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Kanaky et oppression coloniale : histoire d’une révolte annoncée (LGS)

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Une fois de plus, la continuité des peuples en lutte contre colonialisme, oppression, domination de l’ordre étatico-marchand. En Nouvelle-Calédonie / Kanaky, encore une plus grande raison que de clamer : Vive la Commune !
~ Résistance 71 ~

Kanaky1

Nouvelle-Calédonie : révolte kanak contre le colonialisme français

LGS

17 mai 2024

Url de l’article :

https://www.legrandsoir.info/nouvelle-caledonie-revolte-kanak-contre-le-colonialisme-francais.html

Depuis hier une révolte de très haute intensité se déroule en Nouvelle-Calédonie : pillages, destructions d’entreprises, lutte armée contre la police (cocktails molotov, tirs à balles réelles…), mutinerie en prison… Dans n’importe quelle autre région française, cela ferait la une de tous les journaux. Oui mais voilà, la Nouvelle-Calédonie n’est pas n’importe quelle autre région française, c’est une colonie, et à ce titre elle n’intéresse que peu la métropole et il est dur de comprendre ce qu’il s’y passe. Essayons de dénouer tout cela.

Retour en arrière : la colonisation de la Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie est un ensemble d’îles situé en Océanie. Jusqu’au XVIIIe siècle, les peuples autochtones du territoire de la Nouvelle-Calédonie vivaient sans ingérence occidentale.

La situation change à partir de la fin du XVIIIe siècle mais surtout du début du XIXe siècle. Dans les années 1820, les marchands britanniques commencent à y construire des comptoirs, c’est-à-dire des structures étrangères, placées dans des points stratégiques, pour favoriser le commerce international.

Dans la foulée, les missionnaires débarquent vingt ans plus tard avec pour idée de changer les modes de vie de ceux qu’on appelle désormais les kanaks, de transformer leurs croyances et de les convertir au christianisme. Les choses ne se passent pas toujours aussi bien que prévues, puisqu’en 1847 les kanaks attaquent une des missions et décapitent le frère Blaise Marmoiton. Une base est posée : les kanaks seront peut-être colonisés mais ils ne se laisseront pas faire.

La Nouvelle-Calédonie : l’ancien goulag français

Les velléités occidentales sur la Nouvelle-Calédonie prennent une nouvelle dimension dans la décennie suivante.

Napoléon III (au pouvoir de 1848 à 1870) cherche un territoire pour y faire de nouvelles colonies pénitentiaires. La Nouvelle-Calédonie est officiellement colonisée par la France en septembre 1853.

Les français installent donc là-bas un bagne, c’est-à-dire un camp de travail pour prisonniers qui travaillent dans des conditions épouvantables. Ces derniers sont poussés à rester sur place une fois leur peine terminée, afin de favoriser la colonisation.

Si on y trouve des criminels de droit commun, la Nouvelle-Calédonie sera massivement utilisée pour déporter les opposants politiques, en faisant un vrai “goulag français”. Ainsi c’est là-bas qu’on déporte en masse les révolutionnaires de la Commune de Paris qui n’ont pas été exécutés sommairement, tout comme les résistants algériens à la colonisation française de 1830. Louise-Michel, qui y sera déportée, s’exprimera d’ailleurs sur “le problème kanak”. Les bagnards sont utilisés comme main d’œuvre quasi-gratuite pour construire les infrastructures coloniales.

Les capitalistes sont de plus en plus intéressés par cette colonie puisqu’on y découvre du nickel. L’activité minière et métallurgique s’y développe.

Jamais les kanaks n’accepteront passivement la colonisation française.

En 1878, Aitaï, “grand chef” kanak se présente auprès du gouverneur français, déverse un sac de terre et déclare “voici ce que nous avions”. Il déverse ensuite un sac de pierres puis affirme “voici ce que tu nous as laissé”. En effet petit à petit les colons français vont s’accaparer les terres cultivables déstabilisant en profondeur l’économie vivrière des Mélanésiens et laissant aux autochtones des terrains de moins bonne qualité.

Ataï, en collaboration avec d’autres chefs de tribus, commence à fomenter un plan pour prendre Nouméa (devenue capitale de la Nouvelle-Calédonie). Mais en juin 1878, après l’assassinat d’une famille de colons, les choses s’accélèrent : l’administration coloniale fait enfermer dix chefs de tribus.

De juin à août, les kanaks changent leurs plans et lancent des attaques de grande ampleur, tuant gendarmes et colons (environ 200 personnes).

L’insurrection est finalement matée par la France et la répression est extrêmement sanglante : Ataï est décapité et sa tête, placée dans du formol, est envoyée en trophée à Paris. Les autres chefs kanaks sont exécutés sans jugement et près de 5% des mélanésiens sont tués (environ 2 000 personnes). La barbarie sadique du colonialisme français est inscrite dans les mémoires.

Pendant la Première Guerre mondiale, des soldats kanaks se retrouvent à aller se battre dans une guerre qui ne les concernent pas. En plus de cela, les colons français accaparent encore davantage de terres pour répondre aux besoins croissants en approvisionnement.

En 1917, une guérilla s’organise autour de la figure de Noël, chef de la tribu de Tiamou. Celle-ci est réprimée au bout d’un an. Noël est lui aussi décapité et une soixantaine d’autres rebelles sont condamnés.

Après cette nouvelle révolte, les colons français tentent une nouvelle approche. Il s’agit désormais de former une “élite kanak républicaine” qui pourrait permettre de corrompre l’esprit de résistance de l’intérieur.

En 1931, des kanaks sont exposés, comme s’ils étaient des animaux, à l’exposition coloniale de Paris.

Après la Seconde Guerre mondiale, le statut de la Nouvelle-Calédonie change. Elle n’est plus officiellement considérée comme une colonie et la nationalité française est donnée aux kanaks. La population obtient le droit de vote en 1957. La Nouvelle-Calédonie devient 3ème producteur mondial de nickel et les autorités françaises encouragent une colonisation de peuplement. Cette arrivée de colons fait augmenter la population de 20% dans la première moitié des années 1970.

En parallèle, les idées indépendantistes se développent et préparent une nouvelle ère de révoltes anticoloniales dans les années 1980 : ce que la France appellera “les évènements”.

Les “évènements”

Dans les années 1960, les revendications nationalistes kanaks se formalisent. Des étudiants de gauche ayant participé à mai 68 reviennent en Nouvelle Calédonie. Nidoïsh Naisseline, militant d’extrême gauche, fonde les “Foulards Rouges” tandis que d’autres indépendantistes créent en 1971 le “groupe 1878” (référence à l’insurrection de cette année là). Ils demandent la restitution des terres et veulent préserver leur identité. Ils fusionnent pour créer le Parti de Libération Kanak en 1975. D’autres suivront comme le Parti indépendantiste en 1979.

Pierre Declercq, enseignant et partisan de l’indépendance, est assassiné chez lui en septembre 1981. Ses assassins ne seront jamais retrouvés. Des manifestations éclatent et des barrages sont mis en place. La situation continue de se tendre en juillet 1983 où des gendarmes sont tués.

Un référendum d’autodétermination est prévu pour 1989 mais les indépendantistes souhaitent que le corps électoral soit limité afin que ce soit les peuples autochtones, et non les colons, qui y votent. Cette revendication est d’abord refusée. En 1984 des militants indépendantistes kanaks se rendent dans la Libye de Kadhafi pour y suivre une formation militaire. Le Front indépendantiste devient Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et ce dernier appelle à boycotter les élections territoriales de 1984 en raison de cette règle électorale qu’ils considèrent illégitime. Un des leaders indépendantistes, Eloi Machoro, brise une urne électorale pour symboliser ce boycott.

C’est le début d’une quasi-insurrection.

En novembre 1984, des barrages sont dressés, le sous-préfet est séquestré, la gendarmerie est occupée dans la commune de Thio, cinq hélicoptères du GIGN sont désarmés. En décembre, des maisons d’européens sont pillées et incendiées.

Le gouvernement socialiste français envoie l’armée et la gendarmerie, interdit toutes les manifestations et fait surveiller étroitement les tribus.

Après un bref retour au calme, les tensions reprennent entre colons et indépendantistes.
En janvier 1985, le GIGN exécute Eloi Machoro, l’État d’urgence et le couvre-feu sont mis en place.

Pour calmer le jeu, le gouvernement de Laurent Fabius accorde davantage d’autonomie à la Nouvelle-Calédonie et met en place quelques réformes pour davantage de démocratie.

Cela ne dure pas bien longtemps puisque l’année suivante la droite revient au pouvoir avec le gouvernement de cohabitation mené par Jacques Chirac. Le statut “Pons I” est voté : il vise à contrer les velléités indépendantistes, à réduire les compétences qu’avaient obtenues les “conseils de région” et à organiser un référendum d’autodétermination.

Une fois de plus le FLNKS explique qu’il ne participera pas au référendum si les colons peuvent y voter au même titre que les kanaks.

Celui-ci est soutenu par le mouvement des non-alignés, c’est-à-dire les pays qui se refusent à être inféodés aux Etats-Unis ou à l’Union Soviétique. L’Assemblée générale de l’ONU vote une résolution affirmant « le droit inaliénable du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l’autodétermination et à l’indépendance » et inscrit la Nouvelle-Calédonie dans la liste des territoires non autonomes des Nations unies, c’est-à-dire des territoires non-décolonisés « dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes ».

Le référendum est boycotté par les indépendantistes et en septembre 1987 cette “autodétermination” est donc rejetée sans surprise. Ces derniers s’engagent également à boycotter l’élection présidentielle et les élections régionales. En octobre, les auteurs d’une embuscade dans laquelle dix indépendantistes avaient été tués en 1984 sont tous acquittés par un jury composé exclusivement d’Européens, ce qui déclenche la colère des kanaks.

Deux jours avant la présidentielle de 1988, des militants du FLNKS lancent une nouvelle offensive : c’est ce qu’on appellera la prise d’otages d’Ouvéa.
Une soixantaine d’indépendantistes attaquent une gendarmerie à Ouvéa et prennent une vingtaine de gendarmes en otage (quatre d’entre eux sont tués durant l’attaque). Une moitié des otages sera rapidement libérée, les autres seront conduits dans une grotte.

Le gouvernement français déclare l’île zone militaire et l’interdit aux journalistes. Les soldats français s’en donnent à cœur joie : des enfants sont maltraités, attachés aux poteaux des cases, devant leurs familles.

Alors que les gendarmes sont bien traités par les ravisseurs, Chirac discute avec le général Vidal et lui demande ce que feraient les israéliens et Thatcher dans un pareil cas. Le général répond qu’ils lanceraient une “intervention”, Chirac se décide alors à le faire.

Le 5 mai 1988, l’assaut est lancé, les kanaks laissent les otages s’enfuir sans leur faire de mal. La version officielle est simple : 18 ravisseurs auraient été tués au combat. Sauf que 12 d’entre eux seront retrouvés avec des balles dans la tête en plus de leurs autres blessures. Bref il s’agit d’exécutions sommaires. En juin, une loi d’amnistie s’applique à tous les faits de cette affaire ce qui permet de ne pas creuser ce qu’il s’est réellement passé. Michel Rocard confirmera d’ailleurs : “À la fin de l’épisode de la grotte d’Ouvea, il y a eu des blessés kanaks et deux de ces blessés ont été achevés à coups de bottes par des militaires français, dont un officier (…) Il fallait prévoir que cela finisse par se savoir et il fallait donc prévoir que cela aussi soit garanti par l’amnistie”.

Pour ramener le calme, les Accords de Matignon sont signés, acceptés notamment par le FLNKS. Ils sont ratifiés par un référendum sur l’autodétermination en Nouvelle-Calédonie qui donne le oui gagnant. iI prévoit qu’un référendum sur l’indépendance soit organisé dix ans plus tard.

Le référendum de 2021 contesté

Durant cette période les gouvernements français incitent à la construction d’usines et d’infrastructures. Les inégalités sur l’archipel restent majeures.
En 1998 les accords de Nouméa repoussent d’encore dix ans le référendum sur l’indépendance initialement prévu cette année-là.

Celui-ci a donc lieu en novembre 2018, seuls les kanaks et les “caldoches” (les descendants de colons et de bagnards installés depuis longtemps) votent. Le “non” à l’indépendance l’emporte à 56,4%. La loi prévoit que les kanaks puissent encore organiser deux autres référendums.

Un nouveau référendum sur l’indépendance est ainsi prévu en 2020. Il est légèrement reporté en raison de la pandémie de Covid-19. Le vote indépendantiste progresse mais perd de nouveau avec le “non” qui l’emporte à 53,2%.

