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Résistance et renouveau politique: La 6ème déclaration zapatiste de la forêt de Lacandone (2005)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, écologie & climat, économie, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, N.O.M, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, philosophie, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , on 16 mai 2015 by Résistance 71

La 6ème déclaration de la forêt/jungle de Lacandone est un texte important, fondateur et inspirateur à adapter culturellement dans nos sociétés. Changer de paradigme politique implique nécessairement d’avoir une vision claire de l’histoire et une vision politique sur ce qui doit être fait ainsi que d’articuler les moyens pour y parvenir. Si le mouvement zapatiste existe toujours plus que jamais depuis plus de 20 ans au Mexique, c’est parce que leur vision politique l’a rendu incorruptible. Nous publions ce texte essentiel en deux parties. Les suiveurs de cette déclaration sont appelés les « compas de la sixième » (compas de la sixte).

— Résistance 71 —

 

ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE

SIXIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE

Juin 2005

Source:
http://cspcl.ouvaton.org/spip.php?article204

1ère partie
2ème partie

Voici notre parole simple qui voudrait arriver au cœur des gens comme nous, humbles et simples, mais, tout comme nous aussi, rebelles et dignes. Voici notre parole simple pour raconter le chemin que nous avons parcouru et où nous en sommes aujourd’hui ; pour expliquer comment nous voyons le monde et notre pays ; pour dire ce que nous pensons faire et comment nous pensons le faire, et pour inviter d’autres à faire le chemin avec nous dans quelque chose de très grand qui s’appelle le Mexique et dans quelque chose de plus grand encore que l’on nomme le monde. Voici notre parole simple pour faire savoir à tous les cœurs honnêtes et nobles ce que nous voulons au Mexique et dans le monde. Voici notre parole simple, parce que c’est notre volonté d’appeler ceux qui sont comme nous et de nous unir à eux, partout où ils vivent et où ils luttent.

  1. CE QUE NOUS SOMMES

Nous sommes les zapatistes de l’EZLN. On nous appelle aussi les « néozapatistes ». Bien, alors nous, les zapatistes de l’EZLN, nous avons pris les armes en janvier 1994 parce que nous avons trouvé qu’il y en avait assez de tout ce mal que faisaient les puissants, qui ne font que nous humilier, nous voler, nous jeter en prison et nous tuer, sans que rien de ce que l’on puisse dire ne change rien. C’est pour cela que nous avons dit « ¡Ya basta ! » Ça suffit, maintenant ! Pour dire que nous ne permettrons plus qu’ils nous diminuent et nous traitent pire que des animaux. Et alors nous avons aussi dit que nous voulions la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains, même si nous nous sommes surtout occupés des peuples indiens. Parce qu’il se trouve que nous autres de l’EZLN nous sommes presque tous des indigènes d’ici, du Chiapas, mais que nous ne voulons pas lutter uniquement pour notre propre bien ou uniquement pour le bien des indigènes du Chiapas ou uniquement pour les peuples indiens du Mexique : nous voulons lutter tous ensemble avec tous les gens humbles et simples comme nous et qui sont dans le besoin et subissent l’exploitation et le vol de la part des riches et de leur mauvais gouvernement, ici dans notre Mexique et dans d’autres pays du monde.

Et alors, notre petite histoire, c’est que nous en avons eu assez de l’exploitation que nous faisaient subir les puissants et que nous nous sommes organisés pour nous défendre et pour nous battre pour la justice. Au début, nous n’étions pas beaucoup, quelques-uns seulement à aller d’un côté et de l’autre, à parler et à écouter d’autres comme nous. Nous avons fait ça pendant de nombreuses années et nous l’avons fait en secret, sans faire de bruit. C’est-à-dire que nous avons rassemblé nos forces en silence. Nous avons passé dix ans comme ça et après nous avons grandi et vite nous avons été des milliers. Alors nous nous sommes bien préparés, avec la politique et avec des armes, et, soudainement, quand les riches étaient en pleine fête de nouvel an, nous sommes tombés sur leurs villes et nous avons réussi à les prendre, et nous leur avons montré bien clairement que nous étions là, qu’ils allaient devoir tenir compte de nous. Et alors les riches ont eu une grosse frayeur et ils nous ont envoyé leurs grandes armées pour en finir avec nous. Ils ont fait comme ils font toujours quand les exploités se rebellent, ils envoient quelqu’un en finir avec eux. Mais ils n’ont pas pu le faire avec nous, parce que nous nous sommes très bien préparés avant la guerre et nous nous sommes faits forts dans nos montagnes. Et leurs soldats nous cherchaient partout et nous jetaient leurs bombes et nous tiraient dessus. Et ils ont même commencé à se dire qu’il fallait tuer une fois pour toutes tous les indigènes parce qu’il n’y avait pas moyen de savoir qui était zapatiste et qui ne l’était pas. Et nous à courir et à nous battre, à combattre et à courir, comme l’avaient fait nos ancêtres avant nous. Sans nous rendre, sans nous faire céder, sans nous vaincre.

