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Sortir du marasme par le seul changement de paradigme politique… Les deux routes (Errico Malatesta)

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, média et propagande, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 16 janvier 2022 by Résistance 71

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Écrit il y a 100 ans… Qu’y a t’il de changé ?… Qu’attendons-nous, vraiment ?… Changer de paradigme politique est plus que jamais un impératif incontournable devant la tournure tyrannique que prend immanquablement le système étatico-capitaliste en bout de course. Le chemin à suivre est celui de la société des sociétés de notre humanité enfin réalisée. Malatesta l’avait déjà bien compris et exprimé. Nous l’avons dit le 14 juillet 2021, il n’y a pas de sortie de crise autre que politique. Nous sommes à la croisée des chemins, le choix est imminent.
~ Résistance 71 ~

Les deux routes

Errico Malatesta

1921

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Janvier 2022

I

Les conditions de vie au sein de la société actuelle ne peuvent pas durer éternellement et nous pourrions dire aujourd’hui qu’elles ne peuvent pas durer bien plus longtemps. Tout le monde s’accorde là-dessus, du moins tous ceux qui y accordent un temps de réflexion.

Il n’y a plus de conservateurs au sens propre du terme. Il n’y a plus que des gens qui profitent du moment et jouissent de leurs privilèges aussi longtemps qu’ils le peuvent sans se soucier de rien, car après eux, le déluge. Il y a aussi les réactionnaires enragés qui voudraient retourner dans le temps, noyer toute tentative de libération dans le sang et soumettre les masses à la loi de l’épée. Sans succès. La réaction pourrait bien teindre l’aube naissante d’un rouge plus vif, mais elle ne parviendra pas à empêcher la catastrophe à venir.

Les masses refusent d’être menées comme un troupeau.

Aussi longtemps que la croyance a tenu que toute cette souffrance était une punition ou une sorte de test mis en place par dieu et que tous les maux d’ici-bas seraient repayés cent fois dans le monde d’après, un système d’iniquité a pu être installé et a perduré, un système dans lequel une poignée de personnes impose sa volonté aux autres, les exploitant et les opprimant selon leur bon vouloir.

Mais une telle croyance n’a jamais été si efficace parce qu’elle n’a jamais empêché les gens de rechercher leur intérêt sur cette terre, ce qui est la raison pour laquelle la religion n’a pas réussi à étouffer complètement le progrès. Cette croyance a aussi sérieusement diminué et est en passe de disparaître. Même le clergé est obligé, afin de sauver la religion et en même temps de se sauver eux-mêmes, d’adopter un air de volonté de résoudre la question sociale et d’apaiser l’affliction des travailleurs.

Dès le moment où les yeux des travailleurs s’ouvrent sur la place qu’ils occupent dans la société, il leur devient impossible de continuer bien longtemps à trimer et à souffrir pour toujours, produisant leur vie durant pour leurs maîtres sans aucune perspective d’avenir, mis à part le repos des vieux jours pour lesquels ils n’ont aucune garantie d’avoir un toit et à manger. Comme ils sont les producteurs de toute la richesse et savent qu’ils peuvent produire afin de bien plus suffire aux besoins de chacun, il leur devient impossible de vouloir se résigner à tout jamais à cette existence de damné sous la menace constante du chômage et de la famine. Étant mieux éduqués, raffinés au contact de la civilisation, pour le bénéfice des autres et ayant goûté la force qu’ils peuvent tirer de l’union et du courage, il leur devient impossible d’accepter ce qu’il reste de la basse classe et de ne pas affirmer leur volonté d’une plus grande part dans les joies de la vie.

Aujourd’hui, le prolétaire sait, en tant que règle, qu’il est condamné à demeurer prolétaire toute sa vie, à moins qu’il n’y ait un grand chambardement dans l’ordre social. Il sait que ce changement ne peut pas survenir sans l’aide des autres prolétaires et c’est pourquoi il regarde les syndicats comme une force nécessaire pour l’imposer. Les bourgeois et les gouvernements qui les représentent et les défendent le savent également et afin d’éviter d’être balayés dans une sorte de cataclysme social, ils évaluent le besoin de prendre des mesures par étapes et ceux qui ont un gramme d’intelligence sachant aussi que la société actuelle endommage même ceux qu’elle favorise. Ainsi donc, tôt ou tard, d’un bloc ou graduellement, un changement doit se produire.

Mais quelle sera la substance de ce changement et jusqu’où ira t’il ?

La société actuelle est divisée entre les propriétaires rentiers et les prolétaires. Cela peut changer en supprimant la classe prolétaire en rendant tout à chacun co-propriétaire de toute la richesse de la société ou cela peut changer en gardant la structure intacte mais en améliorant la condition prolétaire.

Dans le premier cas, les humains deviendront libres et la société égalitaire ; ils s’organiseront et la société en accord des besoins de tous ; ainsi la nature humaine pourra atteindre son plein potentiel et développer des variations infinies. Dans le second cas, les prolétaires sont des animaux bien nourris et se résigneraient à leur condition d’esclave en étant heureux et satisfaits du meilleur traitement accordé par leurs maîtres. [NdT : c’est l’archétype même de tous les réformismes proposés par les plateformes politiques de “gauche”, syndicats inclus depuis la mi-XXème siècle]

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Liberté, émancipation ou esclavage. Anarchie ou esclavagisme moderne

Ces deux solutions potentielles sont à la racine de deux visions divergentes représentées dans leur manifestation la plus logique et cohérente, d’un côté par les anarchistes et par les socialistes réformistes de l’autre. Avec cette différence : les anarchistes savent ce qu’ils veulent et le revendiquent, c’est à dire la destruction de l’État et une société des associations libres organisées sur une base économique égalitaire, tandis que les socialistes sont en porte-à-faux avec eux-mêmes ; ils affirment être socialistes alors que leurs activités ont tendance à perpétuer le système capitaliste mais en le rendant plus humain, de cette manière, ils renient leur socialisme, dont le sens premier est l’abolition de la division des gens entre propriétaires capitalistes et prolétaires.

La tache des anarchistes et laissez-moi le dire, des véritables socialistes, est de s’opposer à cette tendance à l’acceptation de son sort, de cet esclavage moderne, vers un état esclavagiste atténué qui priverait l’humanité de ses qualités les plus fines, qui nierait la mise en place d’une société au potentiel le plus haut et dans le même temps qui aiderait à maintenir l’appauvrissement et la dégradation sociale dans lesquelles les masses sont précipitées, en les persuadant d’être patientes et de faire confiance en la providence de l’État et en la gentillesse et la compréhension de leurs maîtres.

Toutes les soi-disantes législations sociales, les mesures étatiques faites pour “protéger” le travail et garantir aux travailleurs un minima de bien-être et de sécurité, ainsi que toutes les mesures employées par les capitalistes malins pour enchaîner le travailleur à l’usine au moyen de bonus, financiers, de retraites et autres bénéfices, à moins que ce ne soient que des mensonges et des pièges, ne sont en fait que des pas supplémentaires vers la mise en esclavage étatique, ce qui pose une menace directe à l’émancipation des travailleurs et au progrès véritable de l’humanité.

Un salaire minimum légalement prescrit, des limites légales sur le temps de travail quotidien , un arbitrage obligatoire, des négociations collectives légalement contraignantes, un statut légal pour les associations de travailleurs, des mesures d’hygiène prescrite par le gouvernement dans les usines, une assurance maladie d’état, une assurance contre le chômage, les accidents du travail, les retraites, des plans de partage des dividendes etc, etc ne sont que des mesures pour s’assurer que les prolétaires demeurent des prolétaires pour toujours et que les propriétaires capitalistes le soient à tout jamais ; toutes ces mesures sont des mesures qui amènent un peu plus de confort et de sécurité aux travailleurs (et encore…), mais qui les volent de ce peu de liberté qu’ils ont et qui a la tendance de perpétuer la division de l’humanité en maîtres et esclaves.

Soyons clairs, jusqu’à ce qu’une révolution ne survienne, c’est une bonne chose, qui  nous rapproche de mieux d’une révolution, que les travailleurs essaient de gagner plus en travaillant moins et améliorent leur condition. C’est une bonne chose que les chômeurs ne crèvent pas de faim, que les vieux et les malades ne soient pas abandonnés. Mais ces choses et bien d’autres doivent être gagnées par les travailleurs eux-mêmes, dans la lutte et l’action directe contre leurs maîtres, par leurs propres organisations, par des moyens d’action individuels et collectifs et en chérissant le sens de la dignité de chaque personne et la conscience de ses droits.

Les cadeaux de l’État et les cadeaux des patrons sont des cadeaux empoisonnés, des fruits véreux qui portent en eux les graines de l’esclavage. Ils se doivent d’être refusés.

II

Si accordées et acceptées comme des concessions avantageuses par l’État et le patronat, toutes les réformes qui laissent la division du peuple en propriétaire et prolétaire et donc par conséquent, maintient une forme de “droit” de quelques uns à vivre du travail des autres sans altération, ne peut que ramollir le rébellion des masses contre leurs oppresseurs et mener à un état d’esclavagisme dans lequel l’humanité serait irréversiblement divisée en une classe dominante et une classe dominée esclave. Une fois que ceci est compris et reconnu, il n’y a pas d’autre solution que la révolution ; une révolution radicale, en profondeur, depuis la racine, qui démolisse entièrement la machine d’état, exproprie ceux qui s’accrochent et profitent de la richesse de la société et place tout le monde sur un même pied d’égalité politique et économique.

Cette révolution sera violente par nécessité, bien que la violence en elle-même soit insultante. Elle devra être violente parce que ce serait un non sens que de s’attendre à ce que les privilégiés s’éveillent au malheur et aux injustices qui naissent de leurs privilèges et leur faire comprendre qu’ils doivent les abandonner volontairement. Elle doit être violente parce que la violence révolutionnaire transitoire est la seule façon de mettre un terme à cette plus grande et durable violence qui maintient la très vaste majorité des gens sous un contrôle oppresseur et esclavagiste.

Nous accueillons les réformes à bras ouverts si elles sont possibles réalistiquement. Elles doivent avoir un rôle rassembleur et développer chez les masses plus d’ambition et de demandes, pourvu que les prolétaires gardent toujours à l’esprit que les patrons et les gouvernements sont leurs ennemis et que quelque soit ce qu’on arrive à leur faire concéder par la force ou la peur de la force nous serait arraché si nous relâchions notre attitude. Si par contre, les réformes sont sécurisées au moyen de la négociation et d’accords de collaboration entre les dominants et les dominés, alors ces réformes ne feront que renforcer les chaînes liant les travailleurs à la charrette de parasites.

De plus, ces temps-ci, le danger des réformes induisant les masses à dormir et à consolider avec succès et maintenir l’ordre bourgeois, semble être passé. Seul la tricherie délibérée par ceux qui ont réussi à gagner la confiance des travailleurs par leur propagande socialiste peuvent y attacher quelque valeur que ce soit.

L’aveuglement de la classe dirigeante et l’évolution naturelle du système capitaliste, accéléré par la guerre, a mené à ceci et que quelque réforme que ce soit qui serait acceptable pour les propriétaires capitalistes n’a aucun pouvoir de résolution de la crise qui mine le pays et son travail.

Ainsi la révolution s’impose d’elle-même, la révolution arrive.

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Mais comment cette révolution doit-elle être faite ? Quel développement doit-elle prendre ?

Il est bien entendu nécessaire de commencer par cet acte insurrectionnel qui balaiera tout obstacle matériel, les forces armées des gouvernements qui s’opposent toujours à chaque changement social. Pour cette insurrection, alors que nous vivons ici sous une monarchie [NdT : Italie, 1921], l’union de toutes les forces anti-monarchiques est souhaitable et même essentiel. Il est important de se préparer mentalement, moralement et matériellement de la meilleure façon possible et il est très important de bénéficier de tous les mouvements spontanés et d’œuvrer pour les rendre général et de les transformer en mouvement décisif afin que, tandis que les parties en cause se préparent, les forces populaires ne soient pas épuisées par des éruptions isolées.

Mais après la victoire de l’insurrection, après la chute du gouvernement, que faire ?

Nous, les anarchistes, souhaitons que les travailleurs de chaque localité ou plus à propos, les travailleurs qui ont une vision la plus claire de leur position et l’esprit d’initiative le plus affiné, prennent possession de tous les moyens de productions, de la richesse, de la terre, des matières premières, de la machinerie, des logements, de la nourriture et des stocks et dessinent ensemble le nouveau modèle social. Nous souhaitons que les paysans qui maintenant triment pour des propriétaires terriens ne reconnaissent plus l’autorité de ceux-ci et continuent, intensifient leur travail pour leur compte et celui de la communauté en entrant aussi en contact direct avec les transporteurs en échange de produits. Les ouvriers des industries ainsi que les ingénieurs doivent prendre possession des usines et faire de même que les paysans, continuer et intensifier le travail pour la communauté, transformant le paysage industriel de a fabrication de choses inutiles en choses dont tout le monde a besoin. Que les cheminots continuent de travailler aux chemins de fer, mais pour la communauté, cette communauté de travailleurs volontaires, localement élus et contrôlés par les masses, doivent saisir tous les logements disponibles et donner un toit à tout le monde. Que d’autres comités d’organisation, toujours sous contrôle des masses, organisent la distribution de la nourriture et des articles, produits, ustensiles nécessaires à la vie quotidienne de chacun. Que tous les bourgeois capitalistes rentiers et autres soient placés dans la société pour y être immergés et intégrés, au sein de cette ancienne masse prolétarienne et qu’ils travaillent en son sein afin de pouvoir vivre selon leurs besoins et qu’ils jouissent des mêmes bénéfices sociaux que tout le monde.

Tout ceci doit se faire rapidement, le même jour que la victoire insurrectionnelle ou le lendemain, sans attendre d’ordres de “comités centraux” ou autres autorités néfastes.

C’est ce que veulent les anarchistes et ceci se produirait de fait naturellement si la révolution était une véritable révolution sociale et ne se limitait pas à de simples changements cosmétiques de politique, qui, après quelques convulsions, nous ramèneraient exactement au point de départ.

Soit la classe bourgeoise est rapidement dépossédée de son pouvoir économique et politique ou elle reprendra bientôt le pouvoir que l’insurrection lui a ôté. Pour arracher le pouvoir économique de la bourgeoisie, il est vital et nécessaire d’organiser immédiatement un nouvel ordre économique fondé sur la justice et l’égalité. Les servies économiques, du moins les plus importants n’admettent aucune interruption et doivent être satisfaits rapidement. Les soi-disants “comités centraux” soit ne font rien ou commencent à agir lorsque leur travail n’est plus utile.

En opposition aux anarchistes, bien des révolutionnistes n’ont aucune confiance dans le pouvoir constructeur des masses, ils pensent être en possession de recettes infaillibles pour un bonheur universel ; is ont peur d’une possible réaction ; ils ont souvent plus peur de la concurrence des autres partis et des autres “écoles” des réformistes sociaux et ils veulent donc posséder eux-mêmes tout le pouvoir et remplacer le gouvernement “démocratique” d’aujourd’hui par un gouvernement dictatorial.

Ils veulent dire dictature, mais qui seraient les dictateurs ? Bien entendu ils pensent aux chefs de leur parti. Ils utilisent toujours le terme de “dictature du prolétariat”, soit par habitude ou par un désir conscient d’échapper aux explications, mais ceci est aujourd’hui une farce exposée au grand jour.

Voici l’explication de Lénine ou de quiconque l’écrivit pour lui :

“La dictature veut dire le renversement de la bourgeoisie au moyen d’une avant-garde révolutionnaire (qui est plus révolution que dictature), ce par contraste avec la notion qu’on devrait d’abord sécuriser une majorité par le vote électoral. Au moyen de la dictature, la majorité est obtenue, pas la dictature au moyen de la majorité.”

(Bien, mais si nous avons une minorité qui doit gagner une majorité après avoir saisi le pouvoir, parler de la dictature du prolétariat est un mensonge, le prolétariat étant de facto la majorité.)

La dictature veut dire l’utilisation de la violence et de la terreur.” (par qui et contre qui ?) Car si on suppose que la majorité est hostile et, en accord avec la logique de la dictature, cela ne peut pas être la masse mettant les mains sur les biens et moyens de production, la violence et le terreur doivent donc être celles déployées contre ceux qui ne plient pas aux volontés des dictateurs, exercées par des sbires à leur service.

La liberté de la presse et d’association reviendrait à autoriser la bourgeoisie à empoisonner l’opinion publique.” (donc après l’installation de la dictature du prolétariat, qui est supposée être constituée de la totalité des travailleurs, il y aura toujours une bourgeoisie qui, au lieu de travailler avec ses pairs, aura les moyens donc “d’empoisonner l’opinion publique” et une opinion publique ouverte à l’empoisonnement et séparée des prolétaires, qui mettrait en place la dictature ? Il y aurait des censeurs très puissants qui détermineraient ce qui peut être publié et ce qui ne le peut pas et des préfets auxquels il faudrait demander l’autorisation de publication et de tenir une réunion. Inutile de parler donc de la liberté qui serait accordée à ceux qui ne seraient pas de loyaux sujets des dirigeants du jour…

Seulement après l’expropriation des propriétaires, seulement dans le sillage de la victoire, le prolétariat gagnera t’il les masses de la population, qui jusqu’ici suivait la bourgeoisie.” Une fois de plus nous devons demander : qu’est-ce que c’est que ce prolétariat si ce n’est pas la masse de ceux qui travaillent ? Est-ce que le prolétariat veut donc dire ceux qui appartiennent à un certain parti, plutôt que ceux qui ne sont pas propriétaires ? Laissons donc ce faux terme de “dictature du prolétariat”, qui mène à tant de malentendus et parlons de dictature pour ce qu’elle est, c’est à dire la domination absolue d’un ou de plusieurs individus qui, avec le soutien d’un parti politique ou d’une armée ou des deux, deviennent le ou les maîtres du corps social et imposent leur volonté “avec violence et terreur”.

Leur volonté peut dépendre de la qualité de ceux qui détiennent le pouvoir. Dans notre cas, ce serait a volonté des communistes, c’est à dire une volonté inspirée par le bien commun.

Ceci est déjà bien douteux, parce que la règle veut que ceux qui sont les plus qualifiés pour saisir les rênes du pouvoir ne sont pas les plus sincères et les plus dévoués des amis de la case publique et lorsque la soumission à un gouvernement est prêchée aux masses, ceci ne peut que paver le chemin d’intrigants et d’ambitieux.

Mais supposons que les nouveaux dirigeants, les dictateurs qui mettraient en pratique les buts de la révolution, soient de véritables communistes, zélés, convaincus que le bonheur de l’humanité dépend de leur ardeur au travail et de leur énergie. Ils pourraient bien être des hommes du style de Torquemada ou Robespierre, qui, pour un bon objectif, au nom de la sauvegarde privée ou publique, étranglerait toute voix discordante, détruiraient tout souffle de vie libre et spontanée et seraient pourtant impuissants à résoudre les problèmes pratiques qu’ils retirent d’une gestion compétente des parties impliquées elles-mêmes, ils devront volontairement ou non, céder à ceux qui restaureront le passé.

Les justifications principales de la dictature sont les soi-disantes incapacité des masses et nécessité de défendre la révolution contre les tentatives réactionnaires.

Si les masses étaient vraiment un troupeau de moutons imbéciles incapables de vivre sans la direction d’un berger, si une minorité suffisante et consciente capable de transporter les masses par la persuasion et l’exemple n’existait déjà pas, alors nous serions capables de comprendre le point de vue des réformistes qui ont peur d’une montée populaire et pense qu’ils pourront, petit à petit, petites réformes après petites améliorations, minimiser l’état bourgeois et préparer le chemin du socialisme ; nous serions capables de comprendre les éducationnistes qui, sous-estimant l’influence de l’environnement, espèrent changer la société en changeant au préalable les individus ; mais nous ne pouvons pas comprendre les partisans de la dictature qui veulent éduquer et soulever les masses “par la violence et la terreur” devant ainsi utiliser des gendarmes et des censeurs comme facteurs principaux d’éducation.

En réalité, personne ne pourrait être en position d’établir une dictature révolutionnaire si le peuple n’avait pas au préalable fait la révolution, montrant par là même qu’il est capable de la faire et dans ce cas, la dictature ne pourrait que marcher sur la gorge de la révolution, la faire changer de chemin, l’étrangler et la tuer. 

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NdT : cf la révolution russe et l’écrasement par le parti “communiste” bolchévique lénino-trotskiste de la véritable révolution sociale des soviets, c’est à dire des assemblées du peuple et des travailleurs, soviets dont le premier fut mis en place dès 1905 à St Petersbourg en grande partie par les anarchistes. L’année ou Malatesta écrit ce texte, 1921, le fascisme rouge du capitalisme d’état à la solde de la City de Londres et de Wall Street, emmené par Lénine et Trotski, réprimera dans le sang la rébellion et révolution sociale de Cronstadt. Il en ira de même dans la guerre acharnée des bolchéviques contre les anarchistes paysans ukrainiens de Makhno entre 1918 et 1923…

Dans une révolution politique ne proposant que de renverser le gouvernement tout en laissant intacte l’organisation sociale existante, ceci laisse la porte ouverte pour une dictature à saisir le pouvoir, de placer ses hommes aux postes des fonctionnaires destitués et organiser un nouveau régime depuis le haut de la même structure.

