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En 2015, les Zapatistes s’adressaient déjà aux Gilets Jaunes… Notes sur la méthode zapatiste

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La Sixta

 

Le mur et la brèche Premières notes sur la méthode zapatiste

 

jeudi 24 septembre 2015, par SCI Galeano*

 

Paroles du SupGaleano lors de l’inauguration du séminaire

« La pensée critique face à l’hydre capitaliste ».

 

(*) Note de R71: Le « sup Galeano » est Marcos qui a changé de nom et de fonction en 2014 après un assassinat ciblé par l’état mexicain d’un compa zapatiste.

 

Le 3 mai 2015.

 

Bonjour, bonsoir à ceux qui écoutent et qui lisent, quels que soient leur calendrier

et leur géographie.

Mon nom est Galeano, sous-commandant insurgé Galeano. Ma naissance, le 25 mai 2014, s’est faite collectivement, malgré moi et malgré d’autres. Comme l’ensemble de mes compañeras et compañeros zapatistes, je me cache le visage pour me montrer, et je le montre pour me cacher. À moins d’un an d’existence, le commandement m’a déjà assigné le travail de postier, de vigie et de sentinelle à l’un des postes d’observation de cette terre rebelle.

Comme je ne suis pas habitué à parler en public, moins encore devant tant de personnes (ah — pardon, ce doit être un hoquet de panique sur scène), je disais, de personnes distinguées, je vous remercie de votre compréhension à l’égard de mes hésitations et balbutiements répétés dans cet art complexe et ardu de la parole.

J’ai pris ce nom, Galeano, à l’un de nos compañeros zapatistes, instituteur, organisateur, indigène, qui fut agressé, séquestré, torturé et assassiné par les paramilitaires avec l’appui d’une supposée organisation sociale : la CIOAC-Historique. Ce cauchemar, qui a mis fin à la vie de notre compañero maestro Galeano, a débuté à l’aube du 2 mai 2014. Depuis ce moment-là, nous, zapatistes, avons entrepris la reconstruction de sa vie.

Bien des mois après cette date, la nuit a envahi le Mexique d’en bas, en apposant un nouveau nom à la longue liste de la terreur : « Ayotzinapa ». Comme cela fut souvent le cas partout dans le monde, une géographie de ceux d’en bas se dessinait et se désignait à travers une tragédie planifiée et exécutée, c’est-à-dire un crime.

Nous avons déjà dit, par l’intermédiaire du sous-commandant insurgé Moisés, ce qu’Ayotzinapa continue de représenter pour nous, zapatistes. C’est avec leur permission et celle de tous les compañeras et compañeros zapatistes que je reprends leurs paroles.

Ayotzinapa, c’est la douleur et la colère, bien sûr, mais c’est plus que cela. C’est aussi l’entêtement tenace des familles et des compañeros des absents.

Certaines et certains de ces parents qui n’ont pas laissé tomber la mémoire nous ont fait l’honneur d’être présents ici, à nos côtés, en terre zapatiste.

Nous entendons la parole de Doña Hilda et de Don Mario, mère et père de César Manuel González Hernández, et nous profitons de la présence et des propos de Doña Bertha et de Don Tomás, mère et père de Julio César Ramírez Nava. Avec elles et eux, nous réclamons les 46 absents.

À Doña Bertha et à Don Tomás, nous demandons de transmettre ces propos aux autres parents des absents d’Ayotzinapa. Car c’est en pensant à leur lutte que nous avons lancé la pépinière qui démarre aujourd’hui.

Nous serions nombreux, parmi la Sexta et l’EZLN, à dire qu’on aurait préféré ne pas vous rencontrer de cette façon. Que par votre venue vous n’ayez pas à porter la douleur et la colère, mais un élan fraternel. Que le 26 septembre ne soit jamais arrivé, comme si le calendrier, d’un geste solidaire, avait sauté cette date, comme si la géographie s’était égarée et n’avait pas fait halte à Iguala, État du Guerrero, Mexique.

Mais si, suite à cette nuit de terreur, la géographie s’en est trouvée étendue, approfondie, si elle a rejoint les coins les plus reculés de la planète, si le calendrier s’est figé de stupeur devant cette date, c’est grâce à votre ténacité, à la grandeur de votre dignité et à votre engagement inconditionnel.

Nous ne connaissons pas vos enfants. Mais vous, nous vous connaissons. Nous souhaitons donc avant tout vous témoigner toute notre admiration et notre respect, d’autant plus en ce moment si douloureux et néanmoins porteur de solidarité que vous traversez.

On n’arrive certes pas à remplir les rues et les places des grandes villes. Mais chaque mobilisation, si modeste soit-elle, représente un investissement important pour l’économie déjà bien mal en point de nos communautés, comme l’est celle de millions de personnes, et qui pourtant tient le coup depuis deux décennies grâce à la rébellion et à la résistance. Je parle de nos communautés, puisque notre soutien n’est pas l’addition de soutiens individuels, mais une action collective, réfléchie et organisée. Vous êtes partie prenante de notre lutte.

Nous ne pouvons pas briller sur les réseaux sociaux ni faire parvenir votre parole au-delà de nos propres cœurs. Nous ne pouvons pas non plus vous aider économiquement, bien que nous sachions que ces mois de lutte ont affecté durement votre santé et vos conditions de vie.

Il se trouve qu’étant la plupart du temps en rébellion et en résistance on nous regarde avec crainte et méfiance. Certains mouvements, certaines mobilisations qui surgissent un peu partout préfèrent que notre sympathie sache rester discrète. Encore sensible au qu’en-dira-t-on médiatique, ils aiment mieux ne pas être associés d’une manière ou d’une autre aux « encagoulés du Chiapas ». Nous comprenons cette position et nous ne la contestons pas. Notre respect pour les rébellions qui pullulent dans le monde comprend de respecter leurs valeurs, leur cheminement, leurs décisions. Nous respectons, et nous ne restons pas indifférents. Nous sommes attentifs à chacune et à toutes les mobilisations qui affrontent le système. Nous essayons de les comprendre, c’est-à-dire de les connaître. Nous sommes les premiers à savoir que la connaissance mutuelle commence par le respect, et que la peur et la haine sont les deux faces du mépris, et naissent généralement de l’ignorance.

Bien que notre lutte ne soit pas bien grande, nous avons appris durant ces années, ces décennies, ces siècles. Nous voulons donc vous dire :

Ne croyez pas ceux qui vous disent que la sensibilité et la sympathie, le soutien, se mesurent au regard des rues bondées, des places combles, à la hauteur des tribunes, au nombre de caméras, de micros et de gros titres dans les journaux, ou de relais sur les réseaux sociaux.

L’immense majorité du monde et pas seulement au Mexique, est comme vous, sœurs, frères, parents des absents d’Ayotzinapa : des gens qui doivent se battre jour et nuit pour survivre. Des gens qui doivent lutter pour arracher à cette réalité de quoi subvenir à leurs besoins.

Ceux des gens d’en bas, hommes, femmes, autres, qui connaissent l’histoire qui vous fait tant souffrir, se sentent touchés par votre lutte pour la vérité et la justice. Ils la partagent, en découvrant dans votre récit le reflet de leur propre histoire ; parce qu’ils y retrouvent la douleur qu’ils portent, ils se reconnaissent dans votre colère.

La majorité d’entre eux n’est pas descendue dans la rue, ne s’est pas manifestée, n’en a pas fait un thème sur les réseaux sociaux, ni cassé de vitrine, ni incendié de voiture, ni crié des slogans, ni perturbé de discours politique, et ne vous a pas dit non plus que vous n’étiez pas seul•e•s.

Ils ne l’ont pas fait, tout simplement parce qu’ils n’ont pas pu le faire.

Mais ils respectent votre mouvement et l’entendent.

Ne baissez pas les bras.

Si ceux qui ont été un temps à vos côtés sont repartis, après en avoir tiré quelque avantage ou bien avoir vu qu’ils n’y gagneraient rien, leur cause n’en est pas moins douloureuse, noble et juste.

Assurément, votre chemin jusqu’ici fut ardu. Mais vous savez qu’il reste encore beaucoup à parcourir.

Je vous le dis, l’une des tromperies de ceux d’en haut est de convaincre ceux d’en bas que ce qu’on n’obtient pas facilement tout de suite, on ne l’obtient jamais. Ils veulent nous convaincre que les luttes longues et difficiles ne font que nous épuiser et n’aboutissent à rien. Ils brouillent le calendrier d’en bas avec celui d’en haut : élections, comparutions, réunions, rendez-vous avec l’histoire, dates commémoratives, qui n’ont comme effet que d’occulter la douleur et la colère.

Le système n’a pas peur des explosions, si massives et lumineuses soient-elles. Si le gouvernement tombe, il en a un autre dans son panier pour le remplacer. Ce qui le terrorise, c’est la persévérance de la rébellion et de la résistance d’en bas.

Car en effet, en bas, on suit un autre calendrier. Une marche d’un autre pas. C’est une autre histoire. C’est une autre douleur et une autre colère.

Un peu plus chaque jour, nous, ceux d’en bas, pourtant si différents et dispersés, sommes attentifs non seulement à notre douleur et à notre colère, mais aussi à poursuivre notre cheminement avec persévérance et à ne jamais nous avouer vaincus.

Croyez-moi, votre lutte ne dépend pas du nombre de manifestants, du nombre d’articles publiés, du nombre de mentions dans les réseaux sociaux, du nombre d’invitations que vous recevez.

Votre lutte, notre lutte, les luttes d’en bas en général, dépendent de notre résistance. De ne pas nous rendre, de ne pas nous vendre ni baisser les bras.

Bon, c’est notre avis, à nous, zapatistes. Il y aura sûrement des gens pour vous dire le contraire. On vous dira que c’est plus important d’être dans leurs rangs. Par exemple, que c’est plus important d’appeler à voter pour tel ou tel parti politique, parce que ça vous aidera à trouver les absents. Que si vous n’appelez pas au vote pour tel ou tel parti, d’une part vous aurez laissé passer une opportunité unique de retrouver ceux que vous cherchez, mais en plus vous serez responsables de la poursuite de la terreur dans le pays.

Vous voyez bien comme certains partis profitent des besoins matériels des gens ? Comme ils offrent des vivres, des fournitures scolaires, des cartes téléphoniques, des entrées de cinéma, des casquettes, des boissons et des friandises ? Il y a aussi ceux qui profitent des besoins affectifs des gens. L’espoir, avoir des amis et des ennemis, est un besoin qui a la cote, là-bas, en haut. L’espoir d’un grand changement, de l’avènement, enfin, du bien-être, de la démocratie, de la justice, de la liberté. L’espoir que les éclairés d’en haut utilisent pour fasciner les malheureux d’en bas et le leur vendre. L’espoir que la réponse à leurs attentes serait la couleur d’un produit qui se trouve dans le panier du système.

Ces gens-là, ils en savent peut-être plus que nous, les zapatistes. Ils sont savants, savantes. Et surtout, ils sont payés pour cela. La connaissance est leur métier, ils en vivent… et s’en servent pour tromper.

Ils sont plus savants que nous, et en parlant de nous, ils disent que nous appelons à l’abstention et que nous sommes sectaires (peut-être parce que nous, contrairement à eux, nous respectons les morts).

C’est si simple de rabâcher toujours les mêmes mensonges ! Ça coûte si peu de diffamer et de calomnier, puis de prêcher l’unité, l’ennemi principal, l’infaillibilité du pasteur, les insuffisances du troupeau.

Il y a longtemps de cela, les zapatistes ne faisaient pas de manifestation, ne criaient pas de slogan, ne brandissaient pas de pancarte, ne levaient pas le poing. Jusqu’au jour où nous avons marché. C’était le 12 octobre 1992, alors qu’en haut ils célébraient la « rencontre de deux mondes ». C’était à San Cristóbal de Las Casas, au Chiapas, au Mexique. En guise de pancarte, nous avions des arcs et des flèches, un silence sourd était notre devise.

Sans trop de vagues, la statue du conquistador est tombée. Peu importe s’ils l’ont relevée. Ils ne répandront plus jamais la peur de ce qu’elle représentait.

Quelques mois plus tard, nous sommes retournés dans les villes. Cette fois non plus, nous ne portions pas de pancartes ni même des arcs et des flèches. Ce matin-là, à l’aube, ça sentait le feu et la poudre. Ce sont nos visages que nous avons brandis.

Après quelques mois, quelques-unes, quelques-uns sont arrivés de la ville. Ils nous ont raconté les grandes manifestations, les slogans, les pancartes, les poings levés. Bien sûr, en ajoutant à chaque fois que si les petites et petits Indiennes et Indiens que nous sommes — car ils se préoccupaient de l’égalité de genre — nous survivions, c’était grâce à eux et elles, qu’en ville, ils avaient empêché le génocide des premiers jours de cette année 1994. Nous, les zapatistes, nous nous sommes demandé si avant 1994 il n’y avait pas déjà un génocide, s’il avait été empêché, si ces gens de la ville nous parlaient d’une quelconque réalité ou s’ils venaient juste présenter la facture. Nous, les zapatistes, nous avons compris qu’il y avait d’autres formes de lutte.

Ensuite, nous avons fait nos propres manifestations, nos slogans, nos pancartes et nous avons levé le poing. Depuis lors, nos manifestations ne sont qu’un pâle reflet de ce que fut cette aube de l’année 94. Nos slogans ont la rime désordonnée des chansons des campements guérilleros de la montagne. Nos pancartes sont élaborées au moyen d’un travail minutieux pour trouver des équivalents à ce qui, dans notre langue, s’exprime en un seul mot, et qui requiert, dans d’autres, les trois livres du Capital. Nos poings levés saluent plus qu’ils ne menacent, s’adressant à l’avenir plutôt qu’au présent.

Pourtant, une chose n’a pas changé : nos visages se soulèvent.

Des années plus tard, ceux qui s’autodéfinirent comme nos créditeurs de la ville, exigèrent de nous que nous participions aux élections. Nous n’avons pas compris, car nous n’avons jamais exigé d’eux qu’ils se soulèvent en prenant les armes, ni qu’ils se rebellent contre le mauvais gouvernement, ni qu’ils honorent leurs morts pour la lutte. Nous n’avons pas exigé d’eux qu’ils se couvrent le visage, qu’ils taisent leur nom, qu’ils abandonnent famille, profession, ou amis en aucune façon. Mais les conquistadors modernes, en costume de gauche progressiste, nous ont menacés : si nous ne les suivions pas, ils nous laisseraient seules, seuls, et nous serions à leurs yeux coupables de l’arrivée au gouvernement d’une droite réactionnaire. Nous leur étions redevables, affirmaient-ils, et ils nous présentaient la facture en conséquence, sous forme de bulletin de vote.

Nous autres, zapatistes, nous n’avons pas compris. Nous nous étions soulevés pour nous gouverner nous-mêmes, pas pour être gouvernés. Ils se sont fâchés.

Par la suite, ceux de la ville ont encore manifesté, scandé des slogans, levé le poing et des pancartes, ils y ajoutent aujourd’hui des touits, des hashtags, des likes, des trenfing topics, des followers, dans leurs partis politiques, on y retrouve les mêmes que l’on trouvait hier chez la droite réactionnaire, à leurs tables, les assassins et les familles des assassins s’assoient et échangent, rient et trinquent ensemble aux gains obtenus, ou se lamentent et pleurent ensemble leurs postes perdus.

Pendant ce temps-là, nous, zapatistes, parfois nous manifestons aussi, nous crions des slogans invraisemblables ou bien nous nous taisons, parfois nous levons un poing ou une pancarte, le regard toujours présent. Nous disons que nous ne manifestons pas pour défier le tyran, mais pour saluer ceux qui les affrontent sous d’autres géographies, d’autres calendriers. Pour le défier, nous construisons. Pour le défier, nous créons. Pour le défier, nous imaginons. Pour le défier, nous grandissons et nous nous multiplions. Pour le défier, nous vivons. Pour le défier, nous mourons. Au lieu de faire des touits, nous faisons des écoles et des cliniques, au lieu de trending topics, des fêtes pour célébrer la vie et mettre la mort en déroute.

