En introduction de ce texte d’une actualité remarquable, écrit par Bakounine il y a 143 ans sur “l’immoralité de l’État”, voyons ce que dit de de ce même État le grand anthropologue social français Pierre Clastres, 104 ans après l’écrit de Bakounine, dans son ouvrage de référence: “La Société contre l’État”. Ceci ne mettra que plus en valeur ce texte visionnaire et essentiel de Bakounine, qui nous montre que l’État est un mal nécessaire de l’Histoire, une étape, une des formes historiques de la société et en aucun cas la panacée. Il est appelé à disparaître et au vu de l’exponentialité des crimes commis ces dernières décennies… Le plus tôt sera le mieux pour le salut de l’humanité dont la courbe évolutrice tend vers l’émancipation et la Liberté.
~ Résistance 71 ~
“Le défaut de relation commandement-obéissance entraîne ipso facto le défaut de pouvoir politique. Aussi existe t’il non seulement des sociétés sans État, mais encore des sociétés sans pouvoir.”
L’anthropologie classique présuppose que les sociétés dites “primitives soient des sociétés incomplètes, en “devenir”, des sociétés qui ne seront achevées que quand elles auront atteint le stade suprême de la société: l’État… Point de vue éronné. Voici ce que les recherches de Pierre Clastres et d’autres anthropologues ont révélé:
“Plus ou moins confusément, c’est bien cela que disent les chroniques des voyageurs ou les travaux des chercheurs: On ne peut pas penser la société sans l’État, l’État est le destin de toute société. On décèle en cette démarche un ancrage ethnocentriste d’autant plus solide qu’il est le plus souvent inconscient… Deux axiomes en effet paraissent guider la marche de la civilisation occidentale, dès son aurore: le premier pose que la vraie société se déploie à l’ombre protectrice de l’État; le second énonce un impératif catégorique: il faut travailler […] Lorsque, au lieu de produire seulement pour lui-même, l’homme primitif produit aussi pour les autres, sans échange et sans réciprocité, c’est alors que l’on peut parler de travail: quand la règle égalitaire d’échange cesse de constituer le ‘code civil’ de la société, quand l’activité de production vise à satisfaire les besoins des autres, quand à la règle échangiste se substitue la terreur de la dette […] La division majeure de la société, celle qui fonde toutes les autres, y compris sans doute la division du travail, c’est la nouvelle disposition verticale entre la base et le sommet, c’est la grande coupure politique entre détenteurs de la force, qu’elle soit guerrière ou religieuse et ceux assujettis à cette force. La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes. […] Tout cela se traduit sur le plan de la vie économique, par le refus des sociétés primitives de laisser le travail et la production les engloutir, par la décision de limiter les stocks aux besoins socio-politiques, par l’impossibilité intrinsèque de la concurrence, à quoi servirait, dans une société primitive d’être un riche parmi les pauvres ? En un mot par l’interdiction, non formulée mais dite cependant, de l’inégalité. […] La véritable révolution dans la protohistoire de l’humanité, ce n’est pas celle du néolithique, puisqu’elle peut très bien laisser intacte l’ancienne organisation sociale, c’est la révolution politique, c’est cette apparition mystérieuse, irréversible, mortelle pour les sociétés primitives, ce que nous connaissons sous le nom de l’État […] L’État, dit-on, est l’instrument qui permet à la classe dominante d’exercer sa domination violente sur les classes dominées. Soit. Pour qu’il y ait apparition de l’État, il faut donc qu’il y ait auparavant une division de la société en classes sociales antagonistes, liées entre elles par des relations d’exploitation. Donc la structure de la société, la division en classes, devrait précéder l’émergence de la machine étatique. Observons au passage la fragilité de cette conception purement instrumentale de l’État. Si la société est organisée par des oppresseurs capables d’exploiter des opprimés, c’est que cette capacité d’imposer l’aliénation repose sur l’usage d’une force, c’est à dire sur ce qui fait la substance même de l’état, le ‘monopole de la violence physique légitime’. […] Il n’y a rien dans le fonctionnement économique d’une société primitive, d’une société sans État, rien qui permette l’introduction de la différence entre plus riches et plus pauvres, car personne n’éprouve le désir baroque de faire, posséder, paraître plus que son voisin. La capacité, égale chez tous, de satisfaire les besoins matériels et l’échange des biens et services, qui empêche constamment l’accumulation privée des biens, rendent tout simplement impossible l’éclosion d’un tel désir, désir de possession qui est en fait un désir de pouvoir. La société primitive, première société d’abondance, ne laisse aucune place au désir de surabondance. Les sociétés primitives sont des sociétés sans État parce que l’État y est impossible.”