Mais dans une révolution sociale où toutes les fondations de la vie sociale existante sont jetées, où la production doit être très rapidement réétablie pour le bénéfice direct des travailleurs, où la distribution des biens et denrées doit être immédiatement régulée en accord avec la justice sociale, une dictature ne peut rien faire. Ou bien les gens suffiront à leurs besoins par et pour eux-mêmes dans les communautés variées de la société ou la révolution sera un échec.

NdT : comme le fut au final la révolution russe de 1917… Disons aussi ici qu’en 1920, les conseils ouvriers italiens du nord de l’Italie avaient expropriés les bourgeois des usines et menés les prémices d’une révolution sociale qui commença à s’étendre au reste de l’Italie. Le mouvement fut trahit… par le parti communiste italien, qui fit des promesses qu’il savait ne pouvoir jamais tenir pour remettre les ouvriers au travail dans les conditions préalables. Une fois de plus, les « communistes » autoritaires d’état ont trahi la révolution, comme ils le feront encore en 1936 en Espagne.  La bourgeoisie fit tellement dans son froc qu’elle finira par mettre Mussolini au pouvoir en Italie pour la protéger, confirmant ainsi le dernier paragraphe du présent texte de Malatesta.

Peut-être qu’au fond (et certains le disent maintenant ouvertement) les supporters de la dictature ne veulent rien d’autre qu’une révolution politique à court terme, en d’autres termes, ils voudraient prendre le pouvoir et c’est tout ; puis progressivement changer la société au moyen de lois et de décrets. Dans ce cas, ils seraient probablement surpris de voir les autres se complaire dans le pouvoir plutôt qu’eux-mêmes et, en tous les cas, ils devraient par dessus tout, penser à lever une force armée (police), requise s’ils veulent imposer leurs propres lois. Dans le même temps, la bourgeoisie continuerait à détenir la richesse et une fois passée le point critique de la colère du peuple, préparerait sa riposte, infiltrerait la police de ses agents, exploiterait la gêne et la désillusion de ceux qui avaient espérer voir un paradis terrestre se mettre en place vaincre contre les dictateurs ou les remplacer par des hommes à elle.

Cette peur de la réaction, utilisée pour justifier le système dictatorial, surgit du fait de la prétention de faire une révolution alors qu’une classe de privilégiés, capable de récupérer le pouvoir, est permise de continuer d’exister.

Si au contraire, le commencement est fait de l’expropriation totale, alors une classe bourgeoise ne peut plus exister (NdT : pourvu que soit aussi abolis la marchandise, l’argent et le salariat dans le même temps…) et les forces vives du prolétariat, toutes les capacités existantes, seront pleinement employées à la reconstruction sociale.

Après tout, dans un pays comme l’Italie (appliquer ces remarques au pays dans lequel nous travaillons) dans lequel les masses sont bien pénétrées de l’instinct rebelle et libertaire, où les anarchistes représentent une force considérable par l’influence qu’ils peuvent exercer séparés de leurs organisations, une tentative de dictature ne pourrait se faire sans provoquer une guerre civile entre travailleurs et travailleurs et ne pourrait avoir de succès à moins que ce ne soit par des moyens tyranniques les plus féroces.

En ce cas, adieu au communisme !

Il n’y a qu’un seul chemin de salut : LIBERTÉ !

= = =

Un texte moderne pour expliquer ce que Malatesta veut dire: « Autonomie des institutions » de Pierre Bance (2022)

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

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Résistance politique : Errico Malatesta, retour sur une vie

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, pédagogie libération, philosophie, politique et lobbyisme, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, syndicalisme et anarchisme, terrorisme d'état, Union Europeenne et nouvel ordre mondial with tags , , , , , , , , , on 23 septembre 2021 by Résistance 71

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Errico Malatesta, retour sur une vie

Le Monde Libertaire

20 septembre 2021

Source:
https://monde-libertaire.fr/?article=Des_idees_et_des_luttes_Errico_MALATESTA

« La légende est plus vraie que l’histoire, plus intéressante. » Cette citation d’Errico Malatesta au sujet de la Commune de Paris de 1871 pourrait parfaitement s’appliquer à sa vie. On la connaît par les rapports de police essentiellement consacrés à noircir le personnage pour mieux l’enfermer, mais quid de sa vie intérieure, ses sentiments, son introspection. Très difficile exercice car il parlait assez peu de lui-même, tout consacré à une cause, l’anarchie à laquelle il consacrera un livre éponyme. Certes, il existe des articles, des discours, des propos enflammés d’amis, de compagnons qui magnifient le militant charismatique, lui qui voulait rester discret, au service des autres. Vittorio Giacopino publie chez Lux, un livre « roman historique » pour faire vivre la légende. Rien n’est faux, mais il fait parler Malatesta au plus près de ses lettres à ses amis, de ses réflexions. Enfermé vivant dans un petit appartement rue Andrea-Doria à Rome, surveillé, perquisitionné, harcelé par les nervis fascistes de Mussolini, il se remémore sa vie d’aventures, son départ en Amérique du Sud, ses voyages à Londres, un internationaliste qui rencontre Bakounine à Saint-Imier, se lie avec Pierre Kropotkine. 

La Révolution universelle

La Commune de Paris de 1871 sera sa prise de conscience de la nécessité de se battre pour un monde meilleur, il y pense encore en 1931, un an avant sa mort et croit toujours dans la Révolution universelle. « Nous ne reconnaissons d’autre patrie que la révolution universelle, d’autre ennemi que la tyrannie sous quelque forme qu’elle se présente. »

Ses premières actions relèvent du coup de poing, des initiatives à la hâte, des échecs, des procès, de la prison, mais toujours « je ne peux que nourrir du mépris pour ceux qui non seulement ne veulent rien faire, mais se complaisent à blâmer et maudire ceux qui agissent. » Alors, il agit toujours à l’affût d’une action, d’un espoir à relayer. « La foi, ce n’est pas une croyance aveugle : c’est le résultat d’une volonté ferme alliée à une forte espérance. »

Les souvenirs remontent à la surface, des regrets jamais, de la nostalgie parfois comme son séjour à Paris et le retour des communards en 1880, son exclusion de l’Internationale et le mépris de Marx à l’encontre des « anarchistes qui ne représentent pas les vrais travailleurs, mais des gens déclassés avec certains travailleurs abusés, comme troupe. »

Ses propos sont d’une actualité étonnante, bien qu’écrits au début du XXème siècle. « Tout le système social en vigueur est fondé sur la force brutale mise au service d’une petite minorité qui exploite et opprime la grande masse. » Il y oppose Le programme anarchiste qui se conclut ainsi « Nous voulons donc abolir radicalement la domination et l’exploitation de l’homme par l’homme. Nous voulons que les hommes, unis fraternellement par une solidarité consciente, coopèrent volontairement au bien-être de tous. […] Nous voulons pour tous le pain, la liberté, l’amour et la science. »

Une solidarité consciente

Ses regrets ? Oui sans doute le ralliement de Kropotkine et de quelques anarchistes à la guerre en 1914. Et puis aussi la révolution soviétique, même si au début il croit dans cette lumière qui se lève à l’Est, mais il écrit aussi en 1919 qu’en réalité « il s’agit de la dictature d’un parti, ou plutôt des chefs d’un parti […] qui préparent les cadres gouvernementaux qui serviront à ceux qui viendront après pour profiter de la révolution et la tuer. » Dans Pensiero et Volontà, il dénonce Lénine en ces termes, « lui, avec les meilleures intentions, fut un tyran, l’étrangleur de la Révolution russe, et nous qui ne pûmes l’aimer vivant, nous ne pouvons le pleurer mort. » Rappelons que Cronstadt, Mahkno et l’Ukraine, l’élimination des anarchistes sont passés par là. 

« Faire les anarchistes »

En 1920, se développe dans le Nord de l’Italie, une mobilisation ouvrière sans pareil, Malatesta en fait partie évidemment. Il faut occuper les usines et paralyser le système bourgeois. Cependant, les socialistes modérés, les syndicats limitent l’ampleur de la mobilisation et le reflux ne tarde pas à se faire sentir. Il en résultera des attentats du désespoir. 

Poursuivi par les fascistes, il se réfugie à Rome où la situation sera encore pire qu’à Milan. Isolé, il sent ses forces le quitter, entouré par les séides de Mussolini. Alors que faire, Errico Malatesta ? « Faire les anarchistes ; nous unir, nous organiser, approfondir les problèmes d’aujourd’hui et de demain. […] Ce qui importe le plus, c’est que le peuple, les hommes, perdent l’instinct et les habitudes grégaires que l’esclavage millénaire leur a insufflés, et apprennent à penser et à agir librement. Et c’est à cette grande œuvre de libération que les anarchistes doivent se consacrer. »

Francis Pian

Errico Malatesta, Vittorio Giacopino. Ed. LUX, 2018

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Errico Malatesta sur Résistance 71

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

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Errico Malatesta : Capitalisme et irréconciliable contradiction…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, économie, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et lobbyisme, politique et social, politique française, résistance politique, sciences et technologies, syndicalisme et anarchisme, terrorisme d'état, Union Europeenne et nouvel ordre mondial with tags , , , , , , , , , on 6 avril 2021 by Résistance 71

Nous avons traduit et publié bon nombre de texte d’Errico Malatesta depuis quelques années sur Résistance 71. Ce texte ci-dessous est remarquable dans sa justesse d’analyse et son actualité… 121 ans plus tard. Serait-ce un signe une fois de plus que rien n’a vraiment changé depuis ?…

Malatesta (1853-1932) rejoignit la 1ère Internationale en 1871 à l’âge de 18 ans. En 1872, il rencontra Bakounine et rejoignit l’Internationale Anarchiste du congrès de St Imier. Malatesta fut longtemps un adepte de la “propagande par le fait”, c’est à dire un avocat de l’insurrection armée, mais il changea d’avis avec le temps. Il fut un des leaders anarchistes qui refusa d’accepter la 1ère guerre mondiale, argumentant que tout cela n’était qu’un accord des riches pour faire s’entretuer les pauvres au nom de leur profit et de leur richesse. Mécanicien et électricien de formation, il milita et aida à l’organisation de la lutte ouvrière dans l’optique de l’établissement de la société anarchiste dans bon nombre de pays, en Italie, son pays d’où il dût s’exiler pendant 35 ans, en Belgique, en France, en Suisse, aux Etats-Unis et en Argentine. Il passa 12 années de sa vie en prison et fut condamné 3 fois à mort.

Errico Malatesta est une des grandes figures historiques de l’anarchisme, grand organisateur et fédérateur de volonté. Il maniait le verbe et l’action avec la même efficacité. Ce n’est pas un hasard si nous le sortons du “placard” à intervalles réguliers. Quand on parle de complémentarité osmotique, il est intéressant de lire et de puiser dans les écrits et la pensée de Proudhon, Kropotkine, Bakounine, Landauer et Malatesta, le meilleur de chacun d’entre eux se cristallisera dans la société des sociétés que nous sommes déjà en train de construire, pour beaucoup sans même le savoir…

~ Résistance 71 ~

L’irréconciliable contradiction

Errico Malatesta

Mars 1900

Traduit de l’anglais par Résistance 71

Avril 2021

Ils écrivent depuis Bari en Italie :

Notre ville subit une bien triste crise. La fabrique de tonneaux, qui fut autrefois une industrie flamboyante, est de plus en plus sur le déclin. La cause de ce déclin réside dans l’introduction de nouveaux tarifs pour le transport ferrovier, qui permet le retour de tonneaux vides à un très bas prix, ce qui occasionne un déclin dans la consommation de tonneaux. Il y a quelques temps, les maîtres d’œuvre de la fabrication des tonneaux demandèrent que les prix de transport des tonneaux vides soient augmentés. Dimanche dernier, devant la préfecture, ils ont rencontré les autorités pour leur demander de les aider. Un comité de 12 membres de la corporations des tonneliers, accompagnés d’un inspecteur de la sécurité publique, fut reçu par le préfet, qui a promis de résoudre cette affaire.

Comment diable le préfet va t’il résoudre cela ?

En donnant l’ordre aux compagnies ferrovières d’augmenter encore le prix de transport des tonneaux vides ? Comment cela se peut-il, si les capitalistes sont ceux qui possèdent les chemins de fer, ceux qui commandent aux préfets et qui sont les maîtres de ceux-ci !

Et puis, augmenter le prix du retour des tonneaux vides fera immanquablement augmenter le prix du vin.

Si les consommateurs de vin en venaient à se retourner contre le préfet, leur promettrait-il ces choses aussi ?

Ce pauvre préfet doit se sentir dans la position de dieu tout puissant à qui une personne demande de la pluie et une autre le beau temps. Et il n’est même pas omnipotent !…

Mais nous nous préoccupons en vain de la position des préfets, qui savent parfaitement bien comment se sortir de tels meli-melos… en faisant des promesses à tout le monde et n’en tenant aucune !

Ce sont ces pauvres travailleurs qui méritent bien plus notre considération car, ignorants de la cause initiale de leurs problèmes, se laissent berner et moquer d’eux au point qu’ils se laissent escorter à la préfecture par un inspecteur de la sécurité publique et espèrent que les autorités vont s’occuper de leur fardeau.

Ce cas des tonneliers de Bari est un cas typique, qui montre on ne peut plus clairement la totale absurdité de la société capitaliste.

Dans ces cas similaires, il ne peut pas y avoir d’autre cure que l’abolition du capitalisme et la transformation radicale du système de production. Et chaque corps de métier, chaque forme d’activité humaine doit, tôt ou tard, se retrouver dans le même dilemme, ce qui est déjà abondamment étendu dû au fait de la surabondance de travail.

Les associations ne sont d’aucun secours, ni ne le sont les grèves, ni les coopératives ni toute autre forme de résistance dans le système.

A chaque fois qu’on n’a pas besoin du travail d’un ouvrier, celui-ci ne peut pas imposer quelque sorte d’accord que ce soit : il doit mourir de faim, plus ou moins lentement, plus ou moins convulsivement, mais il doit mourir de faim… à moins qu’il puisse se libérer du système en cours.

De plus, le progrès a la tendance à rendre le travail de plus en plus de personnes inutile.

Ceci est l’ultime et irréconciliable contradiction entre le capitalisme et le progrès. Tous deux empêchent un véritable progrès, glorifiant les castes actuelles, abolissant la concurrence entre les capitalistes, interdisant tout développement de production, toute nouvelle machine, toute application scientifique nouvelle et réduisant les ouvriers au statut d’animaux domestiques auxquels leurs maîtres donnent une pitance rationnée, en bref, un régime tel que celui mis en place par les jésuites au Paraguay. Pour en sortir, nous devons détruire le capitalisme et organiser la production non pas pour le profit du petit nombre, mais pour le plus grand bien-être de tous.

La requête des tonneliers de Bari pour augmenter le tarif de transport des tonneaux vides afin que les marchands de vin trouvent plus faciles de les brûler après usage plutôt que de les renvoyer, est la même chose que de demander aux tonneliers de n’envoyer que 10 tonneaux sur 100 qu’ils fabriquent sur le marché et de détruire les 90 autres avant qu’ils ne soient utilisés.

Est-il possible de faire cela ? Bien sûr que non, et pourtant la structure actuelle de la société est si absurde que cela rendrait bénéfique une telle mesure.

Quand des gens meurent de faim parce qu’il y a trop de choses ou parce que c’est trop facile de le produire ou parce que c’est trop durable, la destruction peut apparaître et bizarrement être plus utile que la production. Un grand incendie ou un tremblement de terre peuvent être une aubaine, amenant du travail et du pain aux sans emplois. [NdT: à noter que toutes les grandes crises modernes se sont “résolues” au sein du système par de non moins grandes guerres, détruisant beaucoup et tuant des millions de gens. Guerre et reconstruction sont faites par les mêmes entités qui profitent de tout et les banques qui les financent plus encore, le contrôle est mis d’amont en aval de toute crise, le plus souvent planifiée, rien ou si peu n’arrive par hasard…]

Mais la destruction de richesse n’est pas la manière dont les travailleurs pourront s’émanciper. Et par bonheur, le temps est passé, du moins dans les pays les plus avancés, durant lequel les ouvriers pensaient pouvoir arrêter le progrès et mettre autant d’énergie à briser les machines que cela aurait demander pour les contrôler.

Nous ne devons pas nous battre contre le progrès, mais au contraire le diriger pour qu’il profite vraiment à tout le monde.

Pour que cela se produise, il faut que les travailleurs prennent possession du capital, de toute la richesse sociale de façon à ce que ce soit dans leur intérêt de voir une abondance de produits et une production demandant le moins d’effort possible.

Voilà pourquoi il est nécessaire de faire une révolution [sociale]

L’organisation du travail, les syndicats, les grèves et toute sorte de résistance peuvent à un certain point de l’évolution capitaliste améliorer les conditions de travail et de vie des travailleurs ou empêcher que ces conditions ne se détériorent ; elles peuvent bien servir à entraîner les travailleurs à la lutte ; ils sont toujours en de bonnes mains, un bon moyen de promotion des idées ; mais ils sont sans espoir et impuissants à résoudre la question sociale. Tout cela doit donc être utilisé de façon à aider à préparer les esprits et le muscle pour la révolution, pour l’expropriation.

Quiconque ne voit pas et ne comprend pas cela en est réduit à aller mendier devant les préfets… et d’en être la risée.

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Lecture complémentaire : Nous conseillons tout particulièrement cette compilation d’écrits de Malatesta qui sont d’une justesse et d’une actualité (hélas !) sans bornes…

Errico Malatesta, écrits choisis

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie


1ère action directe : dire NON !

Analyse et vision politique de changement radical de société… Pas à pas vers l’anarchie (Errico Malatesta)

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« Anarchisme: Le nom donné à un principe de théorie et de conduite de la vie sous lequel la société est conçue sans gouvernement, l’harmonie dans une telle société étant obtenue non pas par la soumission à la loi ou par l’obéissance à l’autorité, mais par les consentements libres conclus entre des groupes territoriaux et professionnels variés, librement constitués pour les fonctions simples de production et de consommation et également pour la satisfaction d’une variété infinie de besoins et d’aspirations d’être civilisé. Dans une société développée selon ces lignes de conduite, les associations volontaires qui commencent déjà à couvrir tous les secteurs de l’activité humaine, prendraient une plus grande extension pour finir par se substituer elles-mêmes pour l’état et de ses fonctions. »

Pierre Kropotkine (début de la définition de l’anarchisme qu’il écrivit pour la 11ème édition de L’Encyclopedia Britannica, 1910) –

En 1899, Malatesta était toujours un défenseur de la “propagande par le fait”, c’est à dire de la violence ciblée pour faire avancer l’Idée. 20 ans plus tard, il avait sérieusement mis de l’eau dans son vin, comprenant que cela était sans doute plus au détriment de la cause de la révolution sociale qu’en sa faveur. Nous ne sommes pas en faveur de la violence, mais demeurons convaincu de la nécessité de la légitime défense. Nous devons considérer le fait que les peuples du monde sont sous le joug d’institutions de mauvais gouvernements, d’un mauvais système qui ne perdurent que par l’exercice d’un monopole de la violence pseudo-légitime pour préserver ce qu’ils appellent la “paix civile/sociale”, qui n’est en fait que le statu quo de la domination et de l’exploitation oligarchique d’une vaste classe opprimée par une classe minoritaire privilégiée, détenant tous les leviers du système répressif politico-économique, exerçant de fait une violence sociale quotidienne sur ceux et celles qu’elle opprime, violence sociale se transformant de plus en plus souvent en violence physique envers ceux qui osent affirmer publiquement leur mécontentement.

Ainsi, les peuples sont en état de légitime défense permanente et sont en droit de lutter pour redresser tous les torts qui leur sont occasionnés et à lutter pour changer de paradigme politique, de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour abolir le système oppresseur coercitif en place et le remplacer par une société de paix et de justice sociale pour toutes et tous, égalitairement, sans recours à l’État, ses institutions obsolètes et criminelles, la propriété privée des moyens de production et de distribution, l’argent et le salariat, substitut moderne de l’esclavagisme qui n’a aucun lieu d’être.

Dans ce texte ci-dessous que nous pensons inédit en français, Malatesta, dans son style unique direct et sans détour qui fait son charme incontestable, nous livre sa pensée sur le chemin à prendre pour une société plus juste et meilleure aux antipodes du marasme socio-politique dont nous vivons en ce premier quart du XXIème siècle, sans doute les premiers soubresauts de son entrée en phase terminale d’effondrement.

Il ne tient qu’à nous, unis, ensemble, de fonder cette nouvelle société antiautoritaire, non-pyramidale, égalitaire, non-hiérarchique et donc libre, société des sociétés humaine qui aura embrassé la complémentarité dans sa diversité culturelle et par là même, définitivement lâché prise de tous les antagonismes induits, fabriqués depuis des siècles par le système oppresseur et ses timoniers sociopathes pour nous maintenir dans la division, le conflit, la haine, la précarité, la jalousie, la violence et la stupidité.

Pour agrémenter ce texte simple et lumineux de ce grand penseur et activiste que fut Malatesta, nous ajoutons dessous, quelques textes essentiels à (re)lire et diffuser sans aucune modération. Bonne lecture !

~ Résistance 71 ~

 


Malatesta, écrits choisis

 

Vers l’anarchie

 

Errico Malatesta

 

Publié dans “La questione sociale” de décembre 1899

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Mai 2019

On pense généralement que nous, parce que nous nous disons révolutionnaires, nous attendons que l’anarchie arrive d’un seul coup, comme le résultat immédiat d’une insurrection qui attaque violemment tout ce qui existe et le remplace avec de toutes nouvelles institutions. Pour dire la vérité, une telle idée ne manque pas chez certains compagnons qui conçoivent aussi la révolution de la sorte.