Sur la terre des créanciers de la ville, c’est encore le maître qui gouverne, sous un autre visage, un autre nom, une autre couleur.

Sur la terre des zapatistes, ce sont les peuples qui gouvernent et le gouvernement obéit.

C’est peut-être pour cette raison que nous, zapatistes, nous n’avons pas compris que nous devions être les suiveurs, et les leaders de la ville, eux, les suivis.

Et on ne le comprend toujours pas.

Peut-être bien que vous, nous, tout•e•s, nous obtiendrons la vérité et la justice que nous cherchons grâce à la charité d’un dirigeant entouré de gens aussi intelligents que lui, un sauveur, un maître, un chef, un patron, un pasteur, un gouvernant, et que cela se fera avec juste un minimum d’effort comme un bulletin dans l’urne, un touit, une présence dans une manifestation ou dans un meeting, une carte d’adhérent… ou bien en échange d’un silence face à la farce qui mime l’intérêt patriotique là où n’existe que la soif de pouvoir.

Certains ici, au sein de notre pépinière, apporteront une manière de voir qui induira peut-une réponse positive à cette question.

Nous, zapatistes, ce que nous avons appris, c’est que la réponse est non. Que d’en haut ne vient que l’exploitation, le vol, la répression, le mépris. C’est-à-dire que d’en haut nous n’obtenons que de la douleur. Et qu’en retour ils demandent, ils exigent qu’on les suive. Qu’on leur soit redevable de la publicité mondiale de votre situation douloureuse, qu’on leur soit redevable pour les places combles, les rues pleines de couleurs et d’ingéniosité. Qu’on leur soit redevable pour le travail de la police citoyenne qui a désigné, poursuivi et diabolisé les « anarco-infiltés-dégoûtants, pour les manifs bien policées, les articles de presse, les photos couleur, les critiques favorables et les interviews.

Nous, zapatistes, nous disons tout simplement :

N’ayez pas peur de vous retrouver sans ceux qui n’ont jamais réellement été avec vous. Ce sont eux qui ne le méritent pas. Ceux qui viennent à vous et votre douleur comme vers un spectacle étranger, qui plairait ou non, mais dont ils ne feront jamais vraiment partie.

Ne craignez pas d’être lâchés par ceux qui ne cherchent ni à vous accompagner ni à vous soutenir, mais juste à vous administrer, vous dompter, vous dominer, vous utiliser puis se débarrasser de vous.

Craignez seulement d’oublier votre cause et d’abandonner la lutte.

Car tant que vous tenez, que vous résistez, vous pourrez compter sur le respect et l’admiration de nombreuses personnes au Mexique et dans le monde entier.

Comme avec Adolfo Gilly.

Ce que je vais vous révéler maintenant n’était pas prévu initialement. La raison en est qu’Adolfo Gilly de même que Pablo Gonzalez Casanova avaient dit qu’ils ne seraient certainement pas là pour raison de santé. Mais Adolfo est ici, et nous lui demanderons de transmettre cette partie du message à Don Pablo.

Feu le SupMarcos racontait qu’une fois quelqu’un lui a reproché les attentions particulières de l’EZLN envers Don Luis Villoro, Don Pablo Gonzalez Casanova et Don Adolfo Gilly. L’argument qu’il opposait se fondait sur les différences entre ces trois personnes et le zapatisme, alors que l’EZLN ne manifestait pas une déférence similaire envers des intellectuels qui étaient cent pour cent zapatistes. J’imagine que le Sup alluma alors sa pipe et rétorqua : « Tout d’abord, les divergences avec eux ne concernent pas le zapatisme en tant que tel, mais certaines positions qu’il assume à propos de certaines questions. Deuxièmement, personnellement j’ai vu ces trois personnes face à mes compañeras et compañeros chefs. Des intellectuels de renom, et d’autres moins prestigieux sont venus ici. Ils sont venus et chacun a dit ce qu’il avait à dire. Bien peu d’entre eux ont parlé avec les commandantes et commandants. Ce n’est qu’avec ces trois-là que j’ai vu mes chefs parler et écouter d’égal à égal, dans une relation de confiance et de camaraderie réciproque. Comment ont-ils fait ? Je n’en sais rien, c’est à eux qu’il faudrait le demander. Par contre, je sais à quel point il est difficile de parvenir à échanger et être écouté par mes compañeras et compañeros chefs, dans le respect et l’estime mutuelle. C’est plus que difficile. Troisièmement, tu te trompes si tu penses que les zapatistes cherchent des miroirs, des clameurs et des applaudissements. Nous apprécions et nous estimons les différences de pensée, lorsqu’il s’agit de pensées critiques et argumentées, et pas ces futilités qui pullulent aujourd’hui au sein du progressisme illustré. Notre critère pour apprécier des idées n’est pas leur convergence avec les nôtres, mais leur capacité à nous faire avancer et à provoquer la réflexion, et surtout si elles rendent fidèlement compte de la réalité. Pourtant, ces trois personnes ont effectivement soutenu des positions différentes voire contraires aux nôtres en diverses occasions.

Mais ils n’ont absolument jamais été contre nous. Malgré les aléas de la mode, ils nous ont toujours accompagnés.

Leurs arguments souvent contraires aux nôtres ne nous ont pas convaincus, certes, mais ils nous ont aidés à comprendre des idées et des positionnements différents, dont l’évaluation se fait au regard du réel et non pas d’un jury auto-institué par l’université ou le militantisme. Provoquer la pensée, la discussion, le débat, c’est quelque chose que nous, zapatistes, nous estimons au plus haut point.

Nous avons donc de l’admiration pour la pensée anarchiste. Bien sûr, nous ne sommes pas anarchistes, mais les questionnements posés par l’anarchisme sont de ceux qui provoquent et ravivent les idées, de ceux qui font réfléchir. Et il me semble que de ce côté, mais pas uniquement, la pensée critique orthodoxe, si je puis dire, a beaucoup à apprendre de la pensée anarchiste. Par exemple, la critique de l’État en tant que tel est portée depuis bien longtemps par la pensée anarchiste.

Mais pour en revenir à nos trois gaillards, affirma le Sup à ceux qui demandaient une rectification zapatiste, lorsque l’un d’entre vous pourra s’asseoir face à mes compañeras et compañeros sans qu’elles et ils craignent vos moqueries, votre jugement, votre condamnation ; quand vous réussirez à leur parler avec équité et respect ; quand vous les regarderez en compañeros et compañeras et pas comme des juges étrangers, que vous les « affectionnerez », comme on dit ici ; ou quand votre pensée, sans coïncider forcément avec la nôtre, nous aidera à discerner le fonctionnement de l’Hydre, nous amènera vers de nouvelles questions, ouvrira de nouveaux chemins, nous fera penser, ou encore lorsque vous pourrez expliquer ou impulser une analyse sur un aspect concret de la réalité, alors seulement vous verrez que nous avons aussi à votre égard les quelques attentions que nous avons envers eux.

En attendant, ajouta le SupMarcos, avec l’humour acide qui le caractérisait, abandonnez votre jalousie hétéro-patriarcale, mondialiste, reptilienne et sectaire.

Je vous ai fait part de cette anecdote qui m’a été rapportée par le SupMarcos, car il y a quelques mois, lors de la visite d’une délégation des familles de ceux qui luttent pour la vérité et la justice pour Ayotzinapa, l’un des papas nous a raconté une réunion avec le mauvais gouvernement. Je ne sais plus si c’était ou non la première. Don Mario nous a raconté que les fonctionnaires sont arrivés avec leurs papiers et leur bureaucratie, comme s’il s’agissait d’un simple changement de matricule, et pas d’une disparition forcée. Les familles étaient à la fois effrayées et en colère, elles voulaient s’exprimer mais le bureaucrate qui leur faisait face arguaient que seuls pouvaient s’exprimer ceux qui avaient été enregistrés, et il cherchait à les intimider. Don Mario raconte qu’un homme d’un certain âge les accompagnait, « un sage », diraient les zapatistes. Cet homme a surpris tout le monde en tapant du poing sur la table et en élevant la voix pour exiger qu’on laisse la parole aux parents qui voulaient s’exprimer. Don Mario nous a dit, à peu de choses près : « Ce monsieur n’a pas eu peur, et la peur s’est envolée pour nous aussi, nous avons parlé et depuis, nous n’avons plus cessé de le faire. » Cet homme qui, vert de rage, a fait face à la négligence gouvernementale, aurait pu être une femme ou un•e autre, et je suis sûr que n’importe lequel d’entre vous aurait fait pareil en de telles circonstances, mais il se trouve que c’était Adolfo Gilly.

Compañeros des familles,

C’est à cela qu’on fait allusion lorsqu’on parle de ceux qui sont avec vous sans vous voir comme une marchandise à acheter, vendre, échanger ou voler.

Comme lui, il y en a d’autres, qui ne frappe pas du poing parce qu’ils ne sont pas devant la table, mais qui sont là.

En tant que zapatistes, nous avons aussi appris que rien ne s’obtient vite et facilement, ni ce qu’on mérite ni ce dont on a besoin.

Car l’espoir, en haut, est une marchandise, mais en bas, c’est une lutte pour se convaincre d’une chose : nous allons obtenir ce que nous méritons et nécessitons, parce qu’on s’organise et qu’on lutte pour cela.

Notre destin n’est pas le bonheur. Notre destin est de lutter, de lutter toujours, à toute heure, à tout moment, en tout lieu. Peu importe si le vent nous est favorable. Peu importe si nous avons le vent et tout le reste contre nous. Peu importe que la tempête arrive.

Car, croyez-moi, les peuples originaires sont des habitués de la tempête. Et ils sont là, et nous sommes là. Nous, qui nous nommons les zapatistes. Depuis plus de trente ans nous payons le prix de ce nom-là, à la vie à la mort.

Nous sommes riches de cette persistance au-delà de tout et de tous ceux d’en haut qui se sont succédé sur les calendriers et les géographies, on ne le doit pas à des individus. On le doit à notre lutte collective et organisée.

Si quelqu’un se demande envers qui les zapatistes seraient redevables de leur existence, de leur résistance, de leur rébellion et de leur liberté, la vraie réponse sera : « PERSONNE ».

Car c’est ainsi que l’individualité qui supplante et s’impose, en faisant mine d’orienter et de représenter le collectif, est annihilée par ce dernier.

Par conséquent, nous vous affirmons aujourd’hui, vous les familles qui cherchez la vérité et la justice, que lorsque tous se seront retirés, PERSONNE resterons.

Une part de ce PERSONNE, la plus petite peut-être, c’est nous, les zapatistes. Mais il y a beaucoup plus de monde.

PERSONNE, c’est celui qui fait tourner la roue de l’histoire. C’est PERSONNE qui travaille la terre, qui manœuvre les machines, qui travaille, qui lutte.

C’est PERSONNE qui survit à la catastrophe.

Mais peut-être que nous nous trompons, que le chemin que l’on vous offre de l’autre côté est celui qui vaut vraiment la peine. Si vous pensez ainsi et que vous en décidez ainsi, vous ne recevrez pas notre condamnation, notre rejet ni notre mépris. Soyez assurés, quoi qu’il en soit, de notre affection, respect et admiration.

[…]

SupGaleano
Mexique, le 3 mai 2015.

= = =

Lectures complémentaires:

Six textes fondamentaux pour nous aider à y parvenir, ensemble, à lire, relire et diffuser sans aucune modération:

 


Caracole del bueno gobierno

Analyse politique: Une ferme, un monde, une guerre, la nécessité d’un réseau de résistance internationale (EZLN), suite et fin…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, police politique et totalitarisme, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 11 octobre 2018 by Résistance 71

 

Un continent comme arrière-cour, un pays comme cimetière, une pensée unique comme programme de gouvernement et une petite, très petite, minuscule rébellion

 

SCI Galeano, SCI Moisés

 

9 octobre 2018

 

url de l’article en français:

https://www.lavoiedujaguar.net/Un-continent-comme-arriere-cour-un-pays-comme-cimetiere-une-pensee-unique-comme

 

1ère partie

 

Suite de la participation de la Commission Sexta de l’EZLN à la rencontre des réseaux de soutien au Conseil indigène de gouvernement et à sa porte-parole. Août 2018.

300

Deuxième partie

Du monde, nous descendons vers le continent.

Si on regarde vers le haut…

On voit les exemples de l’Équateur, du Brésil et de l’Argentine, où non seulement on déplace des gouvernements supposés progressistes, mais aussi où on les poursuit en justice et met à leur place des gouvernements formés en bons contremaîtres, en contremaîtres obéissant au capital (même si, soyons justes, ils sont encore assez maladroits dans leur cynisme) pour la nouvelle restructuration de la finca (ferme) mondiale ; il s’agit de Temer au Brésil, Macri en Argentine et, en Équateur, celui qui était un bon parce qu’il a été mis par le récemment accusé Correa (celui de la « révolution citoyenne » — « de gauche », l’argument de vente de l’intelligentsia progressiste) et maintenant il s’avère qu’il est de droite, Lenin Moreno — paradoxalement il s’appelle Lénine.

Sous la vigilance de l’État qui s’est converti en policier de la région, la Colombie, et d’où ils menacent, déstabilisent et planifient des provocations qui justifient les invasions des « forces de paix », partout en Amérique du Sud on en revient aux temps brutaux de la colonie, maintenant avec le « nouvel » extractivisme, qui n’est que le pillage ancestral des ressources naturelles, classifiées comme « matières premières », et qui est avalisé par les gouvernements progressistes de la région et promu comme un « extractivisme de gauche » — quelque chose comme un capitalisme de gauche ou une gauche capitaliste ou qui sait ce que ça veut dire —, mais on détruit et dépouille pareillement, sauf que c’est pour une « bonne cause » (?). Toute critique ou mouvement opposé à la destruction des territoires des peuples originaires est catalogué « promu par l’Empire », « inspiré par la droite » et autres équivalents à « c’est un complot de la mafia du Pouvoir ».

Bref, sur le continent, « l’arrière-cour arrière » du Capital s’étend jusqu’au Cap Horn.

Mais si on regarde en bas….

On voit des rébellions et des résistances, en premier lieu, des peuples originaires. Vouloir les nommer tous ne leur rendrait pas justice, car il y aurait toujours le risque d’en omettre quelques-uns. Mais leur identité se manifeste dans leur lutte. Là où la machine rencontre une résistance à son avancée prédatrice, la rébellion revêt des couleurs nouvelles tellement elles sont anciennes et parle des langues « étranges ». Le pillage, également déguisé en mise en valeur de la terre, tente d’imposer sa logique mercantile à ceux qui appellent la terre la mère.

Ces résistances sont accompagnées par des groupes, des collectifs et des organisations qui, sans faire eux-mêmes partie des peuples originaires, partagent avec eux leurs efforts et leur destin, c’est-à-dire leur cœur. Ce qui les amène à subir calomnies, persécutions, emprisonnements et, souvent, la mort.

Pour la machine, les peuples originaires sont des choses, incapables de penser, de sentir et de décider ; il n’est donc pas étranger à sa logique automatisée de penser que ces groupes en réalité « dirigent », « utilisent » et « manipulent » ces « choses » (les peuples originaires) qui refusent d’adhérer à l’idée que tout est marchandise. Tout, y compris leur histoire, leur langue, leur culture.

Pour le système, le destin des indigènes est dans les musées, dans les spécialisations de l’anthropologie, dans les marchés d’artisanat et dans l’image de la main tendue attendant l’aumône. Il doit être désespérant, pour les théoriciens et les avocats de la machine, cet analphabétisme qui ne comprend pas les mots : « consommation », « profit », « progrès », « ordre », « modernité », « conformisme », « achat et vente », « reddition », « capitulation ». Ce qu’il faut pour alphabétiser ces réfractaires à la civilisation, ce sont les programmes d’aide qui divisent et confrontent, les barreaux des prisons, le plomb et la disparition. Et, bien sûr, il y a ceux qui se vendent et livrent les leurs au bourreau, mais il y a des communautés qui restent rebelles parce qu’elles savent qu’elles sont nées pour la vie, et que les promesses du « progrès » cachent la pire mort : celle de l’oubli.

