« Anarchisme: Le nom donné à un principe de théorie et de conduite de la vie sous lequel la société est conçue sans gouvernement, l’harmonie dans une telle société étant obtenue non pas par la soumission à la loi ou par l’obéissance à l’autorité, mais par les consentements libres conclus entre des groupes territoriaux et professionnels variés, librement constitués pour les fonctions simples de production et de consommation et également pour la satisfaction d’une variété infinie de besoins et d’aspirations d’être civilisé. Dans une société développée selon ces lignes de conduite, les associations volontaires qui commencent déjà à couvrir tous les secteurs de l’activité humaine, prendraient une plus grande extension pour finir par se substituer elles-mêmes pour l’état et de ses fonctions. »
– Pierre Kropotkine (début de la définition de l’anarchisme qu’il écrivit pour la 11ème édition de L’Encyclopedia Britannica, 1910) –
En 1899, Malatesta était toujours un défenseur de la “propagande par le fait”, c’est à dire de la violence ciblée pour faire avancer l’Idée. 20 ans plus tard, il avait sérieusement mis de l’eau dans son vin, comprenant que cela était sans doute plus au détriment de la cause de la révolution sociale qu’en sa faveur. Nous ne sommes pas en faveur de la violence, mais demeurons convaincu de la nécessité de la légitime défense. Nous devons considérer le fait que les peuples du monde sont sous le joug d’institutions de mauvais gouvernements, d’un mauvais système qui ne perdurent que par l’exercice d’un monopole de la violence pseudo-légitime pour préserver ce qu’ils appellent la “paix civile/sociale”, qui n’est en fait que le statu quo de la domination et de l’exploitation oligarchique d’une vaste classe opprimée par une classe minoritaire privilégiée, détenant tous les leviers du système répressif politico-économique, exerçant de fait une violence sociale quotidienne sur ceux et celles qu’elle opprime, violence sociale se transformant de plus en plus souvent en violence physique envers ceux qui osent affirmer publiquement leur mécontentement.
Ainsi, les peuples sont en état de légitime défense permanente et sont en droit de lutter pour redresser tous les torts qui leur sont occasionnés et à lutter pour changer de paradigme politique, de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour abolir le système oppresseur coercitif en place et le remplacer par une société de paix et de justice sociale pour toutes et tous, égalitairement, sans recours à l’État, ses institutions obsolètes et criminelles, la propriété privée des moyens de production et de distribution, l’argent et le salariat, substitut moderne de l’esclavagisme qui n’a aucun lieu d’être.
Dans ce texte ci-dessous que nous pensons inédit en français, Malatesta, dans son style unique direct et sans détour qui fait son charme incontestable, nous livre sa pensée sur le chemin à prendre pour une société plus juste et meilleure aux antipodes du marasme socio-politique dont nous vivons en ce premier quart du XXIème siècle, sans doute les premiers soubresauts de son entrée en phase terminale d’effondrement.
Il ne tient qu’à nous, unis, ensemble, de fonder cette nouvelle société antiautoritaire, non-pyramidale, égalitaire, non-hiérarchique et donc libre, société des sociétés humaine qui aura embrassé la complémentarité dans sa diversité culturelle et par là même, définitivement lâché prise de tous les antagonismes induits, fabriqués depuis des siècles par le système oppresseur et ses timoniers sociopathes pour nous maintenir dans la division, le conflit, la haine, la précarité, la jalousie, la violence et la stupidité.
Pour agrémenter ce texte simple et lumineux de ce grand penseur et activiste que fut Malatesta, nous ajoutons dessous, quelques textes essentiels à (re)lire et diffuser sans aucune modération. Bonne lecture !
