Archive pour chiapas bon gouvernement

Une communauté en armes, les racines indigènes de l’EZLN, Chiapas, Mexique (Tikva Honig-Parnass)

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, documentaire, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , on 2 avril 2023 by Résistance 71

EZLN_autodefense1
SCI Marcos & Moisès

La première déclaration zapatiste de la forêt de Lacandon (1994)

Au peuple du Mexique et du monde,

Nous sommes le produit d’une lutte de 500 ans, d’abord contre la mise en esclavage, puis durant la guerre d’indépendance contre l’Espagne menée par des insurgés, puis pour éviter d’être absorbés par l’impérialisme nord-américain, puis pour promulguer notre constitution et expulser l’empire français de notre sol ; et plus tard, la dictature de Porfirio Diaz nous refusa la juste application des lois de réforme et le peuple se rebella, des leaders comme Villa et Zapata émergèrent, des hommes pauvres, tout comme nous. On nous a refusé la plus élémentaire des préparations afin qu’ils puissent nous utiliser comme chair à canon et pour piller la richesse de notre pays. Ils se moquent que nous n’ayons rien, absolument rien, pas même un toit au dessus de nos têtes, pas de terre, pas de travail, pas d’attention sanitaire, pas de nourriture, pas d’éducation. Nous ne pouvons pas non plus élire librement et démocratiquement nos représentants politiques, il n’y a pas non plus d’indépendance des étrangers, ni n’y a t’il de paix ou de justice pour nous et nos enfants.
Mais aujourd’hui, nous disons ASSEZ EST ASSEZ ! (¡Ya Basta!)
Nous sommes les héritiers des véritables bâtisseurs de notre nation. Nous, les dépossédés, sommes des millions et nous en appelons à nos frères et sœurs de nous rejoindre dans la lutte car c’est la seule voie pour que nous ne mourions pas de faim à cause de l’ambition insatiable d’une dictature de 70 ans emmenée par une clique de traîtres qui représente les groupes les plus conservateurs et les plus vendus […]
(Traduction Résistance 71)

“La fondation réelle du Mexique est : Mazahuan, Amuzgan, Tiapanecan, Nahuatlan, Coran, Huichol, Yaqui, Mayan, Tarahumaran, Mixtec, Zapotecan, Chontal, Seri, Triques, Kumiain, Cucapan, Paipain, Cochimian, Kiliwan, Tequistlatecan, Pame, Chichimecan, Otomi, Mazatecan, Matlatzincan, Ocuiltecan, Popolocan, Ixcatecan, Chocho-Popolocan, Cuicatec, Chatino, Chinantec, Huave, Papagan, Pima, Repehuan, Guardian, Hasten, Chum, Jalaltec, Mixe, Zoquean, Totonacan, Kilipuan, Purepechan, Oodham, Tzotzil, Tzeltal, Tojolabal, Chol, Mam, la base profonde du Mexique est indigène… mais pour le reste du pays, cela ne compte pas, ne produit pas, n’achète ni ne vend, c’est à dire donc, n’existe pas…”
~ Subcomandante Marcos, 1994 ~

CREATOR: gd-jpeg v1.0 (using IJG JPEG v62), quality = 88

Un peuple qui dirige et un gouvernement qui obéit !

Ci-dessous, la meilleure analyse exogène au mouvement zapatiste du Chiapas et extensions latino-américaines qu’il nous ait été donnée de lire, ce fut aussi un véritable plaisir que de la traduire. Tout y est, jusqu’à l’historique du mouvement de l’EZLN dans la décennie qui a précédé le soulèvement du 1er janvier 1994, ce qui est du jamais vu. Complet, instructif et inspirant pour tout mouvement (r)évolutionnaire contemporain. A lire et diffuser sans aucune modération, version PDF à suivre…
Nous sommes tous, de fait, des Zapatistes en esprit, qui devons nous adapter à nos réalités d’oppression culturellement et socialement induites et différentes dans la pratique !.. Mais pour tous les peuples de la terre, le temps est venu de clamer ce que font les Zapatistes depuis 30 ans avec grand succès : ¡Ya Basta! Assez est assez ! En joignant enfin l’action à la parole.
~ Résistance 71 ~

chiapas_autodefense2

Une communauté en armes, les racines indigènes de l’EZLN

Tikva Honig-Parnass*

2019

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Avril 2023

1ère partie

2ème partie

(*) Née et élevée dans une famille ultra-sioniste dans la pré-Palestine de 1948, elle fut secrétaire du parti de gauche Mapam (parti unifié des travailleurs) et membre du parlement de la Knesset entre 1951 et 1954. Elle rompt définitivement avec le sionisme en 1960 et devient activiste politique et écrivain pro-palestinienne. Elle travaille avec le mouvement Matzpen et publie plusieurs livres dont “Between the Lines” (2007), titre homonyme de la revue qu’elle a créée avec le Palestinien Toufik Haddad.

-[]-

Le 1er janvier 1994, plusieurs milliers de personnes du peuple indigène Maya, organisés sous l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (AZLN ou EZLN pour Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional), se soulevèrent au Chiapas dans le sud du Mexique, l’état le plus pauvre de la fédération et prirent le monde par surprise. Ils étaient membres des quelques 21 groupes ethniques qui occupaient la région de la forêt de Lacandon près de la frontière du Guatemala. Leurs armes se limitaient à des fusils, et quelques rebelles n’en portaient que des répliques en bois. Ils saisirent les bureaux du gouvernement et occupèrent des milliers d’hectares de terres privées tout en prenant un bref contrôle de la capitale du Chiapas San Cristobal de Las Casas et six autres villes de l’état.

Après 12 jours de confrontation armée avec l’armée mexicaine, la rébellion fut contenue. Le président Salinas avait compris qu’il ne pouvait pas simplement écraser les Zapatistes. L’énorme mobilisation mexicaine et globale forcèrent le gouvernement à déclarer un cessez-le-feu unilatéral et de choisir un autre mode d’action, celui d’un faux dialogue politique tout en continuant la guerre sous d’autres formes : attaques fréquentes, massacres et dépossessions.

De son côté, l’EZLN fut d’accord. Une fois parvenue au but du soulèvement, faisant entendre la voix indigène, ils déposèrent les armes et entrèrent dans de soi-disants “pourparlers de paix” suggérés par le gouvernement mexicain, tout en continuant à construire le système socio-politique horizontal et non-hiérarchique du Chiapas.

Le subcomandante Marcos élabora sur le but du soulèvement disant qu’il était “le bris du silence délibéré sur le sud global, qui n’a jamais été entendu et a été ignoré.” De fait,”Plus jamais un Mexique sans nous !” Est un des slogans marquant l’essence idéologique de l’EZLN. Le peuple indigène du Chiapas était inconnu, sans importance et oublié de tous, abandonné à la famine et la maladie afin d’en finir avec lui. Voilà pourquoi le soulèvement zapatiste de 1994 est souvent référé comme étant “la guerre contre l’oubli”.