Continuons avec l’Amérique centrale — où Shakespeare se répète au Nicaragua, et le couple Macbeth, Daniel et Rosario, se demande : « Qui aurait pu imaginer que le vieux (Sandino) avait tant de sang dans le corps ? » et tente en vain de s’essuyer les mains sur un drapeau rouge et noir —, qui commence à se transformer, d’un territoire oublié (après un pillage impitoyable), en un problème pour le grand capital car c’est un grand fournisseur et tremplin de migrants ; et c’est ce qui va conférer au Mexique, et en particulier au Sud-Est mexicain, un rôle de mur.

Et nous avons décidé d’inclure le Mexique dans l’Amérique centrale parce que son histoire le lie à l’Amérique latine et que, même sur les cartes du monde, l’Amérique centrale est le bras tendu de ceux qui sont frères dans la douleur et la colère.

Mais leur vocation étrangère conduit les différents gouvernements que ce pays a subi et subira et ses milieux politiques à admirer, imiter, servir et chercher « l’annexion des peuples de notre Amérique au Nord troublé et brutal qui les méprise » (José Martí, « Lettre à Manuel Mercado », 18 mai 1895).

Quand Donald Trump dit qu’il veut construire son mur, tout le monde pense au rio Bravo, mais le capital pense au rio Suchiate, à l’Usumancita et au rio Hondo. En réalité le mur se trouvera au Mexique pour arrêter ceux qui viennent d’Amérique centrale et cela peut aider à comprendre pourquoi Donald Trump, le 1er juillet, a salué Juanito Trump, qui venait de remporter les élections du Mexique.

Ce qui donne son sens à un mur, c’est qu’il s’oppose à « quelque chose ». Tous les murs sont dressés contre ce « quelque chose », qu’il soit appelé zombies, extraterrestres, délinquants, sans-papiers, migrants, indocumentados, illégaux, clandestins, étrangers. Les murs ne sont qu’une variante de la porte et des fenêtres fermées d’une maison, qui se protège ainsi de l’étranger, de l’étrange, de l’Alien qui, dans sa différence porte la promesse de l’apocalypse finale. L’une des racines du mot « ethnicité » renvoie à la notion de « gens étrangers ».

Dans les plans de capital, le mur contre l’Amérique latine aura la forme de l’impossible corne d’abondance et s’appellera « le Mexique ».

Dans la région du Sud-Est, nous l’avons dit, la première étape du mur Trump est en construction. Le bureau « national » d’immigration continuera à agir en subordonné de la Border Patrol ; et le Guatemala et le Belize sont la dernière étape avant d’arriver à la douane nord-américaine. Cela fait du Sud-Est mexicain l’une des priorités de conquête et d’administration.

Ainsi, dans les nouveaux plans « géopolitiques », on propose de créer un « tampon », un « amortisseur », un filtre qui réduise radicalement les migrations. Ainsi on propose un placebo pour dissiper le cauchemar du capital : une horde de zombies (c’est-à-dire de migrants) au pied de ses murs, menaçant son style de vie et « gravant » sur la surface indifférente de fer et de béton un graffiti qui signale :

« Ton bien-être est construit sur mon malheur. »

Dans ce pays, également appelé « République mexicaine », les dernières élections fédérales ont réussi à cacher la réalité… pendant un instant : la crise économique, la décomposition sociale (avec sa longue liste de féminicides) et la consolidation (malgré les prétendus « coups mortels » portés au narco) des États parallèles (ou imbriqués dans les États nationaux) de ce qui est appelé « le crime organisé ». Pendant un bref moment, les meurtres, enlèvements et disparitions de femmes de tous âges ont été relégués au second plan. Ainsi que la cherté de la vie et le chômage. Mais, à mesure que l’enthousiasme pour le résultat des élections s’estompe, la réalité dit une fois de plus : « Me voici, il manque mon vote… et ma faux. »

De l’horreur qui a fait du Mexique un cimetière dans les limbes, le non-lieu des disparitions, nous ne parlerons pas beaucoup. Il suffit d’écouter les médias pour en avoir une vague idée. Mais on peut en trouver une description, une analyse et une évaluation plus approfondies dans les participations de Jacobo Dayán, Mónica Meltis, Irene Tello Arista, Daniela Rea, Marcela Turati, Ximena Antillón, Mariana Mora, Edith Escareño, Mauricio González González et John Gibler, dans le séminaire du mois d’avril dernier, « Regards, écoutes, paroles ; interdit de penser ? », au Cideci de San Cristóbal de Las Casas, au Chiapas, et dans leurs écrits, chroniques, reportages et tribunes. Et pourtant, lire ou entendre parler de l’horreur quotidienne est très différent de la vivre jour après jour.

Le grand capital ne se soucie pas des disparitions, des enlèvements et des féminicides. Ce qui le préoccupe, c’est sa sécurité et celle de ses programmes. La corruption qui le dérange est celle qui réduit son profit. C’est pourquoi on lui propose : « Je vais faire un bon contremaître, avec moi la plèbe sera tranquille et contente, tu auras de nouveau la sécurité que les gouvernements précédents n’ont pas su t’assurer, tu vas pouvoir prendre ce que tu veux prendre, et je ne vais rien te voler. »

Une chose continue de gêner le système, c’est l’État national, et il lui assignera de plus en plus la seule fonction pour laquelle naît tout État, à savoir assurer par la force la relation entre dominateurs et dominés.

Les plans de développement des nouveaux gouvernements partout dans le monde ne sont que des déclarations de guerre particulières dans les territoires où ces plans de développement vont s’appliquer.

En termes crus, on dirait qu’on se propose de construire des friches et des déserts, et en même temps on construit déjà l’alibi pour esquiver la responsabilité de cette destruction : « Nous vous avons anéantis, mais c’était pour le bien de tous. »

Je me suis trompé. Nous avions prévu qu’il allait y avoir une fraude électorale (et il y en a eu une, mais dans un autre sens). Nous avions prévu que López Obrador allait gagner, mais que le système allait escamoter son triomphe par la triche. Et nous avons réfléchi aux options du système après cette fraude. Selon notre analyse le scandale ne leur faisait pas peur parce qu’ils avaient déjà enduré le scandale de la Maison Blanche, d’Ayotzinapa, de la Estafa Maestra (la Parfaite Arnaque), les affaires de corruption des gouvernements des régions, alors au cas où la fraude aurait fait scandale, Peña Nieto n’en avait rien à faire. Nous pensions que le dilemme du système était de choisir entre Meade et Anaya, choisir celui qui était le plus à droite, le plus efficace pour ses plans, lequel des deux serait le meilleur contremaître.

La possibilité d’une résistance soutenue et radicale du candidat qui allait être évincé étaient minimes, rien de dangereux pour le système n’allait donc se produire, mais il allait y avoir des protestations. C’est l’excuse que je vous présente, parce que c’est en pensant à ça que nous avons retardé la convocation des réseaux, parce que nous pensions qu’il y aurait des protestations, des blocages et tout ça, et que si nous les invitions, peut-être qu’ils allait être coincés quelque part ; pour cette raison, l’appel vous est arrivé tard, excusez.

Nous, zapatistes, nous nous préparons toujours au pire. Si ça arrive, on y était prêts. Si ce n’est pas le cas, nous y étions aussi prêts.

Nous pensons donc maintenant, d’après ce que nous voyons, que nous ne nous sommes pas trompés, qu’en effet le système a choisi, parmi les quatre candidats, celui qui se propose comme le plus efficace, M. López Obrador. Et les preuves d’amour que M. López Obrador a données, ou que ce monsieur donne, au grand capital, c’est-à-dire au finquero, sont entre autres la reddition des territoires des peuples originaires. Ses projets pour le Sud-Est, pour n’en citer que quelques-uns, pour l’Isthme, pour les États du Chiapas, du Tabasco, du Yucatán et de Campeche, sont en réalité des projets de dépossession.

Et ce qui préoccupe surtout un gouvernement sortant, c’est l’impunité, pas ses taux de popularité. Alors le « vote » gouvernemental devait aller à ceux qui garantissent qu’ils ne seront pas poursuivis en justice. Que l’exil ou la prison ne soient pas le recours toujours nécessaire pour légitimer la nouvelle administration. Le nouveau contremaître devait promettre (et prouver) qu’il ne criminaliserait pas le contremaître précédant.

Mais ne croyez pas que le nouveau gouvernement va être comme n’importe quel autre contremaître, avec lui vient la « nouvelle » pensée unique.

Il y a une espèce de nouvelle religion en gestation. On dirait que la religion du marché, qui apparaît partout où les gouvernements de droite s’emparent du pouvoir, ne suffit plus, qu’une sorte de nouvelle morale s’impose avec l’argument quantitatif et attaque le travail scientifique, l’art et la lutte sociale.

Il n’y a plus de luttes pour une revendication, ce qu’il y a, ce sont de bonnes luttes et de mauvaises luttes. En termes plus clairs : il y a les bonnes luttes et il y a les luttes qui servent la mafia du pouvoir, le « bon » art et celui qui sert la mafia du pouvoir, le travail scientifique « correct » et celui qui sert la mafia du pouvoir. Tout ce qui n’est pas guidé par la nouvelle pensée unique qui est en cours de définition fait partie de l’ennemi. Et la foi, ou plutôt la nouvelle foi qui est en train de naître, a besoin d’un individu exceptionnel, d’une part, et de masses qui le suivent.

C’est arrivé au cours d’autres épisodes de l’histoire mondiale, et maintenant ça va commencer à arriver ici. Ce qui fait qu’au lieu de répondre avec des arguments aux critiques et objections que vous faites, ou que nous faisons, on dit, par exemple, que nous sommes grossiers ou que nous sommes envieux.

Nous ne doutons pas qu’il y ait des gens qui, honnêtement, ont pensé que le changement promis, en plus de ne pas coûter cher (il suffisait de cocher un bulletin de vote), mènerait à un changement réel, « véritable ». Ça doit faire enrager que dans le panorama d’en haut on retrouve les noms des criminels d’avant, même s’ils ont changé de couleur pour adopter le rouge cerise.

Mais la vocation de droite de la nouvelle équipe gouvernementale est indéniable. Et son entourage « intellectuel » et social revendique sans rougir sa tendance autoritaire. Le scénario que nous avons décrit il y a treize ans, en 2005, est suivi à la lettre. Celui qui a été mauvais dans la défaite est mauvais dans la victoire. Dire que le prochain gouvernement est de gauche ou progressiste n’est qu’une calomnie. Alors nous utilisons la métaphore de l’œuf du serpent. Il y a un film d’Ingmar Bergman qui s’appelle comme ça, et il y a une scène où un médecin (qui, soit dit en passant, a été joué par l’acteur de Kung Fu David Carradine) explique que ce qui se passe à l’époque en Allemagne — qui va devenir fasciste — peut se comparer à un œuf de serpent, si on le regarde à contre-jour, on voit ce qu’il y a dedans, et on y voyait alors ce qui se passe actuellement.

Vous savez que tous les efforts du Movimiento de Regeneración Nacional, de López Obrador et de son équipe, depuis le 1er juillet, sont de se mettre bien avec la classe dominante et le grand capital. Il n’y a aucun indice (personne ne peut dire qu’il a été trompé), aucune indication qu’il s’agit d’un gouvernement progressiste, aucune. Ses principaux projets vont détruire les territoires des peuples originaires : le million d’hectares de la Lacandona, le Train Maya, ou le corridor de l’Isthme qu’il veut faire, entre autres. Sa franche empathie avec le gouvernement de Donald Trump est déjà une confession publique. Sa « lune de miel » avec des hommes d’affaires et le grand capital transparaît dans les principaux membres de son cabinet et dans ses plans pour la « Quatrième Transformation ».

Il est clair, nous croyons, que l’approbation du Pouvoir, de l’Argent, est plus qu’une reconnaissance du « triomphe » de López Obrador. Dans les rangs du grand capital, il y a un réel enthousiasme pour les opportunités de conquête qui s’ouvrent avec le programme du gouvernement lopezobradoriste.

Nous avons des faits concrets et beaucoup de rumeurs (qui ne peuvent être prouvées) sur ce qui s’est passé dans le récent processus électoral. Nous ne les rendons pas publics parce qu’on pourrait en déduire qu’il y a eu fraude, et rien n’est plus éloigné de nos intentions que de tenter de gâter l’euphorie qui gagne les « 30 millions ».

Mais ce que personne ne veut souligner, c’est qu’il y avait une sorte d’« effet d’annonce », tout comme cela s’était produit lors des élections précédentes, celles de Calderón et de Peña Nieto. En d’autres termes, ce ne sont pas les « institutions » qui ont dit qui avait gagné, mais les médias. Alors que le Programme de résultats électoraux préliminaires (PREP) commençait à peine, Televisa et TV Azteca disaient déjà qui était le vainqueur ; quelques minutes après, avec moins de un pour cent des votes comptabilisés, vint la reconnaissance de Meade, Anaya et la Calderona. Quelques heures plus tard, le « camarade » Trump se félicite et, à l’aube du lendemain, Carlos Salinas de Gortari (qu’on a cessé d’appeler l’innommable) se joint aux félicitations. Sans qu’on connaisse les résultats officiels, commence le baisemain que le PRI a institué en patrimoine national. Et l’Institut national électoral ? Eh bien, il remplit la fonction pour laquelle il a été créé : être le faire-valoir de la « démocratie électorale ». Les « institutions » responsables du scrutin se sont limitées à suivre l’avalanche médiatique.

Les intellectuels progressistes qui, au cas où il ne se serait pas agi de leur leader, auraient dénoncé ce qui s’est passé comme un « coup d’État médiatique », souscrivent maintenant sans rougir au « d’une façon ou d’une autre » : « on a gagné, peu importe comment ». Le fait est que tout semble indiquer que le résultat a été négocié et accepté en dehors des bureaux de vote et du calendrier électoral. Mais rien de tout cela n’a plus d’importance, le grand électeur a décrété : « Habemus Contremaître, les affaires continuent. »

Cette nouvelle pensée unique va remplacer l’argument de la raison par l’argument quantitatif : « 30 millions de gens ne peuvent se tromper », qui a été utilisé par le père, je ne me souviens plus comment il s’appelle, Solalinde ? Celui-là même (désolé, je ne le prononce jamais bien et le SubMoy me corrige toujours), et qu’on utilise sans cesse : « Pourquoi vous opposez-vous à 30 millions ? Vous êtes à peine 300 personnes et en plus sales, laides, méchantes et grossières. » Enfin, ils parlent de vous (les réseaux) ; moi, je suis juste grossier.

Avec cette nouvelle forme de foi (qui nous fait insister sur le fait qu’il manque le vote qui compte, le vote de réalité), on commence à faire prévaloir dans l’imaginaire collectif la raison de la quantité sur l’analyse et la raison argumentée.

Et l’histoire commence à se réécrire et devient la nouvelle Histoire officielle. Selon elle, tous les mouvements sociaux et politiques du passé visaient en fait à amener López Obrador à la présidence. Nous lisons maintenant que le mouvement de 68 n’a été que l’antécédent de la « fin des temps », cinquante ans plus tard. Nous lisons que Manuel Bartlett et des criminels du même type sont purifiés parce qu’ils sont du côté du vainqueur. Nous lisons qu’Alfonso Romo est un homme d’affaires « honnête » qui ne s’intéresse qu’au bien-être son prochain.