~ Pierre Clastres, 1974 ~
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L’immoralité de l’État
par Michel Bakounine (1870)
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Ethique: Morale de l’État
La théorie du contrat social
L’Homme est non seulement l’être le plus individuel sur Terre, il est aussi le plus social. Ce fut une grave erreur de la part de Jean-Jacques Rousseau d’avoir assumé que la société primitive fut établi au moyen d’un contrat libre impliquant les sauvages. Mais Rousseau ne fut pas le seul à penser de la sorte. La majorité des juristes et des écrivains modernes, qu’ils soient de l’école kantienne ou d’autres écoles libérales et individualistes et qui n’acceptent pas l’idée théologique que la société est fondée sur le droit divin, ni non plus ceux de l’école hégélienne et leur plus ou moins mystique réalisation de la moralité objective, ni non plus la société primitive animale de l’école naturaliste, prennent nolens volens, le contrat tacite comme leur point de départ, faute d’autre fondation solide.
Un contrat tacite ! C’est à dire, un contrat sans mot et en conséquence insensé et sans volonté: un non-sens révoltant ! Une fiction absurde et de plus, une fiction malfaisante ! Une sombre escroquerie ! Car cela assume que tandis que j’étais dans un état de ne pas pouvoir vouloir, penser, parler, je me suis lié ainsi que tous mes descendants en un esclavage perpétuel et ce seulement par vertu de m’être laissé victimisé sans protester.
Le manque de discernement moral dans l’État précédent le contrat social original.
Du point de vue du système que nous examinons maintenant, la distinction entre le bien et la mal n’existe pas avant la conclusion du conrat social. A ce moment, chaque individu demeurait isolé dans sa liberté ou son droit absolu, ne prêtant pas attention à la liberté des autres excepté pour les cas où une telle attention était dictée par sa faiblesse ou sa force relative, en d’autres termes, par sa propre prudence et son propre intérêt. A ce moment, l’égoïsme, d’après cette même théorie, était la loi suprême, le seul droit étendu. Le bien était déterminé par le succès, le mal par l’échec et la justice n’était simplement que la consécration du fait accompli, si horrible, cruel ou mauvais qu’il fut, ainsi qu’est la règle en morale politique, celle qui prévaut maintenant en Europe.
Le contrat social et le critère du bien et du mal
La distinction entre le bien et le mal, d’après ce système, n’a commencé qu’avec la réalisation du contrat social. Tout ce qui a été reconnu comme constituant l’intérêt général a été déclaré bien et son contraire mal. Les membres de la société qui entrèrent dans ce composé et en devenant citoyens, s’étant liés par des obligations solennelles, assumèrent de la sorte de subordonner leurs intérêts privés à la réalité commune, à l’intérêt inséparable de tous. Ils divorcèrent également leurs droits individuels des droits publics, dont le seul représentant, l’État, fut investi du pouvoir de supprimer toute révolte de l’égoïsme individuel, ayant par ailleurs, le devoir de protéger chacun de ses membres de l’exercice de ses droits aussi loin qu’ils n’allaient pas à l’encontre des droits généraux de la communauté.
L’État formé par le contrat social est l’État athée moderne
Maintenant, nous allons examiner la nature des relations auxquelles l’État ainsi constitué, est liée d’entrer avec d’autres États similaires et aussi ses relations avec la population qu’il gouverne. Une telle analyse nous apparaît être des plus intéressante et utile dans la mesure où l’État, comme défini ici, est précisément l’état moderne aussi loin qu’il est divorcé d’avec l’idée religieuse: c’est l’état laïc ou l’état athée proclamé par les auteurs modernes.
Voyons donc en quoi consiste cette morale. L’état moderne, comme nous l’avons dit, s’est libéré du joug de l’église et en conséquence, est sorti du joug de la morale universelle ou cosmopolite de la religion chrétienne, mais il n’est pas encore devenu perméable à la morale ou à l’idée humanitaire, chose qu’il ne peut pas faire sans se détruire lui-même, car de son existence détachée et de sa concentration isolée, l’État est bien trop étroit à embrasser, à contenir les intérêts et en conséquence la morale, de l’humanité dans son entièreté.