Un troisième référendum est donc organisé en 2021 mais cette fois celui-ci est boycotté par les indépendantistes. En effet, l’Etat français refuse de repousser le référendum comme demandé par les indépendantistes en raison de la pandémie. Les indépendantistes ne votant pas, le référendum donne sans surprise une très large victoire au refus de l’indépendance (96%)

Mai 2024 : révolte contre la réforme constitutionnelle

Le gouvernement français tente de profiter de la défaite des indépendantistes pour changer les règles constitutionnelles et limiter la possibilité d’une indépendance future.

Il souhaite ainsi ouvrir le droit de vote à tous les résidents de Nouvelle-Calédonie habitant sur le territoire depuis au moins dix ans, ce qui permettrait de mettre petit à petit en minorité les kanaks.

En métropole, les députés ont commencé à se pencher sur cette loi le lundi 13 mai. Cela a déclenché un important mouvement de révolte : incendies de véhicules, pillages de magasins, dizaines d’entreprises et d’usines incendiées, affrontements avec la police, mise en place de barricades, mutinerie en prison.

La France Insoumise a demandé le retrait du projet de loi mais le vote est toujours prévu alors que le couvre feu vient d’être décrété, et que le gouvernement envoie quinze renforts du GIGN

Dans un contexte de révolte de haute intensité en Nouvelle-Calédonie, il est essentiel de comprendre les racines profondes de ces troubles. La colonisation de la Nouvelle-Calédonie a laissé des cicatrices profondes dans la société, marquées par des décennies d’oppression, de dépossession des terres autochtones et de répression brutale. Depuis les premières attaques des colons jusqu’aux révoltes anticoloniales des années 1980, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie est celle d’une lutte constante pour la liberté et l’autodétermination.
Les accords de Matignon en 1988 ont semblé apaiser les tensions, mais les inégalités persistent, alimentées par une économie déséquilibrée et des disparités sociales criantes. Malgré les référendums sur l’indépendance, les tensions restent vives, avec des résultats serrés et des débats continus sur le chemin à suivre pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

La récente tentative de réforme constitutionnelle par le gouvernement français a ravivé la contestation, alimentant un mouvement de révolte sans précédent. Les incendies, les pillages et les affrontements avec les forces de l’ordre reflètent la frustration et la colère d’une population qui se sent une fois de plus marginalisée et trahie.

Alors que la France de Macron risque de réprimer brutalement, il est crucial de reconnaître les aspirations légitimes du peuple kanak à l’autodétermination.

Rob Grams

Source : Frustration

Resist

Kanaky : des milices de colons armés tuent plusieurs habitants

Des milices de colons blancs, souvent cagoulés, équipés de fusils à lunette ou de fusils à pompe. Ce sont les images effrayantes qui nous arrivent de Nouvelle Calédonie/Kanaky ces derniers jours. Ces groupes armés s’organisent par quartier, et certains ouvrent le feu. 3 Kanaks ont ainsi été abattus.

Ce territoire du Pacifique est surarmé. Selon les autorités, 64.000 armes sont déclarées et autant circulent illégalement, soit près de 130.000 armes pour 272 000 habitants. Cette situation folle est le fruit d’une décision des autorités locales en 2011, visant à faciliter, la possibilité de s’armer pour les Blancs surnommés les « caldoches ». Seuls une carte d’identité ou un permis de chasse sont exigés pour se procurer une arme, et les quotas de munitions ont été supprimés. Cette mesure a provoqué une explosion des achats dans les armureries. Une décision irresponsable et criminelle.

Depuis deux jours, trois Kanaks ont donc été assassinés. Deux hommes de 19 et 36 ans et une adolescente de 17 ans. L’un des défunts s’appelait Djibril Saïko Salo et était en première année de BTS. Le CCAT – Cellule de coordination des actions de terrain – qui représente les indépendantistes Kanaks détaille « les conditions dans lesquelles (il) a été abattu » et explique qu’il a été « abandonné sur la route comme s’il s’agissait d’une vulgaire bête sauvage, ou pire, d’un criminel récidiviste ». Le collectif ajoute : « Le caractère ignoble et volontaire de cet acte, nous le qualifions sans ambiguïté de meurtre avec préméditation, avec volonté assumée de laisser son cadavre exposé sur la chaussée en guise certainement de message à ceux qui veulent suivre son exemple ».

Une photo montre un colon braquer son fusil à lunette derrière un grillage prêt à tirer. Une vidéo, authentifiée par Le Monde montre un homme blanc tirant délibérément en direction de deux jeunes Kanak marchant sur la route à Nouméa. D’autres témoignages évoquent des expéditions punitives de colons.

Enfin, un gendarme a été tué par un tir qualifié “d’accidentel” par les médias. Les autorités disent pudiquement qu’il ne “s’agit pas d’un tir ennemi”. C’est donc la balle d’un autre gendarme ou d’un milicien qui a coûté la vie à cet homme.

En parallèle à cette violence paramilitaire, l’état d’exception est décrété dans l’archipel. Le gouvernement vient d’assigner à résidence cinq indépendantistes du CCAT, et les autorités envisagent de dissoudre le collectif. Gabriel Attal a annoncé le déploiement de l’armée en Nouvelle-Calédonie et interdit l’accès au réseau social Tiktok.

Ainsi, les milices et les forces régulières de la République française assurent, ensemble, la répression coloniale. Par son mépris et sa violence, le gouvernement Macron a fait voler un lent et fragile processus de paix en Kanaky. Et plusieurs vies ont déjà été volées.

Source : Contre Attaque

Comprendre la crise en Kanaky

Vous avez dit « grand remplacement » ?

Vu de France métropolitaine, la révolte en Kanaky et ses causes peuvent paraître complexes. C’est pourtant plus simple qu’on peut l’imaginer : imaginez une colonie de peuplement, où les habitants originaires sont dépossédés de leurs terres et progressivement mis en minorité, afin de ne plus pouvoir décider de leur sort, même dans le cadre d’élections.

Ce « grand remplacement » a été théorisé dès les années 1970 par le Premier Ministre français : Pierre Messmer. Le chef du gouvernement avait été résistant avant d’occuper différents postes de pouvoir, de lancer le grand programme nucléaire français et d’être nommé Premier ministre du président Pompidou. Il explique dans une lettre du 19 juillet 1972 à son secrétaire d’État aux DOM-TOM un plan pour coloniser la Nouvelle-Calédonie. Pour lui, les Kanaks, qui peuplent cet archipel depuis près de 5000 ans, doivent peu à peu s’effacer sous le poids démographique d’une population blanche.

Voici ce qu’il écrivait :

« La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants.

Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays francophone supplémentaire. La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique.

À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés.

À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi qu’on n’obtiendra aucun effet démographique à long terme sans immigration systématique de femmes et d’enfants. »

50 ans plus tard, c’est ce qu’il se passe en Kanaky. Et Macron, en voulant « dégeler » le corps électoral, c’est-à-dire permettre aux nouveaux arrivants de participer aux scrutins, veut achever le processus, en empêchant définitivement les Kanaks la possibilité même d’être majoritaires dans les urnes. Et donc rendre impossible toute autodétermination.

Ainsi, le gouvernement français pourra invoquer la « démocratie » en toute bonne conscience, puisque les votes sur l’indépendance de la Kanaky ne peuvent que lui être favorables. Machiavélique.

Source : Contre Attaque

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Lire nos pages :

« Colonialisme, doctrine chrétienne de la découverte »

« Colonialismes et luttes indigènes »

« Nous sommes tous des colonisés » (Résistance 71)

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Décolonisation ! Lettre d’un chanteur occitan aux militants décoloniaux…

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Point de vue intéressant et certainement valide. La colonisation est partout et bien actuelle. L’État est colonial et coercitif par nature. C’est par la force et non le consentement général qu’il “unifie”, allié à la veulerie de dirigeants locaux corrompus. Pourquoi le cri d’auto-détermination catalan, basque, breton aurait-il moins de valeur que celui d’un Iroquois, d’un Apache, Lakota, Maori, Aborigène d’Australie, Kurde ou Kanak ? Aucune raison.
Il est temps de remettre les question d’autonomie sur la table, partout… C’est une condition sine qua non pour mettre un coup d’arrêt à la division organisée sur des bases artificielles pour toujours mieux nous contrôler.
Allez faire un tour sur le site internet de Laurent, très bien fait… (lien sous l’article)
~ Résistance 71 ~

 

 

Lettre d’un chanteur occitan aux militants décoloniaux : Et nous là-dedans ?

 

Laurent Cavalié

 

17 février 2021

 

Source:
https://www.lavoiedujaguar.net/Lettre-d-un-chanteur-occitan-aux-militants-decoloniaux-Et-nous-la-dedans

 

Avons-nous une place dans la sphère décoloniale ? Nous ne sommes ni « racisé·e·s », ni « non blancs », ni « noirs », ni « blacks », ni « indigènes », mais je veux vous exprimer pourquoi j’ai besoin de me rapprocher des combats décoloniaux. Je veux vous exprimer les siècles de mépris vis-à-vis de notre langue qui n’est pas le français, de notre accent qui n’est pas celui des dominants économiques et médiatiques, de notre absence des plateaux de théâtre, des médias, du cinéma. Je veux vous exprimer la fatigue de devoir encore et toujours justifier de l’universalité de notre propos.

Je veux vous dire qu’en même temps que la France colonisait le monde et mettait en place l’esclavage, elle opérait à l’intérieur de l’Hexagone une vaste opération de colonisation des consciences, pour anéantir la diversité linguistique, pour empêcher les enfants de parler la langue de leurs parents, pour nous faire admettre qu’il n’y avait qu’une seule langue du progrès et que c’était le français, et par là même pour nous faire croire qu’il n’y avait qu’une seule voie possible, celle du progrès. Tous les moyens étaient bons pour glorifier l’idée de la grandeur universelle de la France et du français, y compris ceux du révisionnisme historique. Y compris ceux des sévices corporels pour les enfants, ceux de l’humiliation et du mépris.

La question du mépris des cultures populaires de la France, et de la pensée colonialiste de l’État français en direction des cultures particulières de l’intérieur — j’aurais pu oser l’expression cultures autochtones — ne peut pas être écartée d’un revers de manche, au prétexte que nous n’aurions pas été colonisés au sens où cela s’entend le plus couramment, c’est-à-dire par les armes, génocide et esclavage à l’appui. Je pourrais préciser ici que, pour ce qui est de la conquête armée et du génocide, le Languedoc, d’où je suis, a déjà payé un lourd tribu à la France lors de la croisade dite « contre les Albigeois », suivi d’un siècle de terreur quotidienne, avec ses milliers de bûchers, orchestrée par l’Inquisition. Mais je ne vais justement pas, ici, commencer à compter les morts qui justifieraient que nous sommes plus ou moins dignes de se revendiquer victimes du colonialisme.

D’autant plus que je pourrais même dresser un tableau réjouissant de notre situation : je pourrais me réjouir que la langue soit enseignée, qu’elle soit chantée. Je pourrais me réjouir que des carnavals se réinventent, que des villages recréent leur totem. Je pourrais relever qu’il existe des politiques publiques en faveur de la création artistique en occitan. Je pourrais avoir l’honnêteté de dire que c’est une joie que d’avoir trouvé un chemin artistique dans notre langue. Et que c’est peut-être même une facilité, vu que nous sommes aidés financièrement, et aussi plus facilement repérables car porteurs d’une histoire particulière, d’une « couleur » artistique particulière dans l’immense choix des propositions de créations qui inondent le marché de la culture, en France, tous les ans. Pour certains artistes qui galèrent pour vivre de leur création, nous sommes même considérés comme privilégiés. On peut, et même on doit mettre en avant cette joie, qui est réelle pour bien des acteurs de notre monde occitan, sans masquer la réalité du théâtre, de l’édition, de l’enseignement, qui sont tenues à bout de bras par la force des militants qui arrachent à l’État quelques aumônes, alors qu’il est question là ni plus ni moins de la survie d’une langue.

Nos réalités sont diverses et aujourd’hui le sentiment de dépossession demeure. Notre langue est en danger et tout ce qu’on pouvait qualifier, comme un ensemble très subjectif mais pourtant bien réel, d’art de vivre, c’est-à-dire notre relation particulière au monde — ni plus valable ni moins valable qu’aucune autre — est en train de finir de se diluer dans la culture médiatique dominante.

Le sentiment de dépossession demeure. Notre capacité à relativiser dépend évidemment de la construction de chacun, de sa capacité à se détacher d’une situation ou non, de son humour ou de son manque d’humour, de sa capacité à affronter ou de sa prédisposition au silence. On n’est pas égaux face au sentiment de dépossession et face aux sentiments qui en découlent : du sentiment de la perte de lien à celui de solitude, du sentiment de n’appartenir à aucune communauté à celui d’exclusion, de celui d’être dominé à celui de discrimination, de celui de pauvreté culturelle à celui de désœuvrement. On n’est pas égaux et tous ces ressentis appartiennent à chacun et sont toujours respectables. Hiérarchiser les douleurs et les peines est une absurdité pour quiconque est capable d’empathie.