“Cet oubli n’a jamais été et n’est toujours pas un accident.”, dit Marcos ; “c’est un produit délibéré du racisme et du colonialisme, à la fois interne et externe, qui dévalue la vie et la souffrance des peuples du sud global, à un tel point que ces peuples finissent par ne plus exister pour le reste du monde.Le but n’était en aucun cas de saisir le pouvoir d’état :On ne peut pas imposer un système politique par la force. Le système politique ne peut pas être le produit de la guerre. La guerre doit toujours être une ouverture dans l’espace politique afin que les gens aient véritablement un choix.

Afin de mettre le court-terme du soulèvement dans le contexte de la lutte continue pour l’autonomie et la démocratie d’en bas, cet essai va se focaliser sur l’histoire de la résistance militante des communautés indigènes avant leur rencontre avec l’EZLN. Puis sur le processus de sa création comme bras armé militaire des communautés du Chiapas, qui ont toujours maintenu un rôle dominant en partageant avec l’EZLN le projet de construction d’un Chiapas autonome. Comme dit auparavant, le soulèvement de 1994 s’est déroulé au sein même du développement de ce projet, qui a continué toujours plus avant jusqu’à aujourd’hui. (NdT : ce texte est écrit en 2019, c’est à dire 25 ans plus tard…)

Indigenous-Resistance

La fondation de l’AZLN/EZLN

L’EZLN fut officiellement fondée le 17 novembre 1983, le jour où un petit groupe d’hommes et de femmes, trois indigènes et trois métis (mestizos), arrivèrent dans les montagnes de la jungle de Lacandon au Chiapas. Ils représentaient un groupe, certains d’entre eux avaient été auparavant membres des Fuerzas de Liberation Nacional (FLN ou Forces de Libération Nationale), une organisation de guérilla fondée en 1969. Ses statuts de 1980 la décrivent comme une “organisation politico-militaire marxiste-léniniste dont le but est la prise du pouvoir politique par les travailleurs afin de mettre en place une république populaire et un système socialiste.” L’EZLN est née des FLN et était originellement planifiée pour être l’aile armée de cette organisation clandestine qui, a la fin des années 70, était une des dernières factions de guérilla marxiste demeurant.

Marcos s’assura de bien faire la distinction entre l’EZLN et les autres mouvements de guérilla marxiste qui voulaient se saisir du pouvoir politique d’état. “Lorsqu’on lui demandait “avez-vous retenu quelques leçons de la révolution cubaine ?”, Marcos répondait : “Je ne sais pas si vous pouvez appeler cela des leçons, parce que nous n’avons pas pris la révolution cubaine comme cadre de référence. Mais nous avons appris que vous ne pouvez pas imposer des formes politiques aux gens parce que tôt ou tard, vous finirez par faire ce que vos critiquez et combattez. Vous critiquez un régime totalitaire et vous en proposez un autre. Vous ne pouvez pas imposer un système politique par la force.

Faisant remarquer la différence essentielle entre “les mouvements de guérilla des années 1950, 60 et 70 et ceux d’aujourd’hui,” insiste t’il : “Avant ils disaient : débarrassons-nous de ce système de gouvernement et mettons en place cet autre système.” Nous disons : “Non, le système politique ne peut pas être produit par la guerre. La guerre ne devrait qu’ouvrir des espaces de l’arène politique de façon à ce que les gens puissent faire un véritable choix.

Devenir une “communauté en armes”

Marcos argumente correctement que quelles qu’aient été les théories et inclinaisons politiques des FLN, la véritable question est : Quel fut le processus qui mena à la fusion de la nouvelle EZLN avec la communauté indigène ? La véritable question alors devient leur transformation d’un groupe de guérilla en “une communauté en armes”.

L’EZLN a très vite compris qu’aucune des théories et stratégies existantes affirmées par les différents modèles d’organisations de guérilla marxistes ne s’appliqueraient aux conditions rencontrées au Chiapas. De fait, le contact de l’EZLN avec les communautés indigènes mena à une sorte de conversion du groupe original, un processus que Marcos décrit comme suit :

Nous avons véritablement souffert dans un processus de rééducation, de re-stylisation. Comme s’ils nous avaient désarmé, comme s’ils avaient démantelé ce dont nous étions faits, marxisme, léninisme, socialisme, culture urbaine, poésie, littérature, tout ce qui formait une partie de nous et même des trucs que nous ne savions pas que nous avions… Ils nous ont désarmé et nous ont réarmé, mais d’une manière différente. Et ceci fut la seule manière de survivre… le travail que le noyau guérilla des FLN a développé au Chiapas ne pouvait mûrir et devenir l’EZLN qu’au travers d’une cosmovision et d’une tradition de résistance des différents groupes indigènes.

-[]-

NdR71 : C’est à notre sens la grande différence entre Marcos et ses compañeros, compañeras du Chiapas et le Che en Bolivie. Le Che a échoué parce qu’il n’a pas compris que son approche était totalement inefficace dans la zone rurale bolivienne également composée de peuples indigènes imperméables au marxisme et autre forme de “-isme”. La grande intelligence politique de Marcos et de ses compadres est de l’avoir compris très vite, de l’avoir accepté (ce qui est le plus important) et de là, avoir été capables de s’adapter. Nous avons toujours eu ce ressenti, mais pour la première fois, nous mettons enfin le doigt dessus…

-[]-

Se retrouvant sans doctrine politique pouvant désigner des buts exacts pour ce qu’ils aspiraient être une “révolution”, un plan de mobilisation des communautés indigènes pour les soutenir faisant défaut, tout cela augmenta l’humilité de l’EZLN devant la très riche tradition de résistance indigène qui leur était transmise. (NdT : fascinant !…)

Marcos est cité pour avoir dit : “Je pense que notre seule véritable vertu en tant que théoriciens, fut d’avoir l’humilité de reconnaître que notre cadre, notre schéma théorique ne fonctionnait pas, qu’il était extrêmement limité, étriqué et que nous devions nous adapter à la réalité qui s’imposait à nous.” (NdT : Superbe ! On reconnaît là aussi l’influence certaine de Paulo Freire et de sa pédagogie critique…) Avec le temps, quoi qu’il en soit, leur “humilité” se développa en des notions centrales de l’organisation sociale zapatiste : “Diriger en obéissant (mandat obedeciendo) et “Nous marchons en posant des questions” (preguntando caminamos). Par définition, ces stratégies excluent la possibilité de pré-définir un chemin ou le point d’arrivée.