~ Résistance 71 ~
Vers l’anarchie
Publié dans “La questione sociale” de décembre 1899
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Mai 2019
On pense généralement que nous, parce que nous nous disons révolutionnaires, nous attendons que l’anarchie arrive d’un seul coup, comme le résultat immédiat d’une insurrection qui attaque violemment tout ce qui existe et le remplace avec de toutes nouvelles institutions. Pour dire la vérité, une telle idée ne manque pas chez certains compagnons qui conçoivent aussi la révolution de la sorte.
Ce préjugé explique pourquoi tant d’opposants honnêtes pensent l’anarchie être impossible et explique aussi pourquoi certains compagnons, écœurés par la condition morale actuelle du peuple et voyant que l’anarchie ne peut pas se réaliser bientôt, navigue entre un dogmatisme extrême qui les aveugle des réalités de la vie et un opportunisme qui leur fait pratiquement oublier qu’ils sont anarchistes et que l’anarchie est ce pour quoi ils doivent lutter.
Bien sûr le triomphe de l’anarchie ne peut pas être la conséquence d’un miracle, il ne peut pas survenir en contradiction avec les lois du développement (un axiome de l’évolution qui dit que rien ne peut se produire sans une causalité suffisante) et que rien ne peut être accompli sans les moyens adéquats.
Si nous voulions substituer un gouvernement pour un autre, qui impose ses désirs aux autres, on n’aurait qu’à combiner les forces matérielles dont on a besoin pour résister aux oppresseurs actuels et nous mettre ensuite à leur place.
Mais nous ne voulons pas cela ; nous voulons l’anarchie qui est une société fondée sur l’accord libre et volontaire, une société dans laquelle personne ne peut forcer ses désirs sur les autres et où chacun peut faire comme bon lui semble et réunir ensemble toute la volonté libre pour le bien-être de la communauté. A cause de cela, l’anarchie ne connaîtra pas un triomphe universel et définitif tant que les Hommes ne voudrons pas seulement ne plus être commandés mais aussi ne voudrons plus commander ; l’anarchie ne viendra pas à moins qu’ils comprennent les avantages de la solidarité et ne saurons pas comment organiser un plan de vie sociale au sein duquel il n’y aura plus aucune trace de violence, de coercition et d’imposition de quoi que ce soit.
Alors que la conscience, la détermination et la capacité des hommes se développent continuellement et trouve des moyens d’expression dans la modification graduelle du nouvel environnement et dans la réalisation des désirs en proportion de leur être formé, ainsi en est-il de l’anarchie. L’anarchie ne peut venir que petit à petit, doucement mais sûrement, croissante en intensité et en extension.
Ainsi le sujet n’est pas peut-on arriver à l’anarchie aujourd’hui, demain ou dans dix siècles, mais que nous marchions vers l’anarchie aujourd’hui, demain et toujours. L’anarchie est l’abolition de l’exploitation et de l’oppression de l’Homme par l’Homme, c’est à dire l’abolition de la propriété privée et du gouvernement ; l’anarchie c’est la destruction de la misère, des superstitions, de la haine. Donc, tout coup porté contre les institutions de la propriété privée et le gouvernement, toute exaltation de la conscience humaine, tout dérangement des conditions présentes, tout mensonge démasqué, toute augmentation de l’esprit de solidarité et d’initiative, sont des pas supplémentaires vers la réalisation de l’anarchie.
Le problème réside dans le comment choisir le chemin qui nous rapproche vraiment de l’idéal et de ne pas rendre confus le véritable processus de réalisation avec des réformes hypocrites. Car avec le prétexte d’obtenir des améliorations immédiates, ces fausses réformes tendent à distraire les masses de la lutte contre l’autorité et le capitalisme ; elles servent à paralyser leurs actions et les font espérer en quelque chose à obtenir par la bonté et la bonne volonté des exploiteurs et des gouvernements. Le problème réside en savoir comment utiliser le peu de pouvoir que nous avons, que nous gagnons sans cesse, de la manière la plus économique et la plus avantageuse pour notre objectif.
