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Invasion zapatiste de l’Europe, rencontres rebelles fructifiantes… Que la fête commence !

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“L’invasion zapatiste” commence !

Jérôme Baschet

27 avril 2021

Source: https://www.lavoiedujaguar.net/L-invasion-zapatiste-commence

Cela avait été annoncé il y a six mois ; maintenant, nous y sommes.

Le voyage zapatiste vers l’Europe a commencé.

La « conquête inversée » a bel et bien débuté.

Lorsque, le 5 octobre 2020, les zapatistes ont publié leur communiqué « Une montagne en haute mer », la surprise fut considérable, à l’annonce d’une tournée de l’EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional) sur les cinq continents, en commençant par l’Europe.

Il faut dire que, si les zapatistes n’ont pas été avares d’initiatives tant au Chiapas qu’à l’échelle du Mexique (avec par exemple la Marche de la couleur de la terre, il y a tout juste vingt ans), c’est presque la première fois (à une petite exception près en 1997) qu’ils sortent des frontières de leur pays.

Puis, le 1er janvier dernier, ils ont écrit et cosigné avec des centaines de personnes, collectifs et organisations une « Déclaration pour la vie » exposant les raisons de ce voyage : contribuer à l’effort pour que les luttes contre le capitalisme — qui sont indissociablement des luttes pour la vie — se rencontrent dans la pleine conscience de leurs différences et loin de toute volonté d’homogénéisation ou d’hégémonie.

Au cours de ces six derniers mois, un ample processus d’organisation s’est mis en place à l’échelle européenne, mais aussi dans chaque pays ou « géographie », selon la terminologie zapatiste. Une coordination francophone a ainsi vu le jour, puis, en son sein, huit coordinations régionales fédérant collectifs et initiatives locales. Dans le même temps, l’EZLN a confirmé que se préparait une ample délégation composée de plus d’une centaine de ses membres, aux trois quarts des femmes, et qu’elle serait en outre accompagnée par des membres du Congrès national indien – Conseil indien de gouvernement, qui regroupe des luttes indiennes de tout le Mexique, ainsi que par une délégation du Front des peuples en défense de l’eau et de la terre de Morelos, Puebla et Tlaxcala, s’opposant à la mise en service d’une double centrale thermoélectrique qui menace de détourner les ressources en eau indispensables aux paysans de la région [1].

Le 10 avril dernier — anniversaire de l’assassinat d’Emiliano Zapata — était annoncé le départ de la première partie de la délégation zapatiste, destinée à faire le voyage par la voie maritime. On s’attendait à la voir sortir, ce jour-là, du caracol [2] de Morelia, où ses membres se préparaient depuis des mois. Il y eut bien alors un rituel en bonne et due forme, avec musique traditionnelle, encens et gestes de purification (limpia), sur la réplique d’une proue de navire ; mais la montagne ne s’est pas pour autant déplacée [3]. En effet, il a été annoncé que la délégation se plaçait en quarantaine pendant quinze jours afin d’être assurée de ne pas quitter les territoires zapatistes en étant porteuse d’un autre virus que celui de la rébellion — un choix qui réitère la décision de l’EZLN de prendre (par soi-même et loin de toute injonction étatique) toutes les mesures de précaution sanitaire requises pour éviter la propagation du SARS-CoV-2, ce qui l’avait conduit à déclarer, dès le 15 mars 2020, une alerte rouge et à fermer l’accès à tous les caracoles zapatistes.

On apprit aussi que cette délégation maritime avait été baptisée « Escadron 421 », parce qu’elle est composée de quatre femmes, de deux hommes et d’une personne transgenre (« unoa otroa », dans le lexique zapatiste), présenté·e·s individuellement dans un communiqué du sous-commandant Galeano [4]. Après une nouvelle fête de départ, le dimanche 25, avec exposition de nombreuses peintures et sculptures, paroles d’encouragement du conseil de bon gouvernement et bal populaire [5], ce lundi 26 avril est donc le jour de leur départ effectif de Morelia. De là, ils rejoindront un port mexicain où les attend le bateau dénommé « La Montagne » et, le 3 mai, largueront les amarres pour la traversée de l’Atlantique. L’Escadron 421 sera alors soumis aux impondérables océaniques, sous la compétente conduite de l’équipage du navire. Il devrait arriver en vue des côtes européennes dans la seconde moitié du mois de juin (le pays ne sera connu que plus tard).

Parallèlement, ces derniers jours, de petites fêtes étaient organisées au son des tambours et des encouragements de toutes sortes pour accompagner le départ d’autres membres de la délégation zapatiste qui quittaient leurs villages de la forêt Lacandone, parfois dans des pirogues permettant de descendre les rivières de cette région tropicale, proche de la frontière du Guatemala [6]. Elles et eux feront partie des groupes de la délégation zapatiste qui, en avion cette fois, rejoindront le vieux continent à partir du début juillet.

Commenceront alors des mois d’intenses activités, de rencontres et d’échanges dans toute l’Europe, puisque les zapatistes ont annoncé avoir reçu et accepté des invitations émanant de très nombreuses « géographies » : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Catalogne, Sardaigne, Chypre, Croatie, Danemark, Slovénie, État espagnol, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pays basque, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Roumanie, Russie, Serbie, Suède, Suisse, Turquie, Ukraine.

Ce sont des centaines de rencontres et d’activités qui ont été proposées aux zapatistes et sont actuellement en cours de préparation. Les collectifs et organisations concernés les feront connaître le moment venu. Il est possible qu’il y ait des rassemblements amples, impliquant toutes les luttes de la période actuelle, des Gilets jaunes aux ZAD et autres résistances territoriales contre les grands projets destructeurs, des collectifs féministes à toutes les formes de soutien aux migrants, des luttes contre les violences policières à celles qui visent à défaire les dominations coloniales, des réseaux d’entraide dans les métropoles aux régions rurales où s’esquissent d’autres manières de vivre, sans oublier la mobilisation prioritaire à laquelle nous obligent, comme le soulignent les zapatistes, les sanglots tragiques de notre planète blessée. La liste est longue (et ici incomplète) au sein de la galaxie des rébellions contre tous les aspects de la barbarie capitaliste et des résistances pour faire émerger d’autres mondes plus désirables.

Surtout, les zapatistes ont expliqué qu’ils venaient pour échanger — c’est-à-dire pour parler et, plus encore, pour écouter — avec toutes celles et ceux qui les ont invités « pour parler de nos histoires mutuelles, de nos douleurs, de nos rages, de nos réussites et de nos échecs » [7]. Des rencontres à petite échelle, pour prendre le temps de se connaître et commencer à apprendre les un·e·s des autres. Cela fait bien longtemps que les zapatistes insistent sur le fait que nos luttes ne peuvent rester isolées les unes des autres, soulignant la nécessité de construire des réseaux planétaires de résistance et de rébellion. Il est inutile de rappeler ici toutes les rencontres internationales qu’ils ont organisées au Chiapas, depuis la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme (dite « Intergalactique »), en 1996, jusqu’au séminaire « La pensée critique contre l’hydre capitaliste », en 2015 [8]. Mais on peut noter qu’en août 2019, au moment d’annoncer une nouvelle avancée de l’autonomie, avec la création de quatre nouvelles communes autonomes et de sept nouveaux conseils de bon gouvernement, ils avaient précisé qu’ils ne proposaient plus d’organiser de grandes rencontres, mais plutôt de faire des « réunions avec les groupes, collectifs et organisations qui travaillent [luttent] dans leurs géographies » [9]. Il n’était pas alors question de voyage sur les cinq continents, mais celui-ci pourrait être — en plus d’autres raisons d’entreprendre un tel périple — une manière d’engager ce processus. Mais, si une telle perspective peut résonner avec le besoin que beaucoup ressentent de tisser davantage entre les luttes existantes, il est clair qu’elle a pour préalable non seulement l’échange qui permet d’identifier ce qui est partagé sans dénier différences et divergences, mais aussi et surtout la rencontre qui crée une interconnaissance réelle.

Le voyage pour la vie sera donc l’occasion pour un nombre bien plus important de personnes de rencontrer les zapatistes et d’en apprendre davantage sur cette expérience d’autonomie et de dignité qui persévère contre vents et marées, depuis plus d’un quart de siècle. Et, espérons-le, de se laisser gagner par la contagion rebelle dont les zapatistes sont de virulents porteurs. Souhaitons donc que toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans la Déclaration pour la vie et pour qui l’autonomie zapatiste brille fort dans le ciel de nos aspirations (et inspirations) soient prêt·e·s à les accueillir, à soutenir leur initiative itinérante (par exemple en contribuant et en faisant circuler la plate-forme de crowdfunding mise en place à cet effet), à participer, de la manière qui conviendra à chacun·e, au VOYAGE POUR LA VIE [10].

Mais revenons à l’Escadron 421. Depuis le début de l’annonce du voyage vers l’Europe, les zapatistes suggèrent qu’il s’agit de refaire à l’envers le processus de la conquête. Ils s’amusent à l’idée d’une invasion inversée (et, cette fois, consentie). C’est de l’humour, bien sûr (mais en est-on bien sûr ?) [11]. En tout cas, ils ont annoncé qu’ils seraient, le 13 août 2021, à Madrid pour célébrer à leur manière les cinq cents ans de la conquête de Mexico-Tenochtitlan par l’armée de Hernan Cortés. Les Indiens du Chiapas, comme ceux de tout le continent américain, éprouvent depuis cinq siècles dans leur chair ce que signifient la colonisation et toutes les formes de colonialisme interne et de racisme qui en sont la prolongation. Mais les zapatistes ont clairement dit qu’ils ne se rendraient pas à Madrid pour exiger que l’État espagnol ou l’Église catholique leur demande pardon. Ils refusent tout autant la condamnation essentialisante d’un « Occident » diabolisé et tout entier assimilé aux colonisateurs que l’attitude consistant à enfermer les colonisés dans la position de victimes. Au contraire, ils entendent dire aux Espagnols « qu’ils ne nous ont pas conquis [et] que nous sommes toujours en résistance et en rébellion ». Refaire le voyage à l’envers, c’est déjouer une histoire toute faite, qui assigne des positions figées et univoques aux vainqueurs et aux vaincus. Il s’agit d’ouvrir par effraction la possibilité d’une autre histoire.

Lorsque la délégation maritime zapatiste touchera terre en un point encore inconnu du continent européen, c’est Marijose, « unoa otroa » de l’Escadron 421 qui débarquera en premier. Voici comment le sous-commandant Galeano décrit par avance la scène, en une inversion du geste par lequel Christophe Colomb — qui pourtant n’a pas débarqué, le 12 octobre 1492, en conquérant ni même en découvreur, puisqu’il ne cherchait au contraire qu’à retrouver les terres déjà connues du Japon et de la Chine — s’est empressé de planter sa croix et d’imposer le nom de San Salvador à l’île de Guanahaní :

Ainsi, le premier pied à se poser sur le sol européen (bien sûr, si on nous laisse débarquer) ne sera ni celui d’un homme ni celui d’une femme. Ce sera celui d’un·e autre.

Dans ce que le défunt SupMarcos aurait décrit comme « une gifle avec un bas noir pour toute la gauche hétéropatriarcale », il a été décidé que la première personne à débarquer sera Marijose.

Dès qu’elle·il aura posé les deux pieds sur le sol européen et se sera remis·e du mal de mer, Marijose criera :

« Rendez-vous, visages pâles hétéropatriarcaux qui persécutez ce qui est différent ! »

Nan, je plaisante. Mais ça serait bien qu’il·elle le dise, non ?

Non, en descendant à terre, l@ compa zapatiste Marijose dira d’une voix solennelle :

« Au nom des femmes, des enfants, des hommes, des anciens et, bien sûr, des zapatistes autres, je déclare que le nom de cette terre, que ses natifs appellent aujourd’hui “Europe”, s’appellera désormais : SLUMIL K’AJXEMK’OP, ce qui signifie “Terre rebelle”, ou “Terre qui ne se résigne pas, qui ne défaille pas”. Et c’est ainsi qu’elle sera connue des habitants et des étrangers tant qu’il y aura ici quelqu’un qui n’abandonnera pas, qui ne se vendra pas et qui ne capitulera pas. »

Bienvenue, compañeroas, compañeras y compañeros zapatistas, dans les diverses géographies du continent bientôt renommé Slumil K’ajxemk’op.

Paris, 25-26 avril 2021

Jérôme Baschet

Source : LundiMatin

26 avril 2021.

P.-S.

[mise à jour : le communiqué « La route d’Ixchel », publié ce 26 avril après la parution du présent article, précise que « La Montaña » doit quitter le Mexique depuis Isla Mujeres, pour arriver en vue des côtes européennes à Vigo (Galice)]

Notes

[1] « Au Mexique, les zapatistes du Chiapas s’opposent aux grands projets nuisibles ».

[2] Escargot, en espagnol. Nom des centres régionaux où siègent les « conseils de bon gouvernement » de l’autonomie zapatiste et où ont lieu notamment les rencontres nationales et internationales organisées par l’EZLN.

[3] « En route vers l’Europe… ».

[4] « Escadron 421 ». On y apprend aussi que cette délégation maritime devait être composée de vingt personnes, mais que les autres n’ont pas réussi à vaincre les obstacles mis à l’obtention de leur passeport. NB : L’Escadron 201 est une unité aérienne mexicaine ayant participé à la Seconde guerre mondiale.

[5] « Réveillez-vous ! » et « Escuadrón 421, la delegación Zapatista : “¡Semillas llevamos, semillas dejamos, semillas germinarán !” ».

[6] « Et pendant ce temps, dans la selva Lacandone… »

[7] « En route vers l’Europe… ».

[8] Voir : « Zapatisme ».

[9] « Et nous avons brisé l’encerclement », voir aussi : « Ici, le peuple dirige, le gouvernement obéit » : au Mexique, le zapatisme est bien vivant.