Nous avons lu que ceux qui hier étaient du PRI, du PAN, du PRD, du Parti vert écologiste, ou qui se sont formés comme militants dans le show-business, sont maintenant des leaders illustres de la « Quatrième Transformation ». Et nous lisons aussi que le soulèvement zapatiste de 1994 a été le prélude au soulèvement « citoyen » de 2018 ! Et le leader a déjà instruit que soient élaborées des théories sur son ascension au pouvoir. Il ne faudra pas longtemps pour que les historiens proches de lui modifient les manuels d’histoire.

Nous avertissons qu’une avalanche se prépare, un tsunami d’analyses frivoles et emberlificotées, de nouvelles religions laïques, de prophètes mineurs — très mineurs — parce qu’ils ont la plate-forme pour le faire. Il y aura plein de sornettes pour ceux qui veulent les avaler. Et puisque nous parlons de néo-religion, les roues du moulin seront démocratisées pour que tous puissent communier.

Apparaîtront de nouveaux boy-scouts, les éclaireurs prêts à faire le bien, mais en regardant bien à qui.

Les « représentants des citoyens » qui promeuvent la citoyennisation : ce que veulent les « autochtones » (j’te jure, c’est comme ça qu’ils disent), c’est être comme celui qui les dépouille. Être « égal », ne serait-ce que dans la fugace temporalité de l’urne, et « libre » lorsqu’il s’agit de signer la concession de la mine-hôtel-chemin de fer, le contrat d’« embauche », les versements échelonnés, le « ferme soutien à notre président », la sollicitude d’« aide gouvernementale ».

Il y aura un boom prévisible des services administratifs, mais, au lieu de ressources, on aura un dialogue. Et ça vaut la peine, même si ça ne paie pas. Parce que le modèle des « guichets » se décentralisera. Vous n’aurez plus besoin d’aller dans un bâtiment, de faire la queue et de vous rendre compte, après une longue attente, qu’il manque la copie rose. Maintenant, le guichet viendra chez vous : « Demandez, nous irons ; comme certificat vous recevrez une promesse. »

S’il y a quelqu’un qui n’a rien, il y a de fortes chances qu’il ait de l’espoir. Les nouveaux escrocs seront chargés d’administrer cet espoir, de doser leur encouragement et de le transformer en chimère qui réconforte mais ne résout rien.

On recyclera l’argument utilisé dans certains secteurs de la lutte sociale : il n’est pas possible de changer le système, ce qu’il faut faire, c’est l’administrer ou limer ses aspérités pour qu’elles ne fassent pas trop mal, autrement dit on peut vous transformer en bons contremaîtres, voire arriver à créer un bon capitalisme ; il est possible de changer le système de l’intérieur.

On devine déjà la silhouette à travers la coquille : on exige le renoncement à la raison et à la pensée critique ; l’exaltation du nationalisme fondé sur le « bon » autoritarisme ; la chasse à ce qui diffère ; la légitimité acquise à grands cris ; la néo-religion laïque ; l’unanimité imposée ; la capitulation de la critique ; la nouvelle devise nationale : « Interdit de penser ». Bref, l’hégémonie et l’homogénéité qui sont les piliers des fascismes qui ne s’avouent pas.

Ce qu’on met à notre disposition, est-ce que ce sont des concepts qui permettent de comprendre (et d’agir) ? Des termes tels que « citoyenneté », « jeunesse », « femmes », « progrès », « développement », « modernité », « démocratie électorale » comme synonyme de démocratie ?

Le terme « citoyen », comme concept pour comprendre ce qui se passe, ne sert à rien : Carlos Slim est « citoyen », tout comme le paysan dépouillé par le nouvel aéroport de Mexico. Il en est de même pour Ricardo Salinas Pliego et quelqu’un qui vit dans la rue à la suite du séisme de septembre 2017. Alfonso Romo et les membres de la communauté tzeltal qui vont être dépossédés de leurs terres pour laisser passer un train dans lequel les touristes prendront des selfies.

Un autre : « jeunesse ». « Jeunes » sont les filles de Peña Nieto, et les ouvriers et étudiants assassinés.

Un autre : « femmes ». Les « femmes » sont les Aramburuzavala, Gonda, Sánchez Cordero, González Blanco Ortiz Mena, Merkel et May, tout autant que les assassinées de Ciudad Juárez, les violées aux quatre coins du monde, les battues, les exploitées, les persécutées, les détenues, les disparues.

Tous les concepts qui éliminent la division ou qui n’aident pas à comprendre une division de classe entre dominateurs et dominés sont une tromperie et leur permettent de coexister en un seul, les uns et les autres. Cette transversalité — qu’ils disent — entre capital et travail ne sert à rien, n’explique rien et mène à une cohabitation perverse entre exploiteur et exploité et il semble un instant qu’ils soient les mêmes, alors qu’il n’en est rien.

Il y a aussi cette tentative de revenir au système d’avant, cet impossible saut en arrière vers « l’État providence », vers le « l’État bienfaiteur » de Keynes, vers le vieux PRI (ce qui a fait dire à quelqu’un en blaguant que la première transformation a été le PNR, la deuxième le PRM, la troisième a été PRI, et maintenant la quatrième transformation est le PRIMOR).

Et ainsi revient l’ancienne discussion entre réforme et révolution. Les « débats » entre les « radicaux », qui luttaient pour la révolution, et les « ringards », qui étaient pour un changement graduel, pour des réformes progressives pour atteindre le royaume du bonheur. Ces discussions avaient lieu autrefois dans les cafés. Les agoras d’aujourd’hui sont les réseaux sociaux et on peut suivre cet exercice d’auto-érotisme chez les influencers (comme on dit).

Nous pensons qu’il n’est même pas nécessaire d’en discuter, parce que la réforme n’est plus possible ; ce qu’a détruit le capitalisme n’est plus récupérable, il ne peut plus y avoir un capitalisme bon (nous pensons que cette possibilité n’a jamais existé), il nous faut le détruire totalement.

Et pour paraphraser ce qu’ont dit les femmes zapatistes à la Rencontre des femmes en lutte : il ne suffit pas de mettre le système en feu, il faut s’assurer qu’il se consume totalement et qu’il ne reste que des cendres.

On en reparlera en une autre occasion. Pour l’instant, nous voulons juste souligner que la contre-révolution sociale est tout à fait possible. Non seulement elle est possible, mais elle va être continuellement à l’affût, parce qu’on va essayer d’anéantir toute lutte extérieure à ce processus de domestication qui se prépare. On va essayer de la détruire, surtout violemment.

Non seulement par la marginalisation, non seulement par la diffamation, mais aussi par les attaques paramilitaires, militaires et policières.

Pour quiconque conteste ces nouvelles règles — qui sont en fait les anciennes —, il n’y aura pas d’amnistie, pas de pardon ni d’absolution, pas de câlins ni de photos ; il y aura la mort et la destruction.

La lutte contre la corruption (qui n’est autre que la lutte pour la bonne administration de la domination) non seulement n’inclut pas la lutte pour la liberté et la justice, mais même s’y oppose, car sous le prétexte de la lutte contre la corruption il y a une lutte pour un appareil d’État plus efficace dans la fonction quasi unique qu’a l’État national : la répression. Et il ne lui restera bientôt même pas celle-là.

Le gouvernement ne sera plus le contremaître voleur qui garde plusieurs génisses et taurillons qu’il ne signale pas au finquero. Le nouveau contremaître ne volera pas, il remettra au patron l’intégralité des gains.

Ils veulent redonner à l’État national, du Mexique en l’occurrence, ses véritables fonctions. En d’autres termes, quand on parle du besoin de sécurité, c’est la sécurité du capital ; c’est l’introduction et l’amélioration d’un nouvel État policier : « Je vais bien faire les choses parce que je vais garder un œil sur tout. » La sécurité exigée par la citoyennisation est en fait la réimplantation d’un système policier, un mur modernisé et professionnalisé qui sache faire la distinction entre « les bons » et « les méchants ».

La police de la capitale sera professionnalisée. Le taux de criminalité y sera réduit et il y aura de « beaux » policiers qui aideront les personnes âgées à traverser la rue, iront à la recherche des animaux de compagnie égarés et s’assureront que la circulation est amicale pour ce qui compte : les voitures.

À l’extérieur, à la périphérie, la collusion continuera entre ceux qui doivent prévenir et poursuivre le crime et ceux qui le commettent. En contrepartie, le tourisme extrême sera encouragé : dans la capitale, des « tours » et des « safaris » seront organisés pour connaître ces créatures rares qui habitent les ombres ; les touristes pourront prendre un selfie avec le jeune homme arrêté-battu-assassiné, son sang brouillant les couleurs des tatouages, éclipsant l’éclat des piercings et des rivets, tachant le vert-violet-bleu-orange des cheveux. Qui c’était ? Qui s’en soucie ? Dans un selfie tout ce qui n’est pas le « moi » est juste mise scène, anecdote, émotion « forte » à montrer sur le face, sur instagram, parmi les chats, les autobiographies. Et, dans le haut-parleur du véhicule blindé, la sympathique guide touristique met en garde : « Nous vous rappelons que la consommation de tacos, tortas et autres garnachas est à vos risques et périls ; l’entreprise n’est pas responsable des indigestions, gastrites et infections stomacales. Pour ceux qui sont descendus, voici du gel antibactérien. »

Le nouveau gouvernement promet de récupérer le monopole de l’usage de la force (dont l’a privé ledit « crime organisé »). Mais plus seulement avec la police et les armées traditionnelles. Également avec les « nouveaux » vigiles : les nouvelles chemises « brunes » ou rouge cerise, que vont devenir les paroissiens de la nouvelle religion laïque ; les masses qui vont attaquer les mouvements sociaux qui ne sont pas domestiqués. Les « bataillons rouges » recyclés (aujourd’hui « cerise » pour la « Quatrième Transformation ») qui devront mener à bien le « nettoyage » des sales, des laid·e·s, des méchant·e·s, des grossier·e·s, et de quiconque résiste à l’ordre, au progrès et au développement.

Alors nous continuons à descendre pour voir comment résistent (avec d’autres organisations, groupes et collectifs), nos communautés — aujourd’hui une partie de la direction collective de l’EZLN est là avec nous, quatre-vingt-dix commandantes et commandants ; ils sont plus, mais ce sont ceux qui nous accompagnent cette fois en l’honneur de votre visite (la visite des réseaux).

Nous continuons à marcher avec deux pieds : la rébellion et la résistance, le non et le oui ; non au système et oui à notre autonomie, ce qui signifie que nous avons à construire notre propre chemin vers la vie. Il se fonde sur certaines des racines des communautés originaires (ou indigènes) : le collectif, l’entraide mutuelle et solidaire, l’attachement à la terre, le fait de cultiver les arts et les sciences, la vigilance constante contre l’accumulation de richesses. Cela, ainsi que les sciences et les arts, c’est notre guide. C’est notre « façon », mais nous pensons que dans d’autres histoires et identités, c’est différent. C’est pourquoi nous disons que le zapatisme ne peut pas être exporté, pas même sur le territoire du Chiapas, mais que chaque calendrier et chaque géographie doit suivre sa propre logique.

Les résultats de notre cheminement sont visibles pour ceux qui veulent voir, analyser et critiquer. Bien sûr, notre rébellion est tellement, tellement petite, qu’il faudrait un microscope ou, mieux encore, un périscope inversé pour la détecter.

Et ce n’est pas non plus un exercice très encourageant : nos possibilités sont minimes.

On n’approche même pas, il s’en faut de beaucoup, les 30 millions.

On n’est peut-être que 300.

300

Troisième et dernière partie

Un défi, une autonomie réelle, une réponse

Et maintenant ?

Ramer à contre-courant. Rien de nouveau pour nous autres zapatistes.

Nous voulons le réitérer — nous en avons discuté avec nos peuples : nous nous confronterons à tout contremaître, quel qu’il soit ; pas seulement celui qui propose une bonne administration et une répression correcte — autrement dit cette lutte contre la corruption et le plan de sécurité fondé sur l’impunité —, mais aussi ceux qui derrière des rêves avant-gardistes tentent d’imposer leur hégémonie et de nous homogénéiser.

Nous ne changerons pas notre histoire, notre douleur, notre rage, notre lutte pour le conformisme « progressiste » et sa marche derrière le leader.

Il se peut que les autres l’oublient, mais nous, nous n’oublions pas que nous sommes zapatistes.

Et dans notre autonomie et à propos d’elle — vu qu’on discute de savoir si elle va être reconnue ou ne va pas être reconnue —, nous avons fait ce raisonnement : l’autonomie officielle et l’autonomie réelle. Celle qui est officielle est celle qui est reconnue par les lois. La logique serait : vous avez une autonomie, maintenant je la reconnais dans une loi, alors votre autonomie commence à dépendre de cette loi et ne conserve plus ses formes, puis, quand il va y avoir un changement de gouvernement, alors vous devez soutenir le « bon » gouvernement, et voter pour lui, promouvoir le vote pour lui, car si arrive un autre gouvernement, ils vont vous enlever la loi qui vous protège. Ça fait donc de nous les pions des partis politiques, comme cela s’est produit pour des mouvements sociaux dans le monde entier. Ce qui compte, ce n’est plus ce qui s’effectue dans la réalité, ce qui est défendu, mais ce que la loi reconnaît. La lutte pour la liberté se transforme ainsi en lutte pour la reconnaissance légale de la lutte elle-même.

On a parlé à nos chefs femmes et hommes. Ou plutôt nous avons parlé avec les peuples qui nous donnent le pas, le cap et le destin. Avec leur regard, nous voyons ce qui vient.

Nous avons discuté, et nous avons dit, eh bien, si nous disons cela, que va-t-il se passer ?

Nous allons rester seuls, on va nous dire que nous sommes marginalisés, que nous restons en dehors de la grande révolution… de la « Quatrième Transformation » ou de la nouvelle religion (quel que soit le nom qu’on lui donne), et il nous faudra encore une fois ramer contre le courant.

Mais ça n’a rien de nouveau pour nous, de nous retrouver seuls.

Et puis nous nous sommes demandé : bon, avons-nous peur de nous retrouver seuls ? Avons-nous peur de nous en tenir à nos convictions, de continuer à nous battre pour elles ? Avons-nous peur que ceux qui étaient en notre faveur se retourne contre nous ? Avons-nous peur de ne pas nous rendre, de ne pas nous vendre, de ne pas capituler ? Et finalement nous avons conclu : bon, nous sommes en train de nous demander si nous avons peur d’être zapatistes.

Nous n’avons pas peur d’être zapatistes et nous allons continuer à l’être.

C’est comme ça qu’on s’est demandé et qu’on s’est répondu.

Nous pensons qu’avec vous (les réseaux), envers et contre tout, parce que vous n’aviez pour vous ni moyens, ni consensus, ni mode, ni salaire — vous avez même dû payer de votre poche —, que malgré tout ça, autour d’un collectif d’indigènes et d’une petite femme chaparrita, et, elle, réellement morena, de la couleur de la terre, nous avons dénoncé un système prédateur et défendu la raison d’être d’une lutte.

Et donc nous cherchons d’autres personnes qui n’aient pas peur. Nous vous demandons donc à vous (les réseaux) : vous avez peur ?

Pensez-y, si vous avez peur, eh bien on cherchera ailleurs.

Pour un Réseau de résistance et de rébellion

Lectures complémentaires:

Manifeste pour la Société des Sociétés

la-sixta

Analyse politique: Les Mayas zapatistes nous montrent la voie… Du feu à la parole, entretien avec Jérôme Baschet

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, documentaire, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 14 janvier 2018 by Résistance 71

A lire en complément:

Manifeste de la societe des societes

40ans_Hommage_Pierre_Clastres

6ème_déclaration_forêt.lacandon

la-sixta

 

Entretien avec Jérôme Baschet sur l’expérience zapatiste d’autogouvernement

mercredi 3 janvier 2018, par Alizé Lacoste Jeanson, Jérôme Baschet

Source: https://www.lavoiedujaguar.net/Entretien-avec-Jerome-Baschet-sur-l-experience-zapatiste-de-l-autonomie

Le Comptoir : Vous êtes historien, enseignant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris jusqu’en 2016 et à l’Université autonome du Chiapas à San Cristóbal de Las Casas encore aujourd’hui, où vous vivez depuis 1997. Qu’est-ce qui vous a amené au Mexique, et quel est votre rôle à l’université de San Cristóbal de Las Casas ?