Il y a dans chaque pays un gouvernement qui, avec force brutale, impose ses lois sur tout le monde ; il force tout le monde à être sujet de l’exploitation et de maintenir, que les gens aiment ou pas, les institutions existantes. Il interdit aux groupes minoritaires d’actualiser leurs idées et empêche les organisations sociales en général, de se modifier en accord et avec les modifications de l’opinion publique. Le cours normal pacifique de l’évolution est arrêté par la violence et donc avec la violence est-il nécessaire de rouvrir le cours de cette évolution. C’est pour cette raison que nous voulons une révolution violente aujourd’hui et que nous la désirerons toujours, aussi longtemps que l’Homme est soumis à l’imposition de choses qui vont à l’encontre de ses désirs naturels. Retirez la violence gouvernementale et la notre n’aura absolument plus aucune raison d’être.
Nous ne pouvons pas encore renverser les gouvernements établis ; peut-être demain depuis les ruines du gouvernement actuel, nous ne pourrons pas empêcher un autre similaire de venir. Mais ceci ne nous décourage en rien, ni aujourd’hui, ni demain, car résister à quelque forme d’autorité que ce soit, refuser toujours de se soumettre à ses lois dès que possible et constamment utiliser la force contre la force est une nécessité.
Chaque affaiblissement de quelque autorité que ce soit, chaque accession à plus de liberté, seront un progrès vers l’anarchie ; toujours à conquérir, jamais à demander, cela doit toujours servir notre plus grande force dans la lutte, nous renforcer, toujours nous faire considérer l’État comme un ennemi avec lequel il n’y a pas de paix possible, cela doit toujours nous rappeler que la diminution des maux du gouvernement consiste en la diminution de sa capacité de pouvoir et non pas en l’augmentation du nombre de dirigeants ou de les choisir pour diriger. Par gouvernement nous voulons dire toute personne ou groupe de personnes dans l’état, le pays, la communauté ou l’association qui ont le droit de faire les lois et de les imposer à ceux qui n’en veulent pas.
Nous ne pouvons pas encore abolir la propriété privée ; nous ne pouvons pas réguler les moyens de production nécessaires pour pouvoir travailler librement ; peut-être ne serons-nous pas capables de le faire dans le prochain mouvement insurrectionnel ; mais cela ne nous empêche pas maintenant, ni dans le futur, de continuellement dénoncer et lutter contre le capitalisme. Chaque victoire, même la plus petite, remportée par les travailleurs contre les exploiteurs, chaque diminution de profits, chaque petite parcelle de richesse prise aux propriétaires particuliers et mis à la disposition de tous, sera un progrès, un pas de plus vers l’anarchie. Toujours ceci doit servir à agrandir les demandes des travailleurs et d’intensifier leur lutte ; toujours ceci doit être accepté comme une victoire sur l’ennemi et non pas une concession pour laquelle nous devons être reconnaissants. Nous devons toujours demeurer fermes dans notre résolution de prendre par la force dès que possible, ces moyens que les propriétaires, protégés par les gouvernements, ont volé aux travailleurs.
Le droit de la force ayant disparu, les moyens de production étant placés sous la gestion de tous ceux qui veulent produire, le reste doit être le fruit d’une évolution pacifique.
Ce ne sera pas encore l’anarchie, ou ce le sera pour ceux qui le veulent et seulement pour ces choses qui peuvent être faites sans la coopération des non-anarchistes. Ceci ne veut pas nécessairement dire que l’idéal de l’anarchie ne fera pas ou peu de progrès, car petit à petit, ses idées s’étendront à toujours plus d’hommes et de femmes et plus de choses seront acceptées et faites jusqu’à ce que cela se soit étendu à toute l’humanité et à toutes manifestations de la vie.
Ayant renversé les gouvernements et toutes les institutions dangereuses existantes défendues avec force, après avoir conquis la liberté complète pour tout le monde et avec elle, le droit de jouir des moyens de production sans lesquels la liberté ne serait qu’un mensonge de plus, et durant le temps où nous luttons pour arriver à ce point, nous n’avons aucune intention de détruire ces choses que nous reconstruirons petit à petit.
