Le dernier discours de Deskaheh
Levi General, Deskaheh
1925
Au soir du 10 Mars 1925, souffrant de sérieuses attaques de pleurésie et de pneumonie, il fit son dernier discours. Il le fit devant un micro dans la ville de Rochester (état de New York, USA). Une fois de plus, et plus fort que jamais, il lança un défi à la face des grandes nations qui nient les droits et les demandes des petits peuples.
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Novembre 2015
Note de résistance 71:
Levi General, chef charismatique de la nation Cayuga de la Confédération Iroquoise Haudenesaunee fut reçu au Grand Conseil avec le titre de “Deskaheh” en 1917. Il lutta sans relâche contre les lois d’assimilation niant les traités mises en place par le gouvernement fédéral du Canada, après la première guerre mondiale; il alla à Genève et monta un dossier pour plaider la cause autochtone à la Ligue des Nations (LDN) organisation fantoche qui précéda l’ONU, ce qu’il fit en 1923. La Ligue l’ignora. Il est à noter que le Canada ne pouvait pas faire partie de la LDN car vu à juste titre, comme une entité coloniale britannique.
Perçu comme un fauteur de troubles au Canada, il fut ciblé par les autorités, persécuté par la GRC et se vit refuser l’accès de retour au Canada. Il demeura jusqu’à sa mort en 1925 chez des amis dans l’état limitrophe de New York. En 1924, le Canada renforça la loi sur les Indiens (Indian Act) et refusa de reconnaître les conseils traditionnels autochtones. Le gouvernement colonial mit en place le système électoral des “Conseils de Bandes” (appelés “conseils de tribus” aux Etats-Unis) avec lesquels ils “traitent” des “affaires indiennes” depuis. Les Conseils de Bandes, rassemblés nationalement au Canada sous la bannière de l’Association des Premières Nations (APN ou AFN de son acronyme anglais), ne représentent pas la voix des nations autochtones, mais uniquement la voix “officielle” liée au gouvernement colonial et pilotée depuis Ottawa.
Il est grand temps que les Canadiens comprennent que les conseils de bandes élus des nations premières ne sont pas et ne représentent aucunement la voix des peuples et nations originels de ce sous-continent nord-américain.
La lutte pour faire reconnaître les modes traditionnels de gouvernance autochtones est toujours de mise. Le système colonial comme à l’accoutumée divise pour mieux règner. Un accord (Wampum Deux Rangées) a été passé avec les premiers colons occupants hollandais en 1613 lors du traité de Tawagonshi qui fut enterriné et suivi par les Français, puis les Anglais avec le traité de Montréal de 1701. Rien n’a changé depuis lors. Il n’y a eu aucune cession ni abandon de terres, toute appropriation résulte d’un vol initial.
A la fin de sa vie, depuis l’exil, Deskaheh continua la lutte, voici traduit par nos soins, son dernier discours, toujours d’une actualité plus que brûlante et pour cause: les problèmes n’ont jamais été correctement adressé.
(Résistance 71)
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Pratiquement tous ceux qui écoutent ces mots sont, je le suppose, des visages pâles (NdT: traduction directe de l’expression anglaise employée: “pale face”…). Je ne le suis pas. Ma peau n’est pas rouge, mais c’est de cette façon que mon peuple est appelé par les autres. Ma peau est brune, marron clair, mais nos joues possèdent cette petite rougeur et c’est pour cela que nous sommes appelés “peau-rouge”. Cela ne nous gêne pas. Il n’y a aucune différence entre nous sous les peaux, c’est ce que tout expert avec un couteau de boucher n’a jamais découvert. (*) – voir note sous le texte –
Ma terre natale est sur Grande Rivière. Jusqu’à ce que nous n’en vendions une grande partie, notre pays s’étendait jusqu’au lac Erie, où, il y a 140 hivers de cela, nous avions une petite côte bien à nous ainsi que notre propre marine faite de vaisseaux en écorce de bouleaux.