Jérôme Baschet : C’est en effet une trajectoire de vingt ans, pendant laquelle j’ai mené en parallèle mon intérêt pour les dynamiques contemporaines au Mexique et mon enseignement et mes recherches comme historien du Moyen Âge. Mais le déplacement progressif de l’équilibre entre ces deux versants de mon activité m’a conduit, il y a un an, à mettre fin à mon enseignement à l’EHESS, à Paris. C’est vous dire dans quel sens penche la balance…

Comment liez-vous votre recherche d’historien à l’actualité du zapatisme auquel vous avez consacré quatre ouvrages ?

Je dirais surtout que mon expérience au Chiapas a complètement transformé mon travail comme historien. Enseigner le Moyen Âge européen à des étudiants mexicains a été pour moi l’occasion de repenser cette période à partir de ses prolongements outre-Atlantique, dans les structures du monde colonial qui resteraient incompréhensibles si l’on ne prenait en compte le rôle que l’Église a joué dans leur consolidation. Sur des points plus spécifiques, la connaissance des conceptions des peuples mayas a constitué un point d’appui important pour l’étude comparée des conceptions de la personne humaine et pour atteindre, par différence, une meilleure compréhension des représentations propres à l’Occident médiéval (c’est ce à quoi est consacré Corps et âmes. Une histoire de la personne au Moyen Âge, publié l’an dernier et qui comporte un versant comparatiste).

Enfin, l’inspiration zapatiste m’est apparue d’emblée très féconde, bien sûr dans une perspective politique, mais aussi d’un point de vue historiographique. On peut y découvrir de riches filons pour reprendre l’examen de nos conceptions de l’histoire et de la temporalité, et notamment pour lutter contre la tyrannie du présent, qui s’impose dans notre monde toujours plus pressé, en manque de temps et soumis à la dictature de l’urgence. C’est ce que les historiens ont pris l’habitude de dénommer « présentisme » et que les zapatistes identifient comme le règne d’un « présent perpétuel ». C’est à en préciser les caractéristiques et à explorer les chemins qui permettent d’en sortir qu’est consacré mon prochain livre, qui paraîtra au début de l’année prochaine et qui, une fois encore, trouve son appui principal dans l’expérience zapatiste.

Comme pour la problématique de la tyrannie du présent, il semble que le mouvement zapatiste intègre des constructions théoriques et trouve les moyens de lutter par la pratique quotidienne. Est-ce que cela provient des années de clandestinité durant lesquelles les zapatistes de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) se sont intégrés aux communautés pour s’en inspirer ?

En effet, l’EZLN a été fondée, en 1983, comme un foyer de guérilla guévariste relativement classique. Pour de multiples raisons, elle s’est rapidement transformée en organisation armée des communautés indiennes. Cette organisation n’est pas restée extérieure au monde indigène ; elle s’est « indianisée ». Les militants formés au marxisme-léninisme racontent leur expérience comme une heureuse défaite, au cours de laquelle leur vision du monde initiale, carrée et pétrie de certitudes, s’est retrouvée « toute cabossée ». C’est sans doute cette expérience initiale qui a amorcé un profond et constant processus d’autotransformation, dans lequel c’est, le plus souvent, l’expérience concrète qui prime. Ce qui n’empêche pas l’EZLN d’être dotée d’une notable créativité théorique.

Dans l’expérience zapatiste, le rapport entre théorie et pratique me semble bien exprimé par l’expression qui invite à caminar preguntando [avancer en posant des questions]. C’est le refus des postures dogmatiques et avant-gardistes, sûres de savoir où guider les « masses ». Il faut avancer sans certitude et sans garantie. C’est la force des questions qui se posent à chaque pas qui permet d’ouvrir un chemin qui n’est pas tracé d’avance.

« Les théories non seulement ne doivent pas s’isoler de la réalité, mais doivent chercher en elles les leviers qui leur sont parfois nécessaires quand elles se retrouvent dans une impasse conceptuelle. Les théories rondes, complètes, achevées, cohérentes, sont parfaites pour présenter un examen professionnel ou remporter un prix, mais généralement elles sont réduites en miettes au premier coup de vent de la réalité. » Sous-commandant Marcos, « Sentir le rouge », Saisons de la digne rage (Climats, 2009)

Pouvez-vous nous décrire le rapport de forces au moment de l’insurrection du 1er janvier 1994 ?

L’essor de l’EZLN au Chiapas a été impressionnant pendant les années de clandestinité. Dans la région que l’on appelle la « forêt Lacandone », presque tous les villages étaient devenus zapatistes. Leur implantation était également forte dans les hauts plateaux du Chiapas, région où se trouve San Cristóbal de Las Casas, la capitale historique de l’État. Ce sont probablement des centaines de milliers d’Indiens qui ont pris part, directement ou indirectement, au soulèvement lors duquel quatre villes du Chiapas ont été occupées par l’EZLN, sans compter les nombreuses organisations qui, sans être zapatistes, ont profité du soulèvement pour se mobiliser et notamment pour lancer leurs propres occupations de terres.

S’agissant des zapatistes, leur équipement militaire était des plus rudimentaires (de simples fusils de chasse pour certains) ; le rapport de forces avec l’armée fédérale mexicaine était, sur ce plan, des plus déséquilibrés. Mais la connaissance du terrain et l’intégration avec les communautés indiennes ont toutefois constitué des facteurs favorables ; lorsque l’armée fédérale, en février 1995, a lancé une offensive visant à éliminer tous les dirigeants de l’EZLN, elle a échoué. Surtout, en position d’infériorité sur le plan militaire, la justesse des causes défendues par l’EZLN a suscité une énorme solidarité au plan national, et aussi international ; c’est très certainement ce qui a permis au zapatisme de poursuivre son chemin jusqu’à aujourd’hui.

Enfin, puisque vous me posez une question sur « le rapport de forces », j’ajouterai que les zapatistes ont souvent dit, avec l’humour qui les caractérise, qu’ils disaient « merde au rapport de forces ». Une manière de signaler que s’ils avaient attendu que le rapport de forces leur soit favorable, ils n’auraient jamais rien entrepris…

Comment résumer les presque dix années de combat politique au niveau local et national qui ont suivi, jusqu’à la création des Caracoles (escargots en espagnol, qui désignent les bâtiments où se prennent les décisions pour chaque zone) en 2003 ?

Les zapatistes eux-mêmes ont souvent divisé cette histoire en deux parties : le feu et la parole. Elles sont très inégales en durée. Le feu des fusils a retenti pendant douze jours seulement. Puis, les zapatistes ont accepté le cessez-le-feu exigé par la population mexicaine et proposé par le gouvernement. S’est alors ouverte l’étape de la parole. Des « dialogues » ont eu lieu avec le gouvernement fédéral, dans la cathédrale de San Cristóbal d’abord, sous les auspices de l’évêque Samuel Ruiz, puis dans la petite ville de San Andrés Sakamch’en de los Pobres, où les délégations zapatiste et gouvernementale signent une première série d’accords portant sur les droits et la culture indigènes, en 1996. À partir de là, en même temps qu’ils poursuivaient le dialogue avec la « société civile » mexicaine et internationale (à travers toute une série d’initiatives, comme la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme, à l’été 1996), les zapatistes n’ont eu de cesse de lutter pour obtenir la transcription constitutionnelle des Accords de San Andrés, ce que le président d’alors, Ernesto Zedillo, a refusé. Obtenir cette reconnaissance constitutionnelle était l’objectif de la Marche de la couleur de la terre jusqu’à Mexico, en 2001, qui a permis de plaider en sa faveur à la tribune du Parlement. Mais en vain. Une nouvelle rupture est alors intervenue : tirant les conclusions de l’échec d’un chemin très légaliste, les zapatistes décident de mettre en pratique, dans les faits, l’autonomie reconnue aux peuples indiens dans les Accords de San Andrés, à défaut d’en avoir obtenu la reconnaissance constitutionnelle. C’est le début d’une nouvelle étape, qui dure jusqu’à aujourd’hui.

Comment s’est traduite cette autonomie sur la prise de décisions collectives et à quelle échelle ?

C’est un véritable système politique d’auto-gouvernement qui s’est mis en place, sur un territoire assez ample, de l’ordre d’une région comme la Bretagne. Il se développe à trois échelles. D’abord, les communautés, c’est-à-dire les villages, qui, dans la tradition indienne, ont leur assemblée, qui est le lieu de parole et d’élaboration des décisions collectives. Puis les communes autonomes, qui ont commencé à se constituer à partir de 1994 et qui sont aujourd’hui au nombre de vingt-sept (une commune, au Mexique, c’est très grand ; cela peut représenter des dizaines de villages, voire une centaine). Enfin, en 2003, les zapatistes ont créé cinq conseils de bon gouvernement, qui sont des instances régionales qui coordonnent l’action de plusieurs communes.

À chacun de ces trois niveaux, il y des assemblées et des délégués élus pour des mandats non renouvelables, révocables à tout moment, sans salaire ou avantage matériel (ce qui fait une différence considérable avec les structures institutionnelles au Mexique). Ces fonctions sont conçues comme des « charges », dans une véritable éthique du service rendu à la communauté et un souci concret d’opérer une dispersion des fonctions politiques, qui sont effectivement partagées entre tous, hommes et femmes, acteurs ordinaires de la vie collective. Malgré des manquements et des défauts toujours à corriger, on peut bien dire que, dans l’autonomie, « le peuple dirige et le gouvernement obéit », comme on peut le lire sur les panneaux placés à l’entrée des territoires zapatistes.

La manière de prendre les décisions ne peut évidemment pas être la même aux trois niveaux. Au niveau de la communauté, l’assemblée, une instance traditionnelle, est le lieu de prise de décision ; même s’il existe aussi un représentant communautaire élu qui joue un certain rôle. Au niveau de la commune, le conseil municipal interagit avec l’assemblée municipale. De même au niveau de la région, le conseil de bon gouvernement soumet ses propositions à l’assemblée régionale, qui se réunit plus rarement : les propositions peuvent être approuvées s’il y a un accord suffisant ; sinon, les représentations des communautés sont chargées de soumettre le projet à discussion dans les villages et reviennent à l’assemblée suivante avec leur accord, leur refus ou des propositions d’amendement ; on réalise alors un nouveau projet, qui peut être approuvé directement ou bien être à nouveau renvoyé pour discussion dans les villages. Cela peut paraître long, mais c’est la condition pour qu’un projet, véritablement discuté et approprié par tous et toutes, ait quelque chance d’être convenablement mis en pratique.

Y a-t-il eu, ou y a-t-il encore, des résistances au niveau local ?

Les difficultés sont immenses et les conditions dans lesquelles se déploie l’autonomie très précaires. De fait, il a fallu une détermination considérable et une énorme capacité de résistance pour en arriver là où en sont aujourd’hui les zapatistes. Ils ont d’abord fait face aux attaques de l’armée fédérale, puis des groupes paramilitaires, qui, à partir de 1996, ont constitué la principale stratégie du gouvernement mexicain pour se débarrasser des zapatistes. Le résultat : des dizaines de milliers de déplacés et le massacre d’Acteal, en 1997, où quarante-cinq hommes, femmes et enfants ont été assassinés. Depuis les années 2000, les gouvernements ont opté pour d’autres formes de division au sein des villages indiens. D’une part, ils cherchent à attirer les zapatistes hors de l’organisation en faisant miroiter l’argent des « programmes sociaux » qui sont autant de moyens de contrôle de la population. De l’autre, ils encouragent des groupes non zapatistes à s’emparer des terres des zapatistes, en échange d’appui pour des projets productifs. Les familles zapatistes sont parfois chassées de leurs maisons, leurs biens incendiés, et en 2014, le maestro zapatiste Galeano a été assassiné à La Realidad.

Qu’en est-il de l’autonomie alimentaire, énergétique et au niveau de l’éducation et de la santé ?

L’autonomie n’est pas l’autarcie : il ne s’agit pas du tout de se refermer sur soi, comme en témoignent les nombreuses initiatives nationales et internationales que les zapatistes multiplient en parallèle à la construction de l’autonomie.

Bien entendu, l’autosuffisance alimentaire est importante. Les zapatistes y parviennent pour les produits essentiels. Ils cultivent aussi du café, sur de petites parcelles familiales, qui est commercialisé par des coopératives et des réseaux de distribution solidaire (au Mexique, dans plusieurs pays d’Amérique et d’Europe). La vente du café permet aux familles zapatistes de se procurer les biens élémentaires qui ne sont pas produits dans les communautés.

En matière d’énergie, l’autonomie est moins avancée, mais il est assez répandu au Mexique, et surtout dans un État comme le Chiapas où se trouvent les principaux barrages hydroélectriques du pays, de lutter contre les tarifs élevés de l’électricité en faisant des branchements sauvages et en les défendant contre les fonctionnaires de l’entreprise productrice.

C’est en matière de santé et d’éducation que l’autonomie a le plus avancé. Les zapatistes ont mis en place leur propre système de santé, avec des cliniques dans chaque région, des microcliniques dans les communes et des « promoteurs de santé » dans les villages. Pour l’éducation, ils ont construit des centaines d’écoles, primaires et secondaires, formé des centaines d’enseignants et conçu un projet éducatif propre, adapté à leur culture, à leur horizon politique et à leur intérêt pour les luttes de tous les peuples du monde. À noter aussi que les conseils autonomes rendent la justice, une justice autre, de médiation et sans recours à la prison, à laquelle les non-zapatistes ont aussi volontiers recours.

Tout cela fonctionne évidemment sans la moindre aide gouvernementale (les zapatistes se refusent à recourir au moindre argent venant des instances constitutionnelles). Il est très intéressant de voir que l’ensemble du système de santé et d’éducation fonctionne sans recourir au salaire. Bon nombre d’enseignants restent paysans et cultivent leurs propres terres pendant les pauses du calendrier scolaire, et ils bénéficient de l’engagement de la communauté de les aider à les cultiver ou de subvenir à leurs besoins. Pour la santé, ce sont surtout des formes de travail collectif auxquelles tous collaborent qui permettent de faire fonctionner les cliniques. On a donc des formes d’organisation collective qui s’efforcent d’échapper aux catégories capitalistes du salaire et de l’argent.

Peut-on dire qu’en pratique il y a eu sécession entre le Chiapas et l’État mexicain ? Comment qualifier leurs relations ?

Sécession, au sens de ne plus collaborer avec les institutions de l’État, de s’en séparer presque complètement, oui, assurément. Mais pas du tout au sens d’un processus dont l’objectif serait de se rendre indépendant du Mexique. Les zapatistes se sentent mexicains et affichent volontiers leur nationalisme. L’autonomie, telle qu’ils l’entendent, n’est pas un projet indépendantiste. C’est une conception du politique qui se construit sans l’État, ou si l’on veut, contre l’État, au sens de Pierre Clastres.

On peut donc parler de sécession, mais aussi de destitution, au sens de ce qui rend le pouvoir inutile. De fait, dans leurs territoires, les zapatistes ont œuvré — c’est-à-dire lutté durement — pour rendre les institutions mexicaines parfaitement inutiles (même si, comme on l’a vu, celles-ci ne se laissent évidemment pas faire). La destitution suppose donc la résistance, la lutte contre, mais aussi un art de faire croître des formes d’organisation propres, pour que puissent se déployer les manières de vivre que les gens considèrent leurs. On peut, si l’on veut, appeler cela destitution ou sécession ; mais aussi autonomie, comme le font les zapatistes. Entendue en son sens politique radical, antiétatique, l’autonomie est une notion forte.

