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Société, état, rébellion et insurrection… pensées critiques anarchistes organiques et hors moule… (Monkey Bars)

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L’allure de l’insurrection

Monkey Bars

2009

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Mai 2023

Cet essai est une tentative de clarification de quelques incertitudes et affirmations au sujet des analyses insurrectionnelles comme étant incompréhensibles, ce espérons-le pour le bénéfice de ceux qui ont été critiques de cette tendance. Nous traiterons aussi ici de quelques sujets émanant des écrits anarchistes et des arguments souvent dogmatiques entretenus entre les factions anarchistes (NdT : ce que nous appelons ici les “guéguerres de clochers”, qui valent aussi pour une frange marxienne moins dogmatique que sa contre-partie autoritaire d’état, mais favorisant aussi une division qui n’a plus lieu d’être quand on s’accorde sur les conclusions et le chemin à emprunter, ce qui doit se faire par-delà toutes les factions politiques systémiques entretenues…). Pas besoin de dire ici que ceci est fait en solidarité de tous les exploités et discriminés, victimes de cette prison appelée “société”, ce sans exception.

Dans le milieu anarchiste souvent masochiste, certaines modes ont émergé invoquant l’insurrection et la guerre sociale. Bien que ces tendances aient été marginalisées et attaquées au sein du milieu, on oublie souvent que ceci n’est en rien nouveau. Beaucoup, si ce n’est tous les anarchistes dans l’histoire, ont été des insurgés croyant que c’était peine perdue pour une vie individuelle ou pour un groupe entier, de se dédier à la planification, l’attente, la trépidation d’une révolution, plus encore d’un révolution anarchiste et encore moins d’une qui aurait un quelconque succès. Une autre tendance, historiquement plus insignifiante mais apparemment prévalante aujourd’hui dans le milieu anarchiste, refuse toute suggestion de militantisme ou de conflit, cherchant simplement à diriger la société dans une direction libertaire jusqu’à ce que les institutions soient transformées. La critique vise la stratégie de ces notions, suggérant que de telles conditions (r)évolutionnaires ne peuvent pas venir du travail d’une poignée d’activistes et qu’il est prétentieux que de penser autrement. De la même manière, les institutions de la société ne vont pas se coucher tranquillement tandis que le peuple les “réforme”. Peut-être que la plus forte des réponses est la plus simple : qu’une vie passée à planifier, attendre la révolution ou elle “changement social” est voué à être insatisfaisant et frustrant, comme une vie de désir contenu voilée de célibat.

Mais, étant donné la fortification d’une éthique du travail occidentale masochiste, beaucoup trouvent du plaisir dans le boulot d’activiste et de travailler vers une révolution ou un changement social dont ils ne voient pas l’ombre. Tandis que de tels activistes (anarchistes, marxistes ou autres) poussent les autres radicaux à mettre de longues heures dans la construction d’institutions durables et de communication avec “le public”, il est évident que de par le petit nombre des mouvements radicaux gauchistes, pour la plupart des gens, un seul boulot est assez. Quand on donne le choix entre attendre une révolution ou travailler pour elle, je ne suis pas sûr de savoir quelle douleur auto-infligée est la meilleure… Ou bien puis-je les mélanger ? Ou devrais-je juste me suicider ?…

Cette critique de l’activisme et de la révolution sociale est bien connue, je vais donc me limiter à ça ici. Aussi, je ne veux pas dégrader les intérêts et les idées de radicaux différents, aussi loin qu’ils soient dignes d’intérêt et non pas des devoirs moraux ou des plateformes politiques. Je ne ferai pas non plus de critique de longue haleine de la sous-culture anarchiste, ces thèmes sont déjà abondamment discutés. Je ne désire en rien attaquer les sous-cultures, qui jouent un rôle intéressant dans l’exploration personnelle et la réalisation de vies plus sûres du malaise et de la grande dépression de la société de masse, moi-même inclus. Pourtant, je recherche les limites du mouvement anarchiste et de la sous-culture, ou de toute autre institution similaire. Ma préoccupation principale ici est d’écrire sur les tendances actuelles dans la pensée et l’écriture insurrectionnelles, dans l’espoir d’y amener une certaine clarté  pour ceux qui sont tombés dans leur mystification. Bien entendu, ceci n’est que ma perspective, et cela va sans nul doute entrer en conflit avec des aspects variés d’autres pièces insurrectionnelles. Ainsi soit-il…

La politique est dans les grandes largeurs un phénomène militaire, elle est gouvernée par la force, mais essentiellement une force de réserve, perçue, potentielle et les peurs et angoisses qu’elles instillent. Foucault a écrit sur l’utopie populaire d’une société démocratique populaire ayant toujours coexisté avec le rêve utopique militaire du contrôle total et de l’ordre, de la surveillance sans effort et de la punition imbriquée dans l’architecture (essentiellement urbaine) de la société. L’anarchisme en tant que philosophie politique n’est pas exempte de cela. La révolution est le moteur militaire de la politique anarchiste. La “société libre” est préservée dans le futur, de manière présumée, par la menace de plus de révolution. L’insurrectionisme met plusieurs pirouettes dans tout ça. D’abord, il veut souvent confronter la nature militaire de la société en général et de reconnaître la nature militaire du conflit au sein de ses institutions. Ceci est un degré de réalisme qui manque souvent à ceux qui échouent de voir le conflit dans la société comme plus que l’activisme. L’utilisation de Sun Tzu n’est ni frivole ni contre-productive. C’est amusant et poétique, mais c’est aussi un réveil pour considérer les véritables dimensions du conflit anarchiste.

Les bons textes insurrectionnels sont presque toujours des suggestions et des idées et non pas des plateformes ni des campagnes politiques. Une des notions clefs est de penser pour et par vous-même et de vraiment penser sérieusement au contexte en tant qu’individu, qu’anarchiste, que collectif et ce à quoi vous devez faire face. Si les gens pensent de manière créative et amène de nouvelles idées et de nouvelles tactiques, nous ne nous en porterons que mieux par rapport à ceux qui attendent que le boulot leur soit mâché par des leaders ou des organisateurs qui planifient tout pour eux ou que chaque action n’est qu’une resucée de la dernière. (Ndt : les manifs encore et encore, de A à B, encadrées par la flicaille qui passent et gazent sur la fin, encre et toujours, pourquoi voulez-vous que quoi que ce soit change ?…). Le problème avec les mobilisations de masse n’est pas le nombre, pas même le nombre de flics en contrôle. C’est leur orchestration de masse, leur nature de spectacle. La poésie et la joie d’une insurrection spontanée sont très rarement trouvées dans une action de masse pré-programmée et planifiée. Souvent donc, les gens retournent chez eux déçus et déprimés.

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Mais si les participants peuvent cesser d’être des participants, oublier la stratégie et la logistique qu’on leur annoncent et sortir du moule de la masse… alors tout un monde de possibilités s’ouvre devant eux. Les rôles sociaux et la division du travail inhérents à l’activisme institutionnalisé se dissocieraient. Pourtant cela ne pourra se produire que quand une action de masse cessera d’exister en tant qu’action de masse et deviendra un carnaval, une émeute, une insurrection. Ou alors cesse d’être quoi que ce soit et devienne mille différentes histoires, mille émotions. Voilà quelle allure doit avoir l’insurrection, vue le plus simplement. C’est un désir de sortir du moule, de faire péter les verrous, les murs de la norme, d’oublier tout acte social, de voir, d’entendre, de ressentir et de savoir des choses qu’on aurait jamais imaginées. C’est là qu’entre en jeu le désir, au grand dam du radicalisme occidental frustré, cette soif inextinguible d’expériences meilleures.

Le terme insurrection peut être mal compris. Autant une insurrection généralisée pour secouer les fondations mêmes de la société pourrait être superbe, elle ne pourrait pas être plus proche d’une révolution et ne peut certainement pas être planifiée. Pourtant, ce sont les moments, les actions ou même les périodes étendues dans lesquelles l’ordre social est suspendu, qui nourrissent nos âmes et nous donnent le goût des rêves. Ceci est similaire en bien des points à l’expérience que certains décrivent après une méditation et il y a sûrement un bon nombre de façon d’y avoir accès. Ceci n’est pas moins radical que de fétichiser une révolution utopique dans un futur distant dans nos esprits ; bien sûr nous seront là si cela se produit. Mais dans le même temps, puisons dans nos vies immédiates, avec toutes les joies et les peines qui vont avec.

La mythologie anarchiste prévalente est de planifier, de préparer et d’attendre la révolution et après celle-ci, parvenir à une liberté complète et débridée. Pourtant, peu de réflexion est donnée à ce que la liberté pourrait vouloir dire, quelles aventures et quelles extases pourraient être poursuivies. Sans suggérer quelque chose d’aussi ridicule qu’une “stratégie” d’apprentissage au sujet de ce que nous pourrions faire de notre liberté, ceci est toujours une préoccupation sensée. Sans expérience et peu de pensée données aux désirs personnels profonds et comment ils se manifestent dans nos relations, comment cette liberté se manifesterait-elle dans des vies émancipées de la société ? (NdT : ici il conviendrait de rajouter l’adjectif “aliénée” à notre sens car l’humain ne peut, de fait, pas vivre sa vie d’humain hors société…) Comment éviteraient-ils de recréer des relations d’aliénation, de domination et d’ennui ?

Ceci n’est pas une lamentation pessimiste sur la futilité de certains rêves libertaires. C’est simplement un avertissement contre l’estampillage non-créatif du terme “anarchiste” sur le même mode d’organisation socio-politique qui a construit les révolutions bourgeoises et “socialistes”. C’est un besoin vital de dépasser les idéologies politiques et de rechercher bien plus profondément ce que la souveraineté et l’auto-détermination pourraient bien signifier pour nous. Tout comme le conflit avec la société (aliénée) pourrait être amené dans le contexte de vie immédiat, ainsi le pourraient aussi nos rêves et nos désirs. On peut poursuivre l’aventure, l’épiphanie, la sagesse et l’extase dans la vie immédiate de manière aussi pressante qu’on poursuit une rupture avec cette société qui écrase ces sensations jusqu’à ce que nous les oublions. Écrire un poème ou grimper à un arbre peuvent mener à autant de joie, de bonheur et de perception qu’une émeute. Ceci ne veut pas dire d’abandonner la destruction créatrice et les actes physiques de rébellion, mais de dire simplement qu’il n’y a pas de dogme concernant ce qui compose une expérience anarchiste.

Ce n’est pas un secret que le milieu anarchiste est fréquemment et dogmatiquement divisé sur des problèmes variés, peut-être même sur chaque problème exprimé. Je ne préconise pas une forme d’harmonie muette ou de compromis pour créer une sorte d’unité insensée dans une sorte de “mouvement”. On peut simplement prendre une perspective différente dans la discussion et la critique des théories et propositions qui circulent. La pensée stratégique, élevée au rang de dogme, peut bien devenir le talon d’Achille des anarchistes. Tant de discussions se déroulent sur le thème de “ce qui est meilleur pour le mouvement”, “qu’est-ce qui est plus efficace ?” Et autre blablabla. Le débat sur l’hypothèse de créer des mobilisations de masse est un simple exemple de cela. Les arguments courants sont inutiles. Entre choisir une expérience de spectacle de masse de rue en une manifestation pré-planifiée et le boulot activiste fade et surfait dans “nos communautés”, la réponse et le choix sont évidents : aucun des deux !

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Heureusement, le non-débat est aussi simple que ses soi-disants deux faces. Beaucoup de bonnes expériences et de relations peuvent provenir de la vie dans une communauté. De la même manière, une action de masse (ou toute perturbation d’importance, que ce soit un festival de rue, une construction ou un blizzard) offre un moule duquel on peut sortir afin de poursuivre sa propre taquinerie, Il suffit de gratter le fin vernis de tout évènement pour voir les possibilités qu’il y a de l’autre côté. Mais même si la plus grande chance de succès réside à passer la mobilisation et à apparaître dans d’autres endroits, cela ne peut pas être élevé en une stratégie dogmatique.

La discussion demande une bonne dose d’hédonisme. S’il y a quelque chose que vous désirez pour une mobilisation, que ce soit des amis, une action spécifique ou de revisiter une de ces belles expériences que vous avez eu auparavant, alors faites-le. Et ne vous sentez aucunement coupable de le faire. Mais n’essayez pas de persuader les autres de le faire pour les mêmes raisons. De la même manière, si vous ne voulez pas y aller et bien n’y allez pas. C’est aussi simple que ça. Et si les gens faisaient ce qu’ils aiment le mieux et ne s’emmerdaient pas les uns les autres, alors peut-être qu’ils n’abandonneraient pas si vite le mouvement anarchiste. Peut-être voudraient-ils rester. La critique constructive est très utile et importante. Le désaccord est sain. Il est bon de penser à la stratégie à employer. Mais la critique ne devrait jamais devenir un dogme, un jugement et des attentes sur le comment les autres doivent se comporter. Nous ne devons jamais être les esclaves d’une stratégie.

Le même argument présenté ci-dessus est fait pour le mode d’écriture des insurgés. Souvent les anarchistes balaient ces écrits parce qu’ils sont soi-disant incompréhensibles. Peut-être que certains le sont, mais la plupart ne demandent pas une grande éducation. Ils peuvent généralement être compris sans lire Nietzsche, Tiqqun, Agamben ou quiconque ils citent. Je dis ça parce que je n’ai pas lu la plupart de ces auteurs / journaux et je comprends les essais que j’ai lus. Ils demandent juste un peu d’imagination pour les lire et y prendre plaisir. Pourtant, des gens peuvent écrire de la poésie cryptique en argot et c’est tout ce qu’ils veulent écrire. Une fois encore, la critique est utile. Mais porter un jugement sur le style d’écriture de quelqu’un est une connerie, spécifiquement si vous ne vous donnez pas beaucoup de chance d’entrer dedans. Ce que j’aime et d’autres personnes également dans ces styles d’écriture, est qu’ils sont décalés du style d’écriture idéologique et programmé de tant de propagande.

Juste parce que la personne moyenne peut lire une forme diluée d’un article sur un sujet donné, ne veut pas dire que cette personne voudra nécessairement le faire. J’aime lire des choses imaginatives, poétiques, marrantes, mystérieuses même, ce même si je ne comprends pas toujours tout. Mais cela ne concerne que moi. Si ce n’est pas votre style, ne le lisez pas. Ne mélangeons pas tout. Beaucoup de gens sont attirés par des lectures faciles avec lesquelles ils se trouvent des affinités, mais aussi qui apportent une intrigue, d’émerveillement et de magie. Si l’anarchie ne comporte pas quelques éléments mystérieux faisant que les gens veulent en savoir un peu plus à son sujet, alors ils retourneront regarder la chaîne 5 de leur télé pourrie.

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Et si le même style d’écriture devient normal et prévisible, alors ce que fut une épiphanie devient une corvée. Je veux être défié, entendre de nouvelles idées, rire, pleurer, sauter, jouer. Ceci ne s’applique pas seulement à l’écriture, la lecture, je veux la même excitation, la même curiosité dans l’art, les actions, les rassemblements, la communication, les informations et tout ce que je peux avoir. Une anarchie qui ne vous fasse pas impliquer votre âme : une anarchie sans politique. Et je ne veut pas juste en entendre parler, je veux la goûter, la savourer. Je veux une orgie dionysiaque de liberté et non pas un culte anarchiste monastique galvaudant le vie présente pour une utopie future. Et si je ne peux pas, alors comme tant d’autres personnes, je quitterai le navire. Beaucoup de personnes “rejoignent” l’anarchie parce qu’elle leur offre quelque chose dont elles ont besoin, ou satisfait quelques désirs pressants et beaucoup aussi la quittent parce qu’elle ne remplit plus aucune fonction. Plutôt que de penser “comment construire le mouvement”, pourquoi ne pas penser au comment nous satisfaire nous et ceux/celles qui nous entourent, au travers de nos relations et de nos actions ?… Arrêtons de penser comme des marchands de tapis et commençons à penser comme des amis et des camarades, compagnons.

Si vous pensiez critiquer ceci parce que “Foucault était maoïste” : Je ne suis pas Foucault. Faisons notre propre collage des choses et apprenons de qui nous voulons apprendre. Aussi, brûlons tous nos jugements, nos idées préconçues et nos idéologies rigides en un de ces grands potlach sauvages et embrassons, rions, luttons et, comme l’a dit un sage un jour, continuons sur le chemin de la grande et sublime conquête du Rien.