Ce préjugé explique pourquoi tant d’opposants honnêtes pensent l’anarchie être impossible et explique aussi pourquoi certains compagnons, écœurés par la condition morale actuelle du peuple et voyant que l’anarchie ne peut pas se réaliser bientôt, navigue entre un dogmatisme extrême qui les aveugle des réalités de la vie et un opportunisme qui leur fait pratiquement oublier qu’ils sont anarchistes et que l’anarchie est ce pour quoi ils doivent lutter.

Bien sûr le triomphe de l’anarchie ne peut pas être la conséquence d’un miracle, il ne peut pas survenir en contradiction avec les lois du développement (un axiome de l’évolution qui dit que rien ne peut se produire sans une causalité suffisante) et que rien ne peut être accompli sans les moyens adéquats.

Si nous voulions substituer un gouvernement pour un autre, qui impose ses désirs aux autres, on n’aurait qu’à combiner les forces matérielles dont on a besoin pour résister aux oppresseurs actuels et nous mettre ensuite à leur place.

Mais nous ne voulons pas cela ; nous voulons l’anarchie qui est une société fondée sur l’accord libre et volontaire, une société dans laquelle personne ne peut forcer ses désirs sur les autres et où chacun peut faire comme bon lui semble et réunir ensemble toute la volonté libre pour le bien-être de la communauté. A cause de cela, l’anarchie ne connaîtra pas un triomphe universel et définitif tant que les Hommes ne voudrons pas seulement ne plus être commandés mais aussi ne voudrons plus commander ; l’anarchie ne viendra pas à moins qu’ils comprennent les avantages de la solidarité et ne saurons pas comment organiser un plan de vie sociale au sein duquel il n’y aura plus aucune trace de violence, de coercition et d’imposition de quoi que ce soit.

Alors que la conscience, la détermination et la capacité des hommes se développent continuellement et trouve des moyens d’expression dans la modification graduelle du nouvel environnement et dans la réalisation des désirs en proportion de leur être formé, ainsi en est-il de l’anarchie. L’anarchie ne peut venir que petit à petit, doucement mais sûrement, croissante en intensité et en extension.

Ainsi le sujet n’est pas peut-on arriver à l’anarchie aujourd’hui, demain ou dans dix siècles, mais que nous marchions vers l’anarchie aujourd’hui, demain et toujours. L’anarchie est l’abolition de l’exploitation et de l’oppression de l’Homme par l’Homme, c’est à dire l’abolition de la propriété privée et du gouvernement ; l’anarchie c’est la destruction de la misère, des superstitions, de la haine. Donc, tout coup porté contre les institutions de la propriété privée et le gouvernement, toute exaltation de la conscience humaine, tout dérangement des conditions présentes, tout mensonge démasqué, toute augmentation de l’esprit de solidarité et d’initiative, sont des pas supplémentaires vers la réalisation de l’anarchie.

Le problème réside dans le comment choisir le chemin qui nous rapproche vraiment de l’idéal et de ne pas rendre confus le véritable processus de réalisation avec des réformes hypocrites. Car avec le prétexte d’obtenir des améliorations immédiates, ces fausses réformes tendent à distraire les masses de la lutte contre l’autorité et le capitalisme ; elles servent à paralyser leurs actions et les font espérer en quelque chose à obtenir par la bonté et la bonne volonté des exploiteurs et des gouvernements. Le problème réside en savoir comment utiliser le peu de pouvoir que nous avons, que nous gagnons sans cesse, de la manière la plus économique et la plus avantageuse pour notre objectif.

Il y a dans chaque pays un gouvernement qui, avec force brutale, impose ses lois sur tout le monde ; il force tout le monde à être sujet de l’exploitation et de maintenir, que les gens aiment ou pas, les institutions existantes. Il interdit aux groupes minoritaires d’actualiser leurs idées et empêche les organisations sociales en général, de se modifier en accord et avec les modifications de l’opinion publique. Le cours normal pacifique de l’évolution est arrêté par la violence et donc avec la violence est-il nécessaire de rouvrir le cours de cette évolution. C’est pour cette raison que nous voulons une révolution violente aujourd’hui et que nous la désirerons toujours, aussi longtemps que l’Homme est soumis à l’imposition de choses qui vont à l’encontre de ses désirs naturels. Retirez la violence gouvernementale et la notre n’aura absolument plus aucune raison d’être.

Nous ne pouvons pas encore renverser les gouvernements établis ; peut-être demain depuis les ruines du gouvernement actuel, nous ne pourrons pas empêcher un autre similaire de venir. Mais ceci ne nous décourage en rien, ni aujourd’hui, ni demain, car résister à quelque forme d’autorité que ce soit, refuser toujours de se soumettre à ses lois dès que possible et constamment utiliser la force contre la force est une nécessité.

Chaque affaiblissement de quelque autorité que ce soit, chaque accession à plus de liberté, seront un progrès vers l’anarchie ; toujours à conquérir, jamais à demander, cela doit toujours servir notre plus grande force dans la lutte, nous renforcer, toujours nous faire considérer l’État comme un ennemi avec lequel il n’y a pas de paix possible, cela doit toujours nous rappeler que la diminution des maux du gouvernement consiste en la diminution de sa capacité de pouvoir et non pas en l’augmentation du nombre de dirigeants ou de les choisir pour diriger. Par gouvernement nous voulons dire toute personne ou groupe de personnes dans l’état, le pays, la communauté ou l’association qui ont le droit de faire les lois et de les imposer à ceux qui n’en veulent pas.

Nous ne pouvons pas encore abolir la propriété privée ; nous ne pouvons pas réguler les moyens de production nécessaires pour pouvoir travailler librement ; peut-être ne serons-nous pas capables de le faire dans le prochain mouvement insurrectionnel  ; mais cela ne nous empêche pas maintenant, ni dans le futur, de continuellement dénoncer et lutter contre le capitalisme. Chaque victoire, même la plus petite, remportée par les travailleurs contre les exploiteurs, chaque diminution de profits, chaque petite parcelle de richesse prise aux propriétaires particuliers et mis à la disposition de tous, sera un progrès, un pas de plus vers l’anarchie. Toujours ceci doit servir à agrandir les demandes des travailleurs et d’intensifier leur lutte ; toujours ceci doit être accepté comme une victoire sur l’ennemi et non pas une concession pour laquelle nous devons être reconnaissants. Nous devons toujours demeurer fermes dans notre résolution de prendre par la force dès que possible, ces moyens que les propriétaires, protégés par les gouvernements, ont volé aux travailleurs.

Le droit de la force ayant disparu, les moyens de production étant placés sous la gestion de tous ceux qui veulent produire, le reste doit être le fruit d’une évolution pacifique.

Ce ne sera pas encore l’anarchie, ou ce le sera pour ceux qui le veulent et seulement pour ces choses qui peuvent être faites sans la coopération des non-anarchistes. Ceci ne veut pas nécessairement dire que l’idéal de l’anarchie ne fera pas ou peu de progrès, car petit à petit, ses idées s’étendront à toujours plus d’hommes et de femmes et plus de choses seront acceptées et faites jusqu’à ce que cela se soit étendu à toute l’humanité et à toutes manifestations de la vie.

Ayant renversé les gouvernements et toutes les institutions dangereuses existantes défendues avec force, après avoir conquis la liberté complète pour tout le monde et avec elle, le droit de jouir des moyens de production sans lesquels la liberté ne serait qu’un mensonge de plus, et durant le temps où nous luttons pour arriver à ce point, nous n’avons aucune intention de détruire ces choses que nous reconstruirons petit à petit.

Par exemple, les services de distribution de nourriture et de biens de consommation dans la société actuelle. Ceci est mal fait, géré de manière chaotique, à grande perte de matériel et d’énergie et seulement en vue d’intérêts capitalistes de profit, mais d’une manière ou d’une autre, nous devons manger. Il serait absurde de vouloir désorganiser le système de production et de distribution de la nourriture à moins que nous ne pouvions lui substituer quelque chose de meilleur et de plus juste.

Il y a un service postal. Nous avons des milliers de critiques à lui adresser, mais en même temps, nous l’utilisons pour envoyer des lettres et nous continuerons à l’utiliser, souffrant de tous ses maux, jusqu’à ce que nous soyons capables de le remplacer.

Il y a des écoles, mais comment sont-elles inefficaces. Cependant nous ne permettrons pas à nos enfants de demeurer ignorants, refusant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Dans le même temps nous attendons et luttons pour un temps où nous serons capables d’organiser un système modèle d’école qui prendra en compte tout le monde.

De cela, nous pouvons voir que pour parvenir à l’anarchie, la force matérielle n’est pas la seule à mettre en œuvre pour faire la révolution ; il est aussi essentiel que les travailleurs, regroupés dans les branches variées de la production, se placent dans une position qui assurera le bon fonctionnement de la vie sociale, sans l’aide ou le besoin des capitalistes ou des gouvernements.

Nous voyons également que les idéaux anarchistes sont bien loin d’être en contradiction, comme l’affirment ces “socialistes scientifiques” (NdT: les marxistes), des lois de l’évolution prouvées valides par la science ; ils sont un concept qui va parfaitement à ces lois ; ils sont le système expérimental amené du terrain de la recherche à celui de la réalisation sociale.

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Lectures complémentaires:

Errico Malatesta, écrits choisis

La Morale Anarchiste de Kropotkine)

Erich_Mühsam la liberté de chacun est la liberté de tous

petit_precis_sur_la_societe_et_letat

Appel au Socialisme Gustav Landauer

Manifeste pour la societe des societes

Daniel_Guerin_L’anarchisme

Un monde sans argent: le communisme

Entraide_Facteur_de_L’evolution_Kropotkine

Dieu et lEtat_Bakounine

L’anarchisme-africain-histoire-dun-mouvement-par-sam-mbah-et-ie-igariwey

Ecrits-choisis-anarchistes-sebastien-faure-mai-2018

Rudolph Rocker_Anarchie de la theorie a la pratique

Un-autre-regard-anarchiste-sur-la-vie-avec-emma-goldman

James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

zenon_pourquoi suis je anarchiste ?

Zenon_Inversion

3ri-et-societe-des-societes-du-chiapas-zapatistes-aux-gilets-jaunes-en-passant-par-le-rojava-fevrier-2019

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Leducation-comme-pratique-de-la-liberte_Paulo_Freire_1965

Paulo_Freire_Extension ou Communication

Avec-ou-sans-gilet-jaune-pour-la-societe-des-societes

L’essentiel-et-l’indispensable-de-Raoul_Vaneigem

Pour-une-Abstention-Politique-Active

 

Errico Malatesta écrits choisis (version pdf à télécharger)

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Résistance 71

4 juillet 2017

 

Ci-dessous le PDF des extraits d’écrits choisis d’Errico Malatesta, excellemment mis en page comme à son habitude par Jo de JBL1960.

Errico_Malatesta_écrits_choisis (version PDF)

Résistance politique contre le marasme ambiant: Anarchie et organisation (Errico Malatesta)

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A lire en complément: 

~ Résistance 71 ~

Anarchie et organisation

Errico Malatesta (1927)

Un opuscule français intitulé: “Plateforme d’organisation de l’Union générale des Anarchistes (Projet)“ me tombe entre les mains par hasard. (On sait qu’aujourd’hui les écrits non fascistes ne circulent pas en Italie.)

C’est un projet d’organisation anarchique, publié sous le nom d’un “ Groupe d’anarchistes russes à l’étranger “ et qui semble plus spécialement adressé aux camarades russes. Mais il traite de questions qui intéressent tous les anarchistes et, de plus, il est évident qu’il recherche l’adhésion des camarades de tous les pays, du fait même d’être écrit en français. De toute façon, il est utile d’examiner, pour les Russes comme pour tous, si le projet mis en avant est en harmonie avec les principes anarchistes et si sa réalisation servirait vraiment la cause de l’anarchisme. Les mobiles des promoteurs sont excellents. Ils déplorent que les anarchistes n’aient pas eu et n’aient pas sur les événements de la politique sociale une influence proportionnée à la valeur théorique et pratique de leur doctrine, non plus qu’à leur nombre, à leur courage, à leur esprit de sacrifice, et ils pensent que la principale raison de cet insuccès relatif est l’absence d’une organisation vaste, sérieuse. Effective.

Jusqu’ici, en principe, je serais d’accord.

L’organisation n’est que la pratique de la coopération et de la solidarité, elle est la condition naturelle, nécessaire de la vie sociale, elle est un fait inéluctable qui s’impose à tous, tant dans la société humaine en général que dans tout groupe de gens ayant un but commun à atteindre.

L’homme ne veut et ne peut vivre isolé, il ne peut même pas devenir véritablement homme et satisfaire ses besoins matériels et moraux autrement qu’en société et avec la coopération de ses semblables. Il est donc fatal que tous ceux qui ne s’organisent pas librement, soit qu’ils ne le puissent pas, soit qu’ils n’en sentent pas la pressante nécessité, aient à subir l’organisation établie par d’autres individus ordinairement constitués en classes ou groupes dirigeants, dans le but d’exploiter à leur propre avantage le travail d’autrui.

Et l’oppression millénaire des masses par un petit nombre de privilégiés a toujours été la conséquence de l’incapacité de la plupart des individus à s’accorder, à s’organiser sur la base de la communauté d’intérêts et de sentiments avec les autres travailleurs pour produire, pour jouir et pour, éventuellement, se défendre des exploiteurs et oppresseurs. L’anarchisme vient remédier à cet état de choses avec son principe fondamental d’organisation libre, créée et maintenue par la libre volonté des associés sans aucune espèce d’autorité, c’est-à-dire sans qu’aucun individu ait le droit d’imposer aux autres sa propre volonté. Il est donc naturel que les anarchistes cherchent à appliquer à leur vie privée et à la vie de leur parti ce même principe sur lequel, d’après eux, devrait être fondé toute la société humaine.

Certaines polémiques laisseraient supposer qu’il y a des anarchistes réfractaires à toute organisation; mais en réalité, les nombreuses, trop nombreuses discussions que nous avons sur ce sujet, même quand elles sont obscurcies par des questions de mots ou envenimées par des questions de personnes, ne concernent au fond, que le mode et non le principe d’organisation. C’est ainsi que des camarades, en paroles les plus opposées à l’organisation, s’organisent comme les autres et souvent mieux que les autres, quand ils veulent sérieusement faire quelque chose. La question, je le répète, est toute dans l’application.

Je devrais donc regarder avec sympathie l’initiative de ces camarades russes, convaincu comme je le suis qu’une organisation plus générale, mieux formée, plus constante que celles qui ont été jusqu’ici réalisées par les anarchistes, même si elle n’arriverait pas à éliminer toutes les erreurs, toutes les insuffisances, peut-être inévitables dans un mouvement qui, comme le nôtre, devance les temps et qui, pour cela, se débat contre l’incompréhension, l’indifférence et souvent l’hostilité du plus grand nombre, serait tout au moins, indubitablement, un important élément de force et de succès, un puissant moyen de faire valoir nos idées.

Je crois surtout nécessaire et urgent que les anarchistes s’organisent pour influer sur la marche que suivent les masses dans leur lutte pour les améliorations et l’émancipation. Aujourd’hui, la plus grande force de transformation sociale est le mouvement ouvrier (mouvement syndical) et de sa direction dépend, en grande partie, le cours que prendront les événements et le but auquel arrivera la prochaine révolution. Par leurs organisations, fondées pour la défense de leurs intérêts, les travailleurs acquièrent la conscience de l’oppression sous laquelle ils ploient et de l’antagonisme qui les sépare de leurs patrons, ils commencent à aspirer à une vie supérieure, ils s’habituent à la lutte collective et à la solidarité et peuvent réussir à conquérir toutes les améliorations compatibles avec le régime capitaliste et étatiste. Ensuite, c’est ou la révolution ou la réaction.

Les anarchistes doivent reconnaître l’utilité et l’importance du mouvement syndical, ils doivent en favoriser le développement et en faire un des leviers de leur action, s’efforçant de faire aboutir la coopération du syndicalisme et des autres force qui comporte la suppression des classes, la liberté totale, l’égalité, la paix et la solidarité entre tous les êtres humains. Mais ce serait une illusion funeste que de croire, comme beaucoup le font, que le mouvement ouvrier aboutira de lui-même, en vertu de sa nature même, à une telle révolution. Bien au contraire: dans tous les mouvements fondés sur des intérêts matériels et immédiats (et l’on ne peut établir sur d’autres fondements un vaste mouvement ouvrier), il faut le ferment, la poussée, l’oeuvre concertée des hommes d’idées qui combattent et se sacrifient en vue d’un idéal à venir. Sans ce levier, tout mouvement tend fatalement à s’adapter aux circonstances, il engendre l’esprit conservateur, la crainte des changements chez ceux qui réussissent à obtenir des conditions meilleures. Souvent de nouvelles classes privilégiées sont crées, qui s’efforcent de faire supporter, de consolider l’état de choses que l’on voudrait abattre.

D’où la pressante nécessité d’organisations proprement anarchistes qui, à l’intérieur comme en dehors des syndicats, luttent pour l’intégrale réalisation de l’anarchisme et cherchent à stériliser tous les germes de corruption et de réaction,

Mais il est évident que pour atteindre leur but, les organisations anarchistes doivent, dans leur constitution et dans leur fonctionnement, être en harmonie avec les principes de l’anarchie. Il faut donc qu’elles ne soient en rien imprégnées d’esprit autoritaire, qu’elles sachent concillier la libre action des individus avec la nécessité et le plaisir de la coopération, qu’elles servent à développer la conscience et la capacité d’initiative de leurs membres et soient un moyen éducatif dans le milieu où elles opèrent et une préparation morale et matérielle à l’avenir désiré.

Le projet en question répond-il à ces exigences? Je crois que non. Je trouve qu’au lieu de faire naître chez les anarchistes un plus grand désir de s’organiser, il semble fait pour confirmer le préjugé de beaucoup de camarades qui pensent que s’organiser c’est se soumettre à des chefs, adhérer à un organisme autoritaire, centralisateur, étouffant toute libre initiative. En effet, dans ces statuts sont précisément exprimées les propositions que quelques-uns, contre l’évidence et malgré nos protestations, s’obstinent à attribuer à tous les anarchistes qualifiés d’organisateurs.

Examinons:

Tout d’abord il me semble que c’est une idée fausse (et en tout cas irréalisable) de réunir tous les anarchistes en une “Union générale”, c’est-à-dire, ainsi que le précise le Projet, en une seule collectivité révolutionnaire active.

Nous, anarchistes, nous pouvons nous dire tous du même parti si, par le mot parti, on entend l’ensemble de tous ceux qui sont d’un même côté, qui ont les mêmes aspirations générales, qui, d’une manière ou d’une autre, luttent pour la même fin contre des adversaires et des ennemis communs. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit possible- et peut-être n’est-il pas désirable- de nous réunir tous en une même association déterminée. Les milieux et les conditions de lutte diffèrent trop, les modes possibles d’action qui se partagent les préférences des uns et des autres sont trop nombreux et trop nombreuses aussi les différences de tempérament et les incompatibilités personnelles pour qu’une Union générale, réalisée sérieusement, ne devienne pas un obstacle aux activités individuelles et peut-être même une cause des plus âpres luttes intestines, plutôt qu’un moyen pour coordonner et totaliser les efforts de tous.

Comment, par exemple, pourrait-on organiser de la même manière et avec le même personnel, une association publique faite pour la propagande et l’agitation au milieu des masses, et une société secrète, contrainte par les conditions politiques où elle opère, à cacher à l’ennemi ses buts, ses moyens, ses agents? Comment la même tactique pourrait-elle être adoptée par les éducationnistes persuadés qu’il suffit de la propagande et de l’exemple de quelques-uns pour transformer graduellement les individus et, par conséquent, la société et les révolutionnaires convaincus de la nécessité d’abattre par la violence un état de choses qui ne se soutient que par la violence, et de créer, contre la violence des oppresseurs, les conditions nécessaires au libre exercice de la propagande et à l’application pratique des conquêtes idéales? Et comment garder unis des gens qui, pour des raisons particulières, ne s’aiment et ne s’estiment pas et, pourtant, peuvent également être de bons et utiles militants de l’anarchisme?

D’autre part, les auteurs du Projet déclarent inepte l’idée de créer une organisation réunissant les représentants des diverses tendances de l’anarchisme. Une telle organisation, disent-ils, “ incorporant des éléments théoriquement et pratiquement hétérogènes, ne serait qu’un assemblage mécanique d’individus qui ont une conception différente de toutes les questions concernant le mouvement anarchiste; elle se désagrégerait infailliblement à peine mise à l’épreuve des faits et de la vie réelle “.

Fort bien. Mais alors, s’ils reconnaissent l’existence des anarchistes des autres tendances, ils devront leur laisser le droit de s’organiser à leur tour et de travailler pour l’anarchie de la façon qu’ils croient la meilleure. Ou bien prétendront-ils mettre hors de l’anarchisme, excommunier tous ceux qui n’acceptent pas leur programme? Ils disent bien vouloir regrouper en une seule organisation tous les éléments sains du mouvement libertaire, et, naturellement, ils auront tendance à juger sains seulement ceux qui pensent comme eux. Mais que feront-ils des éléments malsains?