[10] Les coordinations régionales peuvent être contactées aux adresses suivantes :

Centre Val de Loire : zapatista-centrevaldeloire@siberry.fr

Coordination Nord : zalig@herbesfolles.org

Coordination Nord-Est : zapat-est@riseup.net

Coordination Nord-Ouest : coordnordouest@lists.riseup.net

Coordination Île-de-France : comcomzap-idf@riseup.net

Coordination Auvergne – Rhône-Alpes : zap21_auv_rhon_alp@lists.riseup.net

Coordination PACA : pacaz@riseup.net

Coordination Sud-Ouest : contact-coordSudOuest@riseup.net

La coordination francophone à cette adresse : zap_2021_fr_contact@lists.riseup.net

Et pour la Belgique francophone : razb@collectifs.net

[11] Lors de la fête du 25 avril, à Morelia, des maquettes de bateaux ont été exposées, avec des noms faisant ironiquement référence aux caravelles de Christophe Colomb : « Santa Maria – La Revancha » ; « No soy Niña »…

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Lecture complémentaire :

Du chemin de la société vers son humanité réalisée (Résistance 71)

Nous sommes tous des colonisés (Résistance 71)

6ème déclaratoin zapatiste de la forêt de Lacandon

Ricardo Flores Magon, textes choisis

Chiapas, feu et parole d’un peuple qui dirige et d’un gouvernement qui obéit

Rencontre au sommet…


Gilets Jaunes…


Zapatistes….

Au sujet du livre « Théorie révolutionnaire et cycles historiques » de Jean-Yves Bériou republié en format PDF par le collectif Guerre de Classe… Livre des plus pertinents

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Théorie révolutionnaire et cycles historiques (Jean-Yves Bériou)

Note des éditeurs de la seconde édition du livre en 2013, 40 ans après l’édition originale

Editions La Sociale, Montréal, 2013

Le présent ouvrage a été publié initialement en 1973 en guise de postface au livre de F. Domela Niewenhuis : “Le socialisme en danger”, paru aux éditions Payot dans la collection “Critique de la politique”.
A l’époque, la lecture de ce texte a permis à quelques camarades en rupture avec l’anarchisme traditionnel et le “marxisme” dogmatique des différents groupuscules à la mode, de se poser avec plus d’acuité la problématique communisme/anarchisme et d’entamer un processus de clarification de la “théorie révolutionnaire” en regard des “cycles historiques”.
C’est parce que cette réflexion nous apparaît toujours urgente et pertinente aujourd’hui que nous tirons ce texte de l’oubli pour le livrer à la discussion.

Le livre de Jean-Yves Bériou en format PDF :
JY-Beriou-Theorie-revolutionnaire-et-cycles-historiques-1973

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Note de Résistance 71 :

En premier lieu, nous remercions le collectif Guerre de Classe pour avoir ressorti cet ouvrage des plus pertinents que nous ne connaissions pas.

Chose également intéressante et que nous pensons vitale pour entretenir le débat plus avant même, est l’importance de la publication en 1974 de l’ouvrage phare résumant le travail de recherche de l’anthropologue politique français Pierre Clastres dans “La société contre l’État”.

Ajoutant une perspective supplémentaire dans le domaine de l’analyse de l’État, de l’évolution humaine et de sa société en rapport aux cycles historiques dans lesquels elle s’inscrit.

Pierre Clastres y fait ce constat analytique des faits :

“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »

et aussi :

“La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes.”

Il est donc tout aussi important à notre sens, de lire ce pertinent petit livre de Jean-Yves Bériou en considérant que “l’économique” de la vie sociale humaine est une dérive du “politique” et que l’adoption d’un “mode de production” est de fait subordonné à la décision politique de l’organisation du pouvoir qui ne peut prendre que deux formes comme analysé si justement par Clastres : non coercitive ou coercitive.

Il ne s’agit plus de faire la “révolution” et de sortir du cercle vicieux qui nous fait tourner en rond “révolution” après “révolution” (n’est-ce pas là la réalisation empirique d’une révolution ?.. Un retour au point de départ ? Changer pour qu’en fait rien ne change vraiment ? Ceci semble être une parfaite proposition pour tout oligarque à la manœuvre), mais d’embrasser finalement l’évolution en changeant radicalement, c’est à dire étymologiquement en revenant aux racines de, notre relation au pouvoir qui est inhérent à la société humaine.

Lectures complémentaires :

40 ans ~ Hommage à Pierre Clastres

Pierre Clastres_De l’ethnocide

Pierre Clastres_Société contre l’État échange, pouvoir et philosophie de la chefferie indienne

Gustav Landauer_Appel au socialisme

Manifeste pour la société des sociétés

Société, pouvoir, État et violence, résoudre l’aporie de Pierre Clastres

5ème assemblée du Conseil National Indigène et Conseil Indigène de gouvernement, déclaration conjointe de janvier 2021

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Déclaration conjointe de la 5ème assemblée du Conseil National Indigène (CNI) et du Conseil Indigène de Gouvernement (CIG)

 

CNI / CIG

 

Janvier 2021

 

Source :
https://www.lavoiedujaguar.net/Declaration-de-la-Cinquieme-Assemblee-conjointe-du-Congres-national-indigene-et

 

À l’Armée zapatiste de libération nationale
Aux peuples du monde
Aux personnes qui luttent sur les cinq continents
Frères, sœurs, compañer@s,

Frères et sœurs du monde entier, nous vous saluons, nous qui conformons le Congrès national indigène. Nous sommes des peuples et des communautés qui habitaient déjà nos terres et nos territoires avant l’imposition de ce qu’on appelle l’État mexicain, nous avons non seulement notre propre langue et notre façon de nous habiller, mais aussi une forme de gouvernement, une façon de voir, de comprendre et de vivre le monde différente de celle du monde capitaliste, qui voit tout comme une marchandise. Nous sommes des peuples qui aiment la terre, les montagnes, les eaux, les collines, les oiseaux et tous les êtres vivants qui habitent notre mère la terre. Pour nous la vie est sacrée, nous la vénérons. Au cours des ans, les donneurs d’ordres, ceux qui ont pour but de dominer et d’exploiter, ont voulu en finir avec nous, détruire notre culture et notre territoire. Nous sommes une histoire de dépossession, de résistance et de rébellion, et aujourd’hui, après plus de cinq cents ans de conquête et de guerre, nous sommes en danger d’extinction, avec le monde entier.

Frères et sœurs zapatistes, frères et sœurs aîné·e·s, comme toujours vos paroles et vos initiatives créent une lumière d’espoir et un chemin pour nos peuples. Les mégaprojets, les sociétés transnationales, le crime organisé en coordination avec le gouvernement nous envahissent toujours plus pour exploiter et détruire notre territoire, pour détruire la vie. Les paroles mensongères de López Obrador et sa soi-disant Quatrième Transformation cherchent à créer un mur qui cache la guerre qui fait rage contre les peuples et la vie de la Terre Mère, à nous isoler et à nous présenter comme les adversaires du progrès, accusation que les gouvernements antérieurs ont déjà utilisée mais qui prend aujourd’hui un tour plus destructeur. Notre parole, notre réalité, la guerre que nous vivons ne parvient pas à tous les cœurs auxquels elle devrait parvenir, car non seulement nous défendons notre territoire, mais avec lui nous défendons la vie de la Terre Mère et l’avenir de l’humanité. Toute la force du capital, de l’État et du crime organisé s’exerce sur nos peuples, nous divisant, nous dépossédant, nous menaçant, nous emprisonnant, nous assassinant.

Nous, Front des peuples en défense de la terre et de l’eau des État de Morelos, Puebla et Tlaxcala qui fait partie du CNI-CIG, nous vivons la même guerre de mégaprojets que vivent nos frères et sœurs sur tout le territoire national. Le Projet intégral de Mort appelé Projet intégral Morelos a été imposé principalement pour bénéficier aux compagnies minières, en dehors de toute légalité : il ignore et en viole les recours judiciaires suspensifs, utilise la Garde nationale pour réaliser la construction de l’aqueduc et imposer des consultations indigènes qui violent nos droits fondamentaux. L’enquête sur le meurtre de Samir, loin d’aboutir, met en évidence la relation qui existe entre les services du procureur général de l’État et le crime organisé. En résumé, nous vivons la même guerre d’extermination que le reste de nos compañer@s du CNI et d’autres peuples, villes et secteurs frères. Cependant, l’attaque du grand capital et du gouvernement et l’assassinat de notre frère Samir ne mettent pas fin à notre résistance, au contraire, nous continuerons à lutter jusqu’à ce que la vie triomphe de la mort, avec nos armes les plus puissantes : la dignité, la résistance et la rébellion.

L’imposition du Train maya, qui s’accompagne de la construction de quinze centres urbains, du Corridor interocéanique Salina Cruz – Coatzacoalcos, qui prévoit dix corridors urbano-industriels, de l’Aéroport international de Mexico – Parc écologique Lac Texcoco et du Projet intégral Morelos, vise à réorganiser le pays en fonction des intérêts économiques du grand capital. Il est également très grave qu’on projette de construire, au profit de diverses entreprises étrangères, trois centrales thermoélectriques — dont l’une est déjà achevée —, un réseau de gazoducs et un mégacentre de stockage de combustible dans le bassin du Río Santiago, au sud de Guadalajara, qui, de plus, se trouve dans l’une des régions les plus polluées du pays ; s’y ajoute le projet du Canal Centenario, auquel travaille actuellement la Garde nationale, visant à connecter les fleuves San Pedro et Santiago au Nayarit. L’exploitation minière à ciel ouvert menace également des centaines de territoires de peuples indigènes en utilisant la même formule, procédé de division, de dépossession et de destruction de nos communautés.

Tous ces projets sont précédés d’infrastructures routières et hydrauliques, d’un grand nombre de parcs éoliens et photovoltaïques, ainsi que de centrales hydroélectriques, thermoélectriques et de centrales à gaz qui envahissent illégalement les territoires de nos peuples et dont beaucoup n’ont même pas d’autorisation d’impact environnemental ; ils prévoient l’occupation de milliers et de milliers d’hectares et le changement d’usage des terres des ejidos, des communautés et des peuples indigènes, sans tenir compte de l’autodétermination des peuples sur leur territoire.

Ces grands mégaprojets et toute la dépossession et l’exploitation provoquées par le modèle extractiviste du gouvernement fédéral sont protégés par la militarisation de tout le pays et de la sécurité publique, qui, selon les paroles trompeuses de López Obrador, a maintenant avancé alors que sous les gouvernements précédents une grande partie de la société y était opposée, sans que disparaissent le précédent et la situation réelle de violation systématique des droits de l’homme par les contingents militaires, souvent en collusion avec le crime organisé. La guerre contre les peuples pour imposer des mégaprojets est évidente quand l’armée se voit confier des travaux comme le Train maya ou l’aéroport de Santa Lucia, projets auxquels nous nous opposons catégoriquement.

Dans tout ce processus de recolonisation de nos territoires, l’Institut national des peuples indigènes, une imposition de plus du mauvais gouvernement de la Quatrième Transformation, a effectué les tâches que réalisait l’ancien indigénisme du régime du PRI : médiatiser, manipuler, fragmenter, diviser nos peuples et nos communautés, servir le contremaître en poste, valider ses mégaprojets, se prêter à de fausses cérémonies officialistes qui offensent notre Terre Mère et participer aux stratégies de contre-insurrection et à la prétendue « ingénierie des conflits ». Face à cela, la communauté otomi habitant Mexico a occupé les installations de cet institut pour exiger, au-delà du droit légitime au logement, le respect et la reconnaissance de l’autodétermination des peuples sur leur territoire.

La pandémie de Covid-19 est, comme l’a dit le gouvernement menteur de López Obrador, « tombée à pic » pour imposer les mégaprojets et la militarisation du pays ; la majorité de la population étant démobilisée, la pandémie contribue elle aussi à la guerre d’extermination contre nos peuples, chez lesquels les services de santé et les moyens économiques sont très limités et dans de nombreux cas nuls.

Nous voyons qu’il s’agit d’une crise globale et civilisationnelle jamais vue auparavant qui oblige l’humanité entière à détruire ce système capitaliste et patriarcal actuel, responsable de la destruction de la nature, qui se base sur l’exploitation et la dépossession sans cesse croissantes de millions et de millions d’êtres humains. Un système qui, pour générer profits et richesses, s’appuie sur le crime organisé, sur les guerres, sur les épidémies et les pandémies.

C’est pourquoi, en tant que Congrès national indigène – Conseil indigène de gouvernement et en tant que Front des peuples pour la défense de la terre et de l’eau des États de Morelos, Puebla et Tlaxcala, réunis en cette Cinquième Assemblée conjointe du Congrès national indigène et du Conseil indigène de gouvernement, nous adoptons les accords suivants :

ACCORDS

Un. Nous, peuples, organisations, collectifs et personnes du monde entier, souscrivons à la Déclaration pour la vie émise par l’Armée zapatiste de libération nationale, en nous engageant à renforcer nos luttes pour la défense de la vie dans nos territoires et en ouvrant l’écoute, l’organisation et la parole à nos sœurs et frères du Mexique et du monde entier qui luttent contre ce système capitaliste et patriarcal dans le but de le faire disparaître.

Deux. À participer directement, selon les critères que nous avons définis dans cette assemblée, par une délégation du CNI-CIG et du FPDTA-MPT, au côté de l’EZLN, à la tournée en Europe proposée par nos sœurs, frères, compañer@s de l’EZLN et du monde entier de juillet à octobre 2021 et, dans la mesure de nos possibilités, à celles qui seront réalisées ultérieurement en Asie, en Afrique, en Océanie et en Amérique.

Trois. À mener des actions pour la vie, contre les mégaprojets et en mémoire de notre frère Samir Flores Soberanes du 19 au 21 février, à deux ans de son lâche assassinat. À lancer un appel à nos frères et sœurs et aux compañer@s du Mexique et du monde entier pour qu’ils mènent des actions aux mêmes dates.

