’Erdogan. Cette guerre pourrait non seulement provoquer de bien grandes misères et souffrances humaines et de destructions matérielles, mais elle pourrait aussi détruire le mode de vie écologique des gens. A Afrin, l’armée turque a mis le feu à des oliveraies pendant son invasion il y a un an.

Non seulement la guerre en Syrie, mais aussi la guerre Iran-Irak et les deux invasions de l’Irak ont causé d’énormes dégâts. Les fumées des brasiers des puits pétroliers allumés lors de l’invasion militaire américaine de l’Irak contenaient des milliers de tonnes de dioxide de soufre, d’oxydes d’azote et  de monoxyde de carbone. De plus, se répandirent des métaux lourds cancérigènes comme le cadmium, le chromium et le plomb. Les bombardements ont touché les usines irakiennes, les raffineries, les oléoducs, les usines d’engrais et chimiques, les barrages et les centrales énergétiques. En résultat, des milliers et des milliers de moutons, de dromadaires moururent de la pollution de l’eau et de l’air.

Dernier cas et non des moindres, les tonnes d’uranium appauvri résultant des munitions tirées et jonchant le territoire continuent de polluer la terre et l’eau aujourd’hui. Jusqu’à aujourd’hui, des milliers d’enfants souffrant de cancers et autres maladies causées par les radiations doivent être hospitalisés en Irak. Tout cela est causé par l’uranium appauvri qui demeure sur place.

Une image similaire semble émerger en Syrie: ces dernières années, des champs pétroliers ont été incendiés encore et encore, des factions belligérantes ont utilisé des agents chimiques comme le sarin ou des agents chimiques incendiaires comme le phosphore blanc. La lutte pour l’eau et la destruction guerrière de la nature nous montrent clairement pourquoi l’écologie et la lutte contre la guerre et l’impérialisme sont inter-reliées. C’est pourquoi tant de groupes soutiennent les actions des 27 et 28 janvier. La guerre d’Erdogan doit être empêchée afin de sauver bien des vies, pour protéger la révolution et pour stopper toujours plus de destruction de l’environnement.

Notre réponse à la menace de la guerre doit être le renforcement de la résistance et les jours d’actions communes montrent dans quelles directions la résistance doit se développer. Cela doit être clair: le nord de la Syrie est l’affaire de toutes et tous. Le Rojava n’est pas seulement une affaire pour le mouvement anti-guerre et pacifiste ou pour les initiatives solidaires autour du Kurdistan. Il concerne tout le monde. Si nous nous comportons intelligemment, nous pouvons retourner les menaces d’Erdogan en des forces progressistes offensives et ainsi connecter entre elles les forces féministes, écologistes, socialistes et libertaires.

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Lectures complémentaires:

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Pierre_Bance_Lheure_de_la_commune_des_communes_a_sonne

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Louise-Michel_De-la-commune-a-la-pratique-anarchiste

Manifeste pour la Société des Sociétés

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

David Graber Fragments Anthropologiques pour Changer l’histoire de l’humanité

L’anarchisme-africain-histoire-dun-mouvement-par-sam-mbah-et-ie-igariwey

Effondrer le colonialisme

6ème_déclaration_forêt.lacandon

Appel au Socialisme Gustav Landauer

 

Mobilisation Internationaliste pour la (r)évolution sociale, Paris 12 janvier

Posted in actualité, altermondialisme, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , on 10 janvier 2019 by Résistance 71


Les GJ ne sont pas seuls !

 

Appel à une mobilisation internationaliste lors de la manifestation pour Sakine, Fidan et Leyla

 

Paris-Luttes Infos

 

8 janvier 2019

 

url de l’article: https://paris-luttes.info/pour-une-mobilisation-11427?lang=fr

 

Le 9 janvier 2013, Sakine Cansiz, Fidan Doğan et Leyla Söylemez sont assassinées par un agent du gouvernement fasciste turc en plein Paris. Elles faisaient partie du mouvement révolutionnaire kurde.

Sakine Cansiz, est un symbole de la lutte révolutionnaire au Kurdistan. L’ une des fondatrices du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Emprisonnée dans les geôles turcs durant 12 ans, elle fut battue et torturée. A sa sortie de prison, elle continua de lutter au sein de la guérilla du PKK, puis en Europe pour faire connaître la cause de son peuple. Fidan et Leyla qui sont tombées à ses cotés participaient activement au mouvement kurde en Europe. Ces trois femmes représentaient tout ce qu’un État fasciste comme celui de Recep Tayyip Erdoğan et de son parti l’AKP déteste. C’est pour cela qu’ils ont commandité leurs morts.

Mais la lutte de ces trois femmes ne s’est pas éteinte avec elles. Leur lutte continue dans les montagnes à Qendil, Zagros ou Dersim. Surtout, elle nous montre un exemple pratique de révolution au Rojava. Dans cette région du nord de la Syrie un système politique progressiste et populaire est en train de se construire. La libération des femmes y tient une place majeure. Elles sont à l’avant garde du mouvement révolutionnaire.

En ce moment, cette région est plus que jamais menacée. Après avoir combattu l’État Islamique, les forces révolutionnaires du Rojava sont maintenant sous la menace de la Turquie et de ses alliés islamistes. Des milices formées d’anciens combattants de l’EI et de Al-Qaida sont entrain de préparer l’offensive aux cotés de l’armée Turque. Pendant ce temps les forces impérialistes des États-Unis et de la Russie jouent et s’amusent avec leur alliés locaux afin de se tailler leur part du gâteau.

Tout comme ce que Sakine, Fidan et Leyla représentaient, le Rojava est une menace pour tous les états réactionnaires et pour cette raison il est prit pour cible. En temps que révolutionnaires en Europe nous devons défendre le projet révolutionnaire du Rojava et la mémoire de nos trois camarades qui ont tout donné pour la lutte.

Nous appelons à une mobilisation internationaliste lors de la manifestation à la mémoire de Sakine, Fidan et Leyla , le Samedi 12 janvier à Paris, 10h30 Gare du Nord.

Solidarité révolutionnaire avec les combattant.es au Kurdistan et en Turquie !

Vive la solidarité internationale !

Sehid Namirin !

Secours Rouge Genève

Secours Rouge Belgique

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Six textes fondamentaux pour nous aider à  y parvenir, ensemble, à  lire, relire et diffuser sans aucune modération:

Guerre impérialiste au Moyen-Orient: Éclairage nécessaire sur les développements récents de la révolution sociale du Rojava

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , on 2 janvier 2019 by Résistance 71

Ce texte, initialement publié en allemand, éclaire bien des points demeurées sombres depuis la période 2015-16 et « l’alliance » des Yankees avec les Kurdes. Ce texte sert aussi de mise au point avec ceux qui avaient jeter le bébé avec l’eau du bain concernant la révolution sociale du Rojava. Il montre  qu’il y a eu aussi une divergence au sein des forces kurdes et que les forces proches du PKK et de la révolution sociale n’ont pas perdu le fil de l’enjeu historique, ni n’ont jamais été dupes d’une « alliance tactique » avec l’empire.
De plus ce texte entre parfaitement dans la dynamique de création d’un Réseau de Resistance et de Rébellion International tel que prôné depuis le Chiapas mexicain et la révolution sociale zapatiste.