Dans une lettre écrite en 1995, Marcos explique les nombreux changements auxquels l’EZLN s’est livrée : “Nous n’avons rien proposé. La seule chose que nous avons proposée de faire fut de changer de monde tout le reste fut de l’improvisation.”. Mais, comme le dit John Holloway citant Marcos : “Nous avons du nous adapter à la nouvelle réalité qui s’imposait à nous… Mais le résultat ne fut pas que la réalité s’imposa sur la théorie, comme l’argumente certains, mais que la confrontation avec la réalité souleva toute une nouvelle théorisation immense et riche de la pratique révolutionnaire.” (NdT : et le sublime continue…)

Après le premier campement, la nouvellement créée EZLN prit graduellement contact avec les communautés locales, initialement au travers des familles. Puis, à partir d’environ 1985, de plus en plus de communautés recherchèrent l’aide des Zapatistes pour se défendre de la police ou des “gardes blancs” armés des paysans. Un toujours plus grand nombre de personnes rejoignit l’aile militaire de l’EZLN, à plein temps, ou formèrent une milice à temps partiel.

Dans le même temps, le reste de la communauté fournissait du matériel de soutien aux insurgés. Les membres de l’EZLN recevaient quotidiennement de la nourriture, de l’aide et de l’information de leurs familles et amis, qui continuaient jour après jour à cultiver la terre, à chasser, à cueillir et récolter, continuèrent le travail artisanal et occasionnellement salarié par lesquels les communautés survivaient et devinrent pas à pas des communautés zapatistes.

peuples_en_armes1

Inspirés par les traditions et le militantisme indigènes

La révolution mexicaine (1910-1917), emmenée par Emiliano Zapata, a servi de puissante inspiration à l’EZLN et aux communautés indigènes du Mexique, ainsi que pour d’autres mouvements similaires en Amérique latine : “Nous sommes le produit de 500 ans de lutte… mais aujourd’hui, nous disons haut et fort ¡Ya Basta! Assez est assez !”, a annoncé le tout premier communiqué de l’EZLN. Ainsi, l’EZLN insistait sur la continuité des luttes inter-reliées pour la redistribution des terres, de la propriété communale et pour une démocratisation radicale du système politique.

L’EZLN tira particulièrement des traditions d’auto-organisation des communautés du Chiapas, de leur lutte continuelle contre la dépossession et l’oppression durant les vingt années qui précédèrent l’arrivée des membres de l’EZLN en 1983.

Dans les années 60 et 70, les syndicats paysans et autres organisations populaires ont reçu le soutien d’activités de liaison du diocèse catholique sous la direction de l’évêque Samuel Ruiz et autres cathéchistes catholiques informés des concepts de a théologie de la libération.. Ces efforts extensifs depuis la base culminèrent en 1974 avec le Premier Conseil Indigène.

En adéquation avec son approche basée sur la communauté, l’église a vu le congrès comme un moyen de donner une voix aux communautés indigènes, les encourageant à sélectionner leurs délégués et à conceptualiser les problèmes auxquels elles étaient confrontées. Ces préoccupations incluaient l’invasion des grandes propriétés du bétail sur la terre communale, la corruption des fonctionnaires du gouvernement et leur implication directe avec les grands propriétaires terriens ainsi que l’absence de droits du travail pour les ouvriers de plantations ainsi que la rareté de la nourriture, de l’éducation et des services de santé.

Le congrès de 1974 et les organisations de résistance apparues au Chiapas peu de temps après, ont reflété le haut niveau de conscience politique et de militantisme des communautés indigènes avant l’arrivée des Zapatistes. Comme l’a bien montré Judith Adler Hellman, ces organisations “ont clairement démontré la capacité des peuples indigènes de se rassembler au-delà des lignes ethniques et linguistiques et de non seulement comprendre, mais aussi d’exprimer leurs insatisfactions.

Ce fut la dislocation de masse de communautés entières qui ouvrit la voie des communautés du Chiapas à leur soutien pour l’EZLN. Devant faire face à de constantes pressions sur la réforme des terres, mais ne voulant pas couper le pouvoir des élites rurales locales, le gouvernement a ouvert les forêts non cultivées à la colonisation. Ainsi, des immigrants d’endroits variés du Chiapas et d’ailleurs au Mexique ont défriché des parcelles entières pour les saisir et les coloniser, créant de nouvelles communautés au détriment de la forêt et des peuples locaux.

Mais ces terres n’étaient pas bonnes pour être cultivées. Ainsi, H.M Cleaver note “ce fut souvent dans ces nouvelles zones et nouvelles communautés de paysans sans terre, que l’auto-organisation paysanne et la sympathie pour le mouvement zapatiste se sont développées à la fin des années 80 et début des années 90.

La décennie pré-94 d’organisation indigène

Durant les dix ans d’avant le soulèvement, une relation unique entre l’EZLN et les communautés indigènes s’est graduellement établie. Le slogan “Diriger en obéissant” mis en pratique montrait la véritable nature de la relation, une dans laquelle les communautés indigènes jouaient réellement un rôle majeur et directeur.

Les Zapatistes affirmaient à juste titre que l’EZN différait en cela des mouvements de guérilla classiques (marxistes), qui voyaient les groupes indigènes être militarisés et organisés par des groupes exogènes et dont le but étaient de les mobiliser en une insurrection militaire afin de saisir le pouvoir d’état. Cleaver, qui connaissait déjà très bien le Chiapas en 1994, insista sur le fait que faire le portrait des groupes indigènes comme des victimes qui ont été monopolisés est faux : “Cette distinction très importante a été répétée encore et encore par les Zapatistes de l’EZLN.”, ajouta t’il.

L’EZLN, dans ses méthodes sociales et politiques, a été complètement différente de celles de Che Guevara, qu’ils ont néanmoins adoré comme symbole d’héroïsme et de bravoure, adoration partagée avec une vaste majorité de peuples latino-américains : “Che est parti en Bolivie et est resté isolé jusqu’à son assassinat. Marcos, d’un autre côté, est venu au Chiapas, fut absorbé par les communautés indigènes locales et fut recréé comme porte-parole et intermédiaire avec le monde.

