Archive pour EZLN 6ème déclaration de la forêt de lacandone

Zapatistes du Chiapas, Mexique et racines indigènes… Une communauté en armes (Tikva Honig-Parnass, PDF)

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Unknown

Résistance 71

17 avril 2023

Si tu es venu ici pour m’aider,
Tu perds ton temps…
Mais si tu es venu parce que
Ta libération est liée à la mienne,
Alors, travaillons ensemble.
Groupe d’activistes aborigènes, Queensland, Australie, 1970

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PDF à lire et diffuser sans aucune modération

TLPARP

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Territoires zapatistes… Terre et Liberté !

Une communauté en armes et en rébellion, les racines indigènes de l’EZLN zapatiste, Chiapas, Mexique 2/2 (Tikva Honig-Parnass)

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“Vous devriez tous disparaître, pas seulement parce que vous représentez une aberration historique, une négation de l’humain et une cruauté cynique, mais aussi parce que vous êtes une insulte à l’intelligence. Vous et votre système nous rendez possibles, vous nous faites grandir. Nous sommes votre alter-ego, votre frère siamois opposé. Pour nous faire disparaître, vous devez disparaître…”
~ Communiqué zapatiste lors de l’intronisation du président mexicain Ernesto Zedillo, 1er décembre 1994 ~

Une communauté en armes, les racines indigènes de l’EZLN

Tikva Honig-Parnass*

2019

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Avril 2023

1ère partie

2ème partie

(*) Née et élevée dans une famille ultra-sioniste dans la pré-Palestine de 1948, elle fut secrétaire du parti de gauche Mapam (parti unifié des travailleurs) et membre du parlement de la Knesset entre 1951 et 1954. Elle rompt définitivement avec le sionisme en 1960 et devient activiste politique et écrivain pro-palestinienne. Elle travaille avec le mouvement Matzpen et publie plusieurs livres dont “Between the Lines” (2007), titre homonyme de la revue qu’elle a créée avec le Palestinien Toufik Haddad.

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Chiapas, Mexique et Amérique latine : le radicalisme anti-capitaliste

Incidemment, le soulèvement zapatiste se fit le jour où les accords du NAFTA furent confirmés. Cela représentait symboliquement

Cela représentait symboliquement l’anti-capitalisme et anti-impérialisme profondément ancrés que le Chiapas partageait avec “d’autres peuples indigènes du Mexique et ailleurs en Amérique Latine », que le Chiapas partageait avec “d’autres peuples indigènes du Mexique et ailleurs en Amérique Latine”, comme le fit remarquer Cleaver. C’était un cri de rage contre le capitalisme en tant que tel, et pas seulement contre les formes spécifiques proéminentes dans l’ère de l’économie dite néo-libérale ou contre ses effets sur les seuls peuples indigènes.

En même temps, ils avaient suffisamment bien compris son potentiel désastreux pour eux-mêmes qui étaient la première cible de ces politiques de dépossession.

La compréhension du but du capitalisme à éliminer la résistance indigène et la vie communale est présentée dans une lettre du Subcomandante Marcos adressée à l’écrivain et supporteur John Berger en décembre 1993, moins de un mois avant le soulèvement :

“Le néolibéralisme se déguise en défense de la souveraineté qui a été vendue en dollars sur le marché international… Ces peuples indigènes irritent la logique de modernisation du néo-mercantilisme. Leur rébellion, leur défi, leur résistance, leur résilience les irrite. L’anachronisme de leur existence au sein d’un projet de mondialisation, projet politico-économique qui, bientôt, va décider que les pauvres, tous les gens en opposition, c’est à dire la vaste majorité de la population sont des obstacles.

Une excellente source pour apprendre au sujet du radicalisme politique du peuple du Chiapas et de leurs leaders au moment du soulèvement est l’entretien d’Augusta Dwyer avec les leaders militants indigènes pour la revue “Socialist Review” (SWP GB). Dans cet entretien, qui eut lieu quelques mois après le soulèvement de janvier 1994, les militants expriment leur implication totale dans une guerre contre le capitalisme et ses manifestations dans l’expression du néolibéralisme économique comme celui du NAFTA.

Ils citent Marcos disant après la capture d’une station de radio lors du soulèvement : “L’accord de libre-échange [NAFTA] est l’arrêt de mort des peuples indigènes du Mexique, qui sont périssables pour le gouvernement de Carlos Salinas de Gortari. Nous nous soulevons donc en armes contre cet arrêt de mort.

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NdR71 : de la même manière, aujourd’hui en 2023, l’ensemble des institutions étatico-marchandes livrent une guerre sans merci aux peuples de la terre à grand renfort d’armes biologiques (SRAS-CoV2 / COVID, injections ARNm), d’empoisonnement chimique, de guerres perpétuelles, de crises économiques provoquées et dévastatrices, de pénuries fabriquées en tout domaine. En cela nous sommes tous des Zapatistes et l’heure est venue pour les peuples de la terre de se soulever en armes contre l’arrêt de mort pris par le système à notre encontre. Nous sommes en état de légitime défense permanent face à l’État et à la marchandise dominants et exploiteurs nous agressant tout azimut. Se défendre PHYSIQUEMENT devient une obligation quasi survivaliste…

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Les activistes indigènes interviewés insiste sur la fausse conscience partagée par la classe laborieuse, qui dans les grandes largeurs, a accepté des idéologies trompeuses et de fausses promesses en ce qui concerne le système capitaliste. Et donc, “l’énorme défi que présente le soulèvement à la toile soigneusement tissée de la répression et du mensonge par le gouvernement et le refus d’accepter ces conditions plus avant, devraient être une inspiration pour tous les socialistes où qu’ils soient.

Ils argumentent qu’ils ne sont pas seulement un mouvement “indigène ou ethnique”. Leurs objectifs et leurs stratégies sont adressés “à toute la classe laborieuse et à ceux qui sont opprimés, réprimés.”, tout en insistant dans le même temps sur la plus brutale des oppressions au Chiapas et autres communautés indigènes au Mexique et en Amérique Latine : “la distribution des terres est largement biaisée pour favoriser les riches et les puissant éleveurs de bétail ; ceci représente une vieille tradition de plusieurs siècles de discrimination contre les peuples indigènes et la pauvreté dans sa très vaste majorité.

De la même manière, leurs demandes ciblant le gouvernement ne furent pas limitées aux seuls peuples indigènes : “Les demandes zapatistes pour la terre, un habitat décent, des écoles, des cliniques, des salaires décents, l’égalité, la liberté, la justice, des élections saines et un gouvernement transitoire, sont simples et pourtant révolutionnaires.” Elles “exposent le grand fossé entre les riches et les pauvres, le contrôle des salaires qui fait du travailleur mexicain un des moins bien payés au monde, tout autant que la corruption et l’hypocrisie qui sont les marques de fabrique du parti politique qui a monopolisé le pouvoir pendant des décennies.

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Résistance et construction durant les années de négociation

La décennie qui suivit le soulèvement de 1994 fut témoin d’un dialogue intermittent entre l’EZLN et le gouvernement fédéral mexicain.. Les Zapatistes demandèrent l’autonomie complète du Chiapas, des droits sur la terre dans d’autres endroits du pays et la démolition en règle des accords du NAFTA et autres politiques néolibérales, ainsi que la demande pour des droits véritablement démocratiques pour tous les citoyens mexicains. Mais ces demandes n’étaient pas faites pour n’être mises en place qu’au Mexique.

La Première Rencontre Intercontinentale de 1996 organisée par les Zapatistes, convoqua plus de 3000 activistes de plus de 400 pays à se réunir et discuter, entre eux, de la nature du néolbéralisme et des luttes menées contre lui. De cela émana le Congrès National Indigène (CNI), qui, durant les années de négociation, fut consulté au sujet de l’introduction de changements dans la constitution qui amélioreraient considérablement la condition des peuples indigènes.

Dans le même temps, le mouvement de solidarité avec le Chiapas en Amérique Latine grandissait. Ce mouvement joua un rôle central dans le soutien constant des Zapatistes, les défendant contre les attaques incessantes de l’armée mexicaine et leur permettant de continuer leur projet égalitaire autonome. Les attaques par l’armée mexicaine allaient continuer pendant des années, persistant jusqu’à aujourd’hui sans être jamais mentionnées dans la presse occidentale.

Après presque une décennie de fausses négociations avec l’état, la cassure inévitable se produisit. Le 1er janvier 2003, les Zapatistes du Chiapas décidèrent d’abandonner “la politique de la demande est avec elle, tout contact avec l’état mexicain”. En lieu et place, ils choisirent de se concentrer sur la construction de leur propre autonomie, des formes horizontales d’auto-gouvernement au sein de leurs propres territoires et par leurs propres moyens.

Le 9 août 2003, les Zapatistes annoncèrent l’établissement des Conseils de Bon Gouvernement (Juntas de Buen Gobierno), chacun basé dans les caracoles (escargots) ou centres administratifs des zones rebelles. Un total de cinq caracoles furent créés, chacun avec son propre conseil de bon gouvernement et chacun responsable de sa propre Municipalité Rebelle Autonome Zapatiste (MAREZ)

Chaque Caracol possède trois niveaux de gouvernement autonome : la communauté, la municipalité et le conseil de bon gouvernement. Les deux premiers sont fondés sur une base populaire d’assemblées volontaires. Les décisions prises par chacun des cinq conseils de bon gouvernement sont basées sur des lignes de conduite préalablement déterminées au niveau de la communauté. Les membres du conseil sont élus, mais avec l’intention d’avoir le plus de participants possibles dans ces conseils au fil des années sur le principe de la rotation.

Chaque Caracol possède ses propres systèmes éducatif, de santé et de justice, ainsi que des coopératives produisant du café, créant des objets d’artisanat et du bétail, entre autres choses. Toutes les décisions sont prises en accord avec des lignes de conduite préalablement décidées par les assemblés volontaires au niveau de la communauté, “un modèle révolutionnaire pour organiser un auto-gouvernement” d’après le Comité de Soutien au Chiapas (CSC), une organisation basée à Oakland en Californie.

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Émancipation et dignité des femmes dans les Caracoles rebelles

Le défi de l’égalité pour les femmes a trouvé une acceptation et un soutien de l’EZLN et de ses leaders. La prise de la ville de San Cristobal de Las Casas, le ville la plus importante occupée par l’EZLN en 1994, fut commandée par la Comandante Ana Maria et une autre figure de proue du mouvement était la Comandante Ramona, qui fut la toute première zapatiste envoyée à Mexico-City pour représenter le mouvement dans les négociations avec le gouvernement mexicain.

Les femmes ont été traitées en véritables égales au point que beaucoup de femmes ont un statut d’officier et tant les hommes que les femmes doivent porter la responsabilité du travail et du combat de manière égale. Quand les femmes se sont organisées dans des douzaines de comités pour produire un code des droits des femmes, le leadership de l’EZLN composé de leaders Mayans, le CCRI-CG, a adopté le code à l’unanimité.

Cette “loi révolutionnaire des femmes” a inclus les droits de toutes les femmes “sans regard pour la race, couleur ou affiliation politique”, à participer à la lutte “de toute manière que dicte leur désir et leur capacité”. Ceci inclut le droit “de travailler et de recevoir un juste salaire”, le droit de “décider du nombre d’enfants qu’elles auront et prendront soin”, le droit de “participer aux affaires de la communauté et d’avoir des charges si elles sont élues librement et démocratiquement”, le droit (avec les enfants) “de toute première attention en matière de nutrition et de santé”, le droit “de choisir leur partenaire et de ne pas être obligée de se marier”, le “droit de ne pas subir de violence domestique de la part de proches ou d’étrangers. Le viol et la tentative de viol seront sévèrement punis.”, le droit “d’occuper des postes de leadership au sein de l’EZLN et de tenir un haut rang d’officier dans les forces armées révolutionnaires” et finalement “tous les droits et obligations que donnent les lois et les règlements révolutionnaires.”

Aujourd’hui, des femmes participent à tous les niveaux du gouvernement et sont à la tête de coopératives et de structures économiques. Elles forment une grande partie des rangs de l’EZLN et prennent de hautes positions dans le commandement militaire.

Faisant face à la politique néolibérale qui a établi la dépossession et l’extraction agressive des ressources de leurs territoires, les Caracoles rebelles ont fonctionné lentement, silencieusement et efficacement pour plus de deux décennies. Leurs stratégies allèrent plus loin, plus profond et personnifiaient une culture que l’État fut obligé de reconnaître et surtout de respecter.

Ainsi, le 24 février 2016, un juge fédéral du Mexique a admis qu’il n’avait pas d’autre choix que d’accepter que l’affaire judiciaire entre l’État et l’EZLN ne pouvait pas aller plus loin. Les accusations de terrorisme, de sédition, d’émeutes, de rébellion et de conspiration enregistrés sous une plainte par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) en 1994 contre le Subcomandante Insurgente Marcos et les leaders indigènes de la résistance étaient nulles et non avenues : le statut de la date butoir ayant été dépassé.

Les conclusions de Gonzalez Casanova furent larges : “Plus qu’une idéologie sur le pouvoir du gouvernement de et par les peuples, les caracoles construisent et expriment une culture du pouvoir émanant de 500 ans de résistance des peuples indiens des Amériques.” Les caracoles du Chiapas sont au centre du mouvement indigène de toute l’Amérique Latine.

Le Mexique et l’Amérique Latine

Les Zapatistes du Chiapas ne sont pas surgis de nulle part, mais sont apparus dans une région où les mouvements sociaux indigènes luttant pour la terre contre le racisme et la discrimination furent très présents depuis les années 1970, plus d’une décennie avant l’avènement de l’EZLN, comme grande partie du mouvement de résistance du Chiapas. Les Zapatistes furent d’abord inspirés par leur militantisme résolu et avec le temps, devinrent eux-même un modèle pour eux.

Poussant à renforcer la lutte unifiée indigène, le peuple Maya du Chiapas développait des réseaux de coopération et de lutte conjointe avec d’autres communautés mexicaines luttant pour le retour des terres volées, une éducation et de l’eau potable parmi d’autres besoins notoires et contre l’oppression de masse commise par la classe dirigeante du PRI au service absolu des monopoles multinationaux.

Au Mexique et à travers toute l’Amérique Latine, les communautés indigènes ont été exposées à l’attaque du trafic de la drogue par les cartels, les gangs criminels, les gardes de sécurité privés des corporations, des entreprises multinationales, ainsi que  par les forces de sécurité étatiques comme la police et l’armée. Les leaders indigènes de la résistance organisée ont souvent été assassinés dans un effort de supprimer tout obstacle aux projets du pillage de leurs territoires.

De manière intéressante, les mouvements indigènes latinos furent durement touchés par la chute des gouvernements de centre-gauche de la “marée rose” entre les années 2000 et 2005, ce qui en un sens a permis toujours plus de résistance locale. Les mouvements ont persisté dans la construction de leurs communautés de telles façons qu’elles s’adaptent constamment aux requis de défense toujours changeants contre les massacres qui leur étaient infligés quotidiennement.

Quelques unes des communautés les plus affectées ont trouvé un système de garde-fou qui est soumis au peuple, développant des structures de pouvoir communal en parallèle de celles de l’état, mais opérant de manière bien différente de celles de l’état. Comme dit plus haut, le rôle de l’EZLN fut largement celui d’une force de défense militaire jusqu’à la décision prise par les communautés indigènes de prendre les armes.