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Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

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Réflexion et action directe : anti-politique et anarcho-communisme (J. Eibish & Résistance 71)

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“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

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Anti-politique et anarcho-communisme

Jonathan Eibish

2022

~ Traduit de l’anglais par Réistance 71 ~

Mai 2023

Lorsque j’ai décidé il y a cinq ans, de me consacrer de manière compréhensive à la théorie politique de l’anarchisme, il me sembla tout à fait évident d’explorer les concepts de base de ce courant socialiste pluraliste. Car dans l’anarchisme, il y a une pensée théorique indépendante qui doit nécessairement être comprise pour comprendre la connexion entre la morale anarchiste et son mode de vie ainsi que les idées anarchistes concernant l’organisation. C’est pourquoi je me suis posé ces questions : qu’est-ce que les anarchistes entendent en fait par “politique” ? Et, peut-il y avoir une “politique” anarchiste et quel serait son critère ? Le concept “d’anti-politique”, exprime le fait que c’est un champ de tension causé par l’ordre existant de la domination dans lequel les anarchistes agissent toujours en contradiction.

L’État comme relation politique organisée de la domination

Il est frappant que dans tous les courants anarchistes, il y a une critique fondamentale de la décision politique. Ceci a trait à la politique de gouvernement, la bureaucratie d’état, le parlementarisme et les partis politiques. Mais cela se réfère également à la logique politique et au mode d’organisation au sens large. Parce que ce que nous comprenons communément et associons avec la “politique” n’est pas un terrain neutre. Plutôt, les activités des mouvements sociaux qui tendent à être autonomes et auto-organisées sont souvent attribuées et appropriées par l’État. “La politique” prend la forme de la règle politique sous des formes libérales-démocratiques de la société. Ceci veut dire que l’État a émergé comme une relation de domination entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés et ceci est diffusé, transporté dans toutes les zones potentielles de la société.

Il est de la logique de l’état de réguler, contrôler, sanctionner et capturer toutes les sphères sociales. Si une “sphère privée” y est construite, alors celle-ci est à peine exempte de la domination de l’état, tout comme “l’économie ne peut pas vraiment être pensée comme séparée de l’État et du “loisir”, le côté face de la même pièce du travail salarié.L’étatisme peut être pensé de la même manière que le capitalisme, la relation de domination économique, le patriarcat et les relations de genre faisant de l’anthropocentrisme la relation sociale avec la nature.

En tant que relation de domination, cela s’insinue dans toutes les sphères sociales, mais ce n’est pas total. A ses côtés, résident des formes supprimées, réprimées de comment les humains peuvent s’organiser par eux-mêmes. Ils le font même lorsque l’état est la relation politique de domination. Sur la vaste majorité des activités qui se passent au niveau politique, l’état affirme son monopole ou du moins essaie de les contrôler et de les réguler. De la même manière, quand la plupart des gens pensent à la “politique”, ils l’associent rapidement avec ses structures étatiques et sa logique interne, parce que leur conscience est façonnée par l’idéologie de l’ordre dominant existant. 

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Démocratie radicale ou scepticisme envers la politique ?

Si les anarchistes rejettent la nationalisation de la politique, on pourrait possiblement s’y opposer avec une sorte de politique auto-organisée et autonome, “d’en bas”. Une “démocratie radicale” ou “démocratie de la base” doit être opposée à la règle de l’état et de sa domination, état qui s’affirme faussement comme étant “démocratique”. On pourrait dire que ces approches procèdent à se réapproprier le concept de “politique” et aussi d’intervenir dans ses processus décisionnaires. C’est ce qui se passe lorsque les gens manifestent, s’activent dans des associations, parlent peut-être même aux politiciens et traitent de politique afin d’être capables de la critiquer et de la délégitimiser.

Connectée à ce sujet est la question de savoir quels points de départ existent pour l’organisation d’une société socialiste-anarchiste ? Même s’il y a des arguments plausibles pour cette vision démocratique radicale, j’ai décidé d’utiliser un autre concept politique. Je le décris comme (ultra)-réaliste, gouvernemental et orienté sur le conflit. Par cela j’essaie de faire passer l’idée que le champ politique est toujours au sujet de la lutte pour le pouvoir et que ceux qui y sont impliqués ont des sources de pouvoir très inégales. Ce qui veut dire, comme je l’ai dit avant, que le terrain politique n’est jamais neutre dans la règle d’ordre existante. En fait, ses conditions sont déjà façonnées par la domination politique.

En d’autres termes : comme cela nous apparaît être en politique aujourd’hui, il n’y a quasiment pas de place pour les positions anarchistes. S’ils amènent dans la sphère politique des aspirations sociales-révolutionnaires, ils sont marginalisés et diabolisés. Si les anarchistes tentent de travailler de manière pragmatique pour des améliorations graduelles, ils sont ignorés ou totalement encadrés. Ces effets ne devraient pas être sous-estimés, tout comme le cas de bon nombre de gens de gauche qui ont trouvé la 100ème secte politique, ont rejoint des partis politiques malgré leur inconfort en leur sein, ou se désespèrent de la politique et ne veulent être efficaces que culturellement ou dans leur propre style de vie par exemple. D’une perspective anarchiste, cela vaut la peine de demeurer continuellement sceptique au sujet de faire de la politique.

Les raisons de l’inconfort politique 

Incidemment, ce fut, entre autres choses, la dispute au sujet du concept de politique en soi qui donna naissance à l’anarchisme en tant que courant politique indépendant. Vers la mi-XIXème siècle, le mouvement socialiste de la base devint politisé. Ceci se produisit d’abord par l’appropriation de ses demandes d’amener une politique sociale d’état. De plus, les politiciens de partis communistes et social-démocrates cherchèrent à imposer leurs propres demandes en tant que leaders et à régner par la réforme politique ou la révolution politique. Troisièmement, des mouvements autonomes, auto-organisés ainsi que des zones auto-gouvernées furent sujets à une brutale répression au cours d’une période de renforcement de l’état-nation moderne.  Ainsi, ils prirent des formes organisationnelles qui furent légalisées dans l’ordre bourgeois et y furent assignés. Les anarchistes résistèrent à cette politisation du socialisme en insistant sur les principes organisationnels d’autonomie, de décentralisation, de fédéralisme et de volontarisme et en travaillant à un changement social compréhensif par la révolution sociale.

En plus de l’historique, il y a d’autres raisons sur le pourquoi il est important d’être sceptique de la politique d’une perspective anarchiste. Ceci concerne l’observation déjà faite de la tendance aux mouvements sociaux auto-organisés et autonomes de se retrouver encore et toujours appropriés par ou assignés à la politique d’état. Nous savons cela des manifestants qui ont un sentiment de satisfaction émancipatrice après avoir marché dans les rues en signe de protestation avec d’autres personnes. Une manif’ a du sens si des gens ayant les mêmes vues s’y rencontrent, échangent des idées, se sentent forts ensemble ou vont à la confrontation. Mais en eux-mêmes, ces mouvements ne génèrent que trop rarement une véritable pression sur ceux qui détiennent le pouvoir.

Un anarchisme pluraliste

Au sein de l’anarchisme, il y a de bien différentes traditions, perspectives, points de vue, expériences et pratiques. C’est pour cela qu’il y a des controverses et des disputes toujours vivaces parmi les anarchistes. Bien des positions de personnes qui se nomment anarchistes peuvent ennuyer et énerver d’autres anarchistes. Parce qu’elles existent ne veut pas dire qu’elles puissent être mises sur un pied d’égalité parce qu’alors elles demeurent des opinions arbitraires, ce qui n’est pas suffisant pour pratiquer une critique sociale fondamentale et pour construire des alternatives qui fonctionnent. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas non plus nier que l’anarchisme est pluraliste. Sans doute parce que si l’anarchisme était homogénéisé et centralisé par un leader politique, ce ne serait qu’un courant politique parmi tant d’autres. Mais l’anarchisme est qualitativement différent des autres approches socialistes mais aussi de la gauche radicale. Cette différence s’explique là encore par la compréhension de la politique.

Les anarchistes individualistes (NdT : tendance Max Stirner, Henry David Thoreau) critiquent la règle politique essentiellement parce qu’elle restreint l’auto-détermination des individus, ce à quoi ils s’opposent. Les besoins et les désirs des individus ne peuvent être définis que par eux-mêmes. Ils ne veulent pas que quiconque représentent leurs intérêts. Le mutualiste (NdT : tendance proudhonienne) approche le but de l’auto-organisation, par exemple dans les voisinages, les circuits économiques régionaux etc et se fait l’avocat des coopératives et des entreprises collectives. Dans l’anarcho-syndicalisme (NdT : tendance CNT / AIT), la politique est clairement opposée à l’organisation et la lutte dans la sphère économique. Au lieu de parvenir à des réformes politiques au travers de l’état, le but est de traiter les intérêts directement contre les propriétaires du capital et d’utiliser les syndicats pour arranger l’organisation fondamentale pour l’autogestion d’une forme de société libertaire socialiste. L’anarchisme communal, ou anarcho-communisme (NdT : tendance Kropotkine, Goldman, Malatesta) tend à vouloir partager la vie entre gens pensant de même et, au delà de la politique, d’anticiper expérimentalement la venue de la nouvelle société dans des scènes alternatives ou des projets de communes.

Par contraste, l’insurrectionisme anarchiste assume que les anarchistes ne devraient produire aucune vision et que plutôt toute forme de domination se doit d’être attaquée en permanence sans avoir le besoin de narratifs “politiques” alternatifs. La tendance insurrectionnelle a émergé comme l’inversion de l’anarcho-communisme. Selon moi, il s’est développé comme résultat de l’expérience de l’échec des affirmations anarchistes, le désillusionnement avec l’échec de la révolution sociale et de la répression brutale subie par les mouvements socialistes libertaires.

NdR71 : Ce qu’Eibish appelle ici “l’anarchisme insurrectionnel” n’est qu’une resucée de la “propagande par le fait” populaire au sein du mouvement anarchiste à la fin du XIXème et début XXème siècles et essentiellement abandonnée depuis. Cette stratégie ressurgit cycliquement dans l’histoire en fonctions des conditions sociales et de la frustration émanant d’un sentiment de statu quo politique… C’est la partie la plus facilement manipulable par l’État pour générer le ressentiment populaire contre l’anarchie. Ne pas confonde “la propagande par le fait” et l’auto-défense, deux choses complètement différentes. En ce sens, le Black Bloc par exemple, est ambivalent, il peut être un outil de “propagande par le fait” et/ou un outil (très efficace) d’auto-défense… On ne peut évoquer cet aspect sans évoquer le toujours épineux sujet du “peuple en arme”. Nous avons traité de ce sujet qui est, surtout en cette période historique des plus troubles, un des sujets les plus importants qui ne pourra plus être ignoré longtemps…

Les traditions, perspectives et pratiques des tendances anarchistes variées sont initialement intéressantes en elles-mêmes. Nous ne devrions pas regarder leur catégorisation de manière trop étroite, parce que dans les scènes anarchistes, elles se mélangent de différentes façons. Ceci n’est pas mauvais et peut être très enrichissant. Aussi différents que les anarchistes soient et pensent, ils ont une chose en commun dans leur compréhension de la politique et cela mène à la poussée vers l’autonomie, c’est à dire le rejet de la domination avec la mise en place simultanée de relations et institutions égalitaires, libertaires et solidaires.

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Le vide politique en anarchisme

Mais la critique radicale de la politique et de son rejet dans l’anarchisme créent aussi deux problèmes théoriques. Le premier, si le terrain politique est complètement négligé, les approches anarchistes tendent à devenir des fins en elles-mêmes. La révolte peut devenir une fin sans but (NdT : d’où l’importance d’avoir élaboré une “conscience politique” solide…), qui peut être utilisée pour satisfaire des besoins de rébellion, mais qui demeurent un anti-réflexe et ne peuvent pas dépasser la domination. Le centre autonome ne peut être que sous-culturel et un projet d’habitat devient une meilleure façon de vivre dans un voisinage embourgeoisé. Le syndicalisme de la base est instrumentalisé par des groupes politiques ou masque ses contradictions internes. Les pratiques d’aide mutuelle s’arrêtent à la gestion de la misère sociale ou a ne servir que ses propres intérêts. Des individus subversifs ne font juste que tourner autour de leur auto-découverte.

Le second est qu’il y a la question du comment une forme de société socialiste-libertaire peut-être organisée politiquement ? Comment les communautés auto-organisées se forment-elles et comment s’inter-connectent-elles entre elles ? Comment les consensus sont-ils formés ? Comment se prennent les décisions et comment peuvent-elles être soutenues par le plus de monde possible ? Si les anarchistes veulent rendre justice à leurs propres demandes et créer des réalités alternatives pré-figuratives, ces questions n’émergent pas de manière conclusive et dans le sens d’un brouillon abstrait d’un nouvel ordre social. Elles sont plutôt des fondations essentielles pour développer des mouvements sociaux émancipateurs et des structures alternatives. Les anarcho-communistes en particulier, s’occupent de ces questions. (NdT : Résistance 71 est un collectif anarcho-communiste et nous confirmons ce que dit ici le compañero Jonathan, c’est toujours une tentative et le cœur de l’affaire vient de la non-coercition, un système  ne s’impose pas par la force, il ne peut que s’imposer par le respect et son efficacité prouvée de terrain dans la complémentarité de la diversité des associations libres…). Je vais donc maintenant mettre plus de lumière sur l’anti-politique anarcho-communiste. Je voudrais aussi dire ici par avance que le problème politique ne peut pas non plus être vraiment résolu de cette manière.

L’anti-politique des groupes anarcho-communistes

Même au sein de l’anarcho-communisme, plusieurs déclarations sont faites sur la politique. Par exemple, Johann Most fait une amère critique du politiser et Joseph Peukert rejette aussi la “politique” de manière abrupte. Pierre Kropotkine se demande comment les relations politiques socialistes-libertaires peuvent être conçues aux côtés et en opposition à la relation politique de domination de l’État. Le communisme est la relation économique alternative, tandis que l’anarchie est supposée être le mode de relation politique sans domination. D’après cette conception, la fédération de communes autonomes décentralisée est le modèle d’organisation politique pour la forme désirable de société. (NdT : une “fédération”, “confédération” qui ne serait évidemment pas un proto ou crypto-état) Le fait que différentes communautés puissent s’organiser sans devenir exclusives, homogènes et hiérarchiques est fondé sur des expériences historiques, qui forment le point de départ de la vision de la forme socialiste-libertaire de la société. Les anarchistes peuvent décrire une telle utopie concrète et réelle sans la graver dans le marbre ou croire en un plan infaillible qui n’existe pas et ne peut pas exister. Ils ont aussi besoin d’une telle vision s’ils veulent montrer des alternatives à l’ordre existant et s’ils veulent réaliser leurs idées et pas seulement en scenarios et en projets.

Parce que l’anarcho-communisme est au sujet de la totale révolution sociale de la forme de la société, il insiste sur la promotion, le développement de la conscience politique et l’organisation, ce plus que toutes les autres tendances anarchistes. Alors même qu’il y a un scepticisme prononcé sur le politique dans l’anarcho-communisme, il est aussi le plus politique de toutes les tendances anarchistes dans ses organisations. Entre autres, les anarcho-communistes se réfèrent aux groupes politiques de l’extrême-gauche et se comparent à ceux-ci, ils acceptent les différences graduelles des politiciens, veulent montrer une certaine direction à prendre pour les mouvements sociaux ; l’anarchisme communiste entre en territoire politique avec ces assomptions de base, même si cela n’implique pas la politique d’état. Mais si l’État est compris en un sens plus large comme relation politique de domination, une contradiction surgit ici. Comment la politique autonome anarcho-communiste diffère vraiment par exemple, de l’approche marxiste, qui critique aussi la domination politique, mais pour cette même raison une politique réformiste et/ou révolutionnaire est poursuivie ?

NdR71 sur l’anarcho-communisme : Si l’auteur est toujours empreint de confusion sur ces questions, c’est qu’il n’a pas bien saisi et fait des faux-sens dans son interprétation de l’anarcho-communisme. L’anarcho-communiste refuse toute forme d’état ou d’institutions centralisées. Il prône et développe les associations libres, associées en communes libres, fonctionnant sur l’entraide et selon le slogan du “A chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins”. Il élabore un système de coopération qui abolit également le rapport marchand et donc l’argent et toute forme de “troc” et donc aussi de salariat, on arrête de mettre une étiquette de prix sur tout ce qui nous entoure, y compris “l’heure de travail” et la vie humaine !..