Le commandement suprême de l’EZLN était composé de membres élus qui reflétaient le spectre total de toutes les couleurs des communautés et des ethnies ; il s’est transformé en bras militaire des communautés indigènes : “Diriger en obéissant” (mandar obedeciendo)

Marco rejette l’idée que l’EZLN commença à s’organiser pour la lutte armée dès le moment de leur premier campement au Chiapas. Il insiste sur le fait que la communauté a défini leur rôle comme étant celui d’autodéfense, c’est à dire de la protection des peuples Mayas contre les ranchers, proprios de bétail et leurs forces de “sécurité” armées : “Quand nous sommes arrivés ici, nous avons discuté du problème de la lutte armée et les peuples indigènes ont dit : ‘oui, nous devons prendre les armes pour nous défendre’. Ainsi nous avons commencé à nous entrainer dans les montagnes pour l’autodéfense et non pas pour l’attaque. C’est ainsi qu’est née l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (AZLN en français). Notre objectif d’entrainement dans les montagnes fut donc la protection des villageois.” Mais en même temps, “nous réunissions nos forces en silence et nous préparions bien militairement et politiquement pour quand viendra le bon moment de l’attaque.

Ceci se passa alors que l’oppression et la résistance augmentaient à travers le Mexique, mais spécifiquement au Chiapas. Entre 1989 et 1990, le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel), gouverneur du Chiapas s’embarquait dans une campagne de répression tout en s’appropriant simultanément les terres communales et les petites fermes pour les absorber dans de grandes propriétés agricoles.

Ce fut la catastrophique annulation de l’article 27 [de la constitution] qui amena la décision de prendre les armes. Le 7 novembre 1991, le président mexicain Carlos Salinas de Gortari proposa de manière formelle à la législature fédérale du Mexique que l’Article 27 de la constitution mexicaine soit effacé. La confirmation finale devait se faire le 1er janvier 1994. Cela voulait dire la fin du programme promis de distribution de terres et de droit de propriété communal. Cela garantissait aussi le retrait de toute barrière douanière et restrictions sur les investissements étrangers. (NdT : en adéquation avec l’entrée en vigueur des accords NAFTA, l’accord de libre-échange d’Amérique du Nord entre les USA, le Canada et le Mexique…)

Les entreprises multinationales pouvaient dès lors toujours plus s’incruster sur les terres auparavant données pour une agriculture de subsistance et de production alimentaire, les utilisant pour l’exportation de cultures à haute technologie (OGM). Dans le même temps, l’importation de nourriture bien meilleure marché des Etats-Unis, comme par exemple le maïs (NdT : aussi OGM, contrairement aux dizaines de variétés de maïs mexicains…), minimisa ce secteur d’activité. Maintenant, la production de pétrole était aussi ouverte aux entreprises étrangères. Cela aida à faire la voie d’un énorme transfert de masse de terres des communautés indigènes vers les entreprises multinationales.

Tout ceci faisait partie d’une restructuration radicale de l’économie mexicaine afin d’attirer des investissements étrangers et de sécuriser les accords commerciaux du NAFTA / ALEAN.

PF_pedagogie_liberation
Freire, inspiration Zapatista…

Les communautés zapatistes donnèrent l’ordre à leur armée d’agir dans un effort de survie afin de faire échouer ce qui semblait bien être une annihilation imminente. Comme confirmé par Marcos, ce furent les communautés indigènes qui poussèrent à l’insurrection armée, ce ne fut pas une décision de l’EZLN :

Les communautés indigènes m’ont demandé de commencer la guerre parce que j’étais alors en charge de la planification militaire. Je leur ai dit que nous ne pouvions pas le faire, que nous n’étions pas prêts. Je leur ai dit que nous avions besoin de temps, parce que notre entrainement n’était fondé que sur la défense, alors que maintenant elles voulaient que nous attaquions des villes. Alors je leur ai demandé plus de temps pour nous organiser différemment. En janvier 1993, elles m’ont dit qu’elles me donnaient un an pour arranger cela. ‘Si vous ne le faites pas dans un an, nous le ferons sans vous’, ont-elles fit. Elles m’ont dit que la date butoir ´´tait le 31 décembre 1993, cela devait être réalisable entre janvier et décembre. Donc, en 1993, nous avons du réajuster notre système militaire pour organiser l’offensive.”

La décision du soulèvement armé resta pratiquement secret jusqu’au 1er janvier 1994. Mais les trois ans menant à 1991 avaient déjà été utilisés par la communauté pour une augmentation de la résistance organisée. En 1991, les communautés indigènes du Mexique rejoignirent le mouvement latino-américain qui avait lancé de vastes manifestations pour commémorer les 500 ans de résistance depuis l’arrivée de Christophe Colomb sur le continent des Amériques.

Le 12 mars de cette année là, après une longue marche de deux semaines depuis leur cache de la jungle, le rallye / manifestation zapatiste rassembla quelques 100 000 supporteurs qui remplirent la place publique d’où le subcomandante Marcos proclama : “Nous sommes ici pour demander la démocratie, la liberté et la justice.” Les manifestations militantes et leurs sanglantes répressions continuèrent tout au long de l’année 1992.

En mars de cette année là, la répression violente d’une réunion d’organisations indigènes provoqua une marche longue de six semaines pour 400 personnes du Chiapas à Mexico City. En juillet, un groupe de femmes d’Ecatepec, sur la frontière occidentale du Chiapas, fit un sit-in de protestation dans le centre de Mexico City. Le 12 octobre, environ 10 000 indigènes marchèrent sur San Cristobal de Las Casas. D’autres manifestations au Chiapas furent brisées par des gangs armés. Les droits communaux furent ignorés et les leaders du mouvement interpelés et emprisonnés.

La proposition de commencer le soulèvement en janvier 1994 “fut passée par toutes les communautés”, dit Marcos. “On a demandé à tout le monde ce qu’ils en pensaient. Puis, il y eut un vote direct. Ce fut la même chose lorsque le gouvernement proposa un cessez-le-feu et commença les pourparlers de paix. Vous devez passer par chacune des communautés parce que ceux qui ont décidé d cela guerre doivent aussi décider de l’arrêter. Tous les ordures militaires émanent de cela.” précisa t’il.

Le soulèvement zapatiste du Chiapas eut lieu au sein d’une résistance militante dans tout le reste du Mexique. Le samedi qui suivit le soulèvement vit une foule de plus de 50 000 manifestants sur la place principale de Mexico City. Le jour anniversaire de l’assassinat du héros révolutionnaire Emiliano Zapata des foules encore plus importantes marchèrent dans la ville, attirant également des paysans et des organisations indigènes venant de tout le pays.