Le sentiment de dépossession demeure et il est non seulement respectable, mais il faut le comprendre. Nous avons été dépossédés au cours des siècles passés de notre culture populaire, puis autodépossédés de ce qu’il en restait au cours du vingtième siècle à force de nous signifier notre indignité et l’inutilité de notre langue. Aujourd’hui la place est libre, les cerveaux sont disponibles à la colonisation mentale des dominants : l’État et les grands industriels s’insinuant à tous les niveaux, sociaux et intimes, de nos vies. Notre culture s’est tellement diluée dans la culture capitaliste et médiatique dominante, qui depuis tellement de temps nous vend ses illusions de bonheur, que nous nous modelons en rêve collectif, à l’image des possédants, à leur parlé, à leur accent, à leurs habits, à leur mode de vie — sans même avoir les moyens de nos rêves ! Il y a tellement de temps que nous avons abandonné à l’industrie les usages populaires qui nous caractérisaient, que l’essentiel de notre culture, notre univers, notre art de vivre, notre rapport au monde, notre géographie intérieure et l’art de la raconter, s’y sont dissous. Notre culture et notre langue s’effacent tellement, que nous voilà même dépossédés de la légitimité de nos actions, de nos créations ou de nos combats, qui passent pour inutiles. Et nous voilà contraint de nous justifier encore et toujours de leur bon sens, alors même que, écrire de la poésie et chanter en occitan, n’est pas toujours un choix, mais une évidence qui s’impose, simplement.

À chacun ses évidences, certes. Chacun son histoire, aucune n’est comparable, certainement pas hiérarchisable sur une illusoire échelle de la victimisation. Nous en sommes, nous tous, à bâtir des discours, à composer des musiques, à créer des esthétiques sur des ruines laissées par l’industrie capitaliste et colonialiste. Si c’est une hydre, comme on aime parfois nommer le système en lui accordant l’existence d’un être vivant, elle est encore en pleine possession de ses moyens de destruction. La situation est aussi dramatique qu’inespérée pour tous ceux qui souhaitent trouver un chemin créatif fraternel. Tout ce qui fut détruit est à réinventer. Quels imaginaires peuvent naître du cataclysme ? Quand les anciens se sont tus, parce que ce qu’ils avaient à nous raconter avait été tué par le mépris, ou bien parce que ce qu’ils avaient à nous raconter était source de trop de souffrance, quel langage peut-on encore inventer ?

BORREIA !

E patarem patarem cap al centre dal monde.
Zinga-zanga ! Sèm dançaires d’una tèrra rebonduda.
Tornarem caufar l’òli, la qu’avèm pas escampada al pè de la muralha.
Tornarem caufar l’òli, verge a ne tornar daurar los solelhs de la lenga.
Tornarem caufar l’òli, verge a s’enfuocar en vol, a n’enregar lo cèl e s’abrandar pels pès de l’ordre que camina.
E piularem coma d’aucèls perduts sus la tèrra noiriguièra.
E bramarem coma lops en ardada, aclapats mas que volon pas que viure.

Et nous frapperons des pieds, frapperons jusqu’au centre du monde.
D’un pied ! De l’autre ! Nous sommes des danseurs d’une terre enfouie.
Nous réchaufferons l’huile, celle que nous n’avons pas jetée au pied de la muraille.
Nous réchaufferons l’huile, vierge à redorer les soleils de la langue.
Nous réchaufferons l’huile, vierge à s’enflammer en vol, à en zébrer le ciel et s’embraser dans les pieds de l’ordre qui avance.
Et nous piaillerons comme des oiseaux perdus sur la terre nourricière.
Et nous gueulerons comme loups en horde, accablés mais voulant seulement vivre.

Laurent Cavalié
laurentcavalie(at)free.fr
28, rue Lamourguier
11100 Narbonne
sirventes.com

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5 textes pour comprendre et éradiquer le colonialisme

« Païens en terre promise, décoder la doctrine chrétienne de la découverte », Steven Newcomb, 2008

« Comprendre le système de l’oppression coloniale par mieux le démonter », Steven Newcomb

« Comprendre le système de l’oppression coloniale pour mieux le démonter », Peter d’Errico

« Effondrer le colonialisme », Résistance 71

« Nous sommes tous des colonisés ! », Résistance 71

 


Fédération Anarchiste Communiste d’Occitanie

Résistance au colonialisme: Quand un colonialisme en cache un autre (Bruno Guigue)

Posted in actualité, altermondialisme, canada USA états coloniaux, colonialisme, France et colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et lobbyisme, politique et social, politique française, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 7 novembre 2018 by Résistance 71

Bonne analyse de Bruno Guigue mais qui ne va pas encore assez loin à notre sens. 

En effet, nous ne vivons même pas dans un monde “post-colonial / néo-colonial”, mais toujours bel et bien dans un monde colonial comme nous l’avons expliqué à maintes reprises ici.

Les Etats-Unis, le Canada, le Mexique, tous les pays d’Amériques centrale et du sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et bien entendu Israël sont TOUS des pays coloniaux à l’heure actuel. Des pays qui ne sont que des projections commerciales de contrôle et de pillage des grands centres industrio-financiers, chapeautés par la City de Londres, la véritable “couronne” et entité coloniale.

Ceci en toile de fond d’un néo-colonialisme issus du libéralisme vendu comme une globalisation des échanges politico-économiques. Nous devons le comprendre si nous voulons critiquement et radicalement agir sur la réalité qui nous échoit.

Parce que:

L’avenir de l’humanité passe par les peuples occidentaux émancipés de l’idéologie et de l’action coloniales, se tenant debout, main dans la main avec les peuples autochtones de tous les continents pour instaurer l’harmonie de la société des sociétés sur terre. Il n’y a pas de solutions au sein du système, n’y en a jamais eu et n’y en aura jamais !

~ Résistance 71 ~

« Quand nous disons aux colons: ‘rendez-le’, voulons-nous dire que nous voulons qu’ils nous rendent le pays et qu’ils s’en aillent ? Non. Ceci n’est pas la vision de nos peuples. Lorsque nous disons ‘rendez-le’, nous parlons de ce que les colons établis montrent du respect pour ce que nous partageons, la terre et ses ressources et corrigent les torts en nous offrant la dignité et la liberté qui nous sont dues et nous rendent notre pouvoir et suffisamment de terre pour que nous soyons totalement auto-suffisant en tant que nations… […] La restitution est purification. […] Il est impossible de transformer la société coloniale de l’intérieur de ses institutions ou de parvenir à la justice et à une coexistence pacifique sans transformer fondamentalement les institutions de la société coloniale elles-mêmes. Simplement, les entreprises impérialistes opérant sous le déguisement d’états démocratiques libéraux (NdT: USA, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Mexique, tous les pays d’Amériques centrale et du sud…) sont par construction et culture, incapables de relations justes et pacifiques avec les peuples autochtones. Le changement ne se produira que lorsque les colons seront forcés à reconnaître ce qu’ils sont, ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont hérité ; alors seulement ils ne pourront plus fonctionner comme des coloniaux et commenceront à respecter les autres personnes et à les considérer comme des êtres humains… »

~ Taiaiake Alfred, professeur de science politique, université de Victoria, CB, Canada, nation Mohawk, 2009 ~

 

Quand un colonialisme en cache un autre

 

Bruno Guigue

 

5 novembre 2018

 

url de l’article:

https://www.legrandsoir.info/quand-un-colonialisme-en-cache-un-autre.html

 

Que les enfants yéménites meurent de faim par milliers, que les Palestiniens tombent sous les balles de l’occupant, que la Syrie soit un champ de ruines et la Libye plongée dans le chaos, tout cela ne nous émeut guère. On manifeste, on fait grève, on proteste ? Pas vraiment. Ni manifestations significatives, ni débats dignes de ce nom. Le crime néocolonial passe comme une lettre à la poste. Et pourtant, si nous subissions ce que nos gouvernements infligent à des peuples qui ne nous ont rien fait, que dirions-nous ? Si une alliance criminelle nous condamnait à mourir de faim ou du choléra, comme au Yémen ? Si une armée d’occupation abattait notre jeunesse parce qu’elle ose protester, comme en Palestine ? Si des puissances étrangères armaient des milices pour détruire notre république, comme en Syrie ? Si une coalition étrangère avait bombardé nos villes et assassiné nos dirigeants, comme en Libye ?

La tendance des pays dits civilisés à jeter un voile pudique sur leurs propres turpitudes n’est pas nouvelle. Propre sur lui, le démocrate occidental voit plus facilement la paille dans l’œil du voisin que la poutre qui loge dans le sien. De droite, de gauche ou du centre, il vit dans un monde idéal, un univers heureux où il a toujours la conscience de son côté. Sarkozy a détruit la Libye, Hollande la Syrie, Macron le Yémen, mais il n’y aura jamais de tribunal international pour les juger. Mesurés à l’aune de notre belle démocratie, ces massacres ne sont que des broutilles. Un égarement passager, à la rigueur, mais l’intention était bonne. Comment des démocraties pourraient-elles vouloir autre chose que le bonheur de tous ? Surtout destiné à l’électeur moyen, le discours officiel des Occidentaux traduit toujours l’assurance inébranlable d’appartenir au camp du bien. ’Vous souffrez de l’oppression, de la dictature, de l’obscurantisme ? Ne vous inquiétez pas, on vous envoie les bombardiers !’.

Il arrive toutefois qu’au détour d’une phrase, dans le secret des négociations internationales, un coin de voile soit levé, subrepticement. On assiste alors à une forme d’aveu, et voilà qu’un margoulin confesse le crime en esquissant un sourire narquois. En 2013, au moment où la France intervient au Sahel, Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères, appelle son homologue russe pour obtenir l’appui de la Russie à l’ONU. Lavrov s’étonne alors de cette initiative française contre des djihadistes que Paris avait soutenus lors de l’intervention en Libye, en 2011 : ’C’est la vie !’, lui rétorque le ministre français. Semer la terreur pour abattre un Etat souverain ? C’est ’la vie’ selon Fabius. Mais que ce criminel se rassure : aucun juge ne lui demandera des comptes. La Cour pénale internationale (CPI) est une Cour pour les indigènes : c’est réservé aux Africains. Les gens comme Fabius ont l’art de passer entre les gouttes.

Abreuvés d’un discours qui leur dit que leur pays est toujours du bon côté, les Français semblent à des années-lumière du chaos que contribuent à bâtir leurs propres dirigeants. Les problèmes du monde ne les affectent que lorsque des hordes de miséreux se pressent aux portes, et ils sont nombreux à accorder leurs suffrages – comme beaucoup d’Européens – à ceux qui prétendent leur épargner cette invasion. Bien entendu, cette défense d’un ’chez soi’ devrait logiquement s’accompagner du refus de l’ingérence chez les autres : que vaudrait un patriotisme qui autoriserait le fort à s’ingérer dans les affaires du faible ? Or l’expérience montre que ces ’patriotes’ sont rarement à la pointe du combat pour l’indépendance nationale en dehors du monde prétendument civilisé. Quels partis de droite européens, par exemple, soutiennent le droit des Palestiniens à l’autodétermination nationale ? Manifestement, ils ne se précipitent pas pour honorer leurs propres principes.

Mais ce n’est pas tout. On peut même se demander si ces prétendus patriotes le sont vraiment pour eux-mêmes : combien d’entre eux, en effet, sont-ils favorables à la sortie de leur propre pays de l’OTAN, cette machine à embrigader les nations européennes ? Comme pour la question précédente, la réponse est claire : aucun. Ces ’nationalistes’ font le procès de l’Union européenne pour sa politique migratoire, mais c’est le seul morceau de leur répertoire patriotique, véritable disque rayé aux accents monocordes. Ils gonflent les muscles face aux migrants, mais ils sont beaucoup moins virils face aux USA, aux banques et aux multinationales. S’ils prenaient leur souveraineté au sérieux, ils s’interrogeraient sur leur appartenance au ’camp occidental’ et au ’monde libre’. Mais c’est sans doute beaucoup leur demander.

Dans cette incohérence généralisée, la France est un véritable cas d’école. Une certaine droite – ou extrême-droite, comme on voudra – y critique volontiers les interventions à l’étranger, mais de manière sélective. Le Rassemblement national, par exemple, dénonce l’ingérence française en Syrie, mais il approuve la répression israélienne contre les Palestiniens. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes serait-il à géométrie variable ? En fait, ce parti fait exactement l’inverse de ce que fait une prétendue gauche, qui soutient les Palestiniens – en paroles – et approuve l’intervention occidentale contre Damas, trouvant même qu’on n’en fait pas assez et qu’il faudrait bombarder ce pays plus sévèrement. Le drame, c’est que ces deux incohérences jumelles – et en miroir – aveuglent le peuple français. On mesure cet aveuglement au résultat, lorsqu’on voit des gauchistes souhaiter le renversement d’un Etat laïc par des mercenaires de la CIA (au nom de la démocratie et des droits de l’homme), et des nationalistes soutenir l’occupation et la répression sionistes en Palestine (au nom de la lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical).