Alors que l’autonomisation semble être un moyen et une fin qui porte ses fruits au Chiapas, pensez-vous qu’il faut encore tenter de résister à l’emprise du capitalisme au niveau international, en prenant part ou en perturbant les réunions internationales du type COP (Conférences des parties) ou celle de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) en ce moment [10-13 décembre 2017], comme le fait la Via Campesina par exemple ? Ou faut-il plutôt envisager, comme ce qui a lieu de manière plus ou moins désordonnée avec les ZAD, une réappropriation des territoires zone par zone, qui s’accompagne d’une reprise en main des capacités de décision et de gestion au niveau local ?

Une construction territorialisée de l’autonomie me semble en effet pouvoir porter ses fruits, comme au Chiapas ou sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et ailleurs. Mais elle ne peut être une fin en soi (il faut d’ailleurs dire, au passage, qu’une politique de l’autonomie ne peut avoir de fin, au sens où elle ne peut jamais prétendre être pleinement réalisée). Tant qu’elle reste un espace qui tente de se libérer au milieu de la marée noire capitaliste, une expérience d’autonomie est nécessairement limitée, agressée, minée de l’intérieur… Alors oui, bien sûr, il faut s’affronter à l’emprise du capitalisme à une échelle internationale, même si les actions réalisées à l’occasion des sommets et rencontres internationales ne sont pas les seules possibles.

Pour revenir aux zapatistes, ils consacrent beaucoup d’énergie à la construction de l’autonomie, mais aussi à la mise en œuvre d’initiatives nationales (comme en ce moment, la formation d’un Conseil indien de gouvernement au niveau national et la tentative d’inscrire sa porte-parole comme candidate indépendante à l’élection présidentielle de 2018) et à l’organisation de rencontres internationales. Il y a eu la rencontre dite « intergalactique » de 1996, mais aussi, entre autres, le Festival mondial de la digne rage en 2008, le Festival mondial des résistances et des rébellions en 2014, les rencontres consacrées aux arts et aux sciences, en 2016 et 2017, ou encore le séminaire international « La pensée critique face à l’hydre capitaliste », en mai 2015 (les interventions de l’EZLN à ce séminaire sont devenues un livre, qui sera bientôt disponible en français). Le titre de cette dernière rencontre suggère, à lui seul, que nous avons un ennemi global commun, dont la puissance destructrice redoutable (mais pas invincible) se fait sentir sur l’ensemble de la planète ; et face à cet ennemi notre objectif ne peut être que de l’affronter (avec intelligence) et de faire en sorte qu’il soit vaincu. En outre, les zapatistes ont appelé, depuis 2005 et sous une forme renouvelée depuis 2013, à la constitution d’un réseau planétaire de luttes et de résistances, qu’ils appellent la Sexta.

Bref, nous ne devrions pas opposer, comme deux termes entre lesquels il faudrait choisir, les expériences de construction territorialisée et la perspective d’une lutte plus ample contre le capitalisme. Construire (territorialement) et attaquer (l’ennemi global) ne peuvent qu’aller de pair. Construire des lieux et des expériences qui donnent consistance à ce que nous voulons est une base indispensable, mais le risque est de s’enfermer dans des îlots et de s’isoler, ce qui serait une option de courte vue et bien illusoire. Ne serait-ce que pour se maintenir, les expériences territorialisées doivent chercher à tisser des liens au-delà d’elles, à contribuer aux autres luttes et au renforcement de la capacité globale d’action contre l’hydre capitaliste.

Pensez-vous que le succès du zapatisme soit lié à l’histoire du Mexique et à la présence de communautés aux traditions encore fortes au Chiapas ou estimez-vous au contraire qu’il y a des raisons d’espérer qu’on puisse s’autonomiser et rendre l’État inutile ailleurs ?

Il y a certes des particularités liées notamment à l’impact historique de la Révolution mexicaine ; et le maintien de formes de vie communautaires n’ayant pas été détruites par la guerre totale que le monde de l’Économie mène contre tout ce qui ne répond pas à ses normes est assurément un avantage. Pour autant, il serait erroné de penser que ce qu’ont fait les zapatistes serait venu naturellement ou facilement : il a fallu construire la force collective nécessaire pour se dresser — au pire moment du triomphe néolibéral — contre un état de fait implacable et contre un rapport de forces qui semblait éminemment défavorable.

Si les zapatistes se gardent bien d’ériger leur expérience en modèle et soulignent qu’elle n’est pas reproductible telle quelle, il me semble que la logique de l’autonomie n’est pas du tout spécifique aux peuples indiens ou au Mexique. L’idée d’une politique non étatique, dont le principe consiste à éprouver que nous sommes capables de nous gouverner nous-mêmes, est enracinée dans les expériences historiques de très nombreuses régions du monde. S’il y a bien quelque chose à célébrer, en ce centenaire de la Révolution russe, c’est la lutte anonyme de tous ceux et celles qui ont inventé et donné corps aux conseils (soviets) paysans, ouvriers et de soldats, qui auraient pu constituer une forme non étatique d’autogouvernement populaire. Bien d’autres expériences pourraient être citées, des communes d’Aragon et Catalogne en 1936-1937 au Kurdistan actuel. En Europe aujourd’hui, les expériences sont plus restreintes, mais elles ne sont pas inexistantes. Ce qui se joue sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, ou dans d’autres espaces parfois urbains, comme le quartier libre des Lentillères à Dijon, est, pour cela, d’une grande importance. Développer ces capacités à faire par nous-mêmes, à nous gouverner nous-mêmes, c’est faire un pas qui donne consistance à l’autonomie et tend à rendre inutile le pouvoir d’État. Mais il ne faut pas oublier que notre ennemi est plus vaste encore : c’est le monde de l’Économie. De fait, l’autonomie n’a de sens que si elle permet de faire croître des manières de vivre que nous éprouvons comme nôtres, c’est-à-dire qui sont à la fois exemptes de la dépossession étatique et de l’hétéronomie de la marchandise.

Résistance au colonialisme: EZLN un message de la nuit de 500 ans…

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Message du SCI Marcos

 

Traduit de l’espagnol par Résistance 71

 

Al Pueblo de Mexico

A los pueblos y gobiernos del mundo:

Hermanos,

Nosotros nacimos de la noche

En ella vivimos

Y moriremos en ella

Pero la luz será mañana para los más

Para todos aquellos que hoy lloran la noche

Para quienes se niega el día

Para todos la luz

Para todos todos

Nuestra lucha es por hacernos escuchar

Y el mal gobierno grita soberbia

Y tapa con cañones sus oídos

Nuestra lucha es por un trabajo justo y digno

Y el mal gobierno compra y vende cuerpos y vergüenzas

Nuestra lucha es por la vida

Y el mal gobierno oferta muerte como futuro

Nuestra lucha es por la justicia

Y el mal gobierno 
se llena de criminales y asesinos

Nuestra lucha es por la paz

Y le mal gobierno anuncia guerra y destrucción

Techo tierra trabajo pan salud educación
,

Independencia democracia libertad

Están fueron nuestras demandas

En la larga noche de los 500 años

Estas son hoy nuestras exigencia.

= = =

Au peuple du Mexique

Aux peuples et gouvernements du monde:

 

Frères,

Nous sommes nés de la nuit

Nous vivons en elle

Et nous mourrons en elle

Mais la lumière sera demain pour plus

Pour tous ceux qui aujourd’hui pleurent dans la nuit

Pour ceux à qui le jour refuse

Pour tous la lumière

Pour tous tous

Notre lutte est pour nous faire écouter

Et le mauvais gouvernement crie son arrogance

Et il couvre ses oreilles (du bruit) des canons

Notre lutte est pour un travail juste et digne

Et le mauvais gouvernement achète et vends des corps et des parties honteuses

Notre lutte est pour la vie

Et le mauvais gouvernement offre la mort comme futur

Notre lutte est pour la justice

Et le mauvais gouvernement se comble de criminels et d’assassins

Notre lutte est pour la paix

Et le mauvais gouvernement annonce la guerre et la destruction

Logement, terre, travail, pain, santé, éducation,

Indépendance, démocratie, liberté

Furent nos requêtes

Dans la grande nuit de 500 ans

Elles sont aujourd’hui nos exigences

= = =

Vidéo sur une musique de Manu Chao (que nous mettons en section commentaire egalement):

http://www.youtube.com/watch?v=wcJCD5OZDDQ

 

Résistance politique: Puissant message d’union de l’EZLN (Chiapas, Mexique)

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Ceci constitue un des textes les plus politiquement puissants que nous ayons traduit ces derniers mois, il rassemble quasiment point par point ce que nous pensons sur la méthodologie du changement de paradigme politique. Les Zapatistes du sud-est mexicain l’ont fait. Ils nous appellent, nous les peuples du monde, à faire de même et à nous unir, ce que nous avons dit sans relâche ici même.

L’avenir de l’humanité passe par les peuples occidentaux émancipés de l’idéologie colonialiste, se tenant côte à côte avec leurs frères des peuples et nations originels des cinq continents, pour lancer et façonner la société des sociétés, les confédérations d’associations libres autonomes, hors état et hors capitalisme, entités criminelles, parasites et totalement obsolètes.

Il suffit de dire NON ! ASSEZ !… ¡YA BASTA!

Imprimez ce texte, passez-le sous word, pdf, diffusez-le sans aucune modération. Rares sont les déclaration d’une telle puissance politique aujourd’hui. Merci de diffuser.

— Résistance 71–

 

Paroles de l’EZLN en ce 22ème anniversaire du commencement de la guerre contre l’oubli

1er janvier 2016

url de l’article original:

http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2016/01/01/palabras-del-ezln-en-el-22-aniversario-del-inicio-de-la-guerra-contra-el-olvido/

~ Traduit de l’espagnol par Résistance 71 ~

Bonne soirée, bonjour compañero et compañera bases de soutien de l’Armée Zapatiste de Liberation Nationale (EZLN), compañero/as miliciens et miliciennes, rebelles, responsables régionaux et locaux, autorités des trois niveaux de gouvernement autonome, compañero/as promoteurs des différentes zones de travail, compañeros et compañeras du sixième (appel) international et à tous ceux présents.

Compañeras et compañeros, nous sommes ici pour célébrer aujourd’hui le 22ème anniversaire du commencement de la guerre contre l’oubli.

Depuis plus de 500 ans, nous avons enduré la guerre que les puissants de différentes nations, de différentes langues, couleurs et croyances, ont mené contre nous afin de nous annihiler.

Ils voulaient nous tuer, que ce soit en tuant nos corps ou en tuant nos idées.

Mais nous résistons.

En tant que peuples originels, en tant que gardiens de la terre-mère, nous résistons.

Pas seulement ici et pas seulement notre couleur, qui est la couleur de la terre.

De tous les coins de la terre qui ont souffert dans le passé et qui souffrent toujours maintenant, il y a eu et il y a toujours des peuples rebelles et dignes qui ont résisté, qui résistent contre la mort imposée d’en haut.

Le 1er janvier 1994, il y a 22 ans, nous avons rendu public notre “¡Ya Basta!”, “Assez !” que nous avions préparé dans un digne silence pendant une décennie.

En réduisant au silence notre douleur, nous préparions son cri.

Notre parole, à cette époque, vint du feu.

Afin de réveiller ceux qui dormaient.

De faire se lever les morts.

Pour faire revenir à la raison ceux qui s’étaient conformés et qui avaient abandonné.

Pour se rebeller contre l’histoire.

Pour la forcer à dire ce qu’elle avait réduit au silence.

Pour révéler l’histoire de l’exploitation, des meurtres, des dépossessions, du manque de respect en oubliant que cela se cachait derrière l’histoire d’en haut.

Cette histoire de musées, de statues, de livres et de monuments au mensonge.

Avec la mort de notre peuple, avec notre sang, nous avons stupéfié un monde résigné à la défaite.

Ce ne fut pas seulement des mots. Le sang de nos compañeros tombés dans ces 22 années fut ajouté au sang de ceux des années précédentes, des décennies et des siècles.

Nous avons alors dû choisir et nous avons choisi la vie.

C’est pourquoi, alors et maintenant, afin de vivre, nous mourrons.

Notre parole d’alors était aussi simple que notre sang repeignant les murs des rues des villes où ils nous manquent de respect aujourd’hui comme alors.

Et cela continue:

L’étendard de notre lutte fut nos 11 demandes: terre, travail, nourriture, santé, éducation, logement décent, indépendance, démocratie, liberté, justice et paix.

Ces demandes constituèrent ce qui nous fit nous révolter en armes car ce furent ces choses que nous, le peuple originel et la vaste majorité du peuple de ce pays et du monde entier, ont besoin.

De cette manière, nous avons commencé notre lutte contre l’exploitation, contre la marginalisation, l’humiliation, le manque de respect, l’oubli et toutes les injustices que nous avons vécu et qui furent causées par le mauvais système (colonial).

Parce que nous ne sommes utiles aux riches et aux puissants que comme leurs eslcaves afin qu’ils deviennent de plus en plus riches et que nous devenions de plus en plus pauvres.

Après avoir vécu pendant si longtemps sous cette domination et pillage perpétuel nous avons dit:

ASSEZ ! ICI S’ARRETE NOTRE PATIENCE !

Et nous avons vu que nous n’avions pas d’autre choix que de prendre les armes pour tuer ou pour mourir pour une juste cause.

Mais nous ne fûmes pas seuls.

Nous ne le sommes pas non plus maintenant.

Au Mexique et dans le monde, la dignité est descendue dans les rues et a demandé un espace pour la parole.

Nous comprîmes.

Dès ce moment, nous avons changé la forme de notre lutte. Nous étions et sommes toujours une oreille attentive et ouverte sur le monde, parce que depuis le départ nous savions qu’une lutte juste du peuple est pour la vie et non pas pour la mort.

Mais nous avons nos armes à nos côtés, nous ne nous en sommes pas débarrassés, elles seront avec nous jusqu’à la fin.

Parce que nous voyons que là où notre oreille fut un cœur ouvert, le dirigeant a utilisé sa parole mensongère ainsi que son cœur fourbe et ambitieux contre nous.

Nous avons vu que la guerre d’en haut continuait.

Leur plan et objectif furent et est toujours de nous faire la guerre jusqu’à ce qu’ils puissent nous exterminer. C’est pourquoi au lieu de répondre à nos justes demandes, ils préparèrent et préparent, firent et font la guerre avec leurs armes modernes, entraînent et financent les escadrons paramilitaires, donnent et distribuent des miettes de leur butin prenant avantage de la pauvreté et de l’ignorance de certains.

Ces dirigeants d’en haut sont stupides. Ils pensent que ceux qui étaient d’accord pour écouter seraient aussi d’accord pour se vendre, se rendre et abandonner.

Ils ont eu tort alors.

Ils ont tort maintenant.

Parce que, nous, les Zapatistes savons très bien que nous ne sommes pas des mendiants ou des bons-à-rien qui espèrent que tout va simplement s’arranger de soi-même.

Nous sommes un peuple qui a de la dignité, de la détermination et la conscience de combattre pour la véritable liberté et la justice pour tous et ce quelque soit la couleur, la race, le genre, la croyance, le calendrier ou la géographie.

C’est pourquoi notre lutte n’est pas locale, régionale ni même nationale. Elle est universelle.

Parce que les injustices, les crimes, les dépossessions, le manque de respect et l’exploitation sont universels.

Mais aussi telle est la rébellion, la rage, la dignité et le désir profond de toujours faire mieux.

C’est pourquoi nous avons compris qu’il était nécessaire de bâtir notre vie nous-mêmes, avec autonomie.

Sous les menaces majeures, le harcèlement militaire et paramilitaire et les provocations constantes du mauvais gouvernement, nous avons commencé à former notre propre système de gouvernance, notre autonomie, avec notre propre système d’éducation, notre propre système de santé, notre propre communication, notre façon de nous occuper et de travailler avec notre terre-mère, notre propre politique en tant que peuple et notre propre idéologie sur le comment nous voulons vivre en communautés, avec une autre culture.