Le marxiste dépend d’un parti centralisé qui saisit le pouvoir par voie électorale ou par la violence révolutionnaire. Le parti centralise le politique et l’économique et ne remet pas en cause le rapport marchand qu’il ne fait que “socialiser” de manière incomplète ne pouvant être que pervertie. Pour le marxiste, le prolétariat saisit les moyens de production et de pouvoir que le parti gère avec ses cadres. Le marxiste se complet dans un “capitalisme d’état” en attendant la “disparition” de celui-ci dans un futur plus lointain que proche… L’anarcho-communiste change totalement le rapport et la relation sociale en construisant une société sans état, sans parti, sans rapport marchand et sans argent ni salariat. Il s’oppose aussi en cela à l’anarcho-collectiviste (tendance Bakounine), qui fonctionne sans État mais ne pense pas que l’argent et le rapport marchand doivent disparaître dans l’immédiat, ce à quoi l’anarcho-communiste répond : État et rapport marchand / argent doivent disparaître de paire, pourquoi se débarrasser de l’un et attendre pour l’autre ? Cela n’a absolument aucun sens et ne peut que nuire à l’harmonie sociale…. L’anarcho-communisme est la société des sociétés telle qu’envisagée par Gustav Landauer dans le sillage de Pierre Kropotkine, la société humaine organique rayonnant dans toute la splendeur de la complémentarité de sa diversité bien comprise. Le marxiste s’inféode à une nouvelle relation de domination, l’anarcho-communiste s’émancipe avec la société. L’anarcho-communisme est une voie à deux sens, de l’individu à la société et de la société à l’individu en relation osmotique et complémentaire ; le marxisme est une voie à sens unique où l’individu est effacé devant le parti, ses cadres “avant-gardistes” et la société sous un nouveau rapport de domination. “Le prolétariat utilisera sa suprématie politique pour centraliser tous les instruments de production dans les mains de l’État…” (Marx, “Manifeste du Parti communiste”, 1848, 2ème chapitre). Marx y définit aussi l’état communiste comme étant “le prolétariat comme classe dirigeante”… Comment peut-on éprouver une quelconque confusion entre l’anarcho-communisme et le marxisme si l’analyse est complète ?… [fin de note]

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Accusations contre l’action sur le terrain politique

Certains anarchistes accusent donc l’anarcho-communisme de n’être en fait qu’un autre courant politique de la gauche. Ses activistes se considéreraient anti-autoritaires, mais au bout du compte sous-estimeraient le fait que le modèle social pour lequel ils poussent ne serait au mieux qu’un meilleur ordre de réglementation, mais ne serait pas du tout l’abolition de toute règle ; et en fait avec l’anarcho-communisme la logique politique ne serait finalement pas “de gauche”, mais toujours dans les catégories de l’esprit de l’ordre dirigeant. 

Je considère ces accusations être fausses, parce que je suis convaincu que de bonnes relations sociales alternatives existent déjà et que nous pouvons les étendre et travailler avec. Au lieu de cette fiction de “société libérée”, nous devrions nous aligner sur la vison d’une utopie faisable et concrète, orienter nos luttes autour d’elle et essayer de progresser toujours plus en tant que minorité radicale. De mon point de vue, les humains sont des animaux sociaux qui ne peuvent que se développer et se déterminer comme personnes spéciales, individuellement, dans la société. Les institutions ne sont pas des structures de domination per se, c’est un fait social établi que les gens développent des institutions, c’est pourquoi leur façonnement est important. (NdR71 : toute institution centralisée, privée ou étatique ne peut être que structure de domination de par le rapport hiérarchique intrinsèque. Une institution est une infrastructure qui ne peut refléter que son environnement… La commune libre serait une “institution” en tant qu’infrastructure sociale échappant au rapport de coercition, elle ne pourrait donc avoir qu’une influence positive, nous sommes en cela d’accord avec Eibish )

[…]

Devenir capable d’agir en contradictions

Ceci me ramène à mes questions initiales : Qu’est-ce que les anarchistes entendent par politique ? Comment la gèrent-ils ? Peut-il vraiment y avoir une politique autonome allant au-delà du cadre de relation politique de domination et qui n’est pas phagocytée par l’État ? Malheureusement, je ne peux pas répondre à ces questions de manière conclusive. Ceci est due à mon approche non-dogmatique par laquelle je trouve plus important de poser plus de questions et de discuter plus avant que de donner des réponses définitives ou de formuler des définitions fixes. Ainsi donc, je désirerais partager mes questions avec quiconque est intéressé et les encourager d’y penser également.

Je pense qu’il est vrai qu’il y a une contradiction théorique dans l’anarcho-communisme quand, d’un côté, il est utilisé pour entrer le champ politique et d’un autre côté, la critique anarchiste de la décision politique demeure en lui. 

NdR71 : il n’y a pas de contradiction quand on pense hors de la “boîte” étatico-marchande, quand la décision politique, le pouvoir, est réintégré dans le corps social, hors institutions coercitives, car à terme, on ne peut pas échapper au “pouvoir”, à la capacité et au besoin de prendre des décisions dans une communauté, une société sans pouvoir n’existe pas ; ce qu’il y a en revanche, ce sont des sociétés à pouvoir non-coercitif et des sociétés à pouvoir coercitif. La grande question historico-anthropologico-politique est de savoir pourquoi passe t’on d’un pouvoir non-coercitif somme toute naturel pour l’humanité de -1,8 millions d’années jusqu’à il y a quelques 5000 ans, à un pouvoir coercitif, d’abord en alternance, puis “définitif” par construction au moyen de l’état et d’institutions garde-chiourmes d’un système de domination par le plus petit nombre et ceci est-il irrémédiablement irréversible sachant que tout construction humaine, car c’est de cela qu’il s’agit ici, peut se déconstruire avec plus ou moins de perte et fracas selon les circonstances ? Rien n’est inéluctable dans une construction sociale, il est toujours possible de changer de relation, à tout moment, on ne dit pas que c’est facile, on dit que c’est tout à fait possible… encore faut-il le vouloir et pour le vouloir, d’abord en être conscient. [fin de note]

Malgré le fait que cette contradiction est aussi présente dans les autres tendances anarchistes bien que cela soit souvent ignoré de façon romantique ou balayé d’un revers de la main, la question demeure de savoir si c’est si mal que ça. Ceci n’est pas du à une quelconque anomalie de la pensée anarchiste. Cela surgit plutôt du cadre des conditions d’un certain ordre de domination, aux côtés duquel et au delà duquel il y a aussi des conditions sociales désirables que les anarchistes puissent aussi positivement se référer.

En bref, la domination et la liberté existent simultanément. Si cela n’était pas le cas, les anarchistes n’auraient pas à combattre pour quoi que ce soit d’autre. Ceci est vrai même s’ils devaient se consacrer essentiellement à la destruction des stuctures de domination. Si aucun changement désirable n’était possible, les anarchistes resteraient rhétoriques ou ils fusionneraient avec des groupes politiques et feraient de la politique pour une clientèle spécifique ; ou ils sombreraient dans le nihilisme, qui est une conclusion absurde. Même si ces signes de décomposition sont présents, je suis convaincu que les gens peuvent être par principe investis du pouvoir de déterminer leurs propres vies et pour se battre pour une société socialiste libertaire qui continuera à être défiée et développée par l’anarchie.

Finalement, il devrait être question de savoir comment les anarchistes peuvent être capables d’agir en contradictions afin de briser le cadre de l’ordre de la domination, de créer des communautés auto-organisées et d’y créer des relations ainsi que des institutions égalitaires, libertaires et solidaires. Cela est-il possible et comment le faire devra être discuter ailleurs sur la base d’exemples particuliers. Pour l’anarcho-communisme, les pensées et actions de gens comme Emma Goldman et Errico Malatesta peuvent inspirer. Dans leurs textes et biographies, je vois une motivation et une implication continues d’amener des groupes différents eux aussi marginalisés, opprimés, exploités dans un projet social révolutionnaire commun. Ce faisant, ils connectent différents champs de lutte, tentent de relier des points de vue anarchistes divergents et prennent des positions claires sur des problèmes bien spécifiques.

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NdR71 : Jonathan Eibish a aussi écrit sur le thème de l’anarchisme individualiste. Nous comprenons que ces textes éparses font partie de sa thèse de doctorat sur la théorie politique de l’anarchisme. Ci-dessous nous avons traduit la conclusion de la partie :

“L’anti-politique dans l’anarchisme individualiste” (2022) sans traduire le corps du texte, afin de sensibiliser sur les deux parties fondamentales de l’approche anarchiste de la société et des rapports de pouvoir et surtout tenter de faire comprendre qu’ils sont complémentaires et non pas antagonistes. Quoi que l’on fasse politiquement, tout par de l’individu, de sa conscience politique, de sa morale et de la façon dont il/elle interagit avec sa réalité, elle-même une réalité sociale collective. L’individu politiquement éveillé et actif rayonne sur ses extérieurs et s’associe volontairement, en retour l’association volontaire influe sur les individus la composant, la rendant plus vaste et compréhensive, supérieure à la somme de ses individus. Tout est là…

=> Conclusion (de Eibish sur l’anarchisme individualiste) :

En terme politique, cela veut d’abord dire : commencer à changer les choses avec soi-même et son propre environnement. C’est dans ce contexte que nous nous connaissions et là où nous faisons l’expérience de notre efficacité, ce qui est crucial pour transformer nos propres vies en ce changement que nous voulons voir pour le monde. Pour ce faire, nous ne devons pas discuter pompeusement de la révolution ou affirmer que les conditions pour un changement radical et émancipateur sont absentes, parce qu’elles sont toujours là ou ne le seront jamais.

En termes d’organisation, deuxièmement, cela veut dire organiser sur la base de relations sociales tangibles dès que possible. Ceci ne veut pas dire être amis avec tous les camarades, mais de développer des affinités avec eux. C’est donc une question de façonner activement les relations en accord avec sa demande, de communiquer de manière sensible, et de se traiter les uns les autres avec respect. Même les grands mouvements sociaux ne sont aussi forts que les individus qui les composent et leur capacité à s’unifier directement, à se faire confiance et à coopérer les uns avec les autres ; ceci ne tombe pas du ciel, c’est activement encouragé.

Troisièmement, un scepticisme au sujet de la décision politique peut être dérivée de l’anarchisme individualiste, ce qui est en fait approprié et peut bien être justifié. Les actions ne “réussissent” pas seulement si elles peuvent être utilisées pour exercer une pression sur l’Etat pour qu’il se sente obliger d’émettre des réformes en pratique. Les actions directes parlent d’elles-mêmes et ont un effet immédiat sur les choses que l’on veut critiquer et changer. Ceci demande que les individus agissent activement, volontairement, respectivement et consciemment, c’est à dire de manière auto-déterminée. Ceci anticipe ce que les anarchistes dans leur ensemble luttent pour : une forme de société dans laquelle tout le monde vit dans les conditions qui les aident à déterminer et à façonner leurs vies par eux-mêmes. Que l’action résultante soit alors appelée “action politique” ou pas n’est pas important. La chose vitale est de s’éloigner du mode nationalisé d’action politique.

NdR71 : manifestement, J. Eibish est plus à l’aise pour analyser l’anarchisme individualiste que l’anarcho-communisme vu plus haut… 

Pour nous, Il n’y a pas d’antagonisme entre anarchisme individualiste et anarcho-communisme, il y a complémentarité qui doit être bien comprise. Tout part de l’individu pour y retourner par le truchement du collectif, de la capacité unique de l’individu de dire NON ! et de librement s’associer. Ce rayonnement passe des individus aux collectifs qui en retour agissent sur les individus pour que la société résultante soit plus grande que la somme des individus qui la composent. Là réside la force organique de l’anarchie. Le marxiste de parti a une mentalité de ruche, qui sacrifie l’individu à l’autel d’un collectif dirigé par une nomenklatura “avant-gardiste” donc élitiste à vocation dogmatique et coercitive. L’anarcho-communiste fonde son communisme sur les communes d’individus volontairement associées se perfectionnant les unes les autres par le truchement de la relation individuelle et collective. C’est une voie à deux sens qui met l’individu au cœur du communisme et non pas qui assujettit l’individu à un nouveau mode de domination collectiviste pseudo-communiste. L’anarcho-communisme est en adéquation avec la nature, il est la vie ; le marxisme institutionnel en est la négation, il est l’autre côté de la même pièce étatico-marchande du capitalisme et n’est que mort et putréfaction. Le choix est indéniablement vite fait pour quiconque réfléchit critiquement et donc radicalement (sur la racines des choses…).

= = =

“Obéir, non ! Et gouverner ? Jamais !”
~ F. Nietzsche (Le gai savoir #33) ~

“Là où cesse l’État, c’est là que commence l’Homme, celui qui n’est pas superflu : là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l’État — regardez donc mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?”
~ Friedrich Nietzsche, “De la nouvelle idole” ~

L’état n’est pas quelque chose qui peut être détruit par une révolution, mais il est un conditionnement, une certaine relation entre les êtres humains un mode de comportement humain, nous le détruisons en contractant d’autres relations, en nous comportant différemment.
~ Gustav Landauer ~

Lecture complémentaire importante de ce texte de Jonathan Eibish :

“Le communisme anarchiste”, Sam Dolgoff, traduit par Résistance 71

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

TLPARP

GL sur R71 cobra

Réflexion politique critique : Faux-sens sur l’anarchisme (Sam Dolgoff)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 23 avril 2023 by Résistance 71

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“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

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Faux-sens sur l’anarchisme

Sam Dolgoff*

1986

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Avril 2023

Ceci est un passage de son livre : “Fragments : A memoir”, 1986

(*) Sam Dolgoff (1902~1990) : né en URSS (Biélorussie), il émigre avec ses parents aux Etats-Unis en 1905. Peintre en bâtiment de profession. Devient socialiste révolutionnaire après sa rencontre avec Gregory Maximov, qui devient son ami et mentor. Il passe sa vie à la compréhension théorique et pratique de l’anarchisme. Son équivalent francophone serait Gaston Leval. Tous deux ont profusément écrits sur les expériences anarchistes au cours de la révolution espagnole de 1936-39. Dolgoff est l’auteur d’un excellent livre compilation “Les collectifs anarchistes, l’autogestion des travailleurs dans la révolution espagnole de 1936-39” (1974), il a aussi écrit sur “L’illusion du Parti socialiste” en 1960, sur la révolution cubaine (1974), sur l’anarchisme et la société moderne (1977) et sur l’anarchisme et la technologie (1986). Nous aimons particulièrement son style simple, efficace, ancré dans la réalité et s’adressant au commun des mortels et non pas à une “élite” intellectuelle “avant-gardiste”. A lire de paire avec Gaston Leval. Deux auteurs d’une actualité brûlante qui mettent en perspective réaliste et viable l’approche anarchiste organique de l’organisation sociale pour sortir du marasme absolu et terminal dans lequel nous sommes présentement engagés avec l’organisation sociale de la domination étatico-marchande.

L’anarchisme n’est pas un individualisme anti-social absolu

L’anarchisme ne connote pas une liberté individuelle absolue, irresponsable et anti-sociale, qui viole les droits des autres et rejette toute forme d’organisation et d’auto-discipline. La liberté individuelle absolue ne peut être atteinte qu’en isolation (dans la mesure où cela est possible : “Ce qui rend vraiment la liberté impossible et la supprime tout en rendant l’initiative impossible c’est l’isolation, qui nous rend impuissant.Errico Malatesta, Life and Ideas, Freedom Press, p. 87)

L’anarchisme est synonyme de termes comme “socialisme libre” ou “anarchisme social”. Comme l’implique le terme “social”, l’anarchisme est l’association libre de gens vivant ensemble et coopérant dans des communautés libres. L’abolition de l’État et du capitalisme, l’autogestion des activités de travail par les travailleurs eux-mêmes, la distribution en fonction des besoins, l’association libre, sont les principes qui, pour toutes tendances socialistes, constituent l’essence même du socialisme.

Pour se distinguer des différences fondamentales sur le comment et quand ces objectifs seront réalisés, ainsi qu’en provenance des individualistes anti-sociaux, Pierre Kropotkine et les autres penseurs anarchistes ont défini l’anarchisme comme “l’aile gauche du mouvement socialiste”. L’anarchiste russe Alexeï Borovoï a déclaré que la bonne base de l’anarchisme dans une société libre, est l’égalité de tous ses membres dans une organisation libre. L’anarchisme social pourrait être défini comme le droit égal à être différent.