Quatre. Nous exigeons l’arrêt des attaques et du harcèlement des communautés zapatistes ; la libération immédiate de nos frères Fredy García Ramírez, porte-parole de l’organisation Codedi d’Oaxaca, et Fidencio Aldama, membre de la tribu yaqui ; ainsi que la liberté de nos frères Adrian Gomez Jimenez, German López Montejo et Abraham López Montejo, membres de l’organisation La Voz Verdadera del Amate, Marcelino Ruiz Gomez, membre de Viniketik en Resistencia, ainsi que celle d’Osman Alberto Espinales Rodríguez et de Pedro Trinidad Cano Sanchez, injustement emprisonnés dans les prisons de San Cristóbal de Las Casas et de Comitán, au Chiapas ; halte à l’assassinat de nos frères du Cipog-EZ ; présentation en vie du frère Sergio Rivera Hernández, membre de l’organisation MAIZ dans la Sierra Negra de Puebla, des 43 étudiants d’Ayotzinapa et de tous les disparus et disparues.

Respectueusement

Janvier 2021.

Pour la reconstitution intégrale de nos peuples
Plus jamais un Mexique sans nous

Congrès national indigène – Conseil indigène de gouvernement

Front des peuples en défense de la terre et de l’eau des États de Morelos, Puebla et Tlaxcala

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Lectures complémentaires :

Ricardo Florès Magòn (Textes choisis)

Chiapas, feu et parole d’un peuple qui gouverne et un gouvernement qui obéit

Réseau de Résistance et de Rébellion International du Chiapas aux Gilets Jaunes

Raoul Vaneigem : « Appel à la vie contre la tyrannie étatique et marchande » (extraits)

Résistance 71 : Du chemin de la société vers son humanité réalisée

 

Commune Internationaliste du Rojava : Quelle est-elle en 2020 et où va t’elle ? Entretien avec des membres du Tekosîna Anarsîst (PDF)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , on 4 novembre 2020 by Résistance 71

Résistance 71

4 novembre 2020

De rares nouvelles de l’intérieur du Rojava avec cet entretien en compagnie de membres du groupe Tekosîna Anarsîst (Lutte Anarchiste), que nous avons traduit et publié en deux parties. Jo nous en a fait un superbe PDF.
Cet entretien répond à quelques questions qui se posaient concernant le Confédéralisme Démocratique et la Commune du Rojava. Existaient-ils toujours ? Ont-ils été trahis depuis 2016 ? Qui est en charge et qui y fait quoi ? Réponses, points de vue et perspectives…

Rojava-Entretien-avec-TA
(version PDF, traduction R71)


Commune Internationaliste du Rojava

Confédéralisme Démocratique : Excellent entretien avec des membres de Tekosina Anarsist / Lutte Anarchiste du Rojava… Analyse, compte-rendu de terrain et perspective pour une révolution sociale prise entre le marteau et l’enclume (suite et fin)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, documentaire, gilets jaunes, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , on 29 octobre 2020 by Résistance 71

 

 

Un an après l’invasion turque du Rojava : un entretien avec des membres du Tekosîna Anarsîst sur la participation anarchiste dans l’expérience révolutionnaire de la Syrie du Nord-Est [2/2]

 

CrimethInc

 

Octobre 2020

url de l’article original :

https://crimethinc.com/2020/10/11/one-year-since-the-turkish-invasion-of-rojava-an-interview-with-tekosina-anarsist-on-anarchist-participation-in-the-revolutionary-experiment-in-northeast-syria

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

1ère partie

2ème partie

 

—Quels scénarios différents pouvez-vous imaginer pour ce qui pourrait se passer dans la région ? Comment peuvent des actions ou des développements en dehors de la région déterminer lequel de ces scénarios pourrait bien se produire ?

Garzan: Il est difficile d’imaginer des scénarios positifs. Il y a beaucoup de facteurs extérieurs qui vont influer sur le développement de la situation, mais je peux penser à trois scénarios possibles.

1- Nous pourrions voir une désescalade progressive du conflit et la stabilisation de la région. Ceci demanderait des négociations entre l’auto-administration et l’état syrien sous médiation russe, parvenant à une sorte de statut d’autonomie. Ceci mènerait probablement le parti d’opposition politique lié au MSD (Meclîsa Sûrîya Demokratîk, l’organe de l’administration autonome travaillant au niveau national syrien) à participer aux élections en Syrie, à pousser pour des réformes démocratiques et de reconnaissance des Kurdes et autres minorités ainsi que de formaliser un degré d’auto-administration du NE de la Syrie.

2- On pourrait bien aussi voir une continuation de l’invasion turque. Ceci pourrait se produire si elle obtient le feu vert pour attaquer Kobané et occuper la ville qui a mis un coup d’arrêt à Daesh, ou peut-être quelques autres villes frontalières comme Dirbesiye ou Derik. L’auto-admnistration ne peut plus permettre à la Turquie d’occuper plus de territoire, donc ce scénario mènerait sans doute à une résistance “sans retenue” contre l’invasion. Ceci mènera aussi à la réorganisation de Daesh si les forces d’occupation parvennent aux prisons où sont détenus les prisonniers de Daesh, ceci déstabilisera plus profondément la région.

3. Dans ce scénario, désiré par les révolutionnaires, le régime Erdogan s’effondre. Il est très possible que la guerre sur bien des fronts produisent une grave crise dans l’état turc. Idéalement, la révolution du Rojava pourrait devenir un modèle pour de pareilles révolutions en Turquie et au Moyen-Orient, ouvrant ainsi la possibilité à un mouvement révolutionnaire bien plus vaste.

Les conflits variés et les dynamiques de pouvoir au Moyen-Orient pourraient ouvrir ou fermer des opportunités pour que l’auto-administration du NE de la Syrie coopère avec différents acteurs de la région. Les états qui ont une population kurde signifiante comme la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie mais aussi le Liban et l’Arménie, vont influencer ces développements, ainsi que les puissances politiques qui ont fait levier sur la situation en Syrie, la Russie et les Etats-Unis. Les prochaines présidentielles en Amérique pourraient bien marquer un changement dans leur politique extérieure. Ce n’est un secret pour personne que Trump et Erdogan n’ont pas seulement des relations personnelles fortes, mais qu’ils sont également associés en affaires. Bien sûr l’opinion publique peut aussi jouer un grand rôle. La résistance du peuple kurde a gagné l’attention des médias et la sympathie tout autour du monde.

Şahîn: Sur beaucoup des facteurs susmentionnés nous n’avons aucun contrôle. Donc, il est important de nous projeter sur notre position dans différents scénarios et ce que cela veut dire pour l’organisation d’aujourd’hui, notre réseau de connexions et notre préparation. Anticiper peut nous aider à déterminer ce que nous allons faire aujourd’hui afin de prendre les bonnes décisions sur les choses qui sont en notre pouvoir et sur lesquelles nous pouvons influer.

Il est essentiel de voir au-delà des possibilités de cette région et agir internationalement. Aucune place au monde qui ose défier la fondation même de l’état-nation, du capitalisme et du patriarcat, peut réussir en étant isolée. La lutte du peuple du Rojava est quelque chose que nous devons traduire, transmettre dans différents contextes. Il ne s’agit pas de faire un copié/collé, mais de traduire, d’adapter. Nos Şehîd, nos camarades qui sont tombé(e)s, sont une grande inspiration pour nous et quand nous parlons de ce sujet, les mots de ş. Helîn Qaraçox (Anna Campbell) résonnent vraiment :

Si nous voulons être victorieux, nous devons admettre que notre combat d’aujourd’hui est un combat pour le tout ou rien. Le temps est venu de la bravoure et de la prise de décision, le temps de la coordination et de l’organisation, c’est le temps de l’action.

Nous désirons voir plus de gens dire qu’ils soutiennent le Rojava ou le YPJ par exemple, apprendre ce que cela veut dire en profondeur, regarder autour d’eux et rechercher leur propre Kobané ; pas au sens littéral, mais en regard des valeurs  que nous avons créées collectivement et le besoin de les défendre. Nous pouvons trouver de tels défis dans bien des aspects de nos vies. Nous avons seulement besoin du désir de changer (incidemment un de nos livres préférés…). Le Rojava ne peut pas survivre seul malgré tout le soutien qu’il reçoit. Une forte implication révolutionnaire doit aussi se développer en parallèle et ce à un niveau global.

—En quoi la présence anarchiste a changé en Syrie au cours des années, du tout début à la formation des  IRPGF et de TA ? Quels développements ou pressions ont causé ces changements ?

Garzan: Des anarchistes sont venus au Rojava inspirés par les idées du mouvement révolutionnaire, l’esprit de la solidarité internationale et la volonté de contribuer à la création d’une société sans État. Au début, tous les internationalistes furent intégrés dans des unités YPG/J, mais au fil du temps, quelques groupes autonomes se formèrent. L’IRPGF  fut le premier groupe anarchiste à publiquement annoncer sa présence au Rojava. Ils étaient focalisés sur l’effort et l’action militaire, le combat contre l’EIIL / Daesh et aussi à produire des matériaux de promotion afin de faire savoir au monde que des anarchistes combattaient au Rojava. Ce fut une étape importante pour donner une visibilité aux anarchistes prenant part à la révolution. Pourtant le IRPGF ne fut pas capable de développer une structure solide pouvant soutenir tout cela et après une année d’activité et une autre année d’inactivité, le mouvement fut officiellement dissous.

Tekoşîna Anarşîst est née avec l’intention d’apprendre la révolution dans une perspective anarchiste et de traduire ces expériences à nos mouvements pas seulement au niveau militaire mais aussi sur les plans idéologique, politique et social.

L’interaction avec d’autres groupes révolutionnaires au Rojava nous a forcé à réfléchir plus profondément sur ce que veut dire l’organisation révolutionnaire, comment nous comprenons ce qu’est l’implication, comment nous conceptualisons une stratégie ayant des buts sur le long terme…

Şahîn: Beaucoup d’anarchistes qui arrivent ici ont déjà des critiques de la base du caractère sub-culturel fondée sur une identité libérale d’un certain anarchisme occidental. Mais quand vous êtes ici, ces critiques s’appliquent quotidiennement sur un plan personnel. C’est une culture très différente et il y a beaucoup de gens et de structures existantes ayant une longue histoire de la lutte Donc notre groupe plutôt petit n’est pas quelque chose d’extraordinaire ici. Nous sommes forcés d’être plus conservateurs dans nos comportements afin de comprendre et d’apprendre les codes sociaux et révolutionnaires locaux ainsi que les conventions, ceci incluant les langues locales et de fonder notre relation sur la confiance plutôt que sur le style de vie.

Ça n’est pas toujours facile, mais cela en vaut la peine. Ce qui est écrit sur votre T-shirt n’a aucune importance (on ne porte pas de T-shirts de toute façon et les gens ici ne parlent pas anglais), ce qui en a est votre façon d’agir quotidiennement, quelles sont les valeurs que vous colportez. Ceci nous amène une profondeur et une sincérité relationnelles que nous avons souvent cherchées là d’où nous venons sans jamais vraiment le trouver. Chaque défi amène de nouvelles réflexions et de nouvelles perspectives, et nous changeons ici en bien des façons. Un des rôles de l’organisation est d’offrir une plateforme commune pour ces réflexions et expériences ainsi la leçon que chaque personne apprend peut devenir une leçon pour toutes et tous, ainsi nous pouvons nous développer de façon plus collective.

La même chose vaut pour notre approche de la connaissance, des capacités, des analyses. Nos camarades qui travaillent avec le mouvement des femmes ne le font pas pour devenir des spécialistes, mais plutôt ils aident au développement de tous, tout comme les camarades qui ont une expertise en médecine de combat. Ils doivent s’assurer que les collectifs s’adaptent et se développent au moins au niveau de base.. Nous nous assurons que tout le monde ait un accès à la théorie, l’idéologie, la philosophie et autres perspectives de manière générale. Avec les projets d’ordre pratique, les gens organisés en groupes de travail deviennent inévitablement plus spécialisés, mais nous devons inclure d’autres camarades et ouvrir l’éducation à tous.

Nous considérons très important d’avoir une organisation qui interagit grandement avec les locaux et les autres groupes, ce de manière quotidienne. Certains camarades vont travailler des mois dans des zones différentes, mais cela sert toujours de base à établir nos perspectives et nos futurs objectifs ensemble. Nous devons aussi préciser que bon nombre d’anarchistes viennent ici sans rejoindre TA ou d’autres structures. TA ne représente pas tous les anarchistes et autres révolutionnaires internationalistes de la région.

Ceren: Au travers de la révolution au Rojava, il y a une chose qui n’a pas changé, la majorité des femmes anarchistes qui viennent ici ne choisissent pas de rejoindre notre structure anarchiste mais de rejoindre les YPJ (Unités de Défense Populaires Féminines), ou autre partie du mouvement ici. Beaucoup de camarades ont vu les approches du mouvement des femmes très compatibles avec leurs visions politiques anarchistes. Je pense que c’est souvent quelque chose qui est sous-estimé par les anarchistes en provenance de là où nous venons, il y a des anarchistes ici, surtout des femmes, dont la politique anarchiste les mène à s’organiser de façon différente de nous.

TA est une structure anarchiste au Rojava. Les tendances anarchistes et les camarades sont présents dans le mouvement lui-même. Les plus grands changements que nous avons vu s’opérer l’ont été en fait en nous-mêmes. Notre collectif a pas mal galéré pour développer une plus profonde compréhension de notre propre politique et aussi des idées et des pratiques du mouvement ici, et nous sommes devenus beaucoup plus proche du mouvement local en bien des points, bien qu’il y ait toujours des différences. Je pense que le mouvement du Rojava est aussi plus en phase de nous comprendre.

—Donnez-nous un compte-rendu de vos expériences avec TA en tant qu’expérience d’intervention et de solidarité anarchistes.