Morales identifiées avec les intérêts de l’État
Les états modernes sont arrivés précisément à ce point. La chrétienté ne leur sert que de prétexte et seulement comme un moyen de leurrer les simples d’esprit, car leurs buts poursuivis n’a rien de commun avec les buts religieux. Les éminents hommes d’état de notre époque les Palmerston, Mouraviev, Cavours, Bismarck et Napoléon, riraient à gorges déployées si leurs convictions religieuses ouvertement professées étaient prises sérieusement. Ils riraient encore plus si quelqu’un leur attribuait des sentiments, considérations ou intentions humanitaires, qu’ils ont toujours déclarées publiquement n’être que de la sottise. Que constitue leur morale donc ? Seulement les intérêts de l’État. De ce point de vue, qui a été à de rares exceptions près, le point de vue des hommes d’état et des hommes forts de tout état ou pays, tout ce qui est instrumental pour conserver, exalter, et consolider le pouvoir de l’état est bon, même si cela peut paraître sacrilège du point de vue religieux et révoltant du point de vue de la morale humaine et inversement, tout ce qui milite contre les intérêts de l’état est mal, même si cela en d’autres aspects est la chose la plus juste et la plus humaine. Telle est la véritable morale et la pratique séculiaire de tous les États.
L’égoïsme collectif des associations particulières monté en catégories éthiques
Ainsi est la morale de l’État fondée sur la théorie du contrat social. D’après ce système, le bien et le juste, dès lors qu’il ne commence qu’avec le contrat social, ne sont en fait rien d’autre que le contenu et le but ultime du contrat, ce qui veut dire, l’intérêt commun et le droit public de tous les individus qui forment ce contrat, exceptés ceux qui lui restent extérieur. En conséquence, le bien dans ce sytème n’est que pour la plus grande satisfaction donnée à l’égoïsme collectif d’une association particulière et limitée, qui étant fondée sur le sacrifice partiel de l’égoïsme individuel de chacun de ses membres, exclut de son sein comme étranger et ennemis naturels, la vaste majorité de l’espèce humaine qu’elle soit formée ou non d’associations similaires.
La morale ne peut que se co-étendre qu’avec les limites d’états particuliers
L’existence d’un état simple et limité présupposait nécessairement l’existence et si nécessaire, provoquait la formation de plusieurs états, ceci étant bien naturel que les individus se trouvant en dehors de cet état et qui se trouveraient menacés dans leur existence et leur liberté par celui-ci, se retourneraient et de ligueraient contre lui. Ici nous obtenons une humanité brisée en un nombre indéfinie d’états qui sont étrangers, hostiles et menaçant l’un envers l’autre.
Il n’y a pas de droit commun, ni de contrat social entre eux, car si un tel contrat et un tel droit existaient, les états variés cesseraient d’être absolument indépendant l’un de l’autre, devenant des membres fédérés d’un seul grand état. A moins que ce grand état n’embrasse l’humanité dans sa totalité, il aura nécessairement l’hostilité des autres états, fédérés internement, contre lui. Ainsi la guerre serait toujours la loi suprême et la nécessité inhérente de l’existence même de l’humanité.
La loi de la jungle gouverne les inter-relations entre états
Chaque état, qu’il soit de caractère fédératif ou non, doit rechercher, sous peine d’être puni par la ruine totale, de devenir le plus puissant des états. Il doit dévorer les autres afin de ne pas être dévoré lui-même, de conquérir afin de ne pas être conquis, de réduire en esclavage afin de ne pas être réduit lui-même en esclavage, dans la mesure où deux puissance similaires mais étrangères l’une à l’autre, ne peuvent pas co-exister sans essayer de se détruire l’une l’autre.
La solidarité universelle de l’humanité est perturbée par l’État
Ainsi l’État est-il la négation la plus flagrante, la plus cynique et la plus complète de l’humanité. Il déchire la solidarité universelle de tous les Hommes sur la Terre, et il n’en unit que quelques uns aux seules fins de détruire, de conquérir, de réduire en esclavage le reste de l’humanité. Il ne prend sous sa protection que ses propres citoyens et il ne reconnaît le droit humain, l’humanité et la civilisation que dans ses frontières. Comme il ne reconnaît aucun droit en dehors, il s’arroge logiquement le droit de traiter avec la plus vile férocité et inhumanité toutes les populations étrangères qu’il peut piller, exterminer ou subordonner à sa volonté. S’il montre de la générosité ou de l’humanité envers elles, il ne le fait aucunement par sens du devoir, car il n’a pas d’autre devoir qu’envers lui-même et envers ceux de ses membres qui l’ont formés par un acte d’accord libre et qui continuent de le constituer sur la même base libre, ou, comme cela se passe dans la durée, ceux qui sont devenus ses sujets.