L’anarchisme n’est pas la liberté illimitée ni la négation de la responsabilité

Dans les relations sociales entre les personnes, certaines normes sociales volontaires devront être acceptées, comme l’obligation de remplir les conditions d’un accord librement accepté. L’anarchisme n’est pas un “non gouvernement”. L’anarchisme est l’auto-gouvernement (ou son équivalent d’auto-administration). Ceci veut dire auto-discipline. L’alternative à l’auto-discipline est l’obéissance forcée de dirigeants sur leurs sujets. Pour éviter ceci, les membres de chaque association font eux-mêmes et librement les règles de leur association et s’accordent pour suivre les règles fixées par eux-mêmes. Ceux qui refusent de les honorer après les avoir librement acceptées et ne remplissent pas leur part de responsabilité dans cet accord volontaire se verront refuser les bénéfices que procurent l’association. (NdT : à terme, ces personnes n’auront plus d’autre choix que de partir pour trouver un accord qui leur conviendrait mieux, ou, comme on va le voir plus loin, si suffisamment nombreux, faire sécession…)

Le droit de faire sécession

Les sanctions pour violations de l’accord sont contre-balancées par le droit inaliénable de faire sécession. Le droit pour des groupes ou des individus de choisir leurs propres formes d’association est, d’après Bakounine, le plus important des droits politiques. L’abrogation de ce droit mène directement à la réintroduction de la tyrannie. Vous ne pouvez pas faire sécession depuis la cellule d’une prison. La sécession ne va pas paralyser l’association. Les personnes ayant un intérêt commun fort vont coopérer (NdT : observons l’oligarchie du système actuel, leurs intérêts financiers et politiques communs les font coopérer au plus haut degré malgré la concurrence de marché qui parfois les anime…), ceux qui risquent plus de perdre en faisant sécession vont compromettre leurs différences. Ceux qui ont peu ou rien en commun avec la collectivité ne vont pas blesser la communauté associative en faisant sécession, mais vont au contraire, éliminer une source de frictions internes, promouvant ainsi une meilleure harmonie générale.

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La différence essentielle entre l’anarchisme et l’État

La grande différence entre le concept anarchiste d’une autorité commune librement acceptée en échange de services et qui représente l’administration des choses, diffère fondamentalement de l’autorité de l’État, qui lui domine et dirige sur ses sujets, le peuple. Exemple : réparer ma télévision : l’autorité du technicien expert s’arrête lorsque la réparation est effectuée. La même chose se produit lorsque je suis d’accord pour repeindre l’atelier du technicien. L’échange réciproque de biens ou de services est une relation coopératrice limitée, non personnelle, ce qui exclut automatiquement toute forme de dictature. Au contraire de l’État qui est un appareil de gouvernement qui intervient en tout et pour tout et interfère dans tous les aspects de ma vie, ce, de ma naissance à ma mort et où je suis obligé d’obéir à toute loi, tout décret, de subir un harcèlement constant, une abrogation de mes droits (NdT : devenus à ce stade, de petits privilèges accordés temporairement et révocables à tout moment, c’est ce que nous constatons constamment de nos jours…), un emprisonnement potentiel voire même la mort en certains cas.

Des gens peuvent librement faire sécession d’un groupe ou d’une association, même organiser la leur. Mais ils ne peuvent pas échapper à la juridiction de l’État. S’ils arrivent finalement à s’échapper dans un autre état, alors ils sont immédiatement soumis à la juridiction du nouvel état où ils se trouvent.

Remplacer l’État

Les concepts anarchistes ne sont pas concoctés artificiellement par les anarchistes. Ils sont dérivés de tendance déjà au travail. Kropotkine, qui a formulé la sociologie de l’anarchisme, insista sur le fait que la conception anarchiste de la société libre est fondée sur “ces données qui sont déjà fournies par l’observation de la vie dans le temps présent.Les théoriciens anarchistes se sont limités à suggérer l’utilisation de tous les organismes utiles de l’ancienne société afin de construire une nouvelle. Que “les éléments de la nouvelle société se développent déjà dans l’effondrement de la société bourgeoise” (Marx), ceci est un principe fondamental partagé par toutes les tendances du mouvement socialiste.  L’écrivain anarchiste Colin Ward résume admirablement biien ce point : “Si vous voulez construire la nouvelle société, tous les matériaux nécessaires sont déjà disponibles”.

Les anarchistes cherchent à abolir et remplacer l’État, non pas par le chaos, mais avec les formes naturelles spontanées d’organisation qui ont émergé à chaque fois que l’entraide et l’intérêt commun par la coordination et l’auto-gouvernement sont devenus nécessaires. Cela jaillit de l’inévitable interdépendance de l’humanité et la volonté d’harmonie. Cette forme d’organisation est le “fédéralisme”. Une société sans ordre est inconcevable. Mais l’organisation de l’ordre n’est pas le monopole exclusif de l’État. Le fédéralisme est une forme d’ordre social qui précéda l’usurpation de la société par l’État et qui lui survivra.

Il n’y a pratiquement pas de forme d’organisation qui, avant d’être usurpée par l’État, ne fut pas fédéraliste par nature. On pourrait remplir des volumes de la simple liste de vastes réseaux de fédérations et de confédérations locaux, régionaux, nationaux et internationaux, embrassant la totalité de la vie sociale. La forme fédérée de l’organisation rend pratique pour tous les groupes et fédérations de bénéficier de l’unité et de la coordination tout en exerçant l’autonomie au sein de leur sphère, étendant ainsi le champ de leur liberté. Le Fédéralisme, synonyme d’accord libre, est l’organisation de la liberté. Comme l’avait dit Proudhon : “Celui qui parle de liberté sans parler de fédéralisme, ne dit rien.”

NdR71 : Ceci dit, nous pensons que le fédéralisme à la sauce proudhonienne est très ambigu. Il suffit de lire le livre de Proudhon : “Du principe fédératif” pour comprendre que Proudhon demeure très proche, trop proche de fait, d’entités organisationnelles étatiques qu’il voudrait voir “réformées”. Sam Dolgoff est ici beaucoup plus clair et semble avoir mieux compris le principe fédératif. Nous avons dit par ailleurs et pensons toujours que Proudhon est le maillon faible de la chaîne anarchiste. Il se doit d’être lu et étudié, comme Marx, il n’a pas dit que des conneries, mais il en a dit pas mal quand même… Voir l’anarchisme et l’englober dans une sorte de “néo-proudhonisme” à la sauce “woke” XXIème siècle serait la pire des erreurs à faire ! C’est pourtant là que s’enferme et gesticule la “gauche bobo” collaboratrice du système à l’insu de son plein gré, tentant de mener le système dans cette dimension, toute pilotée qu’elle est par l’oligarchie en place…
A Résistance 71, nous n’employons jamais le terme de “fédéralisme” devenu ambigu et synonyme de confusion politique. Notre concept est emprunté à Gustav Landauer et sa société des sociétés organique.

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Après la révolution

La société est un vaste réseau de travail coopératif interconnecté et toutes les institutions profondément enracinées qui fonctionnent de manière efficace maintenant continueront de fonctionner pour la simple raison que l’existence même de l’humanité dépend de cette cohésion interne. Ceci n’a jamais été remis en question par quiconque. Ce dont on a besoin, est l’émancipation des institutions autoritaires sur la société et de l’autoritarisme au sein des organisations elles-mêmes. Par dessus tout, elles doivent être infuser d’un esprit révolutionnaire et de la confiance en la capacité créatrice des gens, du peuple. Kropotkine, en faisant émerger la sociologie de l’anarchisme, a ouvert une zone de recherche fertile qui a été largement négligée par les scientifiques sociaux qui passent leur temps à cartographier de nouvelles zones pour le contrôle d’état.

Les anarchistes furent principalement concernés par les problèmes immédiats de la transformation sociale auxquels on devra faire face dans chaque pays après la révolution sociale. Ce fut pour cette raison que les anarchistes ont essayé de faire émerger des mesures pour répondre aux problèmes pressants qui vont le plus probablement émerger pendant ce que le penseur révolutionnaire anarchiste italien Errico Malatesta a appelé “une période de réorganisation et de transition”. Un résumé de la discussion de Malatesta de quelques unes des questions les plus importantes suit.

Les problèmes cruciaux ne peuvent pas être évités en les repoussant aux calendes grecques, à cette époque aussi lointaine qu’aléatoire quand les masses auront totalement compris et seront convaincues de l’anarcho-communisme. Nous, les anarchistes, devons avoir nos solutions si nous ne voulons pas jouer le rôle de “vieux ronchons inutiles et politiquement impuissants”, tandis que des autoritaires moins scrupuleux mais plus réalistes saisissent le pouvoir. Anarchie ou pas, le peuple doit manger et avoir les nécessités de base de la vie. Les villes doivent être approvisionnées et les services vitaux ne peuvent pas être interrompus. Rien ne peut se faire en un jour.

L’organisation de la société anarcho-communiste sur une grande échelle ne peut se faire que graduellement, les conditions matérielles le permettant et avec les masses se persuadant elles-mêmes des bénéfices à être gagnés alors qu’elles deviennent graduellement psychologiquement accoutumées aux changements radicaux dans leur mode de vie. Comme le communisme libre et volontaire (le synonyme de Malatesta pour anarchisme) ne peut pas être imposé, Malatesta a insisté sur la nécessité de la coexistence de formes économiques variées : collectiviste, mutualiste, individualiste, sous condition qu’il n’y ait pas exploitation d’autrui. Malatesta fut confiant que l’exemple réussi des collectifs libertaires attireront les autres dans l’orbite de la collectivité.. en ce qui me concerne, je ne crois pas qu’il y ait “une” solution à la question sociale, mais sans doute mille solutions différentes changeantes, de la même manière que l’existence sociale est différente dans le temps et dans l’espace.

[Errico Malatesta, Life and Ideas, edited by Vernon Richards, Freedom Press, London, pp. 36, 100, 99, 103–4, 101, 151, 159]

L’anarchisme “pur” est utopie

L’anarchisme “pur” est défini par le penseur et écrivain anarchiste George Woodcock comme étant “le groupe d’affinité souple et flexible qui n’a pas besoin d’organisation formelle et qui propage les concepts anarchistes au moyen d’un réseau invisible de contacts personnels et d’influences intellectuelles.” Woodcock argumente que l’anarchisme “pur” est incompatible avec les mouvements de masse comme l’anarcho-syndicalisme par exemple parce qu’ils ont besoin d’organisations stables précisément parce qu’il bouge dans un monde qui n’est que partiellement gouverné par des idéaux anarchistes,,, et fait des compromis avec les situations au jour le jour…

[L’anarcho-syndicalisme] doit maintenir l’allégeance des masses [de travailleurs] qui ne sont que de très loin au courant du but final de l’anarchisme. [Anarchism, pp. 273–4]

Si ceci est vrai, alors l’anarchisme est une utopie, parce qu’il n’y aura jamais un temps où tout le monde sera un anarchiste “pur” et parce que l’humanité devra toujours faire “des compromis avec la situation au jour le jour”. Cela ne veut pas dire que l’anarchisme rejette les “groupes d’affinité”. En fait, c’est précisément parce que la variété infinie d’organisations volontaires qui sont formées, dissoutes et reconstruites en accord avec les fluctuations conjoncturelles et individualistes, reflètent les préférences individuelles, qu’elles constituent la condition indispensable d’une société libre.

Mais les anarchistes insistent sur ce que la production, la distribution, l’échange communicatif et autre indispensable qui doivent être coordonnés à une échelle mondiale dans notre monde moderne indépendant, doivent être fournis sans coup férir par des organisations “stables” et ne peuvent pas être laissés aux humeurs fluctuantes des individus. Il y a des obligations sociales que chaque individu sain de corps et d’esprit doit remplir si il ou elle s’attend à jouir des bénéfices du travail collectif. Ceci devrait être axiomatique que de telles associations “stables” indispensables, organisées de manière anarchiste, ne sont pas des déviations. Elles constituent l’essence de l’anarchisme pour qu’il soit viable en tant qu’ordre social.

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Cartographier le chemin vers la liberté

Les anarchistes ne sont pas des êtres naïfs attendant l’installation de a société parfaite composée d’individus parfaits qui auraient miraculeusement mué de leurs préjudices et biais induits et dépassés leurs habitudes dès le “jour d’après la révolution”. Nous ne nous préoccupons pas  de ce à quoi ressemblera la société dans un futur lointain lorsque le paradis sur terre aura enfin été atteint. Mais nous sommes concernés par dessus tout, par la direction que prend le développement humain. Il n’y a pas d’anarchisme “pur”. Il n’y a que l’application de principes anarchistes aux réalités de la vie sociale. Le seul et unique but de l’anarchisme est de propulser la société dans une direction anarchiste.

Vu de cette manière, l’anarchisme est un guide pratique viable et crédible de l’organisation sociale. Autrement vu, il est voué à demeurer dans les rêves utopiques et ne peut en aucun cas devenir une force vive, vivante et organique.

= = =

“Là où cesse l’État, c’est là que commence l’Homme, celui qui n’est pas superflu : là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l’État — regardez donc mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?”
~ Friedrich Nietzsche, “De la nouvelle idole” ~

Lectures complémentaires :

Sam Dolgoff sur Résistance 71

“Le communisme anarchiste”, Sam Dolgoff, PDF

+

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

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Zapatistes du Chiapas, Mexique et racines indigènes… Une communauté en armes (Tikva Honig-Parnass, PDF)

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Unknown

Résistance 71

17 avril 2023

Si tu es venu ici pour m’aider,
Tu perds ton temps…
Mais si tu es venu parce que
Ta libération est liée à la mienne,
Alors, travaillons ensemble.
Groupe d’activistes aborigènes, Queensland, Australie, 1970

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TLPARP

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Territoires zapatistes… Terre et Liberté !

Une communauté en armes et en rébellion, les racines indigènes de l’EZLN zapatiste, Chiapas, Mexique 2/2 (Tikva Honig-Parnass)

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“Vous devriez tous disparaître, pas seulement parce que vous représentez une aberration historique, une négation de l’humain et une cruauté cynique, mais aussi parce que vous êtes une insulte à l’intelligence. Vous et votre système nous rendez possibles, vous nous faites grandir. Nous sommes votre alter-ego, votre frère siamois opposé. Pour nous faire disparaître, vous devez disparaître…”
~ Communiqué zapatiste lors de l’intronisation du président mexicain Ernesto Zedillo, 1er décembre 1994 ~

Une communauté en armes, les racines indigènes de l’EZLN

Tikva Honig-Parnass*

2019

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Avril 2023

1ère partie

2ème partie

(*) Née et élevée dans une famille ultra-sioniste dans la pré-Palestine de 1948, elle fut secrétaire du parti de gauche Mapam (parti unifié des travailleurs) et membre du parlement de la Knesset entre 1951 et 1954. Elle rompt définitivement avec le sionisme en 1960 et devient activiste politique et écrivain pro-palestinienne. Elle travaille avec le mouvement Matzpen et publie plusieurs livres dont “Between the Lines” (2007), titre homonyme de la revue qu’elle a créée avec le Palestinien Toufik Haddad.

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Chiapas, Mexique et Amérique latine : le radicalisme anti-capitaliste

Incidemment, le soulèvement zapatiste se fit le jour où les accords du NAFTA furent confirmés. Cela représentait symboliquement

Cela représentait symboliquement l’anti-capitalisme et anti-impérialisme profondément ancrés que le Chiapas partageait avec “d’autres peuples indigènes du Mexique et ailleurs en Amérique Latine », que le Chiapas partageait avec “d’autres peuples indigènes du Mexique et ailleurs en Amérique Latine”, comme le fit remarquer Cleaver. C’était un cri de rage contre le capitalisme en tant que tel, et pas seulement contre les formes spécifiques proéminentes dans l’ère de l’économie dite néo-libérale ou contre ses effets sur les seuls peuples indigènes.

En même temps, ils avaient suffisamment bien compris son potentiel désastreux pour eux-mêmes qui étaient la première cible de ces politiques de dépossession.

La compréhension du but du capitalisme à éliminer la résistance indigène et la vie communale est présentée dans une lettre du Subcomandante Marcos adressée à l’écrivain et supporteur John Berger en décembre 1993, moins de un mois avant le soulèvement :

“Le néolibéralisme se déguise en défense de la souveraineté qui a été vendue en dollars sur le marché international… Ces peuples indigènes irritent la logique de modernisation du néo-mercantilisme. Leur rébellion, leur défi, leur résistance, leur résilience les irrite. L’anachronisme de leur existence au sein d’un projet de mondialisation, projet politico-économique qui, bientôt, va décider que les pauvres, tous les gens en opposition, c’est à dire la vaste majorité de la population sont des obstacles.

Une excellente source pour apprendre au sujet du radicalisme politique du peuple du Chiapas et de leurs leaders au moment du soulèvement est l’entretien d’Augusta Dwyer avec les leaders militants indigènes pour la revue “Socialist Review” (SWP GB). Dans cet entretien, qui eut lieu quelques mois après le soulèvement de janvier 1994, les militants expriment leur implication totale dans une guerre contre le capitalisme et ses manifestations dans l’expression du néolibéralisme économique comme celui du NAFTA.