Il est aussi essentiel de comprendre que le mouvement des Gilets Jaunes en France et les mouvements à venir dans les pays européens font parties de cette dynamique émancipatrice et se doivent de se coordonner pour mettre à bas le système étatico-capitaliste qui nous domine et nous exploite depuis bien trop longtemps maintenant.

Puisse l’année 2019 être l’année de la prise de conscience politique collective et de l’unification des luttes émancipatrices pour que vive une Société des Sociétés organique planétaire.

Voici ce qui nous est dit dans l’excellent petit livre publié par la Commune Internationaliste du Rojava en septembre 2018:
« Les liens entre l’économie de marché, l’exploitation, la destruction de la nature, la guerre et la migration des populations montrent le résultat de ce qui se passe lorsque des systèmes centralisées et hiérarchiques tentent de subjuguer la nature. Une solution qui ignore ces relations, une solution au sein du système existant n’est en rien possible. »

çà vous rappelle quelque chose ?…

~ Résistance 71 ~

 

 

L’impérialisme n’a pas d’amis

 

Peter Schaber 

 

21 décembre 2018

 

du magazine allemand Lower Class Mag

 

source: http://internationalistcommune.com/imperialism-has-no-friends/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Deux stratégies un but: les Etats-Unis et le mouvement kurde en Syrie

an article from lower class mag

La semaine dernière, le président américain Trump a annoncé le retrait des troupes américaines de Syrie (NdT: rappelons que ces troupes étaient sur le sol syrien de manière totalement illégale car non invitée, contrairement aux Russes et autres alliés de la Syrie…), disant que l’EI/Daesh a été battu et que les soldats peuvent maintenant rentrer à la maison, apparaissant de la sorte, toujours aussi confus. Trump a pris cette mesure alors que l’autocrate turc Recep Erdogan intensifiant ses menaces d’annihilation des Kurdes du Rojava, annonçait une nouvelle invasion de la Syrie du nord. Quelques heures plus tôt, nous apprenions que Washington avait accepté de vendre des missiles Patriots à Ankara pour une valeur de 3,5 milliards de dollars, une transaction qui a été sujet à débat depuis bien longtemps. Ainsi, il est apparu qu’un accord compréhensif a été forgé entre les gouvernements de Trump et d’Erdogan. Facile et direct.

Lorsqu’il a fallu évaluer le rôle de l’impérialisme américain en Syrie, alors là bien des commentateurs ont, de manière prévisible, botté en touche. Certains, comme le député allemand du parti de gauche Alexander Neu par exemple, ont pensé que le retrait annoncé par Trump était quelque chose de positif envers la paix. Comme si les Etats-Unis avaient jamais agi contre leurs intérêts sans besoin discernable de le faire !

Des “anti-impérialistes” auto-proclamés dont l’analyse a idéalisé les gouvernements syrien, russe et iranien comme étant altruistes et désintéressés, soutiens du droit international depuis des années, allèrent un pas plus avant, ils souhaitèrent un génocide imminent des Kurdes. N’avaient ils pas averti les Kurdes qu’il n’était jamais bon de coucher avec les Etats-Unis ? Les Kurdes auront ce qu’ils méritent ! Aucun sacrifice de sang n’est assez grand pour les guerriers du clavier si cela peut leur donner raison sur internet ! pourvu, bien entendu, que le sang à payer ne soit pas le leur.

Ceux qui n’ont jamais rien compris à la région ne furent d’ailleurs pas les seuls à s’être plantés. La même chose fut vraie pour bien des soutiens de la révolution du Rojava vociférant depuis le côté plus libéral du spectre politique. Surpris par le vice de nos “amis” américains, ils s’épanchèrent en appels moraux vers les Etats-Unis, comme si les décisions politiques impérialistes dépendaient de la conscience et de l’intégrité.

Le baiser de la mort

Analysons un peu en arrière. Ayant défendu la ville frontalière kurde de Kobané contre l’EI/Daesh, les unités de Protection du Peuple et des Femmes (YPG/YPJ) s’embarquèrent dans une alliance avec des pays étrangers qui étaient aussi intéressés de repousser l’EI. Daesh fut ainsi repoussé peu à peu, ceci occasionna de sévères pertes humaines, spécifiquement au sein des forces kurdes. Alors que la libération des territoires syriens se déroulaient toujours, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) impliquant des membres arabes, assyriens et kurdes au sein de milices, furent mises en place. Les FDS furent référées comme étant “alliées” par les Etats-Unis et dans des proclamations diplomatiques, les FDS décrivirent les Etats-Unis comme étant un “partenaire de valeur”. Il y eut des livraisons d’armes et des soutiens aériens conséquents.

Quoi qu’il en soit, les parties les plus politiquement conscientes de la résistance kurde, c’est à dire ceux s’orientant vers les idées défendues par le Parti des Ouvriers Kurdes (PKK), ne se firent absolument aucune illusion sur cette alliance et ce depuis le départ. Ce fut une “alliance tactique”, dirent-ils, étant parfaitement conscients que les Etats-Unis et le mouvement kurde se situaient à l’opposé des objectifs poursuivis. En janvier 2018, un combattant guerillero kurde influent, Riza Altun, insista une fois de plus sur le fait que “nous sommes engagés dans une lutte anti-impérialiste. Une force anti-impérialiste ne peut pas dire que des impérialistes l’ont trahi.

Tout comme l’impérialisme mondialiste et les états hégémoniques régionaux représentent leur propre position stratégique, le paradigme politique créé par les Kurdes [du Rojava] représente leur ligne claire et leur position bien distincte.

Cette déclaration ne fut jamais suffisante pour les anti-impérialistes en fauteuil. Furieusement, ils combattirent la seule guerre qu’ils aient jamais connue: celle de l’internet. Pour eux, les Kurdes furent des traîtres et des petits soldats de l’impérialisme et ils leur firent savoir sur Facebook et dans des posts de blogs. Mais en fait, Les grandes gueules de l’internet n’eurent même pas à le prendre du PKK, qui incidemment a combattu l’OTAN au Moyen-Orient pendant 40 ans. Il aurait juste fallu savoir ce que l’impérialisme américain avait à dire au sujet de leurs intérêts en regard de cette alliance déséquilibrée. Des articles innombrables publiés par des think-tanks durant les présidences à la fois d’Obama et de Trump en formulent une stratégie claire: Les Etats-Unis doivent s’impliquer dans une double stratégie. Les institutions kurdes du nord de la Syrie doivent être compromises et cooptées par le moyen de concessions et de coercition indirecte (comme par exemple au moyen d’une augmentation des menaces turques). Dans le même temps, la Turquie doit être soutenue dans son combat contre le PKK.