D’autres communautés en Amérique latine ont adopté la culture politique synthétisée par les Zapatistes dans leur expression de “diriger en obéissant” (mandar obedeciendo). Ces systèmes se sont vus ancrés dans des pratiques communautaires qui doivent même être différenciées des partis de gauche et des syndicats, car ceux-ci “sont toujours marqués par une tentation sous-jacente de devenir le véritable pouvoir, construit à l’image de l’État.”, comme l’écrit Raúl Zibechi.

Au contraire de ces formes, la structure de ces gardes-fou indigènes dans les communautés a été fondée sur des principes similaires de ceux des caracoles du Chiapas, elle vise à maintenir les membres de la communauté comme les preneurs de décision qui exercent leur pouvoir en contrôlant leurs représentants choisis [NdT : sur une base de rotation pour impliquer la totalité de la communauté politiquement…] Chaque assemblée de communauté choisit 10 gardes et un coordinateur. Un second coordinateur est ensuite choisi le Comité Régional Clandestin (CRC) et un troisième des Conseils de Bon Gouvernement (CBG)

La région de Colombie du Cauca du Nord par exemple, a 3500 gardes indigènes, correspondant au conseil de gouvernement local. La participation dans les groupes de défense est volontaire et n’est pas payée et les voisinages dans chaque communauté aident dans la logistique et dans la maintenance dub lopin de terre familial de chaque garde et parfois accomplissent les taches de base comme semer et récolter les cultures.

“Ces pratiques et procédures, nous dit Zibechi, visent à éviter de faire l’erreur de distribuer le pouvoir à des institutions qui sont des rouages efficaces de la machine d’état.” Qui empêcherait toute autonomie de la base dans la prise de décision. De fait, l’échec des conseils communaux au Venezuela démontre les conséquences d’une telle erreur de distribution du pouvoir décisionnaire : à cause de leur dépendance au financement de l’état, les conseils sont partie intégrante de la structure organisationnelle de l’état et aident à sécuriser son pouvoir plutôt que de le transcender.

Dans le temps, ils sont devenus plus homogènes et ont perdu leur indépendance. Bien qu’il y ait une forte culture égalitaire dans les voisinages au Venezuela, une culture d’horizontalité et d’absence de hiérarchie, la contradiction entre la base populaire et le leadership a été résolue par des directives qui mettent des limites et contrôlent les espaces égalitaires.

Bien d’autres cas indiquent que l’intervention de gouvernements, même de services sociaux “bien pensants” et de bons “projets de développement”, a eu pour conséquence la perte d’indépendance de la communauté. D’un autre côté, il y a des contre-exemples comme la Guardia Indigena, le cœur du pouvoir du peuple Nasa qui a été à l’avant-garde du mouvement indigène en Colombie.

Zibechi dépeint le Chiapas zapatiste comme un remarquable exemple d’un système social totalement horizontal. Les caracoles sont “le seul cas en Amérique Latine ou autonomie et auto-gouvernement sont exprimés à trois niveaux différents avec la même logique d’assemblée en rotation des communautés.” Le modèle zapatiste de démocratie d’en bas (à gauche) demeure vivant et actif jusqu’à aujourd’hui, 30 ans plus tard. A juste titre, ils attribuent leur succès au fait que depuis le départ ils ont été déterminés de garder une complète déconnexion d’avec l’État et ses institutions, incluant les partis politiques de la “gauche” mexicaine, qui ont soutenu les gouvernements néolibéraux (NdT : comme partout ailleurs dans le monde, la gauchiasse étatique de partis et de syndicats inféodés, des marxistes aux socialos, n’a fait que trahir encore et toujours les peuples et la révolution sociale…).

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Au-delà du cadre marxiste

Le Chiapas et la plupart des mouvements indigènes d’Amérique Latine ont été à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire mondiale contre le capitalisme et sa forme actuelle “d’accumulation par dépossession”. Ces mouvements ont été une réponse à un type différent “d’exploitation” que celui de la classe laborieuse qui est associée à la valeur ajoutée produite par le travail.

Ici, nous sommes les témoins d’entières communautés indigènes qui sont les cibles de l’extraction. Elles sont les victimes de massacres quotidiens commis par leurs “employeurs directs”, les industries d’extraction et les cartels de la drogue que les gouvernements impérialistes locaux ont soutenu. Le besoin d’une défense continue de leurs vies et de leurs terres a fait croître le pouvoir communal personnifié par les caracoles et le système social de démocratie d’en bas, ancré profondément dans la tradition indigène.

Les mouvements indigènes ont été les moyens courageux de confrontation de cette guerre totale qui est livrée contre eux. Ils continuent de servir de puissante ressource pour la mobilisation d’une résistance continuelle et déterminée qu’ils ont mené contre l’économie néolibérale. [NdT : qui n’est quelle phase conjoncturelle de l’oppression capitaliste dans son ensemble, le capitalisme n’étant qu’un avatar historique du système marchand qu’il faut impérativement mettre à bas…]

Les Zapatistes, qui sont devenus un avec les communautés du Chiapas, n’étaient en rien similaires aux mouvements de guérilla qui importèrent de l’extérieur une version du marxisme, qu’ils tentaient d’inculquer aux gens en supervisant sa mise en place d’en haut. Ces mouvements de guérilla visaient à changer le système socio-politique en occupant le pouvoir d’état dans une révolution future menée par le parti des travailleurs.

Au lieu de cela, les indigènes zapatistes ont combiné l’autodéfense avec une résistance résolue, qui, avec la lutte latino-américaine, peuvent créer des fissures dans le système capitaliste.

De nombreuses tendances de la gauche marxiste se sont souvent focalisées sur le court soulèvement du Chiapas en 1994, mais n’ont pas engagé le mouvement zapatiste plus loin que de commémorer cette date. Elles n’ont pratiquement jamais parlé des années avant et après ce soulèvement. Elles ne l’ont pas vu non plus comme un projet unifié, des années de résistance tout en construisant dans le même temps un Chiapas autonome.

Le projet au Chiapas de “la démocratie d’en bas [à gauche]”, le système horizontal de prise de décision de la communauté, n’ont pas été reconnus comme une lutte “révolutionnaire” contre le capitalisme. Ni du reste n’ont été considérées comme révolutionnaire la résistance quotidienne démontrée par les groupes de résistance des mouvements indigènes à travers l’Amérique Latine et leurs tentatives de suivre le Chiapas dans la construction des caracoles.

Les mouvements de résistance indigènes utilisent la seule armure disponible : les sages stratégies autonomes de la “démocratie d’en bas” et la cohésion des communautés. C’est un combat pour leur vie même en tant qu’individus et communautés, tout en ciblant directement les forteresses du capitalisme et de l’impérialisme, les multinationales et spécifiquement ces industries d’extraction soutenues par les Etats-Unis. Ceci en fait d’admirables frères et sœurs de notre lutte partagée, qui mérite bien plus qu’une franche solidarité.

Si tu es venu ici pour m’aider,
Tu perds ton temps…
Mais si tu es venu parce que
Ta libération est liée à la mienne,
Alors, travaillons ensemble.
Groupe d’activistes aborigènes, Queensland, Australie, 1970

Le texte complet en PDF :

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¡Viva Zapata!

“Vous et votre système avez peur parce qu’ils disent qu’alors que nous passons, les pauvres vont se soulever et demander rétribution pour toutes les fautes et malveillances commises contre eux. Vous avez peur parce que vous comprenez et reconnaissez que les conditions de vie de la majorité des Mexicains, pas seulement celles des peuples indigènes, sont très mauvaises et pourraient bien mener à la rébellion.”
~ SCI Marcos, 5 mars 2001 ~

“Ce qui caractérise l’esprit de la société, c’est l’unification des concepts humains, l’esprit social constructeur est une compréhension du Tout dans un universel vivant ; c’est en cela que la société humaine, dans son collectif pensant et agissant, est organique, contrairement à l’État, mécanisme de l’aliénation et de la coercition. En passant du mode organisationnel étatique à celui de la société des sociétés, l’humanité passe du non-esprit à l’esprit retrouvé, de la mort à la renaissance sociale. Elle passe de l’éphémère à l’universel. La réalité sociale du vivant est présente en nous à chaque instant, ainsi que l’esprit communal que nous devons laisser émerger de nouveau.”
~ Résistance 71, “Manifeste pour la société des sociétés”, 2017 ~

Lectures complémentaires :

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

5 textes pour comprendre et éradiquer le colonialisme

« Païens en terre promise, décoder la doctrine chrétienne de la découverte », Steven Newcomb, 2008

« Comprendre le système de l’oppression coloniale par mieux le démonter », Steven Newcomb

« Comprendre le système de l’oppression coloniale pour mieux le démonter », Peter d’Errico

« Effondrer le colonialisme », Résistance 71

« Nous sommes tous des colonisés ! », Résistance 71

“Nous distinguons trois grandes stratégies ces dix dernières années :

  • La stratégie que nous appelons “le Feu”, qui se réfère à l’action militaire, à la préparation, aux batailles, aux mouvements militaires
  • La stratégie que nous appelons “La Parole”, qui se réfère aux réunions, aux dialogues, aux communiqués, qu’il y ait une parole ou un silence organisé, qui est l(‘absence de parole.
  • La stratégie qui est la colonne vertébrale de tout ce qui précède, celle de “L’Organisation”, le processus organisationnel développé dans le temps par les communautés zapatistes.

Ces stratégies, le feu et la parole, articulées autour d’une organisation populaire, sont ce qui marque ces dix années de vie publique zapatiste et de l’EZLN entre 1994 et 2004.”
~ EZLN, 2008 ~

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Une communauté en armes, les racines indigènes de l’EZLN, Chiapas, Mexique (Tikva Honig-Parnass)

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SCI Marcos & Moisès

La première déclaration zapatiste de la forêt de Lacandon (1994)

Au peuple du Mexique et du monde,

Nous sommes le produit d’une lutte de 500 ans, d’abord contre la mise en esclavage, puis durant la guerre d’indépendance contre l’Espagne menée par des insurgés, puis pour éviter d’être absorbés par l’impérialisme nord-américain, puis pour promulguer notre constitution et expulser l’empire français de notre sol ; et plus tard, la dictature de Porfirio Diaz nous refusa la juste application des lois de réforme et le peuple se rebella, des leaders comme Villa et Zapata émergèrent, des hommes pauvres, tout comme nous. On nous a refusé la plus élémentaire des préparations afin qu’ils puissent nous utiliser comme chair à canon et pour piller la richesse de notre pays. Ils se moquent que nous n’ayons rien, absolument rien, pas même un toit au dessus de nos têtes, pas de terre, pas de travail, pas d’attention sanitaire, pas de nourriture, pas d’éducation. Nous ne pouvons pas non plus élire librement et démocratiquement nos représentants politiques, il n’y a pas non plus d’indépendance des étrangers, ni n’y a t’il de paix ou de justice pour nous et nos enfants.
Mais aujourd’hui, nous disons ASSEZ EST ASSEZ ! (¡Ya Basta!)
Nous sommes les héritiers des véritables bâtisseurs de notre nation. Nous, les dépossédés, sommes des millions et nous en appelons à nos frères et sœurs de nous rejoindre dans la lutte car c’est la seule voie pour que nous ne mourions pas de faim à cause de l’ambition insatiable d’une dictature de 70 ans emmenée par une clique de traîtres qui représente les groupes les plus conservateurs et les plus vendus […]
(Traduction Résistance 71)

“La fondation réelle du Mexique est : Mazahuan, Amuzgan, Tiapanecan, Nahuatlan, Coran, Huichol, Yaqui, Mayan, Tarahumaran, Mixtec, Zapotecan, Chontal, Seri, Triques, Kumiain, Cucapan, Paipain, Cochimian, Kiliwan, Tequistlatecan, Pame, Chichimecan, Otomi, Mazatecan, Matlatzincan, Ocuiltecan, Popolocan, Ixcatecan, Chocho-Popolocan, Cuicatec, Chatino, Chinantec, Huave, Papagan, Pima, Repehuan, Guardian, Hasten, Chum, Jalaltec, Mixe, Zoquean, Totonacan, Kilipuan, Purepechan, Oodham, Tzotzil, Tzeltal, Tojolabal, Chol, Mam, la base profonde du Mexique est indigène… mais pour le reste du pays, cela ne compte pas, ne produit pas, n’achète ni ne vend, c’est à dire donc, n’existe pas…”
~ Subcomandante Marcos, 1994 ~

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Un peuple qui dirige et un gouvernement qui obéit !

Ci-dessous, la meilleure analyse exogène au mouvement zapatiste du Chiapas et extensions latino-américaines qu’il nous ait été donnée de lire, ce fut aussi un véritable plaisir que de la traduire. Tout y est, jusqu’à l’historique du mouvement de l’EZLN dans la décennie qui a précédé le soulèvement du 1er janvier 1994, ce qui est du jamais vu. Complet, instructif et inspirant pour tout mouvement (r)évolutionnaire contemporain. A lire et diffuser sans aucune modération, version PDF à suivre…
Nous sommes tous, de fait, des Zapatistes en esprit, qui devons nous adapter à nos réalités d’oppression culturellement et socialement induites et différentes dans la pratique !.. Mais pour tous les peuples de la terre, le temps est venu de clamer ce que font les Zapatistes depuis 30 ans avec grand succès : ¡Ya Basta! Assez est assez ! En joignant enfin l’action à la parole.
~ Résistance 71 ~

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Une communauté en armes, les racines indigènes de l’EZLN

Tikva Honig-Parnass*

2019

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Avril 2023

1ère partie

2ème partie

(*) Née et élevée dans une famille ultra-sioniste dans la pré-Palestine de 1948, elle fut secrétaire du parti de gauche Mapam (parti unifié des travailleurs) et membre du parlement de la Knesset entre 1951 et 1954. Elle rompt définitivement avec le sionisme en 1960 et devient activiste politique et écrivain pro-palestinienne. Elle travaille avec le mouvement Matzpen et publie plusieurs livres dont “Between the Lines” (2007), titre homonyme de la revue qu’elle a créée avec le Palestinien Toufik Haddad.

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Le 1er janvier 1994, plusieurs milliers de personnes du peuple indigène Maya, organisés sous l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (AZLN ou EZLN pour Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional), se soulevèrent au Chiapas dans le sud du Mexique, l’état le plus pauvre de la fédération et prirent le monde par surprise. Ils étaient membres des quelques 21 groupes ethniques qui occupaient la région de la forêt de Lacandon près de la frontière du Guatemala. Leurs armes se limitaient à des fusils, et quelques rebelles n’en portaient que des répliques en bois. Ils saisirent les bureaux du gouvernement et occupèrent des milliers d’hectares de terres privées tout en prenant un bref contrôle de la capitale du Chiapas San Cristobal de Las Casas et six autres villes de l’état.

Après 12 jours de confrontation armée avec l’armée mexicaine, la rébellion fut contenue. Le président Salinas avait compris qu’il ne pouvait pas simplement écraser les Zapatistes. L’énorme mobilisation mexicaine et globale forcèrent le gouvernement à déclarer un cessez-le-feu unilatéral et de choisir un autre mode d’action, celui d’un faux dialogue politique tout en continuant la guerre sous d’autres formes : attaques fréquentes, massacres et dépossessions.

De son côté, l’EZLN fut d’accord. Une fois parvenue au but du soulèvement, faisant entendre la voix indigène, ils déposèrent les armes et entrèrent dans de soi-disants “pourparlers de paix” suggérés par le gouvernement mexicain, tout en continuant à construire le système socio-politique horizontal et non-hiérarchique du Chiapas.