Comme la loi internationale n’existe pas et comme elle ne peut jamais exister d’une manière réelle et sérieuse sans mettre en péril les fondations mêmes de ce principe absolu de souveraineté d’état, l’État ne peut pas avoir de devoirs envers les populations étrangères. S’il traite de manière humaine les populations conquises, s’il ne va pas jusqu’à l’extrême limite de les piller et de les exterminer et ne les réduit pas au dernier degré de l’esclavage, il le fait peut-être par considérations politiques et par prudence, ou même par pure magnanimité, mais jamais par devoir, car il a le droit absolu de disposer de ces populations de quelque façon qu’il juge appropriée.
Le patriotisme va à l’encontre de la morale ordinaire humaine
Cette flagrante négation de l’humanité, qui constitue l’essence même de l’état est du point de vue de ce dernier le devoir suprême et la plus grande des vertus: Ceci est appelé patriotisme et il constitue la moralité transcendante de l’État. Nous l’appelons transcendante car ordinairement, elle transcende le niveau de morale humaine et de justice, qu’elles soient privées ou communes et ainsi se place souvent en contradiction envers elles. Ainsi par exemple, offenser, opprimer, voler, piller, assassiner ou réduire en esclavage un autre être humain est, pour la morale humaine ordinaire, commettre un crime sérieux.
Dans la vie publique au contraire, du point de vue du patriotisme, quand ceci est fait pour la plus grande gloire de l’état afin de conserver ou de développer sa puissance, tout ceci devient un devoir et une vertu. Et ce devoir, cette vertu devient obligatoire pour chaque citoyen patriotique. Chacun est attendu de se décharger de ces devoirs non seulement en respect des étrangers, mais aussi en respect de ses concitoyens, membres et sujets d’un même état, quand le bien-être de l’État le lui demande.
La loi suprême de l’État
La loi suprême de l’état est l’auto-préservation à tout prix. Et comme les états ont été condamnés à la lutte perpétuelle depuis qu’ils existent sur terre, une lutte contre leurs propres populations, qu’ils oppriment et ruinent; une lutte contre les états étrangers, dont chacun d’eux ne peut être fort que si les autres sont faibles et alors que les états ne peuvent pas survivre dans cette lutte à moins qu’ils ne cessent d’augmenter leur puissance constamment contre leurs propres sujets et leurs voisins, il s’ensuit que la loi suprême de l’État est l’augmentation de sa puissance et de son pouvoir au détriment de la liberté intérieure et de la justice extérieure.
L’État vise à prendre la place de l’humanité
Voici ce qui est dans la triste réalité la seule morale, le seul but de l’État. Il vénère Dieu lui-même seulement parce qu’il est son seul est exclusif Dieu, la sanction de son pouvoir et de ce qu’il appelle le droit, en fait, le droit d’exister à tout prix et à toujours grandir aux dépends des autres états. Tout ce qui peut servir à la promotion de cela en vaut la peine, est légitime et vertueux. Tout ce qui peut l’en empêcher et le limiter est criminel. La morale de l’État est donc l’inverse de la justice et de la morale humaines.
Cette morale transcendante, super-humaine et donc anti-humaine, n’est pas seulement le résultat de la corruption des Hommes en charge des fonctions de des états. On pourrait en fait mieux dire que la corruption des Hommes est la séquelle naturelle et nécessaire de l’institution de l’état. Cette morale n’est que le développement du principe fondamental de l’État, l’expression inévitable de sa nécessité inhérente. L’État n’est rien d’autre que la négation de l’humanité, il n’est que la collectivité limitée qui cherche à prendre la place de l’humanité et qui veut s’imposer à cette dernière en tant que but suprême, tandis que tout le reste doit se soumettre.