Vous l’appellerez plus tard le “Canada”. Nous ne l’appelons pas de la sorte. Nous appelons les quelques 260 km2 qu’ils nous restent le “pays de la Grande Rivière”. Nous avons le droit de faire cela. C’est à nous. Nous avons la promesse signée de George III que nous aurons cette terre à tout jamais de lui ou de ses successeurs et il a promis de nous protéger dans ce territoire.
Nous ne pensions pas que nous vivrions assez longtemps pour constater qu’une promesse britannique n’était pas assez bonne. Un pied ennemi est sur notre terre et George V le sait car je lui ai personnellement dit, mais il ne lèvera pas le petit doigt pour nous protéger, ni ses ministres du reste. Quelqu’un qui voudrait nous enlever nos droits est, bien entendu, notre ennemi.
Pensez-vous que tout gouvernement devrait arrêter de considérer de savoir si un but égoïste doit-être gagné ou perdu en tenant sa promesse ?
En bien des points nous sommes juste comme vous. Nous aimons parler de nos problèmes. Vous faites cela aussi. Vous nous avez dit que vous aviez de grands problèmes il y a plusieurs hivers parce qu’un géant avec un gros bâton vous courrait après. Nous vous avons aidé à le fouetter. Beaucoup de nos jeunes braves se sont portés volontaires et bon nombre d’entre eux ont donné leur vie pour vous. Vous étiez bien disposés à les laisser combattre en toutes premières lignes en France. (NdT: Deskaheh parle ici des volontaires autochtones qui se sont enrôlés et ont combattu dans l’armée canadienne durant la 1ère guerre mondiale dans les tranchées de France…) Maintenant nous voulons vous parler de nos problèmes et de ce qui nous trouble.
Nous ne voulons pas dire que nous en appelons à vos gouvernements, nous sommes fatigués d’en appeler à tous les gouvernements des visages pâles sur le continent américain et en Europe. Nous avons essayé cela à maintes reprises et avons trouvé que cela était parfaitement inutile. A partir de maintenant, nous voulons la justice. Après tout ce qui nous est arrivé, ce n’est certainement pas trop demander. Vous avez obtenu plus de la moitié des territoires que vous possédez ici en faisant la guerre aux hommes rouges, le plus souvent de manière totalement non provoquée, et vous en avez obtenu un autre quart par la corruption de certains de nos chefs, pas un quart n’avez vous obtenu de manière honnête et légale. Pourtant vous auriez pu en avoir une bonne partie honnêtement si vous aviez pourtant essayé.
Vous les jeunes des Etats-Unis ne croirez peut-être pas ce que je dis. Ne me croyez pas sur parole, mais lisez votre histoire. Une bonne dose de la véritable histoire à ce sujet a été maintenant publiée. Nous avons encore un peu de territoire pour vivre, juste assez pour y vivre et nous y coucher. Ne pensez-vous pas que votre gouvernement devrait être honteux de nous prendre le peu qu’il reste en prétendant que ceci fait partie de leurs territoires (NdT: volés pour la très vaste majorité..) ?
Vous devriez être honteux si vous les laisser faire. Avant que tout ne soit perdu, nous voulons vous faire savoir ce que vos gouvernements (coloniaux) sont en train de faire. Les gouvernements de Washington et d’Ottawa ont une politique silencieuse de partenariat politique. Celle-ci vise à briser chaque tribu, chaque nation d’hommes rouges afin de pouvoir dominer chaque hectare de leur territoire. Vos hauts-fonctionnaires sont les nomades aujourd’hui et non pas les hommes rouges. Vos officiels ne resteront pas chez eux.
A Ottawa, ils appellent cela la politique du “progrès indien”. A Washington, ils appelent cela “l’assimilitation”. Nous, qui serions les victimes sans défense, disons que cela s’appelle la tyrannie.