A suivre…

Lectures complémentaires :

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

DECF1
En lutte contre le terrorisme depuis 1492…

autodefense-populaire_chiapas3

3RI et Société des Sociétés… Du Chiapas zapatiste aux Gilets Jaunes en passant par le Rojava… Unification de la rébellion contre le système étatico-capitaliste

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 14 février 2019 by Résistance 71

“L’organisation [de l’EZLN] existe maintenant non pas parce que le gouvernement l’autorise, mais par notre lutte et notre organisation. Le gouvernement ne nous a jamais rien donné de bon. C’est le peuple qui décide. Nous existons parce que nous sommes. Ils ne peuvent pas nous faire disparaître.”
~ Cdt Abraham, Comité Révolutionnaire Indigène Clandestin ~

“Bien que nous ayons nos problèmes, les gens n’abandonnent jamais dans leur participation et nous avons déjà notre gouvernement de et par le peuple. Les comités de bon gouvernement sont attelés à la tâche de résoudre les problèmes, cela se fait petit à petit. Le peuple gère les comités, ceux-ci ne font en rien ce qu’ils veulent. Ici, c’est le peuple qui dirige.”
~ Lieutenante Insurgée Gabriela, santé publique ~

“En tant qu’armée zapatiste nous avons accepté le dialogue [avec le gouvernement mexicain] parce que c’est ce que le peuple nous a demandé de faire. Mais maintenant, tout cela est le passé, maintenant le peuple mexicain, indigène et non-indigène, comprend qu’on ne peut rien faire de positif avec le gouvernement. Le gouvernement et les riches qu’il sert ne vont pas juste continuer à nous exploiter: ils vont défendre leurs intérêts avec acharnement. Ils vont nous emprisonner, nous tuer, nous torturer, nous faire disparaître, parce que c’est leur façon de faire. Ils ont même essayé avec nous et nous sommes une armée organisée… Le problème est qu’il n’y a aucun gouvernement qui obéit au peuple, il n’y a que des gouvernements qui donnent des ordres, qui ne vous écoutent pas, qui ne vous respectent pas, qui pense que le peuple est incapable de réfléchir… Ainsi nous avons déjà une manière de mettre en pratique d’abord et d’ensuite de développer la théorie. C’est ainsi que ce fut fait après la trahison des partis politiques et du gouvernement mexicain qui refusèrent de reconnaître nos peuples, nous avons commencé à faire les choses par nous-mêmes. Dans la pratique nous avons commencé à mettre en place des communes autonomes, puis nous avons pensé à la manière de les relier entre elles en une association de communes libres et autonomes. Ceci constitua la base de ce qui est devenu plus tard les conseils de bon gouvernement [Juntas de Bueno Gobierno]… Nous avons mis en pratique une idée latente. Chaque municipalité a des problèmes différents. Il y en a qui progressent plus vite que d’autres, mais elles se sont unifiées et ont commencé à parler du comment résoudre les problèmes de chacune, ceci mena à la formation d’une nouvelle structure: les Comités de Bon Gouvernement.
Nous montrons au pays et au monde que nous pouvons avoir une bien meilleure vie et que tous peuvent le faire sans la participation des mauvais gouvernements des états… Pourquoi est-ce que les sociétés civiles du Mexique et d’ailleurs nous soutiennent ? Nous pensons que c’est parce qu’elles savent que nous ne faisons pas cela pour nous-mêmes. Nous disons simplement que les peuples peuvent parfaitement planifier leur vie et le comment ils veulent vivre ainsi que de la façon dont ils veulent être gouvernés.”
~ SCI Moisès ~

“Nous sommes les Zapatistes, les plus petits d’entre les petits, ceux qui couvrent leurs visages pour être vus, les morts qui meurent pour vivre ; et tout cela parce que le 1er janvier 1994 et avant cela dix ans plus tôt, le 17 novembre 1983*, dans les montagnes du sud-est mexicain, un petit groupe d’indigènes et de métis établirent un camp dans la jungle de Lacandon…”
~ SCI Marcos, 2003 ~

(*) note de R71: 17 novembre 1983, création de ce qui allait devenir l’EZLN zapatiste… 35 ans plus tard, jour pour jour, le 17 novembre 2018, lancement du mouvement des Gilets Jaunes.
Il y a quand même, de singulières coïncidences…
Les citations ci-dessus et ci-dessous sont traduites par nos soins.

 


Les assemblées des assemblées au quotidien

 

La Rébellion zapatiste

 

dimanche 3 février 2019, par Ernest London

Jérôme Baschet

 

La Rébellion zapatiste
Insurrection indienne et résistance planétaire

Flammarion, « Champs histoire », 2019

400 pages


3RI

Pour déjouer la logique médiatique qui réduit les réalités sociales et les rend incompréhensibles en concentrant les projecteurs sur un fait individuel, « ruse du spectacle ambiant qui s’efforce de neutraliser ses ennemis en les façonnant à son image », Jérôme Baschet entreprend avec cet ouvrage moins de revenir sur l’histoire du mouvement zapatiste depuis 1994 que de cerner la contribution de celui-ci à la « reconstruction d’une réflexion et d’une pratique critiques, à la fois radicales et rénovées » : 1994 représente un « anti-1989 », une dénonciation du mensonge de « la fin de l’histoire autoproclamée au profit du capitalisme triomphant », obligeant celle-ci à « reprendre sa marche ».

Il revient cependant aux origines pour donner rapidement quelques repères. Trois mouvements forment le terreau dans lequel va s’enraciner l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) : l’action pastorale de l’évêché de San Cristobal, inspirée de la théologie de la libération ; l’arrivée de militants politiques, maoïstes à partir de 1973, puis avec la Linea proletaria à partir de 1977 ; et le processus d’organisation autonome des communautés, surtout après 1983. L’EZLN est créée en 1969 à partir d’un groupe marxiste-léniniste (guévariste) qui va passer entre 1988 et 1989 de 80 à 1 300 combattants armés et beaucoup plus encore par la suite. L’élection frauduleuse de Carlos Salinas de Gortari en 1988, qui remit en cause l’article 27 de la Constitution concernant les acquis agraires de la Révolution mexicaine, fit certainement office de détonateur. Dans la nuit du 1er janvier 1994, le jour même de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), une armée indigène s’empare de quatre municipalités du Chiapas et proclame les lois révolutionnaires applicables sur les territoires libérés. Sous la pression des manifestations de soutien, le président décrète un cessez-le-feu le 12 janvier. La guerre se déplace alors sur le terrain de la parole, avec la publication de déclarations et de communiqués. Malgré les provocations du gouvernement, les attaques des groupes paramilitaires, les promesses non tenues, l’organisation des villages se développe sur un territoire grand comme la Bretagne, puis se structure avec la création, le 8  août 2003, de cinq conseils de bon gouvernement, chargés de coordonner l’action des communes autonomes.