Certainement il y a, parmi ceux qui se disent anarchistes, comme dans toute collectivité humaine, des éléments de différentes valeurs et, qui pis est, il en est qui font circuler au nom de l’anarchisme des idées qui n’ont avec lui que de bien douteuses affinités. Mais comment éviter cela? La vérité anarchiste ne peut pas et ne doit pas devenir le monopole d’un individu ou d’un comité. Elle ne peut pas dépendre des décisions de majorités réelles ou fictives. Il est seulement nécessaire- et il serait suffisant- que tous aient et exercent le plus ample droit de libre critique et que chacun puisse soutenir ses propres idées et choisir ses propres compagnons. Les faits jugeront en dernière instance et donneront raison à qui a raison.

Abandonnons donc l’idée de réunir tous les anarchistes en une seule organisation, considérons cette “ Union générale “ que nous proposent les Russes comme ce qu’elle serait en réalité: l’union d’un certain nombre d’anarchistes, et voyons si le mode d’organisation proposé est conforme aux principes et aux méthodes anarchistes et s’il peut aider au triomphe de l’anarchisme. Encore une fois, il me semble que non. Je ne mets pas en doute le sincère anarchisme de ces camarades russes; ils veulent réaliser le communisme anarchiste et cherchent la manière d’y arriver le plus vite possible. Mais il ne suffit pas de vouloir une chose, il faut encore employer les moyens opportuns pour l’obtenir, de même que pour aller à un endroit il faut prendre la route qui y conduit, sous peine d’arriver en tout autre lieu. Or, toute l’organisation proposée étant du type autoritaire, non seulement elle ne faciliterait pas le triomphe du communisme anarchiste, mais elle fausserait l’esprit anarchiste et aurait des résultats contraires à ceux que ses organisateurs en attendent.

En effet, une “ Union générale “ consisterait en autant d’organisations partielles qu’il y aurait de secrétariats pour en diriger idéologiquement l’oeuvre politique et technique, et il y aurait un Comité exécutif de l’Union chargé d’exécuter les décisions prises par l’Union, de “ diriger l’idéologie et l’organisation des groupes conformément à l’idéologie et à la ligne de tactique de l’Union “.

Est-ce là de l’anarchisme? C’est à mon avis, un gouvernement et une église. Il y manque, il est vrai, la police et les baïonnettes, comme manquent les fidèles disposés à accepter l’idéologie dictée d’en haut, mais cela signifie simplement que ce gouvernement serait un gouvernement impuissant et impossible et que cette église serait une pépinière de schismes et d’hérésies. L’esprit, la tendance restent autoritaires et l’effet éducatif serait toujours antianarchiste.

Écoutez plutôt: “ L’organe exécutif du mouvement libertaire général- l’Union anarchiste- adopte le principe de la responsabilité collective; toute l’Union sera responsable de l’activité révolutionnaire et politique de chacun de ses membres, et chaque membre sera responsable de l’activité révolutionnaire et politique de l’Union. “

Et après cette négation absolue de toute indépendance individuelle, de toute liberté d’initiative et d’action, les promoteurs, se souvenant d’être anarchistes, se disent fédéralistes et tonnent contre la centralisation dont les résultats inévitables sont, disent-ils, l’asservissement et la mécanisation de la vie sociale et de la vie des partis.

Mais si l’Union est responsable de ce que fait chacun de ses membres, comment laisser à chaque membre en particulier et aux différents groupes la liberté d’appliquer le programme commun de la façon qu’ils jugent la meilleure? Comment peut-on être responsable d’un acte si l’on a pas la faculté de l’empêcher? Donc l’Union, et pour elle le Comité exécutif, devrait surveiller l’action de tous les membres en particulier, et leur prescrire ce qu’ils ont à faire ou à ne pas faire, et comme le désaveu du fait accompli n’atténue pas une responsabilité formellement acceptée d’avance, personne ne pourrait faire quoi que ce soit avant d’en avoir obtenu l’approbation, la permission du Comité. Et, d’autre part, un individu peut-il accepter la responsabilité des actes d’une collectivité avant de savoir ce qu’elle fera, et comment peut-il l’empêcher de faire ce qu’il désapprouve ?

De plus, les auteurs du Projet disent que c’est l’Union qui veut et dispose. Mais quand on dit volonté de l’Union, entend-on volonté de tous ses membres? En ce cas, pour que l’Union puisse agir, il faudrait que tous ses membres, sur toutes les questions, aient toujours exactement la même opinion. Or, il est naturel que tous soient d’accord sur les principes généraux et fondamentaux, sans quoi ils ne seraient pas unis, mais on ne peut supposer que des être pensants soient tous et toujours du même avis sur ce qu’il convient de faire en toutes circonstances et sur le choix des personnes à qui confier la charge d’exécuter et de diriger.

En réalité, ainsi qu’il résulte du texte même du Projet- par volonté de l’Union on ne peut entendre que la volonté de la majorité, volonté exprimée par des Congrès qui nomment et contrôlent le Comité exécutif et qui décident sur toutes les questions importantes. Les Congrès, naturellement, seraient composés de représentants élus à la majorité dans chaque groupe adhérant et ces représentants décideraient de ce qui serait à faire, toujours à la majorité des voix. Donc, dans la meilleure hypothèse, les décisions seraient prises par une majorité de majorité qui pourrait fort bien, en particulier quand les opinions en présence seraient plus de deux, ne plus représenter qu’une minorité.

Il est, en effet, à remarquer que, dans les conditions où vivent et luttent les anarchistes, leurs Congrès sont encore moins représentatifs que ne le sont les Parlements bourgeois, et leur contrôle sur les organes exécutifs, si ceux-ci ont un pouvoir autoritaire, se produit rarement à temps de manière efficace. Aux Congrès anarchistes, en pratique, va qui veut et qui peut, qui a ou trouve l’argent nécessaire et n’est pas empêché par des mesures policières. On y rencontre autant de ceux qui représentent eux-même seulement ou un petit nombre d’amis, que de ceux qui portent réellement les opinions et les désirs d’une nombreuse collectivité. Et sauf les précautions à prendre contre les traîtres et les espions, et aussi à cause même de ces précautions nécessaires, une sérieuse vérification des mandats et de leurs valeur est impossible.

De toute façon, nous sommes en plein système majoritaire, en plein parlementarisme.

On sait que les anarchistes n’admettent pas le gouvernement de la majorité (démocratie), pas plus qu’il n’admettent le gouvernement d’un petit nombre (aristocratie, oligarchie, ou dictature de classe ou de parti), ni celui d’un seul (autocratie, monarchie, ou dictature personnelle).

Les anarchistes ont mille fois fait la critique du gouvernement dit de la majorité qui, dans l’application pratique, conduit toujours à la domination d’une petite minorité. Faudra-t-il la refaire encore une fois à l’usage de nos camarades russes?

Certes les anarchistes reconnaissent que, dans la vie en commun, il est souvent nécessaire que la minorité se conforme à l’avis de la majorité. Quand il y a nécessité ou utilité évidente de faire une chose et que, pour la faire, il faut le concours de tous, le petit nombre doit sentir la nécessité de s’adapter à la volonté du grand nombre. D’ailleurs, en général, pour vivre ensemble en paix sous un régime d’égalité, il est nécessaire que tous soient animés d’un esprit de concorde, de tolérence, de souplesse. Mais cette adaptation d’une partie des associés à l’autre partie doit être réciproque, volontaire, dériver de la conscience de la nécessité et de la volonté de chacun de ne pas paralyser la vie sociale par son obstination. Elle ne doit pas être imposée comme principe et comme règle statutaire. C’est un idéal qui, peut-être, dans la pratique de la vie sociale générale, sera difficile à réaliser de façon absolue, mais il est certain que tout groupement humain est d’autant plus voisin de l’anarchie que l’accord entre la minorité et la majorité est plus libre, plus spontané, et imposé seulement par la nature des choses.

Donc, si les anarchistes nient à la majorité le droit de gouverner dans la société humaine générale, où l’individu est pourtant contraint d’accepter certaines restrictions parce qu’il ne peut s’isoler sans renoncer aux conditions de la vie humaine, s’ils veulent que tout se fasse par libre accord entre tous, comment serait-il possible qu’ils adoptent le gouvernement de la majorité dans leurs associations essentiellement libres et volontaires et qu’ils commencent par déclarer qu’ils se soumettent aux décisions de la majorité avant même de savoir ce qu’elles seront?

Que l’anarchie, l’organisation libre sans domination de la majorité sur la minorité, et vice versa, soit qualifiée, par ceux qui ne sont pas anarchistes, d’utopie irréalisable ou seulement réalisable dans un très lointain avenir, cela se comprend; mais il est inconcevable que ceux qui professent des idées anarchistes et voudraient réaliser l’anarchie, ou tout au moins s’en approcher sérieusement aujourd’hui plutôt que demain, que ceux-là même renient les principes fondamentaux de l’anarchisme dans l’organisation même par laquelle ils se proposent de combattre pour son triomphe.

Une organisation anarchiste doit, selon moi, être établie sur des bases bien différentes de celles que nous proposent ces camarades russes. Pleine autonomie, pleine indépendance et, par conséquence, pleine responsabilité des individus et des groupes; libre accord entre ceux qui croient utile de s’unir pour coopérer à une oeuvre commune, devoir moral de maintenir les engagements pris et de ne rien faire qui soit en contradiction avec le programme accepté. Sur ces bases, s’adaptent les formes pratiques, les instruments aptes à donner une vie réelle à l’organisation: groupes, fédérations de groupes, fédérations de fédérations, réunions, congrès, comités chargés de la correspondance ou d’autres fonctions. Mais tout cela doit être fait librement de manière à ne pas entraver la pensée et l’initiative des individus et seulement pour donner plus de portée à des effets qui seraient impossibles ou à peu près inefficaces s’ils étaient isolés.

De cette manière, les Congrès, dans une organisation anarchiste, tout en souffrant, en tant que corps représentatifs, de toutes les imperfections que j’ai signalées, sont exempts de toute autoritarisme parce qu’ils ne font pas la loi, n’imposent pas aux autres leurs propres délibérations. Ils servent à maintenir et à étendre les rapports personnels entre les camarades les plus actifs, à résumer et provoquer l’étude de programmes sur les voies et moyens d’action, à faire connaître à tous la situation des diverses régions et l’action la plus urgente en chacune d’elles, à formuler les diverses opinions ayant cours parmi les anarchistes et à en faire une sorte de statistique, et leur décision ne sont pas des règles obligatoires, mais des suggestions, des conseils, des propositions à soumettre à tous les intéressés, elles ne deviennent obligatoires et exécutives que pour ceux qui les acceptent. Les organes de correspondance, etc. – n’ont aucun pouvoir de direction, ne prennent d’initiatives que pour le compte de ceux qui sollicitent et approuvent ces initiatives, n’ont aucune autorité pour imposer leurs propres vues qu’ils peuvent assurément soutenir et propager en tant que groupes de camarades, mais qu’ils ne peuvent pas présenter comme opinion officielle de l’organisation. Ils publient les résolutions des Congrès, les opinions et les propositions que groupes et individus leur communiquent; ils sont utiles à qui veut s’en servir pour de plus faciles relations entre les groupes et pour la coopération entre ceux qui sont d’accord sur les diverses initiatives, mais libres à chacun de correspondre directement avec qui bon lui semble ou de se servir d’autres comités nommés par des groupes spéciaux. Dans une organisation anarchiste, chaque membre peut professer toutes les opinions et employer toutes les tactiques qui ne sont pas en contradiction avec les principes acceptés et ne nuisent pas à l’activité des autres. (Note de R71: ceci est prévu dans la “Grande Loi de la Paix” de la confédération iroquoise depuis le XIIème siècle, par exemple…) En tous les cas, une organisation donnée dure aussi longtemps que les raisons d’union sont plus fortes que les raisons de dissolution; dans le cas contraire elle se dissout et laisse place à d’autres groupements plus homogènes. Certes la durée, la permanence d’une organisation est condition de succès dans la longue lutte que nous avons à soutenir et, d’autre part, il est naturel que toute institution aspire, par instinct, à durer indéfiniment. Mais la durée d’une organisation libertaire doit être la conséquence de l’affinité spirituelle de ses membres et des possibilités d’adaptation de sa constitution aux changements des circonstances; quand elle n’est plus capable d’une mission utile, le mieux est qu’elle meure.

Ces camarades russes trouveront peut-être qu’une organisation telle que je la conçois et telle qu’elle a déjà été réalisée, plus ou moins bien, à différentes époques, est de peu d’efficacité. Je comprends. Ces camarades sont obsédés par le succès des bolchevistes dans leur pays; ils voudraient, à l’instar des blochévistes, réunir les anarchistes en une sorte d’armée disciplinée qui, sous la direction idéologique et pratique de quelques chefs, marchât, compacte, à l’assaut des régimes actuels et qui, la victoire matérielle obtenue, dirigeât la constitution de la nouvelle société. Et peut-être est-il vrai qu’avec ce système, en admettant que des anarchistes s’y prêtent et que les chefs soient des hommes de génie, notre force matérielle deviendrait plus grande. Mais pour quels résultats? N’adviendrait-il pas de l’anarchisme ce qui est advenu en Russie du socialisme et du communisme? Ces camarades sont impatients du succès, nous le sommes aussi, mais il ne faut pas, pour vivre et vaincre, renoncer aux raisons de la vie et dénaturer l’éventuelle victoire. Nous voulons combattre et vaincre, mais comme des anarchistes et pour l’anarchie.

Résistance politique contre le marasme ambiant: L’organisation, principe de la vie sociale (Errico Malatesta)

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“L’autogestion généralisée est le plus court chemin vers l’abondance. Le travail y tend vers zéro, la créativité vers l’infini.”
~ Raoul Vaneigem ~

“La démocratie représentative repose sur la fiction du règne de la volonté populaire exprimée par de soi-disants représentants de la volonté du peuple. Ainsi permet-elle de réaliser les deux conditions indispensables à l’économie capitaliste: la centralisation de l’État et la soumission de la souveraineté du peuple à la minorité régnante…

Au bout du compte, les démocratie est une machine à broyer et à concasser les aspirations sociales de telle sorte que face à l’inutilité de nos efforts individuels et collectifs pour améliorer les choses, nous abandonnons notre vie entre ls mains des classes dirigeantes.”
~ René Berthier ~

“L’État est la négation de l’humanité.”
~ Michel Bakounine ~

“Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens attentionnés et impliqués puisse changer le monde ; en fait, c’est la seule chose qui ne l’ait jamais fait…”
~ Margaret Mead ~

Lire notre dossier “illusion démocratique”

« Anarchie et démocratie »

 

 

L’organisation, principe et condition de la vie sociale

 

Errico Malatesta (1897)

 

Il y a des années que l’on discute beaucoup parmi les anarchistes de cette question. Et comme il arrive souvent lorsqu’on discute passionnément à la recherche de la vérité, on se pique ensuite d’avoir raison. Lorsque les discutions théoriques ne sont que des tentatives pour justifier une conduite inspirée par d’autres motifs, il se produit une grande confusion d’idées et de mots.

Rappelons au passage, surtout pour nous en débarrasser, les simples questions de mots, qui ont parfois atteint les sommets du ridicule, comme par exemple : « Nous ne voulons pas l’organisation, mais l’harmonisation », « Nous sommes opposés à l’association, mais nous l’admettons », « Nous ne voulons pas de secrétaire ou de caissier, parce que c’est une signe d’autoritarisme, mais nous chargeons un camarade de s’occuper du courrier et un autre de l’argent » ; et passons à la discussion sérieuse.

Si nous ne pouvons nous mettre d’accord, tâchons au moins de nous comprendre.

Et avant tout distinguons, puisque la question est triple : l’organisation en général comme principe et condition de la vie sociale ; l’organisation du mouvement anarchiste et l’organisation des forces populaires et en particulier celle des masses ouvrières pour résister au gouvernement et au capitalisme.

Le besoin de l’organisation dans la vie sociale – je dirai qu’organisation et société sont presque synonymes – est une chose si évidente que l’on a de la peine à croire qu’elle ait pu être niée.

Pour nous en rendre compte, il faut rappeler quelle est la fonction spécifique, caractéristique du mouvement anarchiste, et comment les hommes et les partis sont sujets à se laisser absorber par la question qui les regarde le plus directement, en oubliant tout ce qui s’y rattache, en donnant plus d’importance à la forme qu’à la substance et enfin en ne voyant les choses que d’un côté en ne distinguant plus la juste notion de la réalité.

Le mouvement anarchiste a débuté comme une réaction contre l’autoritarisme dominant dans la société, de même que tous les partis et les organisations ouvrières, et s’est accentué au fur et à mesure de toutes les révoltes contre les tendances autoritaires et centralistes.

Il était donc naturel que de nombreux anarchistes soient comme hypnotisés par cette lutte contre l’autorité et qu’ils combattent, pour contrecarrer l’influence de l’éducation autoritaire, tant l’autorité que l’organisation, dont elle est l’âme.

En vérité cette fixation est arrivée au point de faire soutenir des choses vraiment incroyables. On a combattu toute sorte de coopération et d’accord, parce que l’association est l’antithèse de l’anarchie. On affirme que sans accords, sans obligations réciproques, chacun faisant ce qui lui passe par la tête sans même s’informer de ce que font les autres, tout serait spontanément en harmonie : qu’anarchie signifie que chacun doit se suffire à lui-même et faire lui-même tout ce dont il a envie, sans échange et sans travail en association. Ainsi les chemins de fer pouvaient fonctionner très bien sans organisation, comme cela se passait en Angleterre (!). La poste n’était pas nécessaire : quelqu’un de Paris, qui voulait écrire une lettre à Pétersbourg… pouvait la porter lui-même (!!), etc.

On dira que ce ne sont là que des bêtises, dont il ne vaut pas la peine de discuter. Oui, mais ces bêtises ont été dites, propagées : elles ont été accueillies par une grande partie des gens comme l’expression authentique des idées anarchistes. Elles servent toujours comme armes de combat des adversaires, bourgeois et non-bourgeois, qui veulent remporter sur nous une facile victoire. Et puis, ces « bêtises » ne manquent pas de valeur, en tant qu’elles sont la conséquence logique de certaines prémisses et qu’elles peuvent servir de preuve expérimentale de la vérité ou du moins de ces prémisses.

Quelques individus, d’esprit limité pourvus d’un esprit logique puissant, quand ils ont accepté des prémisses en tirent toutes les conséquences jusqu’au bout, et, si la logique le veut ainsi, arrivent sans se démonter aux plus grandes absurdités, à la négation des faits les plus évidents. Mais il y en a d’autres plus cultivés et d’esprit plus large, qui trouvent toujours moyen d’arriver à des conclusions plus ou moins raisonnables, même au prix d’entorses à la logique. Pour eux, les erreurs théoriques ont peu ou aucune influence sur la conduite pratique. Mais en somme, jusqu’à ce qu’on n’ait pas renoncé à certaines erreurs fondamentales, on est toujours menacé de syllogismes à outrance, et on revient toujours au début.

Et l’erreur fondamentale des anarchistes adversaires de l’organisation est de croire qu’il n’y a pas de possibilité d’organisation sans autorité. Et une fois cette hypothèse admise, ils préfèrent renoncer à toute organisation, plutôt qu’accepter le minimum d’autorité.

Maintenant que l’organisation, c’est-à-dire l’association dans un but déterminé et avec les formes et les moyens nécessaires pour poursuivre ce but, soit nécessaire à la vie sociale, c’est une évidence pour nous. L’homme isolé ne peut même pas vivre comme un animal : il est impuissant (sauf dans les régions tropicales et lorsque la population est très dispersée) et ne peut se procurer sa nourriture ; il est incapable, sans exception, d’avoir une vie supérieure à celle des animaux. Par conséquent il est obligé de s’unir à d’autres hommes, comme l’évolution antérieure des espèces le montre, et il doit soit subir la volonté des autres (l’esclavage), soit imposer sa volonté aux autres (autoritarisme), soit vivre avec les autres en fraternel accord pour le plus grand bien de tous (association). Nul ne peut échapper à cette nécessité. Les anti-organisateurs les plus effrénés subissent non seulement l’organisation générale de la société où ils vivent, mais également dans leurs actes, leur révolte contre l’organisation, ils s’unissent, se divisent la tâche, s’organisent avec ceux qui partagent leurs idées, en utilisant les moyens que la société met à leur disposition ; à condition que ce soient des faits réels et non de vagues aspirations platoniques.

Anarchie signifie société organisée sans autorité, en comprenant autorité comme la faculté d’imposer sa volonté. Cela veut dire aussi le fait inévitable et bénéfique que celui qui comprend mieux et sait faire une chose, réussit à faire accepter plus facilement son opinion. Il sert de guide, pour cette chose, aux moins capables que lui.

Selon nous l’autorité n’est non seulement pas nécessaire à l’organisation sociale, mais loin de l’aider elle vit en parasite, gêne l’évolution et profite à une classe donnée qui exploite et opprime les autres. Tant que dans une collectivité il y a harmonie d’intérêts, que personne ne peut frustrer les autres, il n’y a pas trace d’autorité. Elle apparaît avec la lutte intestine, la division en vainqueurs et vaincus, les plus forts confirmant leur victoire.

Nous avons cette opinion et c’est pourquoi nous sommes anarchistes, dans le cas contraire, affirmant qu’il ne peut y avoir d’organisation sans autorité, nous serons autoritaires. Mais nous préférons encore l’autorité qui gêne et attriste la vie, à la désorganisation qui la rend impossible.