Si cela doit aller au bout de la nuit, nous préférerions que vous veniez avec vos flingues et vos gaz toxiques et que vous vous débarrassiez de nous de cette façon. Faites le ouvertement et sans ambage. Arrêtez cette prétention de dire que vous avez le “droit” de nous subjuguer et de nous faire plier à votre volonté. Vos gouvernements le font en mettant en place vos lois coloniales étrangères sur nous. Ceci n’est qu’une action en sous-main. Ils peuvent nous subjuguer par l’utilisation de vos tribunaux. Cela vous plairait-il de vous retrouver traînés au Mexique pour y être jugés par les Mexicains et de vous retrouver en prison sous le coup de la loi mexicaine pour ce que vous avez fait chez vous ?
Nous ne voulons aucune de vos lois et de vos coutumes que nous n’avons pas adoptées nous-mêmes. Nous en avons adopté pas mal (NdT: trop ?…) Vous en avez adoptées quelques unes des notres comme par exemple le vote des femmes. Nous nous comportons aussi bien (ou mieux) que vous et vous seriez d’accord si vous nous connaissiez mieux.
Nous serions bien plus heureux aujourd’hui si on nous fichait la paix que vous qui vous auto-proclamez “Américains” ou “Canadiens”. Nous n’avons pas de prisons et n’en avons aucunement besoin. Vous avez beaucoup de prisons mais contiennent-elles tous les criminels que vous condamnez ? Faites face à la justice et condamnez-vous tous les violeurs des milliers et milliers de lois que vous avez ?
Vos gouvernements (coloniaux) se sont récemment résolus à de nouvelles pratiques au sein de leurs politiques indiennes. Auparavant, ils soudoyaient souvent nos chefs pour qu’ils signent des traités afin de prendre nos terres. Maintenant ils savent qu’ils peuvent plus facilement se saisir de nos territoires restant en nous privant de nos droits politiques et en nous forçant à nous “intégrer”, à prendre votre “citoyenneté” ainsi ils donnent le boulot dans leurs bureaux des affaires indiennes aux jeunes gens intelligents d’entre nous qui le feront et qui, pour gagner leur chèque, disent que nos peuples veulent devenir des citoyens de votre entité et que nous sommes prêts à voir notre vie tribale détruite et que nous voulons que le gouvernement fédéral le fasse. Mais ceci est totalement faux !
Vos gouvernements coloniaux actuels ont appris tout cela des britanniques. Les Britanniques ont pratiqué depuis longtemps tout ceci sur des peuples bien plus faibles et ont mené à bien leur politique de subjuguer le monde, s’ils l’ont pu, à l’impérialisme britannique. Sous son couvert, vos législateurs assument maintenant la gouvernance des peuples trop faibles pour vous résister dans vos tribunaux. Il n’y a aucune limite territoriale de 5km ou de 20km pour les gouvernements qui veulent tout forcer.
Il y a trois hivers, le gouvernement canadien a décidé d’hypothéquer les fermes de nos soldats revenant de la guerre pour sécuriser des emprunts qui leur furent faits dans l’intention d’utiliser les tribunaux canadiens pour forcer les paiements au nom des autorités canadiennes sur des terres nous appartenant. Lorsqu’Ottawa s’y est essayé, notre peuple s’est rebellé. Nous savions que cela signifiait la fin de notre mode de gouvernance traditionnel. Parce que nous avons résisté, le gouvernement colonial canadien a commencé à faire respecter toutes sortes de lois de domination provinciales et a envoyé des gens pour faire respecter les lois et les “coutumes” canadiennes sur nous. Nous avons fait appel à Ottawa au nom de nos droits en tant que peuple séparé et de nos droits inhérents aux traités ; la porte nous fut claquée à la figure. Nous avons ensuite été à Londres avec notre traité et avons demandé la protection qu’il garantit ; personne n’y a prêté une quelconque attention. Puis nous avons été devant la Ligue des Nation à Genève sous son accord de protection des petits peuples et de faire respecter les traités, nous y avons attendu patiemment un an pour une audience, que nous n’avons jamais obtenue.