Le but était de retourner le mouvement kurde en une entité par procuration des Etats-Unis de la même manière que le mouvement kurde régional d’extrême-droite irakien de Maoud Barzani. Mais pour y parvenir, il faudra éliminer ou du moins aliéner la colonne vertébrale politique et idéologique du mouvement, à savoir le PKK et sa guérilla de montagnes. Si cette stratégie était couronnée de succès, il n’y aurait même pas besoin d’envahir le Rojava pour y détruire la révolution. Le baiser de la mort des Etats-Unis et de leur impérialisme l’aurait rendue complètement aliénée de ses idées fondatrices et ne serait en rien différente des autres sphères d’influence du Moyen-Orient.

Annihilation militaire

Au début de sa présidence, Donald Trump poursuivit également cette stratégie. Au moins depuis la libération de Raqqa néanmoins, il a transpiré que Washington pourrait opter pour une voie différente pour imposer ses intérêts. Le retour à son vieil allié de confiance, la Turquie, a joué un rôle majeur dans tout ceci, sans doute aussi parce qu’Ankara paraît être en bonne position. Erdogan a savamment exploité le besoin de la Russie de protéger son flanc sud et de contrôler une partie de l’opposition djihadiste armée. Pour Moscou, il fut fondamentalement plus important d’aliéner la Turquie de l’OTAN que de “protéger l’intégrité du territoire syrien”, telle fut la réthorique récitée par la Russie et ses groupies de gauche.

Les antagonismes entre Moscou et Washington qu’Erdogan exploita si finement, furent la raison du pourquoi l’invasion turque de la province nord de la Syrie à Afrin fut tolérée par les deux grandes puissances au début de 2018. A ce moment au plus tard, l’alliance tactique entre les Etats-Unis et le mouvement kurde toucha essentiellement à sa fin.

Naturellement, le côté kurde essaya de maintenir l’alliance aussi longtemps que possible. D’abord, parce que cela faisait plier le désir d’Ankara de l’annihiler ; secundo, parce que la protection aérienne permettait au mouvement kurde de ménager ses forces militaires dans sa lutte contre l’EI/Daesh. Dans le même temps, les Etats-Unis arrêtèrent de manière croissante de camoufler le fait que le temps de leur “partenariat” supposé était imparti. Un haut-cadre du mouvement kurde, Zekî Sengalî, fut la victime d’un assassinat par la Turquie et les Etats-Unis dans les montagnes de Sindjar. Les Etats-Unis mirent à prix les têtes de trois cadres du PKK. La Turquie bombarda le camp de réfugiés de Makhmour. Tout ceci fut le signe avant-coureur de la remise actuelle du nord de la Syrie à la Turquie.

L’annonce du retrait militaire US par Trump, dans le même temps, envoie un signal stratégique très clair: Les troupes américaines n’entendent plus sécuriser ses sphères d’influence en cooptant le mouvement kurde et ses alliés arabes, mais le confronter directement au moyen de son partenaire de l’OTAN, la Turquie. Ceci en revanche ne peut réussir que si les YPG/YPJ sont militairement vaincues Ankara veut s’assurer de cela en commettant un génocide ou du moins en nettoyant ethniquement les zones géographiques relevantes, c’est à dire en déplaçant les populations kurdes. L’idée est de refaire le plan d’Afrin dans les autres cantons du nord-syrien, Jazira et Kobané. Ainsi, la région sera conquise par une coalition des forces armées turques et des dizaines de milliers de djihadistes, puis sera mise sous le contrôle administratif d’Ankara. Pillages, assassinats, viols seront les outils et compagnons de ce processus.

Le facteur subjectif

Le fait que les Etats-Unis font maintenant ce que le PKK a toujours prédit qu’ils feraient ne rend pas pour autant mauvaise cette alliance tactique, ceci ne veut pas non plus dire que tout est perdu. En premier lieu, le retrait US veut dire que les conditions géopolitiques changent. Damas peut être un peu concernée par une zone protégée turque des anciens combattants de l’EI, des groupes d’Al Qaïda et les djihadistes d’usage du nord de la Syrie. De plus, il convient de voir comment réagira la Russie lorsqu’elle réalisera que les petites fissures dans la relation turco-américaine à l’épreuve du temps, ont maintenant été fixées.

Ce qui nous importe le plus, c’est qu’une focalisation géopolitique sur l’équilibre des forces seule n’est jamais suffisante. Politiquement et militairement, le mouvement kurde est un facteur autonome très fort. Il est profondément ancré dans la population et a des millions de supporteurs. Il se prépare pour la défense de ses territoires, de plus le PKK a déjà annoncé que chaque attaque trouvera également sa réponse en territoire turc. Les gains présents ne seront pas abandonnés sans lutter. Quant à nous en occident, nous ne devons pas céder à la résignation ni au désespoir.

Nos amis kurdes nous on dit encore et toujours que les forces de gauche, socialistes et démocratiques internationales sont leurs partenaires stratégiques dans la longue durée. Faisant partie de ces forces, notre tâche est maintenant de porter la lutte dans les pays où nous vivons afin de défendre la révolution sociale du Rojava. Même si nous ne nous en sentons pas la capacité, ceci demeure notre tâche. Personne ne le fera pour nous. Dans les jours et mois à venir, chaque acte public, chaque manifestation, chaque campagne si mineure soit-elle, ont leur importance. Ceci est le travail sur lequel nous devons maintenant nous focaliser ; il est futile de regretter ou de se demander pourquoi ceux qui ne furent jamais nos “amis” ont maintenant cessé d’être nos “amis” aux yeux de tous.

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Textes complémentaires:

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Pierre_Bance_Lheure_de_la_commune_des_communes_a_sonne

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

Ricardo_Flores_Magon_Textes_Choisis_1910-1916

James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Manifeste pour la Société des Sociétés

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

Effondrer le colonialisme

6ème_déclaration_forêt.lacandon

confederalisme_democratique

 

Nouvelles de la Commune Internationaliste du Rojava…

Posted in actualité, altermondialisme, colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 21 décembre 2018 by Résistance 71

Il n’y avait plus de nouvelles sérieuses filtrant du Rojava depuis un bon moment. Les seules infos disponibles émanant d’entités impérialistes  ou de l’état syrien, il était particulièrement difficile de savoir de quoi il retournait de l’intérieur. Il y a eu une tentative de récupération yankee de la révolution sociale avec depuis 2016 cette affaire de « charte / contrat social du Rojava » qui n’a rien à voir avec le Confédéralisme Démocratique tel que mis en place depuis 2012, à l’instigation de cadres renégats ayant créé un parti et bouffant au râtelier de l’impérialisme occidental.
Depuis quelques mois, des informations plus crédibles parviennent du terrain, certaines sont en anglais que nous nous efforcerons de traduire plus régulièrement en 2019, d’autres sont déjà diffusées en français.
Les nouvelles récentes font état des Yankees qui évacueraient la zone et leurs bases militaires (ce qui demeure à vois s’ils le feront), mais cela serait aussi pour laisser le champ libre à l’attaque impérialiste turque…
Ci-dessous un article d’analyse de la situation au Rojava et de la Commune Internationaliste résultant de la mise en application du Confédéralisme Démocratique tel que prôné par son fondateur Abdullah Ocalan depuis la fin des années 90. Ci dessous également, le texte entier et sa version abrégée en format PDF. La Commune du Rojava, à l’instar des Zapatistes du Chiapas soutiennent le mouvement des Gilets Jaunes. Nous sommes entrés dans le domaine du Réseau de Résistance et de Rébellion International tel qu’envisionné par les Zapatistes !…