Şahîn: Je crois que la façon dont nous sommes venus ici et avons agis est une expérience anarchiste d’intervention et de solidarité. Nos commentaires ci-dessus devraient clarifier la différence entre charité et solidarité, nous essayons de vivre ici. Au sein de cette solidarité, il y a aussi un espace pour les points de vue critiques et une marge de progression après certains échecs. une chose tangible est sans doute l’approche concernant les camarades homosexuels, queer et trans. Nous pensons essentiel que ces camarades puissent rejoindre l’expérience ici, mais dans le même temps il est aussi très important de comprendre à quel point ce sujet est très sensible ici. De l’expérience passée, nous cherchons à être productif et encourageant, à créer un environnement conducteur d’expérience positive tout en navigant les conditions bien particulières de la région, cela peut parfois être très troublant et ceci n’a pas toujours été approché de la manière la plus raisonnable par certains internationalistes.

[…]

Şahîn: Un autre exemple particulier d’intervention anarchiste et de solidarité serait l’analyse du besoin de médecine de terrain en zone de combat. Nous avons vu qu’au sein de la lutte populaire de laquelle nous apprenons chaque jour, il y a une petit niche que nous pouvons remplir. Nous en avons parlé dans un entretien préalable (previous interview🙂

Nos équipes ne furent pas les premières et pas les seules à travailler comme équipe médicale de combat dans le NE syrien, mais surtout au début, c’était assez rare. En y regardant de plus près nous nous apercevons qu’il y avait trois objectifs avec ce type de travail, apprendre et être prêts à chaque fois que le besoin s’en fait sentir, gagner la confiance au travers de notre travail et apporter de l’aide aux camarades blessés le plus vite possible. Deuxièmement, coopérer avec les forces locales de façon à montrer au travers de la pratique que ceci est un boulot important, poussant pour développer ce rôle au sein des FDS.

Et troisièmement, de voir comment nous pouvions partager des techniques vitales avec des camarades intéressés afin de multiplier ceux capables de faire ce boulot, organiser l’éducation pour d’autres groupes afin de fournir toujours plus d’aide aux premières lignes du front. Nous avons vu que ce n’est pas suffisant d’être un groupe d’infirmiers de combat et que chacun devait être capable d’aider un camarade dans le besoin tout autant que de se soigner soi-même. Nous nous sommes entraînés et des camarades d’autres structures révolutionnaires et récemment pour la première fois, nous avons donné un cours de premiers secours aux forces de la FDS, ce qui fut une étape importante, tout autant que jouissive à effectuer. Ici, chacun est un élève et un enseignant en même temps ; ce que nous apprenons, nous le transmettons les uns aux autres.

—En tant qu’anarchistes, comment décririez-vous les but qui vont amené au Rojava ? A quel point pensez-vous avoir atteint ces objectifs ? Avez-vous noté une quelconque idiotie depuis que vous êtes là ?

Garzan: TA est composé d’anarchistes en provenance de beaucoup d’endroits du monde et ayant des expériences pratiques bien différentes, mais le but a toujours été de soutenir cette révolution et d’en apprendre quelque chose afin d’être toujours plus capables d’organiser des mouvements révolutionnaires dans nos endroits. Ce soutien et cet effort d’apprentissage appartiennent aux buts à court terme et se passe jour après jour et nous pouvons dire que nous apportons notre grain de sel à la construction de cette révolution. Les objectifs à plus long terme devront être analysés plus tard. Maintenant, nous sommes une structure bien plus consolidée au Rojava. Elle est connue ici et au dehors, les anarchistes font partie de la révolution avec d’autres organisations. Mais les idées qui ont inspiré cette révolution vont bien au-delà du Rojava, rassemblant tous ces mouvements révolutionnaires différents afin de se dresser comme Un contre la modernité capitaliste.

Ainsi, l’idée originale de venir, d’apprendre et de retourner est restée la même pour nous. Pour d’autres, les amis que nous avons rencontrés ici, la connexion avec cette société, avec le projet révolutionnaire, mena à faire une reconnaissance plus longue à cette terre et à ces gens. Un endroit comme celui-ci, un territoire autonome où des révolutionnaires venant de partout dans le monde peuvent se rencontrer et discuter librement, offre l’opportunité de mettre en pratique l’idée de construire une société révolutionnaire, avec toutes les contradictions que cela comporte, un endroit pour apprendre et pour développer ensemble la société dont nous avons tous rêvé.

Botan: Beaucoup d’internationalistes viennent ici pour apprendre à quoi ressemble une révolution dans la vie réelle. Beaucoup d’entre nous pensent que c’est important d’amener et d’élever les principes anarchistes que nous voyons cette révolution avoir la capacité d’intégrer et de bénéficier. Beaucoup de gens viennent ici parce qu’ils ne peuvent pas être les témoins inactifs du génocide des Kurdes, des Arméniens et autres peuples. Bien entendu, le rôle des femmes dans la révolution et le point de focalisation sur l’écologie sociale sont largement respectés et attirent bien des participants en provenance de l’occident.

Şahîn: Avec la croissance du collectif et aussi avec les erreurs faites ces dernières trois années, nous y avons réfléchi et avons procédé à quelques changements d’objectifs. Ceci arrive avec l’expérience développée et la capacité de confiance que nous avons construite, ainsi que les possibilités se présentant qui le rendent possible à imaginer. Il y a certains moments de notre passé dont nous ne sommes pas fiers, mais il y a aussi des résultats que nous n’aurions pas pu imaginer 2 ou 3 ans en arrière.

Alors que certains de nos buts prennent une forme plus concrète, ils amènent aussi des défis à plus court-terme. Par exemple, en tant qu’anarchistes, un de nos buts est la libération des genres, la lutte pour la libération des femmes est un des modèles d’inspiration. C’est une chose de la dire, une autre de la mettre en pratique. La population non-mâle doit devenir une force motrice de l’organisation. […]

En tant qu’anarchistes, nous sommes contre l’État, le capitalisme, le patriarcat etc, mais nous sommes plus intéressés de parler de ce que nous soutenons, comment y parvenir, comment le défendre, qu’est-ce que veut dire l’auto-défense populaire au sens plus large et profond. Avec le temps et l’expérience, à la fois positive et négative, nous avons l’intention de distiller des perspectives communes et une direction. Cela veut dire tracer une carte à reculons, visant la destination lointaine, l’utopie, essayent de voir où nous convergeons (tout en apprenons en quoi nous divergeons) et tirer de l’expérience que nous avons de nos expériences personnelles mélangées aux leçons de la vie ici pour créer une analyse commune afin de comprendre ensemble quelle serait la prochaine borne kilométrique que nous devrions atteindre.

Ceci nous aide à comprendre comment nous focaliser et à choisir des stratégies particulières et les tactiques attenantes. Pas nécessairement un modèle indéfectible, mais avec le temps nous en sommes venus à la conclusion qu’avoir une certaine formalité et des principes communs dans la façon de s’organiser peut nous aider à nommer et à travailler contre les hiérarchies informelles “invisibles” et la stagnation. C’est probablement une antinomie des buts que beaucoup d’entre nous avaient en arrivant ici.

—En quoi vos efforts ont-ils aidé à développer une horizontalité et une autonomie au travers de la société au Rojava ?

Garzan: En premier lieu, nous devons souligner que nous sommes une petite et jeune organisation en comparaison avec la taille et l’historique du mouvement de libération kurde et nous devons être humbles concernant notre capacité d’influence sur ce qui se passe autour de nous. De plus, note point de focalisation étant militaire, cela nous a tenu à l’écart de la société civile au début et les forces armées ne sont pas le meilleur endroit pour expérimenter l’horizontalité. Le temps passant, nous avons été de plus en plus connectés avec la société civile, rencontrant des familles, des voisins et des organisations locales et ce spécifiquement après avoir développé notre capacité à communique en kurmanci, la langue kurde.

Nous comprenons l’autonomie comme autogestion, comme la capacité de subvenir à différents besoins et résoudre des problèmes sans créer une dépendance envers des facteurs extérieurs. Dans le domaine médical, nous travaillons en soutien des hôpitaux et de l’infrastructure médicale et nous en venons à connaître les médecins, les infirmiers et infirmières, les chauffeurs, les cuisiniers. Maintenant nous travaillons sur l’éducatif, partageant ce que nous avons appris ces dernières années et aussi sur un projet de production de masse de garrots bricolés individuellement en coordination avec le comité de santé. Nous avons aussi découvert que bien peu de gens connaissent quelque chose au sujet de l’anarchisme, seuls les plus politisés qui sont curieux au sujet d’autres mouvements politiques. Mais l’horizontalité et l’autonomie ne sont pas propres à l’anarchisme. Bien des camarades et amis que nous avons rencontrés ici sont motivés par ces mêmes valeurs.

Après quelques années ici donc, nous avons mieux appris comment la société civile fonctionne dans cette région. La dynamique patriarcale et les structures de clans familiaux sont très présents et les dynamiques hiérarchiques sont souvent interconnectées mêlées à un sentiment de respect et d’appartenance à la communauté. Dans le même temps, la guerre, la révolution et la lutte de libération ont fait que tout le monde pense au sujet de la politique et de la société. Pour les Kurdes, l’opportunité d’exprimer leur propre identité, de dire ouvertement qu’ils sont kurdes, d’apprendre leur langue à l’école, les a rendu encore plus attentifs et éveillés sur l’oppression dont ils faisaient l’objet. Pour les autres minorités des histoires similaires peuvent être racontées, même si certains pensent maintenant que l’hégémonie arabe a maintenant été remplacée par une hégémonie kurde sans qu’il y ait de grands changements.

Ceci est un vaste sujet avec les Arabes, parce qu’il y a un grand nombre de clans et de groupes parmi la population arabe et la plupart d’entre elle ont aussi subit une grande répression de la part du régime baathiste syrien. Celles qui prennent activement part aux efforts et aux structures de l’auto-administration amènent une grande motivation et un grand espoir pour un futur auto-organisé, sans qu’elles aient pu l’imaginer auparavant. Et pour eux, voir des internationalises comme nous, est toujours une source de plaisir, de joie et de curiosité. Ils nous demandent pourquoi nous sommes venus ici, pourquoi ne retournons-nous pas chez nous, si la Syrie est mieux que nos pays respectifs ? Lorsque nous parlons politique, ils écoutent souvent, comme si on leur racontait des histoires d’autres lieux, d’autres époques. Parfois je me demande s’ils nous écoutent parce qu’is sont vraiment intéressés ou s’ils nous trouvent “exotiques”. Mais avec ceux avec qui nous développons des relations sur le long terme, ils apprennent à nous connaître et à nous faire confiance et nous pouvons construire une relation amicale et des connexions plus profondes.

Ceren: Honnêtement, je ne pense pas que nos efforts aient aidé ou diminué le développement de l’horizontalité et l’autonomie dans la société ici. Mais je peux voir comment la société a approfondi notre compréhension de ces choses. Ceci n’est en rien de nouvelles idées ici. Les principes d’autonomie et l’auto-organisation sont parties intégrantes du Confédéralisme Démocratique, qui est développé quotidiennement en pratique par le peuple devenu totalement impliqué dans l’auto-administration de leurs communautés, ce à différents niveaux et nous apprenons beaucoup des méthodes utilisées par le mouvement et qu’il utilise pour engager les gens dans ce processus et des problèmes et erreurs qui sont aussi survenus. Nous avons remarqué que les pratiques que nous avons apprises du mouvement ici telle que le tekmil (une forme de critique collective) ont été très utiles à briser les hiérarchies informelles dans une certaine mesure et d’adoucir quelques uns des éléments coercitifs de hiérarchie lorsque ce fut nécessaire, de cette façon la hiérarchie ne peut exister au-delà de ce qui est strictement nécessaire.

—Quels facteurs avez-vous vu contribuer au renforcement des structures hiérarchiques de contrôle au Rojava ? Quels éléments de la société ont-ils été les plus résistants à maintenir ou à défendre une véritable horizontalité ?

Mahir: Certaines parties de la société ici ont aussi une mentalité très féodale et patriarcale ce qui veut dire que la société est alors fondée sur des hiérarchies strictes et sur le dogmatisme. L’homme est l’oppresseur au sein de la famille alors que la femme et les enfants sont sous sa coupe et sont obligés de “satisfaire” ses désirs. dans les tribus, il y a aussi une structure hiérarchique… Ici, les gens ont vécu sous l’oppression étatique toute leur vie. Ils ont du faire face à beaucoup de répression afin de créer des modes différents d’organisation. Ils n’avaient pas le droit de s’assembler et de créer des entreprises, d’acheter de la terre ni même de la cultiver, ni de construire leur propre maison. Ils n’avaient l’autorisation que de récolter le blé et de le vendre à l’état. Ceci veut dire que les peuples différents et les minorités étaient empêchés de s’organiser de manière coopérative, ce qui est l’essence même de toute société. Ceci crée quelques problèmes en termes d’auto-organisation et de travail collectif.

D’un autre côté, contre ces hiérarchies, nous avons l’avant-garde de cette révolution : les femmes. Elles en ont assez des hiérarchies et de la domination patriarcale. Elles sont celles qui ont le plus d’énergie pour continuer et pousser plus avant la révolution, mais elles ne sont pas seules. Les ouvriers et les paysans luttent pour créer plus de coopératives et développer celles qui existent déjà, afin de prendre les décisions par eux-mêmes au sujet des récoltes et de savoir qu’en faire. Le comité économique crée beaucoup de coopératives pur les fruits et légumes, pour les masques anti-corona et pour les produits pharmaceutiques. Le système hevserok (un système de co-présidence nécessitant une parité homme/femme) est en place dans chaque structure de l’administration autonome. Il y a un très gros effort pour éviter de construire un monopole du pouvoir pyramidal, créant des forces différentes pour les groupes ethniques variés comme les Sutoro (les forces de sécutité issues des communautés assyriennes et syriaques) ou les HPC (unités de défense populaire de voisinages organisées au niveau municipal local et coordonnées avec les YPG/J).