Pour nous punir d’essayer de préserver nos droits, le gouvernement canadien prétend maintenant abolir notre gouvernement (traditionnel) par Proclamation Royale et il a prétendu imposer un gouvernement canadien au-dessus de nous, composé des quelques traîtres parmi nous qui acceptent de se faire payer par Ottawa et de faire ce que les colons demandent. Finalement, les fonctionnaires d’Ottawa, sous le prétexte d’une visite amicale, nous ont demandé d’inspecter nos précieuses ceintures de traité Wampum, faites par nos Pères il y a des siècles pour archiver notre histoire et lorsque nous leur avons montré, ces fonctionnaires fourbes les ont saisi et ont emporté ces ceintures comme des bandits emportent leur butin. La seule différence étant que notre gardien des ceintures Wampum n’a pas mis les mains en l’air, nos mains ne se mettant en l’air que lorsque nous invoquons le grand esprit. Les votres se mettent en l’air à ce qu’on nous a rapporté, lorsque quelqu’un fait les poches de son propre frère blanc. D’après ce que racontent vos journaux, elles sont bien souvent en l’air depuis un moment…
Le gouvernement d’Ottawa pensait que sans les ceintures Wampum à lire dans la cérémonie d’ouverture de nos conseils des Six Nations, nous abandonnerions notre règle d’auto-gouvernement et d’autogestion, étant victimes de quelconques superstitions. Quelque superstition que ce soit à laquelle est tombée victime le peuple de Grande Rivière n’est en aucun cas la révérence envers les ceintures Wampum mais bel et bien de sa confiance mise dans l’honneur de gouvernements qui affirment être ceux d’une civilisation supérieure.
Nous avons fait confiance aux Britanniques il y a bien des années avec de très larges sommes d’argent, de notre argent dont ils ils devaient s’occuper pour les territoires que nous leur avions cédés. Ils prirent 140 000 $ de cet argent il y a maintenant 75 hivers pour les utiliser à leurs propres fins égoïstes, ils ne nous ont jamais rendu cet argent.
Votre gouvernement des Etats-Unis à ce qu’on me dit, vient juste de décider de retirer toutes les libertés politiques de l’Homme Rouge que vous avez promis de protéger pour toujours, en passant une telle loi au congrès en défi total des traités signés par votre président George Washington. Cette loi bien sûr, voudra dire le bris et la division des tribus et des nations si cela est mis en application. Notre peuple prérèrerait être privé de son argent que des ses libertés politiques, et vous également.
Je suppose que vous n’avez jamais entendu parler de mon peuple et que beaucoup d’entre vous pensent que nous avions rejoint les grands espaces de chasse il y a longtemps. Et bien NON ! Il y a autant d’entre nous qu’il y a mille hivers, il y a de plus en plus d’Indiens et cela fait une grande différence dans le respect que nous observons venant de vos gouvernements.
Je vais vous poser une question ou deux. Réfléchissez-y bien et ne répondez pas trop vite. Pensez-vous vraiment que toutes les personnes doivent avoir une protection égale sous la loi internationale alors même que maintenant vous êtes devenus si forts et si puissants ? Pensez-vous vraiment que les promesses des traités se doivent d’être tenues ? Pensez bien à ces questions et formulez attentivement vos réponses…
Nous ne sommes plus dépendants comme nous l’étions auparavant. Nous n’avons plus besoin d’interprètes maintenant. Nous connaissons votre langue et nous pouvons comprendre vos mots de nous-mêmes et nous avons appris à décider par nous-mêmes ce qui est bon pour nous. Il est très mauvais de prendre conseil d’autres personnes pour tout cela.
Vous les mères me dit-on avez bien des choses à dire de votre gouvernement. Nos mères ont toujours eu leurs mains dans le notre. Peut-être pouvez-vous faire quelque chose pour nous aider maintenant. Si vous les mères blanches avez un cœur de pierre et ne nous aidez pas, peut-être que vos fils et vos filles qui écoutent ce programme et qui ont aimé lire des histoires de notre peuple, les vraies histoires je veux dire, nous aiderons lorsqu’ils grandiront et s’il reste quelques uns d’entre nous à aider s’entend.