~ Résistance 71 ~

Texte intégral du confédéralisme démocratique d’Abdullah Ocalan (2011):

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

Notre version abrégée de 2015:

confederalisme_democratique

 

Dépolitiser la liberté: Les tentatives impérialistes de séparer le Rojava d’Ocalan

 

Ali Ciçek

 

14 décembre 2018

 

Source: 

https://komun-academy.com/2018/12/14/depoliticizing-freedom-imperialist-attempts-to-separate-rojava-from-ocalan/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

L’année 2018 a commencé avec une invasion de la Turquie et de ses mercenaires et par l’occupation de la ville d’Afrin au Rojava dand le nord de la Syrie et se termine de manière assez similaire. Alors que des prisonniers kurdes dans les prisons turques et des activistes du monde entier sont en grève de la faim pour la cause d’Abdullah Ocalan, le président turc Erdogan menace une nouvelle fois d’une autre intervention militaire turque à l’Est de l’Euphrate à laquelle la Fédération Démocratique du nord-syrien a répondu par un état d’urgence. Cette année a aussi vu des attaques idéologiques contre le mouvement de liberté kurde, au Kurdistan, aussi bien qu’en Europe, particulièrement en Allemagne.

Afrin, Öcalan et 25 ans d’interdiction du PKK

Observons trois exemples très significatifs de ce qui peut être décrit comme des attaques idéologiques et leurs conséquences. Par exemple, un très grand nombre d’actions de solidarité se sont déroulées pendant les deux mois de la résistance d’Afrin au début de l’année. Beaucoup des slogans qui furent entonnés pendant ces manifestations le furent en faveur de la libération d’Abdullah Ocalan. Je peux me rappeler les réactions de quelques participants de ces manifestations vers le vieux slogan “Bijî Serok Apo” (longue vie au leader Apo) [Apo étant le petit nom affectueux donné à Ocalan].

Ils dirent: “Nous sommes ici pour Afrin et le Rojava. Ne chantons que des slogans ayant un rapport avec cela. Qu’est-ce qu’Ocalan a à voir avec Afrin ?” L’année 2018 a marqué les 25 ans de l’interdiction du PKK (NdT: Parti Ouvrier Kurde d’obédience marxiste jusqu’à la fin des années 90, communaliste libertaire depuis l’emprisonnement de son leader Ocalan en Turquie) en Allemagne, ce pourquoi bon nombre de manifestations furent organisées dans ce pays. Dans les discussions au sujet des formes possibles de protestation pour marquer cet anniversaire et au vu de la criminalisation et de la persécution accrues des activistes kurdes et des structures de solidarité, une tendance se cristallisa en faveur de l’approche suivante: “Ne nous focalisons pas sur le PKK. Le YPG et le YPJ sont plus socialement acceptés en Allemagne. Des actions pour lever l’interdiction des symboles du YPG et du YPJ ont plus de chance de réussir.

L’année a aussi vu un accroissement de la coopération entre les activistes kurdes et les mouvements actifs de gauche en Allemagne. Des discussions communes, des séminaires et des conférences furent organisés au sujet du Confédéralisme Démocratique.

Des centres culturels kurdes furent utilisés comme endroits communs d’éducation. Ces pièces sont souvent décorées de drapeaux kurdes, de portraits d’Ocalan et autres personnalités centrales de la lutte kurde pour la liberté. Voici la réaction d’une personne envers ces drapeaux et portraits d’Ocalan: “Pourquoi accrocherait-on des drapeaux et des photos d’Ocalan, du PKK et du YPG/YPJ les uns à côté des autres ? Ne sont-ce pas ces mêmes images que l’état allemand utilise pour les amalgamer ensemble ?

La bataille entre la modernité démocratique et capitaliste

Beaucoup de discussions se tinrent au sujet de l’occupation d’Afrin et de ses conséquences. La violation flagrante de la loi internationale est une honte pour la “communauté internationale” ; mais la résistance d’Afrin avec ses plus de 1000 combattants tombés démontra aux forces démocratiques, une fois de plus, que le combat du mouvement de la liberté kurde en général et de la révolution du Rojava en particulier, représentent une bataille entre deux visions du monde, entre le socialisme et le capitalisme, entre la modernité démocratique et la modernité capitaliste.

Politiquement, on peut parler de trois lignes ou acteurs dans notre évaluation: d’un côté il y a les puissances hégémoniques comme les Etats-Unis, la Russie et les pays de l’UE ; puis il y a les états-nations régionaux comme la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie et enfin, les communautés locales, les hommes, les femmes, les travailleurs, les identités opprimées et les sections sociétales.

Alors que les deux premiers acteurs sont essentiellement préoccupés à se partager le gâteau moyen-oriental et de s’approprier le plus pour chacun dans le processus, le troisième acteur a des intérêts totalement différents, à savoir la démocratisation et la libération définitive du joug de la détermination étrangère. Il y a donc deux lignes idéologiques majeures: celle des états capitalistes qu’is soient globaux ou régionaux d’un côté et celle des peuples de l’autre, qui pour la première fois sont parvenus à libérer un espace au Rojava pour se déterminer eux-mêmes.

La révolution est-elle en marche ?

Une grande part de la discussion se concentra sur l’alliance tactique militaire de l’Auto-Administration Démocratique en Syrie du Nord avec les Etats-Unis impérialistes. Cette alliance commença avec la résistance de Kobané et atteignit son pic militaire avec la libération de Raqqa. Des spéculations furent émises au sujet du futur du projet démocratique après la bataille de Raqqa, car “l’ennemi commun”, soi-disant “État Islamique” serait bientôt battu. La question se posa: la révolution continuera t’elle son chemin ou sera t’elle intégrée dans le système mondial capitaliste ?

L’ennemi indéfectible des Etats-Unis

Les révolutionnaires du Rojava insistèrent sur leur vision du futur de la région en arborant une immense bannière à l’effigie d’Abdullah Ocalan dans le centre de la ville de Raqqa devant laquelle posèrent des centaines de femmes combattantes des Unités de Défense Féminines (YPJ) afin de déclarer officiellement la libération de la ville en tant que victoire pour toutes les femmes du monde.