Le subcomandante Marcos élabora sur le but du soulèvement disant qu’il était “le bris du silence délibéré sur le sud global, qui n’a jamais été entendu et a été ignoré.” De fait,”Plus jamais un Mexique sans nous !” Est un des slogans marquant l’essence idéologique de l’EZLN. Le peuple indigène du Chiapas était inconnu, sans importance et oublié de tous, abandonné à la famine et la maladie afin d’en finir avec lui. Voilà pourquoi le soulèvement zapatiste de 1994 est souvent référé comme étant “la guerre contre l’oubli”.

“Cet oubli n’a jamais été et n’est toujours pas un accident.”, dit Marcos ; “c’est un produit délibéré du racisme et du colonialisme, à la fois interne et externe, qui dévalue la vie et la souffrance des peuples du sud global, à un tel point que ces peuples finissent par ne plus exister pour le reste du monde.Le but n’était en aucun cas de saisir le pouvoir d’état :On ne peut pas imposer un système politique par la force. Le système politique ne peut pas être le produit de la guerre. La guerre doit toujours être une ouverture dans l’espace politique afin que les gens aient véritablement un choix.

Afin de mettre le court-terme du soulèvement dans le contexte de la lutte continue pour l’autonomie et la démocratie d’en bas, cet essai va se focaliser sur l’histoire de la résistance militante des communautés indigènes avant leur rencontre avec l’EZLN. Puis sur le processus de sa création comme bras armé militaire des communautés du Chiapas, qui ont toujours maintenu un rôle dominant en partageant avec l’EZLN le projet de construction d’un Chiapas autonome. Comme dit auparavant, le soulèvement de 1994 s’est déroulé au sein même du développement de ce projet, qui a continué toujours plus avant jusqu’à aujourd’hui. (NdT : ce texte est écrit en 2019, c’est à dire 25 ans plus tard…)

Indigenous-Resistance

La fondation de l’AZLN/EZLN

L’EZLN fut officiellement fondée le 17 novembre 1983, le jour où un petit groupe d’hommes et de femmes, trois indigènes et trois métis (mestizos), arrivèrent dans les montagnes de la jungle de Lacandon au Chiapas. Ils représentaient un groupe, certains d’entre eux avaient été auparavant membres des Fuerzas de Liberation Nacional (FLN ou Forces de Libération Nationale), une organisation de guérilla fondée en 1969. Ses statuts de 1980 la décrivent comme une “organisation politico-militaire marxiste-léniniste dont le but est la prise du pouvoir politique par les travailleurs afin de mettre en place une république populaire et un système socialiste.” L’EZLN est née des FLN et était originellement planifiée pour être l’aile armée de cette organisation clandestine qui, a la fin des années 70, était une des dernières factions de guérilla marxiste demeurant.

Marcos s’assura de bien faire la distinction entre l’EZLN et les autres mouvements de guérilla marxiste qui voulaient se saisir du pouvoir politique d’état. “Lorsqu’on lui demandait “avez-vous retenu quelques leçons de la révolution cubaine ?”, Marcos répondait : “Je ne sais pas si vous pouvez appeler cela des leçons, parce que nous n’avons pas pris la révolution cubaine comme cadre de référence. Mais nous avons appris que vous ne pouvez pas imposer des formes politiques aux gens parce que tôt ou tard, vous finirez par faire ce que vos critiquez et combattez. Vous critiquez un régime totalitaire et vous en proposez un autre. Vous ne pouvez pas imposer un système politique par la force.

Faisant remarquer la différence essentielle entre “les mouvements de guérilla des années 1950, 60 et 70 et ceux d’aujourd’hui,” insiste t’il : “Avant ils disaient : débarrassons-nous de ce système de gouvernement et mettons en place cet autre système.” Nous disons : “Non, le système politique ne peut pas être produit par la guerre. La guerre ne devrait qu’ouvrir des espaces de l’arène politique de façon à ce que les gens puissent faire un véritable choix.

Devenir une “communauté en armes”

Marcos argumente correctement que quelles qu’aient été les théories et inclinaisons politiques des FLN, la véritable question est : Quel fut le processus qui mena à la fusion de la nouvelle EZLN avec la communauté indigène ? La véritable question alors devient leur transformation d’un groupe de guérilla en “une communauté en armes”.

L’EZLN a très vite compris qu’aucune des théories et stratégies existantes affirmées par les différents modèles d’organisations de guérilla marxistes ne s’appliqueraient aux conditions rencontrées au Chiapas. De fait, le contact de l’EZLN avec les communautés indigènes mena à une sorte de conversion du groupe original, un processus que Marcos décrit comme suit :

Nous avons véritablement souffert dans un processus de rééducation, de re-stylisation. Comme s’ils nous avaient désarmé, comme s’ils avaient démantelé ce dont nous étions faits, marxisme, léninisme, socialisme, culture urbaine, poésie, littérature, tout ce qui formait une partie de nous et même des trucs que nous ne savions pas que nous avions… Ils nous ont désarmé et nous ont réarmé, mais d’une manière différente. Et ceci fut la seule manière de survivre… le travail que le noyau guérilla des FLN a développé au Chiapas ne pouvait mûrir et devenir l’EZLN qu’au travers d’une cosmovision et d’une tradition de résistance des différents groupes indigènes.

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NdR71 : C’est à notre sens la grande différence entre Marcos et ses compañeros, compañeras du Chiapas et le Che en Bolivie. Le Che a échoué parce qu’il n’a pas compris que son approche était totalement inefficace dans la zone rurale bolivienne également composée de peuples indigènes imperméables au marxisme et autre forme de “-isme”. La grande intelligence politique de Marcos et de ses compadres est de l’avoir compris très vite, de l’avoir accepté (ce qui est le plus important) et de là, avoir été capables de s’adapter. Nous avons toujours eu ce ressenti, mais pour la première fois, nous mettons enfin le doigt dessus…

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Se retrouvant sans doctrine politique pouvant désigner des buts exacts pour ce qu’ils aspiraient être une “révolution”, un plan de mobilisation des communautés indigènes pour les soutenir faisant défaut, tout cela augmenta l’humilité de l’EZLN devant la très riche tradition de résistance indigène qui leur était transmise. (NdT : fascinant !…)

Marcos est cité pour avoir dit : “Je pense que notre seule véritable vertu en tant que théoriciens, fut d’avoir l’humilité de reconnaître que notre cadre, notre schéma théorique ne fonctionnait pas, qu’il était extrêmement limité, étriqué et que nous devions nous adapter à la réalité qui s’imposait à nous.” (NdT : Superbe ! On reconnaît là aussi l’influence certaine de Paulo Freire et de sa pédagogie critique…) Avec le temps, quoi qu’il en soit, leur “humilité” se développa en des notions centrales de l’organisation sociale zapatiste : “Diriger en obéissant (mandat obedeciendo) et “Nous marchons en posant des questions” (preguntando caminamos). Par définition, ces stratégies excluent la possibilité de pré-définir un chemin ou le point d’arrivée.

Dans une lettre écrite en 1995, Marcos explique les nombreux changements auxquels l’EZLN s’est livrée : “Nous n’avons rien proposé. La seule chose que nous avons proposée de faire fut de changer de monde tout le reste fut de l’improvisation.”. Mais, comme le dit John Holloway citant Marcos : “Nous avons du nous adapter à la nouvelle réalité qui s’imposait à nous… Mais le résultat ne fut pas que la réalité s’imposa sur la théorie, comme l’argumente certains, mais que la confrontation avec la réalité souleva toute une nouvelle théorisation immense et riche de la pratique révolutionnaire.” (NdT : et le sublime continue…)

Après le premier campement, la nouvellement créée EZLN prit graduellement contact avec les communautés locales, initialement au travers des familles. Puis, à partir d’environ 1985, de plus en plus de communautés recherchèrent l’aide des Zapatistes pour se défendre de la police ou des “gardes blancs” armés des paysans. Un toujours plus grand nombre de personnes rejoignit l’aile militaire de l’EZLN, à plein temps, ou formèrent une milice à temps partiel.

Dans le même temps, le reste de la communauté fournissait du matériel de soutien aux insurgés. Les membres de l’EZLN recevaient quotidiennement de la nourriture, de l’aide et de l’information de leurs familles et amis, qui continuaient jour après jour à cultiver la terre, à chasser, à cueillir et récolter, continuèrent le travail artisanal et occasionnellement salarié par lesquels les communautés survivaient et devinrent pas à pas des communautés zapatistes.

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Inspirés par les traditions et le militantisme indigènes

La révolution mexicaine (1910-1917), emmenée par Emiliano Zapata, a servi de puissante inspiration à l’EZLN et aux communautés indigènes du Mexique, ainsi que pour d’autres mouvements similaires en Amérique latine : “Nous sommes le produit de 500 ans de lutte… mais aujourd’hui, nous disons haut et fort ¡Ya Basta! Assez est assez !”, a annoncé le tout premier communiqué de l’EZLN. Ainsi, l’EZLN insistait sur la continuité des luttes inter-reliées pour la redistribution des terres, de la propriété communale et pour une démocratisation radicale du système politique.

L’EZLN tira particulièrement des traditions d’auto-organisation des communautés du Chiapas, de leur lutte continuelle contre la dépossession et l’oppression durant les vingt années qui précédèrent l’arrivée des membres de l’EZLN en 1983.

Dans les années 60 et 70, les syndicats paysans et autres organisations populaires ont reçu le soutien d’activités de liaison du diocèse catholique sous la direction de l’évêque Samuel Ruiz et autres cathéchistes catholiques informés des concepts de a théologie de la libération.. Ces efforts extensifs depuis la base culminèrent en 1974 avec le Premier Conseil Indigène.

En adéquation avec son approche basée sur la communauté, l’église a vu le congrès comme un moyen de donner une voix aux communautés indigènes, les encourageant à sélectionner leurs délégués et à conceptualiser les problèmes auxquels elles étaient confrontées. Ces préoccupations incluaient l’invasion des grandes propriétés du bétail sur la terre communale, la corruption des fonctionnaires du gouvernement et leur implication directe avec les grands propriétaires terriens ainsi que l’absence de droits du travail pour les ouvriers de plantations ainsi que la rareté de la nourriture, de l’éducation et des services de santé.

Le congrès de 1974 et les organisations de résistance apparues au Chiapas peu de temps après, ont reflété le haut niveau de conscience politique et de militantisme des communautés indigènes avant l’arrivée des Zapatistes. Comme l’a bien montré Judith Adler Hellman, ces organisations “ont clairement démontré la capacité des peuples indigènes de se rassembler au-delà des lignes ethniques et linguistiques et de non seulement comprendre, mais aussi d’exprimer leurs insatisfactions.

Ce fut la dislocation de masse de communautés entières qui ouvrit la voie des communautés du Chiapas à leur soutien pour l’EZLN. Devant faire face à de constantes pressions sur la réforme des terres, mais ne voulant pas couper le pouvoir des élites rurales locales, le gouvernement a ouvert les forêts non cultivées à la colonisation. Ainsi, des immigrants d’endroits variés du Chiapas et d’ailleurs au Mexique ont défriché des parcelles entières pour les saisir et les coloniser, créant de nouvelles communautés au détriment de la forêt et des peuples locaux.

Mais ces terres n’étaient pas bonnes pour être cultivées. Ainsi, H.M Cleaver note “ce fut souvent dans ces nouvelles zones et nouvelles communautés de paysans sans terre, que l’auto-organisation paysanne et la sympathie pour le mouvement zapatiste se sont développées à la fin des années 80 et début des années 90.

La décennie pré-94 d’organisation indigène

Durant les dix ans d’avant le soulèvement, une relation unique entre l’EZLN et les communautés indigènes s’est graduellement établie. Le slogan “Diriger en obéissant” mis en pratique montrait la véritable nature de la relation, une dans laquelle les communautés indigènes jouaient réellement un rôle majeur et directeur.

Les Zapatistes affirmaient à juste titre que l’EZN différait en cela des mouvements de guérilla classiques (marxistes), qui voyaient les groupes indigènes être militarisés et organisés par des groupes exogènes et dont le but étaient de les mobiliser en une insurrection militaire afin de saisir le pouvoir d’état. Cleaver, qui connaissait déjà très bien le Chiapas en 1994, insista sur le fait que faire le portrait des groupes indigènes comme des victimes qui ont été monopolisés est faux : “Cette distinction très importante a été répétée encore et encore par les Zapatistes de l’EZLN.”, ajouta t’il.

L’EZLN, dans ses méthodes sociales et politiques, a été complètement différente de celles de Che Guevara, qu’ils ont néanmoins adoré comme symbole d’héroïsme et de bravoure, adoration partagée avec une vaste majorité de peuples latino-américains : “Che est parti en Bolivie et est resté isolé jusqu’à son assassinat. Marcos, d’un autre côté, est venu au Chiapas, fut absorbé par les communautés indigènes locales et fut recréé comme porte-parole et intermédiaire avec le monde.

Le commandement suprême de l’EZLN était composé de membres élus qui reflétaient le spectre total de toutes les couleurs des communautés et des ethnies ; il s’est transformé en bras militaire des communautés indigènes : “Diriger en obéissant” (mandar obedeciendo)

Marco rejette l’idée que l’EZLN commença à s’organiser pour la lutte armée dès le moment de leur premier campement au Chiapas. Il insiste sur le fait que la communauté a défini leur rôle comme étant celui d’autodéfense, c’est à dire de la protection des peuples Mayas contre les ranchers, proprios de bétail et leurs forces de “sécurité” armées : “Quand nous sommes arrivés ici, nous avons discuté du problème de la lutte armée et les peuples indigènes ont dit : ‘oui, nous devons prendre les armes pour nous défendre’. Ainsi nous avons commencé à nous entrainer dans les montagnes pour l’autodéfense et non pas pour l’attaque. C’est ainsi qu’est née l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (AZLN en français). Notre objectif d’entrainement dans les montagnes fut donc la protection des villageois.” Mais en même temps, “nous réunissions nos forces en silence et nous préparions bien militairement et politiquement pour quand viendra le bon moment de l’attaque.

Ceci se passa alors que l’oppression et la résistance augmentaient à travers le Mexique, mais spécifiquement au Chiapas. Entre 1989 et 1990, le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel), gouverneur du Chiapas s’embarquait dans une campagne de répression tout en s’appropriant simultanément les terres communales et les petites fermes pour les absorber dans de grandes propriétés agricoles.

Ce fut la catastrophique annulation de l’article 27 [de la constitution] qui amena la décision de prendre les armes. Le 7 novembre 1991, le président mexicain Carlos Salinas de Gortari proposa de manière formelle à la législature fédérale du Mexique que l’Article 27 de la constitution mexicaine soit effacé. La confirmation finale devait se faire le 1er janvier 1994. Cela voulait dire la fin du programme promis de distribution de terres et de droit de propriété communal. Cela garantissait aussi le retrait de toute barrière douanière et restrictions sur les investissements étrangers. (NdT : en adéquation avec l’entrée en vigueur des accords NAFTA, l’accord de libre-échange d’Amérique du Nord entre les USA, le Canada et le Mexique…)

Les entreprises multinationales pouvaient dès lors toujours plus s’incruster sur les terres auparavant données pour une agriculture de subsistance et de production alimentaire, les utilisant pour l’exportation de cultures à haute technologie (OGM). Dans le même temps, l’importation de nourriture bien meilleure marché des Etats-Unis, comme par exemple le maïs (NdT : aussi OGM, contrairement aux dizaines de variétés de maïs mexicains…), minimisa ce secteur d’activité. Maintenant, la production de pétrole était aussi ouverte aux entreprises étrangères. Cela aida à faire la voie d’un énorme transfert de masse de terres des communautés indigènes vers les entreprises multinationales.