Si vous devez nous traiter comme si nous étions des citoyens sous votre gouvernement, alors ceux d’entre vous qui ont faim de terres et de propriétés possèderont nos fermes et nous les voleront par tous les moyens possibles en utilisant vos lois de propriété et vos tribunaux que nous ne comprenons pas et que nous ne voulons pas du tout apprendre. Nous serons alors sans abris et devrons errer dans vos grandes villes pour y travailler pour un salaire, pour acheter du pain, pour payer un loyer, des impôts, pour vivre sur cette terre et pour y vivre dans de petites piaules dans lesquelles nous suffoquerons. Nous serions alors dispersés et perdus pour nous-mêmes ainsi que parmi vous. Nos fils et nos filles devront se marier avec vous ou pas du tout. Si la tuberculose nous élimine ou si nous ne procréons plus ou si nos enfants sont mélangés dans l’océan de votre sang, alors il n’y aura plus d’Iroquois. Donc filles et garçons si vous grandissez et affirmer le droit de vivre ensemble et de vous gouverner vous-mêmes, comme vous le devriez, et si vous ne concédez pas le même droit aux autres, alors vous deviendriez des tyrans ne pensez-vous pas ? Si vous n’aimez pas ce mot, utilisez-en un autre, un meilleur si vous pouvez en trouver un, ne vous leurrez pas vous-même par le mot que vous utiliserez.
Fils, vous respectez vos pères parce qu’ils sont membres d’un peuple libre et avec une voix dans le gouvernement au dessus de la leur et parce qu’ils ont aidé à le faire pour eux-mêmes et vont vous le léguer. Si vous saviez que vos père n’ont rien eu à faire avec le gouvernement qu’ils subissent, mais qu’ils étaient les sujets de la volonté d’autres personnes, vous ne pourriez pas les admirer et ils ne pourraient pas vous regarder en face. Ils ne seraient pas de véritables hommes et vous ne le seriez pas non plus.
Les pères au sein de notre peuple ont été de vrais hommes. Ils se plaignent maintenant contre l’injustice d’être traités comme quelque chose d’autre et d’être appelés incompétents qui doivent être gouvernés par d’autres, ce qui veut dire par les hommes qui pensent cela d’eux.
Fils, pensez-y. Faites-le avant que vos esprits ne perdent le pouvoir de comprendre qu’il y a d’autres gens dans ce monde autres que vous et ayant un droit égal d’y être au votre. Vous voyez qu’un peuple aussi fort que le votre est un grand danger pour les autres gens qui vous entourent. Vous allez déjà parvenir d’assez près à être la loi en ce monde de manière à ce que personne ne puisse vous fouetter. Pensez alors ce que cela veut dire de grandir avec la volonté d’être injuste envers les autres, de croire fermement que quoi que fasse votre gouvernement aux autres ne constitue pas un crime, même si cela en est un particulièrement vicieux. J’espère que les nord-Américains d’origine irlandaise vont y penser, ils avaient l’habitude de le faire lorsque cela se rapportait à eux.
Ceci est l’histoire des Mohawks, l’histoire des Oneidas, des Cayugas, je suis Cayuga, des Onondagas, des Senecas et des Tuscaroras. Ce sont les Iroquois. Expliquez cette histoire à ceux qui n’ont pas écouté. Peut-être qu’on m’arrêtera de la raconter cette histoire, mais si on m’en empêche alors que j’ai tenté de le faire, l’histoire ne sera pas perdue ni oubliée. Je l’ai déjà raconté à des miliers de personnes en Europe, elle a été inscrite dans les archives, là où vos enfants pourront la trouver quand je serai mort ou qu’on m’aura jeté en prison pour dire la vérité. J’ai expliqué cette histoire en Suisse. On peut y dire la vérité en public là-bas, même si cela devient inconfortable pour quelques personnes célèbres.