L’Idée de l’humanité, absente dans les temps anciens, est devenue un pouvoir du temps présent
Ceci était naturel et facilement compris dans les temps anciens lorsque l’idée même d’humanité était inconnue et chacun vénérait son propre Dieu national, qui lui donnait le droit de vie ou de mort sur toute autre nation. Les droits de l’Homme n’existait que dans la relation du citoyen avec l’État. Tout ce qui était à l’extérieur de l’État était marqué pour le pillage, le massacre et l’esclavage. Rien n’a changé. L’idée d’une humanité devient de plus en plus un pouvoir du monde civilisé et par l’expansion et la vitesse accélérée des moyens de communication et aussi dûe à l’influence, toujours plus de matériel que de morale, de civilisations, l’idée demeure que le pouvoir invisible de notre siècle , ce avec quoi les puissances présentes doivent composer. Elles ne peuvent pas s’y soumettre de leur plein gré librement parce qu’une telle soumission de leur part serait équivalent à un suicide, puisque le triomphe de l’humanité ne peut se faire qu’avec la destruction de l’État. Mais les États ne peuvent plus nier cette idée ni ouvertement se rebeller contre, pour être maintenant si fort, cela finira par les détruire.
L’État doit reconnaître dans sa propre manière hypocrite le sentiment puissant de l’humanité
Devant cette alternative douloureuse il n’y a qu’une seule sortie possible: l’hypocrisie. Les états paient de leur respect l’idée de l’humanité, ils parlent et agissent en apparence seulement en son nom, mais il la viole tous les jours. Quoi qu’il en soit, ceci ne devrait pas être retenu contre les états, car ils ne peuvent en effet pas agir autrement, leur position est devenue telle qu’ils ne peuvent se maintenir qu’en entretenant le mensonge. La diplomatie n’a pas d’autre mission.
Ainsi que voyons nous ? A chaque fois qu’un état veut déclarer la guerre a un autre état, il commence par lancer un manifeste adressé non seulement à ses propres sujets, mais au monde entier. Dans ce manifeste, il déclare que le droit et la justice sont de son côté et qu’il prouvera qu’il n’a agi que par amour de la paix et de l’humanité et que, imbu de sentiments généreux et pacifiques, il a souffert longtemps en silence avant que l’iniquité grandissante de son ennemi ne l’ait forcé à tirer l’épée. Dans le même temps, il promet par dédain de toute conquête matérielle et ne cherchant pas à augmenter son territoire, qu’il mettra fin à cette guerre dès que la justice aura été rétablie. La réponse de son antagoniste survient avec un manifeste identique dans lequel bien sûr il est dit que le droit et la justice sont de ce côté et tous les sentiments généreux doivent être trouvés respectivement de ce côté.
Ces manifestes opposés sont écrits avec la même éloquence, ils respirent la même indignation vertueuse et l’un est aussi sincère que l’autre; ce qui veut dire bien entendu que tous deux sont aussi engoncés dans leurs mensonges et seuls les imbéciles peuvent être leurrés par ces textes. Les personnes sensées, tous ceux qui ont un minimum d’expérience politique, ne prennent même pas la peine de lire ces manifestes. Au contraire, ils cherchent des moyens pour mettre à jour les intérêts qui mènent les deux adversaires à la guerre et de soupeser la puissance respective de chacun afin de deviner le résultat de la lutte. Ce qui prouve bien que les affaires morales ne sont pas du tout de mise dans de telles guerres.
La guerre perpétuelle est le prix de l’existence de l’État
Les droits des peuples, aussi bien que les traités régulant les relations entre les états, manquent de définition et de sanction morale. Dans chaque époque historique définie, ils sont l’expression matérielle de l’équilibre résultant de l’antagonisme mutuel entre les états. Aussi longtemps que les états existeront, il n’y aura pas de paix. Il n’y aura que des moments de répis plus ou moins prolongés, des armistices conclus par les états belligérents permanents, mais dès qu’un état sent qu’il a un avantage à détruire l’équilibre, il le fera. L’histoire de l’humanité en est la preuve.
Les crimes sont le climat moral des états
Ceci nous exlique pourquoi depuis le début de l’Histoire, c’est à dire depuis que l’état existe, le monde politique a toujours été et continue d’être le théâtre d’un brigandage jamais surpassé, faits criminels qui sont tenus en haute estime honorifique, car ils sont ordonnés par patriotisme, une morale transcendante et par les intérêts suprêmes de l’État. Ceci nous explique pourquoi l’histoire des états anciens et modernes n’est rien de plus qu’une série de crimes plus révoltants les uns qe les autres, pourquoi les rois présents et passés, les ministres et hommes d’états de tous les pays, les diplomates, les bureaucrates, les guerriers, s’ils étaient jugés du point de vue de la seule morale et justice humaine, mériteraient mille fois la potence ou la servitude pénale.