Après ces trente pages qui relatent de façon dense et détaillée, les principaux événements jusqu’à aujourd’hui (rencontres, marches…), Jérôme Baschet analyse comment le zapatisme est une critique, un dépassement du guévarisme. Il raconte le processus de transformation d’un groupe d’avant-garde révolutionnaire en un mouvement indigène de résistance. L’EZLN est une guérilla qui s’est transformée en armée régulière en surmontant son extériorité avec la population paysanne, en passant d’une lutte politico-militaire à une lutte plus politique que militaire, en rupture avec la tradition latino-américaine. « Le zapatisme est la guérilla de la fin de la guérilla. »

Le zapatisme est également une critique du léninisme dans le sens où il refuse la prise du pouvoir, militaire comme électoral, mais construit une nouvelle forme de pouvoir politique par en bas, une organisation politique construite depuis la société elle-même, dans une logique d’autonomisation et d’auto-organisation. Même si l’origine marxiste du « cocktail zapatiste » n’est jamais niée, le zapatisme revendique le droit à l’indéfinition et apparaît comme « une critique en acte des expériences révolutionnaires du XXe siècle ».

Alors que l’étape néolibérale du capitalisme a subordonné les États aux puissances transnationales du marché et de l’argent, ne leur accordant plus qu’un rôle, cependant déterminant, dans le maintien de l’ordre, la répression, le contrôle social, la conformation des territoires et des populations aux nécessités de l’économie, les zapatistes en appellent à « une autre politique » « en bas et à gauche », notamment à partir de la Sixième Déclaration de la Selva Lacandona en 2005, caractérisée par l’auto-organisation et l’autogouvernement, comme alternative à la destruction néolibérale. Il s’agit de construire dès à présent d’autres mondes possibles, de lutter contre le néolibéralisme et pour l’humanité. Ils considèrent la guerre froide, qui a connu 149 conflits et entraîné 23 millions de morts, comme la troisième guerre mondiale et, par conséquent, l’extension du chaos néolibéral comme la quatrième, une guerre « totalement totale » qui détruit tout pour homologuer la planète au modèle américain, une guerre contre l’humanité. « La mondialisation est l’extension totalitaire de la logique de marché à tous les aspects de la vie. » On estime que 10 pour cent de la population mondiale, soit 600 millions, vivent confortablement et pourtant la misère et la pauvreté que connaît l’immense majorité ne suffit pas à faire naître la révolte. Ceux qui détiennent les capitaux en quantité suffisante pour peser sur le destin des grandes entreprises, des États et de la planète tout entière constituent une minorité qui frôle l’inexistence statistique.

Alors que les relations sociales propres au capitalisme « dépouillent l’homme de son essence d’homme » (G. Lukacs), les zapatistes veulent lui rendre sa dignité, synonyme de rébellion et de lutte, « notion relationnelle, nécessairement réflexive et symétrique : elle est regard sur soi dépourvu de honte, regard respectueux envers l’autre autant que regard respectueux de l’autre ».

La parole zapatiste est une arme qui pratique l’humour, l’autodérision et l’indéfinition. Jérôme Baschet, qui appuie beaucoup son étude sur l’analyse des discours et des communiqués, explore les métaphores les plus récurrentes :

L’hydre, qui suggère la plasticité du capitalisme, sa capacité à reformuler ses modes de domination et dont la dimension collective du mythe est souvent occultée (Hercule n’aurait pu vaincre sans l’aide de Iolaos).

La tempête, qui désigne la crise structurelle, confirmée par Immanuel Wallerstein par exemple, qui va accentuer les destructions écologique, sociale et humaine.

La brèche insiste sur l’idée d’une lutte qui se construit à partir d’actes minuscules, apparemment insignifiants, qui tentent de se rejoindre. La brèche permet de voir ce qu’il y a derrière le mur, d’imaginer ce qui n’existe pas encore, alimentant notre combat pour le fissurer.

La guerre n’est pas seulement à l’origine du système capitalisme, elle demeure son mode opératoire principal, une guerre contre tout ce qui empêche qu’un être humain se transforme en machine à produire et à acheter : la dignité, la solidarité, la résistance, les manières de vivre et les savoirs qui impliquent une capacité d’organisation collective sont systématiquement détruits, au profit de l’avancée du « front de la marchandisation ».

L’auteur définit « le soulèvement du 1er janvier 1994 comme une révolte de la mémoire, une rébellion contre l’oubli ». Les références fréquentes aux événements majeurs de l’histoire mexicaine, plus encore que l’évocation générique des « cinq cents ans de luttes indigènes », légitiment les prises de position et les inscrivent dans une histoire répétitive qui souligne la permanence de l’oppression et des inégalités sociales, tout en précisant que cette conception cyclique du temps historique considère les répétitions comme « égales mais différentes », affirmant des ruptures dans la continuité. Cette « arme de la mémoire » développe une conscience historique du passé et une perspective nouvelle du futur contre l’idéal d’immédiateté et d’instantanéité imposé aux individus par les lois exacerbées de la rentabilité. À l’accusation d’être des « professionnels de la violence », les zapatistes répondent se définir comme des « professionnels de l’espérance ». Il s’agit de « regarder en arrière pour pouvoir cheminer vers l’avant ». « Rejeter le règne de l’aujourd’hui néolibéral suppose une conscience historique du passé, indispensable pour briser l’illusion de la fin de l’histoire et rouvrir la perspective d’un avenir qui ne soit pas une répétition du présent. »

À l’accélération caractéristique de la temporalité capitaliste, les zapatistes opposent et revendiquent la lenteur, la lenteur de l’escargot. Ils invitent à « cheminer en posant des questions » (caminar preguntando).

En réponse à l’idéologie indigéniste qui voudrait que le Mexique ne soit plus composé que de métis, ils revendiquent un autre modèle d’intégration, fondé sur le respect de leurs différences et de leurs spécificités. Ils promeuvent « une conception ouverte de l’ethnicité, toujours articulée à la dimension sociale et englobée dans une perspective plus vaste qui associe indigènes et non-indigènes ». L’autonomie zapatiste n’est ni un projet indépendantiste ni un idéal autarcique mais une rupture avec le centralisme de l’État dans un contexte de lutte nationale qui vise « l’autonomisation de la société civile dans son ensemble ». C’est « l’autogouvernement de la société l’emportant sur la logique du pouvoir d’État ». L’articulation du local, du national et de l’international s’effectue de telle sorte qu’aucun des trois ne puisse être compris hors de sa relation avec les deux autres.

La destruction des lieux, technique utilisée depuis la Conquête, théorisée par Machiavel, prolifère avec la globalisation néolibérale qui « atomise les forces de travail pour garantir un faible coût de la main-d’œuvre, diviser les peuples et concentrer leur attention sur des leurres, afin de mieux assurer l’unification marchande du monde ». L’autonomisation universaliste proposée par les zapatistes, articule le local avec le « souci du monde », revendique « la singularité des lieux et des expériences humaines en même temps qu’un internationalisme qui se moque des frontières et se préoccupe du destin commun de l’humanité ». Cependant l’universalisme abstrait des Lumières (« universalisme de l’Un ») est critiqué, opposé à un « universalisme des multiplicités ».