Il est bon ici de mentionner la méthode de tekmil : critique et auto-critique basée sur une approche horizontale en provenance de la philosophie “hevaltî”. Une approche révolutionnaire de la camaraderie, une façon de non pas se développer soi-même mais de toujours soutenir les camarades dans leur développement, de croire que chacun possède la capacité de changer. Vous valorisez chaque critique que vous recevez de quelque heval que ce soit (camarade) et vous êtes responsable de critiquer chaque camarade en accord avec les mêmes principes et les mêmes valeurs. Vous ne donnez pas plus ou moins de critique selon que vous appréciez ou non la personne. Ceci ne tient aucun compte des responsabilités ou de la position occupée, dans le tekmil, tout le monde est égal, nous partageons les mêmes valeurs et les mêmes buts et utilisons la critique et l’auto-critique pour aller de l’avant.

Şahîn: Le facteur essentiel est toujours l’amitié et la confiance entre camarades, assurant un environnement sain où la critique et l’auto-critique peuvent être présentées si une dynamique hiérarchique se développe. En un mot, hevaltî. Pour être capable de supporter notre heval, nous avons besoin d’empathie, pour nous écouter les uns les autres et comprendre nos perspectives et nos sentiments, de trouver la volonté d’apprendre et de trouver des solutions au lieu de se bloquer sur les obstacles. Pour trouver ces solutions, nous devons aussi être curieux sur ce que nous faisons, nous devons cesser de concevoir l’organisation politique comme une souffrance que nous devons endurer jusqu’à ce que nous atteignons la liberté. Nous devons nous préoccuper de créer la vie que nous voulons vivre ici et maintenant. Nous devons être impliqués non seulement à une certaine auto-discipline, mais aussi être impliqués avec nos camarades et ce pour quoi nous luttons, d’en prendre la responsabilité et de maintenir l’intégrité organisationnelle. Penser et agir de manière collective veut aussi dire être conscient de la dynamique de groupe et d’organisation et ne pas avoir peur des contradictions qui vont inévitablement se produire et à ce moment de donner crédit et valeur au travail des camarades tout en maintenant le moral spécifiquement dans ces temps où c’est le plus difficile à faire. Le comment nous sommes reliés aux autres peut changer nos possibilités d’aller de l’avant.

—Aujourd’hui aux Etats-Unis, il y a beaucoup de discussions au sujet d7une guerre civile potentielle. Que peuvent apprendre les gens autour du monde de l’expérience syrienne de guerre civile ?

Botan: Il y a eu des discussions sur une potentielle guerre civile à venir aux Etats-Unis et il semble que cela atteint une proportion fiévreuse. Je pense qu’il n’est pas réaliste de s’attendre à une lutte pour la terre comme vous le voyez ici en Syrie, les Américains n’ont en général pas la même relation à la terre et les fascistes au pouvoir ont déjà le contrôle total de tout le territoire. Il est plus probable que si une résistance armée voit le jour depuis le bas de la société, ce sera quelque chose de similaire à ce que fut l’Irish Republican Army (IRA) dans les villes d’Irlande ce siècle passé, ce en terme de la majorité de la population. Néanmoins, les communautés ayant le plus de connexion avec la terre sur le sol US et ayant une très forte identité à ce sujet sont les communautés natives américaines. Elles ont une histoire de résistance et ont le potentiel révolutionnaire pour mener à bien une véritable transformation de la société de ce qui est appelé “L’Amérique du Nord”

[Note de R71: Nous partageons bien évidemment cet avis et l’avons exprimé de longue date…]

Şahîn: Une des leçons clef est de ne pas se faire inutilement des ennemis. rechercher les points de convergence, non de conflit, lorsqu’on rencontre et s’organise avec d’autres gens. Je pense que c’est une erreur que de fonder votre politique sur le partage d’un même ennemi, d’une même haine. Restez attentif sur ce qu’est le but de l’essence de votre politique. Pas seulement sur un point de vue stratégique mais aussi, faute de mieux en ce monde, sur un plan philosophique. En fin de compte tout le monde parvient à cette question fondamentale “comment vivre la vie ?” et si nous partageons cela avec ceux et celles avec qui nous vivons et nous organisons, de qui nous apprenons, nous devons avoir quelque chose de plus substantiel que de dire “Nous sommes ici ensemble parce que nous détestons tous Erdogan, Trump, les nazis, le patriarcat, le racisme, et…” Rechercher les choses qui nous connectent avec les gens dont nous partageons la vie, en dehors de tous ces concepts creux tels que “Américains” ou “blancs”, et vivre la plus profonde signification de la joie de vivre (et de lutter) peut permettre aux gens de comprendre que ces choses qui les faisaient détester les autres ne sont pas si importantes après tout.

Encore et encore, l’histoire nous montre que nous n’aurons peut-être jamais toutes les cartes en main pour empêcher une guerre civile. Mais nous ne devons en aucun cas la romantiser, nous devrions agir pour minimiser l’impact et la taille et la force des forces contre lesquelles nous aurons peut–être à lutter. Il est bon d’être prêt, mais ne jamais sous-estimer l’importance de l’organisation sociale tout en bâtissant des réseaux et en aucun cas devons-nous romantiser la guerre.

Ceren: La guerre est l’ultime expression du patriarcat. C’est un jeu où la méthode principale pour bouger les pièces est la coercition. Parfois l7ennemi crée une telle réalité qu’il est nécessaire d’entrer en guerre, mais ce n’est pas quelque chose que nous aimons ou que nous voyons comme un but, c’est quelque chose qui parfois se produit sur le chemin vers la réalisation de notre objectif de réaliser une vie libre. Nous n’avons aucunement peur, ni n’avons honte, ni ne sommes hésitants ou incertains au sujet de la nécessité de l’auto-défense. Notre haine de la guerre ne nous en rend pas moins prêts à la faire pour défendre et lutter pour la liberté et la vie ; en fait, cela aiguise la compréhension de ce que nous faisons. Notre clarté et notre amour de la vie et de la liberté nous distinguent de notre ennemi ; ce sont des choses sacrées et une grande source de force.

Abdullah Ocalan a observé que chaque créature du vivant possède un mécanisme d’auto-défense et les camarades de la montagne vivent si près de la nature et passent leur temps à apprendre de toute la vie qui les entoure. Une grande connaissance au sujet de l’auto-défense est venue des plantes et des animaux. Ce en quoi nous prenons part est un mécanisme d’auto-défense qui fait partie de la fabrique même de la société. Une guerre civile est nécessairement chaotique et n’est pas nécessairement une révolution, mais gagner une guerre ne libère pas non plus une société de la colonisation, du patriarcat et du capitalisme. Ce travail est une lutte constante au sein de nous-mêmes et de la société et c’est une situation où tout le monde doit être sur le pont, éveillé et actif.

Honnêtement, je me fais du souci sur la façon dont cette révolution est souvent comprise là d’où je viens, comme une chose qui est glorieuse, violente et singulière. Une révolution est un processus de cicatrisation, ce qui est rendu beaucoup plus difficile en subissant des attaques constantes. Quand il y a un cessez-le-feu, les avancées que nous faisons dans la révolution sont énormes et lors des temps de grande violence et de menace, nous faisons l’expérience du plus d’échecs et nous nous retrouvons en train de compromettre des choses importantes. Je voudrais recommander que les camarades soient autant excités à construire quelque chose qui vaut la peine d’être défendu qu’ils ne le sont au sujet de l’esthétique de la lutte armée.

La vérité est que la guerre peut épuiser les gens, et quand elle dure suffisamment longtemps, les gens sont de plus en plus fatigués et acceptent des choses qu’ils n’auraient jamais acceptées auparavant, ce simplement dans l’espoir que la guerre se termine. Il y a des gens ici qui pensent à fuir simplement parce qu’ils veulent que leurs enfants puissent vivre sans guerre. Cela demande une forte connexion sociale et une profonde fondation éthique pour qu’une société fasse face à l’ennemi et refuse d’accepter la domination. C’est ce que nous avons appris de cette guerre civile. [NdT: la notion de “guerre civile” en Syrie est à prendre avec des pincettes, c’est un autre sujet, voir nos article sur Résistance 71]

Aussi loin que ce soit réaliste, nous allons construire une vie libre. Comment allons nous y arriver c’est ce que nous nous figurons ensemble, collectivement, chaque jour. Il est irréaliste de sélectionner des méthodes et des approches qui ne sont pas formulées en relation du but ultime de la construction d’une vie libre, ainsi attendez-vous à ce que ces méthodes et approches fassent avancer la lutte pour une vie libre. Si nous voulons la victoire, nous devons nous laisser mener par notre objectif et non pas par nos impulsions ou parce qui nous est familier mais qui n’a pas encore fonctionné. C’est aussi quelque chose que nous apprenons du mouvement ici. Nous devons demeurer ouverts pour toujours essayer de nouvelles choses, de faire des erreurs et d’apprendre de celles-ci. Au-delà de ça je ne me concerne pas trop sur ce qui est réaliste et ce qui ne l’est pas, parce que notre capacité à évaluer de telles choses a été altérée par notre socialisation dans un système qui ne cherche qu’à détruire votre capacité d’imaginer et de croire en toute possibilité en dehors de lui. Je pense que tous les révolutionnaires doivent avoir en ce sens ce grain de folie, nous croyons en l’impossible, ainsi nous changeons ce qui est possible.

—Ces dernières années de lutte, qu’avez-vous appris qui puisse être changé par les armes et ce qui ne peut pas l’être ? Quels sont les avantages et les inconvénients d’organiser des groupes armés qui ont un rôle distinct hors des autres aspects de la vie sociale et de la lutte ?

Şahîn: Ceci en revient encore à la question des exemples et des leçons que nous prenons des YPG et YPJ et de la révolution du Rojava. Il est facile de penser à la libération comme quelque chose qui ne se passe que dans des moments héroïques, sur le champ de bataille. C’est important de s’en rappeler quand ça se produit, mais il y a plus que cela. Un des aspects important de la lutte que les gens ont tendance à moins faire attention est la fabrique sociale qui fournit la fondation de le défense de toute révolte ou lutte de libération. Si on se focalise seulement sur l’entrainement pour la lutte armée et le conflit, si nous analysons les victoires selon d’une perspective militaire, alors nous ne parviendrons pas à des changements plus profonds.

Pour chaque combattant du YPG ou combattante du YPJ, il y a une famille prête à ouvrir sa porte, partager son toit, offrir des couvertures, de la nourriture, tout ce qu’ils ont. Pour chaque entrainement militaire, il y a aussi une éducation idéologique. Pas seulement dans les académies militaires, mais aussi dans la société et dans les espaces autonomes féminins. Tout ceci ne s’est pas produit en un jour et n’est en rien une coïncidence. Il y a tant que nous devons inclure dans notre pensée lorsque nous parlons de liberté et d’auto-défense de la communauté. Certaines de ces choses sont en contradiction les unes avec les autres, ce qui est une raison de plus de s’assurer que nous recherchions les bons outils pour empêcher une masculinité trop prononcée et toxique lorsque nous nous entrainons aux tactiques de terrain.

Le succès demande un engagement complet et sur le long terme pour redéfinir la culture, ceci ne se fera pas en un entrainement. Bon nombre de soldats expérimentés venant d’en dehors de la Syrie sont venus ici et se sont plaints de la “mauvaise organisation militaire” des FDS. Et bien, personne ne pense qu’il n’y a rien à améliorer et d’un point de vue technique quelques unes de ces critiques sont probablement justes. Mais, ils ne sont pas constructifs, parce qu’ils ne montrent aucune volonté d’aller plus loin dans leur compréhension de ce sur quoi la libération ici est basée. Ils viennent avec cette typique mentalité du “blanc colonialiste qui sait tout”, “sauveur” de la situation. Nous conseillerions à quiconque de chercher plus profondément ce sur quoi la révolution du Rojava et le paradigme d’auto-défenses sont fondés, spécifiquement pour les camarades qui sont intéressés ou qui pratiquent la lutte armée, l’entrainement tactique ou l’auto-défense.

Botan: il est aussi très important pour tous ceux qui essaient de comprendre le rôle des armes comment l’utilisation des drones a fondamentalement changé la nature de la guerre ici. Fonder sa compréhension du conflit ici et de la situation tactique sur les images du temps de la bataille de Raqqa par exemple, donne l’impression que le combat se fait essentiellement au moyen d’armes légères. En fait, jusqu’au retrait des Américains, un large facteur qui jouait en notre faveur était la couverture aérienne. Avec le glissement sur le terrain des Américains étant nos alliés et l’ennemi Daesh vers un ennemi turc comme menace principale, la nature des batailles de terrain a changé considérablement. Ceci rend la stratégie, la cohésion et toutes ces choses mentionnées dans les paragraphes précédents, de toute première importance. Il y a ici de moins en moins de place pour dette image iconique du dur à cuire à la Kalachnikov qui veut “combattre le mal” d’une façon très directe et cinématographique, une image qui fut toujours une grande simplification de toute façon.

Ceren: Une arme ne peut pas vous enseigner comment aimer. Il est plus facile d’apprendre à un révolutionnaire comment tirer au fusil que pour un homme qui aime la guerre, les armes et le combat d’apprendre à faire la révolution et ce indépendamment du fait qu’il ou elle soit un bon tireur. Chaque jour de la semaine, je préfèrerait être au front avec un révolutionnaire qui n’a jamais tiré un coup de fusil mais qui comprend avec une clarté totale pourquoi nous luttons et ce que nous défendons, plutôt que d’être avec un militaire plus aguerri mais sans idéologie. Des armes et tout l’entrainement militaire au monde n’apprêtent pas les gens à faire ce qui est nécessaire, pas quand nous défendons une révolution.. Peut-être que dans une armée impérialiste, armes et entrainement sont suffisants, mais nous ne sommes pas dans une armée impérialiste, nous n’avons pas les moyens qu’ils ont, nous, nous avons havaltî. Les armes ne construisent pas une révolution, elles ne sont que partie de sa défense. Sans toutes les parties du système d’auto-défense fonctionnant ensemble, le Rojava ne pourrait pas exister et n’existerait pas.