Car il n’y a pas de terreur, de cruauté, de sacrilège, de parjure, d’imposture, de mensonge, de transaction honteuse, de vol cynique, de bracage éhonté ou de trahison vicieuse, qui n’aient pas été commis et qui sont toujours commis quotidiennement par les représentants de l’État, sans aucune autre excuse que cette expression élastique et si utile qu’est la Raison d’État. Une expression terrible s’il en est ! Car elle a corrompu et déshonoré plus de personnes dans les cercles officiels et dans la classe dirigeante de la société que la chrétienté elle-même. Dès qu’elle est mentionnée, tout devient silence et disparaît de la vue du public: l’honnêteté, l’honneur, la justice, le droit, la pitié et la compassion, tout disparait et avec eux la logique et le bon sens; le noir devient blanc, l’horrible devient humain et les pires félonies et crimes atroces deviennent des actes méritoires.
Le crime, privilège d’État
Ce qui est permis à l’État est interdit à l’individu. Telle est la maxime de tous les gouvernements. Machiavel le disait et l’histoire et la pratique de tous les gouvernements contemporains lui donnent raison. Le crime est la condition nécessaire de l’existence même de l’État et il constitue de fait son monopole exclusif, ce qui implique que tout individu qui ose commettre un crime est doublement coupable: d’abord il est coupable contre la conscience humaine et plus que tout, il est coupable contre l’État en s’arrogeant un de ses privilèges les plus précieux.
La morale de l’État d’après Machiavel
Le grand philosophe politique Machiavel fut le premier qui parla de Raison d’État, ou du moins il lui donna sa véritable signification et l’immense popularité qu’elle a gagnée depuis dans les cercles gouvernementaux. Il était un penseur réaliste et positif, il comprit et il fut le premier en cet aspect, que les états puissants ne pouvaient être fondés et maintenus que sur le crime, par beaucoup de grands crimes et par un mépris total de ce qu’on appelle l’honnêteté.
Il écrivit, expliqua, et argumenta ce fait avec une terrible franchise et comme l’idée de l’humanité était totalement ignorée à cette époque, comme l’idée de fraternité, pas humaine mais religieuse, prêchée par l’église catholique n’a été et n’est toujours qu’une vague ironie, trahie à chaque instant par les actes mêmes de l’église; comme en son temps personne ne croyait qu’il y avait une telle chose que les droits populaires, le peuple étant considéré comme une masse inerte et inepte, une sorte de chair à canon pour l’État, bonne à être taxée, forcée au travail et maintenue en un état de servitude permanent, en vu de tout ceci, Machiavel arriva logiquement à la conclusion que l’État était le but suprême de l’existence humaine, qu’on devait le servir à tout prix, et comme les intérêts de l’État se situaient au dessus de quoi que ce soit d’autre, un bon patriote ne devait reculer devant aucun crime pour servir l’État.
Les conseils de Machiavel comprenanaient l’utilisation du crime, il l’encourageait et en faisait la condition sine qua non de l’intelligence politique ainsi que du véritable patriotisme. Que l’État soit appelé une monarchie ou une république, le crime sera toujours nécessaire pour assurer et maintenir son triomphe. Ce crime changera de direction et d’objet sans aucun doute, mais sa nature restera la même. Il sera touours la violation forcée de la justice et de l’honnêteté et ce pour le bien de l’État.
Où Machiavel avait tort
Oui Machiavel avait raison: nous ne pouvons plus en douter maintenant quer nous avons l’expérience de 3 siècles et demi d’expérience en la matière. Oui, l’histoire nous dit qu’alors que les petits états sont vertueux à cause de leur faiblesse, les états puissants ne se maintiennent de la sorte que grâce aux crimes commis. Mais notre conclusion sera radicalement différente de celle de Machiavel et la raison en est simple: Nous sommes les fils de la révolution et nous en avons hérité la religion de l’humanité que nous avons dû fonder des ruines de la religion de la divinité. Nous croyons dans les droits de l’Homme, dans la dignité et l’émancipation nécessaire de l’espèce humaine. Nous croyons en la liberté et en la fraternité humaines fondées sur la justice humaine.