Du reste, ce que nous serons nous importe peu. S’il est vrai que le machiniste et le chef de train et le chef de service doivent forcément avoir de l’autorité, ainsi que les camarades qui font pour tous un travail déterminé, les gens aimeront toujours mieux subir leur autorité plutôt que de voyager à pied. Si les P.T.T. n’étaient que cette autorité, tout homme sain d’esprit l’accepterait plutôt que de porter lui-même ses lettres. Si on refuse cela, l’anarchie restera le rêve de quelques-uns et ne se réalisera jamais.

– II –

L’organisation du mouvement anarchiste

L’existence d’une collectivité organisée sans autorité, c’est-à-dire sans coercition, étant admise, sinon l’anarchie n’aurait pas de sens, venons-en à parler de l’organisation du mouvement anarchiste.

Même dans ces cas, l’organisation nous semble utile et nécessaire. Si le mouvement veut dire l’ensemble des individus qui ont un but commun et s’efforcent de l’atteindre, il est naturel qu’ils s’entendent, unissent leurs forces, se partagent le travail et prennent toutes les mesures adéquates pour remplir cette tâche. Rester isolé, agissant ou voulant agir chacun pour son compte sans s’entendre avec les autres, sans se préparer, sans unir en un faisceau puisant les faibles forces des isolés, signifie se condamner à la faiblesse, gaspiller son énergie en de petits actes inefficaces, perdre rapidement la foi dans le but et tomber dans l’inaction complète.

Mais cela semble tellement évident qu’au lieu d’en faire la démonstration, nous répondrons aux arguments des adversaires de l’organisation.

Et avant tout il y a une objection, pour ainsi dire, formelle. « Mais de quel mouvement nous parlez-vous ? nous dit-on, nous n’en sommes pas un, nous n’avons pas de programme. » Ce paradoxe signifie que les idées progressent et évoluent continuellement et qu’ils ne peuvent accepter un programme fixe, peut-être valable aujourd’hui, mais qui sera certainement dépassé demain.

Ce serait parfaitement juste s’il s’agissait d’étudiants qui cherchent le vrai, sans se soucier des applications pratiques. Un mathématicien, un chimiste, un psychologue, un sociologue peuvent dire qu’il n’y a pas de programme autre que celui de chercher la vérité : ils veulent connaître, mais pas faire quelque chose. Mais l’anarchie et le socialisme ne sont pas des sciences : ils sont des propositions, des projets que les anarchistes et les socialistes veulent mettre en pratique et qui, par conséquent, ont besoin d’être formulés en programme déterminés. La science et l’art des constructions progressent chaque jour. Mais un ingénieur, qui veut construire ou même démolir, doit faire son plan, réunir ses moyens d’action et agir comme si la science et l’art s’étaient arrêtés au point où il les a trouvés au début de son travail. Il peut heureusement arriver qu’il puisse utiliser de nouvelles acquisitions faites au cours de son travail sans renoncer à la partie essentielle de son plan. Il se peut également que les nouvelles découvertes et les nouveaux moyens de l’industrie soient tels qu’il se voit dans l’obligation d’abandonner tout, et de recommencer de zéro. Mais en recommençant, il aura besoin de faire un nouveau plan basé sur ce qui est connu et acquis alors, il ne pourra concevoir et se mettre à exécuter une construction amorphe, avec des matériaux non composés, sous prétexte que demain la science pourrait en suggérer des formes meilleures et l’industrie fournir des matériaux de meilleure composition.

Nous entendons par mouvement anarchiste l’ensemble de ceux qui veulent contribuer à réaliser l’anarchie, et qui, par conséquent, ont besoin de se fixer un but à atteindre et un chemin à parcourir. Nous laissons bien volontiers à leurs élucubrations transcendantales les amateurs de vérité absolue et de progrès continu, qui, ne mettant jamais leurs idées à l’épreuve des faits, finissent par ne rien faire ni découvrir.

L’autre objection est que l’organisation crée des chefs, une autorité. Si cela est vrai, s’il est vrai que les anarchistes sont incapables de se réunir et de se mettre d’accord entre eux sans se soumettre à une autorité, cela veut dire qu’ils sont encore très peu anarchistes. Avant de penser à établir l’anarchie dans le monde, ils doivent songer à se rendre capables eux-mêmes de vivre en anarchistes. Le remède n’est pas dans l’organisation, mais dans la conscience perfectible des membres.

Évidement si, dans une organisation, on laisse à quelques-uns tout le travail et toutes les responsabilités, si on subit ce que font certains sans mettre la main à la pâte et chercher à faire mieux, ces « quelques-uns » finiront, même s’ils ne le veulent pas, par substituer leur propre volonté à celle de la collectivité. Si dans une organisation tous les membres ne se préoccupent pas de penser, de vouloir comprendre, de se faire expliquer ce qu’ils ne comprennent pas, d’exercer sur tout et sur tous leurs facultés critiques et laissent à quelques-uns la responsabilité de penser pour tous, ces « quelques-uns » seront les chefs, les têtes pensantes et dirigeantes.

Mais, nous le répétons, le remède n’est pas dans l’absence d’organisation. Au contraire, dans les petites comme dans les grandes sociétés, à part la force brutale, dont il ne peut être question dans notre cas, l’origine et la justification de l’autorité résident dans la désorganisation sociale. Quand une collectivité a un besoin et que ses membres ne se sont pas organisés spontanément d’eux-mêmes pour y pourvoir, il surgit quelqu’un, une autorité qui pourvoit à ce besoin en se servant des forces de tous et en les dirigeant à sa guise. Si les rues sont peu sûres et que le peuple ne sait pas se défendre, il surgit une police qui, pour les quelques services qu’elle rend, se fait entretenir et payer, s’impose et tyrannise. S’il y a besoin d’un produit et que la collectivité ne sait pas s’entendre avec des producteurs lointains pour se le faire envoyer en échange de produits du pays, il vient du dehors le marchand, qui profite du besoin qu’ont les uns de vendre et les autres d’acheter, et il impose les prix qu’il veut aux producteurs et aux consommateurs.

Vous voyez que tout vient toujours de nous : moins nous avons été organisés, plus nous nous sommes trouvés sous la coupe de certains individus. Et il normal qu’il en ait été ainsi.

Nous avons besoin d’être en relation avec les camarades des autres localités, de recevoir et de donner des nouvelles, mais nous ne pouvons chacun correspondre avec tous les camarades. Si nous sommes organisés, nous chargeons des camarades de tenir la correspondance pour notre compte ; nous les changeons s’ils ne nous satisfont pas, et nous pouvons être au courant sans dépendre de la bonne volonté de quelques-uns pour avoir une information. Si au contraire, nous sommes désorganisés, il y aura quelqu’un qui aura les moyens et la volonté de correspondre, il concentrera dans ses mains tous les contacts, communiquera les nouvelles comme il lui plaît, à qui lui paît. Et s’il a une activité et une intelligence suffisante, il réussira, à notre insu, à donner au mouvement la direction qu’il veut, sans qu’il nous reste, nous la masse du mouvement, aucun moyen de contrôle ; sans que personne ait le droit de se plaindre, puisque cet individu agit pour son compte, sans mandat de personne et sans devoir rendre compte à personne de sa conduite.

Nous avons besoin d’avoir un journal. Si nous sommes organisés, nous pouvons réunir les moyens de le fonder et de le faire vivre, charger quelques camarades de le rédiger et en contrôler la direction. Les rédacteurs du journal lui donneront certainement, de façon plus ou moins nette, l’empreinte de leur personnalité, mais ce seront toujours des gens que nous aurons choisis et que nous pourrons remplacer. Si au contraire nous sommes désorganisés, quelqu’un qui a suffisamment d’esprit d’entreprise fera le journal pour son propre compte : il trouvera parmi nous les correspondants, les distributeurs, les abonnés, et nous fera servir ses desseins, sans que nous le sachions ou le voulions. Et nous, comme c’est souvent arrivé, accepterons ou soutiendrons ce journal, même s’il ne nous plaît pas, même si nous pensons qu’il est nuisible à la Cause, parce que nous serons incapables d’en faire un qui représente mieux nos idées.

De sorte que l’organisation, loin de créer l’autorité, est le seul remède contre elle et le seul moyen pour que chacun de nous s’habitue à prendre une part active et consciente dans le travail collectif, et cesse d’être un instrument passif entre les mains des chefs.

Si rien ne se fait et s’il y a inaction, alors certes il n’y aura ni chef ni troupeau, ni commandant ni commandés, mais alors la propagande, le mouvement, et même la discussion sur l’organisation, cesseront, ce qui, espérons-le, n’est l’idéal de personne…

Mais une organisation, dit-on, suppose l’obligation de coordonner sa propre action, celle des autres, donc de violer la liberté, de supprimer l’initiative. Il nous semble que ce qui vraiment enlève la liberté et rend impossible l’initiative, c’est l’isolement qui rend impuissant. La liberté n’est pas un droit abstrait, mais la possibilité de faire une chose. Cela est vrai pour nous comme pour la société en général. C’est dans la coopération des autres que l’homme trouve le moyen d’exercer son activité, sa puissance d’initiative.

Évidement, organisation signifie la coordination des forces dans un but commun et l’obligation de ne pas faire des actions contraires à ce but. Mais quand il s’agit d’organisation volontaire, quand ceux qui en font partie ont vraiment le même but et sont partisans des mêmes moyens, l’obligation réciproque qui les engage tous réussit avantageusement à tous. Si l’un renonce à une de ses idées personnelles par égard à l’union, cela veut dire qu’il trouve plus avantageux de renoncer à une idée, que du reste il ne pourrait réaliser seul, plutôt que de se priver de la coopération des autres dans ce qu’il croit de plus grande importance.

Si par la suite un individu voit que personne, dans les organisations existantes, n’accepte ses idées et ses méthodes dans ce qu’elles ont d’essentiel et que dans aucune il ne peut développer sa personnalité comme il l’entend, alors il fera bien de rester en dehors. Mais alors, s’il ne veut pas rester inactif et impuissant, il devra chercher d’autres individus qui pensent comme lui, et se faire l’initiateur d’une nouvelle organisation.

Une autre objection, et c’est la dernière que nous aborderons, est qu’étant organisés, nous sommes plus exposés à la répression gouvernementale.

Il nous paraît, au contraire, que plus on est uni, plus on peut se défendre efficacement. En fait, à chaque fois que la répression nous a surpris alors que nous étions désorganisés, elle nous a complètement mis en déroute et a anéanti notre travail précédent. Quand nous étions organisés, elle nous a fait plus de bien que de mal. Il en va de même en ce qui concerne l’intérêt personnel des individus : par exemple dans les dernières répressions, les isolés ont été autant et peut-être plus gravement frappé que les organisés. C’est le cas, organisés ou non, des individus qui font de la propagande individuelle. Pour ceux qui ne font rien et cachent leurs convictions, le danger est certes minime, mais l’utilité qu’ils amènent à la Cause l’est également.

Le seul résultat, du point de vue de la répression, qu’on obtient en étant désorganisé est d’autoriser le gouvernement à nous refuser le droit d’association et de rendre possible de monstrueux procès pour associations délictueuses. Le gouvernement n’agirait pas de même envers des gens qui affirment hautement, publiquement, le droit et le fait d’être associés, et s’il l’osait, cela tournerait à son désavantage et à notre profit.

Du reste, il est naturel que l’organisation prenne les formes que les circonstances conseillent et imposent. L’important n’est pas tant l’organisation formelle que l’esprit d’organisation. Il peut y avoir des cas, pendant la fureur de la réaction, où il est utile de suspendre toute correspondance, de cesser toutes les réunions : ce sera toujours un mal, mais si la volonté d’être organisé subsiste, si l’esprit d’association reste vif, si la période précédente d’activité coordonnée a multiplié les rapports personnels, produit de solides amitiés et crée un accord réel d’idée et de conduite entre les camarades, alors le travail des individus, même isolés, participera au but commun. Et on trouvera rapidement le moyen de se réunir de nouveau et de réparer le dommage subi.

Nous sommes comme une armée en guerre et nous pouvons, suivant le terrain et les mesures prises par l’ennemi, combattre en masse ou en ordre dispersé : l’essentiel est que nous nous considérions toujours membres de la même armée, que nous obéissions tous aux mêmes idées directrices et que nous soyons toujours prêts à nous réunir en colonnes compactes quand c’est nécessaire et quand on le peut.

Tout ce que nous avons dit s’adresse aux camarades qui sont réellement adversaires du principe de l’organisation. À ceux qui combattent l’organisation, seulement parce qu’ils ne veulent pas y entrer, ou n’y sont pas acceptés, ou ne sympathisent pas avec les individus qui en font partie, nous disons : faites avec ceux qui sont d’accord avec vous une autre organisation. Certes, nous aimerions pouvoir être tous d’accord et réunir dans un faisceau puissant toutes les forces de l’anarchisme. Mais nous ne croyons pas dans la solidité des organisations faites à force de concessions et de sous-entendus, où il n’y a pas entre les membres de sympathie et d’accords réels. Mieux vaut être désunis que mal unis. Mais nous voudrions que chacun s’unisse avec ses amis et qu’il n’y ait pas de forces isolées, de forces perdues.

– III –

L’organisation des masses ouvrières contre le gouvernement et contre les patrons

Nous l’avons déjà répété : sans organisation, libre ou imposée, il ne peut y avoir de société, sans organisation consciente et voulue, il ne peut y avoir ni liberté ni garantie que les intérêts de ceux qui vivent dans la société soient respectés. Et qui ne s’organise pas, qui ne recherche pas la coopération des autres et n’offre pas la sienne dans des conditions de réciprocité et de solidarité, se met nécessairement en état d’infériorité et reste un rouage inconscient dans le mécanisme social que les autres actionnent à leur façon, et à leur avantage.

Les travailleurs sont exploités et opprimés parce qu’étant désorganisés en tout ce qui concerne la protection de leurs intérêts, ils sont contraints par la faim ou la violence brutale, de faire ce que veulent les dominateurs au profit desquels la société actuelle est organisée. Les travailleurs s’offrent eux-mêmes (en tant que soldats et capital) à la force qui les assujettit. Ils ne pourront jamais s’émanciper tant qu’ils n’auront pas trouvé dans l’union la force morale, la force économique et la force physique qu’il leur faut pour abattre la force organisée des oppresseurs.

Il y a eu des anarchistes, et il en reste encore, qui, tout en reconnaissant la nécessité de l’organisation dans la société future et le besoin de s’organiser maintenant pour la propagande et l’action, sont hostile à toute organisation qui n’a pas pour but direct l’anarchie et ne suit pas les méthodes anarchistes. Et certains se sont éloigné de toutes les associations ouvrières qui se proposent la résistance et l’amélioration des conditions dans l’ordre actuel des choses, ou ils s’y sont mêlés avec le but avoué de les désorganiser; tandis que d’autres, tout en admettant qu’on pouvait faire partie des associations de résistance existantes, ont considéré presque comme une défection de tenter d’en organiser de nouvelles.

Il a paru à ces camarades que toutes les forces, organisées dans un but autre que radicalement révolutionnaire, seraient peut-être soustraites à la révolution. Il nous semble, au contraire, et l’expérience nous l’a déjà trop montré, que leur méthode condamnerait le mouvement anarchiste à une perpétuelle stérilité.

Pour faire de la propagande, il faut se trouver au milieu des gens. C’est dans les associations ouvrières que l’ouvrier trouve ses camarades et en principe ceux qui sont le plus disposés à comprendre et à accepter nos idées. Et quand bien même, on pourrait faire hors des associations autant de propagande que l’on voudrait, cela ne pourrait avoir d’effet sensible sur la masse ouvrière. Mis à part un petit nombre d’individus plus instruits et capables de réflexions abstraites et d’enthousiasmes théoriques, l’ouvrier ne peut arriver d’un coup à l’anarchie. Pour devenir anarchiste sérieusement et pas seulement de nom, il faut qu’il commence à sentir la solidarité qui le lie à ses camarades, qu’il apprenne à coopérer avec les autres dans la défense des intérêts communs et que, luttant contre les patrons, il comprenne que patrons et capitaliste sont des parasites inutiles et que les travailleurs pourraient conduire eux-mêmes l’administration sociale. Lorsqu’il comprend cela, le travailleur est anarchiste, même s’il n’en porte pas le nom.

D’autre part, favoriser les organisations populaires de toute sorte est la conséquence logique de nos idées fondamentales et, donc, cela devrait faire partie intégrante de notre programme.

Un parti autoritaire, qui vise à s’emparer du pouvoir pour imposer ses idées, a intérêt à ce que le peuple reste une masse amorphe, incapable d’agir par elle-même et, donc, toujours facile à dominer. Logiquement donc, il ne désire qu’un certain niveau d’organisation, selon la forme qui aide à la prise du pouvoir : organisation électorale, s’il espère y arriver par la voie légale; organisation militaire, s’il compte sur l’action violente.

Nous, anarchistes, nous ne voulons pas émanciper le peuple, nous voulons que le peuple s’émancipe. Nous ne croyons pas au fait imposé d’en haut par la force; nous voulons que le nouveau mode de vie sociale sorte des entrailles du peuple et corresponde au degré de développement atteint par les hommes et puisse progresser à mesure que les hommes avancent. Nous désirons donc que tous les intérêts et toutes les opinions trouvent dans une organisation consciente la possibilité de se mettre en valeur et d’influencer la vie collective, en proportion de leur importance.

Nous nous sommes donné pour but de lutter contre la présente organisation sociale et d’abattre les obstacles qui s’opposent à l’avènement d’une société nouvelle où la liberté et le bien-être seront assurés à tous. Pour poursuivre ce but nous nous unissons et nous cherchons à devenir le plus nombreux et le plus fort possible. Mais les autres aussi sont organisés.

Si les travailleurs restaient isolés comme autant d’unités indifférentes les unes aux autres, attaché à une chaîne commune; si nous-mêmes nous n’étions pas organisés avec les travailleurs en tant que travailleurs, nous ne pourrions arriver à rien ou, dans le meilleur des cas, nous ne pourrions que nous imposer… et alors ce ne serait plus le triomphe de l’anarchie, mais le nôtre. Et nous ne pourrions plus nous dire anarchistes, nous serions de simples gouvernants et nous serions incapables de faire le bien comme tous les gouvernants.

On parle souvent de révolution et on croit par ce mot résoudre toutes les difficultés. Mais que doit être, que peut être cette révolution à laquelle nous aspirons?

Abattre les pouvoirs constitués et déclarer déchu le droit de propriété, c’est bien : une organisation politique peut le faire… et encore, il faut que cette organisation, en dehors de ces forces, compte sur la sympathie des masses et sur une suffisante préparation de l’opinion publique.

Mais après? La vie sociale n’admet pas d’interruptions. Durant la révolution ou l’insurrection, comme on voudra, et aussitôt après, il faut manger, s’habiller, voyager, imprimer, soigner les malades, etc., et ces choses ne se font pas d’elles-mêmes. Aujourd’hui le gouvernement et les capitalistes les organisent pour en tirer profit, lorsqu’ils auront été abattus, il faudra que les ouvriers le fassent eux-mêmes au profit de tous, ou bien ils verront surgir, sous un nom ou un autre de nouveaux gouvernants et de nouveaux capitalistes.

Et comment les ouvriers pourraient-ils pourvoir aux besoins urgents s’ils ne sont pas déjà habitués à se réunir et à discuter ensemble des intérêts communs et ne sont pas déjà prêts, d’une certaine façon, à accepter l’héritage de la vieille société?

Dans une ville où les négociants en grain et les patrons boulangers auront perdu leurs droits de propriété et, donc, l’intérêt à approvisionner le marché, dès le lendemain il faudra trouver dans les magasins le pain nécessaire à l’alimentation du public. Qui y pensera si les ouvriers boulangers ne sont pas déjà associés et prêts à travailler sans les patrons et si en attendant la révolution, ils n’ont pas pensé par avance à calculer les besoins de la ville et les moyens d’y pourvoir?

Nous ne voulons pas dire pour autant que pour faire la révolution, il faut attendre que tous les ouvriers soient organisés. Ce serait impossible, vu les conditions du prolétariat, et heureusement ce n’est pas nécessaire. Mais il faut du moins qu’il y ait des noyaux autour desquels les masses puissent se regrouper rapidement, dès qu’elles seront libérées du poids qui les opprime. Si c’est une utopie de vouloir faire la révolution seulement lorsque nous serons tous prêts et d’accord, c’en est une plus grande encore que de vouloir la faire sans rien et personne. Il faut une mesure en tout. En attendant, travaillons pour que les forces conscientes et organisées du prolétariat s’accroissent autant que possible. Le reste viendra de lui-même.

Résistance politique: Un exemple de programme coopératif anarchiste… L’Union Anarchiste Italienne ~ 2ème partie ~

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Le programme anarchiste de l’Union Anarchiste Italienne

 

Errico Malatesta, 1920

 

Source:

http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Programme_anarchiste

 

1ère partie

2ème partie

 

  1. La lutte économique

L’oppression qui aujourd’hui pèse le plus directement sur les travailleurs, et qui est la cause principale de toutes les sujétions morales et matérielles qu’ils subissent, c’est l’oppression économique. Autrement dit, c’est l’exploitation que les patrons et les commerçants exercent sur le travail, grâce à l’accaparement de tous les grands moyens de productions et d’échange.