Dans une postface de 2019 à cet ouvrage initialement paru en 2002, l’auteur développe les principes de l’autonomie, déployée surtout à partir de 2004 avec l’instauration des cinq conseils de bon gouvernement, et qu’il considère comme « l’une des utopies réelles les plus remarquables et les plus radicales » :

● L’ancrage collectif assumé de la communauté.

● La résistance aux réformes néolibérales et la défense des territoires contre les grands projets (miniers, touristiques, énergétiques).

● Les efforts pour éviter le recours à l’argent. Les charges (santé, éducation, justice, assemblée) sont assurées bénévolement contre l’engagement de la collectivité de subvenir aux besoins matériels de ceux qui les occupent ou de cultiver à leur place leurs parcelles.

● L’éthique du bien vivre qui échappe aux injonctions productivistes.

● La lutte des femmes et la transformation des relations de genre.

● Une justice arbitrale de médiation plutôt qu’une justice punitive, dans le but de « restaurer la possibilité d’une vie collective pacifiée ».

● La déspécialisation des tâches politiques caractérisée par le mandar obedeciendo (« gouverner en obéissant ») qui articule l’organisation politique.

● Des décisions prises autant que possible par recherche de consensus et après discussions et analyses par les communautés.

● La critique des fondements de l’État moderne qui produit « l’absence du peuple, afin d’accroître sa soumission à des normes de vie hétéronomes qui, aujourd’hui, sont celles du monde de l’Économie ».

● L’absence de modèle préalable et figé, et le souci du caminar preguntando (« avancer en posant des questions ») et du buscar el modo (« chercher la manière »), relation particulière entre la théorie et la pratique.

Loin de se contenter de la superficialité d’une imagerie folklorique habituellement médiatisée, Jérôme Baschet dissèque minutieusement les discours pour comprendre dans toute sa complexité la pensée zapatiste, dans son « dépassement des oppositions classiques, à travers l’affirmation d’appartenances emboîtées et articulées entre elles ». Cet ouvrage est certainement le plus complet et le plus intéressant existant sur le zapatisme. Il propose l’analyse la plus approfondie sur un mouvement qui ne peut que continuer à être une source d’inspiration.

Ernest London,

le bibliothécaire-armurier

Bibliothèque Fahrenheit 451

1er février 2019.

= = =

“Planter l’arbre de demain, voilà ce que nous voulons…
L’arbre de demain est un espace où tout le monde se trouve, où l’autre connaît et respecte les autres “autre” et où la fausse lumière perd sa dernière bataille. Si vous me le demandez plus précisément, je vous dirai que c’est un endroit ayant la démocratie, la liberté et la justice, voilà l’arbre de demain.”
~ SCI Marcos, 1999 ~

Conférence de Jérôme Baschet à Montpellier sur le Chiapas zapatiste, mai 2017:

Vidéo, durée, 54 minutes

Le PDF du texte réalisé par Jo de JBL160:

3ri-et-societe-des-societes-du-chiapas-zapatistes-aux-gilets-jaunes-en-passant-par-le-rojava-fevrier-2019

 

Lectures complémentaires:

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Pierre_Bance_Lheure_de_la_commune_des_communes_a_sonne

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

Ricardo_Flores_Magon_Textes_Choisis_1910-1916

James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Manifeste pour la Société des Sociétés

David Graber Fragments Anthropologiques pour Changer l’histoire de l’humanité

40ans_Hommage_Pierre_Clastres

6ème_déclaration_forêt.lacandon

Appel au Socialisme Gustav Landauer

 

Résistance au colonialisme: EZLN un message de la nuit de 500 ans…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, guerres hégémoniques, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, police politique et totalitarisme, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , on 8 janvier 2016 by Résistance 71

Message du SCI Marcos

 

Traduit de l’espagnol par Résistance 71

 

Al Pueblo de Mexico

A los pueblos y gobiernos del mundo:

Hermanos,

Nosotros nacimos de la noche

En ella vivimos

Y moriremos en ella

Pero la luz será mañana para los más

Para todos aquellos que hoy lloran la noche

Para quienes se niega el día

Para todos la luz

Para todos todos

Nuestra lucha es por hacernos escuchar

Y el mal gobierno grita soberbia

Y tapa con cañones sus oídos

Nuestra lucha es por un trabajo justo y digno

Y el mal gobierno compra y vende cuerpos y vergüenzas

Nuestra lucha es por la vida

Y el mal gobierno oferta muerte como futuro

Nuestra lucha es por la justicia

Y el mal gobierno 
se llena de criminales y asesinos

Nuestra lucha es por la paz

Y le mal gobierno anuncia guerra y destrucción

Techo tierra trabajo pan salud educación
,

Independencia democracia libertad

Están fueron nuestras demandas

En la larga noche de los 500 años

Estas son hoy nuestras exigencia.

= = =

Au peuple du Mexique

Aux peuples et gouvernements du monde:

 

Frères,

Nous sommes nés de la nuit

Nous vivons en elle

Et nous mourrons en elle

Mais la lumière sera demain pour plus

Pour tous ceux qui aujourd’hui pleurent dans la nuit

Pour ceux à qui le jour refuse

Pour tous la lumière

Pour tous tous

Notre lutte est pour nous faire écouter

Et le mauvais gouvernement crie son arrogance

Et il couvre ses oreilles (du bruit) des canons

Notre lutte est pour un travail juste et digne

Et le mauvais gouvernement achète et vends des corps et des parties honteuses

Notre lutte est pour la vie

Et le mauvais gouvernement offre la mort comme futur

Notre lutte est pour la justice

Et le mauvais gouvernement se comble de criminels et d’assassins

Notre lutte est pour la paix

Et le mauvais gouvernement annonce la guerre et la destruction

Logement, terre, travail, pain, santé, éducation,

Indépendance, démocratie, liberté

Furent nos requêtes

Dans la grande nuit de 500 ans

Elles sont aujourd’hui nos exigences

= = =

Vidéo sur une musique de Manu Chao (que nous mettons en section commentaire egalement):

http://www.youtube.com/watch?v=wcJCD5OZDDQ

 

Résistance politique: Un exemple de société autogérée, non pyramidale, non coercitive: Le Chiapas (Mexique) depuis 1994…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 6 Mai 2014 by Résistance 71

“Nous montrons au pays (Le Mexique) et au monde, que pour être capable de développer une bien meilleure vie, vous pouvez parfaitement le faire sans la participation aucune du mauvais gouvernement (l’État). Le progrès en éducation, santé, commerce, sont des projets que nous abordons et menons avec une société civile nationale et internationale, parce qu’ensemble nous construisons ce que nous pensons être bon pour le peuple. Pourquoi le peuple mexicain et les autres peuples d’autres pays nous soutiennent-ils ? Nous pensons que c’est parce qu’ils voient bien que rien de ce que nous faisons est seulement à cause de nous, pour nous. Nous disons simplement que tout le monde peut planifier et décider comment leur économie et leur gouvernement devraient être et nous travaillons dans la pratique à cette forme de gouvernement.”