Tout ceci faisait partie d’une restructuration radicale de l’économie mexicaine afin d’attirer des investissements étrangers et de sécuriser les accords commerciaux du NAFTA / ALEAN.

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Freire, inspiration Zapatista…

Les communautés zapatistes donnèrent l’ordre à leur armée d’agir dans un effort de survie afin de faire échouer ce qui semblait bien être une annihilation imminente. Comme confirmé par Marcos, ce furent les communautés indigènes qui poussèrent à l’insurrection armée, ce ne fut pas une décision de l’EZLN :

Les communautés indigènes m’ont demandé de commencer la guerre parce que j’étais alors en charge de la planification militaire. Je leur ai dit que nous ne pouvions pas le faire, que nous n’étions pas prêts. Je leur ai dit que nous avions besoin de temps, parce que notre entrainement n’était fondé que sur la défense, alors que maintenant elles voulaient que nous attaquions des villes. Alors je leur ai demandé plus de temps pour nous organiser différemment. En janvier 1993, elles m’ont dit qu’elles me donnaient un an pour arranger cela. ‘Si vous ne le faites pas dans un an, nous le ferons sans vous’, ont-elles fit. Elles m’ont dit que la date butoir ´´tait le 31 décembre 1993, cela devait être réalisable entre janvier et décembre. Donc, en 1993, nous avons du réajuster notre système militaire pour organiser l’offensive.”

La décision du soulèvement armé resta pratiquement secret jusqu’au 1er janvier 1994. Mais les trois ans menant à 1991 avaient déjà été utilisés par la communauté pour une augmentation de la résistance organisée. En 1991, les communautés indigènes du Mexique rejoignirent le mouvement latino-américain qui avait lancé de vastes manifestations pour commémorer les 500 ans de résistance depuis l’arrivée de Christophe Colomb sur le continent des Amériques.

Le 12 mars de cette année là, après une longue marche de deux semaines depuis leur cache de la jungle, le rallye / manifestation zapatiste rassembla quelques 100 000 supporteurs qui remplirent la place publique d’où le subcomandante Marcos proclama : “Nous sommes ici pour demander la démocratie, la liberté et la justice.” Les manifestations militantes et leurs sanglantes répressions continuèrent tout au long de l’année 1992.

En mars de cette année là, la répression violente d’une réunion d’organisations indigènes provoqua une marche longue de six semaines pour 400 personnes du Chiapas à Mexico City. En juillet, un groupe de femmes d’Ecatepec, sur la frontière occidentale du Chiapas, fit un sit-in de protestation dans le centre de Mexico City. Le 12 octobre, environ 10 000 indigènes marchèrent sur San Cristobal de Las Casas. D’autres manifestations au Chiapas furent brisées par des gangs armés. Les droits communaux furent ignorés et les leaders du mouvement interpelés et emprisonnés.

La proposition de commencer le soulèvement en janvier 1994 “fut passée par toutes les communautés”, dit Marcos. “On a demandé à tout le monde ce qu’ils en pensaient. Puis, il y eut un vote direct. Ce fut la même chose lorsque le gouvernement proposa un cessez-le-feu et commença les pourparlers de paix. Vous devez passer par chacune des communautés parce que ceux qui ont décidé d cela guerre doivent aussi décider de l’arrêter. Tous les ordures militaires émanent de cela.” précisa t’il.

Le soulèvement zapatiste du Chiapas eut lieu au sein d’une résistance militante dans tout le reste du Mexique. Le samedi qui suivit le soulèvement vit une foule de plus de 50 000 manifestants sur la place principale de Mexico City. Le jour anniversaire de l’assassinat du héros révolutionnaire Emiliano Zapata des foules encore plus importantes marchèrent dans la ville, attirant également des paysans et des organisations indigènes venant de tout le pays.

A suivre…

Lectures complémentaires :

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

DECF1
En lutte contre le terrorisme depuis 1492…

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Résistance politique: “Chiapas, feu et parole d’un peuple qui dirige et dont le gouvernement obéit” (essentiel EZLN version PDF)

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Présentation PDF EZLN

“Chiapas, feu et parole d’un peuple qui dirige et dont le gouvernement obéit”

 

Résistance 71

 

22 octobre 2018

 

 

— Le zapatisme n’est pas une idéologie
Ce n’est pas une doctrine à vendre et achetée
C’est… une intuition
Quelque chose de si ouvert et de si flexible que
Cela se produit en tout lieu
Le zapatisme pose la question:
“Qu’est-ce qui m’a exclu ?
Qu’est-ce qui m’a isolé ?”
En chaque endroit, la réponse est différente
Le zapatisme ne fait que poser la question
Et stipule que la réponse est plurielle
Que la réponse est inclusive…
Marcos, 1994 —

En adéquation avec l’appel venu récemment des montagnes du sud-est mexicain pour la formation d’un Réseau de Résistance et de Rébellion International contre l’oppression de la société capitaliste marchande et avec l’aide de Jo de JBL1960, nous avons compilé une bonne moitié des textes de l’EZLN que nous avons publiés, parfois traduits depuis 2012 sur ce blog, dans un pdf essentiel pour tous ceux qui désirent aller de l’avant dans l’émancipation par la pensée et l’action critiques menant sur le chemin de la complétion de notre humanité.

Après 10 ans de préparation clandestine, le cri des opprimés natifs originels de cette région du monde “¡Ya Basta!” “Assez est assez !” a retenti en 1994 et résonne toujours de plus en plus fort dans le monde, amplifié par les caisses de résonance que sont devenus les états de nos sociétés moribondes, coquilles vides de substance politique, sociale et culturelle.

Ces textes politiques essentiels, souvent émis par le porte-parole du mouvement, le charismatique et facétieux “Marcos” au nom de tous les compañeros et compañeras de la Sixta et des peuples opprimés du monde, nous montrent le chemin de la réalisation dans chaque endroit, ici et maintenant de nos sociétés émancipées par les associations volontaires qui, unifiées dans la grande compréhension de la complémentarité, créeront la société des sociétés qui réalisera pleinement l’Homme et le réconciliera avec la Nature qu’il bafoue depuis des siècles et des siècles.

 

Compilation PDF textes de l’EZLN
Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

 


« Vous êtes en territoire zapatiste en rébellion »

Les paroles ci-dessous nous expliquent qui sont les Zapatistes et affirment que leur lutte n’est pas seulement la leur, mais celle de nous tous, peuples opprimés, majorité des 99,9% trompés, bafoués, exploités et à terme assassinés par les 0,1% d’une “élite” auto-proclamée qui doit s’entendre dire une fois pour toute: “Assez, est assez !” Il suffit de dire NON ! Ensemble…

Voici qui nous sommes.
L’Armée Zapatiste de Libération Nationale.
La voix qui s’arme pour être entendue.
Le visage qui se cache pour être vu.
Le nom qui se cache pour être nommé.
L’étoile rouge qui appelle l’humanité et le monde, pour être entendue, vue et nommée.
Le demain à être moissonné dans le passé.

Derrière notre masque noir,
Derrière notre voix armée,
Derrière notre nom innommable,
Derrière nous, que vous voyez,
Derrière nous, nous sommes vous.

Derrière, nous sommes les mêmes femmes et hommes ordinaires,
Qui se répètent dans toutes les races,
Peints de toutes les couleurs,
Parlant dans toutes les langues,
Et vivant dans tous les endroits.
Les mêmes femmes et hommes oubliés.
Les mêmes exclus,
Les mêmes intolérés,
Les mêmes persécutés,
Nous sommes vous.

Derrière nous, vous êtes nous.
Derrière notre masque se trouve le visage de toutes les femmes exclues,
De tous les indigènes oubliés,
De tous les jeunes méprisés,
De tous les migrants battus,
De tous ceux emprisonnés pour leurs paroles et leurs pensées,
De tous les homosexuels persécutés,
De tous les travailleurs humiliés,
De tous ceux morts par négligence,
De tous les femmes et hommes ordinaires,
Qui ne comptent pas,
Qui ne sont pas vus,
Qui sont sans nom,
Qui n’ont pas de lendemain

Nous sommes les Zapatistes.
Nous vous avons invité pour que nous puissions nous parler,
Pour que vous voyez tout ce que nous sommes.

~ Comité Indigène Révolutionnaire Clandestin, depuis les montagnes du sud-est mexicain, le 27 juillet 1996 —

(Traduction Résistance 71 )

 

Notre page « Textes Fondateurs pour un Changement Politique »

 

Résistance et renouveau politique: La 6ème déclaration zapatiste de la forêt de Lacandone (2005) ~ Suite et fin ~

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ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE

SIXIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE

Juin 2005

Source:
http://cspcl.ouvaton.org/spip.php?article204

1ère partie
2ème partie

 

  1. DE COMMENT NOUS VOYONS NOTRE PAYS, LE MEXIQUE

Nous allons parler maintenant de comment nous voyons ce qui se passe au Mexique, notre pays à nous. Alors, ce que nous voyons, c’est que notre pays est gouverné par les néolibéralistes. Autrement dit, comme nous l’avons expliqué auparavant, les gouvernants que nous avons sont en train de détruire ce qui est notre nation, notre patrie mexicaine. Et le travail de ces gouvernants n’est pas de veiller au bien-être du peuple, non, ils ne pensent qu’au bien-être des capitalistes. Par exemple, ils font des lois comme le traité de libre-échange qui plongent dans la misère beaucoup de Mexicains, aussi bien des paysans et des petits producteurs, parce qu’ils sont « mangés » par les grandes entreprises de l’agro-industrie, que des ouvriers et des petits entrepreneurs, parce qu’ils ne peuvent pas rivaliser avec les grandes entreprises multinationales, qui s’installent sans que personne ne s’y oppose – et il y en a même qui leur disent merci – et qui imposent leurs bas salaires et leurs prix élevés. Alors, certaines des bases économiques, comme on dit, de notre Mexique, comme l’agriculture et l’industrie ou le commerce national, sont sacrément détruites et il ne reste d’elles que des ruines qui vont sûrement être vendues aussi.

C’est un grand malheur pour notre patrie, parce que les campagnes ne produisent plus les aliments, mais uniquement ce que vendent les grands capitalistes, et que les bonnes terres sont volées par la ruse et avec la complicité des hommes politiques. Autrement dit, à la campagne, il se passe aujourd’hui la même chose que sous Porfirio, mais la seule différence c’est qu’au lieu d’hacendados, de grands propriétaires terriens, maintenant ce sont des entreprises étrangères qui foutent dans la merde les paysans. Et là où, avant, il y avait des crédits et des prix protégés, maintenant, il n’y a plus que des aumônes… Et parfois même pas.

Les travailleurs de la ville, eux, voient leurs usines fermer et perdent leur travail ou alors ils trouvent à leur place des maquiladoras, comme on les appelle, des usines-ateliers appartenant à l’étranger qui payent une misère pour beaucoup d’heures de travail. Et alors le prix des produits dont a besoin le peuple n’a plus aucune importance, parce que, que ce soit cher ou pas, de toute façon la paye ne suffit pas. Si avant quelqu’un travaillait dans une petite ou moyenne entreprise, c’est fini, parce qu’elle a fermé et que c’est une multinationale qui l’a achetée. Et si avant quelqu’un avait un petit commerce, lui aussi a disparu ou alors il s’est mis à travailler clandestinement pour des grandes entreprises qui l’exploitent un maximum et qui font même travailler des enfants. Et si des travailleurs étaient dans un syndicat pour revendiquer légalement leurs droits, c’est fini, le syndicat lui-même leur dit qu’il faut retrousser ses manches et accepter de baisser les salaires ou de diminuer la journée de travail ou de perdre la protection sociale parce que, sinon, l’entreprise va fermer et va partir s’installer dans un autre pays. Et après, il y aussi cette histoire du microchangarro, « les petits métiers », qui est une sorte de programme économique du gouvernement pour que tous les travailleurs de la ville se mettent à vendre du chewing-gum ou des cartes de téléphone aux coins des rues. C’est-à-dire que dans les villes aussi, c’est la ruine économique totale.

Et alors ce qui se passe, c’est que l’économie du peuple est tellement patraque, à la ville comme à la campagne, que beaucoup de Mexicains et de Mexicaines doivent abandonner leur patrie, leur terre mexicaine, pour aller chercher du travail dans un autre pays, comme les États-Unis, et que là-bas ils ne sont pas mieux traités, parce qu’on les exploite, on les persécute, on les méprise et même ils se font tuer.

Alors, avec le néolibéralisme que nous imposent ceux du mauvais gouvernement, l’économie ne s’est pas améliorée, sinon tout le contraire. Les campagnes sont très pauvres et en ville il n’y a pas de travail. Ce qui se passe, en fait, c’est que le Mexique n’est plus que le pays où naissent, durent un moment et puis après, meurent, ceux qui travaillent pour enrichir des étrangers, principalement des gringos riches. C’est pour ça que nous disons que le Mexique est dominé par les États-Unis.

Mais il n’y a pas que ça qui se passe. Le néolibéralisme a aussi transformé la classe politique mexicaine, autrement dit les hommes politiques, parce qu’il a fait d’eux des employés de grand magasin qui doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour tout vendre et vendre au rabais. Vous avez vu comment ils ont changé les lois pour supprimer l’article 27 de la Constitution pour pouvoir vendre les terres communales et celles des ejidos. C’est Salinas de Gortari qui l’a fait ; lui et sa bande prétendaient que c’était pour le bien de l’agriculture et des paysans et que, comme ça, on allait prospérer et vivre mieux. C’est ça qui s’est passé ? Mon œil ! Les campagnes mexicaines sont plus pauvres que jamais et les paysans plus dans la merde que sous Porfirio. Les mêmes avaient aussi dit qu’ils allaient privatiser, autrement dit vendre à l’étranger, les entreprises qui appartiennent à l’État pour améliorer le sort du peuple, sous prétexte qu’il fallait les moderniser et que le mieux, c’était de les vendre. Mais au lieu de s’être amélioré, le système de protection sociale qui avait été acquis de haute lutte avec la révolution de 1910 fait aujourd’hui peine à voir… Ou même honte. Les mêmes avaient aussi dit qu’il fallait ouvrir les frontières pour laisser entrer tout le capital de l’étranger, pour que les patrons mexicains retroussent leurs manches et fassent un peu mieux les choses. Mais aujourd’hui, ce qu’on voit c’est qu’il n’y a plus d’entreprises mexicaines, elles ont toutes été avalées par des étrangers, et que ce qui se vend est pire que ce qu’on fabriquait avant au Mexique.

Et maintenant les hommes politiques mexicains veulent aussi vendre la Pemex, autrement dit le pétrole des Mexicains. La seule différence, c’est qu’il y en a qui disent qu’ils vendront tout et d’autres qui disent qu’ils ne vendront qu’une partie. Et ils veulent aussi privatiser la sécurité sociale, et l’électricité, et l’eau, et les forêts, et tout, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du Mexique et que notre pays devienne une sorte de terre en friche ou un parc d’attractions réservé aux riches du monde entier, et que les Mexicains et les Mexicaines ne soient plus que leurs domestiques, dépendant de ce qu’on veut bien leur donner, vivant mal, sans racines, sans culture, autrement dit sans patrie.