Pour supprimer radicalement et sans retour possible cette exploitation, il faut que le peuple, dans son ensemble, soit convaincu qu’il possède l’usage des moyens de production, et qu’il applique ce droit primordial en expropriant ceux qui monopolisent le sol et la richesse sociale, pour la mettre à la disposition de tous.

Mais, est-il possible de passer directement, sans degrés intermédiaires, de l’enfer où vit aujourd’hui le prolétariat au paradis de la propriété commune ? La preuve que le peuple n’en est pas encore capable, est qu’il ne le fait pas. Que faire pour arriver à l’expropriation ?

Notre but est de préparer le peuple, moralement et matériellement, à cette expropriation nécessaire ; d’en tenter et d’en renouveler la tentative, autant de fois qu’une secousse révolutionnaire nous en donne l’occasion, jusqu’au triomphe définitif. Mais de quelle manière pouvons-nous préparer le peuple ? De quelle manière pouvons-nous réaliser les conditions qui rendront possible, non seulement le fait matériel de l’expropriation, mais l’utilisation à l’avantage de tous de la richesse commune ?

Nous avons dit plus haut que la seule propagande, orale ou écrite, est impuissante à conquérir à nos idées toute la grande masse populaire. Il faut une éducation pratique, qui soit tour à tour la cause et le résultat de la transformation graduelle du milieu. Il faut faire se développer peu à peu chez les travailleurs le sens de la rébellion contre les sujétions et les souffrances inutiles, dont ils sont victimes et le désir d’améliorer leurs conditions. Unis et solidaires, ils luttent pour obtenir ce qu’ils désirent.

Et nous comme anarchistes et comme travailleurs, nous devons les inciter et les encourager à la lutte, et lutter avec eux.

Mais ces améliorations sont-elles possibles en système capitaliste ? Sont-elles utiles du point de vue de la future émancipation intégrale par la révolution ?

Quels que soient les résultats pratiques de la lutte pour les améliorations immédiates, leur utilité principale est dans la lutte elle-même. C’est par elle que les travailleurs apprennent à défendre leurs intérêts de classe, comprennent que les patrons et les gouvernants ont des intérêts opposés aux leurs, et qu’ils ne peuvent améliorer leurs conditions, encore moins s’émanciper, autrement qu’en s’unissant entre eux et en devenant plus forts que les patrons. S’ils réussissent à obtenir ce qu’ils veulent, ils vivront mieux. Ils gagneront davantage, ils travailleront moins, ils auront plus de temps et de force pour réfléchir aux choses qui les intéressent ; et ils sentiront soudain des désirs et des besoins plus grands. S’ils ne réussissent pas, ils seront conduits à étudier les causes de leur échec et à reconnaître la nécessité d’une plus grande union, d’une plus grande énergie ; et ils comprendront enfin que pour vaincre sûrement et définitivement, il faut détruire le capitalisme. La cause de la révolution, la cause de l’élévation morale des travailleurs et de leur émancipation ne peuvent que gagner du fait que les ouvriers s’unissent et luttent pour leurs intérêts.

Mais encore une fois, est-il possible que les travailleurs réussissent dans l’état actuel des choses, à améliorer réellement leurs conditions ?

Cela dépend du concours d’une infinité de circonstances. Quoi qu’en disent quelques-uns, il n’existe aucune loi naturelle (loi des salaires) qui détermine la part qui va au travailleur sur le produit de son travail. Ou, si l’on veut formuler une loi, elle ne pourrait être que la suivante : le salaire ne peut descendre normalement au-dessous de ce qui est nécessaire à la conservation de la vie, et ne peut normalement s’élever au point de ne plus laisser aucun profit au patron. Il est clair que, dans le premier cas, les ouvriers mourraient, et ainsi ne recevraient plus de salaire ; et que, dans le second cas, les patrons cesseraient de faire travailler et par conséquent ne paieraient plus rien. Mais entre ces deux extrêmes impossibles, il y a une infinité de degrés, qui vont des conditions presque animales de beaucoup de travailleurs agricoles, jusqu’à celle presque décentes des ouvriers, dans de bons métiers, dans les grandes villes.

Le salaire, la longueur de la journée et toutes les autres conditions de travail sont le résultat des luttes entre patrons et ouvriers. Les premiers cherchent à donner aux travailleurs le moins possible et à les faire travailler jusqu’à épuisement complet ; les autres s’efforcent – ou devraient s’efforcer – de travailler le moins possible et à gagner le plus possible. Là où les travailleurs se contentent de tout et, même mécontents, ne savent pas opposer de résistance valable aux patrons, ils sont bientôt réduit à des conditions de vie presque animale. Là, au contraire, où ils ont une haute idée de ce que devraient être les conditions d’existence des êtres humains ; là où ils savent s’unir et, par le refus du travail et la menace latente ou explicite de la révolte, imposer que les patrons les respectent, là ils sont traités d’une manière relativement supportable. Ainsi, on peut dire que, dans une certaine mesure, le salaire est ce que l’ouvrier exige, non en tant qu’individus, mais en tant que classe.

En luttant, donc, en résistant aux patrons, les salariés peuvent s’opposer, jusqu’à un certain point, à l’aggravation de leur situation ; et même, obtenir des améliorations réelles. L’histoire du mouvement ouvrier a déjà démontré cette vérité.

Il ne faut cependant pas exagérer la portée de ces luttes entre exploités et exploiteurs sur le terrain exclusivement économique. Les classes dirigeantes peuvent céder, et cèdent souvent, aux exigences ouvrières énergiquement exprimées, tant qu’elles ne sont pas trop grandes. Mais quand les salariés commencent – et il est urgent qu’ils le fassent – à réclamer des augmentations telles qu’elles absorberaient tout le profit patronal et constitueraient ainsi une expropriation indirecte, il est certain que les patrons feraient appel au gouvernement et chercheraient à ramener par la violence les ouvriers aux conditions de tous les esclaves salariés.

Et avant, bien avant que les ouvriers puissent prétendre à recevoir en compensation de leur travail, l’équivalent de tout ce qu’ils ont produit, la lutte économique devient impuissante à assurer un sort meilleur.

Les ouvriers produisent tout et sans leur travail, on ne peut vivre. Il semble donc qu’en refusant de travailler, les travailleurs pourraient imposer toutes leurs volontés. Mais l’union de tous les travailleurs, même d’un seul métier, même d’un seul pays, est difficilement réalisable : à l’union des ouvriers s’oppose l’union des patrons. Les premiers vivent au jour le jour, et, s’ils font grève, ils manquent bientôt de pain. Les autres disposent par l’argent de tout ce qui a été produit ; ils peuvent attendre que la faim réduise les salariés à leur merci. L’invention ou l’introduction de nouvelles machines rend inutile le travail d’un grand nombre de travailleurs, accroissant l’armée des chômeurs, que la faim oblige à se vendre à n’importe quel prix. L’immigration apporte soudain, dans les pays où les conditions sont plus favorables, des foules de travailleurs affamés qui, bon gré mal gré, donnent au patronat le moyen de baisser les salaires. Et tous ces faits, dérivant nécessairement du système capitaliste, réussissent à contrebalancer le progrès de la conscience et de la solidarité ouvrière. Souvent même, ils ont un effet plus rapide que ce progrès qu’ils arrêtent et détruisent. Ainsi il reste toujours ce fait primordial que la production dans le système capitaliste est organisée par chaque employeur pour son profit personnel, et non pour satisfaire les besoins des travailleurs.

Le désordre, le gaspillage des forces humaines, la pénurie organisée, les travaux nocifs et malsains, le chômage, l’abandon des terres, la sous utilisation des machines, etc., sont autant de maux qu’on ne peut éviter qu’en enlevant aux capitalistes les moyens de production, et par conséquent la direction de la production.

Les ouvriers qui s’efforcent de s’émanciper ou ceux qui ne cherchent qu’à améliorer vraiment leurs conditions, doivent rapidement se défendre contre le gouvernement, l’attaquer, car il légitime et soutient par la force brutale le droit de propriété, il est un barrage au progrès, barrage qu’il faut faire sauter, si on ne veut pas rester indéfiniment dans les conditions présentes ou d’autres, pires.

De la lutte économique, il faut passer à la lutte politique, c’est-à-dire contre le gouvernement. Au lieu d’opposer aux millions des capitalistes, les quelques centimes réunis péniblement par les ouvriers, il faut opposer aux fusils et aux canons qui défendent la propriété, les moyens les meilleurs que le peuple trouvera pour vaincre la force par la force.

  1. La lutte politique

Par la lutte politique, nous entendons la lutte contre le gouvernement. Le gouvernement est l’ensemble des individus qui détiennent le pouvoir de faire la loi et de l’imposer aux gouvernés, c’est-à-dire au public.

Le gouvernement est la conséquence de l’esprit de domination et de violence, que des hommes ont imposé à d’autres, et en même temps, il est la créature et le créateur des privilèges et aussi leur défenseur naturel.

Il est faux de dire que le gouvernement remplit aujourd’hui le rôle de protecteur du capitalisme, et qu’une fois ce dernier aboli, il deviendrait le représentant et le gérant des intérêts de tous. D’abord, le capitalisme ne sera pas détruit tant que les travailleurs, s’étant débarrassé du gouvernement, n’auront pas pris possession de toute la richesse sociale et organisé eux-mêmes la production et la consommation, dans l’intérêt de tous, sans attendre que l’initiative vienne du gouvernement, qui au demeurant en est incapable.

Si l’exploitation capitaliste était détruite, et le principe gouvernemental conservé, alors, le gouvernement en distribuant toutes sortes de privilèges ne manquerait pas de rétablir un nouveau capitalisme. Ne pouvant contenter tout le monde, le gouvernement aurait besoin d’une classe économiquement puissante pour le soutenir, en échange de la protection légale et matérielle qu’elle recevrait de lui.

On ne peut pas abolir les privilèges et établir définitivement la liberté et l’égalité sociale, sans mettre fin au Gouvernement, et non à tel ou tel gouvernement, mais à l’institution gouvernementale elle-même.

En cela comme pour tout ce qui concerne l’intérêt général, et plus encore ce dernier, il faut le consentement de tous. C’est pourquoi nous devons nous efforcer de persuader les gens que le gouvernement est inutile et nuisible, et qu’on vit mieux en s’en passant. Mais comme nous l’avons déjà dit, la seule propagande est impuissante à atteindre tout cela; et si nous nous contentions de prêcher contre le gouvernement, en attendant, les bras croisés, le jour où les gens seraient convaincus de la possibilité et de l’utilité d’abolir complètement toute espèce de gouvernement, ce jour n’arriverait jamais.

En dénonçant toujours toute espèce de gouvernement, en réclamant toujours la liberté intégrale, nous devons favoriser tout combat pour des libertés partielle, convaincus que c’est par la lutte qu’on apprend à lutter. En commençant à goûter à la liberté, on finit par la vouloir entièrement. Nous devons toujours être avec le peuple; et lorsque nous ne réussissons pas à lui faire vouloir beaucoup, chercher à ce que, du moins, il commence à exiger quelque chose. Et nous devons nous efforcer à ce qu’il apprenne à obtenir par lui-même ce qu’il veut – peu ou beaucoup -, et à haïr et à mépriser quiconque est ou veut aller au gouvernement.

Puisque le gouvernement détient aujourd’hui le pouvoir de régler par des lois la vie sociale, d’élargir ou de restreindre la liberté des citoyens; et puisque nous ne pouvons pas encore lui arracher ce pouvoir, nous devons chercher à l’affaiblir et l’obliger à en faire l’usage le moins dangereux possible. Mais cette action, nous devons la mener toujours hors et contre le gouvernement, par l’agitation dans la rue, en menaçant de prendre de force ce qu’on réclame. Jamais nous ne devrons accepter une fonction législative, qu’elle soit nationale ou locale, car ce faisant, nous diminuerions l’efficacité de notre action et trahirions l’avenir de notre cause.

La lutte contre le gouvernement consiste, en dernière analyse, à la lutte physique et matérielle.

Le gouvernement fait la loi. Il doit donc disposer d’une force matérielle (armée et police) pour imposer la loi. Autrement, obéirait qui voudrait et il n’y aurait plus de loi, mais une simple proposition, que chacun serait libre d’accepter ou de refuser. Les gouvernements ont cette force et s’en servent pour renforcer leur domination, dans l’intérêt des classes privilégiées, en opprimant et en exploitant les travailleurs.

La seule limite à l’oppression gouvernementale est la force que le peuple se montre capable de lui opposer. Il peut y avoir conflit, ouvert ou latent, mais il y a toujours conflit. Car le gouvernement ne s’arrête devant le mécontentement et la résistance populaire que lorsqu’il sent le danger d’une insurrection.

Quand le peuple se soumet docilement à la loi, ou que la protestation reste faible et platonique, le gouvernement prend ses aises, sans s’occuper des besoins du peuple. Quand la protestation est vive, insiste et menace, le gouvernement, selon son humeur, cède ou réprime. Mais il faut toujours en arriver à l’insurrection, parce que si le gouvernement ne cède pas, le peuple finit par se rebeller; et, s’il cède, le peuple prend confiance en lui-même et exige toujours plus, jusqu’à ce que l’incompatibilité entre la liberté et l’autorité soit évidente et déclenche le conflit.

Il est donc nécessaire de se préparer moralement et matériellement pour que quand la lutte violente éclatera, la victoire reste au peuple.

L’insurrection victorieuse est le fait le plus efficace pour l’émancipation populaire, parce que le peuple, après avoir rompu le joug, devient libre de se donner les institutions qu’il croit les meilleures. La distance, qu’il y a entre la loi (toujours retardataire) et le niveau de civisme auquel est parvenue la masse de la population, peut-être franchie d’un saut. L’insurrection détermine la révolution, c’est-à-dire l’activité rapide des forces latentes accumulées durant l’évolution précédente.

Tout dépend de ce que le peuple est capable de vouloir.

Dans les insurrections passées, le peuple, inconscient des véritables causes de ses maux, a toujours voulu bien peu et a obtenu bien peu.

Que voudra-t-il dans les prochaines insurrections ?

Cela dépend en grande partie de la valeur de notre promotion et de l’énergie que nous saurons déployer.

Nous devrons inciter le peuple à exproprier les possédants et à mettre en commun leurs biens, à organiser la vie sociale lui-même, par des associations librement constituées, sans attendre l’ordre de personne, à refuser de nommer ou de reconnaître un gouvernement quelconque et tout corps constitué (Assemblée, Dictature, etc.) qui s’attribuerait, même à titre provisoire, le droit de faire la loi et d’imposer aux autres leur volonté par la force.

Si la masse du peuple ne répond pas à notre appel, nous devrons, au nom du droit que nous avons d’être libres même si les autres veulent demeurer esclaves, et pour montrer l’exemple, appliquer le plus possible nos idées : ne pas reconnaître le nouveau gouvernement, maintenir vive la résistance, faire que les communes, où nos idées sont reçues avec sympathie, repoussent toute ingérence gouvernementale et continuent à vivre à leur manière.

Nous devrons surtout nous opposer par tous les moyens à la reconstitution de la police et de l’armée, et profiter de toute occasion propice pour inciter les travailleurs à utiliser le manque de forces répressives pour imposer le maximum de revendications.

Quelle que soit l’issue de la lutte, il faut continuer à combattre sans répit, les possesseurs, les gouvernants, en ayant toujours en vue l’émancipation complète économique et morale de toute l’humanité.

Conclusion

Nous voulons donc abolir radicalement la domination et l’exploitation de l’homme par l’homme. Nous voulons que les hommes, unis fraternellement par une solidarité consciente, coopèrent volontairement au bien-être de tous. Nous voulons que la société soit constituée dans le but de fournir à tous les moyens d’atteindre le même bien-être possible, le plus grand développement possible, moral et matériel. Nous voulons pour tous le pain, la liberté, l’amour et la science.

Pour ce faire, nous estimons nécessaire que les moyens de production soient à la disposition de tous et qu’aucun homme, ou groupe d’hommes, ne puisse obliger les autres à obéir à sa volonté ; ni à exercer son influence autrement que par le raisonnement et l’exemple.

Donc : expropriation des détenteurs du sol et du capital à l’avantage de tous et abolition du gouvernement.

En attendant : promotion de l’idéal ; organisation des forces populaires ; combat continuel, pacifique ou violent, selon les circonstances, contre le gouvernement et contre les propriétaires pour conquérir le plus possible de liberté et de bien-être pour tous.

Résistance politique: Un exemple de programme coopératif anarchiste… L’Union Anarchiste Italienne ~ 1ère partie ~

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Ce programme fut mis en application avec grand succès lors du grand mouvement ouvrier italien de grève générale expropriatrice qui vit les ouvriers prendre en compte les usines du nord de l’Italie en 1920. Trahis (ce qui deviendra une habitude) par les communistes autoritaires étatistes marxistes, le mouvement finit par échouer. Les marxistes qui firent le jeu du gouvernement et du patronat italiens se virent récompensés avec les anarchistes, par la venue au pouvoir de Mussolini, que la bourgeoisie apeurée appela pour la défendre et défendre les intérêts industrio-banquiers.

Ce schéma de trahison des anarchistes par les marxistes s’était déjà produit en Russie dès 1917 et se reproduira toujours en Russie (Cronstadt 1921), en Ukraine (1919-1923), en Espagne (1936-39) où les stalinistes eurent pour priorité de sauver l’État (garant oligarchique capitaliste et marxo-capitaliste) plutôt que de faire triompher la révolution sociale !

— Résistance 71 —

 

Le programme de l’Union Anarchiste Italienne

 

Errico Malatesta, 1920

 

Source:

http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Programme_anarchiste

 

1ère partie

2ème partie

 

  1. Ce que nous voulons

Nous croyons que la plus grande partie des maux qui affligent les hommes découle de la mauvaise organisation sociale ; et que les hommes, par leur volonté et leur savoir, peuvent les faire disparaître.

La société actuelle est le résultat des luttes séculaires que les hommes se sont livrées entre eux. Ils ont méconnu les avantages qui pouvaient résulter pour tous de la coopération et de la solidarité. Ils ont vu en chacun de leurs prochains (sauf tout au plus les membres de leur famille) un concurrent et un ennemi. Et ils ont cherché à accaparer, chacun pour soi, la plus grande quantité de jouissances possible, sans s’occuper des intérêts d’autrui.

Dans cette lutte, naturellement, les plus forts et les plus chanceux devaient vaincre, et, de différentes manières, exploiter et opprimer les vaincus.

Tant que l’homme ne fut pas capable de produire plus que le strict nécessaire à sa survivance, les vainqueurs ne pouvaient que mettre en fuite et massacrer les vaincus, et s’emparer des aliments récoltés.

Ensuite – lorsque, avec la découverte de l’élevage et de l’agriculture, un homme sut produire davantage qu’il ne lui fallait pour vivre – les vainqueurs trouvèrent plus commode de réduire les vaincus au servage et de les faire travailler pour eux.

Plus tard, les vainqueurs trouvèrent plus avantageux, plus efficace et plus sûr d’exploiter le travail d’autrui par un autre système : garder pour soi la propriété exclusive de la terre et de tous les instruments de travail, et accorder une liberté apparente aux déshérités. Ceux-ci n’ayant pas les moyens de vivre, étaient contraints à recourir aux propriétaires et à travailler pour eux, aux conditions qu’ils leur fixaient.

Ainsi peu à peu, à travers un réseau compliqué de luttes de toute sorte, invasions, guerres, rébellions, répressions, concessions faites et reprises, association des vaincus unis pour se défendre, et des vainqueurs pour attaquer, on est arrivé à l’état actuel de la société, où quelques hommes détiennent héréditairement la terre et toutes les richesses sociales, pendant que la grande masse, privée de tout, est frustrée et opprimée par une poignée de propriétaires.

De ceci dépend l’état de misère où se trouvent généralement les travailleurs, et tous les maux qui en découlent ; ignorance, crime, prostitution, dépérissement physique, abjection morale, mort prématurée. D’où la constitution d’une classe spéciale (le gouvernement) qui, pourvue des moyens matériels de répression, a pour mission de légaliser et de défendre les propriétaires contre les revendications des prolétaires. Elle se sert ensuite de la force qu’elle possède, pour s’arroger des privilèges et soumettre, si elle le peut, à sa suprématie même la classe des propriétaires. D’où la formation d’une autre classe spéciale (le clergé) qui par une série de fables sur la volonté de dieu, sur la vie future, etc., cherche à amener les opprimés à supporter docilement l’oppresseur et qui, tout comme le gouvernement, sert les intérêts des propriétaires mais aussi les siens propres. D’où la formation d’une science officielle qui est, en tout ce qui peut servir les intérêts des dominateurs, la négation de la science véritable. D’où l’esprit patriotique, les haines de races, les guerres et les paix armées, plus désastreuses encore, peut-être, que les guerres elles-mêmes. D’où l’amour transformé en marché ignoble. D’où la haine plus ou moins larvée, la rivalité, la défiance, l’incertitude et la peur entre les êtres humains.

Nous voulons changer radicalement un tel état de choses. Et puisque tous ces maux dérivent de la recherche du bien-être poursuivie par chacun pour soi et contre tous, nous voulons leur donner une solution en remplaçant la haine par l’amour, la concurrence par la solidarité, la recherche exclusive du bien-être par la coopération, l’oppression par la liberté, le mensonge religieux et pseudo-scientifique par la vérité.