Une chose intéressante au sujet d’un fusil est qu’il peut produire un effet équilibrant. La plupart des femmes peuvent être physiquement dominées par au moins un homme dans nos vies. Mais un femme avec une AK-47 et la connaissance et le confiance de l’utiliser, dans un système qui soutient le développement de son auto-détermination, et bien, change pas mal de choses… Ce n’est pas suffisant, mais c’est quelque chose. En ce qui concerne les inconvénients à organiser des groupes armés, un des inconvénients est le type de personne qui ont tendance à y venir. Les groupes armés généralement attirent un autre type de personne que les autres groupes de personnes. Les hommes sont socialisés pour avoir une relation de violence qui est finalement destructrice. Ils doivent renverser cette tendance en eux-mêmes. Il y a même pas d’anarchistes qui n’ont pas travaillé sur ce point avant de rejoindre un groupe armé.

Bien des camarades femmes ou non-mâles sont rejetés de ces groupes par une dynamique patriarcale ou ne se présentent pas en première instance parce que tant d’autres projets échoueraient sans le travail invisible qu’ils produisent que bien souvent des hommes n’entreprennent pas car peu glorieux ou pas “sexy”, aussi parce qu’ils n’ont pas eu accès à un processus d’apprentissage d’utilisation des armes qui en fait les aide à progresser au lieu de les déchirer intérieurement. Il est aussi important pour les hommes de regarder sérieusement le fondement de leur politique. Les groupes armés “de gauche” ne peuvent simplement pas être une version “éveillée” du LARPing (NdT: jeu de rôle d’action), ou une façon de faire les mêmes choses que les membres des milices d’extrême-droite, mais avec un vernis esthétique différent. Les aspects armés de l’auto-défense ne doivent jamais être séparés des autres parties de la lutte révolutionnaire.

Une éducation politique et pratique, un amour de la liberté et de la vie et un profond respect pour la liberté des femmes sont absolument essentiels pour tout militant armé. Autrement, que faisons-nous ici ?…

Diyar: Il est aussi important de contraster la connexion que les combattants du Rojava ont avec la société locale, les eux sont indissociables, avec la situation aux Etats-Unis et en occident. Un bon nombre d’espaces anarchistes aux Etats-Unis sont principalement blancs et classe-moyenne, les situant en dehors des espaces des communautés noires et amérindiennes d’où la résistance à l’état américain a surgi historiquement et organiquement. En pratique, bon nombre  de projets d’auto-défenses anarchistes ne défendent quoi que ce soit en dehors de leur sous-espace culturel. Ceci mène à l’existence de projets “spécialisés”, plutôt qu’un moyen réel de “défense de communauté” Ceci ne se manifeste pas seulement dans une dynamique raciale, le développement de groupes spécialisés sert aussi à isoler d’autres anarchistes et membres de cette communauté. Plutôt que de devenir efficace dans les techniques et tactiques d’auto-défense ou d’en faire un acquis commun dans nos cercles, bon nombre de ceux qui s’y impliquent “rejoignent” une organisation armée, ou font de cela leur principal mode d’implication politique.

La concentration aux “Etats-Unis” de construire une “culture des armes de gauche” n’a pas résulté en une culture de l’auto-défense, mais plutôt d’une autre branche d’activisme politique, souvent dominée par les hommes. Pour circonscrire cela, il est important de comprendre ce que nous défendons exactement. A quelle communauté appartenons-nous ? Sans répondre à cette question en théorie et en pratique, nous ne ne pouvons pas faire de progrès vraiment marquant. Nous ne devons pas attendre que cette crise s’approfondisse pour résoudre ces contradictions. Ceci ne veut pas dire “ne vous entrainez pas, ne vous préparez pas” jusqu’à ce que ceci soit résolu, mais vous devriez toujours rechercher à faire de la résolution de ces contradictions une chose tangible à cause de nos méthodes d’entrainement et de préparation et non malgré elles.

—Finalement, avez-vous des conseils pour les gens qui sont passés au travers d’évènements traumatiques au cours de conflit armé et qui tentent de réintégrer leurs communautés ? Qu’avez-vous appris des gens qui ont organisé ou combattu au Rojava et qui sont ensuite retournés chez eux ?

Botan: Il est important pour les amis qui retournent de rester en contact avec les camarades et de rester en contact les uns avec les autres. Il y a eu des cas de suicide parmi ceux qui sont retournés en occident, pas seulement à cause des évènements traumatiques subis mais aussi à cause du manque de l’expérience de vie acquise ici. La modernité capitaliste est cruelle et isolatrice. La connexion aux autres et avoir un espace de communication au sujet de la santé mentale sans en éprouver de honte sont des facteurs clef pour gérer ces problèmes. Il y a un mythe qui veut que la guerre soit l’étalon or de la mesure de tout autre traumatisme. Ceci peut créer une hiérarchie de la souffrance.

Ceren: Quelque chose que nous avons appris de nos amies du mouvement des femmes est qu’une vie en bonne santé est une vie libre et que nous devons rendre des initiatives dans notre vision de la vie libre. Nous nous trouvons souvent dans des situations où nous devons réagir, devons donner une réponse. Malgré cela, une responsabilité que nous ne pouvons pas négliger est de développer pro-activement des façons de vivre qui ne sont pas des réactions au système actuel ou aux circonstances, mais construites plutôt sur des fondations hors du système hégémonique. (NdT: très en phase avec notre “il n’y a pas de solution au sein du sytème et ne saurait y en avoir”…) Nous avons besoin d’une plus profonde compréhension de ce que nous essayons de décrire lorsque nous utilisons des mots comme “traumatisme”. Nous avons besoin de communautés qui soient compatibles avec la vie révolutionnaire. Franchement, l’individualisme et autres formes de libéralisme sont aliénant pour les camarades qui reviennent du Rojava à cause de ce qu’ils ont appris à vivre ici avec leurs camarades.

Nos communautés ont besoin de s’intégrer dans la lutte révolutionnaire pour la liberté. Ce dont on a besoin n’est pas pour le camarade qui retourne chez lui/elle de se réintégrer dans une communauté qui est comme celle qu’il a quittée avant de venir au Rojava. Ce dont on a besoin est d’une réunion de cette communauté et de ce/cette camarade alors qu’ils sont maintenant en développement mutuel.

Nous ne pouvons pas nous changer sans changer le système social dont nous faisons partie. Aucune solution individuelle résoudra les problèmes aussi profonds que ceux auxquels nous faisons face. Il est toujours plus viable et plus révolutionnaire de construire des solutions collectives, gérer de lourds évènements ne fait pas exception. Ici, nous avons vu qu’il était possible pour nous de vivre au travers de choses que nous n’aurions pas imaginer dans d’autres contextes, grâce à la manière dont nous vivons ensemble. Afin de pouvoir faire face aux choses les plus dires et les plus pénibles, nous devons avoir force et résiliance et nos sommes plus forts et plus résiliants lorsque connectés aux autres et partageons une vie collective faire d’amour les uns pour les autres et pour la lutte de la liberté. Des bouquins entiers pourraient être écrits sur hevaltî, ou camaraderie, sans même égratigner la surface de ce que cela veut dire de regarder vos camarades dans les moments les plus durs et de savoir que vous allez lutter ensemble et croire les uns envers les autres jusqu’à la fin. Nous faisons face à tout ensemble, les choses peuvent être un peu chaotiques parfois, mais la lourdeur des choses devient plus légère lorsqu’on porte le fardeau ensemble.

Il y a aussi ce concept de “donner un sens”. Quand des amis tombent şehîd, c’est très dur de ressentir leur perte, mais le sens que nous donnons à leur sacrifice et à ce pour quoi ils se sont battus nous tirent vers l’avant et nous donne plus de force. On ne peut jamais baisser les bras ou devenir fatalistes, lorsque nous nous percevons comme des sujets révolutionnaires, nous avons le pouvoir de changer les choses et pouvons ainsi vivre de notre force. Selon le sens que vous lui donner, chaque personne que cous connaissez qui tombe şehîd, peut devenir destructeur des capacités de la personne à gérer la lutte et sa connexion avec la vie, ou cela peut renforcer la motivation de lutter pour la liberté. Lorsque nous pensons à nos amis tombés au combat, cela nous rappelle le caractère sacré de chaque moment passé avec le/la disparue et avec les camarades en vie, ainsi nous pouvons toujours plus remarquer la présence des autres autour de nous et voir notre propre rôle dans leurs vies et nos responsabilités envers eux et envers le şehîd,

Nous honorons nos camarades en prenant en compte leur lutte. La joie et la douleur existent dans chaque moment, espoir et désespoir, présence et absence… Lequel des deux nous sensibilise t’il le plus ? Qu’honorons-nous et faisons de la place pour ? L’approche que nous avons va aussi affecter nos camarades parce que nos joies et nos peines sont partagées. Si nous ressentons la douleur le plus, nos camarades vont aussi la ressentir, cela s’amplifie et devient plus lourd à supporter. Si nous paniquons, cela peut envoyer une onde de choc vers chacun de nous. Si nous ressentons la joie, le moral se multiplie et nous devons tous plus forts.

Essentiellement, nous conseillerions qu’aucun camarade ne devrait essayer de faire face à ces choses seul. Nous avons besoin d’amour, de but et nous avons besoin de vie commune ayant une forte fondation dans la lutte pour la liberté. Ces choses nous donnent une véritable fondation pour venir à bout de quoi que ce soit.

Tekoşîna Anarşîst, le 9 octobre 2020

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Lectures complémentaires :

Confédéralisme Démocratique

Abdullah Ocalan Confédéralisme Démocratique

Textes fondateurs pour un changement politique radical

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 

Déclaration de la Commune Internationaliste du Rojava à propos de l’invasion turque en cours

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 10 octobre 2019 by Résistance 71

 

Déclaration de la Commune Internationaliste du Rojava

 

Jour X – Le moment est venu – La guerre a commencé !

Nous appelons à mobilisation, à défendre le Rojava

 

0ctobre 2019

 

Source:

https://internationalistcommune.com/jour-x-le-moment-est-venu-la-guerre-a-commence/

 

Il y a quelques heures, l’État fasciste turc a commencé son opération d’occupation sur les territoires libérés du nord-est de la Syrie.

Des avions de guerre turcs attaquent les villes et villages de Serekaniye et Gire Spi. Qamishlo, Derik et beaucoup d’autres endroits le long de la frontière sont sous le feu de l’artillerie lourde. Les forces d’autodéfense de la Fédération démocratique du Nord-Est de la Syrie réagissent avec sévérité aux attaques des hordes de fascistes, des centaines de milliers de combattants et la population civile à leurs côtés sont prêts à combattre jusqu’au bout. La situation est claire, nous appelons à une résistance mondiale.

Les forces impérialistes ont décidé de déclarer la guerre. Les troupes sur le terrain agitent les drapeaux de la Turquie et de l’État islamique, mais la décision a été prise non seulement à Ankara mais aussi dans les palais de Washington, Moscou, Paris et Berlin.

Depuis le début, la Révolution du Rojava a été une révolution internationaliste. Une révolution pour libérer non seulement la population kurde en Syrie, mais aussi le Moyen-Orient des siècles de colonialisme, d’oppression et de dictature. Et c’est une révolution internationaliste, parce que beaucoup d’internationalistes ont rejoint cette révolution, en première ligne contre l’État islamique et le fascisme turc, nous avons aidé dans les hôpitaux, planté des arbres et travaillé pour construire une société démocratique et écologique, basée sur la libération des femmes. Et de nombreux révolutionnaires se sont joint.es à la lutte dans le monde entier, parce que la révolution en Syrie nous a montré à tous qu’un autre monde n’est pas seulement théoriquement possible, mais qu’il est en train de se construire dans la vie quotidienne.

Aujourd’hui, le moment est venu de montrer ce que nous avons construit au cours des dernières années en termes de camaraderie et d’internationalisme à travers le monde. Aujourd’hui, le moment est venu de remettre l’internationalisme en pratique en défendant la révolution, et à travers elle, nous défendrons nos espoirs, nos souhaits et nos rêves.

Même si nous nous opposons à la deuxième plus grande armée de l’OTAN, avec des milliers de gangs islamistes comme chair à canon, nous savons que derrière cette révolution se cachent des millions de révolutionnaires, ami.es, sœurs et frères. Et avec elles et eux tous, avec vous tous, nous augmenterons notre protestation politique au niveau de la résistance politique, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’exportations d’armes vers la Turquie, jusqu’à ce que le régime fasciste turc soit vaincu.

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A lire:

Abdullah-Ocalan-Confederalisme-democratique

 

Gilets Jaunes: Par delà l’espace et le temps… Paroles zapatistes en 1995 pour Gilets Jaunes de 2019

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , on 22 juin 2019 by Résistance 71

“Les Zapatistes du Chiapas ont montré que de petites collectivités autonomes et fédérées pouvaient cultiver la terre par et pour toutes et tous, assurer des soins médicaux, produire une énergie naturelle, renouvelable et gratuite (une option parfaitement ignorée par toutes les mafias écologiques). Il est primordial que la gratuité pénètre, à l’instar de la vie, dans nos mœurs et dans nos mentalités dont elle a été bannie, exclue, interdite, pendant des millénaires.”
~ Raoul Vaneigem, 2019 ~

 

 

Paroles zapatistes en 1995 pour Gilets Jaunes de 2019

 

Résistance 71

 

22 juin 2019

 

Le 1er janvier 1994, il y a donc 25 ans et demi, sortaient au grand jour la révolution sociale zapatiste dans la province du Chiapas dans le grand sud mexicain. Elle n’a pas cesser depuis et fait sans cesse des petits.