Autrement dit, les néolibéralistes veulent tuer le Mexique, notre chère patrie mexicaine. Et les partis politiques officiels non seulement ne la défendent pas, mais sont les premiers à se mettre au service de l’étranger, principalement des États-Unis. Ce sont eux qui se chargent de nous tromper et de nous faire regarder ailleurs pendant qu’ils vendent tout et gardent la paye pour eux. Nous disons bien tous les partis politiques officiels qui existent aujourd’hui, pas seulement l’un d’entre eux. Essayez de trouver s’ils ont fait quelque chose de bien et vous verrez que non. Ils n’ont fait que voler et mentir. Et vous verrez qu’eux ont toujours leurs belles maisons et leurs belles voitures et tout leur luxe. Et en plus ils voudraient qu’on leur dise merci et qu’on vote encore une fois pour eux. Il faut bien dire qu’ils n’ont pas honte, comme on dit. Ils n’ont pas honte tout simplement parce qu’ils n’ont pas de patrie, ils n’ont que des comptes en banque.

Nous voyons aussi que le narcotrafic et la criminalité n’ont pas cessé d’augmenter. Parfois nous pensons que les criminels sont comme dans les chansons ou dans les films et peut-être que certains sont comme ça, mais ce ne sont pas les vrais chefs. Les vrais chefs sont bien habillés, ils ont fait des études à l’étranger, ils sont élégants et ils ne se cachent pas. Non, ils mangent dans de bons restaurants et sortent tout beaux, tout propres et bien habillés dans leurs fêtes à la une des journaux, c’est comme dirait l’autre « des gens biens » et certains sont même au gouvernement ou sont députés, sénateurs, ministres, chefs d’entreprise prospères, chefs de la police ou généraux de l’armée.

Nous disons que la politique ne sert à rien ? Non, ce que nous voulons dire, c’est que CETTE politique-là ne vaut rien. Elle ne vaut rien parce qu’elle ne tient pas compte du peuple, qu’elle ne l’écoute pas, qu’elle ne pense pas à lui et parce qu’elle vient le trouver seulement en période d’élections – et ce n’est même pas les votes qui l’intéressent, avec les sondages pour savoir qui va gagner ça lui suffit. Et alors on a droit à plein de promesses. Et que je vais faire ça et puis ça aussi, promis juré. Mais après, il n’y a plus personne, sauf quand on apprend par le journal qu’ils ont volé plein d’argent et qu’on ne va rien leur faire parce que la loi, que ces mêmes hommes politiques ont faite, les protège.

Parce que ça aussi, c’est un problème. La Constitution est complètement manipulée et changée. Ce n’est plus celle où il y avait les droits et les libertés du peuple travailleur, c’est celle des droits et des libertés des néolibéralistes pour faire tous leurs profits. Les juges sont là uniquement pour servir ces néolibéralistes, parce qu’ils finissent toujours par trancher en leur faveur et que ceux qui ne sont pas riches n’ont droit qu’à l’injustice, à la prison et au cimetière.

Eh bien, en dépit de la grande lessive orchestrée par les néolibéralistes, il y a quand même des Mexicains et des Mexicaines qui s’organisent et résistent.

Et on s’aperçoit qu’il y a des indigènes, dans leurs terres reculées, ici, au Chiapas, qui s’organisent de manière autonome, défendent leur culture et protègent la terre, les forêts et l’eau.

Et il y a des travailleurs de la campagne, autrement dit des paysans, qui s’organisent et font des marches et des mobilisations pour demander des crédits et des aides pour la campagne.

Et il y a des travailleurs des villes qui refusent qu’on leur retire leurs droits ou que l’on privatise leur travail et ils protestent et manifestent pour ne pas perdre le peu qu’ils ont et pour que notre pays ne perde pas ce qui lui appartient, comme l’électricité, le pétrole, la sécurité sociale et l’éducation.

Et il y a des étudiants qui refusent que l’on privatise l’éducation et qui se battent pour qu’elle soit gratuite et populaire et scientifique, autrement dit, qu’elle ne soit pas payante, que tout le monde puisse apprendre et que dans les écoles on n’enseigne pas des stupidités.

Et il y a des femmes qui refusent de continuer à être traitées comme de simples potiches et d’être humiliées et méprisées sous le prétexte qu’elles sont femmes, et elles s’organisent et se battent pour obtenir le respect qu’elles méritent en tant que femmes.

Et il y a des jeunes qui refusent qu’on les abrutisse avec des drogues ou qu’on les persécute pour leur façon d’être et ils prennent conscience avec leur musique et leur culture, autrement dit avec leur rébellion.

Et il y a des homosexuels, des lesbiennes, des transsexuels et d’autres encore qui refusent qu’on se moque d’eux, qu’on les méprise, qu’on les maltraite et qu’on en arrive à leur ôter la vie simplement parce qu’ils ont une façon différente d’être, et qu’on les traite d’anormaux ou de délinquants, et ils créent leurs propres organisations pour défendre le droit à la différence.

Et il y a des prêtres et des bonnes sœurs et ceux que l’on appelle séculiers qui ne sont pas du côté des riches et qui ne se résignent pas à la simple prière, et ils s’organisent pour accompagner le peuple dans sa lutte.

Et il y a ceux que l’on appelle combattants sociaux, des femmes et des hommes qui ont passé toute leur vie à se battre pour le peuple exploité, qui ont participé aux grandes grèves et aux actions des ouvriers, aux grandes mobilisations des citoyens et aux grands mouvements paysans et qui ont été victimes d’une terrible répression, mais, en dépit de tout cela et bien que certains soient très vieux, ils continuent à ne pas se rendre. Et ils vont partout où est la lutte et ne cessent de chercher à s’organiser et à faire que justice soit rendue. Et ils créent des organisations de gauche, des organisations non gouvernementales, des organisations pour le respect des droits de l’être humain, des organisations pour la défense des prisonniers politiques et pour la réapparition des disparus. Et ils créent des publications de gauche, des organisations de professeurs ou d’étudiants. Autrement dit, ils participent à une lutte sociale. Et il y en a même qui créent des organisations politico-militaires. Tous ceux-là ne se tiennent pas tranquilles et ils en savent long, parce qu’ils ont vu, et entendu, et vécu beaucoup de choses, et qu’ils ont beaucoup lutté.

Alors, en général, nous, nous voyons que, dans notre pays, qui s’appelle le Mexique, il y a beaucoup de gens qui ne se laissent pas faire, qui ne se rendent pas, qui ne se vendent pas. Autrement dit, qui sont dignes. Et cela nous réjouit et nous donne une certaine satisfaction, parce que avec tous ces gens ça ne va pas être si facile pour les néolibéralistes et peut-être que l’on parviendra même à sauver notre patrie des incroyables vols et de la destruction que les néolibéralistes ont entrepris. Et nous nous prenons à penser que ce serait bien si notre « nous autres » incluait toutes ces rébellions…

  1. CE QUE NOUS VOULONS FAIRE

Bien, alors maintenant nous allons vous dire ce que nous voudrions faire dans le monde et au Mexique, parce que nous sommes incapables de nous taire, sans plus, devant tout ce qui se passe sur cette planète, comme s’il n’y avait que nous qui étions là où nous en sommes.

Alors dans le monde, nous voulons dire à vous tous qui résistez et luttez à votre façon et dans votre pays que vous n’êtes pas seuls et que nous, les zapatistes, même si nous sommes tout petits, nous vous soutenons et nous allons chercher un moyen de vous aider dans vos luttes et de parler avec vous pour apprendre, parce que s’il y a bien une chose que nous avons apprise, c’est à apprendre.

Et nous voulons dire aux peuples latino-américains que nous sommes fiers d’être des leurs, même si nous n’en sommes qu’une petite partie. Et que nous nous rappelons parfaitement comment ce continent s’est illuminé, il y a des années de cela, et qu’une lumière s’appelait Che Guevara, comme auparavant elle s’était appelée Bolivar, parce que parfois les peuples se saisissent d’un nom pour dire qu’ils se saisissent d’un étendard.

Et nous voulons dire au peuple de Cuba, qui résiste depuis si longtemps sur son chemin, qu’il n’est pas seul et que nous ne sommes pas d’accord avec le blocus dont il est victime et que nous allons chercher un moyen de lui envoyer quelque chose, même si ce n’est que du maïs, pour l’aider à résister. Et nous voulons dire au peuple nord-américain que nous ne sommes pas naïfs et que nous savons que leurs mauvais gouvernements sont une chose, et que les Nord-Américains qui luttent dans leur pays et se solidarisent avec les luttes d’autres pays sont une chose très différente. Et nous voulons dire aux frères et aux sœurs Mapuche du Chili que nous connaissons leur lutte et que nous apprenons d’elle. Et à ceux et celles du Venezuela que nous trouvons que c’est bien la manière dont ils défendent leur souveraineté, autrement dit le droit de leur nation à décider du chemin qu’elle veut emprunter. Et nous voulons dire aux frères et aux sœurs indigènes d’Équateur et de Bolivie qu’ils sont en train de donner une belle leçon d’histoire, à nous et à l’Amérique latine tout entière, parce que pour une fois on parvient à stopper la mondialisation néolibérale. Et nous voulons dire aux piqueteros et aux jeunes d’Argentine, simplement, que nous les aimons. Et à ceux d’Uruguay qui veulent un meilleur pays que nous les admirons. Et à ceux qui sont sans terre au Brésil que nous les respectons. Et à tous les jeunes d’Amérique latine que ce qu’ils font est très bien et qu’ils nous donnent beaucoup d’espoir.

Et nous voulons dire aux frères et aux sœurs de l’Europe sociale, autrement dit l’Europe digne et rebelle, qu’ils ne sont pas seuls. Que nous nous réjouissons de leurs grands mouvements contre les guerres néolibérales. Que nous observons attentivement leurs formes d’organisation et leurs formes de lutte pour en apprendre éventuellement quelque chose. Que nous cherchons un moyen de soutenir leurs luttes et que nous n’allons pas leur envoyer des euros, pour qu’après ils soient dévalués à cause de l’effondrement de l’Union européenne, mais que nous allons peut-être leur envoyer de l’artisanat et du café, pour qu’ils les commercialisent et en tirent quelque chose pour les aider dans leurs luttes. Et que peut-être que nous leur enverrons du pozole, ça donne des forces pour résister, mais qu’après tout il est possible que nous ne le leur envoyions pas, parce que le pozole c’est quelque chose bien de chez nous et qu’il ne manquerait plus qu’ils attrapent mal au ventre et qu’après, leurs luttes s’en ressentent et qu’ils soient vaincus par les néolibéralistes.

Et nous voulons dire aux frères et sœurs d’Afrique, d’Asie et d’Océanie que nous savons qu’eux aussi luttent et que nous voulons en savoir plus sur leurs idées et sur leurs pratiques.

Et nous voulons dire au monde que nous voulons le faire plus grand, si grand que puissent y avoir leur place tous les mondes qui résistent parce que les néolibéralistes veulent les détruire et qu’ils ne se laissent pas faire mais luttent pour l’humanité.

Alors, au Mexique, nous voulons arriver à un accord avec des personnes et des organisations de gauche, uniquement, parce que nous pensons que ce n’est qu’au sein de la gauche politique que l’on trouve la volonté de résister à la mondialisation néolibérale et de construire un pays où tout le monde jouisse de la justice, de la démocratie et de la liberté. Et non comme maintenant où la justice n’existe que pour les riches, où la liberté n’existe que pour leurs grands négoces et où la démocratie n’existe que pour couvrir les murs de propagande électorale. Et aussi parce que nous pensons que c’est uniquement de la gauche que peut surgir un plan de lutte pour que notre patrie, c’est-à-dire le Mexique, ne meure pas.

Et alors, ce à quoi nous avons pensé, c’est de dresser avec ces personnes et organisations de gauche un plan pour aller partout au Mexique où il y a des gens humbles et simples comme nous.

Et nous n’allons pas aller leur dire ce qu’ils doivent faire, autrement dit leur donner des ordres.

Nous n’allons pas non plus leur demander de voter pour tel ou tel candidat, nous savons parfaitement qu’ils sont tous partisans du néolibéralisme.

Nous n’allons pas non plus leur dire qu’ils fassent comme nous ou qu’ils prennent les armes.

Non, ce que nous allons faire, c’est leur demander comment ils vivent, comment est leur lutte, ce qu’ils pensent de notre pays et comment faire ensemble pour ne pas être vaincus.

Ce que nous allons faire, c’est aller chercher la pensée des gens simples et humbles comme nous et peut-être que nous y trouverons le même amour que nous ressentons pour notre pays.

Et peut-être allons-nous trouver un accord entre gens simples et humbles, et ensemble nous organiser dans tout le pays et faire concorder nos luttes, qui restent isolées, loin les unes des autres, et trouver une sorte de programme qui réunisse ce que tout le monde veut, et un plan de ce que nous ferons, et comment, pour que ce programme, appelé « programme national de lutte », se réalise.

Et alors, en accord avec la majorité des gens que nous allons écouter, eh bien, nous pourrions faire une lutte de tout le monde : des indigènes, des ouvriers, des paysans, des étudiants, des professeurs, des employés, des femmes, des enfants, des anciens et des hommes et avec toutes les personnes au cœur bon qui auront envie de lutter pour que ne soit pas détruit et vendu notre pays, qu’on appelle « le Mexique » et qui va du Rio Bravo au Rio Suchiate et qui est bordé, d’un côté, par l’océan Pacifique, et de l’autre, par l’océan Atlantique.

  1. COMMENT NOUS ALLONS LE FAIRE

Alors voici notre parole simple, qui s’adresse aux gens humbles et simples du Mexique et du monde et que nous appelons en cette occasion :

Sixième Déclaration de la forêt Lacandone

Et nous voici venus pour dire, avec notre parole simple, que…

L’EZLN renouvelle ses engagements concernant le maintien du cessez-le-feu offensif et elle ne lancera aucune attaque contre les forces gouvernementales et n’effectuera aucun mouvement de troupes offensif.

L’EZLN renouvelle ses engagements concernant la poursuite de ses activités dans le cadre de la lutte politique, avec l’initiative pacifique actuelle. Par conséquent, l’EZLN maintient sa volonté de n’entretenir aucune sorte de relation secrète avec des organisations politico-militaires mexicaines ou d’autres pays.

L’EZLN renouvelle ses engagements concernant la défense, le soutien et l’obéissance aux communautés indigènes zapatistes qui la constituent ainsi qu’à leur commandement suprême, et, sans interférer avec leurs méthodes démocratiques internes et dans la mesure de ses possibilités, elle contribuera au renforcement de leur autonomie, de leur bon gouvernement et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Autrement dit, ce que nous allons faire au Mexique et dans le monde, nous le ferons sans armes, dans le cadre d’un mouvement civil et pacifique, et sans négliger ni cesser de soutenir nos communautés.

Par conséquent…

Dans le monde…

  1. Nous établirons plus de relations respectueuses et de soutiens mutuels avec des personnes et des organisations qui résistent et luttent contre le néolibéralisme et pour l’humanité.
  2. Dans la mesure de nos possibilités, nous fournirons des aides matérielles, des aliments et de l’artisanat aux frères et sœurs qui luttent dans le monde entier.