Ils citent Marcos disant après la capture d’une station de radio lors du soulèvement : “L’accord de libre-échange [NAFTA] est l’arrêt de mort des peuples indigènes du Mexique, qui sont périssables pour le gouvernement de Carlos Salinas de Gortari. Nous nous soulevons donc en armes contre cet arrêt de mort.

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NdR71 : de la même manière, aujourd’hui en 2023, l’ensemble des institutions étatico-marchandes livrent une guerre sans merci aux peuples de la terre à grand renfort d’armes biologiques (SRAS-CoV2 / COVID, injections ARNm), d’empoisonnement chimique, de guerres perpétuelles, de crises économiques provoquées et dévastatrices, de pénuries fabriquées en tout domaine. En cela nous sommes tous des Zapatistes et l’heure est venue pour les peuples de la terre de se soulever en armes contre l’arrêt de mort pris par le système à notre encontre. Nous sommes en état de légitime défense permanent face à l’État et à la marchandise dominants et exploiteurs nous agressant tout azimut. Se défendre PHYSIQUEMENT devient une obligation quasi survivaliste…

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Les activistes indigènes interviewés insiste sur la fausse conscience partagée par la classe laborieuse, qui dans les grandes largeurs, a accepté des idéologies trompeuses et de fausses promesses en ce qui concerne le système capitaliste. Et donc, “l’énorme défi que présente le soulèvement à la toile soigneusement tissée de la répression et du mensonge par le gouvernement et le refus d’accepter ces conditions plus avant, devraient être une inspiration pour tous les socialistes où qu’ils soient.

Ils argumentent qu’ils ne sont pas seulement un mouvement “indigène ou ethnique”. Leurs objectifs et leurs stratégies sont adressés “à toute la classe laborieuse et à ceux qui sont opprimés, réprimés.”, tout en insistant dans le même temps sur la plus brutale des oppressions au Chiapas et autres communautés indigènes au Mexique et en Amérique Latine : “la distribution des terres est largement biaisée pour favoriser les riches et les puissant éleveurs de bétail ; ceci représente une vieille tradition de plusieurs siècles de discrimination contre les peuples indigènes et la pauvreté dans sa très vaste majorité.

De la même manière, leurs demandes ciblant le gouvernement ne furent pas limitées aux seuls peuples indigènes : “Les demandes zapatistes pour la terre, un habitat décent, des écoles, des cliniques, des salaires décents, l’égalité, la liberté, la justice, des élections saines et un gouvernement transitoire, sont simples et pourtant révolutionnaires.” Elles “exposent le grand fossé entre les riches et les pauvres, le contrôle des salaires qui fait du travailleur mexicain un des moins bien payés au monde, tout autant que la corruption et l’hypocrisie qui sont les marques de fabrique du parti politique qui a monopolisé le pouvoir pendant des décennies.

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Résistance et construction durant les années de négociation

La décennie qui suivit le soulèvement de 1994 fut témoin d’un dialogue intermittent entre l’EZLN et le gouvernement fédéral mexicain.. Les Zapatistes demandèrent l’autonomie complète du Chiapas, des droits sur la terre dans d’autres endroits du pays et la démolition en règle des accords du NAFTA et autres politiques néolibérales, ainsi que la demande pour des droits véritablement démocratiques pour tous les citoyens mexicains. Mais ces demandes n’étaient pas faites pour n’être mises en place qu’au Mexique.

La Première Rencontre Intercontinentale de 1996 organisée par les Zapatistes, convoqua plus de 3000 activistes de plus de 400 pays à se réunir et discuter, entre eux, de la nature du néolbéralisme et des luttes menées contre lui. De cela émana le Congrès National Indigène (CNI), qui, durant les années de négociation, fut consulté au sujet de l’introduction de changements dans la constitution qui amélioreraient considérablement la condition des peuples indigènes.

Dans le même temps, le mouvement de solidarité avec le Chiapas en Amérique Latine grandissait. Ce mouvement joua un rôle central dans le soutien constant des Zapatistes, les défendant contre les attaques incessantes de l’armée mexicaine et leur permettant de continuer leur projet égalitaire autonome. Les attaques par l’armée mexicaine allaient continuer pendant des années, persistant jusqu’à aujourd’hui sans être jamais mentionnées dans la presse occidentale.

Après presque une décennie de fausses négociations avec l’état, la cassure inévitable se produisit. Le 1er janvier 2003, les Zapatistes du Chiapas décidèrent d’abandonner “la politique de la demande est avec elle, tout contact avec l’état mexicain”. En lieu et place, ils choisirent de se concentrer sur la construction de leur propre autonomie, des formes horizontales d’auto-gouvernement au sein de leurs propres territoires et par leurs propres moyens.

Le 9 août 2003, les Zapatistes annoncèrent l’établissement des Conseils de Bon Gouvernement (Juntas de Buen Gobierno), chacun basé dans les caracoles (escargots) ou centres administratifs des zones rebelles. Un total de cinq caracoles furent créés, chacun avec son propre conseil de bon gouvernement et chacun responsable de sa propre Municipalité Rebelle Autonome Zapatiste (MAREZ)

Chaque Caracol possède trois niveaux de gouvernement autonome : la communauté, la municipalité et le conseil de bon gouvernement. Les deux premiers sont fondés sur une base populaire d’assemblées volontaires. Les décisions prises par chacun des cinq conseils de bon gouvernement sont basées sur des lignes de conduite préalablement déterminées au niveau de la communauté. Les membres du conseil sont élus, mais avec l’intention d’avoir le plus de participants possibles dans ces conseils au fil des années sur le principe de la rotation.

Chaque Caracol possède ses propres systèmes éducatif, de santé et de justice, ainsi que des coopératives produisant du café, créant des objets d’artisanat et du bétail, entre autres choses. Toutes les décisions sont prises en accord avec des lignes de conduite préalablement décidées par les assemblés volontaires au niveau de la communauté, “un modèle révolutionnaire pour organiser un auto-gouvernement” d’après le Comité de Soutien au Chiapas (CSC), une organisation basée à Oakland en Californie.

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Émancipation et dignité des femmes dans les Caracoles rebelles

Le défi de l’égalité pour les femmes a trouvé une acceptation et un soutien de l’EZLN et de ses leaders. La prise de la ville de San Cristobal de Las Casas, le ville la plus importante occupée par l’EZLN en 1994, fut commandée par la Comandante Ana Maria et une autre figure de proue du mouvement était la Comandante Ramona, qui fut la toute première zapatiste envoyée à Mexico-City pour représenter le mouvement dans les négociations avec le gouvernement mexicain.

Les femmes ont été traitées en véritables égales au point que beaucoup de femmes ont un statut d’officier et tant les hommes que les femmes doivent porter la responsabilité du travail et du combat de manière égale. Quand les femmes se sont organisées dans des douzaines de comités pour produire un code des droits des femmes, le leadership de l’EZLN composé de leaders Mayans, le CCRI-CG, a adopté le code à l’unanimité.

Cette “loi révolutionnaire des femmes” a inclus les droits de toutes les femmes “sans regard pour la race, couleur ou affiliation politique”, à participer à la lutte “de toute manière que dicte leur désir et leur capacité”. Ceci inclut le droit “de travailler et de recevoir un juste salaire”, le droit de “décider du nombre d’enfants qu’elles auront et prendront soin”, le droit de “participer aux affaires de la communauté et d’avoir des charges si elles sont élues librement et démocratiquement”, le droit (avec les enfants) “de toute première attention en matière de nutrition et de santé”, le droit “de choisir leur partenaire et de ne pas être obligée de se marier”, le “droit de ne pas subir de violence domestique de la part de proches ou d’étrangers. Le viol et la tentative de viol seront sévèrement punis.”, le droit “d’occuper des postes de leadership au sein de l’EZLN et de tenir un haut rang d’officier dans les forces armées révolutionnaires” et finalement “tous les droits et obligations que donnent les lois et les règlements révolutionnaires.”

Aujourd’hui, des femmes participent à tous les niveaux du gouvernement et sont à la tête de coopératives et de structures économiques. Elles forment une grande partie des rangs de l’EZLN et prennent de hautes positions dans le commandement militaire.

Faisant face à la politique néolibérale qui a établi la dépossession et l’extraction agressive des ressources de leurs territoires, les Caracoles rebelles ont fonctionné lentement, silencieusement et efficacement pour plus de deux décennies. Leurs stratégies allèrent plus loin, plus profond et personnifiaient une culture que l’État fut obligé de reconnaître et surtout de respecter.

Ainsi, le 24 février 2016, un juge fédéral du Mexique a admis qu’il n’avait pas d’autre choix que d’accepter que l’affaire judiciaire entre l’État et l’EZLN ne pouvait pas aller plus loin. Les accusations de terrorisme, de sédition, d’émeutes, de rébellion et de conspiration enregistrés sous une plainte par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) en 1994 contre le Subcomandante Insurgente Marcos et les leaders indigènes de la résistance étaient nulles et non avenues : le statut de la date butoir ayant été dépassé.

Les conclusions de Gonzalez Casanova furent larges : “Plus qu’une idéologie sur le pouvoir du gouvernement de et par les peuples, les caracoles construisent et expriment une culture du pouvoir émanant de 500 ans de résistance des peuples indiens des Amériques.” Les caracoles du Chiapas sont au centre du mouvement indigène de toute l’Amérique Latine.

Le Mexique et l’Amérique Latine

Les Zapatistes du Chiapas ne sont pas surgis de nulle part, mais sont apparus dans une région où les mouvements sociaux indigènes luttant pour la terre contre le racisme et la discrimination furent très présents depuis les années 1970, plus d’une décennie avant l’avènement de l’EZLN, comme grande partie du mouvement de résistance du Chiapas. Les Zapatistes furent d’abord inspirés par leur militantisme résolu et avec le temps, devinrent eux-même un modèle pour eux.

Poussant à renforcer la lutte unifiée indigène, le peuple Maya du Chiapas développait des réseaux de coopération et de lutte conjointe avec d’autres communautés mexicaines luttant pour le retour des terres volées, une éducation et de l’eau potable parmi d’autres besoins notoires et contre l’oppression de masse commise par la classe dirigeante du PRI au service absolu des monopoles multinationaux.

Au Mexique et à travers toute l’Amérique Latine, les communautés indigènes ont été exposées à l’attaque du trafic de la drogue par les cartels, les gangs criminels, les gardes de sécurité privés des corporations, des entreprises multinationales, ainsi que  par les forces de sécurité étatiques comme la police et l’armée. Les leaders indigènes de la résistance organisée ont souvent été assassinés dans un effort de supprimer tout obstacle aux projets du pillage de leurs territoires.

De manière intéressante, les mouvements indigènes latinos furent durement touchés par la chute des gouvernements de centre-gauche de la “marée rose” entre les années 2000 et 2005, ce qui en un sens a permis toujours plus de résistance locale. Les mouvements ont persisté dans la construction de leurs communautés de telles façons qu’elles s’adaptent constamment aux requis de défense toujours changeants contre les massacres qui leur étaient infligés quotidiennement.

Quelques unes des communautés les plus affectées ont trouvé un système de garde-fou qui est soumis au peuple, développant des structures de pouvoir communal en parallèle de celles de l’état, mais opérant de manière bien différente de celles de l’état. Comme dit plus haut, le rôle de l’EZLN fut largement celui d’une force de défense militaire jusqu’à la décision prise par les communautés indigènes de prendre les armes.

D’autres communautés en Amérique latine ont adopté la culture politique synthétisée par les Zapatistes dans leur expression de “diriger en obéissant” (mandar obedeciendo). Ces systèmes se sont vus ancrés dans des pratiques communautaires qui doivent même être différenciées des partis de gauche et des syndicats, car ceux-ci “sont toujours marqués par une tentation sous-jacente de devenir le véritable pouvoir, construit à l’image de l’État.”, comme l’écrit Raúl Zibechi.

Au contraire de ces formes, la structure de ces gardes-fou indigènes dans les communautés a été fondée sur des principes similaires de ceux des caracoles du Chiapas, elle vise à maintenir les membres de la communauté comme les preneurs de décision qui exercent leur pouvoir en contrôlant leurs représentants choisis [NdT : sur une base de rotation pour impliquer la totalité de la communauté politiquement…] Chaque assemblée de communauté choisit 10 gardes et un coordinateur. Un second coordinateur est ensuite choisi le Comité Régional Clandestin (CRC) et un troisième des Conseils de Bon Gouvernement (CBG)

La région de Colombie du Cauca du Nord par exemple, a 3500 gardes indigènes, correspondant au conseil de gouvernement local. La participation dans les groupes de défense est volontaire et n’est pas payée et les voisinages dans chaque communauté aident dans la logistique et dans la maintenance dub lopin de terre familial de chaque garde et parfois accomplissent les taches de base comme semer et récolter les cultures.

“Ces pratiques et procédures, nous dit Zibechi, visent à éviter de faire l’erreur de distribuer le pouvoir à des institutions qui sont des rouages efficaces de la machine d’état.” Qui empêcherait toute autonomie de la base dans la prise de décision. De fait, l’échec des conseils communaux au Venezuela démontre les conséquences d’une telle erreur de distribution du pouvoir décisionnaire : à cause de leur dépendance au financement de l’état, les conseils sont partie intégrante de la structure organisationnelle de l’état et aident à sécuriser son pouvoir plutôt que de le transcender.

Dans le temps, ils sont devenus plus homogènes et ont perdu leur indépendance. Bien qu’il y ait une forte culture égalitaire dans les voisinages au Venezuela, une culture d’horizontalité et d’absence de hiérarchie, la contradiction entre la base populaire et le leadership a été résolue par des directives qui mettent des limites et contrôlent les espaces égalitaires.

Bien d’autres cas indiquent que l’intervention de gouvernements, même de services sociaux “bien pensants” et de bons “projets de développement”, a eu pour conséquence la perte d’indépendance de la communauté. D’un autre côté, il y a des contre-exemples comme la Guardia Indigena, le cœur du pouvoir du peuple Nasa qui a été à l’avant-garde du mouvement indigène en Colombie.

Zibechi dépeint le Chiapas zapatiste comme un remarquable exemple d’un système social totalement horizontal. Les caracoles sont “le seul cas en Amérique Latine ou autonomie et auto-gouvernement sont exprimés à trois niveaux différents avec la même logique d’assemblée en rotation des communautés.” Le modèle zapatiste de démocratie d’en bas (à gauche) demeure vivant et actif jusqu’à aujourd’hui, 30 ans plus tard. A juste titre, ils attribuent leur succès au fait que depuis le départ ils ont été déterminés de garder une complète déconnexion d’avec l’État et ses institutions, incluant les partis politiques de la “gauche” mexicaine, qui ont soutenu les gouvernements néolibéraux (NdT : comme partout ailleurs dans le monde, la gauchiasse étatique de partis et de syndicats inféodés, des marxistes aux socialos, n’a fait que trahir encore et toujours les peuples et la révolution sociale…).

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Au-delà du cadre marxiste

Le Chiapas et la plupart des mouvements indigènes d’Amérique Latine ont été à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire mondiale contre le capitalisme et sa forme actuelle “d’accumulation par dépossession”. Ces mouvements ont été une réponse à un type différent “d’exploitation” que celui de la classe laborieuse qui est associée à la valeur ajoutée produite par le travail.

Ici, nous sommes les témoins d’entières communautés indigènes qui sont les cibles de l’extraction. Elles sont les victimes de massacres quotidiens commis par leurs “employeurs directs”, les industries d’extraction et les cartels de la drogue que les gouvernements impérialistes locaux ont soutenu. Le besoin d’une défense continue de leurs vies et de leurs terres a fait croître le pouvoir communal personnifié par les caracoles et le système social de démocratie d’en bas, ancré profondément dans la tradition indigène.

Les mouvements indigènes ont été les moyens courageux de confrontation de cette guerre totale qui est livrée contre eux. Ils continuent de servir de puissante ressource pour la mobilisation d’une résistance continuelle et déterminée qu’ils ont mené contre l’économie néolibérale. [NdT : qui n’est quelle phase conjoncturelle de l’oppression capitaliste dans son ensemble, le capitalisme n’étant qu’un avatar historique du système marchand qu’il faut impérativement mettre à bas…]

Les Zapatistes, qui sont devenus un avec les communautés du Chiapas, n’étaient en rien similaires aux mouvements de guérilla qui importèrent de l’extérieur une version du marxisme, qu’ils tentaient d’inculquer aux gens en supervisant sa mise en place d’en haut. Ces mouvements de guérilla visaient à changer le système socio-politique en occupant le pouvoir d’état dans une révolution future menée par le parti des travailleurs.