Il est vrai que ce chassé-croisé entre pseudo-patriotes et pseudo-progressistes a aussi une dimension historique. Il charrie à sa façon l’héritage empoisonné des temps coloniaux. Ainsi la droite nationaliste critique le néocolonialisme occidental en Syrie, mais elle trouve insupportable qu’on évoque les crimes coloniaux commis par la France dans le passé en Indochine, en Algérie ou à Madagascar. On suppose que ce n’est pas volontaire, mais la gauche universaliste contemporaine – au nom des droits de l’homme – fait exactement l’inverse : elle fait le procès du vieux colonialisme façon « Algérie française » mais elle approuve l’intervention néocoloniale en Syrie contre un Etat souverain qui a arraché son indépendance à l’occupant français en 1946. Bref, la droite aime follement le colonialisme au passé, la gauche l’aime passionnément au présent. La boucle est bouclée, et en définitive tout le monde est d’accord. Principale victime : la lucidité collective.

La France est l’un des rares pays où un colonialisme en cache un autre, le vieux, celui qui plonge ses racines dans l’idéologie pseudo-civilisatrice de l’homme blanc, se trouvant comme régénéré par le sang neuf du bellicisme droit-de-l’hommiste. Ce néocolonialisme, à son tour, est un peu comme l’ancien colonialisme ’mis à la portée des caniches’, pour paraphraser Céline. Il veut nous faire pleurer avant de lancer les missiles. En tout cas, la connivence implicite entre les colonialistes de tous poils – les vieux et les jeunes, les archéo et les néo – est l’une des raisons de l’errance française sur la scène internationale depuis qu’elle a rompu avec une double tradition, gaulliste et communiste, qui lui a souvent permis – non sans errements – de balayer devant sa porte : la première par conviction anticolonialiste, la seconde par intelligence politique. Un jour viendra sans doute où on dira, pour faire la synthèse, que si la France a semé le chaos en Libye, en Syrie et au Yémen, au fond, c’était pour « partager sa culture », comme l’a affirmé François Fillon à propos de la colonisation française des siècles passés. Au pays des droits de l’homme, tout est possible, et même prendre des vessies pour des lanternes.

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Lectures complémentaires:

Païens en terre promise, décoder la doctrine chrétienne de la découverte

La Grande Loi du Changement (Taiaiake Alfred)

Un_manifeste_indigène_taiaiake_alfred

Meurtre par décret le crime de génocide au Canada

Manifeste pour la societe des societes

Comprendre-le-systeme-legal-doppression-coloniale-pour-mieux-le-demonter-avec-steven-newcomb1

Comprendre-le-systeme-legal-de-loppression-coloniale-pour-mieux-le-demonter-avec-peter-derrico1

Aime_Cesaire_Discours_sur_le_colonialisme

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

Peau_Noire_Masques_Blancs.Frantz_Fanon

 

Pour une résistance au colonialisme d’hier et d’aujourd’hui: « Peau noire, masques blancs » de Frantz Fanon (version pdf)

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Résistance 71

 

2 novembre 2019

 

Nous avons récemment publié une version PDF du « Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire, nous vous faisons (re)découvrir aujourd’hui la célèbre analyse anti-coloniale de Frantz Fanon, « Peau noire, masques blancs », publié en 1952.

Frantz Fanon (1925-1961) est un psychiatre martiniquais, philosophe, pan-africaniste et marxiste humaniste qui fut un fervent soutien à l’indépendance de l’Algérie. Très proche du FLN, il fut expulsé d’Algérie en 1957. Grand spécialiste de la décolonisation, il meurt de leucémie en exil volontaire à New York en 1961.  Il est enterré à Aïn Kerma en Algérie sous le nom d’Ibrahim Fanon.

Version PDF, mise en page Jo, JBL1960
Peau_Noire_Masques_Blancs.Frantz_Fanon

 

Pour une résistance au colonialisme d’hier et d’aujourd’hui… « Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire

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Résistance 71

 

19 octobre 2018

 

Avec l’aide de Jo de JBL1960 pour l’excellente mise en page pdf, nous vous proposons ci-dessous un des grands classiques de l’analyse critique du colonialisme publié en 1955 par Aimé Césaire: « Discours sur le colonialisme ». Pourquoi ? Parce que nous ne vivons en aucun cas dans un monde « post-colonial » comme l’oligarchie en place se plaît à nous le faire croire. Des continents entiers (Amériques, Océanie) sont toujours sous le joug colonial et oppriment en permanence les peuples originels aux endroits. Les ex-peuples colonisées sont toujours opprimées par des régimes issus d’un néo-colonialisme avéré et dont les élites corrompues bouffent toujours au râtelier de leurs anciens maîtres colonisateurs…
Halte à l’hypocrisie, sortir de la mentalité coloniale, de la relation oppresseur/opprimé fait partie intégrante de notre émancipation future. C’est une mission éducative qui passe par la connaissance et la mise au rancart de la dissonance cognitive dont bien des occidentaux font preuve.

Bonne lecture !

Aime_Cesaire_Discours_sur_le_colonialisme (PDF)

 

D’hier à aujourd’hui… Le pouvoir de dire Non ! à l’occident colonial…

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Quand on refuse on dit non ! De Lumumba à Cheikh Anta Diop

Moulzo

9 Avril 2016

url de l’article original:

http://www.afriquesenlutte.org/communiques-luttes-et-debats/livres-etudes-debats/article/quand-on-refuse-on-dit-non-de

 

Le discours du 30 juin 1960 de Patrice Lumumba devant le roi des Belges restera à jamais gravé dans les mémoires. Il déclare sans faillir et sans faire de courbettes à l’oppresseur : « Cette indépendance du Congo, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle, nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. » Lui aussi paiera cher cet affront. Assassiné par l’impérialisme américain et belge. Lumumba avait dit non ! Parce qu’il refusait que l’oppresseur s’approprie la victoire des Congolais.

« Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage », avait lancé Ahmed Sékou Touré au général De Gaulle, le 28 septembre 1958, à l’occasion du référendum sur le projet de Constitution proposé par De Gaulle, pour l’établissement d’une Communauté franco-africaine. La Guinée est ainsi le seul territoire, parmi les colonies françaises d’Afrique, à prendre le chemin de l’indépendance. Celle-ci sera prononcée le 2 octobre 1958. La Guinée avait dit non pendant que Senghor, Houphouët-Boigny et tous les autres acceptaient le piège tendu par la France. L’histoire retiendra que De Gaulle en oublia sa casquette et la vengeance de la France fut immédiate : le retrait de toute l’administration française. Ahmed Sékou Touré était certes un homme courageux, un homme d’honneur mais à cause des attaques répétées de la France et de ses valets contre le peuple guinéen, il est devenu paranoïaque enfermant les opposants politiques au tristement célèbre camp Boiro.

Frantz Fanon aussi avait dit non ! Non à la colonisation française, lui qui avait choisi le camp de ceux et celles qui combattent pour leur liberté. Fanon était-il français, martiniquais ou algérien ? Certainement les trois à la fois et même plus que ça d’ailleurs. Fanon n’avait pas de patrie ou alors sa patrie était celle de tous les damnés et les opprimés de la terre. Il avait choisi d’être algérien pour se battre contre la colonisation et les injustices qui en émanaient mais il aurait tout aussi bien été congolais s’il avait été témoin sur place de l’injustice coloniale ou encore indochinois. L’auteur de Peau noire, masque blanc (1952) », l’An V de la révolution algérienne (1959), les Damnés de la terre (1961), Pour la révolution africaine (1964) était avant tout un homme d’action, un homme de dépassement, un sans-patrie, bref un homme au sens le plus global de ce terme, un homme intégral.

L’œuvre de Cheikh Anta Diop contribua à la reconnaissance d’une Égypte pharaonique nègre, bien que les égyptologues européens de l’époque aient eu beaucoup de mal à l’admettre. Il était effectivement bien difficile d’accepter que les maîtres des pyramides, de calculs mathématiques si complexes, qui ont enseigné la géométrie à Pythagore et à Thalès puissent être de la même couleur noire que ceux-là même qu’on domine et colonise, en prétendant leur apporter la civilisation. Comment admettre en effet que Ramsès II, Toutankhamon et Akhenaton soient des nègres…

Et pourtant, les démonstrations de Cheikh Anta Diop sont claires comme l’eau de roche. « Pour nous, écrit Cheikh Anta Diop, le retour à l’Égypte dans tous les domaines est la condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire, pour pouvoir bâtir un corps de sciences humaines modernes, pour rénover la culture africaine. Loin d’être une délectation sur le passé, un regard vers l’Égypte antique est la meilleure façon de concevoir et de bâtir notre futur culturel. L’Égypte jouera, dans la culture africaine repensée et rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture occidentale ». Cheikh Anta Diop a su aller à contre-courant de la pensée coloniale dominante, redonnant à l’Afrique ses lettres de noblesse. Il a su dire non à ceux qui véhiculaient une image fausse du Nègre pour le dominer encore plus.

Oui, quand on refuse on dit non !

Résistance politique: État d’urgence arme colonialiste d’oppression du peuple…u

Posted in actualité, colonialisme, démocratie participative, France et colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, média et propagande, militantisme alternatif, N.O.M, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, police politique et totalitarisme, politique et lobbyisme, politique et social, politique française, résistance politique, terrorisme d'état, Union Europeenne et nouvel ordre mondial with tags , , , , , , , , , , , , on 26 décembre 2015 by Résistance 71

Nous l’avons dit et le répétons: « Nous sommes tous colonisés » ! Nous devons impérativement en prendre une conscience aigüe et agir en conséquence. L’État est colonialiste par nature, il opprime et impose son idéologie du rapport maître/esclave, gouvernement/citoyen/peuple asservi, qu’il juge bon et nécessaire à la bonne marche du consensus oligarchique. Avant de coloniser « l’autre », il faut d’abord coloniser les esprits domestiques. L’État et son oligarchie colonise son propre peuple en premier lieu, puis le persuade de sa « mission civilisatrice religieuse ou laïque » envers l’autre qui est alors diabolisé et déshumanisé. La recette est toujours la même, elle fonctionne comme par hypnose depuis la création de l’État. Cette mesure inutile et abusive « d’état d’urgence » imposée au peuple de France, n’est qu’une reprise en main coloniale du pouvoir sur ses « citoyens » réduits à la plus simple expression de votards et de payeurs de dîme et de gabelle. Le pire est à venir. Solution ? Retrait de notre consentement. La mesure dictatoriale de l’État d’urgence empêche les manifs ? Excellent, elles ne servent plus a rien depuis bien longtemps… La fenêtre d’opportunité est donc ouverte pour que les gens commencent à s’organiser entre eux, dans les voisinages sur les lieux de travail, parler, discuter, mettre en place la société parallèle des associations libres qui se confédéreront et ignoreront, boycotteront les institutions et feront fonctionner la société sans plus aucune interaction avec des institutions tout aussi inutiles qu’oppressives. Il n’y a pas de solutions au sein du système, n’y en a jamais eu et n’y en aura jamais… il est quand même plus que grand temps de le comprendre, de l’admettre et d’agir en conséquence, unis et motivés pour un changement radical de paradigme politico-social sans armes, ni haine, ni violence. Ceci ne relève pas du tout de « l’utopie », ce que l’oligarchie a mis en place est en revanche une totale illusion, mascarade et supercherie politico-sociale dont il faut impérativement nous départir, pour retourner vers une société organique, une société des sociétés comme le disait Gustav Landauer, il en va tout simplement de notre survie !

— Résistance 71 —

 

État d’urgence colonial

 

Matthieu Lopes

 

14 décembre 2015

 

url de l’article original:

http://survie.org/billets-d-afrique/2015/252-decembre-2015/article/etat-d-urgence-colonial-5054

 

Les mesures d’exception qui frappent en ce moment la France ont concerné d’abord les colonies mais ont aussi jalonné l’histoire de la République sur le territoire hexagonal. L’action policière vise aujourd’hui les mêmes « ennemis intérieurs » que ceux désignés depuis toujours par la doctrine militaire, résultat de plus d’un-demi siècle d’imprégnation d’une idéologie raciste et réactionnaire issue du colonialisme.