Pour commencer, nous allons demander au conseil de bon gouvernement de La Realidad de nous prêter le camion baptisé « Chompiras », d’une capacité d’environ 8 tonnes, et nous allons le remplir de maïs et si possible de deux bidons de 200 litres chacun rempli d’essence ou de pétrole, selon les besoins, que nous allons livrer à l’ambassade de Cuba à Mexico, pour qu’elle le fasse parvenir au peuple cubain en tant que soutien des zapatistes à sa résistance au blocus nord-américain. Mais s’il y avait un endroit plus près où livrer, ce ne serait pas plus mal, parce qu’il faut toujours aller jusqu’à Mexico qui est bien loin et il n’est pas impossible que « Chompiras » rende l’âme et alors on n’en mènerait pas large. Et de toute façon, ce ne serait pas avant la récolte et si on ne nous attaque pas, parce que tout est encore vert dans la milpa et que si nous l’envoyons maintenant, ce sera de l’elote qui n’arriverait pas en bonnes conditions, même sous forme de tamales. Ce serait mieux en novembre ou en octobre, au choix.

Et nous allons aussi nous mettre d’accord avec des coopératives d’artisanat de femmes pour pouvoir envoyer une bonne cargaison de vêtements brodés aux Europes, qui ne seront peut-être plus une Union, et peut-être aussi du café écologique des coopératives zapatistes, pour les vendre et avoir un peu de sous pour leur lutte. Et si cela ne se vend pas, ils pourront toujours se faire un petit café et causer de la lutte antinéolibérale, et s’il fait froid, ils pourront mettre les vêtements brodés zapatistes, qui résistent parfaitement au lavage à la main et à la pierre, et qui ne déteignent pas, en plus.

Et nous allons aussi envoyer aux frères et sœurs indigènes de Bolivie et d’Équateur un peu de maïs non transgénique. Il y a juste que nous ne savons pas où le livrer pour qu’il arrive en de bonnes mains, mais nous aimerions vraiment fournir cette petite aide.

  1. Et nous disons à tous ceux et à toutes celles qui résistent dans le monde entier qu’il faut organiser d’autres rencontres intercontinentales, même si ce n’est qu’une seule de plus. En décembre ou en janvier prochain, peut-être, il faudrait y penser. Nous ne voulons pas fixer de date, parce qu’il s’agit de faire les choses en se mettant tous d’accord sur où, comment et qui. Mais il ne faudrait pas que ce soit ce genre de rencontre avec estrades où il n’y en a que quelques-uns qui parlent pendant que les autres écoutent, mais une rencontre sans formalités, tout le monde sur le même plan et tout le monde parle. Avec un peu d’ordre quand même, parce que, sinon, c’est rien que du bruit et on ne comprend rien à ce qui est dit, alors qu’avec un peu d’organisation tout le monde écoute et peut prendre note des paroles de résistance des autres pour pouvoir les rapporter à leurs compañeros et compañeras dans leur propre monde. Et nous avons pensé que ça pourrait se faire dans un endroit où il y a une grande prison, pour le cas où il y aurait de la répression et qu’on nous emprisonne et, comme ça, nous ne serions pas entassés les uns sur les autres. En prison, soit, mais bien organisés, et nous pourrions continuer en prison la rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme. Alors, plus loin nous allons vous dire comment faire pour nous mettre d’accord sur la manière de se mettre d’accord. Enfin, en tout cas, c’est comme ça que nous pensons faire ce que nous voulons faire dans le monde. Mais d’abord…

Au Mexique…

  1. Nous allons continuer à lutter pour les peuples indiens du Mexique, et plus seulement pour eux ni rien qu’avec eux, mais aussi pour tous les exploités et les dépossédés du Mexique, avec eux tous et dans l’ensemble du pays. Et quand nous parlons de tous les exploités du Mexique, nous parlons aussi des frères et sœurs qui ont dû partir aux États-Unis chercher du travail pour pouvoir survivre.
  2. Nous allons aller écouter et parler directement, sans intermédiaires ni médiations, avec les gens simples et humbles du peuple mexicain et, en fonction de ce que nous entendrons et apprendrons, nous élaborerons, avec ces gens qui sont, comme nous, humbles et simples, un programme national de lutte. Mais un programme qui soit clairement de gauche, autrement dit anticapitaliste et antinéolibéral, autrement dit pour la justice, la démocratie et la liberté pour le peuple mexicain.
  3. Nous allons essayer de construire ou de reconstruire une autre façon de faire de la politique, une façon qui renoue avec l’esprit de servir les autres, sans intérêts matériels et avec sacrifice, en consacrant son temps et avec honnêteté, en respectant la parole donnée et avec pour seule paye la satisfaction du devoir accompli. Autrement dit, comme le faisaient auparavant les militants de gauche que rien n’arrêtait, ni les coups, ni la prison, ni la mort, et encore moins des dollars.
  4. Nous allons aussi essayer de faire démarrer une lutte pour exiger une nouvelle Constitution, autrement dit des nouvelles lois qui prennent en compte les exigences du peuple mexicain, à savoir : logement, terre, travail, alimentation, santé, éducation, information, culture, indépendance, démocratie, justice, liberté et paix. Une nouvelle Constitution qui reconnaisse les droits et libertés du peuple et qui défende le faible contre le puissant.

DANS CE BUT…

L’EZLN enverra une délégation de sa direction pour accomplir cette tâche sur l’ensemble du territoire mexicain et pour une durée indéterminée. Cette délégation zapatiste se rendra aux endroits où elle sera expressément invitée, en compagnie des organisations et des personnes de gauche qui auront souscrit à cette Sixième Déclaration de la forêt Lacandone.

Nous informons à l’avance que l’EZLN mènera une politique d’alliances avec des organisations et des mouvements non électoralistes qui se définissent, en théorie et en pratique, comme des mouvements et organisations de gauche, aux conditions suivantes :

Non à des accords conclus en haut pour imposer en bas, mais oui à la conclusion d’accords pour aller ensemble écouter et organiser l’indignation ; non à la création de mouvements qui soient ensuite négociés dans le dos de ceux qui y participent, mais oui à toujours tenir compte de l’opinion des participants ; non à la recherche de récompenses, de promotion, d’avantages, de postes publics, du pouvoir ou de qui aspire au pouvoir, mais oui à outrepasser les calendriers des élections ; non à la tentative de résoudre d’en haut les problèmes de notre pays, mais oui à la construction PAR LE BAS ET POUR EN BAS d’une alternative à la destruction néolibérale, une alternative de gauche pour le Mexique.

Oui au respect réciproque de l’autonomie et de l’indépendance d’organisations, à leurs formes de lutte, à leur façon de s’organiser, à leurs méthodes internes de prises de décision, à leurs représentations légitimes, à leurs aspirations et à leurs exigences ; et oui à un engagement clair et net de défense conjointe et coordonnée de notre souveraineté nationale, par conséquent avec une opposition sans concessions aux tentatives de privatisation de l’énergie électrique, du pétrole, de l’eau et des ressources naturelles.

Autrement dit, nous invitons comme qui dirait les organisations politiques et sociales de gauche qui ne sont pas officiellement déclarées et les personnes qui se revendiquent de gauche sans appartenir aux partis politiques officiels à nous réunir, au moment, à l’endroit et de la manière que nous leur proposerons en son temps, afin d’organiser une campagne nationale, en parcourant tous les lieux même les plus reculés de notre patrie, pour écouter et organiser la parole de notre peuple. Alors, c’est comme une campagne, mais bien différente parce qu’elle n’est pas électorale.

Frères et sœurs,

Voici notre parole. Nous disons :

Dans le monde, nous allons davantage fraterniser avec les luttes de résistance contre le néolibéralisme et pour l’humanité.

Et nous allons soutenir, même si ce n’est qu’un petit peu, ces luttes.

Et nous allons échanger dans un respect mutuel expériences, histoires, idées et rêves.

Au Mexique, nous allons parcourir l’ensemble du pays, au milieu des décombres qu’a semés la guerre néolibérale et parmi les résistances, retranchées, qui y fleurissent.

Nous allons chercher, et trouver, des gens qui aiment ces terres et ces cieux au moins autant que nous.

Nous allons chercher, de La Realidad à Tijuana, des gens qui veulent organiser et lutter et construire, qui sait, le dernier espoir que cette nation, qui existe au moins depuis le jour où un aigle s’est posé sur un nopal pour y dévorer un serpent, ne meure pas.

Nous invitons les indigènes, les ouvriers, les paysans, les professeurs, les étudiants, les ménagères, les habitants des quartiers, les petits propriétaires, les petits commerçants, les micro-chefs d’entreprise, les retraités, les handicapés, les prêtres et les bonnes sœurs, les chercheurs, les artistes, les intellectuels, les jeunes, les femmes, les vieillards, les homosexuels, les lesbiennes et les enfants, garçons et filles, à participer directement, de manière individuelle ou collective, à la construction d’une autre façon de faire de la politique et d’un programme de lutte national et de gauche, et à lutter pour une nouvelle Constitution.

Voilà quelle est notre parole pour dire ce que nous allons faire et comment nous allons le faire. Elle est à votre disposition, si cela vous intéresse.

Et nous voulons dire aux hommes et aux femmes à la pensée bonne dans leur cœur, qui seraient d’accord avec cette parole que nous donnons, de ne pas avoir peur ou, s’ils ont peur, de se dominer et de dire publiquement s’ils sont d’accord avec cette idée que nous lançons. Comme ça, on verra enfin une fois pour toutes avec qui, où, quand et comment va être franchi ce nouveau pas dans la lutte.

Pendant que vous y réfléchissez, sachez que, en ce sixième mois de l’an 2005, nous, les hommes, les femmes, les enfants et les anciens de l’Armée zapatiste de libération nationale, nous avons déjà pris notre décision et que nous souscrivons à cette Sixième Déclaration de la forêt Lacandone, et qu’elle a été contresignée par ceux qui savaient signer et que ceux qui ne savaient pas ont mis leurs empreintes, bien qu’il y ait moins de personnes maintenant qui ne savent pas, parce qu’une éducation a pu être donnée ici, dans ce territoire en rébellion pour l’humanité et contre le néolibéralisme, autrement dit sous les cieux et sur les terres zapatistes.

Voilà quelle a été notre parole simple s’adressant aux cœurs nobles des gens simples et humbles qui résistent et se rebellent contre l’injustice dans le monde entier.

DÉMOCRATIE ! 
LIBERTÉ !
JUSTICE !

Des montagnes du Sud-Est mexicain. 
Comité clandestin révolutionnaire indigène 
Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale. 
Mexique, en ce sixième mois, autrement dit en juin, de l’an 2005.

Traduit du castillan par Angel Caído, compañero que nous remercions chaleureusement.

P.-S.

Brochure de la Sixième déclaration de la forêt Lacandone

Résistance et renouveau politique: La 6ème déclaration zapatiste de la forêt de Lacandone (2005)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, écologie & climat, économie, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, N.O.M, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, philosophie, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , on 16 mai 2015 by Résistance 71

La 6ème déclaration de la forêt/jungle de Lacandone est un texte important, fondateur et inspirateur à adapter culturellement dans nos sociétés. Changer de paradigme politique implique nécessairement d’avoir une vision claire de l’histoire et une vision politique sur ce qui doit être fait ainsi que d’articuler les moyens pour y parvenir. Si le mouvement zapatiste existe toujours plus que jamais depuis plus de 20 ans au Mexique, c’est parce que leur vision politique l’a rendu incorruptible. Nous publions ce texte essentiel en deux parties. Les suiveurs de cette déclaration sont appelés les « compas de la sixième » (compas de la sixte).

— Résistance 71 —

 

ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE

SIXIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE

Juin 2005

Source:
http://cspcl.ouvaton.org/spip.php?article204

1ère partie
2ème partie

Voici notre parole simple qui voudrait arriver au cœur des gens comme nous, humbles et simples, mais, tout comme nous aussi, rebelles et dignes. Voici notre parole simple pour raconter le chemin que nous avons parcouru et où nous en sommes aujourd’hui ; pour expliquer comment nous voyons le monde et notre pays ; pour dire ce que nous pensons faire et comment nous pensons le faire, et pour inviter d’autres à faire le chemin avec nous dans quelque chose de très grand qui s’appelle le Mexique et dans quelque chose de plus grand encore que l’on nomme le monde. Voici notre parole simple pour faire savoir à tous les cœurs honnêtes et nobles ce que nous voulons au Mexique et dans le monde. Voici notre parole simple, parce que c’est notre volonté d’appeler ceux qui sont comme nous et de nous unir à eux, partout où ils vivent et où ils luttent.

  1. CE QUE NOUS SOMMES

Nous sommes les zapatistes de l’EZLN. On nous appelle aussi les « néozapatistes ». Bien, alors nous, les zapatistes de l’EZLN, nous avons pris les armes en janvier 1994 parce que nous avons trouvé qu’il y en avait assez de tout ce mal que faisaient les puissants, qui ne font que nous humilier, nous voler, nous jeter en prison et nous tuer, sans que rien de ce que l’on puisse dire ne change rien. C’est pour cela que nous avons dit « ¡Ya basta ! » Ça suffit, maintenant ! Pour dire que nous ne permettrons plus qu’ils nous diminuent et nous traitent pire que des animaux. Et alors nous avons aussi dit que nous voulions la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains, même si nous nous sommes surtout occupés des peuples indiens. Parce qu’il se trouve que nous autres de l’EZLN nous sommes presque tous des indigènes d’ici, du Chiapas, mais que nous ne voulons pas lutter uniquement pour notre propre bien ou uniquement pour le bien des indigènes du Chiapas ou uniquement pour les peuples indiens du Mexique : nous voulons lutter tous ensemble avec tous les gens humbles et simples comme nous et qui sont dans le besoin et subissent l’exploitation et le vol de la part des riches et de leur mauvais gouvernement, ici dans notre Mexique et dans d’autres pays du monde.

Et alors, notre petite histoire, c’est que nous en avons eu assez de l’exploitation que nous faisaient subir les puissants et que nous nous sommes organisés pour nous défendre et pour nous battre pour la justice. Au début, nous n’étions pas beaucoup, quelques-uns seulement à aller d’un côté et de l’autre, à parler et à écouter d’autres comme nous. Nous avons fait ça pendant de nombreuses années et nous l’avons fait en secret, sans faire de bruit. C’est-à-dire que nous avons rassemblé nos forces en silence. Nous avons passé dix ans comme ça et après nous avons grandi et vite nous avons été des milliers. Alors nous nous sommes bien préparés, avec la politique et avec des armes, et, soudainement, quand les riches étaient en pleine fête de nouvel an, nous sommes tombés sur leurs villes et nous avons réussi à les prendre, et nous leur avons montré bien clairement que nous étions là, qu’ils allaient devoir tenir compte de nous. Et alors les riches ont eu une grosse frayeur et ils nous ont envoyé leurs grandes armées pour en finir avec nous. Ils ont fait comme ils font toujours quand les exploités se rebellent, ils envoient quelqu’un en finir avec eux. Mais ils n’ont pas pu le faire avec nous, parce que nous nous sommes très bien préparés avant la guerre et nous nous sommes faits forts dans nos montagnes. Et leurs soldats nous cherchaient partout et nous jetaient leurs bombes et nous tiraient dessus. Et ils ont même commencé à se dire qu’il fallait tuer une fois pour toutes tous les indigènes parce qu’il n’y avait pas moyen de savoir qui était zapatiste et qui ne l’était pas. Et nous à courir et à nous battre, à combattre et à courir, comme l’avaient fait nos ancêtres avant nous. Sans nous rendre, sans nous faire céder, sans nous vaincre.