Par exemple, les services de distribution de nourriture et de biens de consommation dans la société actuelle. Ceci est mal fait, géré de manière chaotique, à grande perte de matériel et d’énergie et seulement en vue d’intérêts capitalistes de profit, mais d’une manière ou d’une autre, nous devons manger. Il serait absurde de vouloir désorganiser le système de production et de distribution de la nourriture à moins que nous ne pouvions lui substituer quelque chose de meilleur et de plus juste.
Il y a un service postal. Nous avons des milliers de critiques à lui adresser, mais en même temps, nous l’utilisons pour envoyer des lettres et nous continuerons à l’utiliser, souffrant de tous ses maux, jusqu’à ce que nous soyons capables de le remplacer.
Il y a des écoles, mais comment sont-elles inefficaces. Cependant nous ne permettrons pas à nos enfants de demeurer ignorants, refusant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Dans le même temps nous attendons et luttons pour un temps où nous serons capables d’organiser un système modèle d’école qui prendra en compte tout le monde.
De cela, nous pouvons voir que pour parvenir à l’anarchie, la force matérielle n’est pas la seule à mettre en œuvre pour faire la révolution ; il est aussi essentiel que les travailleurs, regroupés dans les branches variées de la production, se placent dans une position qui assurera le bon fonctionnement de la vie sociale, sans l’aide ou le besoin des capitalistes ou des gouvernements.
Nous voyons également que les idéaux anarchistes sont bien loin d’être en contradiction, comme l’affirment ces “socialistes scientifiques” (NdT: les marxistes), des lois de l’évolution prouvées valides par la science ; ils sont un concept qui va parfaitement à ces lois ; ils sont le système expérimental amené du terrain de la recherche à celui de la réalisation sociale.
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Lectures complémentaires:
Errico Malatesta, écrits choisis
La Morale Anarchiste de Kropotkine)
Erich_Mühsam la liberté de chacun est la liberté de tous
petit_precis_sur_la_societe_et_letat
Appel au Socialisme Gustav Landauer
Manifeste pour la societe des societes
Un monde sans argent: le communisme
Entraide_Facteur_de_L’evolution_Kropotkine
L’anarchisme-africain-histoire-dun-mouvement-par-sam-mbah-et-ie-igariwey
Ecrits-choisis-anarchistes-sebastien-faure-mai-2018
Rudolph Rocker_Anarchie de la theorie a la pratique
Un-autre-regard-anarchiste-sur-la-vie-avec-emma-goldman
James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats
Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit
Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes
zenon_pourquoi suis je anarchiste ?
Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche
Leducation-comme-pratique-de-la-liberte_Paulo_Freire_1965
Paulo_Freire_Extension ou Communication
Avec-ou-sans-gilet-jaune-pour-la-societe-des-societes
L’essentiel-et-l’indispensable-de-Raoul_Vaneigem
Pour-une-Abstention-Politique-Active
Errico Malatesta : Capitalisme et irréconciliable contradiction…
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Malatesta (1853-1932) rejoignit la 1ère Internationale en 1871 à l’âge de 18 ans. En 1872, il rencontra Bakounine et rejoignit l’Internationale Anarchiste du congrès de St Imier. Malatesta fut longtemps un adepte de la “propagande par le fait”, c’est à dire un avocat de l’insurrection armée, mais il changea d’avis avec le temps. Il fut un des leaders anarchistes qui refusa d’accepter la 1ère guerre mondiale, argumentant que tout cela n’était qu’un accord des riches pour faire s’entretuer les pauvres au nom de leur profit et de leur richesse. Mécanicien et électricien de formation, il milita et aida à l’organisation de la lutte ouvrière dans l’optique de l’établissement de la société anarchiste dans bon nombre de pays, en Italie, son pays d’où il dût s’exiler pendant 35 ans, en Belgique, en France, en Suisse, aux Etats-Unis et en Argentine. Il passa 12 années de sa vie en prison et fut condamné 3 fois à mort.