Les Etats-Unis réagirent immédiatement par un communiqué du Pentagone qui montrait leur stratégie du long-terme: “Le PKK a été désigné comme une organisation terroriste étrangère par les Etats-Unis depuis 1997 et nous continuons de regarder le PKK comme un agent déstabilisateur dans la région. Les Etats-Unis continuent de soutenir notre allié la Turquie membre de l’OTAN dans sa lutte de plusieurs dizaines d’années contre le PKK et reconnaissent les vies turques perdues dans ce conflit. […] Nous condamnons l’exposition en public de l’effigie du fondateur et leader du PKK Abdullah Ocalan pendant la libération de Raqqa.

Les commentateurs politiques ont interprété cette déclaration des Etats-Unis comme étant essentiellement dirigée vers leur partenaire de l’OTAN, la Turquie. Mais un point de vue considérant les dimensions idéologiques de ce développement nous aidera à comprendre le problème derrière la façade géopolitique. Ce furent ces mêmes Etats-Unis qui, il y a maintenant près de 20 ans, menèrent et exécutèrent cette conspiration internationale contre Abdullah Ocalan. Ocalan, en tant qu’architecte du PKK, du paradigme du Confédéralisme Démocratique et de la révolution du Rojava, personnifie l’ennemi mortel des Etats-Unis.

Ce fut lui qui, après l’effondrement du vrai socialisme et de l’intégration des mouvements de libération nationaux au sein du système étatique, aussi bien après qu’il eut “prophétisé” la “fin de l’histoire”, déclara: “Insister sur le socialisme veut dire insister sur être humain.

En 1991, l’ancien premier ministre turc Bülent Ecevit, a admis après le kidnapping et l’arrestation d’Ocalan qu’il n’avait toujours pas bien compris pourquoi les Etats-Unis l’avaient remis à la Turquie. Ces mots démontrent le rôle mineur que joua la Turquie dans la conspiration internationale contre Ocalan.

Dans le même temps, dans ses travaux de rédaction entrepris depuis son île prison d’Imrali, Ocalan explique en détail que le système capitaliste l’accuse et le condamne dans son identité d’anti-capitaliste.

La seconde étape de la conspiration internationale 

20 ans ont passé depuis le début de cette conspiration internationale. L’emprisonnement d’Ocalan ne fut qu’une dimension du concept de la destruction du PKK.

L’autre dimension fut de tenter de marginaliser la ligne socialiste au sein du PKK, qui se manifestait au travers du personnage d’Ocalan, et ce afin de mettre en exergue et de renforcer ses éléments libéraux. La tentative fut de créer un PKK qui serait dans le moule de la conception américaine du “Moyen-Orient élargi”, un PKK qui se retire de sa lutte de guérilla, soi-disante vieille méthode n’ayant plus cours au XXIème siècle, un PKK qui ne demanderait plus cette question cruciale du “Comment vivre ?…”

La conspiration internationale a échoué en ce sens. Pourtant, au cours de ces 20 années, il y a eu des tentatives constantes d’annihiler le PKK. Une des stratégies principales est de tenter de liquider et de fragmenter le leadership du mouvement kurde.

En parallèle de cette conspiration internationale, des campagnes sous le slogan “Oui au PKK, non à Apo !” furent lancées. Ces tentatives atteignirent un nouveau niveau en 2018, voilà pourquoi nous pouvons nous référer à cette nouvelle étape comme celle de la seconde étape de la conspiration internationale. Mis à part les attaques physiques brutales sur les zones libérées tel le canton d’Afrin ou des campagnes d’assassinats ciblés comme celui du membre du conseil exécutif du KCK Zekî Sengalî en août de cette année à Sengal (Sinjar), par une attaque de drone au travers de la frontière avec l’état turc, nous devons aussi considérer les attaques idéologiques.

L’isolation complète et continue d’Abdullah Ocalan et la tentative de normaliser son emprisonnement sont symboliques de cette seconde étape de la conspiration internationale. En plus vient se greffer la décision des Etats-Unis de mettre des récompenses sur les têtes de trois personnalités importantes de la lutte kurde pour la liberté: Duran Kalkan, Cemil Bayik et Murat Karayilan. Les premiers commentaires en ce qui concerne cette décision américaine ont insisté sur ce que les Etats-Unis voulaient rassurer la Turquie à la lumière de leur coopération avec les forces kurdes.

Mais par essence, l’intention est de mettre en place une solution militaire contre le PKK suivant ce qui fut appelé le modèle de la “solution Tamil” (NdT: au Sri Lanka). Après tout, c’est le PKK et sa vision d’un Moyen-Orient démocratique qui constitue un gros obstacle à la refonte capitaliste et impérialiste de la région. Les Etats-Unis n’essaient même pas de cacher leurs intentions.

Ainsi, le document d’un think tank américain fut publié à la mi-2016, qui formulait on ne peut plus clairement une stratégie pour libéraliser le potentiel révolutionnaire de la région du Rojava. La thèse centrale de cet article stratégique argumente que les acteurs politiques principaux en Syrie du nord, comme le Parti d’Union Démocratique (PYD), doivent être coupés du PKK et de son idéologue Abdullah Ocalan (NdT: d’où sans aucun doute cette traître initiative de la formulation en 2016 de la “charte / contrat social du Rojava”, se voulant un ersatz du confédéralisme démocratique et menée vraisemblablement par des traîtres à la révolution sociale kurde)

L’impérialisme américain a beaucoup d’expériences et de moyens pour asphyxier les mouvements démocratiques ayant des vues et actions anti-capitalistes dans le système des états-nations. La campagne de diffamation envers le PKK et  le moment choisi, les millions de dollars de récompenses sur les têtes des leaders du PKK qui jouissent d’une très grande popularité dans le peuple et la société kurdes ou la réaction des Etats-Unis au déploiement de la bannière à l’effigie d’Ocalan lors de la libération de Raqqa, exprimant que celui-ci n’était en aucun cas une personne respectable, sont tous des aspects qui peuvent être compris dans ce contexte bien particulier.

Le rôle de l’Allemagne

A part les Etats-Unis, des pays comme la Grande-Bretagne, Israël, la Russie, la Grèce et l’Allemagne ont aussi joué un rôle décisif dans la conspiration internationale qui a mené à l’enlèvement d’Abdullah Ocalan en février 1999. Durant cette affaire en Europe, l’Allemagne a émis une interdiction de séjour envers Ocalan.

A cette époque, un mandat d’arrêt allemand contre Ocalan était actif, ce qui aurait demandé son arrestation et extradition vers l’Allemagne en accord avec la loi existante. Mais la loi fut négligée et l’extradition vers l’Allemagne fut refusée. Le gouvernement allemand refusa l’asile à Ocalan et signala aux autres gouvernements européens de faire de même.

Accorder l’asile à Ocalan et le poursuivre judiciairement en Allemagne aurait voulu dire de porter les contradictions historiques et sociales au centre de l’Europe. C’est pourquoi tous les états impliqués jouèrent un rôle distinct dans cette “conspiration internationale”.