Au lieu de cela, les indigènes zapatistes ont combiné l’autodéfense avec une résistance résolue, qui, avec la lutte latino-américaine, peuvent créer des fissures dans le système capitaliste.

De nombreuses tendances de la gauche marxiste se sont souvent focalisées sur le court soulèvement du Chiapas en 1994, mais n’ont pas engagé le mouvement zapatiste plus loin que de commémorer cette date. Elles n’ont pratiquement jamais parlé des années avant et après ce soulèvement. Elles ne l’ont pas vu non plus comme un projet unifié, des années de résistance tout en construisant dans le même temps un Chiapas autonome.

Le projet au Chiapas de “la démocratie d’en bas [à gauche]”, le système horizontal de prise de décision de la communauté, n’ont pas été reconnus comme une lutte “révolutionnaire” contre le capitalisme. Ni du reste n’ont été considérées comme révolutionnaire la résistance quotidienne démontrée par les groupes de résistance des mouvements indigènes à travers l’Amérique Latine et leurs tentatives de suivre le Chiapas dans la construction des caracoles.

Les mouvements de résistance indigènes utilisent la seule armure disponible : les sages stratégies autonomes de la “démocratie d’en bas” et la cohésion des communautés. C’est un combat pour leur vie même en tant qu’individus et communautés, tout en ciblant directement les forteresses du capitalisme et de l’impérialisme, les multinationales et spécifiquement ces industries d’extraction soutenues par les Etats-Unis. Ceci en fait d’admirables frères et sœurs de notre lutte partagée, qui mérite bien plus qu’une franche solidarité.

Si tu es venu ici pour m’aider,
Tu perds ton temps…
Mais si tu es venu parce que
Ta libération est liée à la mienne,
Alors, travaillons ensemble.
Groupe d’activistes aborigènes, Queensland, Australie, 1970

Le texte complet en PDF :

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¡Viva Zapata!

“Vous et votre système avez peur parce qu’ils disent qu’alors que nous passons, les pauvres vont se soulever et demander rétribution pour toutes les fautes et malveillances commises contre eux. Vous avez peur parce que vous comprenez et reconnaissez que les conditions de vie de la majorité des Mexicains, pas seulement celles des peuples indigènes, sont très mauvaises et pourraient bien mener à la rébellion.”
~ SCI Marcos, 5 mars 2001 ~

“Ce qui caractérise l’esprit de la société, c’est l’unification des concepts humains, l’esprit social constructeur est une compréhension du Tout dans un universel vivant ; c’est en cela que la société humaine, dans son collectif pensant et agissant, est organique, contrairement à l’État, mécanisme de l’aliénation et de la coercition. En passant du mode organisationnel étatique à celui de la société des sociétés, l’humanité passe du non-esprit à l’esprit retrouvé, de la mort à la renaissance sociale. Elle passe de l’éphémère à l’universel. La réalité sociale du vivant est présente en nous à chaque instant, ainsi que l’esprit communal que nous devons laisser émerger de nouveau.”
~ Résistance 71, “Manifeste pour la société des sociétés”, 2017 ~

Lectures complémentaires :

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

5 textes pour comprendre et éradiquer le colonialisme

« Païens en terre promise, décoder la doctrine chrétienne de la découverte », Steven Newcomb, 2008

« Comprendre le système de l’oppression coloniale par mieux le démonter », Steven Newcomb

« Comprendre le système de l’oppression coloniale pour mieux le démonter », Peter d’Errico

« Effondrer le colonialisme », Résistance 71

« Nous sommes tous des colonisés ! », Résistance 71

“Nous distinguons trois grandes stratégies ces dix dernières années :

  • La stratégie que nous appelons “le Feu”, qui se réfère à l’action militaire, à la préparation, aux batailles, aux mouvements militaires
  • La stratégie que nous appelons “La Parole”, qui se réfère aux réunions, aux dialogues, aux communiqués, qu’il y ait une parole ou un silence organisé, qui est l(‘absence de parole.
  • La stratégie qui est la colonne vertébrale de tout ce qui précède, celle de “L’Organisation”, le processus organisationnel développé dans le temps par les communautés zapatistes.

Ces stratégies, le feu et la parole, articulées autour d’une organisation populaire, sont ce qui marque ces dix années de vie publique zapatiste et de l’EZLN entre 1994 et 2004.”
~ EZLN, 2008 ~

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Guerre contre l’humanité et tangente évolutionniste : Terra Incognita (Zénon)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés with tags , , , , , , on 30 mars 2023 by Résistance 71

“Il n’y a aucune possibilité chez un peuple, de satisfaire le besoin de vérité si l’on ne peut trouver à cet effet des hommes qui aiment la vérité.”
~ Simone Weil ~

“L”antagonisme entre la vie et la conscience peut être dissipé de deux manières : par un changement de vie ou un changement de conscience et il semblerait qu’il n’y ait pas de doute quant à ces alternatives. Un homme peut cesser de faire ce qu’il pense être mauvais, mais il ne peut pas cesser de considérer mauvais ce qui est mauvais, faux ce qui est faux.”
~ Léon Tolstoï ~

“On ne demande plus à la science de comprendre le monde ou d’y améliorer quelque chose ; on lui demande de justifier instantanément tout ce qui se fait… La domination du spectacle a fait abattre l’arbre gigantesque de la connaissance scientifique à seule fin de s’y faire tailler une matraque. […] On remarque aussi vite que la médecine aujourd’hui n’a bien sûr, plus le droit de défendre la santé de la population contre l’environnement pathogène, car ce serait s’opposer à l’État, ou seulement à l’industrie pharmaceutique.”
~ Guy Debord, 1988 ~

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Terra incognita

Dernières convulsions du vieil ordre mondial

« On ne peut se libérer de sa tristesse que si on aime cette Terre d’une passion inébranlable, dit Don Juan. Un guerrier est toujours heureux parce que son amour est inaltérable et que sa bien-aimée, la Terre, l’embrasse et lui octroie des cadeaux inestimables. La tristesse n’appartient qu’à ceux qui détestent ce qui les abrite. »
~ Carlos Castaneda – Histoires de pouvoir ~

La guerre menée contre l’Humanité ne date pas d’hier. Pogroms, croisades, génocides, camps de concentration n’en sont que quelques échantillons. L’empoisonnement de l’air, de la terre, de l’eau et de la nourriture marque un développement plus récent et plus raffiné de la volonté d’une certaine caste d’éradiquer tout ce qui relève de la nature pour lui substituer un ordre artificiel, entièrement sous son contrôle. Il ne s’agit ni d’une « théorie », le programme dont il est question, si délirant soit-il, ne saurait être plus pragmatique, ni à proprement parler d’un « complot » : toutes ces attaques sont ouvertement admises et même revendiquées par leurs auteurs afin d’en obtenir notre consentement – même implicite.

Mais depuis le début de cette décennie, les adorateurs du Veau d’or ont accéléré leur agenda pour lui donner le tour de l’offensive tous azimuts que nous observons : diffusion d’un virus à travers le globe et mesures concertées d’ingénierie sociale visant à faire accepter l’injection d’un poison génétique au plus grand nombre. Escalade à n’en plus finir d’un conflit en Ukraine faisant comme toujours les affaires de la haute finance et des marchands d’armes. Records d’inflation et de bénéfices. Casse sociale à tous les étages. Destruction de l’enseignement et théorie du genre inculquée dès la maternelle. Agitation de l’épouvantail climatique pour nous entraîner dans le suicide collectif du « zéro carbone » cher au forum de Davos. Et dernière trouvaille en date, krach délibérément orchestré par les banques centrales pour précipiter le basculement de l’économie vers le verrouillage total des monnaies numériques.

La stratégie désormais bien connue de l’ordre par le chaos est plus que jamais d’actualité. Elle continuera de s’intensifier jusqu’à la disparition complète de l’environnement et des repères dans lesquels nous avions vécu. C’est sans doute la seule certitude, en cette année 2023, que nous puissions avoir concernant l’avenir. Certes, l’Occident ne parviendra probablement pas à entraîner dans son autodestruction les nations du reste du Monde. Mais la mafia globaliste est prête à tout plutôt qu’à voir échouer son projet. Il n’est donc pas impensable qu’un holocauste nucléaire soit son ultime échappatoire à la vindicte populaire, voire le détonateur déjà prévu du passage en force à l’ère transhumaniste.

Rien ne nous épargnera d’aller au fond du problème ni de connaître cette fin de cycle. Le temps des lanceurs d’alertes et des vendeurs d’espoirs, officiels ou alternatifs, est terminé. Pour ce qui concerne la politique, la droite affecte de défendre la liberté d’entreprendre et le Capital d’une emprise tentaculaire de l’État. La gauche promeut pour sa part l’État comme un prétendu rempart contre les abus de pouvoir du Capital. Les Anarchistes ont compris depuis plus d’un siècle qu’État et Capital marchaient main dans la main pour opprimer les peuples. Tandis qu’aujourd’hui, la mafia financière et le léviathan étatique s’unissent à nouveau dans la plus pure tradition du fascisme, de la part de qui pouvons-nous attendre un quelconque salut, si ce n’est de nous-mêmes ?

Devant la montée en puissance, de plus en plus manifeste, d’officines comme le FMI ou l’OMS, ou de fonds spéculatifs omnipotents comme BlackRock, le réflexe d’appeler à un retour de la souveraineté nationale est compréhensible. Mais les instances soit-disant « représentatives » sont toutes vendues au plus offrant. La corruption systémique, la subversion extérieure et en dernier ressort, le recours à la force armée empêcheraient tout dirigeant intègre d’affranchir son pays de l’influence globaliste, comme l’ont enseigné toutes les tentatives d’émancipation africaines. Une véritable souveraineté collective ne saurait émaner que de l’union d’individus préalablement affranchis de toute coercition physique, financière, mentale ou spirituelle.

Ce travail ne passe donc pas par un bulletin dans l’urne ni par des banderoles dans la rue. Il résulte d’une exploration au cours de laquelle découvrir que la vie n’a ni commencement ni fin, que l’Être est sans limite, notre personnalité illusoire et la mort une simple continuité de l’évolution. Seul ce cheminement intérieur peut nous libérer de toutes les peurs et toutes les croyances par lesquelles nous manipuler. Seul un détachement total vis-à-vis de toute chose connue permet la connexion aux plans supérieurs et la créativité nécessaires à l’avènement d’une ère nouvelle. Les menaces guerrières de l’ancien système ne doivent pas nous troubler : elles ne sont que les vaines tentatives de nous entraîner dans sa folie pour se survivre.

Le courageux refus du chantage à l’injection de la part des soignants les plus intègres, le taux d’abstention toujours plus élevé à chaque suffrage, les vagues de démissions aux État-Unis et leur apparition en Europe, ou cet exemple d’étudiants ingénieurs en agronomie choisissant d’aller mettre les mains dans la terre au lieu de pantoufler dans les placards dorés d’officines mondialistes, ne sont que les premiers signes d’une grande désertion dont nous assistons aux prémices. D’un refus de plus en plus conscient et affirmé d’investir le champ de bataille où l’on voudrait nous entraîner. Plus les globalistes exprimeront leur mépris des masses laborieuses et autres « bouches inutiles », plus nombreux seront les individus refusant d’endosser le rôle auquel on aura voulu les assigner.

La résistance passive, la quiétude de l’intériorité, la ferme affirmation de choix personnels ou l’abandon de toute identification pour une meilleure connaissance de soi sont des ressources d’autant plus puissantes qu’elles n’offrent aucune prise à une quelconque répression. Nul ne peut véritablement forcer notre libre-arbitre, ni nous contraindre à nous sentir concernés par les pseudos-sujets agités dans la sphère médiatique. Nul ne peut décider pour nous à quelle œuvre ou quel centre d’intérêt consacrer notre attention et notre énergie. Les manipulateurs n’ont à leur disposition que la suggestion et une bonne connaissance de la psychologie des foules. Ils ne posséderont jamais les clefs de notre nature profonde, car celle-ci échappe à tout calcul et toute analyse. Elle relève d’une dimension seulement accessible à l’Être animé de joie au lieu de désirs, de simplicité au lieu de connaissances et d’amour au lieu de passions.

Plus nous nous effacerons derrière le théâtre d’ombres des apparences, plus le pouvoir ivre d’orgueil se crispera sur les derniers oripeaux de sa matrice. Ses représentants redoubleront d’efforts pour alimenter les guerres, déclencher cataclysme sur cataclysme, semer partout la misère et la famine. Mais ce déchaînement d’hubris ne sera que le symptôme avant-coureur d’un échec écrit d’avance. La géo-ingénierie ne fera que renforcer le caractère imprévisible du climat. Les intelligences artificielles ont déjà une furieuse tendance à exprimer tout haut ce que les globalistes préféreraient étouffer. La biotechnologie est l’exemple-type du bidouillage bancal voué au désastre : la fusion de l’Homme et de la machine repose sur le postulat que le vivant puisse être encodé et reprogrammé, mais rien de contrôlable ne saurait être fondé sur une base en perpétuelle évolution. Quant aux monnaies numériques, elles seront davantage à la merci de pirates informatiques que ne l’était l’argent liquide des faux-monnayeurs.

Cet orgueil prométhéen s’effondrera sur lui-même dès lors qu’il ne trouvera plus rien sur quoi s’affirmer ni aucun miroir dans lequel se contempler. La perversion narcissique ne s’alimente que des regards captifs, et aura tôt fait de muer en neurasthénie quand la croûte terrestre fera s’effondrer les gratte-ciels et que les éléments déchaînés rappelleront à l’espèce humaine sa juste place sur cette planète. Nous nous souviendrons alors pourquoi le Groenland est nommé ainsi et pourquoi on trouve des coquillages en haute altitude. La végétation repoussera entre les craquelures de béton et nous serons forcés d’admettre qu’en définitive, la Terre a toujours le dernier mot.

Quelques vestiges porteront témoignage à nos descendants d’une civilisation qui aura voulu s’élever plus haut que le ciel, et qui aura chuté par là même où elle avait péché. Cela s’est déjà produit par le passé. Et cela se reproduira jusqu’à ce que nous fassions corps avec cette Terre et toutes les formes de vie qu’elle abrite. Alors seulement nous sera permise l’élévation : non plus celle d’un individu ou d’un pays sur un autre, mais celle de notre individualité vers les plans supérieurs. Tel est le seul chemin d’évolution possible à notre espèce. Nous avons beau nous en défendre et remettre toujours à plus tard ce grand saut dans l’inconnu : sa finalité est inéluctable et sera notre véritable commencement.

Zénon – mars 2023

Le texte en format PDF téléchargeable dans une superbe mise en page de Jo :

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Terra Incognita citation Castaneda 280323

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Notre traduction de Paulo Freire « La pédagogie des opprimés » traduit en arabe et disponible en format livre PDF gratuit (Résistance 71)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, guerres imperialistes, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , on 10 mars 2023 by Résistance 71

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La pédagogie des opprimés de Paulo Freire en arabe

علم أصول المظلومين من باولو فريري بالعربية

En 2018, nous avons retraduit totalement et publié en français et pour la première fois depuis 1982, le livre phare du grand éducateur critique brésilien Paulo Freire “La pédagogie des opprimés” (1970). Le livre fut mis sous format PDF pour diffusion gratuite sur la toile.

En 2021, la maison de publication tunisienne Horizon nous contacta pour nous demander s’ils pouvaient utiliser notre traduction française de l’ouvrage comme référence pour le traduire pour la première fois en langue arabe. Nous avons accepté, toujours dans le schéma de la gratuité.

En octobre 2022, la traduction en arabe par Mohamed Al-Tayeb et Samira Ghamini fut achevée et le livre publié pour diffusion dans le monde arabophone.

Nous avons le plaisir de vous en proposer la version PDF gratuitement.

Bonne lecture !

ي عام 2018 ، قمنا بترجمة ونشر اللغة الفرنسية بالكامل وللمرة الأولى منذ عام 1982 ، الكتاب الرائد للمعلم الناقد البرازيلي العظيم باولو فريري “ علم أصول المظلومين ” ( 1970 ). تم وضع الكتاب بتنسيق PDF للتوزيع المجاني على القماش.

في عام 2021 ، اتصلت بنا دار النشر التونسية Horizon للسؤال عما إذا كان بإمكانهم استخدام الترجمة الفرنسية للعمل كأساس لترجمتها لأول مرة إلى العربية. قبلنا ، لا يزال في المخطط المجاني.