Le patriotisme déchiffré
Nous avons déjà vu qu’en excluant une vaste majorité de l’humanité de son sein, en la plaçant à l’extérieur des obligations des devoirs réciproques de morale, de justice et de droit, l’État nie l’humanité avec ce mot à la forte résonnance: patriotisme et impose l’injustice et la crauté à ses sujets comme étant le devoir suprême.
La malfaisance originelle de l’Homme, le requis théorique de l’État
Chaque état, tout comme chaque théologie, assume que l’Homme est essentiellement mauvais et malfaisant. Dans l’État que nous allons examiner maintenant, le bien, comme nous l’avons déjà vu, commence avec la conclusion du contrat social et ainsi n’est que le produit de ce contrat, de son contenu. Il n’est pas le produit de la Liberté; au contraire, aussi loin que l’Homme demeure isolé dans son individualité absolue, profitant de sa liberté naturelle, ne reconnaissant de limites à sa liberté que celles qui lui sont imposée par le fait et non le droit, il ne suit qu’une seule loi, celle de l’égoïsme naturel.
Ainsi les hommes insultent, maltraitent, volent, tuent, pillent et s’annihilent les uns les autres en fonction de leur intelligence, de leur malveillance, et des forces matérielles disponibles, comme cela est fait maintenant par les états. Ainsi, la liberté humaine ne produit pas le bien mais le mal, l’humain étant mauvais par nature. Comment est-il devenu mauvais ? C’est à la théologie de l’expliquer. Le fait est que l’État, quand il est venu à exister, a trouvé l’Homme déjà dans cette prédisposition et il s’est assigné pour tâche de le rendre bon, ce qui veut dire, de transformer l’homme naturel en un citoyen.
On pourrait dire qu’autant que l’État est le produit du contrat conclus librement entre les hommes et alors que le bien est le résultat de la production de l’État, il s’ensuivrait qu’il soit le produit de la Liberté. Ceci serait néanmoins une fausse conclusion. L’État, même en accord avec cette théorie, n’est pas le produit de la liberté, mais au contraire, le produit de la négation volontaire et du sacrifice de la liberté. Les hommes naturels, absolument libres sur le plan du droit, mais en fait exposés à tous les dangers qui menacent leur sécurité à chaque instant de leur vie, abdiquent une plus ou moins grande portion de cette liberté aussi loin que ce sacrifice renforce leur sécurité, aussi loin qu’ils deviennent citoyens, ils deviennent esclaves de l’État. Ainsi nous avons donc le droit d’affirmer que du point de vue de l’État, le bien ne provient pas de la liberté, mais au contraire, de la négation de la liberté.
Théologie et politique
N’est-ce pas remarquable cette similitude entre la théologie (science de l’église) et la politique (la théorie de l’État), cette convergence de deux ordres de pensées apparememnt différents et contraires sur une même conviction: la nécessité de sacrifier la liberté humaine afin de rendre l’Homme en un être moral et le transformer en Saint, d’après certains et en citoyen vertueux d’après les autres ? Quant à nous, nous n’en sommes pas surpris, car nous sommes convaincus que la théologie et la politique sont intrinsèquement liées, provenant de la même origine et poursuivant le même but sous deux noms différents. Nous sommes convaincus que chaque État est une église terrestre, tout comme chaque église est un paradis qui chérit des dieux bénis et immortels, rien d’autre qu’un état céleste.
La similitude entre les supposés de la théologie et de la politique
L’état donc, comme l’église, commence avec la croyance fondamentale que les hommes sont essentiellement mauvais et que si laissés à eux-mêmes dans l’état de liberté naturelle, ils vont s’entre-déchirer et offrir le spectacle du pire chaos ou le plus fort massacrera le plus faible. Ceci n’est-il pas le contraire de ce qu’il se passe dans notre état exemplaire et vertueux ?
De la même manière, l’état présuppose le tenet suivant comme un principe: afin d’établir l’ordre public il est nécessaire d’avoir une autorité supérieure. Afin de pouvoir guider les Hommes et réprimer leurs passions malfaisantes, il est nécessaire d’avoir un leader, un chef et ainsi d’imposer une limite aux gens, mais cette autorité doit être donnée à un homme de génie vertueux, un législateur de son peuple, comme Moïse, Lycurgus ou Solon et ce leader sera la personnification de la sagesse et du pouvoir répressif de l’État.