Par conséquent :

1) Abolition de la propriété privée de la terre, des matières premières et des instruments de travail – pour que personnes n’ait le moyen de vivre en exploitant le travail d’autrui, – et que tous, assurés des moyens de produire et de vivre, soient véritablement indépendants et puissent s’associer librement les uns les autres, dans l’intérêt commun et conformément à leurs affinités personnelles.

2) Abolition du gouvernement et de tout pourvoir qui fasse la loi pour l’imposer aux autres : donc abolition des monarchies, républiques, parlements, armées, polices, magistratures et de toute institution ayant des moyens coercitifs.

3) Organisation de la vie sociale au moyen des associations libres, et des fédérations de producteurs et consommateurs, créées et modifiées selon la volonté des membres, guidées par la science et l’expérience, et dégagées de toute obligation qui ne dériverait pas des nécessités naturelles, auxquelles chacun se soumet volontiers, lorsqu’il en a reconnu le caractère inéluctable.

4) Garantie des moyens de vie, de développement, de bien-être aux enfants et à tous ceux qui sont incapables de pourvoir à leur existence.

5) Guerre aux religions, et à tous les mensonges, même s’ils se cachent sous le manteau de la science. Instruction scientifique pour tous, jusqu’au degrés les plus élevés.

6) Guerre au patriotisme. Abolition des frontières, fraternité entre tous les peuples.

7) Reconstruction de la famille, de telle manière qu’elle résulte de la pratique de l’amour, libre de toute chaîne légale, de toute oppression économique ou physique, de tout préjugé religieux.

Tel est notre idéal.

  1. Voies et moyens

Nous avons exposé jusqu’à présent quel est le but que nous voulons atteindre, l’idéal pour lequel nous luttons.

Mais il ne suffit pas de désirer une chose : si on veut l’obtenir, il faut certainement employer les moyens adaptés à sa réalisation. Et ces moyens ne sont pas arbitraires : ils dérivent nécessairement des fins que l’on se propose et des circonstances dans lesquelles on lutte. En se trompant sur le choix des moyens, on n’atteint pas le but envisagé, mais on s’en éloigne, vers des réalités souvent opposées, et qui sont la conséquence naturelle et nécessaire des méthodes que l’on emploie. Qui se met en chemin et se trompe de route, ne va pas où il veut, mais où le mène le chemin qu’il a pris.

Il faut donc dire quels sont les moyens qui, selon nous, conduisent à notre idéal, et que nous entendons employer.

Notre idéal n’est pas de ceux dont la pleine réalisation dépend de l’individu considéré isolément. Il s’agit de changer la manière de vivre en société : d’établir entre les hommes des rapports d’amour et de solidarité, de réaliser la plénitude du développement matériel, moral et intellectuel, non pour un individu isolé, non pour les membres d’une certaine classe ou d’un certain parti, mais pour tous les êtres humains. Cette transformation n’est pas une mesure que l’on puisse imposer par la force ; elle doit surgir de la conscience éclairée et de chacun, pour entrer dans les faits par le libre consentement de tous.

Notre première tâche doit dont être de persuader les gens.

Il faut que nous attirions l’attention des hommes sur les maux dont ils souffrent, et sur la possibilité de les détruire. Il faut que nous suscitions en chacun la sympathie pour les souffrances d’autrui, et le vif désir du bien de tous.

À qui a faim et froid, nous montrerons qu’il serait possible et facile d’assurer à tous la satisfaction des besoins matériels. À qui est opprimé et méprisé, nous dirons comment on peut vivre heureusement dans une société de libres et d’égaux. À qui est tourmenté par la haine et la rancune, nous indiquerons le chemin pour rejoindre l’amour de ses semblables, la paix et la joie du cœur.

Et quand nous aurons réussi à répandre dans l’âme des hommes le sentiment de la révolte contre les maux injustes et inévitables, dont on souffre dans la société actuelle, et à faire comprendre quelles en sont les causes et comment il dépend de la volonté humaine de les éliminer ; quand nous aurons inspiré le désir vif et passionné de transformer la société pour le bien de tous, alors les convaincus, par leur élan propre et par la persuasion de ceux qui les ont précédés dans la conviction, s’uniront et voudront et pourront mettre en œuvre l’idéal commun.

Il serait – nous l’avons déjà dit – absurde et en contradiction avec notre but de vouloir imposer la liberté, l’amour entre les hommes, le développement intégral de toutes les facultés humaines, par la force. Il faut donc compter sur la libre volonté des autres, et la seule chose que nous puissions faire est de provoquer la formation et la manifestation de cette volonté. Mais il serait également absurde et en contradiction avec notre but d’admettre que ceux qui ne pensent pas comme nous, nous empêchent de réaliser notre volonté, du moment que nous ne les privons pas du droit à une liberté égale à la nôtre.

Liberté, donc, pour tous de propager et d’expérimenter leurs propres idées, sans autres limites que celles qui résultent naturellement de l’égale liberté de tous.

Mais à cela s’opposent par la force brutale les bénéficiaires des privilèges actuels, qui dominent et règlent toute la vie sociale présente.

Ils ont en main tous les moyens de production : ils suppriment ainsi non seulement la possibilité d’appliquer de nouvelles formes de vie sociale, le droit des travailleurs à vivre librement de leur travail, mais aussi le droit même à l’existence. Ils obligent les non-propriétaires à se laisser exploiter et opprimer, s’il ne veulent pas mourir de faim.

Les privilégiés ont les polices, les magistratures, les armées, créées exprès pour les défendre et poursuivre, incarcérer, massacrer les opposants.

Même en laissant de côté l’expérience historique qui nous démontre que jamais une classe privilégiée ne s’est dépouillée, en tout ou en partie, de ses privilèges et que jamais un gouvernement n’a abandonné le pouvoir sans y être obligé par la force, les faits contemporains suffisent à convaincre quiconque que les gouvernements et les bourgeois entendent user de la force matérielle pour leur défense, non seulement contre l’expropriation totale, mais contre les moindres revendications populaires, et qu’ils sont toujours prêts à recourir aux persécutions les plus atroces, aux massacres les plus sanglants.

Au peuple qui veut s’émanciper, il ne reste qu’une issue : opposer la violence à la violence.

Il en résulte que nous devons travailler pour réveiller chez les opprimés le vif désir d’une transformation radicale de la société, et les persuader qu’en s’unissant, ils ont la force de vaincre. Nous devons propager notre idéal et préparer les forces morales et matérielles nécessaires pour vaincre les forces ennemies et organiser la nouvelle société. Lorsque nous aurons la force suffisante, nous devrons, profitant des circonstances favorables qui se produiront, ou les provoquant nous-mêmes, faire la révolution sociale : abattre par la force le gouvernement, exproprier par la force les propriétaires, mettre en commun les moyens de subsistance et de production, et empêcher que de nouveaux gouvernants ne viennent imposer leur volonté et s’opposer à la réorganisation sociale faite directement par les intéressés.

Tout cela est cependant moins simple qu’il ne le semble à première vue. Nous avons à faire aux hommes tels qu’ils sont dans la société actuelle, dans des conditions morales et matérielles très défavorables ; et nous nous tromperions en pensant que la propagande suffit à élever au niveau de développement intellectuel et moral nécessaire à la réalisation de notre idéal.

Entre l’homme et l’ambiance sociale, il y a une action réciproque. Les hommes font la société telle qu’elle est, et la société fait les hommes tels qu’ils sont, il en résulte une sorte de cercle vicieux : pour transformer la société il faut transformer les hommes, et pour transformer les hommes, il faut transformer la société.

La misère abrutit l’homme et pour détruire la misère, il faut que les hommes aient la conscience et la volonté. L’esclavage apprend aux hommes à être serviles, et pour se libérer de l’esclavage, il faut des hommes aspirant à la liberté. L’ignorance fait que les hommes ne connaissent pas les causes de leurs maux et ne savent pas y remédier ; et pour détruire l’ignorance, il faudrait que les hommes aient le temps et les moyens de s’instruire.

Le gouvernement habitue les gens à subir la loi et à croire qu’elle est nécessaire à la société ; et pour abolir le gouvernement il faut que les hommes soient persuadés de son inutilité et de sa nocivité.

Comment sortir de cette impasse ?

Heureusement, la société actuelle n’a pas été formée par la claire volonté d’une classe dominante qui aurait su réduire tous les dominés à l’état d’instruments passifs et inconscients de leurs intérêts. La société actuelle est la résultante de mille luttes intestines, de mille facteurs naturels et humains agissant au hasard, sans direction consciente ; et enfin, il n’y a point de division nette, absolue, entre individus, ni entre classes.

Les variétés des conditions matérielles sont infinies ; infinis les degrés de développement moral et intellectuel. Il est même rare que le poste de chacun dans la société corresponde à ses facultés et à ses aspirations. Souvent des hommes tombent dans des conditions inférieures à celles qui étaient les leurs ; et d’autres, par des circonstances particulièrement favorables, réussissent à s’élever au-dessus du niveau où ils sont nés. Une partie notable du prolétariat est déjà arrivés à sortir de l’état de misère absolue, abrutissante, ou n’a jamais pu y être réduite. Aucun travailleur, ou presque, ne se trouve dans un état d’inconscience complète, d’acquiescement total des conditions que lui font les patrons. Et les institutions elles-mêmes, qui sont les produits de l’histoire contiennent des contradictions organiques qui sont comme des germes de mort, dont le développement amène la dissolution de la structure sociale et la nécessité de sa transformation.

Par là, la possibilité du progrès existe. Mais non pas la possibilité de porter, au moyen de la seule promotion, tous les hommes au niveau nécessaire pour que nous puissions réaliser l’anarchie, sans une transformation graduelle préalable du milieu.

Le progrès doit cheminer à la fois et parallèlement chez les individus et dans le milieu social. Nous devons profiter de tous les moyens, de toutes les possibilités, de toutes les occasions que nous laisse le milieu actuel, pour agir sur les hommes et développer leur conscience et leurs aspirations. Nous devons utiliser tous les progrès réalisés dans la conscience des hommes pour les amener à réclamer et à imposer les plus grandes transformations sociales actuellement possibles, ou celle qui serviront le mieux à ouvrir la voie à des progrès ultérieurs.

Nous ne devons pas attendre de pouvoir réaliser l’anarchie ; et, en attendant, nous limiter à la promotion pure et simple. Si nous faisons ainsi, nous aurons bientôt épuisé notre champ d’action. Nous aurons convaincu, sans doute, tous ceux qui, dans les circonstances du milieu actuel, sont susceptibles de comprendre et d’accepter nos idées, mais notre promotion ultérieure resterait stérile. Et, même si les transformations du milieu élevaient de nouvelles couches populaires à la possibilité de concevoir des idées neuves, cela aurait lieu sans notre œuvre, voire contre, et donc au préjudice de nos idées.

Nous devons chercher à ce que le peuple, dans sa totalité et dans ses différentes fractions, réclame, impose et réalise lui-même, toutes les améliorations, toutes les libertés qu’il désire, à mesure qu’il en conçoit le besoin, et qu’il acquiert la force de les imposer. Ainsi, en propageant toujours notre programme intégral et en luttant sans cesse pour sa réalisation complète, nous devons inciter le peuple à prétendre et à imposer toujours davantage, jusqu’à ce qu’il parvienne à son émancipation définitive.

A suivre …

 

Changement de paradigme politique: Pensée et pratique anarchiste avec Errico Malatesta part 4: La révolution anarchiste !

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Errico Malatesta l’anarchisme de la théorie à la pratique (IV)

 

Compilation d’écrits 1919~1931

 

Source: “Écrits choisis”, Errico Malatesta, éditions du Monde Libertaire, 1978

 

Errico Malatesta (1853-1932), théoricien et militant anarchiste italien, créateur en 1920 de l’Union Anarchiste Italienne (UAI), qui fut à la pointe de la grève générale expropriatrice des usines du nord de l’Italie en 1920, mouvement trahi par les communistes et les socialistes au profit du patronat et de l’État qui appelèrent Mussolini au pouvoir en conséquence. La pensée et l’action directe de Malatesta ont donné au mouvement anarchiste son expression politique sans doute la plus achevée. Il élabora toute sa vie durant une praxis cohérente tant dans les moyens que dans les objectifs de la révolution sociale. Ancré profondément dans la dimension sociale et dans la volonté de réalisation du bien-être commun, Malatesta nous a laissé un riche héritage théorique et militant qui mérite d’être plus connu.

Nous avons beaucoup à apprendre d’Errico Malatesta. Sa pensée et son action sont au cœur de l’anarchisme moderne.

Nous avons compilé ces textes courts dans les rubriques suivantes, qui seront autant de parties à la publication sur le blog

 

~ Résistance 71, Octobre 2015 ~

 

La révolution anarchiste

 

La Révolution, c’est la création de nouveaux modes, de nouveaux groupements, de nouveaux rapports sociaux. La Révolution, c’est la destruction des privilèges et des monopoles ; c’est un nouvel esprit de justice, de fraternité, de liberté qui doit rénover toute la vie sociale, élever le niveau moral et les conditions matérielles des masses en les appelant à prendre en mains la détermination de leur destin, par leur propre action directe et consciente. La Révolution c’est l’organisation des services publiques par ceux-là mêmes qui y travaillent, dans leur propre intérêt et celui du public. La Révolution, c’est la derstructions de tous les liens coercitifs, c’est l’autonomie des groupes, des communes, des régions. La révolution c’est la libre fédération sous la poussée de la fraternité, des intérêts individuels et collectifs et de la nécessité de produire et de se défendre. La Révolution c’est la constitution d’innombrables groupements libres correspondant aux idées, aux désirs, aux besoins, aux goûts de toutes sortes qui existent dans la population. La révolution c’est la liberté éprouvée dans le creuset des faits. Et la Révolution dure tant que dure la liberté c’est à dire tant que d’autres ne profitent pas de la lassitude qui survient dans les masses, des inévitables déceptions qui suivent les espoirs excessifs, des erreurs et des fautes humaines toujours possibles pour arriver à constituer avec l’aide d’une armée de conscrits ou de mercenaires, un pouvoir capable de faire la loi, d’arrêter le mouvement là où il est en train de mettre en branle la réaction.

~ Pensiero e Volonta, Juin 1924 ~

Nous ne “voulons pas attendre pour faire la révolution que les masses deviennent anarchistes”. D’autant plus que nous sommes persuadés qu’elles ne le deviendront jamais si on n’abat pas d’abord par la violence, les institutions qui les maintiennent en esclavage (Note de R71: Comme Gustav Landauer et La Boétie bien avant lui, nous pensons que la révolution sociale n’est pas un acte violent pourvu que les membres de la société s’unissent dans le changement général d’attitude envers l’État et ses institutions et s’organisent pour créer la société des sociétés, conféderation des communes libres et autogérées. C’est le changement d’attitude du peuple qui changera le paradigme politico-social. L’État n’existe que parce que nous y acquiesçons, il suffit de lui retirer notre consentement en masse et il s’écroulera sans armes, ni haine, ni violence…).

Nous avons besoin du concours des masses populaires pour constituer une force matérielle suffisante et pour atteindre notre but spécifique: le changement radical de tout l’organisme social par les masses elles-mêmes, directement. Cela bien sûr, si nous voulons vraiment travailler à traduire dans la pratique nos propres idéaux et non pas nous contenter de prêcher dans le désert pour la simple satisfaction de notre orgueil intellectuel.

~ Pensiero e Volonta, Juin 1924 ~

Toute l’histoire nous montre que les progrès dûs aux révolutions ont été obtenus dans la période d’effervescence populaire, quand il n’existait pas encore de gouvernement reconnu ou que le gouvernement était trop faible pour se mettre ouvertement contre la révolution ; la réaction a toujours commencé dès lors qu’un gouvernement s’est constitué. Elle a toujours servi les intérêts des anciens et des nouveaux privilégiés et elle a toujours enlevé aux masses ce qui lui a été possible de leur enlever (Note de R71: à commencer en général par leurs armes, car le peuple en arme est la hantise de toute oligarchie étatiste…).

Notre tâche est donc de faire ou d’aider à faire le révolution en mettant à profit toutes les occasions et toutes les forces disponibles. Il faut pousser la révolution le plus loin possible, non seulement sur le plan de la destruction des institutions mais encore et surtout sur celui de la reconstruction de la société nouvelle ; il faut rester hostile à tout gouvernement qui se constituerait en l’ignorant ou en le combattant le plus possible. (Note de R71: Nous pensons à l’instar de Landauer qu’il faut commencer par cela et que le changement d’attitude et le refus des citoyens d’acquiescer aux désidératas de l’État le feront s’écrouler, imploser en grande partie sur lui-même, limitant ainsi la violence à employer voire même à la supprimer totalement.)

Nous ne reconnaîtrons pas plus la Constituante républicaine que nous ne reconnaîssons le parlement monarchique. Nous la laisserons faire si le peuple le veut, mais nous exigerons la liberté totale pour ceux qui, comme nous, entendent vivre en dehors de la tutelle et de l’oppression étatiques et propager leurs idées par la parole et par l’exemple.

Révolutionnaires, oui, mais surtout anarchistes.

~ Pensiero e volonta, Juin 1924 ~

  • Le premier devoir du prolétariat est la destruction de tout pouvoir politique (de partis étatiques).
  • Toute organisation d’un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour atteindre cette destruction des institutions ne peut être qu’un leurre de plus et serait aussi dangereux pour le prolétariat que tous les gouvernements existant aujourd’hui.
  • Les prolétaires de tous les pays rejettent tout compromis pour arriver à réaliser la Révolution Sociale et ils doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l’action révolutionnaire.

Ceux qui ont tenté d’agir en les contredisant se sont égarés parce que, de quelque façon qu’on les comprenne, l’État, la dictature et le parlement ne peuvent que conduire les masses à l’esclavage. Toutes les expériences faites jusqu’à maintenant l’ont démontré.

Il est bien sûr inutile d’ajouter que pour les congressistes de Saint-Imier (Note de R71: L’Internationale Anarchiste lancée par Bakounine en 1872 après l’éviction des anarchistes de la première Internationale par Marx, Engels et leurs suiveurs…) comme pour nous et tous les anarchistes, l’abolition du pouvoir politique n’est pas possible sans la destruction simultanée du privilège économique.

~ Pensiero e Volonta, Juillet 1926 ~

Ma conclusion est pécisément celle-ci: ou nous pensons à la réorganisation sociale, les travailleurs, y pensant par eux-mêmes et dès maintenant à mesure qu’ils détruisent l’ancien ordre et alors on aura une société plus humaine, plus juste, plus ouverte aux progrès furturs ; ou ce sont les “dirigeants” qui y penseront et nous aurons un nouveau gouvernement qui fera ce qu’ont toujours fait les gouvernements : faire payer à la masse des gens les rares (et mauvais) services qu’il lui fourrnit en lui enlevant la liberté et en laisant les parasites et les privilégiés en tous genres l’exploiter.

~ Pensiero e Volonta, Juin 1926 ~

Je dis que pour abolir le gendarme et toutes les institutions sociales pernicieuses à l’avenant, il faut savoir ce que nous voulons mettre à la place et cela immédiatement, le jour même où nous détruirons le système et non pas dans des lendemains plus ou moins lointains. On ne détruit de façon réelle et définitive que ce qu’on peut remplacer. Renvoyer à plus tard la solution de problèmes qu’il s’avère nécessaire de résoudre rapidement, ce serait donner aux institutions qu’on veut abolir le temps de se remettre de la secousse reçue et de s’imposer de nouveau (réaction), sous d’autres noms peut-être, mais à coup sûr substantiellement identiques.

Ou bien nos solutions pourront être acceptées par une partie suffisante de la population et alors nous aurons réalisé l’anarchie ou fait un grand pas vers celle-ci ; ou bien elles ne pourront pas être comprises et acceptées et dans ce cas, notre travail servira pour la promotion de l’Idée et exposera au grand public le programme du proche avenir. Mais dans tous les cas nous devons avoir des solutions, provisoires toujours susceptibles d’être revues et corrigées à la lumière de l’expérience. Mais solutions nécessaires si nous ne voulons pas subir passivement les solutions des autres et nous limiter au rôle peu utile de râleurs incapables et impuissants.

~ Pensiero e Volonta, Août 1926 ~

Nous devons agir dans le mouvement ouvrier pour l’empêcher de se corrompre (Note de R71: C’est chose faire depuis l’avènement de la société de consommation, nous devons donc ramener la conscience populaire sur les rails de la raison, le mercantilisme et le consummérisme nous ayant sciemment mis sur une voie de garage…) en se limitant à ne rechercher que les petites améliorations compatibles avec le système capitaliste (réformisme) et pour faire en sorte qu’il soit utile pour préparer la transformation sociale totale. Nous devons travailler au sein des masses inorganisées et peut-être inorganisables, pour éveiller en elles l’esprit de révolte, le désir et l’espoir d’une vie heureuse et libre. Nous devons lancer et appuyer tous les mouvements possibles tendant à affaiblir les forces de l’État et des capitalistes et à élever le niveau moral et les conditions matérielles des travailleurs. Nous devons en somme, nous préparer moralement et matériellement pour l’acte révolutionnaire qui doit ouvrir la voie de l’avenir.