Et voilà que les gens des villes sont sortis dans les rues et ont commencé à demander en criant que la guerre s’arrête. Et alors nous avons arrêté notre guerre et nous les avons écoutés, ces frères et ces sœurs de la ville qui nous disaient d’essayer d’arriver à un arrangement, c’est-à-dire à un accord avec ceux du mauvais gouvernement pour trouver une solution sans massacre. Et alors nous avons fait ce que nous disaient les gens, parce que ces gens, c’est ce que nous appelons « le peuple », c’est-à-dire le peuple mexicain. Alors nous avons mis de côté le feu et nous avons fait parler la parole.

Et voilà que ceux du gouvernement ont dit qu’ils allaient bien se comporter et allaient dialoguer et faire des accords et les respecter. Et nous, nous avons dit que c’était bien, d’accord, mais nous avons aussi pensé que c’était bien aussi de connaître ces gens qui étaient descendus dans la rue pour arrêter la guerre. Alors, tout en dialoguant avec ceux du mauvais gouvernement, nous avons aussi parlé avec ces personnes et nous avons vu que la plupart étaient des gens humbles et simples comme nous, et que nous comprenions bien pourquoi nous luttions tous les deux, c’est-à-dire eux et nous. Alors nous avons appelé ces gens « société civile », parce que la plupart n’appartenaient pas à des partis politiques et que c’était des gens du commun, comme nous, des gens humbles et simples.

Mais ceux du mauvais gouvernement ne voulaient pas d’un bon arrangement, ce n’était qu’une de leurs feintes de dire qu’ils allaient parler et trouver un accord. Pendant ce temps-là, ils se préparaient à nous attaquer pour nous éliminer définitivement. Et alors plusieurs fois ils nous ont attaqués, mais sans arriver à nous vaincre parce que nous avons su bien résister et que beaucoup de gens dans le monde entier se sont mobilisés. Et alors ceux du mauvais gouvernement se sont dit que le problème, c’était que beaucoup de gens voyaient ce qui se passait avec l’EZLN et alors ils ont décidé de commencer à faire comme s’il ne se passait rien. Et pendant ce temps-là, ils nous encerclaient, c’est-à-dire qu’ils nous mettaient le siège, et ils ont commencé à attendre que les gens, comme nos montagnes sont isolées, oublient parce que le territoire zapatiste est loin. Et régulièrement ceux du mauvais gouvernement essayaient leurs trucs et essayaient de nous tromper ou de nous attaquer, comme en février 1995 quand une grande quantité de troupes a voulu nous repousser mais n’est pas parvenu à nous vaincre. Parce que nous n’étions pas seuls, comme ils l’ont dit après coup, et que beaucoup de gens nous ont soutenus et que nous avons bien résisté.

Alors, ceux du mauvais gouvernement ont dû passer des accords avec l’EZLN et ces accords, ce sont les « Accords de San Andrés », parce que « San Andrés » est le nom de la commune où ont été signés ces accords. Et dans ces pourparlers nous n’étions pas tout seuls à parler avec ceux du mauvais gouvernement, nous avions invité beaucoup de gens et d’organisations qui étaient ou sont engagés dans la lutte pour les peuples indiens du Mexique. Et tous avaient leur mot à dire et tous ensemble nous nous sommes mis d’accord sur ce que nous allions dire à ceux du mauvais gouvernement. C’est comme ça que s’est passé le dialogue, il n’y avait pas que les zapatistes tout seuls d’un côté et ceux du mauvais gouvernement de l’autre, avec les zapatistes il y avait les peuples indiens du Mexique et ceux qui les soutiennent. Et alors dans ces accords ceux du mauvais gouvernement ont dit qu’ils allaient reconnaître les droits des peuples indiens du Mexique et respecter leur culture, et qu’ils allaient le mettre dans une loi dans la Constitution. Mais après avoir signé, ceux du mauvais gouvernement ont fait comme s’ils avaient oublié et beaucoup d’années ont passé et les accords ne sont toujours pas respectés. Au contraire, le gouvernement a attaqué les indigènes pour leur faire abandonner la lutte, comme le 22 décembre 1997. Ce jour-là, Zedillo a fait tuer 45 hommes, femmes, anciens et enfants, dans le hameau du Chiapas qui s’appelle ACTEAL. Un tel crime ne s’oublie pas facilement, mais c’est aussi une preuve de comment ceux du mauvais gouvernement n’hésitent pas un instant à attaquer et à assassiner ceux qui se rebellent contre l’injustice. Et pendant tout ce temps-là, les zapatistes s’obstinaient par tous les moyens à faire respecter les accords et à résister dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Et alors nous avons commencé à parler avec d’autres peuples indiens du Mexique et avec les organisations qu’ils avaient et nous avons passé un accord avec eux pour lutter tous ensemble pour la même chose, pour la reconnaissance des droits et de la culture indigènes. Et là aussi, beaucoup de gens du monde entier nous ont soutenus, et des personnes très respectées dont la parole est très grande parce que ce sont de grands intellectuels, de grands artistes et de grands scientifiques du Mexique et du monde entier. Nous avons aussi fait des rencontres internationales, c’est-à-dire que nous nous sommes réunis pour discuter avec des gens venus d’Amérique, d’Asie, d’Europe, d’Afrique et d’Océanie, et que nous avons pu connaître leurs luttes et leur façon de faire, et nous les avons appelées des rencontres « intergalactiques » pour rigoler mais aussi parce que nous avions invité les gens des autres planètes, mais on dirait qu’ils ne sont pas venus ou alors qu’ils sont venus mais qu’ils ne l’ont pas montré.

Mais rien à faire, ceux du mauvais gouvernement ne respectaient pas les accords, alors nous avons décidé de parler avec beaucoup de Mexicains pour avoir leur soutien. Alors d’abord, en 1997, nous avons organisé une marche jusqu’à Mexico qui s’est appelée la « Marche des 1 111 », parce qu’il y avait un compañero et une compañera pour chaque village zapatiste, mais le gouvernement n’a pas réagi. Après, en 1999, nous avons organisé dans tout le pays une consultation et on a pu voir que la majorité était d’accord avec les exigences des peuples indiens, mais ceux du mauvais gouvernement n’ont pas non plus réagi. Et en dernier, en 2001, nous avons organisé ce qui s’est appelé la « Marche pour la dignité indigène » qui a reçu le soutien de millions de Mexicains et de gens d’autres pays et qui est même arrivée là où sont les députés et les sénateurs, c’est-à-dire au Congrès de l’Union, pour exiger la reconnaissance des indigènes mexicains.

Mais pas moyen, les hommes politiques du parti du PRI, du parti du PAN et du parti du PRD se sont mis d’accord entre eux pour ne pas reconnaître les droits et la culture indigènes. Ça s’est passé en avril 2001 et à cette occasion les hommes politiques ont montré clairement qu’ils n’ont pas un gramme de décence et que ce sont des crapules qui ne pensent qu’à gagner de l’argent malhonnête, en mauvais gouvernants qu’ils sont. Il ne faudra surtout pas l’oublier, parce que vous verrez qu’ils seront capables de dire qu’ils vont reconnaître les droits indigènes, mais ce n’est qu’un mensonge qu’ils emploieront pour que l’on vote pour eux, parce qu’ils ont déjà eu leur chance et qu’ils n’ont pas tenu parole.

Alors, à ce moment-là, nous avons compris que le dialogue et la négociation avec ceux du mauvais gouvernement du Mexique n’avaient servi à rien. C’est-à-dire que ce n’est pas la peine de discuter avec les hommes politiques, parce que ni leur cœur ni leurs paroles ne sont droits, ils sont tordus et ils ne font que mentir en disant qu’ils vont respecter des accords. Et ce jour-là, quand les hommes politiques du PRI, du PAN et du PRD ont approuvé une loi qui ne vaut rien, ils ont tué et enterré le dialogue et ils ont montré clairement que ça ne leur fait rien de faire des accords et de signer, parce qu’ils n’ont pas de parole. Alors nous n’avons plus cherché à avoir de contact avec les pouvoirs fédéraux parce que nous avons compris que le dialogue et la négociation avaient échoué à cause de ces partis politiques. Nous avons compris que pour eux, le sang, la mort, la souffrance, les mobilisations, les consultations, les efforts, les déclarations nationales et internationales, les rencontres, les accords, les signatures, les engagements, rien ne compte. La classe politique n’a donc pas seulement claqué la porte, une fois de plus, aux nez des peuples indiens, elle a aussi frappé un coup mortel à une solution pacifique, dialoguée et négociée à la guerre. Et il ne faut pas croire qu’elle respectera les accords qu’elle passera avec qui que ce soit d’autre. Il suffit de voir ce qui nous est arrivé pour comprendre la leçon.

Alors, après avoir vu tout ça se passer, nous nous sommes mis à penser avec notre cœur à ce que nous allions pouvoir faire. Et la première chose que nous avons vue, c’est que notre cœur n’est plus le même qu’avant, quand nous avons commencé notre lutte, mais qu’il est plus grand parce que nous avons pénétré dans le cœur de beaucoup de gens bons. Et nous avons aussi vu que notre cœur est un peu plus meurtri, un peu plus blessé qu’avant. Ce n’est pas à cause de la tromperie de ceux du mauvais gouvernement, c’est parce que quand nous avons touché le cœur de ces autres gens, nous avons aussi touché leur douleur. Comme si nous nous étions regardés dans un miroir.

  1. OÙ NOUS EN SOMMES MAINTENANT

Alors, en zapatistes que nous sommes, nous avons pensé qu’il ne suffisait pas de cesser de dialoguer avec le gouvernement, mais qu’il fallait poursuivre notre lutte malgré ces parasites jean-foutre que sont les hommes politiques. L’EZLN a donc décidé d’appliquer, tout seul et de son côté (« unilatéralement » quoi, comme on dit, parce que c’est seulement d’un côté), les Accords de San Andrés en ce qui concerne les droits et la culture indigènes. Pendant quatre ans, de la mi-2001 à la mi-2005, nous nous sommes consacrés à ça, et à d’autres choses que nous vous raconterons aussi.

Bien. Alors, allons-y d’abord avec les communes autonomes rebelles zapatistes, la forme d’organisation que les communautés ont choisie pour gouverner et se gouverner, pour être plus fortes. Cette forme de gouvernement autonome n’a pas été miraculeusement inventée par l’EZLN, elle vient de plusieurs siècles de résistance indigène et de l’expérience zapatiste et c’est un peu l’auto-organisation des communautés. C’est-à-dire que ce n’est pas comme si quelqu’un de l’extérieur venait gouverner, ce sont les villages eux-mêmes qui décident, parmi eux, qui gouverne et comment, et ceux qui n’obéissent pas sont renvoyés. Si la personne qui commande n’obéit pas à la communauté, on la blâme, elle perd son mandat d’autorité et une autre prend sa place.

Mais nous nous sommes rendu compte que les communes autonomes n’étaient pas toutes sur le même plan. Il y en avait qui allaient plus loin et bénéficiaient de plus de soutien de la société civile, et d’autres qui étaient plus délaissées. Il fallait donc encore s’organiser pour qu’il y ait plus d’égalité. Et nous avons aussi pu constater que l’EZLN, avec son côté politico-militaire, intervenait dans les décisions qui revenaient aux autorités démocratiques « civiles », comme on dit. Le problème était que la partie politico-militaire de l’EZLN n’est pas démocratique, parce que c’est une armée, et nous avons trouvé que ce n’était pas correct que le militaire soit en haut et le démocratique en bas, parce qu’il ne faut pas que ce qui est démocratique se décide militairement, sinon le contraire : c’est-à-dire en haut le politico-démocratique qui commande et en bas le militaire qui obéit. Et peut-être même que c’est encore mieux rien en haut et tout bien plat, sans militaire, et c’est pour ça que les zapatistes s’étaient faits soldats, pour qu’il n’y ait pas de soldats. Alors, pour essayer de résoudre ce problème, nous avons commencé à séparer ce qui est politico-militaire de ce qui concerne les formes d’organisation autonomes et démocratiques des communautés zapatistes. Comme ça, les actions et les décisions qu’effectuait et prenait avant l’EZLN ont été passées petit à petit aux autorités démocratiquement élues dans les villages. Ça a l’air tout simple quand on le dit mais, dans la pratique, c’est beaucoup plus difficile. Parce que, pendant des années, nous nous sommes préparés à faire la guerre et puis, après, il y a eu la guerre elle-même, et on finit par s’habituer à l’organisation politico-militaire. Mais même si ça a été difficile, c’est ce que nous avons fait, parce que ce que nous disons nous le faisons. Sinon, à quoi servirait de dire quelque chose, si après on ne le fait pas.

C’est comme ça que nous avons créé les conseils de bon gouvernement, en août 2003, et avec eux nous avons continué notre propre apprentissage et appris à exercer le « commander en obéissant ».

Depuis, et jusqu’à la mi-2005, la direction de l’EZLN n’est plus intervenue avec ses ordres dans les affaires des civils, mais elle a accompagné et appuyé les autorités démocratiquement élues par les communautés, sans oublier de vérifier que l’on informe correctement la société civile mexicaine et internationale des aides reçues et de ce à quoi elles ont servi. Et maintenant, nous passons le travail de vigilance du bon gouvernement aux bases de soutien zapatistes, avec des mandats temporaires et rotatifs, pour que tous et toutes apprennent et puissent effectuer ce travail. Parce que, nous autres, nous pensons qu’un peuple qui ne contrôle pas ses dirigeants est condamné à être leur esclave et que nous luttons pour être libres, par pour changer de maître tous les six ans.

Pendant les quatre dernières années, l’EZLN a aussi passé aux conseils de bon gouvernement et aux communes rebelles autonomes les aides et les contacts au Mexique et dans le monde entier que nous avons obtenus tout au long des années de guerre et de résistance. Mais, en même temps, l’EZLN a aussi mis en place un réseau d’aide économique et politique qui permette aux communautés zapatistes d’avancer avec moins de difficultés dans la construction de leur autonomie et d’améliorer leurs conditions de vie. Ce n’est pas encore assez, mais c’est beaucoup plus que ce qu’il y avait avant notre soulèvement, en janvier 1994. Si vous prenez une de ces études que font les gouvernements, vous verrez que les seules communautés indigènes qui ont amélioré leurs conditions de vie, c’est-à-dire la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement, ce sont celles qui sont en « territoire zapatiste », comme nous disons pour parler de là où sont nos villages. Tout ça a été possible grâce aux progrès effectués dans les communautés zapatistes et grâce au très grand soutien que nous avons reçu de personnes bonnes et nobles, « les sociétés civiles », comme nous les appelons, et de leurs organisations, du monde entier. C’est comme si toutes ces personnes avaient fait du « Un autre monde est possible » une réalité, mais dans les faits, pas dans des discours.