Dans cette même veine, l’Allemagne continua de soutenir matériellement l’état turc contre la société kurde, le PKK et l’idée du Confédéralisme Démocratique en 2018. Nous connaissons tous ces images des chars allemands Léopard à Afrin ou le tapis rouge déroulé pour la visite d’Erdogan en Allemagne. Beaucoup a déjà été écrit sur la coopération économique entre l’Allemagne et la Turquie.

Observons donc plus particulièrement la confrontation idéologique de l’Allemagne avec la société kurde et son avant-garde du mouvement de la liberté kurde.

L’histoire des attaques idéologiques contre le mouvement kurde a commencé bien avant l’interdiction maintenant vieille de 25 ans du PKK en Allemagne. L’activiste kurde Mehmet Demir a dit au bureau d’information de Berlin du Civaka Azad:

“La première attaque physique de l’état se produisit en 1986. Le 21 mars 1985, le Front National de Libération du Kurdistan (FNLK) fut formé. Son premier anniversaire qui coïncide avec notre nouvel an, Newroz, devait être célébré au Mercatorhalle dans la ville de Duisbourg. Ce jour là, les autorités allemandes fermèrent les accès autoroute vers la ville.

Les gens qui voulaient se rendre à la première célébration en bus, furent violemment tirés des véhicules et furent mis à terre, face contre le sol alors qu’ils étaient fouillés individuellement. La raison pour cette attaque excessive fut, on l’apprit plus tard, une rumeur au sujet qu’Abdullah Ocalan ferait partie des participants et y ferait un discours.

La division internationale du travail

La guerre et les massacres au Kurdistan, aussi bien que la répression internationale contre le mouvement de la liberté kurde, furent organisés dans le cadre de l’OTAN sous le couvert de maintenir les “relations bilatérales”, ce qui semble être requis par l’alliance OTAN. L’Allemagne fut et continue d’être partie de cette guerre.

Tout comme chaque état joua un rôle différent durant la conspiration internationale il y a 20 ans, la seconde étape qui se déroule maintenant comprend aussi une division internationale du boulot afin d’affaiblir et d’éliminer le mouvement pour la liberté kurde. Tandis que les Etats-Unis interviennent idéologiquement au Moyen-Orient comme nous l’avons décrit ci-dessus, afin d’influencer la société kurde dans sa tentative de l’aliéner du PKK et d’Ocalan, les efforts en Europe et spécifiquement en Allemagne, ciblent la diaspora kurde de l’étranger.

Les exemples mentionnés au début de l’article montrent les tentatives en Allemagne de séparer le PKK d’Ocalan, représentants de la politique auto-confiante kurde ayant des aspirations démocratiques universelles, de la société kurde et de la révolution du Rojava. Même si les méthodes peuvent différer, l’intention demeure essentiellement la même. En comparaison du Moyen-Orient, l’Allemagne utilise des méthodes plus subtiles comme la criminalisation, les interdictions, les campagnes de diffamation et ces deux dernières années, dans le contexte de circulaires du ministère de l’intérieur fédéral, des jeux arbitraires avec la loi allemande pour mettre en place créativement une interdiction du PKK.

Le pouvoir du mouvement pour la liberté kurde, qui lui a permis de contourner et de surmonter la conspiration internationale de 20 ans à son encontre, ainsi que de surmonter tous les concepts d’annihilation qui furent lancés contre lui, repose sur sa confiance en son propre pouvoir et sa forte base sociétale.

Alors qu’il y a presque un an la modernité capitaliste personnifiée par la Turquie a attaqué les résultats démocratiques faits à Afrin, la société kurde passa à l’offensive pour briser l’isolation de la prison d’Imrali avec des implications ratissant très large: avec toutes les grèves de la faim entreprises en parallèle des manifestations civiles, la société kurde dit haut et clair:

“Oui au PKK et oui à Apo !” Avec cette détermination, la société kurde du nord de la Syrie et dans d’autres parties du Kurdistan ainsi que dans la diaspora, va confronter la menace des attaques turques sur le Fédération Démocratique du nord et de l’Est syrien.

 

Médias, Rojava, censure et propagande ou le maquillage d’une trahison…

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« Que se passe t’il au Rojava ? » (Résistance 71)

« Kurdistan et le voile de mensonge » (VT)

 

Tout “Le Monde” déteste le PKK

 

Pierre Bance

 

21 septembre 2017

 

url de l’artice:

http://www.autrefutur.net/Tout-Le-Monde-deteste-le-PKK 

 

En juin 2017, Pierre Bance, auteur de « Un Autre Futur pour le Kurdistan ? » contactait Le Monde. Après lui avoir réservé une tribune libre sur le Rojava, le quotidien rejetait sa publication… Retour sur cette censure.

Le 13 juin 2017, j’envoyais au quotidien Le Monde une tribune libre avec pour titre « Après Rakka, l’ambition démocratique de la Fédération de la Syrie du Nord ». Son objet était de montrer que la conquête de Rakka par les Forces démocratiques syriennes n’est pas seulement une opération militaire, mais qu’elle porte aussi le projet politique d’installer, dans la Syrie septentrionale, un système fédéral basé sur des communes autonomes. Cette « auto-administration démocratique », phase préalable au confédéralisme démocratique du leader kurde Abdullah Öcalan, lui-même inspiré par le municipalisme libertaire du philosophe américain Murray Bookchin, est déjà une réalité dans les trois cantons du Kurdistan de Syrie (Rojava). Elle est actée dans deux documents de nature constitutionnelle. Le premier qui date du 14 janvier 2014 est connu sous le nom de Charte du Rojava. Le deuxième en date du 29 décembre 2016 renforce le fédéralisme avec pour vocation de l’étendre aux territoires libérés. D’où son nom, Contrat social de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord. Comme vous pourrez le lire ci-dessous en annexe, ce libre propos n’est pas une apologie du projet, les critiques qui peuvent lui être adressées comme les interrogations qu’il soulève ne sont pas cachées.

Le 14 juin, Le Monde me répond qu’il souhaite réserver cet article et « qu’une date sera fixée pour sa parution dans le quotidien et, ou, sur son site ». Mais, le 25 juin, c’est une tribune de Jean-Pierre Filiu intitulée « Le vrai visage des libérateurs de Rakka » que Le Monde publie sur la page « Débats » de son site [1]. Je signale aussitôt aux journalistes du Monde que pour nourrir le débat, il serait bon de publier mon texte en contrepoint car il propose une toute autre lecture du contexte kurde.