Si nous ne trouvions pas assez d’écho dans le peuple et que nous ne puissions pas empêcher que ne se reconstitue un État avec ses institutions autoritaires et ses organes inhérents de coercition, alors nous aurions à refuser d’y participer et de le reconnaître, à nous révolter contre ce qu’ils voudraient nous imposer et à réclamer, pour nous et pour les minorités dissidentes, pleine et entière autonomie. Nous devrons en somme, rester en état de révolte effective et potentielle et si nous ne pouvons vaincre dans le présent, préparer au moins l’avenir…

~ Il Risveglio, décembre 1929 ~

Mais il ne faut pas non plus exagérer. Il ne faut pas s’imaginer devoir et pouvoir dès maintenant trouver une solution idéale à tous les problèmes possibles. Il ne faut pas vouloir trop prévoir ni trop déterminer par avance sinon, au lieu de préparer l’anarchie, nous rêverions de choses irréalisables ; ou nous tomberions dans l’autoritarisme et nous nous proposerions, consciemment ou non, d’agir comme un gouvernement qui soumet le peuple à sa propre domination, au nom de la liberté et de la volonté du peuple (Note de R71: Cela fait-il résonner quelque choses, comme 1789, 1792, 1917 par exemple ?..)…

Ce qui est certain est que la masse des gens ne s’éduque pas si elle n’a pas la possibilité et ne se trouve pas dans l’obligation d’agir elle-même et que l’organisation révolutionnaire des travailleurs, si utile et nécessaire soit-elle, ne peut pas s’étendre et durer indéfiniment. Si elle ne débouche pas sur l’action révolutionnaire, passé un certain stade, ou elle est détruite par le gouvernement, ou elle se corrompt et de défait d’elle-même et il faut alors tout recommencer.

~ Vogliano, Juin 1930 ~

Personnellement je ne saurais admettre que toutes les révolutions passés ont été inutiles parce que non anarchistes et que les révolutions futures qui ne seront pas anarchistes seront également inutiles. Au contraire, j’ai plutôt tendance à croire que le triomphe total de l’anarchie viendra moins d’une révolution violente que d’une révolution graduelle, après qu’une ou plusieurs révolutions auront détruits les plus grands obstacles militaires et économiques qui s’opposent au développement moral des populations. À ce que la production augmente jusqu’à atteindre le niveau des besoins et des désirs, à l’harmonisation des intérêts contraires. (Note de R71: ceci correspond à notre point de vue également. A noter que ceci fut écrit par Malatesta en 1930. Il a mis de l’eau dans son vin et son concept de gradualisme est la conséquence logique de sa maturité politique, patinée au gré de ses expériences militantes de premier plan…)

De toute façon, si nous tenons compte de nos faibles forces et de l’état d’esprit qui prévaut dans les masses populaires et si nous ne voulons pas prendre nos désirs pour des réalités, il faut nous attendre à ce que la prochaine révolution, imminente peut-être, ne soit pas anarchiste. C’est pourquoi ce qu’il y a de plus urgent, c’est de penser à ce que nous pouvons et à ce que nous devons faire dans une révolution où nous ne seront qu’une minorité relativement petite et mal armée…

Si les gens veulent un gouvernement (c’est à dire conserver l’État), nous ne pourrons propbablement pas empêcher que ne se constitue encore un de ces gouvernements. Mais nous n’en devons pas moins faire tout notre possible pour convaincre les gens que le gouvernement est inutile et nocif et pour empêcher que ce nouveau gouvernement ne s’impose aussi à nous et à ceux qui n’en veulent pas. Nous devrons tout mettre en œuvre pour que la vie sociale, particulièrement la vie économique, continuent et progressent sans l’intervention du gouvernement.

N’oublions par ailleurs pas que ceux qui sont les plus aptes à organiser le travail sont ceux-là mêmes qui font le travail en question, chacun son métier.

Si nous ne pouvons pas empêcher que ne se constitue un nouveau gouvernement, si nous ne pouvons pas l’abattre immédiatement, nous devrons en tous les cas, lui refuser tout concours, ainsi refuser le service militiare, refuser de payer des impôts. Ne pas obéir par principe, résister jusqu’au bout à tout ce que les autorités voudraient imposer et refuser catégoriquement tout poste de commandement quel qu’il soit.

Si nous ne pouvons pas abattre le capitlaisme, nous pouvons et devrons exiger pour nous et pour tous ceux qui le veulent, le droit d’user gratuitement des moyens de production nécessaires à une vie indépendante. (Note de R71: C’est le principe de refuser de consentir, de désobéissance civile et de construction de la société parallèle dans une confédération de communes libres autogérées. Cela a fonctionné longtemps historiquement, toutes les sociétés traditionnelles ancestrales sont fondées sur ce principe de communisme autogestionnaire confédéré où les leaders sont des porte-parole, des “chefs” sans pouvoir)

~ Vogliano, Juin 1930 ~

[Lors de l’insurrection] nous devrons pousser les ouvriers à se rendre maîtres des usines, à se fédérer entre eux et à travailler pour le compte de la collectivité ; tout comme les paysans à se rendre maîtres des terres et des produits usurpés par les riches et à s’entendre avec les ouvriers pour les échanges nécessaires.

~ Vogliano, juin 1930 ~

Le gouvernement est tombé, que faire ?

La méthode anarchiste serait la suivante: Une fois les autorités monarchiques vaincues (Note: Malatesta vivait dans une Italie monarchiste à l’époque, ceci s’applique à toute forme de gouvernement étatique centralisé…), les corps de police et l’armée dissous, nous ne reconnaîtrons aucun gouvernement et encore moins s’il s’agissait d’un gouvernement central ayant la prétention de diriger et de contrôler le mouvement (Note: les regards se tournent bien évidemment vers les marxistes à ce point…).

Nous pousserions les travailleurs à prendre totalement possession de la terre, des usines, des chemins de fer, des bateaux, bref de tous les moyens de production (de distribution et de service). Nous les pousserions à organiser IMMEDIATEMENT la nouvelle production en abandonnant pour toujours les travaux inutiles et nocifs et provisoirement ceux de luxe et en concentrant la majeure partie des forces à produire les biens alimentaires et autres biens de toute première nécessité.

Nous veillerions à ce que les maisons vides ou peu habitées soient occupées afin que tous et toutes aient un toit et que chacun ait un logement selon les locaux disponibles par rapport à la population. Nous nous empresserions de détruire les banques et le système banquier, les titres de propriété (Note de R71: à prendre au sens de titre de propriété générant des revenus en exploitant autrui. Les propriétaires de maison ne seront pas expropriés pourvu que leur “propriété” représente une possession familale et non pas un moyen de profiter et d’exploiter les gens. Exemple: un rentier vivant de ses loyers, spéculant sur l’immobiler garderait un logement pour lui et sa famille mais serait exproprié des autres logements dégageant des profits par l’exploitation de l’inégalité. Ceci est un concept proudhonien entre la propriété et la possession) ainsi que tout ce qui représente et garantit la puissance de l’État et le privilège capitaliste. Et nous chercherions à créer une situation de fait qui puisse rendre impossible la reconstruction de la société bourgeoise.

Tout cela et tout ce qui serait également réalisé pour satisfaire les besoins des gens et pour assurer le développement de la révolution, ce serait l’œuvre de volontaires, de comités de toute sorte, de congrès locaux, inter-communaux, régionaux, nationaux, qui se chargeraient de coordonner la vie sociale en prenant les accords nécessaires, mais sans avoir le moindre droit ni les moyens d’imposer leur volonté par la force et en ne comptant, pour trouver un appui, que sur les services qu’ils rendraient et sur les nécessités imposées par la situation et reconnues comme telles par les intéressés.

Surtout pas de gendarmes, quel que soit le nom qu’ils prendraient, mais des milices volontaires qui n’aient absolument aucune possibilité d’ingérence en tant que milices dans la vie de l’ensemble des citoyens et qui ne seraient là que pour faire front aux possibles retours armés de la réaction et aux attaques qui viendraient de pays étrangers qi n’auraient pas encore fait leur révolution.

= Umanita Nova, Avril 1922 ~

Pour supprimer cette oppression radicalement et sans risque de retour, il faut que le peuple tout entier soit convaincu de son droit d’user des moyens de production et que ce droit primordial qui est le sien, il le traduise en acte en expropriant ceux qui détiennent le sol et toutes les richesses sociales et en mettant le tout à la disposition de tous (Note de R71: Comme dans un gigantesque potlach à l’amérindienne et à l’échelle nationale…)

~ Le programme anarchiste, Bologne 1920 ~

Au cours d’une réunion à Teramo, le secrétaire de la chambre confédérale, le président de la coopérative socialiste et les députés socialistes Leopardi et Agostione ont dit aux paysans: “Tenez-vous prêts ; quand vos chefs vous diront de faire grève, avandonnez les champs. Si au contraire ils vous disent de moissonner ce qui vous revient, obéissez et laissez perdre l’autre moitié.

Voilà bien des conseils de réformistes bon teint : quand la récolte est perdue, on a beau jeu après de dire aux gens qu’on ne peut pas faire la révolution sous peine de mourir de faim.

Mais quand donc ces mauvais bergers se décideront-ils à dire aux paysans: Rentrez toute la récolte et ne donnez rien aux patrons ! Et après avoir rentré la récolte, préparez le terrain et semez pour l’année suivante avec l’idée bien arrêtée que les patrons ne doivent plus rien avoir.

~ Umanita Nova, juin 1920 ~

Si l’on veut vraiment changer le fond même du régime et non seulement sa forme extérieure, il faudra abattre le capitalisme dans les faits, en expropriant ceux qui détiennent la richesse sociale et en organisant immédiatement la nouvelle vie sociale, localement, sans passer par un seul intermédiaire légal. Ce qui veut sire que pour faire la “république sociale”, il faut d’abord faire l’Anarchie…

L’un des point fondamentaux de l’anarchisme, c’est l’abolition du monopole de la terre, des matières premières et des instruments de production, de travail. C’est donc l’abolition de l’exploitation du travail d’autrui par ceux qui détiennent les moyens de production. Du point de vue anarchiste et socialiste, est un vol toute appropriation du travail d’autrui et tout ce qui permet de vivre sans apporter à la société sa contribution à la production.

Par la violence et par la fraude, les propriétaires ont volé le peuple de la terre et de tous les moyens de producution et, depuis ce premier vol, ils enlèvent tous les jours aux travailleurs le produit de leur travail. Ce sont des voleurs chanceux, devenus forts, ils ont fait édicter des lois pour légitimer leur situation et ils ont élaboré tout un système de répression pour se défendre contre les revendications des travailleurs et aussi contre ceux qui veulent prendre leur place pour faire ce ont fait. Maintenant le vol de ces messieurs s’appelle propriété (voir Proudhon), commerce, industrie etc… En revanche le terme de voleur est réservé en langage courant, à ceux qui voudraient suivre l’exemple des capitalistes mais qui, étant arrivés trop tard et dans des circinstances non favorables, ne peuvent le faire qu’en se révoltant contre la loi.

~ Il Pensiero, mars 1911 ~

La révolution que nous voulons consiste à enlever le pouvoir et la richesse à ceux qui les détiennent actuellement et à mettre la terre, les instruments de travail et tous les biens existants à la disposition des travailleurs, c’est à dire de tout le monde, parce que tous doivent devenir des travailleurs s’ils ne le sont déjà pas. Cette révolution, les révolutionnaires doivent la défendre en veillant à ce que personne, que ce soit un individu, un parti ou une classe, ne puisse trouver les moyens de constituer un gouvernement et de rétablir le privilège en faveur des nouveaux ou des anciens patrons.

Pour défendre et sauver la révolution il n’y a qu’un seul moyen: la faire jusqu’au bout !

Tant que quelqu’un pourra obliger quelqu’un d’autre à travailler pour lui, tant que quelqu’un pourra violer la liberté d’autrui en le prenant à la gorge ou en le tenant par le ventre, la révolution ne sera pas finie. Nous serons en état de légitime défense et contre la violence qui nous opprime, nous y opposerons la violence qui libère.

Vous craignez que les bourgeois dépossédés n’enrôlent des inconscients pour restaurer l’ordre abattu ? Dépossédez-les réellement et vous verrez que, sans argent, ils n’enrôleront personne.

Vous craignez la réaction militaire ? Armez toute la population ! Mettez-la réellement en possession de tous les biens de façon à ce que chacun ait à défendre sa propre liberté et les moyens capables de lui assurer son bien-être et vous verrez si les généraux en mal d’aventure trouveront des gens pour les suivre. Et si un peuple armé, en possession de la terre, des usines, de toutes les richesses, était incapable de se défendre et se laissait de nouveau soumettre au joug, alors cela voudrait dire que ce peuple est encore incapable de liberté. La révolution aurait échoué et il faudrait recommencer le travail d’éducation et de préparation pour en faire une autre qui, parce qu’elle tirerait profit des graines semées par la première, aurait de plus grande chance de succès.

~ Fede ! ~ novembre 1923 ~

Voilà un préjugé courant dans certains milieux révolutionnaires: il tire son origine de la rhétorique et des falsifications historiques des apologistes de la Grande Révolution Française et, ces dernières années, il a trouvé une nouvelle vigueur dans la propagande des bolchéviques en Russie. Mais la vérité est tout le contraire: la terreur a toujours été un instrument de la tyrannie. En France, elle a servi à Robespierre pour établir sa féroce tyrannie et elle a préparé le terrain à Napoléon et à la réaction qui s’ensuivit. En Russie, elle a persécuté les anarchistes et les socialistes (Note de R71: N’oublions jamais que le tout premier “soviet” ou assemblée populaire fut créé sur le modèle anarchiste, par une mixture anarcho-socialiste, à St Petersbourg en 1905… et que la clique Lénine/Trotsky agents de la City de Londres et de Wall Street, a persécuté les anarchistes et les ont massacré à Cronstadt et en Ukraine), elle a massacré les ouvriers et les paysans révoltés et elle a brisé en définitive l’élan d’une révolution qui aurait pu ouvrir réellement une ère nouvelle à la civilisation.

Note de Résistance 71: Les bolchéviques ayant été des agents des banquiers, leur rôle était la facilitation de la création d’un marché captif: la Russie et de maintenir coûte que coûte les deux choses indispensables aux oligarques pour continuer à régner sur le monde: l’État et le capitalisme. Jamais Lénine, Trotsky, Marx, Engels ou quelques marxistes que ce soient ont jamais œuvré pour la disparition de l’économie de “marché”. Leur but est de faire passer le “marché”, le capitalisme, sous contrôle monopoliste d’une entité ayant fusionnée l’État et les entreprises transnationales. C’est le but de ce fascisme transnational appelé depuis “Nouvel Ordre Mondial”, des gens comme H.G. Wells ont écrit des bouquins à ce sujet comme “New World Order” en 1940, publié par une maison d’édition appartenant à la famille banquière Warburg, coïncidence ?… Gustav Landauer avait parfaitement pressenti tout cela dans sa critique du marxisme, que nous avons traduite et publiée récemment.

Ceux qui croient en l’efficacité révolutionnaire, libératrice de la répression et de la férocité ont la mentalité arriérée de ces “juristes” qui s’imaginent qu’il est possible d’éviter le délit et de moraliser le monde au moyen de peines judiciaires sévères.

Pour défende la révolution, le grand moyen reste toujours d’enlever aux bourgeois tous moyens économiques de domination, d’armer toute la population, jusqu’à ce qu’on puisse l’inciter à jeter les armes devenues jouets inutiles et dangereux et d’intéresser à la victoire la grande masse de la population.

Si pour vaincre il fallait dresser des potences dans les rues, je préférerais encore perdre.

~ Pensiero e Volonta, octobre 1924 ~

Et après la révolution, c’est à dire après la chute du pouvoir en place et le triomphe définitif des forces insurgées ?

C’est là qu’entre véritablement en jeu le caractère graduel dont nous parlons.

Il faut étudier tous les problèmes pratiques de la vie: la production, l’échange, les moyens de communication, les rapports entre groupements anarchistes et ceux qui vivent sous autorité, les rapports entre les collectivités communistes et celles qui vivent en régime individualiste, les rapports entre la ville et la campagne.

Il ne faut pas décider de tout détruire en pensant que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. La civilisation actuelle est le fruit d’une évolution millénaire et d’une façon ou une autre, elle a apporté une solution au problème de la vie sociale en commun de millions et de millions d’êtres humains. Ces avantages sont amoindris et annulés pour la grande masse des gens par le fait que l’évolution s’est faite sous la pression de l’autorité et du privilège et dans l’intérêt des dominateurs. Mais si on enlève l’autorité et le privilège, il reste toujours les avantages acquis, les triomphes de l’Homme face à l’adversité de la Nature, l’expérience accumulée par les générations précédentes, les habitudes de sociabilité acquises dans la longue vie sociale et grâce à l’expérience des bienfaits de l’appui mutuel. Il serait bien stupide de renoncer à tout cela, ce serait du reste impossible. Nous devons combattre l’autorité et les privilèges mais nous devons tirer parti de tous les avantages de la civilisation et ne rien détruire de tout ce qui peut, même mal, satisfaire un besoin humain, avant que de n’avoir quelque chose de meilleur pour le remplacer.

Nous devons être tolérants envers toutes les conceptions sociales qui prévaudront dans les différents groupements humains, pourvu qu’elles ne lèsent pas la liberté et le droit égal des autres. Nous devons nous contenter d’avancer graduellement, à mesure que le niveau moral des Hommes s’élève et qu’augmentent les moyens matériels et intellectuels dont dispose l’humanité.

~ Pensiero e volonta, octobre 1925 ~

Et après la victoire de l’insurrection, après la chute du gouvernement (étatique autoritaire), que faut-il faire ?

Nous anarchistes, voudrions que dans chaque localité, les travailleurs ou plus exactement la fraction des travailleurs qui est la plus consciente et qui a le plus grand esprit d’initiative, prenne possession de tous les instruments de travail, de toute la richesse, terre, matières premières, maisons, machines, denrées alimentaires etc et qu’ils ébauchent du mieux possible la nouvelle forme de vie sociale. Nous voudrions que les travailleurs de la terre qui travaillent aujourd’hui pour des patrons (ou des banques) ne reconnaissent plus aucun droit aux propriétaires et qu’ils continuent le travail et travaillent encore plus pour leur propre compte et celui de la communauté et qu’ils se mettent en rapport direct avec les ouvriers des industries, les ingénieurs, les techniciens compris, qui auront pris possession des usines et qu’eux-mêmes continuent le travail pour eux-mêmes et la collectivité, en transformant immédiatement ces usines qui fabriquent des choses inutiles ou nuisibles en usines œuvrant pour le bien-être de tous en satisfaisant les besoins des gens. Que les cheminots continuent à faire rouler les trains mais au service de la collectivité, que des comités assujettissent les logements, tous les logments disponibles pour loger les plus nécessiteux du mieux qu’il est possible dans un premier temps. Que d’autres comités, toujours sous le contrôle populaire, s’occupent de l’approvisionnement et de la distribution des denrées. Que tous les bourgeois actuels soient mis devant le fait qu’ils doivent se fondre dans la foule du peuple et de travailler comme les autres afin de jouir des mêmes avantages que les autres. Et tout cela, immédiatement, le jour même ou dès le lendemain de la victoire de l’insurrection, sans attendre de quelconques ordres de “comités centraux” ou d’une quelconque autorité.

Voilà ce que veulent les anarchistes et c’est en définitive se qui se passerait tout naturellement si la révolution devait être une vraie révolution sociale et non pas se limiter à un simple changement politique, qui après quelques convulsions, remettrait tout comme avant.

Ainsi donc ou on enlève immédiatement son pouvoir économique à la bourgeoisie ou elle aura de nouveau sous peu le pouvoir politique que l’insurrection lui avait arraché. Pour pouvoir enlever le pouvoir économique à la bourgeoisie, il faut immédiatemet organiser l’économie sur de nouvelles bases fondées sur la justice et l’égalité. Les besoins économiques, du moins les plus essentiels, n’admettent pas d’interruption et il faut les satisfaire immédiatement. Les “comités centraux” ne font jamais rien ou agissent quand on n’a plus besoin d’eux.

~ Unita Nova, Août 1920 ~

Note de Résistance 71: Ceci correspond dans les grandes largeurs à ce que les anarchistes espagnols firent et organisèrent durant la révolution espagnole de 1936-39, qui fut trahi par les marxistes staliniens, tout comme les soviets le furent par les lénino-trotskistes et le mouvement ouvrier italien le fut en 1920.

Notre tâche est de pousser le peuple à réclamer et à prendre toutes les libertés possibles et à pourvoir lui-même à ses propres besoins, sans attendre les ordres d’une quelconque autorité (Note: concept d’autonomie et d’autogestion populaire gérées en démocratie directe via les assemblées). Notre tâche est de lui démontrer le caractère inutile et nocif de tout gouvernement en suscitant et en encourageant, par la promotion de l’Idée et l’action, toutes les bonnes initiatives individuelles et collectives.

En somme, il s’agit d’éduquer à la liberté, d’élever à la conscience de leurs propres forces et de leurs propres capacités, des hommes habitués par ailleurs à l’obéissance et à la passivité. Il faut donc faire en sorte que le peuple agisse par lui-même, suivant son instinct et sa propre inspiration, même si cela lui aura souvent été suggéré. C’est ce que fait un bon instituteur avec ses élèves, lorsqu’ils ne trouvent pas la solution, il les aide, suggère certaines solutions tout en maintenant l’indépendance des élèves, ce qui aura pour effet de leur faire acquérir courage et confiance en leurs propres facultés.

 Dans la dernière partie, nous verrons le Programme de l’Union Anarchiste Italienne (UAI) de 1920 dont Errico Malatesta fut un des fondateurs et rédacteur de la charte…