L’adoption début avril 1955 de la loi qui encadre l’état d’urgence fut une réponse de l’État français à l’activisme du FLN en Algérie. Face à un organisation diffuse qui mena plusieurs attentats contre l’occupant français, la voie militaire ne suffisait pas selon les autorités. Pour l’historienne Sylvie Thénault [1] le « cortège de mesures » de l’état d’urgence permet « de contrôler l’espace, les idées, les individus » en permettant des perquisitions administratives, des couvre-feu, des assignations à résidence ou encore le contrôle de la presse. Afin de ne pas présenter cette action comme discriminatoire vis-à-vis de l’Algérie, que le mythe national présentait comme partie intégrante de la France, l’état d’urgence fut alors inscrit dans le droit français comme pouvant s’appliquer sur l’ensemble du territoire.

Le texte rencontra en 1955 une vive opposition des communistes, des socialistes, ou des Verts : « loi scélérate », « loi de la terreur », « état de siège fictif aggravé », loi « stigmatisante, violente et inutile », synonyme de « guerre civile », « complètement délirante de militarisation, de quadrillage outrancier, qui permet tous les dérapages » [2]. Les communistes dénoncèrent la mise en place d’une « arme redoutable » contre le mouvement ouvrier français. L’état d’urgence fut déployé progressivement sur toute l’Algérie et dura trois mois, durant lesquels l’ensemble de l’arsenal répressif fut utilisé contre les algériens.

L’autre utilisation connue de cette loi sur un territoire colonisé eu lieu en 1985 en Kanaky (Nouvelle-Calédonie). Alors que la lutte indépendantiste prenait de l’ampleur, l’état d’urgence y fut décrété au lendemain d’un assaut du GIGN qui abattit les militants Eloi Machoro et Marcel Nonnaro, lors de l’occupation de la maison d’un Européen.

La France sous état d’urgence

L’état d’urgence fut utilisé brièvement en France en 1958, pour deux semaines, face au coup d’état d’Alger qui amena De Gaulle au pouvoir. Ce dernier modifia alors la loi sur l’état d’urgence, qui peut, depuis, être décidé directement par l’exécutif (et non plus par le parlement). Le putsch des généraux à Alger en avril 1961 justifia la mise sous état d’urgence de l’ensemble du territoire métropolitain jusqu’en mai 1963. Bien au-delà de l’extrême-droite qui menaçait de renverser les intsitutions, les dispositifs furent amplement employés contre les algériens de part et d’autre de la Méditerranée. Ainsi, l’assignation à résidence prévue par l’état d’urgence donna lieu à un véritable internement des algériens : dans des « centres de détention administrative (CDA) en Algérie, et, en France, centres d’assignation à résidence surveillée (CARS) ». « La malléabilité de l’assignation à résidence, qui peut se traduire par l’obligation de résider dans un « centre », a ainsi permis l’internement alors que les camps étaient légalement interdits. » [3].

D’après l’historien Benjamin Stora, « entre 1957 et 1962, on peut estimer à environ 10 000 le nombre d’Algériens qui […] ont passé de un à deux ans dans les camps en France ». Cette période marqua l’importation de l’idéologie et des pratiques coloniales en France. Plusieurs personnalités de la droite française, en novembre 2015, appellent à la création de centre d’internement des « fiches S » (personnes qui font l’objet d’une attention particulière pour les services de renseignement) [4].

Autre mesure prévue par l’état d’urgence, le couvre-feu fut notablement employé par Maurice Papon, alors préfet de police de Paris, à l’encontre spécifiquement des « Français musulmans » [5]. La manifestation qui protestait contre cette mesure fit l’objet d’une sanglante répression : plusieurs centaines d’Algériens furent massacrés dans Paris le 17 octobre 1961.

En 2005, lors des émeutes dans les quartiers populaires de France suite à la mort de deux adolescents poursuivis par la police, l’état d’urgence fut encore exhumé et utilisé pour y établir des couvre-feux. Alors que ce dispositif était superflu selon les critères de la logique répressive, Sylvie Thénault envisage l’hypothèse que cette loi n’aurait alors pas été « choisie en dépit de son origine coloniale » mais « précisément en raison de cette origine », « le Premier ministre pouvait estimer qu’il tirerait bénéfice de la proclamation de l’état d’urgence auprès de [l’] opinion majoritaire ». En effet, alors que tous les stéréotypes racistes marquent la figure du « jeune de banlieue » envers lequel il conviendrait d’appliquer la plus grande fermeté, jusqu’à souhaiter l’intervention de l’armée dans les quartiers populaires, une telle mesure pouvait espérer séduire un certain électorat. Les mêmes calculs sont probablement faits par les gouvernants socialistes de 2015.

Bien loin des critiques vigoureuses de leurs prédécesseurs de 1955, en novembre 2015, seuls six députés (trois socialistes, trois écologistes, aucun communiste) se sont opposés à la prolongation de l’état d’urgence suite aux attentats de Paris. Pourtant cette mesure n’est pas plus efficace pour mener l’enquête sur les attentats que le plan Vigipirate ou l’opération Sentinelle ne l’ont été pour les empêcher. Ainsi, le Syndicat de la magistrature (29/11) a fait part de son opposition à l’état d’urgence tout en listant les nombreuses mesures qui permettaient déjà, en régime habituel, d’enquêter et de lutter contre des actes terroristes.

À ce jour, plus de 2000 perquisitions administratives et 519 gardes à vue ont été menées, dont 317 suites aux arrestations de manifestants contre la COP 21 place de la République, à Paris, le 29 novembre. 300 personnes sont assignées à résidence, dont 24 en lien avec la mobilisation contre la COP 21 (Le Monde, 30/11 [Ndw : depuis, ces chiffres ont augmenté]). Le site Mediapart (27/11),qui a eu accès à la liste détaillée des perquisitions menées en Seine Saint-Denis et de leur motivations, pointe des résultats très faibles et des motivations parfois bien vagues, relevant par exemple de la seule pratique d’un islam rigoriste. La majorité des perquisitions semblent n’avoir aucun lien avec les récents attentats, mais semblent plutôt permettre à la police de s’affranchir de tout contrôle judiciaire dans des affaires de droit commun. Le syndicat Alliance reconnaît ainsi que « les mesures liées à l’état d’urgence pourraient aussi permettre de « faire avancer » des affaires en cours » (20 Minutes, 17/11).

L’utilisation de l’arbitraire permis par l’état d’urgence pour réprimer l’opposition d’ampleur qui s’annonçait à la COP 21 est criante. Mais surtout, l’état d’urgence marque une nouvelle étape dans la violence d’État à l’encontre des musulmans de France. Plus de 250 personnes sont ainsi assignées à résidence, sans aucune charge, pour toute la durée de l’état d’urgence, là où cette peine est limitée à la durée de la COP21 pour les militants de gauche. Et le gouvernement envisage déjà de prolonger de trois mois supplémentaires l’état d’urgence.

De nombreux témoignages font état de domiciles saccagés, de passages à tabac et d’insultes parfois racistes lors de certaines perquisitions [6]. Dans plusieurs cas, la police a choisi de défoncer des portes alors que les propriétaires avait proposé les clés. Le 25 novembre, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a même dû rappeler pudiquement aux préfets, dans une circulaire « que les policiers ou les gendarmes qui procèdent [à une perquisition] sont tenus d’être exemplaires dans son exécution », rappelant notamment qu’une perquisition « même en état d’urgence, doit être nécessaire et motivée » et que « dans un premier temps et dans toute la mesure du possible, l’ouverture volontaire de la porte devra être recherchée ». Il résume : « l’état d’urgence n’est en aucune façon une dérogation à l’Etat de droit ». Et pourtant c’est exactement ce dont il s’agit, la France ayant même indiqué au Conseil de l’Europe qu’elle dérogerait à ses obligations en matière de droits de l’Homme pendant la période.

De nombreux collectifs dénoncent depuis longtemps les crimes policiers à dimension raciste qui font l’objet d’une impunité systématique. Récemment, l’État a été condamné pour les contrôle aux faciès pratiqués par ses fonctionnaires [7]. L’état d’urgence a tout d’un lâcher de bride pour un corps amplement marqué par le racisme [8], comparable, dans l’esprit, à la liberté laissée à la police parisienne en 1961, sans que le niveau de violence soit comparable à ces massacres, heureusement.

Membres supposés de « la mouvance contestataire radicale » ou « Français musulmans », l’état d’urgence, issu de la guerre d’Algérie, désigne et frappe les mêmes « ennemis intérieurs » que ceux définis par la doctrine de guerre révolutionnaire, dont il est un des outils.

 

[1] Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement Social n°218.

[2] Citations compilées par S. Thénault. op. cit.

[3] Sylvie Thénault, « Interner en République : le cas de la France en guerre d’Algérie », Amnis.

[4] Laurent Wauquiez, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen se sont fendus de déclarations en ce sens.[Ndw : depuis, le gouvernement socialiste a demandé au Conseil d’État si une telle mesure serait légale.]

[5] Le gouvernement disposait alors des « pouvoirs spéciaux », étendus de l’Algérie à la France depuis 1957, qui auraient probablement permis de décréter ce couvre-feu même sans l’état d’urgence.

[6] Cf. le site du Collectif contre l’islamophobie en France, le blog Observatoire de l’état d’urgence du Monde ou les témoignages récoltés par le Collectif pour une union antiraciste populaire à Toulouse.

[7] L’État s’est depuis pourvu en cassation.

[8] Cf. par exemple, La force de l’ordre, une anthropologie de la police des quartiers, Didier Fassin, éditions du Seuil.

Résistance au colonialisme: L’armée française rackette pour le gros business…

Posted in actualité, colonialisme, documentaire, France et colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, politique et lobbyisme, politique et social, politique française, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 4 décembre 2014 by Résistance 71

L’article de Granvaud cite les troupes de marine dite de la « coloniale », profitons-en pour rappeler ce que déclarait un officier supérieur d’autres troupes coloniales, celles des Etats-Unis, le général du Corps des US Marines (USMC) Smedley Butler, Marines qui sont ce que nous appelons en France les régiments RIMA et RPIMA. Voici ce qu’ils disaient dans les années 1930 dans son livre célèbre « War is a Racket », « La guerre est un racket »:

« J’ai passé 33 ans dans les Marines, la plupart de mon temps comme un garde du corps du gros business de Wall Street et des banquiers. En bref, j’étais un racketteur pour le capitalisme. »

Qu’a fait et que fait toujours l’armée française et sa « coloniale » en République Centre Africaine, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Sénégal, au Burkina Faso, au Niger, en Algérie.

Éclairage…

— Résistance 71 —

 

Le dossier noir de l’armée française en Afrique

 

Raphaël Granvaud

 

3 décembre 2014

 

url de l’article original:

http://www.michelcollon.info/Le-Dossier-noir-de-l-armee.html?lang=fr

 

Que fait l’armée française en Afrique ? (1) , c’est le titre du dernier “ Dossier noir ” de l’association Survie paru aux éditions Agone. Un dossier on ne peut plus actuel. Rencontre avec son auteur, Raphaël Granvaud, qui revient sur certaines questions abordées dans ce dossier.

La troisième partie de votre livre s’intitule “la réhabilitation du colonial”, j’ai ressenti un vrai malaise à sa lecture. Je ne savais pas que l’armée française, du moins les forces spéciales opérant en Afrique, étaient travaillées à ce point par la nostalgie du colonialisme. Je me demande s’il ne faut pas voir dans la forte implication militaire française en Afrique, au-delà des enjeux économiques et géopolitiques, une manifestation de puissance. Comme si la France n’avait toujours pas digéré les indépendances africaines, comme si elle ne pouvait renoncer à être une “plus grande France” (formule qui désignait l’empire français)…

Les hommes politiques le revendiquent très clairement, qu’il s’agisse de Mitterrand, de Chirac ou de Sarkozy, on retrouve toujours dans leurs discours l’idée que “la France doit garder son rang dans le monde”. On sent bien que c’est l’argument qui légitime le maintien de cette présence militaire en Afrique. Bien sûr cette présence offre de nombreux avantages : elle conditionne, dans une large mesure, la possibilité d’entretenir des situations de monopole économique dans certains pays et de surveiller des ressources stratégiques.

D’ailleurs certains régimes africains comme ceux du Tchad ou de la Centrafrique ne tiennent que par la force des armes, que par le soutien de l’armée française.

Depuis les indépendances, le prétexte majeur du maintien de la présence militaire française c’est de défendre les pays africains, avec lesquels on a passé des accords militaires, contre des agressions extérieures. Dans les faits, il n’y a quasiment jamais eu d’agressions extérieures, l’armée française n’a servi qu’à gérer les problèmes internes à des régimes confrontés à des rébellions armées ou à des mouvements populaires.