  • Le personnage Filiu et sa relation avec Le Monde méritent qu’on s’y arrête un instant. Ce spécialiste des pays arabes, professeur à Science Po, membre de divers cabinets ministériels socialistes dont celui de Lionel Jospin entre 2000 et 2002, s’est pris de passion pour les révolutions arabes, spécialement pour l’opposition démocratique syrienne bien que celle-ci ne représente qu’elle-même et la fantomatique Armée syrienne libre. Concomitamment, Filiu s’est pris d’aversion envers le Mouvement révolutionnaire kurde en général, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et son organisation sœur en Syrie, le Parti de l’union démocratique (PYD) en particulier [2]. Le soutien aux premiers n’impliquait pas, au premier regard, la détestation des seconds. Or, l’homme ne se contente pas de critiquer les Kurdes, ses propos frôlent le délire complotiste quand il voit la main malfaisante du PKK partout. Pour s’en convaincre on regardera ses tribunes publiées, plus souvent qu’à leur tour, dans la page « Débats » du Monde.fr. Le Monde qui en fait d’ailleurs sa référence préférée pour le Proche-Orient [3]. Outre sa dernière livraison, « Le vrai visage des libérateurs de Rakka », précitée, on lira avec délice jusqu’où peut conduire l’enferment idéologique dans « La question kurde dans l’impasse » [4] et la sottise en politique dans « Comment le PKK de Cemil Bayik a trahi les Kurdes de Syrie ». Écrits tous démentis par les faits, [5].

Cela étant, ma tribune n’est pas publiée en réponse. Je laisse passer les vacances et relance Le Monde le 4 septembre lui demandant les raisons de son abstention. Je fais valoir que le sujet est plus que jamais d’actualité. Les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont étendu leur territoire, libérant le canton d’al-Shabba, la région de Mambij et celle de Rakka, encerclant la ville sur le point de tomber, tout en faisant une percée vers Deir ez-Zor. Que, par ailleurs, la Fédération démocratique de la Syrie du Nord a réorganisé son administration en conséquence et que des élections se dérouleront dans quelque quatre mille communes le 22 septembre, et sont prévues aux assemblées des six cantons le 3 novembre, des trois régions et de la Fédération le 29 janvier 2018. Aucune réponse de la rédaction du Monde.

Comment ne pas conclure à une censure ? Certes Le Monde est libre de publier les tribunes qu’il veut, mais il perd cette liberté une fois qu’il s’est engagé sur leur parution. Pourquoi alors cette décision de retrait et ce silence ? Certes, dans mon livre Un autre futur pour le Kurdistan. Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique [6], je reconnais ne pas avoir été tendre pour un journaliste du Monde, Alan Kaval.

  • J’ai dit que certains écrits d’Alan Kaval pourraient l’avoir été par une agence de presse pro-gouvernementale turque [7]. Kaval, qui connaît bien son sujet, n’ignore pas que le PKK a abandonné le marxisme-léninisme pour « son idéologie propre » [8] mais jamais il ne précise honnêtement le projet du confédéralisme démocratique, car un tel exposé ruinerait ses dénigrements. Tout est ramené à des « fantasmes utopiques » [9], une intention démocratique qui « masque mal la mainmise du parti sur les institutions et l’éviction de ses rivaux  » [10] quand il ne se lance pas dans une (perfide) présentation de ce qu’il qualifie d’« assemblage labyrinthique » : « En se retirant de la région, le régime a permis au mouvement kurde de se servir des territoires passés sous son contrôle pour imposer son modèle, celui dit de “l’autonomie démocratique”, la grande idée théorique d’Abdullah Öcalan. Elle est censée aboutir, selon la vulgate diffusée par le PKK, à la construction d’un “système politique sans État où la société se gouverne elle-même”. Sa mise en pratique se traduit concrètement par la construction d’un assemblage institutionnel labyrinthique composé de “maisons du peuple”, de communes, de municipalités, d’assemblées locales, de comités divers et de ministères autoproclamés, où tous les postes à responsabilités sont soumis à une règle de parité stricte entre hommes et femmes. En réalité, chacune de ces institutions, prétendument représentatives, est noyautée par des cadres du PYD, qui ont fait leurs armes au sein du PKK face à l’armée turque durant les décennies précédentes. » [11].

Mais Filiu et Kaval ne sont pas les seuls à abhorrer le PKK, à s’obstiner à voir en lui une organisation nationaliste, autoritaire et terroriste.

  • Quelques exemples. Marie Jégo, correspondante permanente du Monde à Istanbul, continue de qualifier le PYD et le PKK d’organisations marxistes [12] et Alain Frachon, spécialiste du Proche-Orient, de partis marxistes-léninistes [13]. Erdogan pourra aussi remercier Louis Imbert qui explique que les Forces démocratiques syriennes sont une alliance « dominée par les cadres issus du PKK » [14] et encore Pierre Breteau qui écrit à peu près la même chose en s’appuyant sur Jean-Pierre Filiu [15]. Enfin, et c’est tout dire de la philosophie générale du journal, dans un récent éditorial à propos du procès de journalistes turcs, Le Monde écrit : «  À qui fera-t-on croire que ces femmes et ces hommes, patriotes responsables, ont maille à partir avec le terrorisme que pratique le mouvement kurde PKK ? » [16].

Y aurait-il un lobby anti-PKK au Monde qui serait intervenu pour stopper la publication de ma tribune préalablement décidée par des imprudents ? Sans doute non, mais plus certainement un groupe de pression qui se fédère naturellement autour de préjugés.

Ainsi, les lecteurs du Monde, s’ils n’ont pas eu la curiosité d’aller voir ailleurs, ne sauront rien de la société sans État des Kurdes. Un projet nouveau pour un Proche-Orient nationaliste, étatiste et si peu démocratique, un projet qui s’adresse également à toute l’humanité. Même si tout n’est pas rose au Kurdistan, loin de là, et je renvoie encore à Un autre futur pour le Kurdistan comme à la tribune ci-dessous, il y a beaucoup à apprendre de l’expérience de la Syrie du Nord, non seulement pour les révolutionnaires tombés dans un trou noir mais pour tous ceux qui, à gauche, souhaitent se libérer du carcan partidaire et étatique. Le vieux monde de la démocratie représentative n’est pas une fatalité. La Commune n’est pas morte, le Mouvement kurde le prouve en Syrie et en Turquie.

Aussi, pour conclure et préciser mon propos, je ne dirai pas que « Tout « Le Monde » déteste le PKK », mais bien que « Tout Le Monde déteste la démocratie directe ».

Paris, le 20 septembre 2017

La tribune censurée par Le Monde.

Après Rakka, l’ambition démocratique de la Fédération de la Syrie du Nord

En entrant dans Rakka, les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de milices kurdes et arabes, ne libèrent pas seulement la population de la dictature et de l’obscurantisme, elles lui proposent l’adhésion à une société progressiste fondée sur le fédéralisme. Leur ambition démocratique est inscrite dans deux textes de nature constitutionnelle : la Charte du Rojava du 29 janvier 2014 appliquée dans les cantons kurdes de Syrie et le Contrat social de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord adopté par une assemblée multi-ethnique le 29 décembre 2016. Comme elles le furent pour les soldats de l’an II, les idées émancipatrices expliquent mieux la bravoure des miliciennes et miliciens, que la soif d’exploits militaires ou de conquêtes territoriales.