Là où d’autres espèrent que ceux d’en haut vont résoudre les problèmes de ceux d’en bas, nous les Zapatistes ont commencé à construire notre liberté comme elle est semée, construite, là où elle pousse, c’est à dire, d’ici, d’en bas…

Mais le mauvais gouvernement essaie de détruire et de mettre fin à notre lutte et notre résistance avec une guerre qui change en intensité comme elle change de politique mensongère, avec ses mauvaises idées, ses mensonges, utilisant les médias pour les propager et en donnant des miettes aux communautés indigènes où les zapatistes vivent afin de les diviser et d’acheter la conscience des gens à très bon marché, mettant ainsi en place leur plan de contre-insurrection.

Mais la guerre qui vient d’en haut, compañeras et compañeros, frères et sœurs, est toujours la même: elle n’amène que mort et destruction.

Les idées et les drapeaux peuvent bien changer avec qui est en charge, mais les guerres d’en haut détruisent toujours, tuent toujours, ne sèment jamais rien d’autre que la terreur et le désespoir.

Au milieu de cette guerre, nous avons dû marcher vers ce que nous voulions.

Nous ne pouvions pas nous assoir et attendre la compréhension de ceux qui ne comprennent même pas qu’ils ne comprennent pas.

Nous ne pouvions pas nous assoir et attendre pour que le criminel d’en haut se répudie lui-même et son histoire et se convertisse, repentant, en une bonne personne.

Nous ne pouvions pas nous assoir et attendre pour qu’une très grande liste de promesses qui seront oubliées quelques minutes après avoir été faites, ne se réalisent jamais.

Nous ne pouvions pas attendre pour l’autre, différent, mais avec la même douleur et la même colère, de nous regarder et en nous regardant, de voir.

Nous ne savions pas comment le faire.

Il n’y avait pas de livre, pas de manuel ou de doctrine qui nous ont dit que faire afin de résister et simultanément, de construire quelque chose de nouveau, de meilleur.

Peut-être pas parfait bien sûr, peut-être différent, mais toujours à nous, à notre peuple, les femmes, les hommes, les enfants, les anciens qui, dans leur cœur collectif, couvrent le drapeau noir avec une étoile rouge à cinq branches et les lettres qui leur donnent non seulement un nom, mais aussi un but, une destinée: EZLN.

Alors nous avons recherché dans notre histoire ancestrale, dans notre cœur collectif et au travers des hoquets, des faiblesses et des erreurs, nous avons construit ce que nous sommes et ce qui non seulement nous fait continuer à vivre et à résister, mais aussi nous élève dignifiés et rebelles.

Pendant ces 22 années de lutte et de résistance, de rébellion, nous avons continué à construire une autre forme de vie, nous nous sommes gouvernés nous-mêmes en tant que peuple, que collectif que nous sommes, en accord avec les sept principes de diriger en obéissant, construisant un nouveau système et une autre forme de vie en tant que peuples originels.

Un système où le peuple commande et le gouvernement obéit.

Et nous voyons, depuis notre cœur simple, que ceci correspond à la manière la plus saine, parce qu’elle est née et grandit du peuple lui-même. C’est le peuple qui donne ses opinions, discute, pense, analyse, fait des propositions et décide ce qui est le mieux pour tout le monde, suivant en cela l’exemple de nos ancêtres.

Comme nous l’expliquerons plus en détail plus tard, nous voyons bien que la négligence et la pauvreté règnent dans les communautés partidista (les suiveurs de partis politiques) ; elles sont gérées par la fainéantise et le crime, brisant la vie communautaire, déchirée fatalement et irrémédiablement.

Se vendre au mauvais gouvernement n’a non seulement pas résolu leurs problèmes de base, mais leur a donné encore plus d’horreurs à gérer. Là où avant il y avait la faim et la pauvreté, il y avait maintenant la faim, la pauvreté et le désespoir. Les communautés partistada sont devenues des foules de mendiants qui ne travaillent pas, qui ne font qu’attendre le prochain programme d’aide du gouvernement (mexicain), c’est à dire, la prochaine saison électorale.

Ceci ne figure bien sûr pas dans quelque rapport d’état fédéral ou de gouvernement municipal que ce soit, mais c’est la vérité de terrain et peut se voir dans les communautés partidista: celles des paysans fermiers qui ne savent plus comment travailler la terre, vivant dans des blocs de ciment avec des toits en tôles d’aluminium, vides parce qu’on ne peut pas manger le ciment ni le métal, des communautés qui n’existent que pour recevoir l’aumône, les miettes du gouvernement.

Peut-être que dans nos communautés il n’y a pas de maisons en ciment ou de télévisions numériques ou des camions tous neufs, mais nos gens savent très bien comment travailler la terre. La nourriture est sur toutes les tables, les habits qu’ils portent, les médicaments qu’ils utilisent, la connaissance qu’ils acquièrent, la vie qu’ils mènent sont LES LEURS, ainsi que leur connaissance et le produit de leur travail. Cela ne provient de personne d’autre.

Nous pouvons dire ceci sans honte aucune: Les communautés zapatistes ne sont pas seulement mieux qu’elles ne l’étaient il y a 22 ans, mais leur qualité de vie est bien meilleure que dans celles qui se sont vendues aux partis politiques de toutes couleurs et rayures possibles.

Avant, afin de savoir si quelqu’un était zapatiste, il suffisait de chercher un grand mouchoir rouge ou une cagoule noire.

Maintenant, il suffit de voir s’ils travaillent la terre, s’ils s’occupent de leurs cultures. S’Ils étudient les sciences et la technologie, s’ils respectent les femmes que nous sommes, si leur regard est direct et clair, s’ils savent que c’est le collectif qui dirige. S’ils voient le travail du gouvernement autonome zapatiste en rébellion comme un service et non pas comme un business ; si vous leur demandez quelque chose qu’ils ne savent pas, ils vous répondent: “je ne sais pas… encore…” Si lorsque quelqu’un se moque d’eux en disanrt que les Zapatistes n’existent plus ou qu’ils sont peu nombreux, ils répondent: “ne vous inquiétez pas, nous serons plus nombreux, cela prendra un peu de temps, mais nous serons bien plus nombreux” ; si leurs regards observent loin dans les calendriers et les géographies ; s’ils savent que demain se plante aujourd’hui.

Nous reconnaissons bien évidemment qu’il y a encore beaucoup à faire, nous devons nous organiser mieux et nous organiser plus.

C’est pourquoi nous devons faire un encore plus grand effort pour nous préparer à porter plus efficacement et plus extensivement le boulot de nous gouverner nous-mêmes, parce qu’au pire, le sytème capitaliste va revenir nous chercher.

Nous devons savoir comment le confronter. Nous avons déjà 32 ans d’expérience dans la lutte de rébellion et la résistance.

Et nous sommes devenus ce que nous sommes.

Nous sommes l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (NdT: EZLN est l’acronyme espagnol pour Ejercito Zapatista de Liberación Nacional).

C’est ce que nous sommes bien qu’ils ne nous nomment pas.

C’est ce que nous sommes même s’ils nous oublient par le silence et la calomnie.

C’est ce que nous sommes bien qu’ils ne nous voient pas.

C’est ce que nous sommes par nos pas, notre chemin, dans notre origine et dans notre destinée.

Nous regardons ce que nous étions auparavant et ce qui est maintenant.

Une nuit sanglante, pire qu’avant si c’est possible, s’étend au monde.

Le dirigeant n’est pas seulement programmé pour continuer à exploiter, à réprimer, à maltraiter et à déposséder, mais il est déterminé à détruire le monde entier si ce faisant il peut en tirer un profit quelconque, de l’argent, un salaire.

Il est clair que le pire est à venir pour nous tous.

Les multimillonnaires de quelques pays continuent leur objectif de piller les ressources naturelles du monde entier, tout ce qui nous donne la vie comme l’eau, la terre, les forêts, les montagnes, les rivières, l’air et tout ce qu’il y a sous le sol: l’or, le pétrole, le gaz, l’uranium, l’ambre, le soufre, le carbone et autres minéraux et minerais.

Ils ne considèrent pas la terre comme une source de vie, mais comme un business par lequel ils peuvent tout transformer en commodités et donc en argent, et en faisant cela ils vont totalement nous détruire tous.

Le mal et ceux qui le porte ont un nom, une histoire, une origine, un calendrier, une géographie: c’est le système capitaliste.

Aucune importance de quelle couleur ils le peignent, quel nom ils lui donnent, de quelle religion ils le déguisent, quel drapeau ils lèvent… C’est le système capitaliste.

C’est l’exploitation de l’humanité entière et de la totalité du monde que nous habitons.

C’est le manque de respect et le dénigrement pour tout ce qui est différent et ce qui ne se vend pas, n’abandonne pas, ne se laisse pas corrompre.

C’est le système qui persécute, incarcère, assassine.

Il vole.

A la tête de ce sytème, il y a des figures qui émergent, se reproduisent, grandissent et meurent: les sauveurs, les leaders, les caudillos, les candidats, les gouvernements (d’état), les partis politiques qui offrent leurs solutions toutes prêtes.

Ils offrent des recettes, comme une autre commodité, pour résoudre les problèmes.

Peut-être qu’il y a encore quelqu’un quelque part qui croit toujours que d’en haut, là où les problèmes sont créés, viendront aussi les solutions.

Peut-être y a t’il quelqu’un qui croit en des sauveurs locaux, régionaux, nationaux, mondiaux.

Peut-être y a t’il ceux qui espèrent toujours que quelqu’un va faire ce que nous devons faire nous-même.

Ce serait bien n’est-ce pas ?

Tout serait si facile, si confortable, ne demanderait pas beaucoup d’efforts. Cela voudrait dire de lever la main, remplir un papier, choisir un nom, mettre le papier dans l’urne, applaudir, crier des slogans, s’affilier à un parti politique et voter pour en virer un et le remplacert par un autre.

Peut-être, disons-nous, nous les Zapatistes, nous pensons, nous sommes ce que nous sommes.

Ce serait bien si les choses étaient comme çà, mais elles ne le sont pas.

Ce que nous avons appris en tant que Zapatistes, et sans que personne ou quoi que ce soit ne nous le disent, sauf notre propre voie en tant qu’enseignant, est que personne, absolument personne ne va venir nous sauver, nous aider, résoudre nos problèmes, soulager notre douleur ou nous amener la justice dont nous avons besoin et que nous méritons.

Il n’y a que ce que nous faisons nous-mêmes, tout le monde dans son propre calendrier et agenda et géographie, en nom collectif, de par la pensée et l’action de tout à chacun individuellement et collectivement, en accord avec sa propre origine et destinée, qui compte.

Nous avons aussi appris en tant qe Zapatistes que ceci n’est possible qu’avec organisation.

Nous avons appris qu’il est bon si une personne se mette en colère.

Mais si plusieurs personnes, beaucoup de personnes se mettent en colère, une lumière s’allume dans un coin du monde et sa lueur peut être vue, pour un moment à travers la surface entière de la terre.

Mais nous avons aussi appris que si ces colères s’organisent entre elles… Ah ! Alors nous n’avons pas qu’un flash momentané qui illumine la surface de la terre.

Alors ce que nous avons est un murmure, comme une rumeur, une secousse qui commence gentiment et croît de plus en plus forte.

C’est comme si le monde allait donner naissance à un autre, un meilleur, plus juste, plus démocratique, plus libre, plus humain… ou humana.. ou humanoa.

C’est pourquoi aujourd’hui nous commençons notre parole avec un mot d’un passé déjà lointain, mais qui continue d’être nécessaire, urgent, vital: Nous devons nous organiser, nous préparer à lutter pour changer cette vie, pour créer un autre mode de vie, une autre manière de nous gouvernenr en tant que peuples et êtres humains.

Parce que si nous ne nous organisons pas, nous serons tous réduits en esclavage.

On ne peut rien croire du capitalisme. Absolument rien. Nous avons vécu sous ce système depuis des centaines d’annés et nous avons souffert sous ses quatre roues: l’exploitation, la répression, la dépossession et le mépris. Maintenant, tout ce que nous avons est notre confiance en les uns les autres, en nous-mêmes. Et nous savons comment créer une nouvelle société, un nouveau système de gouvernement, la vie juste et digne que nous désirons tous.

Maintenant plus personne n’est en sécurité de la tempête que l’hydre capitaliste va déchaîner pour détruire nos vies, pas les autochtones, les fermiers paysans, ouvriers, enseignants, femmes au foyer, intellectuels ou travailleurs en général, parce qu’il y a beaucoup de gens qui travaillent pour survivre leur vie quotidienne, certains avec un patron, d’autres sans, mais tous ceux qui sont pris dans l’étreinte du capitalisme.

En d’autre termes, il n’y a pas de rédemption au sein du capitalisme.

Personne ne va nous mener, nous devons nous mener nous-mêmes, penser ensemble au comment nous allons résoudre chaque situation.

Parce que si nous pensons qu’il va y avoir quelqu’un qui va nous guider, et bien nous avons déjà vu comment ils nous mènent ces derniers siècles passés sous le système capitaliste ; cela n’a pas marché pour nous, les pauvres, pas du tout. Cela a marché pour eux, oui, parce qu’ils sont juste là assis et attendent que l’argent leur tombe dans le bec.

Ils ont dit à tout le monde “votez pour moi”, “je vais me battre pour mettre fin à l’exploitation” et dès qu’ils s’installent derrière le burlingue où ils peuvent engranger du fric sans rien faire, ils oublient automatiquement tout ce qu’ils ont dit et commencent à créer encore plus d’exploitation, pour vendre le peu qui reste des richesses de leurs pays. Ces vendus sont des hypocrites parasites et inutiles, des bons à rien.

Voilà pourquoi, compañeros et compañeras, la lutte n’est pas finie, on ne vient juste que de commencer. On ne s’y est mis que seulement depuis 32 ans, 22 ans publiquement.

C’est pourquoi nous devons mieux nous unir, mieux nous organiser afin de construire notre bateau, note maison, c’est à dire notre autonomie. C’est ce qui nous sauvera de la grande tempête capitaliste qui pointe à l’horizon. Nous devons renforcer nos différentes zones de travail et nos tâches collectives.

Nous n’avons pas d’autre chemin possible que celui de nous unir et de nous organiser pour lutter et nous défendre de la grande menace qu’est le système capitaliste. Parce que le capitalisme criminel qui menace toute l’humanité ne respecte absolument personne: il va nous balayer toutes et tous indépendamment de notre race, religion, ou parti politique. Ceci nous a été démontré par bien des années de mauvais gouvernement, de menaces, de persécutions, d’incarcérations, de torture, de “disparitions” et d’assassinats de gens des peuples des campagnes et des villes du monde entier.

Voilà pourquoi nous disons, compañeros, compañeras, enfants, jeunes gens, vous la nouvelle génération êtes le futur de notre peuple, de notre lutte et de notre histoire ; mais vous devez comprendre que vous avez à la fois une tâche et une obligation: celles de suivre les traces de nos premiers compañeros, de nos anciens, de nos parents, grands-parents et de tous ceux qui ont commencé cette lutte.

Ils ont déjà tracé un bout de chemin, maintenant c’est votre travail de le suivre et de garder le cap. Mais nous ne pourrons faire cela qu’en nous organisant génération après génération, en comprenant cette tâche à effectuer et en nous organisant en conséquence pour y parvenir et en continuant tout ceci jusqu’à la fin de notre lutte.

Vous, les jeunes, êtes une part très importante de nos communautés, c’est pour cela que vous devez participer à tous les niveraux de travail de notre organisation et dans tous les domaines de notre autonomie. Laissons chaque génération continuer de nous mener vers notre destinée de démocratie, de liberté et de justice, tout comme nos premiers compañeros et compañeras nous enseignent maintenant.