Errico Malatesta est une des grandes figures historiques de l’anarchisme, grand organisateur et fédérateur de volonté. Il maniait le verbe et l’action avec la même efficacité. Ce n’est pas un hasard si nous le sortons du “placard” à intervalles réguliers. Quand on parle de complémentarité osmotique, il est intéressant de lire et de puiser dans les écrits et la pensée de Proudhon, Kropotkine, Bakounine, Landauer et Malatesta, le meilleur de chacun d’entre eux se cristallisera dans la société des sociétés que nous sommes déjà en train de construire, pour beaucoup sans même le savoir…
~ Résistance 71 ~
L’irréconciliable contradiction
Errico Malatesta
Mars 1900
Traduit de l’anglais par Résistance 71
Avril 2021
Ils écrivent depuis Bari en Italie :
Notre ville subit une bien triste crise. La fabrique de tonneaux, qui fut autrefois une industrie flamboyante, est de plus en plus sur le déclin. La cause de ce déclin réside dans l’introduction de nouveaux tarifs pour le transport ferrovier, qui permet le retour de tonneaux vides à un très bas prix, ce qui occasionne un déclin dans la consommation de tonneaux. Il y a quelques temps, les maîtres d’œuvre de la fabrication des tonneaux demandèrent que les prix de transport des tonneaux vides soient augmentés. Dimanche dernier, devant la préfecture, ils ont rencontré les autorités pour leur demander de les aider. Un comité de 12 membres de la corporations des tonneliers, accompagnés d’un inspecteur de la sécurité publique, fut reçu par le préfet, qui a promis de résoudre cette affaire.
Comment diable le préfet va t’il résoudre cela ?
En donnant l’ordre aux compagnies ferrovières d’augmenter encore le prix de transport des tonneaux vides ? Comment cela se peut-il, si les capitalistes sont ceux qui possèdent les chemins de fer, ceux qui commandent aux préfets et qui sont les maîtres de ceux-ci !
Et puis, augmenter le prix du retour des tonneaux vides fera immanquablement augmenter le prix du vin.
Si les consommateurs de vin en venaient à se retourner contre le préfet, leur promettrait-il ces choses aussi ?
Ce pauvre préfet doit se sentir dans la position de dieu tout puissant à qui une personne demande de la pluie et une autre le beau temps. Et il n’est même pas omnipotent !…
Mais nous nous préoccupons en vain de la position des préfets, qui savent parfaitement bien comment se sortir de tels meli-melos… en faisant des promesses à tout le monde et n’en tenant aucune !
Ce sont ces pauvres travailleurs qui méritent bien plus notre considération car, ignorants de la cause initiale de leurs problèmes, se laissent berner et moquer d’eux au point qu’ils se laissent escorter à la préfecture par un inspecteur de la sécurité publique et espèrent que les autorités vont s’occuper de leur fardeau.
Ce cas des tonneliers de Bari est un cas typique, qui montre on ne peut plus clairement la totale absurdité de la société capitaliste.
Dans ces cas similaires, il ne peut pas y avoir d’autre cure que l’abolition du capitalisme et la transformation radicale du système de production. Et chaque corps de métier, chaque forme d’activité humaine doit, tôt ou tard, se retrouver dans le même dilemme, ce qui est déjà abondamment étendu dû au fait de la surabondance de travail.
Les associations ne sont d’aucun secours, ni ne le sont les grèves, ni les coopératives ni toute autre forme de résistance dans le système.
A chaque fois qu’on n’a pas besoin du travail d’un ouvrier, celui-ci ne peut pas imposer quelque sorte d’accord que ce soit : il doit mourir de faim, plus ou moins lentement, plus ou moins convulsivement, mais il doit mourir de faim… à moins qu’il puisse se libérer du système en cours.