Rappelons-nous. Au début des années 2000, Abdullah Öcalan et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) firent le constat d’une double impasse : le marxisme-léninisme n’est pas une idéologie en mesure de répondre à la modernité capitaliste ; la guerre de libération nationale pour fonder un État-nation kurde est sans issue. S’inspirant des travaux d’un philosophe américain, Murray Bookchin, fondateur de l’écologie sociale et théoricien du municipalisme libertaire, ils imaginent le confédéralisme démocratique. À la faveur de la révolution syrienne de 2011, les révolutionnaires du Kurdistan de Syrie avancent cette théorie et mettent en place de nouvelles institutions civiles et politiques. Chaque communauté ethnique, culturelle, économique, professionnelle, politique… a la possibilité de s’organiser en conseils autonomes lesquels s’unissent au sein de la commune d’un village ou d’un quartier. Les communes se fédèrent aux divers niveaux utiles à la gestion des affaires collectives en observant une stricte parité entre les femmes et les hommes, en garantissant la représentation des minorités. On ne crée pas un État nouveau, on marginalise l’idée même d’État en étendant le champ des autonomies, en s’appropriant ses missions de service public (santé, éducation, infrastructures, transports, énergie, etc.) et en réduisant le plus possible ses fonctions régaliennes. Par exemple, le maintien de l’ordre public et la justice de proximité sont assurés par les citoyens eux-mêmes. Comme l’État est progressivement subverti par la commune, le capitalisme le sera par une économie sociale, écologique et autogérée, initiée par les coopératives de producteurs et de consommateurs. L’utopie prend vie au Rojava (Kurdistan de l’Ouest). Elle s’étend aujourd’hui dans tout le Nord de la Syrie et se présente comme une solution pour la paix au Proche-Orient.

On se doute que mettre en œuvre ces fichues idées, droit venues de la Commune de Paris, n’est pas chose facile avec Bachar al-Assad en embuscade, avec une lutte intense contre l’État islamique, contre les milices nationalistes ou djihadistes de l’opposition syrienne et les menaces récurrentes d’invasion du gouvernement turc. Comment un tel contexte de guerre n’exacerberait-il pas les contradictions ? La Charte du Rojava et le Contrat social de la Syrie du Nord, en maintenant les institutions d’une démocratie occidentale avec la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ne consacrent pas le modèle fini de démocratie directe qu’ils invoquent, même si le gouvernement se nomme pudiquement « auto-administration démocratique » parce qu’il estime que son seul devoir est d’exécuter les directives venues d’en bas, des communes. L’organisation sur un mode représentatif, en septembre et novembre, des élections locales puis, en janvier 2018, des élections régionales et nationales, n’est pas non plus une preuve de démocratie directe. On objectera encore que le Parti de l’union démocratique (PYD) est omniprésent dans les institutions politiques, civiles et militaires, qu’une petite-bourgeoise s’installerait volontiers au pouvoir, que les Unités de protection du peuple (YPG, YPJ) et les FDS sont plus proches d’une armée classique avec son décorum militariste que des milices anarchistes de la guerre d’Espagne, que la propriété privée des moyens de production et d’échange n’est pas remplacée par l’autogestion généralisée, etc. L’autonomie démocratique du Nord de la Syrie n’est pas encore le confédéralisme démocratique où l’État n’a plus de légitimité parce qu’il n’a plus d’utilité, elle est une phase intermédiaire d’État fonctionnel nécessitée par les contraintes géopolitiques.

Il reste qu’elle est porteuse d’espoir et à ce titre mérite attention. Que le Mouvement pour une société démocratique (TEV-DEM), fédération des communes et commu-nautés diverses, assure le fonctionnement de la société civile et régule l’économie. Que la plupart des porteurs de délégations, de mandats, de missions ou de commandements, Kurdes, Arabes, Assyriens ou Turkmènes manifestent la volonté de vivre ensemble, en paix, pour aller vers « cette étrange unité que se dit multiple » que Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille plateaux n’imaginaient pas qu’elle fleurirait au cœur de ce Proche-Orient si peu libertaire.

Pierre Bance

Docteur d’État en droit, ancien directeur des éditions Droit et Société. Auteur d’Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Les Éditions Noir & Rouge, février 2017, 400 pages.

Texte libre de droits avec mention de l’auteur : Pierre Bance, et de la source : Autre futur.net, espace d’échanges pour un syndicalisme de base, de lutte, autogestionnaire, anarcho-syndicaliste, syndicaliste révolutionnaire (www.autrefutur.net).

[1] Le Monde.fr, 25 juin 2017 (http://filiu.blog.lemonde.fr/2017/06/25/le-vrai-visage-des-liberateurs-de-rakka/). Lire la réponse cinglante et argumentée d’André Métayer sur le site des Amitiés kurdes de Bretagne (http://www.akb.bzh/spip.php?article1217)

[2] Voir la notice que consacre Wikipédia à Jean-Pierre Filiu (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Filiu).

[3] Pas moins de six mentions entre juillet 2017 et aujourd’hui, sans compter les rappels fréquents à son blog en page d’accueil (http://lemonde.fr/recherche/?keywords=filiu&page_num=1).

[4] Le Monde.fr, 30 avril 2017 (http://filiu.blog.lemonde.fr/2017/04/30/la-question-kurde-dans-limpasse/)

[5] Le Monde.fr, 4 septembre 2016 (http://filiu.blog.lemonde.fr/2016/09/04/comment-le-pkk-de-cemil-bayik-a-trahi-les-kurdes-de-syrie/).

[6] Noir et Rouge, 2017, 400 pages (http://www.autrefutur.net/Un-Autre-Futur-pour-le-Kurdistan).

[7] Un autre futur pour le Kurdistan, page 180, note 717. Est plus spécialement visé un article, « La guerre perdue du PKK », paru dans Le Monde du 25 septembre 2016,

[8] « Les Kurdes préparent l’après-EI à Rakka », Le Monde, 30 août 2017. Malgré le titre de l’article, on ne saura rien de ce que préparent les Kurdes sinon des manœuvres de couloir avec les tribus arabes et, toujours, sous le contrôle sans partage du PKK.

[9] « Kobané, “ville musée” de la résistance kurde », Le Monde, 24 mai 2016.

[10] « Les Kurdes, combien de divisions ? », Le Monde diplomatique, novembre 2014

[11] « Les Kurdes, combien de divisions ? », Le Monde diplomatique, novembre 2014

[12] « Les Kurdes de Syrie voient l’intervention russe d’un bon œil », Le Monde, 3 octobre 2015.

[13] « Poutine s’en va-t-en guerre », Le Monde, 2 octobre 2015.

[14] « De l’Irak au Liban, l’organisation État islamique seule sur tous les fronts », Le Monde, 26 août 2017.

[15] « Syrie : jour par jour, les combats pour la reprise de Rakka en cartes », Le Monde, 27 juillet 2017.

[16] « Les procès du Bosphore », éditorial du Monde du 26 juillet 2017.