Le plus souvent, les armées des Etats africains postcoloniaux se comportent vis-à-vis de leurs propres populations comme des armées d’occupation. Leurs forces armées sont conçues avant tout pour répondre au péril de l’ “ennemi intérieur” et non à celui d’une agression extérieure. Vos analyses montrent clairement la responsabilité de la France dans cet état de choses.

Absolument, ça faisait partie du kit théorique doctrinal qui a été inculqué aux officiers africains formés dans les écoles militaires françaises. Il faut rappeler qu’au moment des indépendances, les armées africaines sont créées de toute pièce : elles constituent alors une sorte de prolongement de l’armée coloniale française. Les armées africaines sont des filiales de l’armée française, elles sont structurées sur le même modèle, formées à partir de la même idéologie : la doctrine militaire de la “guerre révolutionnaire”, de la “contre-insurrection” qui veut que le rôle principal de l’armée soit le “contrôle de la population”. Mais pour les armées africaines, il ne s’agit pas du contrôle d’une population étrangère comme dans le cas de l’armée française en Algérie. La mission des militaires africains est de contrôler leurs propres populations, mais avec les mêmes méthodes que l’armée française a employées dans ses guerres coloniales. C’est ce qui s’est passé au Cameroun, au moment de l’indépendance, dans la guerre sanglante menée contre les maquis de l’UPC (Union des Populations du Cameroun). Dans le cas du Rwanda, le chercheur Gabriel Périès a retrouvé des mémoires d’officiers rwandais, formés en France dans les années 80-90, dans lesquels on retrouve cette obsession de lutter contre l’ennemi intérieur, de mettre en œuvre des tactiques contre-insurrectionnelles. Menée à son terme, la logique du “ contrôle de la population ” conduit au génocide…

En dressant la généalogie de la guerre contre-insurrectionnelle, votre livre souligne les continuités et similitudes qui existent entre guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie et guerres postcoloniales du Cameroun (une guerre occultée) et du Rwanda.

Je n’ai fait que rapporter des travaux qui existent sur le sujet. Officiellement, depuis la fin de la guerre d’Algérie, ces théories contre-insurrectionnelles sont remisées et des méthodes comme la torture ou la guerre psychologique proscrites. Dans les faits, il y a eu une première vague d’exportation des tactiques anti-subversives françaises à destination des dictatures sud-américaines : des gens comme le général Aussaresse (connu pour ses révélations sur l’usage systématique de la torture en Algérie) ont pu ainsi continuer à transmettre leur “ savoir-faire ”… Puis ce savoir-faire anti-insurrectionnel a été recyclé en Afrique francophone pour gérer les indépendances et la période post-indépendance. Moi, ce que j’ai essayé de montrer, c’est que cette tradition de la “guerre révolutionnaire” se poursuit aujourd’hui, de façon plus subtile. Quand on lit les publications militaires contemporaines, on retrouve des références à des gens comme Trinquier (théoricien principal de la “guerre contre-insurrectionnelle”), mais aussi des références aux techniques de conquête coloniale de Liautey ou de Gallieni (guerres coloniales de “pacification” fin 19ème – début 20ème siècle) ; des stratèges qui reviennent au goût du jour quand il s’agit de penser des situations de conflit comme celles de l’Afghanistan ou de la Côte d’ivoire.

Sur le plan des savoir-faire et des discours, l’armée française entretient donc un rapport intime avec son histoire coloniale. Y a-t-il une spécificité de l’armée française de ce point de vue là ?

Les militaires français considèrent qu’il y a une tradition culturelle française plus forte que celle des anglo-saxons sur le plan du contact avec les populations. L’armée française prétend détenir un vrai savoir-faire lui permettant de mieux se faire accepter en tant qu’armée d’occupation. C’est la question du “contrôle des populations”. Pour les militaires français, il ne faut pas faire comme les Américains qui arrivent, militairement par la force, et qui ensuite se barricadent. L’armée française se flatte d’être capable d’agir de manière psychologique, en menant des opérations “civilo-militaires” pour faire accepter auprès des populations civiles la présence des militaires. Toujours avec cette idée, qui remonte à l’Indochine, qu’on va pouvoir séparer dans la population le bon grain de l’ivraie, et couper les rébellions de leurs bases populaires.

L’armée française a-t-elle recours à des savoirs de type ethnologique dans son approche des populations des pays occupés ?

Quand on gratte un peu, on retombe toujours sur une espèce de prêt à penser, directement issu de la période coloniale. Les forces spéciales françaises sont sensées, en plus d’un savoir-faire proprement militaire, posséder un savoir culturel, ethnologique qui les rendrait plus à même d’opérer dans certaines zones géographiques du monde, en particulier en Afrique. Ces savoirs “culturalistes” reposent sur des conceptions complètement dépassées d’un point de vue universitaire. Quand on lit des interventions d’officiers dans des colloques, on trouve des choses absolument ahurissantes comme : “la présence de l’armée française est nécessaire parce que les Africains ont du mal à se projeter dans l’avenir”. Les mêmes clichés éculés qui émaillaient le discours de Dakar de Sarkozy : ce vieux fond colonial qui prétend être une connaissance permettant une intervention sur des populations.

Revenons sur le cas du Cameroun, le premier pays africain, en 1960, à accéder à l’indépendance (le 1er janvier). Du milieu des années 50 au début des années 70, il s’est produit une véritable guerre dans ce pays : des dizaines de milliers de morts, plus de 100 000 selon certaines sources. Cette guerre menée contre l’UPC par un régime à la solde de la France relève-t-elle, elle aussi, de la guerre “anti-insurrectionnelle” ?

Le chercheur Gabriel Périès a montré récemment comment les dispositifs mis en place en Algérie ont été décalqués au Cameroun à la même époque (2). Le quadrillage des territoires, la torture à grande échelle, la déportation des populations, la politique de la terre brûlée, tout ce qui se faisait en Algérie a été repris tel quel au Cameroun. Il faut signaler sur le sujet l’excellent documentaire “Autopsie d’une indépendance” (3) dans lequel on peut entendre Mesmer déclarer à propos des bombardements des villages au napalm que “ce n’est pas important”. Ce sont des choses qui, ces dernières années, commencent à remonter à la surface.

Cela remet donc complètement en question le mythe d’une “décolonisation douce”…

La “ décolonisation en douceur ” reste la version officielle si l’on se réfère aux programmes scolaires en histoire au collège ou au lycée. Un des enjeux de l’étude de la décolonisation c’est de montrer qu’il y a eu, d’un côté, une décolonisation violente, celle de l’Algérie et, de l’autre, une décolonisation qualifiée de pacifique, de “douce”. Les cas du Cameroun et de Madagascar suffisent à montrer que c’est un mythe complet : le mythe des indépendances en douceur préparées par Deferre et de Gaulle après la conférence de Brazzaville en 46. Dans les faits, tout ce qui a été concédé par la France l’a été contre le gré de la métropole, souvent après des tentatives désespérées de reprise en main violentes. Cela s’est accompagné d’un processus d’élimination des mouvements indépendantistes et de leurs leaders, mais aussi de la promotion d’hommes politiques à la dévotion des intérêts français. Dans l’après-guerre, il y a eu une émergence de mouvements indépendantistes, autonomistes, progressistes, révolutionnaires, un vent d’espoir irrésistible : il y avait des idéologies variées qui mobilisaient les populations, et ces mouvements ont été étouffés, brisés, parfois, comme dans le cas du Cameroun, complètement éradiqués. Il y a donc eu une longue période où les populations africaines ont été orphelines d’un certain nombre de mouvements et de leaders. Ça commence à renaître maintenant avec les mouvements sociaux africains et les contre-sommets où la question de la domination néocoloniale est au centre des préoccupations de la société civile ; qu’il s’agisse de la présence française ou de systèmes plus mondialisés comme la dette et les politiques imposées par le FMI et la Banque Mondiale.

Revenons à l’armée française. Dans votre livre vous mentionnez un “détail” qui fait froid dans le dos : les troupes de marine sont toujours surnommées la “Coloniale”…

Les questions de tradition et d’identité sont des questions extrêmement fortes, en particulier dans les forces spéciales, dans cette composante de l’armée française issue de l’armée coloniale. Les troupes de marine sont extrêmement fières de leur passé colonial, elles en revendiquent l’esprit et les méthodes. Les prises d’armes comme les éditoriaux de leur revue L’Ancre d’or continuent à se clôturer sur ces mots “ Et, au nom de Dieu, vive la Coloniale ! ”

Et j’imagine qu’on retrouve souvent ces troupes de marine dans les opérations françaises menées en terre africaine.

Elles composent en effet la majeure partie des forces spéciales auxquelles on fait appel lors des opérations sensibles : des opérations “coups de poing”, des opérations à forte teneur en renseignement. On les retrouve également dans les opérations européennes (EUFOR). Lors de la première d’entre elles, en République Démocratique du Congo, en 2003, la France s’était flattée d’avoir inculqué un certain nombre de méthodes à des forces militaires européennes, en particulier aux forces spéciales suédoises. Depuis on se demande quelles méthodes puisque parmi ces forces suédoises, certains militaires s’étaient plaints auprès de leur hiérarchie d’avoir eu à subir la vision d’actes de torture pratiqués par des militaires français sur des congolais. Ca a fait beaucoup de bruit en Suède, beaucoup moins en France…

Est-ce qu’il y a un contrôle du Parlement français sur les opérations militaires menées en Afrique ?

Théoriquement, depuis la modification constitutionnelle opérée à l’été 2008, il y a un droit de regard du parlement sur les opérations extérieures, mais un droit extrêmement limité. Les députés ont le droit d’être informé d’une opération extérieure dans les 3 jours après son déclenchement, ils restent donc mis devant le fait accompli. Le parlement ne possède un pouvoir de contrôle que sur les opérations lourdes de plus de 4 mois (qui ne représentent qu’une petite partie des opérations militaires) dont il peut refuser le renouvellement. Il n’y a aucun contrôle par contre sur les opérations secret-défense spéciales et les opérations clandestines de la DGSE.

Le Tchad et la République Centrafricaine (RCA) représentent certainement aujourd’hui l’exemple le plus caricatural de l’ingérence militaire française dans certaines régions d’Afrique. Vous consacrez d’ailleurs une place importante dans votre livre à ces deux terrains d’intervention.

En 2006, en RCA, la France a monté une opération du même type que Kolwezi (sauvetage du régime de Mobutu grâce à l’intervention des parachutistes français) : l’armée française a largué des parachutistes pour reconquérir Birao, dans l’ignorance totale de la population française mais aussi des parlementaires. Cette opération a sauvé le régime du président centrafricain Bozizé. Ce type d’opération reste aujourd’hui tout à fait possible. Plus récemment, lors de la dernière offensive sérieuse des rebelles sur la capitale tchadienne, il y a eu une intervention officielle de l’armée française sous prétexte de sécuriser ses ressortissants. Cette opération a permis de sécuriser l’aéroport d’où ont pu décoller les mercenaires d’Idriss Deby… D’après le journal La Croix, la “sécurisation” de l’aéroport de N’Djamena s’est accompagnée aussi d’une intervention militaire des forces spéciales françaises qui ont pris directement part aux combats contre les rebelles : une opération clandestine qui n’est toujours pas reconnue par les autorités françaises…

Dans son dernier rapport sur la Centrafrique, Human Rights Watch est très critique par rapport aux dernières interventions de l’armée française en RCA.

Dans le rapport qu’elle a publié en 2007, l’ONG a pointé un certain nombre de choses : elle a détaillé la politique de terre brûlée menée par l’armée centrafricaine à l’égard des populations du Nord, des populations accusées de soutenir les mouvements rebelles. Là aussi, on retrouve les techniques coloniales françaises : il s’agit de terroriser les populations afin de priver de leur soutien les mouvements rebelles. Les exactions les plus graves ont été commises dans le sillage direct des interventions militaires françaises. Après la reprise de Birao par l’armée française, cette ville a été ravagée par les forces centrafricaines. A l’époque, dans les journaux, les militaires français ont fait peser la responsabilité des destructions sur les rebelles. On sait depuis qu’il s’agissait d’une tentative de dissimulation qui relève de la complicité de crime de guerre. Il y a également dans le rapport de HRW des photos qui interrogent : on voit des officiers français à proximité directe de l’OCRB (Office Central de Répression du Banditisme), une sorte de milice qui se livre à des exécutions sommaires.