De plus, le progrès a la tendance à rendre le travail de plus en plus de personnes inutile.
Ceci est l’ultime et irréconciliable contradiction entre le capitalisme et le progrès. Tous deux empêchent un véritable progrès, glorifiant les castes actuelles, abolissant la concurrence entre les capitalistes, interdisant tout développement de production, toute nouvelle machine, toute application scientifique nouvelle et réduisant les ouvriers au statut d’animaux domestiques auxquels leurs maîtres donnent une pitance rationnée, en bref, un régime tel que celui mis en place par les jésuites au Paraguay. Pour en sortir, nous devons détruire le capitalisme et organiser la production non pas pour le profit du petit nombre, mais pour le plus grand bien-être de tous.
La requête des tonneliers de Bari pour augmenter le tarif de transport des tonneaux vides afin que les marchands de vin trouvent plus faciles de les brûler après usage plutôt que de les renvoyer, est la même chose que de demander aux tonneliers de n’envoyer que 10 tonneaux sur 100 qu’ils fabriquent sur le marché et de détruire les 90 autres avant qu’ils ne soient utilisés.
Est-il possible de faire cela ? Bien sûr que non, et pourtant la structure actuelle de la société est si absurde que cela rendrait bénéfique une telle mesure.
Quand des gens meurent de faim parce qu’il y a trop de choses ou parce que c’est trop facile de le produire ou parce que c’est trop durable, la destruction peut apparaître et bizarrement être plus utile que la production. Un grand incendie ou un tremblement de terre peuvent être une aubaine, amenant du travail et du pain aux sans emplois. [NdT: à noter que toutes les grandes crises modernes se sont “résolues” au sein du système par de non moins grandes guerres, détruisant beaucoup et tuant des millions de gens. Guerre et reconstruction sont faites par les mêmes entités qui profitent de tout et les banques qui les financent plus encore, le contrôle est mis d’amont en aval de toute crise, le plus souvent planifiée, rien ou si peu n’arrive par hasard…]
Mais la destruction de richesse n’est pas la manière dont les travailleurs pourront s’émanciper. Et par bonheur, le temps est passé, du moins dans les pays les plus avancés, durant lequel les ouvriers pensaient pouvoir arrêter le progrès et mettre autant d’énergie à briser les machines que cela aurait demander pour les contrôler.
Nous ne devons pas nous battre contre le progrès, mais au contraire le diriger pour qu’il profite vraiment à tout le monde.
Pour que cela se produise, il faut que les travailleurs prennent possession du capital, de toute la richesse sociale de façon à ce que ce soit dans leur intérêt de voir une abondance de produits et une production demandant le moins d’effort possible.
Voilà pourquoi il est nécessaire de faire une révolution [sociale]
L’organisation du travail, les syndicats, les grèves et toute sorte de résistance peuvent à un certain point de l’évolution capitaliste améliorer les conditions de travail et de vie des travailleurs ou empêcher que ces conditions ne se détériorent ; elles peuvent bien servir à entraîner les travailleurs à la lutte ; ils sont toujours en de bonnes mains, un bon moyen de promotion des idées ; mais ils sont sans espoir et impuissants à résoudre la question sociale. Tout cela doit donc être utilisé de façon à aider à préparer les esprits et le muscle pour la révolution, pour l’expropriation.
Quiconque ne voit pas et ne comprend pas cela en est réduit à aller mendier devant les préfets… et d’en être la risée.
= = =
Lecture complémentaire : Nous conseillons tout particulièrement cette compilation d’écrits de Malatesta qui sont d’une justesse et d’une actualité (hélas !) sans bornes…
Errico Malatesta, écrits choisis
Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)
Comprendre et transformer sa réalité, le texte:
Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »
+
4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:
Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être
Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche
Manifeste pour la Société des Sociétés
Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie
1ère action directe : dire NON !
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