Compañeros et compañeras, tous, nous sommes sûrs qu’un jour vous parviendrez à ce que nous voulons: tout pour chacun et rien pour nous, c’est à dire notre liberté. Aujhourd’hui, notre lutte est d’avancer pas à pas. Nos armes de lutte sont notre résistance, notre rébellion et notre parole honnête, qu’aucune montagne ni frontière ne peuvent bloquer. Elles vont atteindre les oreilles et les cœurs des frères et des sœurs partout dans le monde !

Chaque jour qui passe, il y a plus de gens qui comprennent que la cause de notre lutte contre la grave situation d’injustice que nous vivons est le système capitaliste dans notre pays et dans le monde entier.

Nous savons également qu’au travers de notre lutte il y a eu et il y aura des menaces, de la répression, des persécutions, de la dépossession, des contradictions et de la moquerie des trois niveaux du mauvais gouvernement. Mais nous devons savoir que le mauvais gouvernement nous hait parce que nous sommes sur la bonne voie, s’il commençait à nous applaudir alors nous saurions que nous avons dévié de notre lutte.

Nous ne devons pas oublier que nous sommes les héritiers de plus de 500 ans de lutte et de résistance, le sang de nos ancêtres coulent dans nos veines, ce sont eux qui nous ont donné l’exemple de la lutte et de la rébellion, le rôle de gardien de notre terre-mère, de laquelle nous sommes nés, sur laquelle nous vivons et à laquelle nous retournerons.

_*_

Compañeros et compañeras Zapatistas

Compañeros et compañeras, compañeroas de la Sixième:

Frères et sœurs:

Ce sont nos premiers mots en ce tout début de nouvelle année.

Plus de paroles et de pensées viendront vers vous.

Petit à petit nous vous montrerons une fois de plus notre regard, notre cœur collectif.

Pour l’heure nous terminerons en vous disant que pour respecter le sang et l’honneur de nos compañeros, il n’est pas suffisant de se souvenir, d’être en deuil, de pleurer, de prier, nous devons plutôt continuer de travailler aux tâches qu’ils nous ont laissé, de créer en pratique le changement que nous voulons tous.

Il n’est pas temps maintenant de battre en retraite, d’être découragés ou fatigués ; nous devons être encore plus fermes dans notre lutte, pour maintenir la parole et l’exemple que nos premiers compañeros nous ont laissés: n’abandonnez pas, ne vous laissez pas acheter, ne pliez pas !

C’est pourquoi, compañeros et compañeras, ce jour important est le temps pour nous de réaffirmer notre volonté dans la lutte, d’aller de l’avant quoi qu’il en coûte et quoi qu’il arrive, sans laisser le système capitalisre détruire ce que nous avons gagné et le peu que nous avons été capables de construire en travaillant pendant ces 22 années: notre liberté !

DEMOCRATIE!

LIBERTE!

JUSTICE!

Depuis les montagnes du sud-est mexicain

Pour le comité clandestin révolutionnaire indigène – Commandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale

Subcomandante Insurgente Moisés

Subcomandante Insurgente Galeano.

Mexique, le 1er Janvier 2016.

Résistance politique et organisation: Second niveau de la escuelita zapatista…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, guerres imperialistes, militantisme alternatif, N.O.M, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , on 6 août 2015 by Résistance 71

… parce que savoir et pratiquer, c’est se libérer ! Excellente méthode, les zapatistes ne cesseront de nous étonner et de nous épater !

— Résistance 71 —

 

Deuxième niveau de la petite école zapatiste

 

Lundi 3 août 2015, par EZLN

 

Armée zapatiste de libération nationale
Mexique

 

27 juillet 2015.

 

url de l’article:

http://www.lavoiedujaguar.net/Deuxieme-niveau-de-la-petite-ecole

 

À la Sexta nationale et internationale,
Aux ex-élèves de la petite école zapatiste,

Compas,

Bon, eh bien les dates de ce qui constituera le deuxième niveau de la petite école zapatiste (réservé à celles et ceux qui ont été admis au premier niveau) se rapprochent.

Comme nous l’avions annoncé auparavant, ce sera le 31 juillet, le 1er et le 2 août 2015.

Non, ne vous dépêchez pas. Il ne s’agit pas de venir en terres zapatistes. Il s’agit plutôt de ne pas venir jusqu’ici, ou tout au moins pas pour la petite école. Le deuxième niveau sera universel et aura lieu à l’extérieur des terres zapatistes.

On vous explique :

Bon comme on l’a déjà dit, nous nous rendons compte que la situation économique est difficile. En fait, pas seulement la situation économique : la répression gouvernementale contre les peuples originaires yaquis (dans le Sonora) et nahuas (à Santa María Ostula, Michoacán, et à Ayotitlán, Jalisco), ainsi que contre le professorat démocratique (à Oaxaca dans un premier temps, mais cela touchera ensuite les autres entités de l’État mexicain) nous rappelle à toutes et tous que ceux d’en haut ne respectent pas leur parole, et que la trahison fait déjà partie intégrante de leur manière de faire de la politique.

Au niveau économique, bon on sait bien que ce n’est pas évident de trouver l’argent pour survivre au quotidien, et encore moins pour voyager facilement et rester plusieurs jours par ici.

Nous le savons bien, nous autres les femmes et les hommes zapatistes, que si nous appelons à venir à la petite école pour continuer à apprendre à nous regarder, il y en aura, c’est sûr, qui pourront se le permettre.

Mais la majorité de celles et de ceux qui ont été admis au premier niveau sont des compas qui n’ont pas de moyens et/ou qui ont des engagements à tenir vis-à-vis des tâches qu’ils accomplissent dans les géographies dans lesquelles ils luttent. C’est-à-dire que, comme on dit, ils ne peuvent pas passer leur temps à venir par ici. Pas parce qu’ils ne le veulent pas, mais parce qu’ils ne peuvent pas. Il y en a qui ont déjà fait tout ce qu’ils ont pu pour venir à la pépinière d’idées du mois de mai dernier, et du coup c’est assez difficile qu’ils puissent venir de nouveau cette année.

L’objectif, ce n’est pas que la petite école soit réservée à celles et ceux qui n’ont pas de problèmes d’argent pour voyager. Ce que nous les femmes et les hommes zapatistes nous voulons, c’est que nos compas de la Sexta puissent nous voir, nous regarder et nous écouter de manière directe, et, comme cela devrait aller de soi, en retirent ce qu’ils pensent pouvoir leur être utile, et laissent de côté ce qu’ils pensent ne pas être utile pour eux, ou bien ce qui les gêne.

Comme nous prenons tout cela en compte, eh bien nous devons réfléchir à comment faire pour continuer à parler avec vous et continuer à apprendre de manière mutuelle.

Et donc nous avons organisé les prochains niveaux (du deuxième au sixième) de façon à ce que vous n’ayez pas besoin de venir à tout bout de champ, mais on va dire une fois par an. Évidemment, en vous avertissant à l’avance, lorsque se présente la possibilité qu’on puisse vous recevoir par ici.

Voilà la situation, et donc nous vous informons que, pour le deuxième niveau, il n’y a pas de classe en territoire zapatiste. Bien sûr, si vous voulez venir à la fête des Caracoles, avec plaisir. Mais vous n’avez pas besoin de venir à l’école, quoi.

Mais par contre si, il va bien y avoir cours et, bien entendu, examen. On va faire les choses de cette manière :

  1. Celles et ceux qui ont validé le premier niveau recevront à partir du 30-31 juillet et du 1er août de cette année 2015 un courrier électronique (au cas où vous en avez un, et sinon et bien on l’enverra à ceux qui vous ont contacté pour le premier niveau). Dans ce courrier électronique, il y aura une adresse électronique sur laquelle sera hébergée une vidéo. Dans cette vidéo, un groupe spécial de professeurs et professeures zapatistes vous expliqueront ce qu’ils vous expliqueront. Pour pouvoir regarder cette vidéo, vous aurez besoin d’un code ou d’un « mot de passe » comme on dit, qui vous sera fourni dans ce même courrier que vous aurez reçu.

Bon, la vidéo, vous n’êtes pas obligé de la voir tout seul. Vous pouvez vous retrouver entre collectifs, groupes ou bien organisations pour la regarder. Vous pouvez le faire dans les locaux des équipes de soutien de la commission Sexta de l’EZLN présentes dans différents endroits du Mexique, ou bien dans les locaux des groupes et des collectifs et organisations de la Sexta dans le reste du monde.

Jusque-là, il n’y a pas de problèmes. Que ce soit de manière individuelle ou que ce soit en collectif, vous allez voir et écouter nos compañeras et compañeros vous dire quelque chose et vous expliquer une partie de la généalogie de la lutte zapatiste. Parce que vous, vous avez déjà écouté, vu et même partagé le quotidien des bases de soutien zapatistes, en compagnie de vos votanes et de leurs familles. Mais cela n’est qu’une partie de la lutte pour la liberté selon le zapatisme. Il manque d’autres parties.

C’est comme si nous ne vous avions donné qu’une partie du puzzle. C’est-à-dire comme on dit, qu’il manque ce qu’il manque encore.

Vous aurez également à étudier le chapitre I du livre La Pensée critique face à l’hydre capitaliste, les parties intitulées « Un peu de ce qui a changé » ; « Vers une généalogie de la lutte des femmes zapatistes » et « Notes de résistance et d’autonomie ». Si vous n’avez pas le livre en question, ne vous tracassez pas, parce que ces parties sont déjà en ligne sur la page Enlace Zapatista, même si c’est mieux que vous vous procuriez le livre, parce qu’à l’intérieur il y a l’idée intégrale, comme on dit.

  1. Après avoir vu, écouté et étudier ce que disent les compañeras et compañeros dans la vidéo, et après avoir étudié ces parties du livre, vous devrez écrire INDIVIDUELLEMENT six questions. Pas plus, pas moins. Six questions quant à ce que vous avez écouté et regardé dans la vidéo. Ces six questions, vous allez les envoyez à une adresse mail qui sera communiquée dans le courrier que vous allez recevoir. La date pour répondre est n’importe quel jour et n’importe quelle heure entre le 3 août 2015 et le 3 octobre 2015 inclus.
  2. Il n’y aura pas de réponse individuelle aux questions, mais des réponses collectives. C’est-à-dire qu’ici nous allons rassembler les questions et nous allons faire des écrits, des vidéos et des enregistrements qui répondront à ces questions. Lorsque vous lirez un texte de la comandancia, ou écouterez un enregistrement des votanes, vous saurez qu’ils répondent à votre question. Sinon, ne désespérez pas, cela veut dire qu’il y aura une autre parole où on vous répondra. Il n’y aura pas de réponses individuelles, mais des réponses générales et collectives.
  3. Les questions sont importantes. Comme c’est le cas dans notre style zapatiste, celles-ci sont plus importantes que les réponses. C’est-à-dire que ce sont les questions que vous ferez qui détermineront votre passage au troisième niveau.
  4. C’est-à-dire que, comme on dit, ce dont il s’agit, c’est que vous vous rendiez compte que ce qui intéresse les femmes et les hommes zapatistes, ce ne sont pas les certitudes, mais les doutes. Parce que nous pensons que les certitudes immobilisent, c’est-à-dire qu’elles rendent tranquille, content•e et fixe, sans mouvement, comme si la personne en question était déjà parvenue à terme ou savait déjà la réponse. En échange, les questions font qu’une personne se bouge, cherche, qu’elle ne se sente pas tranquille et ne soit pas satisfait•e, comme tracassé•e durant le jour ou durant la nuit. Et les luttes d’en bas à gauche, compas, naissent de ces inquiétudes, des doutes, de l’absence de tranquillité. Si une personne se sent satisfaite, c’est parce qu’elle est train d’attendre qu’on lui dise ce qu’il faut faire, ou qu’on lui a déjà dit ce qu’il faut faire. Si une personne ne se sent pas satisfaite, cela veut dire qu’elle cherche ce qu’il faut faire.
  5. Et donc dès à présent, on vous fait savoir ce qui sera évalué pour passer au troisième niveau : les six questions que vous, individuellement, allez faire. C’est cela que les votanes prendront en compte pour savoir s’ils vous intègrent dans la liste qui dit « admis au troisième niveau ».

Bon, c’est tout ce que nous avons à vous dire pour le moment, compas. Et puis, malgré tout cela et la petite école, il faut bien continuer à nous soutenir mutuellement et à soutenir ceux qui luttent pour vérité et justice, comme le village nahua d’Ostula qui exige justice pour l’attaque qu’ils ont subi, durant laquelle a été assassiné l’enfant Edilberto Reyes García par l’armée fédérale ; comme le village nahua d’Ayotitlán, attaqué par des hommes de main et des policiers au service de la multinationale minière Ternium ; comme les proches des 47 absents d’Ayotzinapa ; comme les proches des enfants de la garderie ABC (ce n’est pas parce que la nouvelle n’est pas diffusée dans les journaux qu’ils ont cessé de lutter pour obtenir justice) ; comme les proches des prisonniers, prisonnières et disparu•e•s politiques du monde entier ; comme le professorat rebelle ; comme la Grèce d’en bas à gauche, qui ne s’est pas fait bernée par la fable du référendum ; comme les prisonniers et prisonnières qui continuent à tenir tête au Pouvoir et à l’État, même derrière les barreaux ; comme celles et ceux qui lui tiennent tête, dans les rues et dans les champs de toutes les géographies ; comme les peuples originaires qui maintiennent leur défense de la Terre-Mère ; comme celles et ceux qui ne se vendent pas, qui ne titubent pas, qui ne se rendent pas.

Parce que c’est la résistance et la rébellion qui rompent les géographies d’en haut. Parce qu’en haut, lorsqu’ils prédisent la défaite, le découragement et le manque de fermeté, il y a toujours un•e, une ou un qui dit « NON ». Parce que regardez-bien comment sont les choses : aux racines de la liberté, il y a toujours un « NON » qui se cramponne à la terre, qui s’en nourrit, et qui grandit avec elle.

Voilà voilà. Et n’oublions ni l’aujourd’hui ni l’hier, c’est comme cela que nous nous souviendrons demain de ce qui reste à faire.

Sous-commandant insurgé Moisés,
directeur de la petite école.

Sous-commandant insurgé Galeano, 
concierge de la petite école.

Mexique, juillet 2015.

Note de Résistance 71: Rappelons que le SCI Galeano est l’ex-SCI Marcos, qui n’est plus le porte-parole emblématique de l’EZLN et a laissé la place au SCI Moisés en 2014…

Cas particuliers

29 juillet 2015.

Si vous n’avez pas reçu le courrier d’admission au deuxième niveau cela peut être dû au fait que…

… l’adresse du courrier électronique avec lequel vous vous êtes enregistré•e n’est plus valide, ou bien a été effacée, ou bien que le mot de passe a été oublié.

… que vous avez encore la même adresse mais que vous n’avez pas reçu l’admission parce que nous nous somme emmêlé les pinceaux et que nous avons de nouveau besoin de vos données personnelles… ou bien parce que vous n’avez pas été admis•e au deuxième niveau. Si, après avoir effectué ce que nous précisons plus bas, vous n’avez toujours pas reçu dans une période d’un mois le courrier d’admission, c’est parce que vous n’avez pas validé le premier niveau.

Dans tous les cas, la manière de résoudre cela est très simple : il suffit d’envoyer un nouveau courriel à l’adresse casosespeciales@ezln.org.mx , depuis une nouvelle adresse électronique, dans laquelle vous allez détailler :

– votre nom complet et votre date de naissance ;
– votre lieu de résidence ;
– votre clé d’enregistrement, si vous vous en souvenez ou si vous l’avez encore ;
– la date à laquelle vous avez suivi le cours ;
– le lieu où vous avez suivi le cours (si c’était dans une communauté, en précisant le nom de la communauté et le nom du caracol auquel appartient la communauté) ; (si c’était par vidéoconférence, le nom du lieu, du quartier, de la ville, du pays et du continent où vous avez assisté à la vidéoconférence) ;
– le nom de votre votán.

Source du texte d’origine :Enlace Zapatista

Traduction : CSPCL.