Pour les zapatistes, nous sommes dans la 4ème guerre mondiale. Après la 1ère et la seconde que tout le monde connaît, il y a eu la guerre froide, qui elle aussi fut planétaire, sournoise et fit des centaines de milliers de morts au nom du capitalisme et du capitalisme d’état que représentait le marxisme-léninisme, qui jamais ne remit en cause le “marché” et la société marchande.

Pour les Zapatistes, nous vivons aussi depuis la fin de la guerre froide (1989-1991), une nouvelle guerre mondiale, celle que le capitalisme dans sa phase (terminale) dite néolibérale voire ultralibérale, livre aux peuples du monde sur les cinq continents, dans une exploitation et un despotisme accrus au pur bénéfice de la société marchande, aujourd’hui financiarisée. 

Pas à pas, les peuples se réveillent de leur torpeur sous l’hypnose marchande et commencent à s’organiser pour enfin dire NON ! Assez est assez ! et reprendre ainsi leur autonomie de pouvoir.

Les Zapatistes du Chiapas, à leur manière si particulière et si efficace, nous montrent la voie de l’émancipation depuis un quart de siècle.

Voici quelques paroles zapatistes venues tout droit de 1995 et taillées sur mesure pour le mouvement actuel des Gilets Jaunes…

Gilets Jaunes ! étendons le contre-pouvoir des assemblées populaires et des ronds-points sur l’ensemble du territoire, faisons-en un “territoire Gilets Jaunes en rébellion” pour reprendre l’expression zapatiste qui orne les panneaux de signalisation de l’entrée en territoire zapatiste en rébellion.

Ils nous disent ceci: “Esta usted en territorrio zapatista en rebeldia, aqui manda el pueblo y el gobierno obecede.”

“Vous êtes en territoire zapatiste en rébellion, ici le peuple commande et le gouvernement obéit.”

Remplaçons donc le mot “zapatiste” par “Gilet Jaune”
Ensemble pour un Réseau de Résistance et de Rébellion International contre la dictature marchande et pour la société des sociétés !

-[]- “Aujourd’hui, nous souffrons tous d’une nouvelle guerre mondiale, une guerre contre tous les peuples, contre l’humanité, contre la culture, contre l’histoire. C’est une guerre internationale, celle de l’Argent contre l’Humanité, menée par une poignée de centres financiers, sans patrie et sans honte. Cette terreur, ce terrorisme international est appelé capitalisme néolibéral, un ordre économique international qui a causé plus de morts et de destruction que les deux grandes guerres mondiales. Nous sommes devenus frères et sœurs ayant toujours plus de morts et de pauvres.
Nous sommes unis dans le mécontentement, la rébellion, le désir de faire quelques chose, par le non-conformisme. L’histoire enseignée par le pouvoir nous a appris que nous avons perdu, que le cynisme et le profit étaient de grandes vertus, que l’honnêteté et le sacrifice étaient des idioties, que l’individualisme était le nouveau dieu, que l’espoir n’était qu’une monnaie dévaluée, que sans monnaie, sans argent sur les marchés internationaux, sans pouvoir d’achat, il n’y avait aucun espoir. Nous avons mal appris la leçon. Nous fûmes de mauvais élèves. Nous n’avons pas cru ce que le Pouvoir nous a enseigné. Nous avons fait l’école buissonnière lorsqu’ils enseignèrent le conformisme, l’obéissance et l’imbécilité. Nous avons échoué l’épreuve de la modernité. Camarades de classe en rébellion, nous nous sommes découverts et nous sommes retrouvés frères.
Nous sommes unis dans l’imagination, la créativité, par demain.”

“Ce que nous voulons est planter l’arbre de demain. Cet arbre est une espace où tout le monde se trouve, où les autres connaissent et respectent les autres Autre et où la fausse lumière perd sa dernière bataille. Si vous me poussez à être plus précis, je vous dirai que c’est un endroit ayant la justice, la démocratie et la liberté, voilà ce qu’est l’arbre de demain.”

“Plus le néolibéralisme avance en tant que système global, plus les armes et les grades dans les armées et les polices poussent. Le nombre de gens emprisonnés, de disparus et de gens assassinés grandit également dans les pays.

C’est une guerre mondiale:
La plus brutale,
La plus complète,
La plus universelle,
La plus efficace.
Chaque pays,
Chaque ville,
Chaque campagne,
Chaque maison,
Chaque personne,
Chacun, chacune est un grand ou un petit champ de bataille.

D’un côté le néolibéralisme, avec tout son pouvoir répressif et toute sa machinerie de mort ; de l’autre côté l’être humain.”

“Frères er sœurs:
Nous continuons à être un obstacle, une épine dans le pied.
Ce que nous disent les théoriciens du néolibéralisme est faux:
que tout est en contrôle, y compris tout ce qui est hors de contrôle.
Nous ne sommes pas une soupape de sécurité pour la rébellion qui pourrait déstabiliser le néolibéralisme ; il est faux de dire que notre existence rebelle légitimise le pouvoir. Le pouvoir a peur de nous. C’est pour cela qu’il nous poursuit avec acharnement et qu’il nous encercle. C’est pour cela qu’il nous jette en prison et qu’il nous tue. Dans la réalité, nous sommes la possibilité de sa défaite et de sa disparition. Nous ne sommes peut-être pas nombreux, mais nous sommes des hommes et des femmes qui luttent pour l’humanité, qui luttent contre le néolibéralisme. Nous sommes des hommes et des femmes qui luttent dans le monde entier. Nous sommes des hommes et des femmes qui veulent que les cinq continents aient enfin:

La liberté !
La démocratie !
La justice !”

Source: “Our word is our weapon, selected writings”,
SCI Marcos, porte-parole du mouvement zapatiste, Seven Stories Press, 2001
Traduction: Résistance 71
Juin 2019

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Lectures complémentaires:

AdA_Montceau_les_mines_Proposition_axes_travail

AdA_Marche_Jaune

compte-rendu-complet-2e-ada-stnazaire

Avec-ou-sans-gilet-jaune-pour-la-societe-des-societes

Leducation-comme-pratique-de-la-liberte_Paulo_Freire_1965

Paulo_Freire_Extension ou Communication

AssDesAss-2-Appel-pour-des-assemblées-citoyennes

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

3ri-et-societe-des-societes-du-chiapas-zapatistes-aux-gilets-jaunes-en-passant-par-le-rojava-fevrier-2019

Francis_Cousin Ce n’est qu’un début…

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

Ricardo_Flores_Magon_Textes_Choisis_1910-1916

James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Manifeste pour la Société des Sociétés

Entraide_Facteur_de_L’evolution_Kropotkine

Manifeste contre le travail

Le_monde_nouveau_Pierre_Besnard

Meurtre par décret le crime de génocide au Canada

Clastres_Préface_Sahlins

6ème_déclaration_forêt.lacandon

 

Gilets Jaunes: vision pour une société émancipée planétaire… 25 ans de Chiapas Zapatiste en exemple à adapter

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, gilets jaunes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , on 23 mars 2019 by Résistance 71


Gilets Jaunes !… Le monde nous observe…

Réseau de Rébellion et Résistance International

 

Vingt-cinq ans d’insurrection zapatiste : 

« C’est une forme de démocratie réelle, radicale »

 

19 mars 2019, par Jérôme Baschet

 

Source:

https://www.lavoiedujaguar.net/Vingt-cinq-ans-d-insurrection-zapatiste-C-est-une-forme-de-democratie-reelle

 

Le 1er janvier 1994, jour d’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena), commençait le soulèvement zapatiste dans le sud du Mexique. Communes autonomes, conseils de bon gouvernement, assemblées régionales, propriété collective des terres : Jérôme Baschet revient pour Rapports de force, site d’information pour les mouvements sociaux, sur cette expérience longue de vingt-cinq ans.

Quelle est la part du Chiapas qui est contrôlée par les zapatistes, et comment cela se passe-t-il avec les structures de l’État mexicain ?

L’expérience zapatiste se déploie dans la moitié orientale du Chiapas, qui est une région où la population indienne est très largement majoritaire. Cela représente une superficie équivalente à celle d’une région comme la Bretagne, ce qui n’est pas tout à fait négligeable en termes d’extension territoriale. Il faut cependant préciser qu’il ne s’agit pas d’un territoire homogène, car des zapatistes y cohabitent avec des non-zapatistes. Il y a donc coexistence sur le même territoire de deux systèmes politiques. Les communes autonomes zapatistes et les régions zapatistes avec leurs conseils de bon gouvernement sont totalement dissociées des structures administratives et politiques de l’État mexicain. Les communes n’en reçoivent aucun financement et n’ont aucun contact avec elles. Mais ces deux systèmes politiques coexistent, le plus souvent sans trop de tensions au niveau des villages et des communes.

Cependant, depuis vingt-cinq ans, l’État fédéral mexicain a déployé contre l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) toute la batterie des politiques contre-insurrectionnelles : interventions directes de l’armée en 1994 et 1995, paramilitarisation massive avec déplacement de population et massacres dans les années 1995-2000, division des communautés et création artificielle de conflits internes, programmes assistancialistes à visée clientéliste, incitations d’autres groupes ou organisations à attaquer les zapatistes et à s’emparer de leurs terres, etc. Pour ce dernier exemple, cela a conduit à l’assassinat de Galeano à La Realidad en 2014.

Les zapatistes ont résisté à tout cela durant vingt-cinq ans, et aujourd’hui, ils ont en outre annoncé qu’ils s’opposeraient fermement aux grands projets de développement mis en place — dans un déni total des droits des peuples indiens — par le nouveau gouvernement fédéral supposément progressiste. Ils ont affirmé très clairement, lors de l’anniversaire des vingt-cinq ans du soulèvement de 1994, qu’ils résisteraient à ces projets dès lors que ceux-ci s’attaqueraient aux territoires indiens, et notamment zapatistes, comme c’est le cas du si mal nommé « Train maya », destiné au tourisme.


Société des Sociétés

Que sont et comment fonctionnent les conseils de bon gouvernement ? Est-ce une forme de démocratie directe intégrant plus ou moins de fédéralisme en plus de l’autonomie ?

Les conseils de bon gouvernement sont les instances régionales de l’autonomie zapatiste. Elles en constituent le « troisième niveau », puisque l’autonomie s’organise d’abord au sein des villages, dont l’instance principale est l’assemblée communautaire. Puis ensuite au niveau des communes, chacune rassemblant des dizaines de villages. Enfin, la région englobe de trois à sept communes. Son étendue est du même ordre que celle d’un département français. Il y a cinq conseils de bon gouvernement dans les territoires zapatistes, siégeant chacun dans un centre régional dénommé « caracol » (escargot).

Les conseils de bon gouvernement, tout comme les conseils municipaux autonomes, sont élus pour trois ans, pour des mandats non renouvelables et révocables à tout moment. Ils interagissent pour l’élaboration des décisions avec une assemblée régionale, mais les principaux projets qui ne font pas l’objet d’un ample accord au sein de l’assemblée régionale sont renvoyés en discussion dans tous les villages, pour recueillir avis, amendements, oppositions, avec mission pour l’assemblée suivante d’élaborer une synthèse de toutes les remontées rapportées par les délégués des villages. Cela implique parfois plusieurs allers-retours avant l’adoption d’un projet.

L’autonomie est donc un mode de fonctionnement politique qui se construit par en bas, à partir des villages, puis par fédération ou coordination de ceux-ci au niveau des communes, puis des communes au niveau des régions. C’est une forme de démocratie réelle, radicale, fondée sur un principe de « déspécialisation » de la politique et de participation de tous aux instances décidant des affaires communes. Elle implique cependant — et cela nécessairement dès lors que l’on dépasse un niveau strictement local — des formes de délégation. Cependant, ces formes de délégation maintiennent le primat des assemblées et s’emploient à déjouer les risques de dissociations entre ceux qui assument temporairement des charges politiques et le reste des habitants de ces territoires.

Peut-on considérer que c’est une révolution politique et sociale ? Qu’en est-il de sa dimension économique ?

Les zapatistes préfèrent le vocabulaire de la rébellion à celui de la révolution. Parce qu’ils veulent se démarquer d’une conception classique de la révolution qui était étroitement liée à la conquête du pouvoir d’État et la centralité de celui-ci comme instrument de la transformation sociale et économique. Et ils ont bien raison de s’en dissocier car cette conception-là de la révolution a montré, au cours du vingtième siècle, son tragique échec. Cela dit, si vous construisez une réalité collective qui se déploie en sécession complète vis-à-vis des structures de l’État, que vous défendez un mode de vie échappant largement aux catégories fondamentales du capitalisme, et dont l’objectif, nullement limité à la dimension locale, entend lutter contre le capitalisme pour contribuer à sa destruction, alors il ne serait pas tout à fait absurde de prétendre qu’il s’agit d’une dynamique de type révolutionnaire.

S’agissant du domaine productif, les zapatistes entendent défendre une agriculture paysanne revitalisée par les pratiques agroécologiques : rejet des pesticides chimiques, défense des semences natives, prise en compte des enjeux écologiques, etc. Cela veut dire qu’ils produisent eux-mêmes l’essentiel de leur alimentation traditionnelle, à base de maïs, haricots rouges et courges, à quoi s’ajoutent les animaux de basse-cour et divers produits comme le riz, les fruits ou le miel. Il s’agit de formes d’autosubsistance qui se développent sur des terres dont la propriété est collective et l’usage familial. À cela il faut ajouter une capacité à soutenir l’autonomie collective, grâce aux dizaines de milliers d’hectares de terres récupérées en les reprenant aux grands propriétaires, lors du soulèvement de 1994. Ces terres sont la base matérielle de l’autonomie. C’est grâce à elles et aux travaux collectifs qui y sont accomplis que peuvent être couverts les besoins du système de santé, tout comme ceux qu’entraîne l’exercice de l’autogouvernement et de la justice autonome.