في أكتوبر 2022 ، تم الانتهاء من الترجمة العربية لمحمد الطيب وسميرة غميني ونشر الكتاب للتوزيع في العالم الناطق بالعربية.

يسعدنا أن نقدم لك إصدار PDF مجانًا.

قراءة جيدة ! 

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Livre PDF

Résistance 71

Le 10 mars 2023

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Retrouvez Paulo Freire et ses écrits dans la page qui lui est dédiée sur Résistance 71

Trinité… Structure mère et lit du Tao (Zénon)

Posted in actualité, altermondialisme, philosophie, résistance politique with tags , , on 26 février 2023 by Résistance 71

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Trinité

Avoir été la graine avant de voir le jour.
Avoir été l’inspire avant le premier souffle.
Avoir été l’atome. L’infiniment petit où résidait le Tout.
La lumière des origines. L’inconnaissable abîme dont a jailli le Noûs.
Avoir été le cri surgi du fond des âges. Avoir été la peur.
L’instinct pur de l’animal et l’indicible intuition de l’au-delà.
Avoir été esclave. Empereur. Fille publique ou chair à canon.
Philosophe. Bouffon du roi. Artisan de paix. Prophète de malheur.
Avoir été la grâce et le déshonneur. La grandeur et la décadence.
L’entrelacs sans commencement ni fin de la sagesse et de la démence.
Avoir été la somme de toutes les intelligences et toutes les erreurs.
Le bâtard sans nom d’une matrice nourricière et assassine.
Le plus parfait métissage de l’amour et de la terreur.

Être le demi-dieu errant. L’enfant-roi maudit.
Le fruit perdu entre ombre et lumière.
Le perpétuel funambule entre ciel et terre.
Être le tourbillon de simple passage.
Ce qui n’est pas encore et doit déjà finir.
Être la rage, l’étreinte, l’impuissance et la joie du voyageur en sursis.
La pérégrination de l’âme à travers le corps pour appréhender l’esprit.
Être le lion en cage. L’arme encore involontaire du destin.
Être le consommateur bouffi d’orgueil.
Le neuro-cyber-citoyen déconnecté de la source.
Le spectateur impassible au théâtre du monde en déclin.
Être le bourreau, le sauveur et la victime.
Le bouc-émissaire châtié. Le squale au ventre vide.
Être la créature et le créateur.
L’imitateur de vieilles rancunes ou l’initiateur d’un regard neuf.
L’ordre et le chaos. La virginité. La luxure.
Être le domestique ou le loup des steppes hurlant à la Lune.

Devenir son alter-ego. Devenir soi-même.
Devenir le point d’orgue et le nadir.
L’envers du décor où chaque univers se crée.
Devenir l’ange exterminateur.
L’évasion sans cesse renouvelée.
L’évanouissement de toutes les mémoires et des chemins déjà empruntés.
Devenir galaxie et grain de sable. Ouragan d’écume. Poussière de pyramide.
Devenir l’axe autour duquel s’enroule le vortex. L’éternité de chaque instant.
Le pétale de fleur d’apocalypse.
Devenir la clef des mystères d’orient. Le songe initiatique.
La levée des voiles avant l’aube.
Devenir les brins d’ADN. Les serpents du caducée.
L’énergie vitale conscientisée.
Devenir la source et l’embouchure. L’éphémère et immuable lit du Tao.
La structure-mère de toute forme et tout élément.
Devenir le serviteur et le souverain.
L’élève du plan cosmique. Le maître de son destin.

Tel aura été le chemin jusqu’à la naissance de l’être Humain.

Zénon – 20 février 2023

Le texte en ce superbe PDF réalisé par Jo :
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Notes de lecture : « Le sauvage et le politique » Edouard Jourdain (Pierre Bance)

Posted in actualité, altermondialisme, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés with tags , , , , , , , , , , on 22 février 2023 by Résistance 71

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Notes de lecture

Pierre Bance

14 février 2023

Cher.e.s Camarades

Je tenais à vous faire part de la sortie, en ce mois de février, du livre d’Édouard Jourdain, Le Sauvage et le politique. Le livre est savant, mais il mérite d’être lu par tous. Le sauvage nous instruit, nous qui nous croyons civilisés. Il nous instruit sur ces objets construits que sont l’État, la propriété et la religion. Ce qui est construit est destructibles et si l’on s’attache à cette idée de société sans État, « nous avons toujours à apprendre du sauvage qui est en nous », écrit l’auteur. Aussi, pour répondre à l’effondrement annoncé de la civilisation issue de la modernité, nous ouvre-t-il quelques perspectives libertaires que je vous invite franchement à découvrir.

Édouard Jourdain, Le Sauvage et le politique, Paris, Presses universitaires de France (PUF), « Perspectives critiques », 15 février 2023, 400 pages, 22 €.

https://www.puf.com/content/Le_sauvage_et_le_politique

Pour contacter l’auteur : edouardjourdain@hotmail.com

Le travail d’Édouard Jourdain s’inscrit dans le courant de l’anthropologie anarchiste de Pierre Clastres, David Graeber, James C. Scott et quelques autres moins connus. Ce qui me conduit vers le livre de Thom Holterman, Anthropologie et anarchie dans les sociétés polycéphales, paru en 2021, où est posée cette pertinente question : existe-t-il une anthropologie anarchiste ? L’auteur, un juriste, malicieusement ne répond pas directement. Serait-ce parce que l’anthropologie se montre plus utile que la sociologie, le droit ou l’histoire pour élaborer la théorie anarchiste, comme aurait tendance à la penser David Graeber ? (NdR71 : ou l’anthropologue anarchiste Charles Mcdonald, qui lui a déclaré que c’est l’anthropologie qui l’a fait devenir anarchiste…) Pour ma part, je doute de cette prééminence, d’autant que les anarchistes n’ont pas attendu les anthropologues pour penser l’anarchisme.

Thom Holterman, Anthropologie et anarchie dans les sociétés polycéphales, Lyon, Atelier de création libertaire, septembre 2021, 142 pages, 9 €.

http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Anthropologie-et-anarchie.html

PUF_Le_sauvage_et_le_politique

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Je profite de se message pour, sur un tout autre sujet, vous signaler la parution de

Fortuné Henry et la colonie libertaire d’Aiglemont. De la propagande pour Ravachol au syndicalisme révolutionnaire, par Dominique Petit. Tout est dit dans ce long titre, étant précisé que Fortuné Henry est le frère d’Émile Henry, guillotiné pour avoir manié trop souvent la marmite à retournement qui inspira à Guy Debord La Java des Bons-Enfants. Au travers de la vie de Fortuné Henry, se révèle la puissance de rectification du mouvement anarchiste de la fin du 19e siècle et du début du 20e, capable de passer de la propagande par le fait au syndicalisme révolutionnaire.

Dominique Petit, Fortuné Henry et la colonie libertaire d’Aiglemont. De la propagande pour Ravachol au syndicalisme révolutionnaire, Paris, Éditions Noir et Rouge, Charleville-Mézières, Terres ardennaises, 2023, 262 pages, 22 €.

https://editionsnoiretrouge.com/index.php?route=product/product&manufacturer_id=42&product_id=90

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Enfin, pour celles et ceux qui aiment les livres et la critique anarchiste, rappelons l’existence de la belle revue bibliographique Chroniques Noir & Rouge, dont vous trouverez le sommaire des 64 pages du dernier numéro et les conditions d’abonnement sur le lien ci-dessous :

Chroniques Noir & Rouge

Bonnes lectures.

Pierre Bance

Février 2023

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Voir aussi notre page « Anthropologie Politique »

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

neuroscience

Argent, dette, système étatico-marchand : une analyse (David Graeber)

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, économie, crise mondiale, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société des sociétés, syndicalisme et anarchisme, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 18 février 2023 by Résistance 71

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David Graeber (1961-2020)
Anthropologue politique anarchiste

“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

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La signification de l’argent

David Graeber

2014

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Février 2023

Je veux parler de l’argent en tant que technologie morale. Une des choses qui m’a fasciné lorsque je travaillais sur mon livre “Dette, les premiers 5000 ans”, c’est la tendance de la logique du marché de coloniser et d’envahir d’autres formes de moralité, même le langage et la religion. Pratiquement toutes les grandes religions du monde sont incroyablement riches dans le langage de la finance, prenez des mots comme rédemption et ceci ne se produit pas seulement avec le christianisme mais quasiment dans toutes.

La moralité a eu la tendance à être traitée comme une affaire de payer ses dette. Ce fut une des raisons qui m’amena dans ce voyage intellectuel si particulier ; je fus fasciné par le pouvoir moral de l’idée de la dette et par sa tendance à tromper toute autre forme de moralité, ainsi les gens purent justifier de choses qu’ils n’auraient jamais osé rêver justifier en d’autres circonstances : la famine et la mort de bébés par exemple sur la simple base causale que “ce pays a emprunté de l’argent…”

L’invasion du langage de la morale par celui de la dette et de l’argent semble être partie d’un autre phénomène, qui est la réduction de toutes les relations sociales à des formes d’échange. Vous trouvez que presque toutes les grandes religions du monde commencent avec le présupposée que la bonne moralité est simplement une question de payer ses dettes. Dans la théologie brahmane par exemple, toutes les formes de moralité sont à la base des formes de dettes. Cela commence avec la dette envers les dieux, qui est une dette de vie, de laquelle on paie des intérêts sous forme de sacrifices et d’offrandes et dont nous payons le principal après notre mort.

Si on y regarde de plus près pourtant, les autres exemples que les brahmanes utilisent  complètement subvertissent l’idée que ces obligations morales soient vraiment de la dette. Ils disent que vous avez une dette envers vos parents que vous repaierez en ayant des enfants ; vous avez aussi une dette envers le sage que vous repaierez en apprenant la sagesse et en devenant vous-même un sage. Vous avez aussi une dette envers l’humanité car elle rend votre vie possible, que vous repaierez en étant généreux avec des étrangers. Rien de tout cela ne prend la forme de repayer une dette sous la forme et le sens classiques. En fait, ceci semble impliquer que l’on efface une dette en comprenant que vous devez tout cela à une totalité qui vous inclut et que donc l’idée de dette devient saugrenue. Votre dette envers les dieux n’est qu’une dette envers l’univers. Vous ne pouvez pas repayer une dette à l’univers parce que cela impliquerait que vous et l’univers êtes des associés égaux dans une entreprise vous liant. C’est l’absurdité de cela qui annule l’idée de la dette. Dans la tradition judéo-chrétienne, il y a cette notion similaire de dette primordiale, mais il en résulte que ce qui est sacré n’est pas de repayer sa dette, mais l’annulation des dettes : la rédemption. C’est presque comme si tout le monde devait commencer en disant : “la moralité est de payer ses dettes”, puis ils s’en écartent.

La question est : Pourquoi font-ils cela ? Pourquoi ces conceptions populaire de moralité sont-elles déjà si profondément cadrées qu’elles semblent toujours devoir commencer avec ces présuppositions, alors qu’éventuellement, elles s’en écartent ? La meilleure réponse que j’ai pu me faire est que cela a à faire avec des relations de pouvoir. Essentiellement, une chose que l’histoire a révélé encore et toujours est que la moralité de la dette est la manière la plus puissante de faire paraître des relations de pouvoir violentes et arbitraires non seulement morales, mais aussi de donner aux victimes le rôle de pêcheurs et de personnes de fait à blâmer. Les Mafiosi comprennent cela bien entendu, ainsi que les chefs d’armées conquérantes, qui en général annoncent péremptoirement que tout le monde leur doit la vie parce qu’ils ont en fait le pouvoir de les tuer. Cela vous met dans une position où vous pouvez être le bon et les victimes courant partout misérables et se sentant mal à l’aise et mal placées. Cela semble être efficace pour un moment. Le problème est que cela explose périodiquement. Comme l’a fait remarqué Moïse Finley, il semble y avoir un programme révolutionnaire dans toute l’antiquité, qui a annulé la dette et redistribuer la terre, dans cet ordre précis.

La dette semble inspirer le sens à se révolter plus que n’importe quelle autre forme d’inégalité, peut-être parce qu’elle est supposée reposer sur une notion initiale d’égalité. Si vous dites être d’une caste inférieure, vous dites que vous êtes fondamentalement inférieur, ce que les gens n’aiment probablement pas, mais acceptent comme un ordre naturel des choses. Mais si vous refaçonner ça dans le langage de la dette, vous dites en fait “nous aurions du être égaux, mais vous avez foiré quelque part.” Cela semble percuter mieux et la réponse commune que l’on rencontre encore et encore au fil de l’histoire est de dire : “Eh, attendez un peu : qui doit quoi à qui ? Nous faisons votre nourriture, nous vous nourrissons…

Quelque soit le cadrage, ce que tend à se passer est la seule façon de résister à ce langage de la dette en tant que moralité et de cadrer votre réponse dans le même langage, de telle façon que cela en fait étend la zone à laquelle la dette s’applique. Cela a pour effet que vous reformuliez les relations morales dans le même langage. Vous voyez de nos jours la même chose se produire dans les débats sur la dette du tiers-monde. Qui doit quoi et à qui ? Et c’est exactement ce que les gens finissent par dire : “vous nous devez pour le colonialisme” ; avant de s’en rendre compte, tout ceci s’applique à une multitude de mauvaises actions historiques, dans des zones que vous ne vous seriez jamais attendus à chosifier, comme les dégâts écologiques. La rébellion contre la dette devient incorporée au langage de la dette. Avec ce langage de la dette vient, bien entendu, la logique de l’échange en tout et pour tout, ce qui essentiellement, peut être étiqueté, cadré en termes de marché.

La relation argent, dette, moralité change régulièrement selon les époques, cela dépend de la conception dominante de l’argent, qui dépend elle-même de la forme de monnaie dominante que les gens utilisent à une période donnée de l’histoire. Il semble qu’il y a des glissements réguliers à travers l’Eurasie, du moins entre ce que je j’appellerai des périodes d’argent de crédit virtuel et des périodes d’argent commodité, où les gens utilisent des objets, en général l’or et l’argent, dans chaque transaction et où les gens conçoivent l’argent comme une chose. J’ai été fasciné de constater qu’il n’y a pas de consensus entre les économistes quant à savoir ce que l’argent est de fait. On pourrait bien penser que s’il y avait une chose sur laquelle les économistes pourraient s’accorder, ce serait cela ; mais en fait l’argent est un peu un os pour les économistes. Les écoles dominantes pèsent de tout leur poids derrière l’idée de l’argent comme moyen d’échange ; il y a des arguments tout aussi valides disant que l’argent devrait être considéré comme une unité de compte et que donc les tokens d’argent sont en fait des tokens de dette. De ce point de vue, l’argent est essentiellement une dette qui circule. Des économistes comme Keith Hart argumentent  que si vous observez les deux faces d’une pièce, vous y voyez régulièrement la même chose. D’un côté un symbole d’autorité d’État, d’accord et de confiance, l’argent comme relation sociale, qui est le crédit et de l’autre côté se situe le chiffre de l’unité de mesure d’argent, qui implique que l’argent est une chose, une commodité.

Cette tension est toujours là en ce qui concerne la définition de l’argent. J’ajouterais qu’au fil du temps, la définition de l’argent va de l’un à l’autre. Mais, de manière intéressante, l’argent comme crédit virtuel vient en tête. Aussi loin que nous le sachions, si des gens allaient au marché à Sumer, ils n’emmenaient certainement pas quelque chose ressemblant à de l’argent physique. Ils n’avaient pas de pièces de monnaie, ils n’avaient même pas de balance de production. Ils avaient probablement la technologie de le faire, mais ils ne fabriquaient pas de balances suffisamment précises pour peser les tous petits morceaux d’argent qui auraient servi à acheter un cochon, un mouton, un marteau ou une chemise. Il semble qu’alors, toutes les transactions étaient très largement basées sur le crédit. Certaines choses circulaient par achat en argent, certains grains etc mais tout était basé essentiellement sur une économie de crédit, ce qui rendait possible d’annuler de la dette, ce qui est bien plus difficile à faire en période d’argent commodité. La période où fut inventé l’argent dit “liquide” correspond aussi à la période fameusement nommée par Carl Jaspers “L’âge axial”, durant lequel on voit aussi l’émergence de nombreuses philosophies dans le monde et les majeures religions, exactement dans les mêmes endroits où l’argent fut créé : en Méditerranée orientale, dans les vallées du Gange en Inde et dans les plaines du nord de la Chine.