Et alors les communautés ont beaucoup avancé. Maintenant, il y a toujours plus de compañeros, hommes et femmes, qui apprennent à être gouvernement. Et, même si c’est petit à petit, il y a de plus en plus de femmes qui ont ces responsabilités. Mais on manque encore beaucoup de respect envers ces compañeras et il faut qu’elles participent plus aux responsabilités de la lutte. Et puis, avec les conseils de bon gouvernement, la coordination entre les communes autonomes s’est aussi beaucoup améliorée, et aussi la résolution de problèmes avec d’autres organisations et avec les autorités « officielles ». Et puis les projets dans les communautés aussi se sont beaucoup améliorés, et la répartition des projets et des aides de la société civile du monde entier : la santé et l’éducation ont été beaucoup améliorées, même s’il y a encore beaucoup de chemin à faire avant d’arriver à ce qu’il devrait y avoir ; pareil avec le logement et l’alimentation, et dans certaines zones le problème de la terre va beaucoup mieux parce qu’on a réparti les terres récupérées aux grands propriétaires, mais il y a des zones où on manque terriblement de terres à cultiver. Et puis le soutien de la société civile mexicaine et internationale s’est beaucoup amélioré, parce que, avant, les gens allaient là où ça leur plaisait le plus, mais maintenant les conseils de bon gouvernement les orientent vers les endroits où il y en a le plus besoin. Pour les mêmes raisons, partout il y a toujours plus de compañeros, hommes et femmes, qui apprennent à entrer en contact avec des personnes venues d’ailleurs au Mexique et dans le monde. Ils apprennent à respecter et à exiger le respect, ils apprennent qu’il y a de nombreux mondes et que tous ont leur place, leur temps et leur façon de faire, et qu’il faut tous et toutes se respecter mutuellement.

Alors nous, les zapatistes de l’EZLN, nous avons consacré tout ce temps à notre force principale : aux communautés qui nous appuient. Et il faut dire que la situation s’est bien améliorée un peu, comme quoi on ne peut pas dire que l’organisation et la lutte zapatiste n’ont servi à rien mais plutôt que, même si on en finit avec nous, notre lutte aura bel et bien servi à quelque chose.

Mais il n’y a pas que les communautés zapatistes qui ont progressé. L’EZLN aussi. Parce que ce qui s’est passé pendant tout ce temps, c’est que de nouvelles générations ont renouvelé toute notre organisation. Un peu comme si elles lui avaient redonné des forces. Les commandants et les commandantes, qui étaient déjà majeurs au début de notre soulèvement, en 1994, possèdent maintenant la sagesse de ce qu’ils ont appris dans une guerre et dans un dialogue de douze ans avec des milliers de femmes et d’hommes du monde entier. Les membres du CCRI, la direction politico-organisationnelle zapatiste, conseillent et orientent les nouvelles personnes qui entrent dans notre lutte et celles qui vont occuper des postes de dirigeant. Il y a déjà longtemps que « les comités » (comme nous appelons ceux du CCRI) préparent toute une nouvelle génération de commandants et de commandantes pour qu’ils apprennent les tâches de direction et d’organisation et commencent, après une période d’instruction et d’essai, à les assumer. Et il se trouve aussi que nos insurgés et insurgées, nos miliciens et miliciennes, nos responsables locaux et régionaux et nos bases de soutien, qui étaient jeunes quand nous avons pris les armes, sont devenus des femmes et des hommes, des combattants vétérans et des leaders naturels dans leurs unités et dans leurs communautés. Et ceux qui n’étaient que des enfants ce fameux 1er janvier 1994 sont maintenant des jeunes qui ont grandi dans la résistance et qui ont été formés dans la digne rébellion menée par leurs aînés au long de ces douze années de guerre. Ces jeunes ont une formation politique, technique et culturelle que n’avaient pas ceux et celles qui ont commencé le mouvement zapatiste. Ces jeunes viennent grossir aujourd’hui, et toujours plus, aussi bien nos troupes que les postes de direction de notre organisation. Et puis, finalement, nous avons tous pu assister aux tromperies de la classe politique mexicaine et aux ravages destructeurs qu’ils ont perpétrés dans notre patrie. Et nous avons vu les grandes injustices et les massacres que produit la mondialisation néolibérale dans le monde entier. Mais nous parlerons de cela plus tard.

L’EZLN a donc résisté de cette manière à douze ans de guerre et d’attaques militaires, politiques, idéologiques et économiques, à douze ans de siège, de harcèlement et de persécutions, et ils n’ont pas pu nous vaincre, nous ne nous sommes pas rendus ou vendus et nous avons avancé. Des compañeros d’autres lieux sont entrés dans notre lutte et, au lieu de nous affaiblir au long de tant d’années, nous sommes devenus plus forts. Bien sûr, il y a des problèmes qui peuvent se résoudre simplement en séparant plus le politico-militaire du civil-démocratique. Mais il y a certaines choses plus importantes, comme le sont les exigences pour lesquelles nous luttons, qui n’ont pas encore été entièrement satisfaites.

C’est notre pensée et ce que nous éprouvons dans notre cœur qui nous font dire que nous en sommes arrivés à un seuil limite et qu’il se peut même que nous perdions tout ce que nous avons, si nous en restons là et si nous ne faisons rien pour avancer encore. Alors, l’heure est venue de prendre à nouveau des risques et de faire un pas dangereux mais qui en vaut la peine. Et peut-être qu’unis à d’autres secteurs sociaux qui ont les mêmes manques que nous il deviendra possible d’obtenir ce dont nous avons besoin et que nous méritons d’avoir. Un nouveau pas en avant dans la lutte indigène n’est possible que si les indigènes s’unissent aux ouvriers, aux paysans, aux étudiants, aux professeurs, aux employés, c’est-à-dire aux travailleurs des villes et des campagnes.

III. DE COMMENT NOUS VOYONS LE MONDE

Nous allons vous expliquer maintenant comment nous voyons ce qui se passe dans le monde, nous autres, les zapatistes. D’abord, nous voyons que c’est le capitalisme qui est le plus fort aujourd’hui. Le capitalisme est un système social, autrement dit la façon dont sont organisées les choses et les personnes, et qui possède et qui ne possède pas, qui commande et qui obéit. Dans le capitalisme, il y a des gens qui ont de l’argent, autrement dit du capital, et des usines et des magasins et des champs et plein de choses, et il y en a d’autres qui n’ont rien à part leur force et leur savoir pour travailler ; et dans le capitalisme commandent ceux qui ont l’argent et les choses, tandis qu’obéissent ceux qui n’ont rien d’autre que leur force de travail.

Alors, le capitalisme ça veut dire qu’il y a un groupe réduit de personnes qui possèdent de grandes richesses. Et pas parce qu’ils auraient gagné un prix ou qu’ils auraient trouvé un trésor ou qu’ils auraient hérité de leur famille, mais parce qu’ils obtiennent ces richesses en exploitant le travail de beaucoup d’autres. Autrement dit, le capitalisme repose sur l’exploitation des travailleurs, un peu comme s’il les pressait comme des citrons pour en tirer tous les profits possibles. Tout ça se fait avec beaucoup d’injustice parce qu’on ne paye pas aux travailleurs correctement leur travail, sinon qu’on leur donne juste un salaire suffisant pour qu’ils puissent manger et se reposer un peu et que le jour suivant ils retournent au presse-citron, à la campagne comme en ville.

Mais le capitalisme fabrique aussi sa richesse en spoliant, autrement dit par le vol, parce qu’il enlève à d’autres ce qu’il convoite, comme des terres et des richesses naturelles, par exemple. C’est-à-dire que le capitalisme est un système où les voleurs sont libres et admirés et donnés en exemple.

Et en plus d’exploiter et de spolier, le capitalisme réprime, parce qu’il jette en prison et tue ceux qui se rebellent contre l’injustice.

Ce qui intéresse le plus le capitalisme, ce sont les marchandises, parce que, quand on les achète et on les vend, elles donnent du profit. Alors, le capitalisme transforme tout en marchandise : il transforme en marchandise les personnes, la nature, la culture, l’histoire, la conscience, tout. Pour le capitalisme, tout doit pouvoir s’acheter et se vendre. Et il dissimule tout derrière la marchandise pour qu’on ne voie pas l’exploitation qui l’a rendu possible. Et alors les marchandises s’achètent et se vendent dans un marché, et il se trouve que ce marché ne sert pas seulement pour acheter et pour vendre, mais aussi pour dissimuler l’exploitation des travailleurs. Par exemple, sur le marché, on voit le café déjà joliment empaqueté dans sa boîte ou dans son paquet, mais on ne voit pas le paysan qui a souffert pour récolter ce café et on ne voit pas non plus le coyote qui lui a payé à un prix ridicule son travail et on ne voit pas non plus les travailleurs dans les grands ateliers qui passent leur vie à empaqueter ce café. Ou alors on voit un appareil pour écouter de la musique, de la cumbia, des rancheras ou des corridos ou ce qu’on veut, et on trouve que c’est un très bon appareil parce que le son est très bon, mais on ne voit pas l’ouvrière de l’atelier qui a passé un nombre incroyable d’heures à fixer des câbles et à monter cet appareil et qui a touché un salaire de misère pour le faire, on ne voit pas qu’elle vit loin de son travail et tout ce qu’elle doit dépenser pour le transport, sans compter qu’elle risque en plus de se faire enlever, d’être violée ou assassinée, comme ça arrive à Ciudad Juárez, au Mexique.

Autrement dit, sur le marché on voit des marchandises, mais on ne voit pas l’exploitation avec laquelle elles ont été faites. Et alors le capitalisme a besoin de beaucoup de marchés… Ou d’un marché très grand, un marché mondial.

Et alors il se trouve que le capitalisme d’aujourd’hui n’est plus le même qu’avant, où les riches se contentaient d’exploiter les travailleurs chacun dans leurs pays, mais qu’il en est maintenant à un stade qui s’appelle « globalisation néolibérale ». La globalisation en question, ça veut dire que maintenant les capitalistes ne dominent plus seulement les travailleurs dans un pays ou dans plusieurs pays, mais qu’ils essayent de dominer tout dans le monde entier. Et alors le monde, la planète Terre autrement dit, on dit aussi que c’est le « globe terrestre », c’est pour ça qu’on dit « globalisation », la mondialisation, autrement dit le monde entier.

Et le néolibéralisme, eh bien, c’est l’idée selon laquelle le capitalisme est libre de dominer le monde entier et qu’il n’y a rien à dire et qu’on n’a plus qu’à se résigner et à l’admettre et à la fermer, autrement dit à ne pas se rebeller. Alors, le néolibéralisme c’est comme la théorie, le plan, de la mondialisation capitaliste. Et le néolibéralisme a des plans économiques, politiques, militaires et culturels. Dans tous ces plans, il ne s’agit de rien d’autre que de dominer le monde entier. Et ceux qui n’obéissent pas, on les réprime ou on les isole pour les empêcher de donner leurs idées de rébellion aux autres.

Alors, dans la mondialisation néolibérale, les grands capitalistes qui vivent dans des pays puissants, comme les États-Unis, par exemple, veulent que le monde entier devienne une énorme usine où produire des marchandises et une sorte d’énorme marché. Un marché mondial, un marché pour acheter et vendre tout ce qu’il y a dans le monde et pour dissimuler toute l’exploitation du monde entier. Alors les capitalistes mondialisés s’installent partout, autrement dit dans tous les pays, pour faire leurs grands négoces, c’est-à-dire leur grande exploitation. Et alors ils ne respectent rien et s’installent comme ils veulent. C’est comme qui dirait une conquête des autres pays. C’est pour ça que nous, les zapatistes, nous disons que la mondialisation néolibérale est une guerre de conquête du monde entier, une guerre mondiale, une guerre entreprise par le capitalisme pour dominer mondialement. Et alors cette conquête se fait parfois avec des armées qui envahissent un pays par la force et qui s’en emparent. Mais parfois cette conquête se fait avec l’économie, c’est-à-dire que les capitalistes mettent leur argent dans un autre pays ou bien lui prêtent de l’argent à condition qu’il fasse tout ce qu’ils lui disent de faire. Ils s’installent même dans d’autres pays avec les idées : autrement dit, la culture capitaliste, c’est la culture de la marchandise, du profit, du marché.

Alors celui qui fait cette conquête, le capitalisme, fait bien comme il veut, c’est-à-dire qu’il détruit ce qui ne lui plaît pas et élimine ce qui le gêne. Par exemple, ceux qui ne produisent ni n’achètent ni ne vendent des marchandises le gênent. Ou ceux qui se rebellent contre cet ordre mondial. Et ceux qui ne servent pas, il les méprise. C’est pour ça que les indigènes constituent un obstacle à la mondialisation néolibérale et c’est pour ça qu’on les méprise et qu’on veut les éliminer. Le capitalisme néolibéral enlève aussi les lois qui l’empêchent d’exploiter tranquillement et de faire beaucoup de profits. Par exemple, il impose que tout puisse s’acheter et se vendre, mais comme c’est le capitalisme qui a l’argent, il achète tout.

Alors, le capitalisme détruit les pays qu’il envahit avec la mondialisation néolibérale, mais il veut aussi arranger tout ou tout refaire à sa manière, autrement dit d’une manière qui lui convienne et sans être gêné par rien ni personne. Alors la mondialisation néolibérale, capitaliste détruit donc ce qu’il y a dans ces pays : elle détruit leur culture, leur système économique et leur système politique, et elle détruit même le type de rapports que les gens qui vivent dans ce pays ont entre eux. Autrement dit, tout ce qui fait d’un pays un pays est ravagé.

Alors, la mondialisation néolibérale veut détruire les nations du monde et veut qu’il n’y ait plus qu’une seule nation ou pays : le pays de l’argent, le pays du capital. Le capitalisme cherche donc à faire que tout soit comme lui veut que ce soit. Et tout ce qui est différent, ça ne lui plaît pas et il le persécute, il l’attaque, il l’isole dans un coin et fait comme si ça n’existait pas.

Alors, comme qui dirait en résumé, le capitalisme de la mondialisation néolibérale se fonde sur l’exploitation, sur la dépossession, sur le mépris et sur la répression de ceux qui ne se laissent pas faire. Autrement dit, pareil qu’avant mais maintenant globalement, mondialement.

Mais tout ne marche pas comme sur des roulettes dans la mondialisation néolibérale, parce que les exploités de chacun des pays ne veulent pas l’accepter et qu’ils ne se résignent pas à courber l’échine, mais se rebellent, et que ceux qui sont de trop et gênent résistent et ne se laissent pas éliminer. Et alors nous voyons que dans le monde entier ceux qui sont dans un sale pétrin opposent une résistance pour ne pas se laisser faire ; autrement dit, ils se rebellent, et pas seulement dans un pays mais dans plein d’endroits. Autrement dit, de la même façon qu’il y a une mondialisation néolibérale, il y a aussi une mondialisation de la rébellion.

Dans cette mondialisation de la rébellion, il n’y a pas que les travailleurs de la campagne et des villes, mais il y aussi d’autres gens, femmes et hommes, qui sont très souvent persécutés et méprisés parce qu’ils ne se laissent pas non plus dominer : les femmes, les jeunes, les indigènes, les homosexuels, les lesbiennes, les transsexuels, les migrants et beaucoup d’autres que nous ne verrons pas tant qu’ils n’auront pas hurlé que ça suffit qu’on les méprise et qu’ils ne se seront pas révoltés. Et alors nous les verrons, nous les entendrons et nous apprendrons à les connaître.

Et alors nous, nous voyons que tous ces groupes de gens luttent contre le néolibéralisme, autrement dit contre le plan de la mondialisation capitaliste, et qu’ils se battent pour l’humanité.

Et tout ça fait que nous éprouvons une grande inquiétude devant la stupidité des néolibéralistes qui veulent détruire l’humanité tout entière avec leurs guerres et leur exploitation, mais nous éprouvons en même temps une grande satisfaction en voyant que partout surgissent des résistances et des rébellions ; un peu comme la nôtre qui est un peu petite mais qui est toujours là. Et nous voyons tout cela dans le monde entier et notre cœur sait que nous ne sommes pas seuls.

A suivre…