-o-o- Subcomandante Moisés, EZLN, 2004 –o-o-

 

Rebeldia Zapatista la parole de l’EZLN

 

Subcomandante Insurgente Moisés

 

Mexique, Avril 2014, 20ème année de la guerre contre l’oubli

 

url de l’article:

http://bsnorrell.blogspot.com/2014/05/rebeldia-zapatista-word-of-ezln.html

 

article original en espagnol:

http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2014/04/24/editorial-2-rebeldia-zapatista-la-palabra-del-ezln/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Compañeras et compañeros de la sixième (declaration) et de la petite école zapatiste:

Nous continuons ici de rapporter les paroles des compañeras et compañeros, des familles, des gardiens et des enseignants sur la façon dont ils ont vu et évalué leurs élèves de la petite école. Comme ils disent ici dans ces terres rebelles, il n’y a pas de répis, on doit continuer à travailler dur.

Nous mentionnons ceci parce qu’il y a toujours plus de travail qui arrive avec les compañeras et compañeros du Congrès National Indigène (CNI). Donc vous voyez bien, c’est vrai… Pas de répis. Et même lorsqu’il y a une coupure dans ces tâches, le temps est utilisé pour travailler à soutenir les familles, mais aussi pour penser, pour étudier et à faire de nouveaux plans pour la lutte.

Ceci est important du simple fait que les capitalistes néolibéraux ne prennent pas de repos non plus et pensent toujours au comment étendre leur domination à l’infini.

Comme le dirent si bien les Compañeras et compañeros dans un des “partages” que nous avons eu ici: en juste 19 ans, nous avons mis à la poubelle le mauvais système de 520 ans d’âge de domination et nous tenons maintenant notre proppre liberté et notre propre démocratie entre nos mains et nous ne sommes juste que quelques milliers d’hommes et de femmes qui gouvernons nos propres communautés, imaginez si nous nous organisions avec quelques autres millions de personnes dans les campagnes et dans les villes.

Comme ces mêmes compañeras et compañeros le disent, ceci est grâce au fait que nous nous sommes organisés et avons compris ce que la dignité et la résistance veulent véritablement dire. Nous ne nous résignons plus aux miettes, aux dons, aux pitances qui nous étaient jetés au fur et à mesure des déceptions et des mensonges du mauvais gouvernement.

Comme le disent les zapatistes, nos arrières arrières grand-parents, nos arrières grands-parents, nos grand-parents, n’ont jamais rien reçu à manger. Bien au contraire, ce qu’ils produisaient leur était enlevé et on leur laissait des miettes afin qu’ils puissent retourner au travail le lendemain pour leur propriétaire terrien. C’est comme cela qu’ils ont vécu: exploités par le patron et le mauvais gouvernement. Pourquoi penserions-nous que le mauvais gouvernement soit diférent aujourd’hui ? Qu’il serait bon alors qu’il est constitué des arrières arrières petits-enfants des mêmes exploiteurs et qui sont les plus corrompus de notre temps ?

C’est pourquoi les nouveaux patrons sont étrangers, enfin si nous les laissons faire, si nous les pauvres hommes et femmes de la campagne et de la ville nous résignons à cela.

Il est grand temps pour les pauvres des campagnes et des villes de s’auto-organiser, temps pour les gens des campagnes et des villes de reprendre leur destinée en mains. C’est à dire, il est temps pour le peuple de se gouverner lui-même au lieu d’être gouverné par quelques individus du haut de la pyramide qui essaient juste d’être toujours plus riches. C’est facile de le voir, de le comprendre et de confirmer en pratique que c’est de fait, la seule raison de leur présence.

C’est pourquoi les compañeras et compañeros des bases de support zapatistes se sont organisés eux-mêmes et ont rêvé et ont travaillé ensemble pour déterminer leurs propres destinées, cette destinée est maintenant totalement visible. Leur façon de se gouverner eux-mêmes comme peuple et comme communautés est totalement différent ; ils gouvernent en tant que peuple et leurs représentants leur obéissent (NdT: Retour à la société traditionnelle où les “chefs” n’ont aucun pouvoir et ne font que représenter leur peuple, cf Pierre Clastres et ses études sur le changement de direction de la dette que nous avons publiées..), c’est à dire que leur gouvernement obéit au peuple. Ceci est le véritable changement, pas seulement un changement de couleurs et de logos. Qui dit que cela ne peut pas être accompli, Compañeras et compañeros de la Petite Ecole ? Cela peut-être fait, parce que c’est le peuple lui-même qui décide, de manière organisée, ce qu’il veut et ce dans tous les aspects de sa vie…

Pourquoi avoir peur de laisser les gens décider eux-mêmes du comment leur nouvelle vie sera ? Comment ne pouvons-nous pas avoir peur de la grande atrocité commise par les trois niveaux de mauvais gouvernement qui décident de notre futur contre le bien et l’intérêt général ? C’est là que les Compañeras et compañeros de l’EZLN disent que le peuple doit avoir le pouvoir de décision sur sa propre vie, parce que les gens prennent les décisions pour le bien de la communauté et non pas pour profiter de leur propres vices. Et s’ils font des erreurs, et bien ils les corrigent d’eux-mêmes. Mais les trois niveaux du mauvais gouvernement n’ont pas d’yeux ni d’oreilles pour voir et entendre, ils refusent de reconnaître toute erreur commise au sein de leur monde de domination et de mensonge. Laissons ce monde derriere nous, laissons les seuls et voyons s’ils peuvent survivre, arrêtons de nous laisser exploiter. Les Compañeras et compañeros des communautés zapatistes ont fourni un exemple à suivre.

Voilà pourquoi nous continuons à partager ici les mots des Compañeras et compañeros des bases de soutien de l’EZLN.

Ceci continuera encore et encore.

Subcomandante Insurgente Moisés.

Mexique, Avril 2014. Vingtième année de la guerre contre l’oubli.

 = = =

A lire:

“EZLN 20 et 10, le Feu et la Parole”, Gloria Muñoz Ramirez, éditions Nautilus, 2005

A notre sens le meilleur bouquin écrit sur l’histoire du mouvement zapatiste par une journaliste mexicaine qui a passé 7 ans au Chiapas entre 1997 et 2004 et a rencontré les protagonistes, vécu avec eux… longtemps.