Il semble que la fabrication de pièce de monnaie soit très largement un effet secondaire de la technologie militaire, qui est très liée aux systèmes de taxation. L’or et l’argent sont bien les sortes de choses que les soldats habitués au pillage vont transporter d’un endroit à l’autre. Des soldats itinérants et lourdement armés sont sans doute les dernières personnes à qui vous feriez, en tant que commerçant local, crédit. Mais ils ont de l’or et de l’argent. Eventuellement, après une période où les marchands et les soldats commercent en or et en argent, l’État s’en mêle et découvre que la meilleure façon de contrôler les troupes est de leur donner systématiquement de petites portions de ces métaux précieux et de dire à tout le monde sous votre coupe de rendre ces pièces. D’un seul coup, vous vous louez les services de tout le monde dans votre royaume pour entretenir les troupes.

Cela marcha très très bien. La chose fascinante au sujet de cet âge axial est que vous avez des armées, que l’argent à tendance à suivre les armées constituées. Vous avez aussi la montée en puissance des religions du monde, qui dans presque tous les cas, nient une partie de la logique morale de ces marchés d’argent comptant impersonnels qui sont permis par l’argent commodité, ainsi donc l’idée de charité semble jaillir presque simultanément C’est comme si vous disiez : “créons donc cet espace où nous aurons cette chose appelée intérêt particulier…” et si nous essayons d’obtenir le plus de choses matérielles pour nous-mêmes, quelqu’un va venir et dire “bon, et bien ici nous aurons un espace où nous pensons pourquoi les choses matériels ne sont pas importantes ; c’est mieux de donner que de recevoir.” Ceci se passe régulièrement dans chaque endroit.

La chose la plus extraordinaire, c’est que tout cela se coordonne vraiment bien à travers toute l’Eurasie. Au Moyen-Age, ces empires ont atteint leur apogée et ils s’effondrent. Avec la disparition des armées en campagne et de l’esclavage privée, la frappe de monnaie disparaît dans les grandes largeurs, mais au lieu de revenir au troc, les gens en fait retourne aux systèmes de crédit. Ces systèmes de crédit sont essentiellement contrôlés par les systèmes moraux et religieux qui se sont levés en opposition au monde de la transaction en argent physique intrinsèquement identifiée au militarisme et l’état d’avant. Avec cela vint l’interdiction de l’usure, qui n’existait pas du tout dans le vieux monde. Il semble que dans les période où on conçoit l’argent comme une relation sociale, un système de conventions sociales, la définition d’Aristote encore, ne fut pas largement adoptée dans l’antiquité mais au moyen-âge, il devient possible de faire certaines choses comme pratiquées dans le monde ancien : annulation des dettes dans l’islam et le christianisme médiévaux, ou interdictions de l’usure, ce qui est bien plus difficile à faire dans des périodes où on considère l’argent comme une chose, une commodité.

Malgré le fait que les constitutions athénienne et romaine furent créées essentiellement en réaction aux crises de la dette, les anciennes économies ne se sont jamais résolues à des annulations totales de la dette. Au lieu de cela, elles mirent en place des politiques de redistribution dans lesquelles elles jetèrent de l’argent à la face du problème et donc frapper la monnaie devient une sorte de technologie morale. Par exemple, dans l’Athènes antique, les gens étaient payés pour aller à l’Agora et pour voter. Il y a tous ces mécanismes de redistribution de l’argent par le truchement de moyens politiques ainsi les gens ne tombaient pas dans la dette profonde au point de devenir les esclaves des riches et ainsi donc risquer de détruire la base militaire de l’État.

Dès 1450 et avant même la découverte ibérique des Amériques, l’argent commodité retourne sous la forme de lingots et avec cela renaissent de larges empires, des armées de conquêtes, l’esclavage personnel, qui réapparaît sous une forme altérée. J’argumenterais que cette période est celle dont nous venons à peine de sortir maintenant, mais de manière très lente et sporadique. Le point standard de rupture est l’année 1971, quand Nixon a sorti définitivement le dollar américain du standard or.

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Il est intéressant de noter que l’interdiction de l’usure qui fut maintenue pendant le moyen-âge fut graduellement érodée. J’ai toujours pensé qu’une des raisons du pourquoi l’église a été si véhémentement opposée à l’usure par rapport à d’autres éléments du capitalisme émergent, c’est parce que la moralité de la dette était si puissante, que l’église pouvait reconnaître un rival quand elle en voyait un. Le fait est que la dette est le meilleur moyen de transformer les gens en des acteurs utilitaires rationnels, comme les économistes aiment à l’imaginer, où on a peu de choix que de voir simplement le monde en termes de sources possibles de profit et de danger. Une des choses qui m’a le plus fasciné fut de regarder les histoires de quelques personnes qui se comportèrent de la manière d’acquisition irrationnelle la plus bizarre que vous puissiez imaginer, devenant des paradigmes de l’insatiabilité des êtres humains : les conquistadores par exemple.

Ceux-ci étaient submergés par la dette. Ils commencèrent dans la dette et ne s’en échappèrent jamais vraiment. Une des raisons pour laquelle ils recherchaient toujours de nouveaux royaumes était parce que, même après la conquête du royaume Aztèque, Cortez se retrouva de nouveau dans la dette 15 ans plus tard et il commença à repartir sur le chemin de la conquête. Tous ces hommes étaient endettés jusqu’au cou et devaient faire ce qui était nécessaire pour acquérir de l’or, commettant au passage d’énormes atrocités pour repayer leurs dettes.

Ce genre de manipulation de la dette comme forme de moralité en lui-même fut lancé et devint “naturel”, quand vous pensez à l’argent comme une chose naturelle : comme un objet plutôt qu’une création sociale. En tant que technologie morale, l’argent permet à certains types de moralité d’émerger, ceux-ci étant très puissants. Les gens de pouvoir qui ont originellement découvert le pouvoir de la moralité de la dette il y a si longtemps, ne veulent pas les abandonner. Un des grands mystères est que lorsque vous avez des périodes de crédit d’argent virtuel, que ce soit dans la Mésopotamie antique ou au moyen-âge, vous voyez des gens qui créent des moyens de s’assurer que ceux qui ont le pouvoir de créer du crédit ne terminent pas à réduire les autres en esclavage. Cela se produit encore et encore et prend différentes formes, d’où les annulations de dette périodiques dans la Mésopotamie ancienne, les célèbres jubilées dans la Judée antique et les lois variées sur l’usure. Vous trouvez que tout cela était en combinaison avec la promulgation par les bouddhistes des monts de piété et autres alternatives afin d’empêcher les prêts à haut taux d’intérêt. La première utilisation des monts de piété fut en fait une affaire religieuse (NdT ; d’où le nom en français, en anglais cela se dit “pawn shop”, ce qui n’a rien à voir..) mise en place par des moines bouddhistes en Chine puis, plus tard, par les moines dominicains en Europe, de manière indépendante présumée.

Il y a tous ces mécanismes créés pour protéger les endettés en période d’argent crédit virtuel. Où sont nos versions de ces mécanismes ? D’accord, nous ne sommes que 40 ans environ dans ce système. Ceci n’est pas très long de par les standards auxquels nous nous référons, souvent des cycles de 500 à 1000 ans. Mais nous avons fait exactement l’opposé. Ce que nous avons fini par créer, ce sont des institutions comme le FMI ou Standard & Poor’s c’est à dire des institutions faites pour protéger les créditeurs contre les endettés. Sans surprise, le résultat de ces 40 premières années a été toute une série de crises de la dette. Considérez la dette du tiers-monde, qui a mené à des formes de résistance particulièrement efficace, d’abord en Extrême-Orient, puis en Amérique Latine, d’où le FMI a quasiment été viré. Ces crises de la dette sont continues, elles augmentent, elles semblent réunir la tendance historique pour une économie basée sur l’argent crédit.

Voilà pourquoi j’insiste sur le pouvoir de l’argent comme moralité. Je pense qu’il y a une contradiction entre les intérêts du système sur le long terme et ces mécanismes idéologiques qui sembleraient vouloir le légitimer. La moralité de la dette et la moralité du travail semblent être les deux zones dans lesquelles les vertus capitalistes, les vertus du système économique, sont profondément inculquées dans la conscience populaire et très largement acceptées. Questionner cela, ouvre les portes dont je pense que beaucoup de personnes ont peur d’ouvrir, malgré le fait qu’à ce point, l’annulation de la dette semble quasiment inévitable. 

La raison pour laquelle je dit “quasiment” est parce qu’il y a une telle résistance. Elle est remarquable. C’est tellement clairement dans l’intérêt de la classe dirigeante de commencer à annuler de la dette sur une grande échelle. La Réserve Fédérale a grandement essayé de voir la dette sur les emprunts fonciers annulée et ils n’ont pas avancé depuis l’an dernier (2013) Qu’est-ce qui le retient ? Cela doit être un attachement à cette idée morale fondamentale, parce qu’il n’y a plus beaucoup de soutien moral du système qui soit.

L’une d’entre elles est la valeur morale du travail. Keynes avait prédit que dès maintenant, nous pourrions bien avoir une journée de travail de 4 heures si nous le voulions et nous pourrions remarquer “Et bien visiblement nous ne le voulons pas, mais cela montre de manière évidente que plutôt que d’être heureux avec les biens que nous avons, cela a quelque chose à voir avec le désir, avec cette pulsion de la consommation.

Je pense que ce n’est absolument pas vrai. Si vous regardez ce que font les gens pendant une journée, ils ne font pas grand chose qui contribue à la production de produits de consommation. En fait, un phénomène inexploré en Amérique aujourd’hui est le fait de combien de personnes sont secrètement convaincues qu’ils ne font pas vraiment grand chose de la journée, que leur boulot est complètement inutile et n’a aucune valeur et ne devrait probablement pas exister. Je rencontre des gens comme ça tout le temps. Je connais tant de personnes qui en sont au bout du rouleau professionnellement et ne savent pas quoi faire, qui ont été en fac de droit et qui sont maintenant des avocats d’affaire pour des entreprises, je n’en ai pas rencontré un qui n’admettrait pas, du mois avec quelques verres dans le nez que “ce boulot est complètement inutile et stupide et ne devrait pas exister.” Vous pouvez faire beaucoup d’argent à faire ce boulot et aucun en étant un poète, ou autre chose. Cela vous dit quelque chose d’intéressant sur ce qu’on appelle “le marché” : il semble qu’il y ait très peu de demande pour des poètes ou des musiciens de talent, mais une demande quasi infinie pour des avocats d’affaire…

Je pense que nous devons penser cela en termes moraux. Pensez aux gens qui travaillent 4 heures par jour. Vous savez qu’il y a une foule de gens qui vont au travail tous les jours, s’assoient 8 heures mais ne font de fait que peut-être 3 ou 4 heures de travail effectif durant cette vacation. Le reste du temps, ils sont maintenant sur Facebook, ils tweetent, téléchargent du porno ou quoi que ce soit d’autre. Je parle à une quantité de gens et un grand nombre me dit : “En fait, je fais 2 ou 3 heures de travail productif dans la journée.” En fait, nous travaillons 4 heures par jour, mais à cause de cette moralité profonde attachée au travail, nous ne voulons pas en fait l’admettre.

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Tout le pouvoir aux ronds-points !…

Nous voudrions penser à un parallèle avec l’Union Soviétique. Je pense vraiment que le système soviétique était basé sur une contradiction fondamentale du fait qu’il a hérité d’une consistance essentiellement anarchiste (NdT : ne pas oublier que le premier “soviet” qui veut dire “assemblée populaire” en russe a été créé à St Petersbourg en 1905 par des anarchistes. Le concept de “soviet” est anarchiste par essence, il a été spolié plus tard par les marxistes autoritaires d’état en mission pour la City de Londres et sa succursale de Wall Street dont Lénine et Trotsky étaient les agents à succès…) et d’une idéologie marxiste. Pendant les années 1920 et 1930, on nota souvent la différence entre les syndicats anarcho-syndicalistes et les syndicats socialistes dans le fait que les anarchistes demandaient toujours une réduction des heures de travail et les socialistes une hausse des salaires. Essentiellement, ce furent les socialistes qui amenèrent le système productiviste et consumériste. Les anarchistes voulaient juste en sortir : “Nous ne voulons rien à voir à faire avec ça. Nous voulons travailler le moins possible.” Il y eut un célèbre débat entre Marx et Bakounine au sujet d’où la révolution viendrait-elle ? Serait-ce en provenance du prolétariat allemand plus avancé ? “Non, non, ce sera en provenance des paysans et artisans récemment prolétarisés en Russie et en Espagne”, dit alors Bakounine, l’avenir lui donna raison. Donc ces entités anarchistes qui voulaient moins d’heures de travail ont fini par créer des révolutions qui finirent absorbées par une élite marxiste-productiviste affirmant vouloir mettre en place une société de consommation, mais en étant incapable. Mais un des bénéfices de leur système fut qu’on ne pouvait pas être viré de son travail, donc les gens travaillaient de fait 4 heures par jour, à vie.

La grande contradiction en ce qui me concerne de ces systèmes, fut qu’ils ne purent reconnaître ou prendre la responsabilité du bénéfice social qu’ils donnèrent au public, à savoir la sécurité de l’emploi dans une journée de travail de 4 heures par jour. Si vous y pensez bien, passer d’une économie arriérée à lancer des satellites en orbite sur la base d’une journée de travail effectif de 4 heures par jour est assez impressionnant. Mais ils ne pouvaient pas admettre ce qu’ils donnaient aux gens. Tout le monde prétendait travailler 8 heures par jour, mais en fait ne travaillait que 4. (NdT : surtout dans une société bureaucrate où des boulots de gratte et pousse papiers / dossiers numériques sont légions, pas seulement dans les pays “socialistes”, mais partout aujourd’hui dans le monde occidental…)

Il semble que nos sociétés ressemblent à ça de plus en plus et tant de boulots sont dénués de sens ou de buts, mais là encore les gens se sentent obligés de le faire pour des raisons morales ou idéologiques, de le faire encore et encore. Je pense que beaucoup de la politique peut être expliqué de la sorte. J’ai toujours argumenté pour dire qu’une grande partie du populisme de droite est fondé sur le ressentiment des gens qui ont des boulots insensés. L’élite culturelle est vue comme ces gens qui monopolisent ces boulots où vous pouvez être payées pour faire quelque chose qui n’est pas juste pour un salaire. Comment tous ces salopards osent-ils prendre tous les boulots altruistes ?

Dans la même veine, je trouve fascinant ce ressentiment contre les ouvriers de l’automobile ou les enseignants. Je pense que cela peut être expliqué en ces termes moraux, il semble qu’il y ait un sens pour les gens à dire :”Quoi ? Vous les mecs faites quelque chose de réel. Vous enseignez aux enfants, vous fabriquez des voitures, vous voulez aussi des bénéfices ?” Il est important à mon sens que nous repensions en quoi le type de moralité que l’argent permet, à la fois en termes de dette et de travail, devient une force politique en elle-même et que bon nombre de ces problèmes que nous concevons être des problèmes économiques ne sont en fait que des problèmes politiques déguisés. 

(NdT : donc de “pouvoir”, nous ramenant à la seconde citation de Clastres que nous avons mis en début de texte et nous rajouterions celle-ci du même Pierre Clastres :

“La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes.”
~ Pierre Clastres, directeur de recherche en anthropologie politique au CNRS, 1974 ~ )

Le texte en PDF : David_Graeber_La-signification-de-largent

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David Graeber sur Résistance 71

Les historiens et les économistes aux gages de l’État nous ont enseigné, sans doute, que la commune de village, étant devenue une forme surannée de la possession du sol, forme qui entravait les progrès de l’agriculture, dut disparaître sous l’action des forces économiques naturelles. Les politiciens et les économistes bourgeois ne cessent de le répéter jusqu’à nos jours ; et il y a même des révolutionnaires et des socialistes — ceux qui prétendent être scientifiques — qui récitent cette fable convenue, apprise à l’école.
Eh bien, jamais mensonge plus odieux n’a été affirmé dans la science. Mensonge voulu, car l’histoire fourmille de documents pour prouver à qui veut les connaître — pour la France, il suffirait presque de consulter Dalloz — que la commune de village fut d’abord privée par l’Etat de toutes ses attributions ; de son indépendance, de son pouvoir juridique et législatif ; et qu’ensuite ses terres furent, ou bien tout bonnement volées par les riches sous la protection de l’Etat, ou bien directement confisquées par l’Etat…
~ Pierre Kropotkine ~

L’état n’est pas quelque chose qui peut être détruit par une révolution, mais il est un conditionnement, une certaine relation entre les êtres humains un mode de comportement humain, nous le détruisons en contractant d’autres relations, en nous comportant différemment.
~ Gustav Landauer ~

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Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

Cobra_peuple

heroisme