Vu la nature de ses interventions en Afrique, la France est-elle vraiment en mesure de commémorer le cinquantenaire des “indépendances” africaines ?  On sent qu’il y a un gros malaise au niveau de la commémoration de ce cinquantenaire. Ce malaise n’est pas étranger au fait que toutes les interventions orales de Nicolas Sarkozy [ et François Hollande] sur la question de l’Afrique affirment une volonté de rupture avec les pratiques de ses prédécesseurs. Mais en dehors des discours, de rupture on n’en voit pas : c’est toujours le règne des pressions diverses, des émissaires occultes, des accords secrets, des opérations clandestines. On va avoir en guise de célébration des choses assez caricaturales : un défilé du 14 juillet où, sous couvert de rendre hommage aux tirailleurs africains, on va inviter des armées comme celles du Cameroun ou du Congo connues pour leurs exactions envers les populations. La véritable décolonisation et la célébration de cette décolonisation restent à faire…

Source : Survie

Notes

  1. Que fait l’armée française en Afrique ? Editions Agone, oct. 2009.
  2. cf. Une guerre noire, enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994), Gabriel Périès et David Servenay, Editions La Découverte, 2007.
  3. Cameroun, Autopsie d’une indépendance, réalisation Gaëlle Le Roy et Valérie Osouf, durée 52′, production : France 5 / Program 33, 2007.

Quelques références :

En Centrafrique, stratégie française et enjeux régionaux http://www.monde-diplomatique.fr/20…

État d’anarchie (rapport Human Rights Watch sur la RCA) Rébellions et exactions contre la population civile http://www.hrw.org/fr/reports/2007/…

Cameroun : retour sur une décolonisation sanglante http://www.afriscope.fr/spip.php?ar…

Où est le “centre” de l’Afrique ? http://www.africultures.com/php/ind…

Marchés militaires et économie de la prédation, des pays du lac Tchad et du Soudan occidental au Golfe de Guinée. http://www.africultures.com/php/ind…

Cinquante ans de décolonisation africaine http://www.africultures.com/php/ind…

Politique française: La ligne Hollande est celle de la destruction de la république française…

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François Hollande se révèle

 

Thierry Meyssan

 

14 Avril 2014

 

url de l’article:

http://www.voltairenet.org/article183193.html

 

L’opinion publique française a accueilli avec scepticisme la nomination d’un nouveau gouvernement après la défaite électorale des socialistes aux élections municipales. Elle accepte avec résignation les réformes annoncées dans l’intérêt économique général. En réalité, observe Thierry Meyssan, le changement de gouvernement n’a rien à voir ni avec l’échec économique, ni avec l’occasion présentée par cette défaite électorale, mais reproduit un exemple historique permettant au président Hollande de révéler progressivement ses choix politiques personnels. De même la réforme territoriale, telle qu’envisagée, n’a rien à voir avec des économies budgétaires, mais avec le projet de liquidation de la République française.

Présenté comme une réponse à la défaite socialiste aux élections municipales des 23 et 30 mars 2014, le nouveau gouvernement de Manuel Valls acte en réalité le virage opéré par François Hollande lors de sa conférence de presse du 14 janvier. Le président, élu comme ancien Premier secrétaire du Parti socialiste, ne réfute pas le modèle du colonisateur Jules Ferry dont il s’est inspiré jusqu’ici, mais veut en plus y ajouter le modèle des relations avec les grandes entreprises du chancelier allemand Gerhard Schröder.

Lors de son intronisation, le président Hollande plaça son quinquennat sous les auspices de Jules Ferry (1832-1893) qui défendit les intérêts du grand capital français en développant le colonialisme [1]. L’auguste socialiste rendit aussi l’école laïque gratuite et obligatoire pour que les « hussards noirs » (c’est-à-dire les instituteurs et non pas les sergents recruteurs) y forment les jeunes Français afin qu’ils deviennent les soldats de l’expansion coloniale et de la Première Guerre mondiale. Simultanément, Jules Ferry enclencha une lutte contre l’Église catholique, détournant ainsi la colère des classes opprimées de la haute bourgeoisie vers le clergé.

La première partie du mandat de François Hollande fut donc marquée par la relance de la guerre en Syrie —dont Nicolas Sarkozy s’était retiré après la chute de l’Émirat islamique de Baba Amr— [2], l’intervention au Mali à la demande du président mis en place par la France [3], puis l’intervention en République centrafricaine [4]. Toutes ces aventures furent coordonnées depuis l’Élysée, souvent contre l’avis de l’état-major interarmes et du ministre de la Défense, par le chef de cabinet militaire, le général traditionaliste Benoît Puga [5].

En outre, le président Hollande réalisa une réforme de la législation sur le mariage pour l’ouvrir aux personnes de même sexe, non que cette loi soit une demande des homosexuels, mais parce qu’elle divisa son opposition politique et assimila la droite à une forme d’obscurantisme. Il s’apprêtait à imposer également la théorie du genre de Judith Butler, mais semble avoir reculé niant même l’existence des travaux de la féministe.

La seconde partie du quinquennat, annoncée le 14 janvier, soit deux mois et demi avant les élections municipales, se veut « sociale-démocrate », au sens de l’Agenda 2010 du chancelier allemand Gerhard Schröder : il s’agit de redresser la production en facilitant le travail des grandes entreprises. Menée il y a une décennie, cette politique allégea l’État fédéral, rendit les entreprises exportatrices plus compétitives, mais augmenta considérablement les disparités sociales et la pauvreté. François Hollande reçut même à l’Élysée Peter Hartz, l’ancien conseiller du chancelier Schröder, mais nia vouloir en faire son propre collaborateur : l’ancien directeur du personnel de Volkswagen avait été condamné à deux ans de prison pour avoir corrompu les syndicalistes de son entreprise en leur payant pour 2,6 millions d’euros de prostituées et de voyages exotiques. Il n’a pas été précisé si le président Hollande souhaite suivre l’exemple de Peter Hartz jusqu’à sa quatrième réforme qui limite à trois mois la durée des assurances chômage.

Le président annonça également son intention de clore l’épisode du « mariage pour tous » qui commençait à menacer l’unité de sa propre majorité parlementaire.

Les élections municipales

Jamais dans l’histoire de France des élections municipales ne débouchèrent sur un changement de gouvernement. Il semblait en effet impossible de tirer des conclusions nationales de scrutins exclusivement locaux. Pourtant, si l’on considère les 788 communes de plus de 50 000 habitants (correspondant à 23 % de la population), on observe une abstention record, principalement parmi les électeurs ayant voté deux ans plus tôt pour François Hollande. L’ampleur du désaveu fut telle que de nombreuses mairies traditionnellement ancrées à gauche passèrent à droite, au profit de l’UMP.

Transformant cette défaite en occasion pour réaliser sa mue, le président Hollande annonça la nomination d’un nouveau Premier ministre, Manuel Valls, et le chargea de former un nouveau gouvernement « resserré, cohérent et soudé » afin de mettre en œuvre ses annonces du 14 janvier. Le président pense ainsi suivre les pas de François Mitterrand qui, en juillet 1984, congédia son Premier ministre ouvriériste Pierre Mauroy, abandonna ses 101 propositions, et désigna un grand bourgeois, Laurent Fabius, pour conduire une politique plus « réaliste ».

De même que les communistes refusèrent de participer au gouvernement Fabius chargé de brader les promesses sociales de l’élection présidentielle, de même les Verts se retirèrent du gouvernement Valls, refusant de partager son échec prévisible. De même que François Mitterrand avait choisi un Premier ministre juif et sioniste pour apaiser l’hostilité d’Israël, de même François Hollande a t-il choisi une des personnalités les plus engagées en faveur de la colonisation de la Palestine. De même que Laurent Fabius était un Premier ministre trop jeune et inexpérimenté pour s’imposer auprès du florentin François Mitterrand, de même Manuel Valls n’a pas eu la capacité de former lui-même son gouvernement et a dû s’accommoder des suggestions présidentielles.

Cependant, si François Mitterrand avait opéré un vrai changement de politique et d’hommes en 1984, François Hollande entend poursuivre la politique qu’il a progressivement fait émerger durant sa première année et demie de mandat. Aussi le nouveau gouvernement comprend-il les mêmes hommes que le précédant, à deux exceptions près, la mère de ses enfants, Ségolène Royal, et son vieil ami, François Rebsamen. Nous pouvons en conclure que son objectif n’est pas d’abandonner le sillage de Jules Ferry, mais d’y ajouter l’exemple des relations avec le Grand capital de Gerhard Schröder.

Le gouvernement de Manuel Valls

Lors de son discours d’investiture à l’Assemblée nationale, le 8 avril, Manuel Valls a repris consciencieusement les directives du président Hollande : « pacte de responsabilité » avec le Medef (syndicat patronal), « transition énergétique » pour les Verts, et « pacte social » pour les classes populaires [6]. C’est-à-dire des choix ciblés pour satisfaire des catégories d’électeurs et non pas un ensemble politique cohérent.

Or les besoins de la France sont faciles à établir : depuis de nombreuses années l’État renonce à ses moyens d’intervention, en abandonnant sa monnaie par exemple, tout en multipliant ses strates administratives, ses lois et ses règlements. Au final, le pouvoir est empêtré par sa bureaucratie et a perdu toute efficacité.

Si quelques responsables politiques mettent en cause ce processus, très rares sont ceux qui proposent de le changer. En effet, cette direction a été prise sous l’impulsion du suzerain états-unien et un changement de cap supposerait une crise politique internationale majeure, comme celle ouverte en 1966 par Charles De Gaulle lorsqu’il expulsa soudainement l’Otan hors de France.

Il n’est donc pas inutile de relever l’annonce par Manuel Valls d’une réforme majeure qui n’avait pas été évoquée auparavant. Après avoir souligné son attachement à la construction européenne et au couple franco-allemand, tout en contestant les options de la Banque centrale européenne, le Premier ministre déclara vouloir réformer en profondeur le « millefeuille territorial ». Au cours des années, aux communes et aux départements se sont ajoutés des communautés de communes, des pays et des régions. Il a proposé de diviser par deux le nombre de régions, de supprimer les départements avec leurs Conseils généraux, et de favoriser les regroupements de communes probablement en vue de la suppression des plus petites. Si tout le monde s’accorde à considérer que ce « millefeuille » était indigeste et coûteux, le choix des strates supprimées ne correspond pas à l’histoire politique française, mais au projet de transition des États-nations à l’Union européenne. Ce projet, instillé par les États-Unis lors du Plan Marshall, substituerait de grandes régions aux États-nations et transférerait les pouvoirs régaliens à une entité bureaucratique, la Commission européenne. Il s’oppose clairement au projet de régionalisation gaulliste de 1969.

Il est pour le moins étonnant de voir cette réforme traitée par le Premier ministre comme une simple variable d’ajustement économique alors que sa finalité ultime est la disparition de l’État français, donc de la République française, au profit de la bureaucratie bruxelloise (Union européenne et Otan).

Pourtant, Manuel Valls termina son discours par une ode à la République. Il déclara étrangement que « La France, oui, c’est l’arrogance de croire que ce que l’on fait ici vaut pour le reste du monde. Cette fameuse « arrogance française » que nos voisins nous prêtent souvent, c’est en fait l’immense générosité d’un pays qui souhaite se dépasser lui-même ». Deux phrases ambigües qui peuvent signifier une volonté d’exemplarité, mais aussi au contraire rappeler le « devoir de civilisation » invoqué par Jules Ferry pour attaquer la Tunisie et la Chine.

Où va la France ?

Le changement de gouvernement ne répond pas au vote des Français aux élections municipales, mais correspond à la stratégie personnelle de François Hollande qui révèle progressivement ses véritables objectifs politiques : reprise de la colonisation et défense des intérêts du Medef. Ce dernier ne représentant que le Grand capital (seul le cinquième le plus riche des entreprises est affilié à ce syndicat patronal). Nous sommes loin de la République, c’est-à-dire de la recherche de l’intérêt général.

Cette politique a sa logique : en temps de crise, il est impossible d’accroitre l’exploitation de la classe ouvrière, il faut aller chercher les super profits à l’étranger, chez des peuples qui n’ont pas les moyens de se défendre. Le sang va encore couler en Syrie et en Afrique, tandis que la misère va continuer à s’étendre en France.

 

[1] « La France selon François Hollande », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 30 juillet 2012.

[2] « Discours de François Hollande à la 3ème réunion du Groupe des amis du peuple syrien », par François Hollande, Réseau Voltaire, 6 juillet 2012.

[3] « Mali : une guerre peut en cacher une autre », par Thierry Meyssan, Al-Watan/Réseau Voltaire, 21 janvier 2013.

[4] « Contradictions françaises en Centrafrique », Réseau Voltaire, 13 décembre 2013.

[5] « Gaza : la France supervise le prolongement du Mur de séparation », Réseau Voltaire, 26 décembre 2009.

[6] « Déclaration de politique générale du Gouvernement Valls », Réseau Voltaire, 8 avril 2014.