Cette histoire vient directement de Deskaheh, un des chefs des Cayugas. Je suis le porte-parole du Conseil des Six Nations iroquoises, la plus ancienne ligue des nations en existence. Elle fut fondée par Hiawatha. C’est une ligue, une confédération, qui est toujours bien vivante et qui a l’intention, du mieux qu’elle le peut, de défendre les droits des nations iroquoises pour qu’elles vivent sous leur propre loi (NdT: Kaiane’reko:wa ou Grande Loi de la Paix) dans leurs petits pays restant, sous le Grand Esprit et les coutumes inhérentes et de jouir des droits qui sont le plus sûrement les leurs tout comme les droits de l’homme blanc sont les siens.
Si vous pensez que les Iroquois se font avoir, écrivez des lettres depuis le Canada à vos ministres et votre parlement, depuis les Etats-Unis à vos membres du congrès et dites leur. Ils vous écouteront puisque vous les avez élu. S’ils sont contre nous, demandez leur quand et comment ont-ils obtenu le droit de gouverner des peuples qui n’ont aucun parti-pris dans votre mode de gouvernement et qui ne vivent pas dans votre pays mais dans le leur. Ils ne pourront pas répondre à cette question de manière rationnelle.
Encore un mot pour que vous vous rappeliez de notre peuple. Si nous n’avions pas aidé en temps et en heure, vous ne seriez pas là. Si il y a 166 hivers, nos guerriers n’avaient pas aidé les Britanniques au Québec, celui-ci ne serait pas tomber aux mains des Britanniques. Les Français auraient viré vos ancêtres parlant anglais de cette terre avec armes et bagages. Ce serait un peuple parlant français aujourd’hui au Canada et non pas vous. Cette partie de votre histoire ne peut pas être escamotée en volant nos ceintures wampum qui racontent cette histoire.
Je pourrais vous en dire bien plus sur notre peuple et je le ferai une autre fois, si vous m’en faites l’honneur.
= = =
Note (*) de haut de pages: L’origine du mot “peau-rouge”.
Source: historienne Roxanne Dunbar-Ortiz, “An Indigenous peoples’ History of the United States”, Beacon Press, 2014, pages 64-65
Traduit de l’anglais par Résistance 71
-[]- “ En tant que récompense pour recruter des combattants (contre les Indiens), les autorités coloniales introduisirent un programme de scalpage (chasse au scalp) qui devint un élément de longue durée et permanent de la guerre coloniale contre les nations autochtones. Durant la guerre contre les Péquots, les officiels du Connecticut et du Massachussetts offrirent des récompenses en premier lieu pour les têtes des Indiens tués, puis plus tard seulement pour leurs scalps, qui étaient plus transportables en grand nombre. La chasse aux scalps ne devint routinière qu’à partir des années 1670 […] La chasse au scalp devint une activité très lucrative. Les autorités coloniales encouragèrent les colons à partir en “chasse” par eux-mêmes, en petit groupe et de récolter le plus de scalps possibles pour de l’argent. L’historien John Grenier fait remarquer que “les colons établirent la privatisation de la guerre sur une grande échelle au sein des communautés pionières américaines…” De plus les chasseurs de scalps pouvaient prendre les enfants prisonniers et les vendre comme esclaves. Ces pratiques effacèrent toute distinction demeurant entre les Indiens combattants et les non-combattants et cela introduisit également un marché pour les esclaves autochtones.
Les récompenses pour les scalps autochtones furent également honorées même en temps de paix officielle. Les scalps et les enfants indiens devinrent des monnaies d’échange et ce développement dans ce commerce créa même un marché noir. La chasse au scalp n’était pas seulement profitable pour les entreprises privées, mais ce fut aussi un moyen d’erradiquer ou de subjuguer la population originelle sur la côte atlantique anglo-américaine.
Les colons y donnèrent un nom pour les corps mutiliés et sanguinolents laissés dans le sillage de la chasse aux scalps: Les Peaux-Rouges.
Cette façon de faire la guerre, forgée dans le premier siècle de la colonisation de l’Amérique du Nord, détruisant les villages autochtones, leurs champs, massacrant combattants et non-combattants et chassant le scalp, devint la base même des guerres contre les peuples originels du continent et ce jusque la fin du XIXème siècle.” –[]-