La capacité de produire par soi-même se développe aussi dans le cadre de coopératives artisanales dans les domaines du textile, de la cordonnerie, la charpenterie, la ferronnerie ou les matériaux de construction. Enfin, le Chiapas est une importante zone de production de café : les familles zapatistes disposent de petites parcelles dont la production est commercialisée à travers des coopératives et, surtout, des réseaux de distribution solidaires qui se sont organisés dans plusieurs pays d’Amérique et d’Europe. C’est un soutien très important que l’on peut ainsi apporter aux familles zapatistes car, en complément des cultures d’autosubsistance, c’est ce qui leur assure de modestes apports monétaires leur permettant d’acheter les produits de première nécessité qu’elles ne produisent pas.

Quelle est la place de l’EZLN aujourd’hui dans la révolution zapatiste, sachant que tout commence par une insurrection armée le 1er janvier 1994 ?

Il faut bien comprendre que le nom même de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) est trompeur. Il y a bien une dimension militaire qui s’est manifestée lors du soulèvement armé du 1er janvier 1994, qui n’a pas disparu, et a été rappelé lors de la célébration des vingt-cinq ans. Mais la partie militaire est nettement minoritaire au sein de l’EZLN. La très large majorité de ses membres sont des civils qui vivent dans les villages rebelles du Chiapas. Plus largement, la trajectoire de l’expérience zapatiste a consisté à mettre de côté les armes au profit de formes politiques civiles. Par contre, l’absence d’un accord de paix avec le gouvernement mexicain n’a pas permis d’y renoncer complètement. L’essentiel de l’expérience zapatiste, en particulier à partir de 2003, tient à la construction de l’autonomie dans les territoires rebelles du Chiapas. Cette expérience-là est entièrement civile. Elle se développe à côté de la structure militaire de l’EZLN, au point que ceux qui ont des responsabilités au sein de celle-ci ne peuvent y prendre part.

Le zapatisme est un peu passé en dessous des radars depuis dix ans. A-t-il encore une portée en tant que source d’inspiration ou modèle ? Que représente-t-il au Mexique ?

Pour être un peu plus précis, on a surtout entendu parler du zapatisme entre 1994 et 2001, du soulèvement armé à la marche vers Mexico en passant par la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme. Ensuite, entre 2001 et 2012, les médias en ont très peu parlé, avec une longue phase de silence des zapatistes eux-mêmes entre 2009 et 2012. Pourtant, le silence des médias, voire des zapatistes eux-mêmes ne signifiaient pas que cette expérience avait cessé d’exister ni que de nombreuses personnes du monde entier continuaient à s’y intéresser. Depuis 2013, on en parle davantage me semble-t-il, car les zapatistes ont multiplié les initiatives nationales et internationales.

En 2013, ils ont organisé, en guise de bilan de vingt ans de construction de l’autonomie, la « Petite École zapatiste » qui a permis à plus de cinq mille personnes de se rendre dans les villages rebelles pour mieux comprendre le fonctionnement de leur autonomie. En 2014, ils ont organisé le Festival mondial des rébellions et des résistances contre le capitalisme. En 2015, ils ont convoqué un séminaire international sur « La pensée critique face à l’hydre capitaliste », puis, en 2016 et 2017, ils ont organisé d’autres rencontres internationales consacrées aux arts et aux sciences. En 2017, ils ont contribué, conjointement avec le Congrès national indigène, à la formation d’un Conseil indien de gouvernement au niveau national, qui s’est efforcé en vain de présenter sa porte-parole comme candidate indépendante lors de l’élection présidentielle de 2018.

Donc, oui : l’expérience zapatiste représente une source d’inspiration plutôt qu’un modèle, au Mexique et au-delà. Du moins, pour tous ceux qui pensent qu’il ne peut y avoir de solution au désastre actuel qu’à partir du moment où l’on cherche à sortir du système capitaliste, et qu’un anticapitalisme conséquent doit se construire par le biais d’une autre politique qui renonce à la centralité des formes d’organisation étatiques.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de contagion de cette rébellion au reste du Mexique depuis vingt-cinq ans ? N’est-ce pas un échec du mouvement ?

Il faut noter que les horizons de lutte des zapatistes ne sont pas seulement nationaux, mais aussi planétaires. Il faudrait donc parler aussi d’un échec au niveau planétaire. Mais cet échec n’est pas celui des zapatistes : il est le nôtre, à tous et toutes. Tant que le capitalisme n’aura pas disparu de notre planète, les zapatistes auront en effet échoué. Et nous tous avec eux. Mais où, sur cette planète, peut-on rencontrer un ample territoire où les gens ont construit des formes d’autogouvernement populaire, parviennent à résister aux attaques des forces liées aux intérêts du capital, et maintiennent des formes de vie et d’organisation autodéterminées ? Hormis le Chiapas et le Rojava, ainsi que des expériences d’autonomie telles que les ZAD, je ne vois pas.

Il est certain que la contagion de l’autonomie que les zapatistes s’efforcent de susciter n’a pas été jusqu’à présent à la hauteur de ce qu’on pourrait, autant qu’eux, souhaiter. Il ne faudrait cependant pas minimiser les avancées. Les zapatistes ont largement incité à la création du Congrès national indigène, qui rassemble de nombreuses luttes des peuples indiens du Mexique. Leur exemple est très important pour le développement d’autres formes d’autonomie. Par exemple, celle des autorités communautaires du Guerrero, ou celle de la commune de Cherán dans l’État du Michoacán qui depuis 2011 a réussi à s’auto-organiser pour repousser les assauts des narcotrafiquants.

Les zapatistes ont montré qu’une autre voie de transformation radicale était possible. C’est celle qu’ils dénomment autonomie et qui associe autogouvernement populaire et formes de vie autodéterminées. Elle ne demande qu’à croître partout où la dévastation provoquée par l’hydre capitaliste se fait de plus en plus flagrante et où toutes les solutions traditionnelles ont montré leurs limites ou leurs impossibilités. Cet esprit de l’autonomie n’est peut-être pas si éloigné de ce qui s’exprime dans les courants les plus novateurs des gilets jaunes, tels qu’on peut les voir à l’œuvre notamment dans la récente Assemblée des assemblées convoquée, fin janvier, à Commercy.

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Six textes fondamentaux pour nous aider à  y parvenir, ensemble, à  lire, relire et diffuser sans aucune modération:

 

3RI: Message de soutien de l’Assemblée des assemblées des Gilets Jaunes à la Commune Internationaliste du Rojava (Vidéo)

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Réseau de Résistance et de Rébellion International (3RI)

 

TOUT LE POUVOIR AUX RONDS-POINTS !

 

Commune Internationaliste du Rojava

 

Six textes fondamentaux pour nous aider à  y parvenir, ensemble, à  lire, relire et diffuser sans aucune modération:

 

Gilets Jaunes, Zapatistes, Rojava, toutes les luttes émancipatrices nous rassemblent.. Nous sommes tous inter-reliés !…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres imperialistes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 25 janvier 2019 by Résistance 71

“Nous savons que nous avons bien des frères et sœurs dans d’autres pays et continents… Aujourd’hui, nous souffrons d’une nouvelle guerre mondiale, une guerre contre les peuples, contre l’humanité, contre la culture, contre l’histoire. C’est une guerre internationale, celle de l’argent contre l’Humanité, menée par une poignée de centres financiers, sans patrie et sans honte…
Nous sommes unis dans le mécontentement, dans le désir de faire quelque chose, par la non-conformité. L’histoire écrite par le pouvoir nous a appris que nous avions perdu, que le cynisme et le profit étaient des vertus, que l’honnêteté et le sacrifice étaient stupides, que l’individualisme était le nouveau dieu, que l’espoir était une monnaie dévaluée, n’ayant plus court sur les marchés internationaux sans avoir de pouvoir d’achat, sans espoir. Nous n’avons pas appris notre leçon. Nous avons été de très mauvais élèves. Nous n’avons pas cru ce que le pouvoir nous a enseigné. Nous avons fait l’école buissonnière lorsqu’ils enseignaient la conformité et l’imbécilité. Nous avons échoué dans le sujet de la modernité. Mais camarades de classe dans la rébellion, nous avons découvert et nous sommes trouvé des frères.
Nous sommes unis par l’imagination, par la créativité, par demain…”

~ SCI Marcos, 1995 ~

Traduction: Résistance 71

Solidarité ! Union ! Persévérance ! Réflexion ! Action !
Pour une SUPRA lutte émancipatrice.

Réseau de Résistance et de Rébellion International

 


Gilet Jaunes = Lutte d’émancipation indigène
Nous subissons la même oppression…
Ce n’est qu’une question de degré !

 

Le combat des zapatistes est le combat universel  de la vie contre la désertification de la terre

 

Raoul Vaneigem

 

21 janvier 2019

 

Source de l’article en français:

https://www.lavoiedujaguar.net/Le-combat-des-zapatistes-est-le-combat-universel-de-la-vie-contre-la

 

Alors que les intérêts financiers et le totalitarisme de l’argent tuent tout ce qui vit en le transformant en marchandise, le vent d’une révolte se lève et se propage, issue moins du souffle des idées que de l’existence intolérable imposées aux hommes et aux femmes du monde entier.

Cela fait cinquante ans que ce qu’il y avait de plus radical dans le Mouvement des occupations de mai 1968 a manifesté son refus de cette imposture qu’était le welfare state, l’état de bien-être consumériste. Il y a vingt-cinq ans qu’a retenti le « ¡Ya basta ! » par lequel les zapatistes manifestaient leur volonté de décider librement de leur sort en formant des collectivités capables de mettre fin à l’oppression qui depuis des siècles bafouaient leurs droits et leur dignité d’hommes et de femmes. Si cette expérience d’une vraie démocratie a très vite suscité des échos bien au-delà d’un petit territoire, dont le mensonge médiatique aurait aimé souligner le caractère strictement local, c’est que le volcanisme de cette éruption sociale faisait resurgir dans l’émoi la ligne de rupture sismique tracée par la liberté tout au long de l’histoire. Une éducation de l’ignorance et une culture du préjugé avaient enterré dans le passé les grandes espérances qu’avaient fait naître la Révolution française, la Commune de Paris, les soviets de Cronstadt, les collectivités autogérées de la Révolution espagnole. Or, la conscience humaine ne meurt jamais, elle s’assoupit, végète, tombe épisodiquement en léthargie, mais il y a toujours un moment où elle s’éveille et, en quelque sorte, rattrape le temps perdu.

La détermination combative des zapatistes, de même que la lutte acharnée du Rojava forment des zones de résonances où la conscience humaine se ressource, où le droit à la vie est déterminé à briser les puissances de la mort rentabilisée. Ce n’est pas sans raison que la cupidité capitaliste déploie sa force de frappe à l’encontre des territoires où des formes de société radicalement nouvelles redécouvrent, avec le sens humain, un style de vie fondé sur la solidarité, la gratuité, la création se substituant au travail. On l’a vu lorsque, en France, le gouvernement technocratique, véritable rouage de la grande broyeuse à profit a écrasé sous la botte de l’Ordre dominant les potagers collectifs, la bergerie, les habitats autoconstruits et la société nouvelle en gestation qui s’esquissait à Notre-Dame-des-Landes.

Dans le même temps que l’on entend s’aiguiser la faux de la désertification, résonnent aussi les cris d’une révolte longtemps contenue. Même si le mouvement des Gilets jaunes devait retomber dans les ornières du passé, sombrer dans la confusion, se déliter, il n’en restera pas moins qu’il a fait montre d’une radicalité appelée à renaître et à se développer. Le refus des chefs et de représentants, le rejet du clientélisme politique, la dénonciation du mensonge médiatique, la condamnation d’un système déshumanisant où le cynisme et l’arrogance imposent un plan de paupérisation tel qu’exigent la frénésie du profit à court terme et l’accroissement de sommes pharamineuses gonflant jusqu’à l’absurde la bulle spéculative. Des milliards sont là qui tournent par-dessus nos têtes et nous devons supporter les restrictions budgétaires qui affectent la santé, l’enseignement, les transports, les biens indispensable à la simple survie.

Retourner à la base est la seule façon d’en finir avec cette politique qui de sa hauteur imbécile prétend prendre des décisions à notre place. La république des statistiques, des bilans et des chiffres n’a rien de commun avec les notes de chauffage et la dégradation de l’environnement qui accablent celles et ceux que le pouvoir maltraite et manipule en les appelant « citoyens ».

Il n’y a que les assemblées locales qui soient au courant des problèmes rencontrés par les habitants d’un village, d’un quartier, d’une région. Il n’y a que l’assemblée populaire pour tenter de résoudre ces problèmes et pour fédérer ces petites entités afin qu’elles forment un front, inséparablement local et international, contre cette Internationale du fric dont la pourriture journalistique consacre le caractère et le développement inéluctable en le baptisant mondialisation. La solidarité avec l’EZLN a-t-elle une meilleure façon de se manifester que par la multiplication et la radicalisation spontanée de collectivités autogérées dans le monde entier ?

Ce qui est en train de se construire sans aucune forme institutionnelle, c’est une internationale du genre humain, c’est la découverte de cette poésie pratique qui, faite par tous et toutes et par chacune et chacun, décrète « nous ne sommes rien soyons tout ».

Raoul Vaneigem

Publié en espagnol par La Jornada,

Mexico, le 20 janvier 2019.

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“Nous les Zapatistes disons ceci: ‘Je suis comme je suis et vous êtes comme vous êtes. Construisons un monde où je puisse être sans avoir à cesser d’être moi, où vous pouvez être et ne pas avoir à cesser d’être vous, et où ni moi ni vous ne forceront qui que ce soit d’autre d’être soit comme moi ou comme vous.’ Ainsi, lorsque les Zapatistes disent: ‘Un monde où beaucoup de mondes s’intègrent’, ils disent plus ou moins ceci: ‘Chacun fait ses propres choses.’ “

~ SCI Marcos, 1999 ~

Traduction: Résistance 71

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