Résistance politique au colonialisme: La Françafrique du néo-colonialisme au néo-esclavagisme…

Posted in actualité, altermondialisme, documentaire, France et colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, pédagogie libération, politique et lobbyisme, politique et social, presse et média, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 16 janvier 2014 by Résistance 71

Excellente analyse qui trouve un écho également chez les nations autochtones des Amériques et d’Océanie…

L’avenir de l’humanité passe par les peuples occidentaux libérés du dogme de la pensée colonialiste se tenant aux côtés des peuples opprimés depuis plus de cinq siècles par l’occident chrétien génocidaire.

— Résistance 71 —

 

Code noir du néo-colonialisme au néo-esclavagisme

 

Dr Cheik Diabate

 

14 janvier 2014

 

url de l’article:

http://www.cameroonvoice.com/news/article-news-13842.html

 

Devoir de mémoire: à tous les patriotes africains, la rédaction de cameroonvoice recommande vivement cet article

L’Afrique, ce continent tant convoité et tant méprisé aura tout donné à l’Occident pour « deux pots et demi de farine de manioc » ! (voir article 22 du « Code Noir » de Colbert).

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Croyant ce système odieux de l’esclavage aboli, le continent noir a subi sur son propre sol  un siècle de colonisation avec son cortège de ségrégation, de travaux forcés et de discrimination (Code de l’indigénat).

Après 4 siècles d’esclavage de 1648, date de la mise en œuvre du code noir, jusqu’en 1848 date de l’abolition de l’esclavage dans les îles françaises et après encore un siècle de colonisation, les années soixante sont apparues comme les années de la libération pour une bonne partie des colonies françaises d’Afrique. Les pays colonisateurs affaiblis par deux guerres ont décidé de donner de la main droite, l’indépendance qu’ils ont reprise de la main gauche à travers des accords de coopération (charte de l’impérialisme).

50 ans après, ces anciennes puissances coloniales, connaissant une suite de crises financières aussi aiguës les unes que les autres, semblent regretter les indépendances octroyées et toutes autres formes d’autonomie. On assiste, donc, à la mise en place de nouveaux schémas d’appropriation de l’Afrique par ses anciens colons.
Tous les actes actuels des États occidentaux semblent être calqués sur le code noir et paraissent conduire le continent africain dans une spirale néo-esclavagiste avec l’appui de quelques « affranchis ». Nous entendons par « affranchis », tous ces commis placés ou cooptés à la tête des États pour satisfaire les intérêts occidentaux au détriment des besoins réels de la population.

Examinons l’essence du code noir de 60 articles et ses similitudes avec les pratiques actuelles des États occidentaux en Afrique avec l’appui de leurs « affranchis ».

Article 1

Voulons que l’édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.
Aujourd’hui en Afrique, ceux qui sont à chasser ne sont pas les Juifs mais les Chinois. Tout est mis en œuvre pour empêcher l’Afrique d’accueillir les Chinois. Pire, les partenariats stratégiques interafricains et la coopération Sud-Sud sont considérés comme une forme d’émancipation donc craints et donc à bannir.

Article 2

Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneurs et intendant desdites îles, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.

Pour dépersonnaliser les Africains débarqués sur des terres inconnues d’Amérique et afin de les empêcher à recourir à leurs pratiques religieuses et culturelles de peur de se libérer de la tutelle de leur maître, les esclavagistes ont eu l’ingénieuse idée de se servir d’une interprétation de la bible faisant du Noir le descendant de « Cham » maudit par NOÉ et condamné par Dieu à l’esclavage et ne pouvant avoir son salut qu’en aliénant sa liberté à ses maîtres blancs. Le baptême était donc une adhésion au statut d’esclave et une acceptation du maître blanc. La dépersonnalisation était une condition nécessaire de l’aliénation de l’esclave.

Les articles 3 à 14 du code noir sont consacrés à la pratique religieuse de l’esclave pour éviter toute échappatoire à lui et à ses descendants.

Depuis la crise des années 80, l’Afrique est envahie par toute sorte d’églises. Le marketing religieux a remplacé l’obligation d’adhésion. Les croyances ancestrales qui sont décrites comme de l’animisme sont traduites comme des pratiques sauvages et sans fondement. Tout est mis en œuvre pour convaincre les plus incrédules ou réticents à faire le bon choix au risque de vivre l’enfer sur terre. Les salles de cinéma, les lieux de travail, les places publiques et les maisons privées se sont transformés en lieu de culte. La musique et les films religieux complètent l’arsenal de propagande. Il y a même un risque d’exclusion sociale pour ceux qui ne font pas de choix. L’objectif est clair : donner une interprétation biblique au malheur de l’Afrique dirigée par ses fils « maudits  par Dieu » et préparer les esprits à accepter le retour du maître.

Article 15 et 16

Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâtons, à peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis, à l’exception seulement de ceux qui sont envoyés à la chasse par leurs maîtres et qui seront porteurs de leurs billets ou marques connus.

Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s’attrouper le jour ou la nuit sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l’un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lys; et, en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l’arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les arrêter et de les conduire en prison, bien qu’ils ne soient officiers et qu’il n’y ait contre eux encore aucun décret.
Les deux articles, ci-dessus, ont pour objectif de priver tout droit politique et civil à l’esclave et le déposséder de tout moyen de défense pour avoir comme unique protecteur le maître, sous peine de punition corporelle ou de peine de mort. La protection du maître lui sera donc accordée en contrepartie de sa soumission. L’article 17 complète l’arsenal juridique de répression.

Aujourd’hui en Afrique, les armées nationales sont progressivement remplacées par des armées des pays colonisateurs sous le couvert de l’ONU pour la défense du territoire ou la protection de la population civile. Dans un environnement d’insécurité généralisée par des conflits internes alimentés en armes et en ressources financières par le pays colonisateur. L’exercice des droits civils et politiques est devenu risqué et interdit de fait. Les contrevenants sont conduits au cimetière, en prison, en exil ou subissent des traitements inhumains et dégradants.

Article 28

Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres; et tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libéralité d’autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs pères et mères, leurs parents et tous autres y puissent rien prétendre par successions, dispositions entre vifs ou à cause de mort; lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par des gens incapables de disposer et contracter de leur chef.

Les articles 18, 19, 20, 21 interdit le droit d’exercer des activités commerciales sauf en cas de tâches commerciales confiées par le maître.

L’article 28 dépossède l’esclave de tout bien au profit de son maître même ceux obtenus par industrie ou par libéralité d’autres personnes.

Depuis les années 1990, la politique de privatisation et de libéralisation privent les peuples africains de tout bien acquis par industrie ou par libéralité. Les accords de coopération avaient déjà organisé la main mise sur les matières premières et les réserves financières. De même qu’il n’est pas permis à un esclave d’avoir un revenu, il n’est pas permis aux pays africains de disposer des revenus de leurs matières premières exportées. Ces revenus sont déclarés biens propres du maitre.

Nous assistons donc, depuis 1990 à l’exclusion des africains de l’activité du grand commerce et de l’industrie pour les orienter vers des activités de subsistance (lutte contre la pauvreté) lui permettant d’assurer les deux pots et demi de poudre de manioc. L’article 22 est éloquent à ce sujet :

Article 22

Seront tenus les maîtres de faire fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au-dessus, pour leur nourriture, deux pots et demi, mesure de Paris, de farine de manioc, ou trois cassaves pesant chacune 2 livres et demie au moins, ou choses équivalentes, avec 2 livres de boeuf salé, ou 3 livres de poisson, ou autres choses à proportion : et aux enfants, depuis qu’ils sont sevrés jusqu’à l’âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus.

Les maîtres doivent donc fournir la nourriture à leur esclave. Le strict minimum pour entretenir la force de travail et assurer la reproduction de cette force de travail, c’est-à-dire la descendance de l’esclave.

L’Afrique, dépouillée de ses richesses par des accords de coopération et une politique de privatisation, ne vit que de l’aide de ses maîtres pour payer des salaires de misère assurant à peine les deux pots et demi de poudre de manioc.

La masse des paysans qui produisent pour le marché international ne reçoit qu’une rémunération à peine suffisante pour assurer les deux pots et demi de poudre de manioc.

Article 31

Ne pourront aussi les esclaves être parties ni être (sic) en jugement en matière civile, tant en demandant qu’en défendant, ni être parties civiles en matière criminelle, sauf à leurs maîtres d’agir et défendre en matière civile et de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auront été contre leurs esclaves.
Comme l’esclave qui ne peut actionner la justice, les victimes des atrocités ne peuvent saisir directement la fameuse Cour Pénale Internationale (CPI). Seul leur maître a le droit de le faire pour eux. C’est pour quoi seul le conseil de sécurité, le procureur de la CPI et les États (dirigés par les affranchis) peuvent saisir la CPI. Évidemment, ces derniers n’agissent qu’au nom des intérêts du maître. Les textes de résolution pour les pays africains sont décidés, écrits et déposés au conseil de sécurité de l’ONU par le pays colonisateur en dehors de toute participation voire consultation de l’Union Africaine (UA).

Article 32 et 33

Pourront les esclaves être poursuivis criminellement, sans qu’il soit besoin de rendre leurs maîtres partie, (sinon) en cas de complicité: et seront les esclaves accusés, jugés en première instance par les juges ordinaires et par appel au Conseil souverain, sur la même instruction et avec les mêmes formalités que les personnes libres. 
L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.

La mise à mort politique ou physique pour ceux qui défient ou remportent des victoires démocratiques contre le gré de leur maître s’apparentent à « l’esclave qui frappe son maître ». ces transgresseurs sont jugés par le « conseil souverain » c’est-à-dire par ce qui a pris la forme de Cour Pénale Internationale ou punis par la peine de mort.

Article 38

L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis une épaule; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort.

L’exemple des massacres du Beach au Congo Brazzaville lors du retour des réfugiés de la guerre civile congolaise, le gel des avoirs des réfugiés et la tentative d’assassinat des exilés ivoiriens au Ghana en sont les meilleures illustrations.

Article 44

Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d’aînesse, n’être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire.

Dans les pays militairement occupés, les Africains ont perdu tous droits civils et politiques et sont devenus des biens meubles de la communauté internationale. Leur appartenance, leur rattachement et leur tutelle dépendent de la communauté internationale. Ces pays occupés n’ont donc pas le droit de choisir les limites de leurs territoires et leurs dirigeants. Ces derniers étant choisis parmi les « affranchis » par la communauté internationale. Ce sont les maîtres qui disposent des Africains. Le maître d’un pays peut toujours changer, car les biens de la communauté connaissent une redistribution au gré des événements comme à la conférence de Berlin en 1885. Il ne faudrait donc pas être surpris de voir la Françafrique cohabiter avec l’Américafrique, puisque, depuis un moment, l’on constate le partage de l’Afrique au profit du bloc atlantiste, États-Unis en tête, qui entendent diriger les opérations et superviser progressivement l’ancien pré-carré français, la France étant maintenue à un rôle de gendarme.

Articles 56 et 57

Les esclaves qui auront été fait légataires universels par leurs maîtres ou nommés exécuteurs de leurs testaments ou tuteurs de leurs enfants, seront tenus et réputés, les tenons et réputons pour affranchis.
Déclarons leurs affranchissements faits dans nos îles, leur tenir lieu de naissance dans nosdites îles et les esclaves affranchis n’avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos sujets naturels de notre royauté, terres et pays de notre obéissance, encore qu’ils soient nés dans les pays étrangers.
Les « affranchis », les « boys à tout faire », sont ceux qui sont choisis par la « communauté internationale » pour tenir en laisse le peuple. Formatés dans leurs institutions, ils sont imposés à la tête de nos États par les « bombes démocratiques », par coups d’État, par des rébellions sanglantes ou encore à la suite de hold-up électoral en piétinant toute souveraineté c’est-à-dire la constitution.

CONCLUSION

En parcourant le code noir de 60 articles, l’on est frappé par l’analogie entre ce dernier et  le comportement non codifié des rapports actuels de l’occident avec l’Afrique. L’on constate que l’esprit du « Code noir » a toujours inspiré les rapports entre l’occident et l’Afrique en changeant les lettres, dans ses différentes variantes historiques (code de l’indigénat, charte de l’impérialisme, accords de coopération). Il n’y a point de doute comme le déclare les sénateurs français que « l’Afrique est l’avenir de la France ». Cet avenir est en œuvre avec comme objectif, 5 siècles après, de réchauffer encore une vieille recette en reformulant le code noir avec de nouvelles lettres mais en conservant l’esprit.

Le néo-colonialisme s’est rompu, Le néo-esclavagisme est donc en marche.

Sans une riposte intellectuelle appropriée, L’Afrique noire vivra les pages les plus sombres de son histoire. Dans une économie dite mondialisée, à l’exception de quelques « affranchis », les Africains seront dépouillés de tout et parqués dans des camps de réfugiés sans même pouvoir bénéficier de ces fameux « deux pots et demi de poudre de manioc ».

Par le Dr Cheik DIABATE ,
Enseignant Chercheur ,Université du Colorado, USA