La société n’est pas le produit d’un contrat
L’État est une forme historique transitoire, une forme éphémère de société, tout comme l’église, de laquelle il est le jeune frère, mais il lui manque le caractère nécessaire et immuable de la société qui est antérieur à tout développement de l’humanité et qui, en tant que partie prenante du pouvoir tout puissant des loi naturelles, des actions et des manifestations, cnstitue la véritable base de l’existence hmaine. L’Homme est né dans une société dès le premier moment qu’il a fait ses premiers pas dans l’humanité, dès le moment où il est devenu un être humain, A savoir, un être possédant d’une manière plus ou moins grande, le pouvoir de la pensée et de la parole. L’Homme ne choisit pas la société, au contraire, il en est le produit et il est tout juste sujet aux lois naturelles gouvernant l’essentiel de son développement comme à toutes les autres lois auxquelles il doit obéir.
La révolte contre la société est inconcebable
La société antidate et en même temps survit chaque individu humain, étant en cet aspect, comme la nature elle-même. Elle est éternelle comme la nature, ou plutôt, étant née sur terre, elle persistera aussi longtemps que durera la terre. Une révolte radicale contre la société serait ainsi impossible pour l’Homme, ceci reviendrait à se révolter contre la nature, la société humaine n’étant rien d’autre que la dernière grande manifestation ou création de la nature sur Terre. Un individu voulant se rebeller contre la nature en général et sa propre nature en particulier, se placerait au delà de l’existence réelle, il plongerait dans le néant, dans un vide absolu, dans une abstraction sans vie, dans Dieu.
Ainsi il s’ensuit qu’il est juste tout aussi impossible de se demander si la société est bonne ou mauvaise, car cela reviendrait à se demander si la Nature, l’être suprème universel, réel, absolu, est bon ou mauvais. C’est plus que cela: c’est un immense, positif, et primitif fait qu’avoir eu existence avant toute conscience, toutes idées, tous discernements intellectuels et moraux; c’est la base, c’est le monde dans lequel, inévitablement et bien plus tard, commencera à se développer ce que nous appelons le bien et le mal.
L’État un mal historique nécessaire
Il n’en va pas de même avec l’État et je n’hésites pas à dire que l’état est un mal mais un mal historiquement nécessaire, aussi nécessaire dans le passé que sa complète extinction sera nécessaire tôt ou tard, autant nécessaire que la bestialité primaire et les divagations théologiques furent nécessaires dans le passé. L’État n’est pas la société, il n’est qu’une de ses formes historiques, aussi brutale qu’elle n’est abstraite dans son caractère. Historiquement, l’État s’est développé dans tous les pays du mariage de la violence, de la rapine et du pillage, en un mot, de guerres de conquête avec les Dieux créés en succession par les fantasies théologiques des nations. Dès le commencement, il fut et demeure toujours, la sanction divine de la force brutale et de l’iniquité triomphante. Même dans les pays les plus démocratiques comme les Etats-Unis d’Amérique ou la Suisse, il n’est que la consécration des privilèges d’une minorité et la mise en esclavage de la vaste majorité.
La révolte contre l’État
La révolte contre l’État est plus facile parce qu’il y a quelque chose dans la nature même de celui-ci qui provoqie la rébellion. L’État est autorité, il est force, c’est une démonstration ostentatoire et une infatuation du pouvoir. Il ne cherche pas à convaincre, à convertir; chaque fois qu’il intervient, il le fait avec une très particulière mauvaise grâce. Car de par sa nature même, il ne peut pas persuader mais imposer avec une force extrême. De quelque manière qu’il essaie de dissimuler sa véritable nature, il demeurera le violeur légal de la volonté humaine et le déni permanent de sa liberté.
La morale présuppose la Liberté
Et même si l’état enjoint quelque chose de bien, il le défait et le pourrit précisément parce ceci vient sous forme d’un commandement et parce que chaque commandement provoque et génère la révolte légitime de la liberté et aussi parce que, du point de vue de la véritable morale, humaine et non divine, le bien qui est fait par commandement du dessus cesse d’être bien et devient ainsi mal ; la Liberté, la morale, et la dignité humaine consistent précisément en ce que l’Homme fait le bien non pas parce qu’on lui commande de le faire, mais parce qu’il le conçoit, le désire et l’aime.