Et voilà que les gens des villes sont sortis dans les rues et ont commencé à demander en criant que la guerre s’arrête. Et alors nous avons arrêté notre guerre et nous les avons écoutés, ces frères et ces sœurs de la ville qui nous disaient d’essayer d’arriver à un arrangement, c’est-à-dire à un accord avec ceux du mauvais gouvernement pour trouver une solution sans massacre. Et alors nous avons fait ce que nous disaient les gens, parce que ces gens, c’est ce que nous appelons « le peuple », c’est-à-dire le peuple mexicain. Alors nous avons mis de côté le feu et nous avons fait parler la parole.

Et voilà que ceux du gouvernement ont dit qu’ils allaient bien se comporter et allaient dialoguer et faire des accords et les respecter. Et nous, nous avons dit que c’était bien, d’accord, mais nous avons aussi pensé que c’était bien aussi de connaître ces gens qui étaient descendus dans la rue pour arrêter la guerre. Alors, tout en dialoguant avec ceux du mauvais gouvernement, nous avons aussi parlé avec ces personnes et nous avons vu que la plupart étaient des gens humbles et simples comme nous, et que nous comprenions bien pourquoi nous luttions tous les deux, c’est-à-dire eux et nous. Alors nous avons appelé ces gens « société civile », parce que la plupart n’appartenaient pas à des partis politiques et que c’était des gens du commun, comme nous, des gens humbles et simples.

Mais ceux du mauvais gouvernement ne voulaient pas d’un bon arrangement, ce n’était qu’une de leurs feintes de dire qu’ils allaient parler et trouver un accord. Pendant ce temps-là, ils se préparaient à nous attaquer pour nous éliminer définitivement. Et alors plusieurs fois ils nous ont attaqués, mais sans arriver à nous vaincre parce que nous avons su bien résister et que beaucoup de gens dans le monde entier se sont mobilisés. Et alors ceux du mauvais gouvernement se sont dit que le problème, c’était que beaucoup de gens voyaient ce qui se passait avec l’EZLN et alors ils ont décidé de commencer à faire comme s’il ne se passait rien. Et pendant ce temps-là, ils nous encerclaient, c’est-à-dire qu’ils nous mettaient le siège, et ils ont commencé à attendre que les gens, comme nos montagnes sont isolées, oublient parce que le territoire zapatiste est loin. Et régulièrement ceux du mauvais gouvernement essayaient leurs trucs et essayaient de nous tromper ou de nous attaquer, comme en février 1995 quand une grande quantité de troupes a voulu nous repousser mais n’est pas parvenu à nous vaincre. Parce que nous n’étions pas seuls, comme ils l’ont dit après coup, et que beaucoup de gens nous ont soutenus et que nous avons bien résisté.

Alors, ceux du mauvais gouvernement ont dû passer des accords avec l’EZLN et ces accords, ce sont les « Accords de San Andrés », parce que « San Andrés » est le nom de la commune où ont été signés ces accords. Et dans ces pourparlers nous n’étions pas tout seuls à parler avec ceux du mauvais gouvernement, nous avions invité beaucoup de gens et d’organisations qui étaient ou sont engagés dans la lutte pour les peuples indiens du Mexique. Et tous avaient leur mot à dire et tous ensemble nous nous sommes mis d’accord sur ce que nous allions dire à ceux du mauvais gouvernement. C’est comme ça que s’est passé le dialogue, il n’y avait pas que les zapatistes tout seuls d’un côté et ceux du mauvais gouvernement de l’autre, avec les zapatistes il y avait les peuples indiens du Mexique et ceux qui les soutiennent. Et alors dans ces accords ceux du mauvais gouvernement ont dit qu’ils allaient reconnaître les droits des peuples indiens du Mexique et respecter leur culture, et qu’ils allaient le mettre dans une loi dans la Constitution. Mais après avoir signé, ceux du mauvais gouvernement ont fait comme s’ils avaient oublié et beaucoup d’années ont passé et les accords ne sont toujours pas respectés. Au contraire, le gouvernement a attaqué les indigènes pour leur faire abandonner la lutte, comme le 22 décembre 1997. Ce jour-là, Zedillo a fait tuer 45 hommes, femmes, anciens et enfants, dans le hameau du Chiapas qui s’appelle ACTEAL. Un tel crime ne s’oublie pas facilement, mais c’est aussi une preuve de comment ceux du mauvais gouvernement n’hésitent pas un instant à attaquer et à assassiner ceux qui se rebellent contre l’injustice. Et pendant tout ce temps-là, les zapatistes s’obstinaient par tous les moyens à faire respecter les accords et à résister dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Et alors nous avons commencé à parler avec d’autres peuples indiens du Mexique et avec les organisations qu’ils avaient et nous avons passé un accord avec eux pour lutter tous ensemble pour la même chose, pour la reconnaissance des droits et de la culture indigènes. Et là aussi, beaucoup de gens du monde entier nous ont soutenus, et des personnes très respectées dont la parole est très grande parce que ce sont de grands intellectuels, de grands artistes et de grands scientifiques du Mexique et du monde entier. Nous avons aussi fait des rencontres internationales, c’est-à-dire que nous nous sommes réunis pour discuter avec des gens venus d’Amérique, d’Asie, d’Europe, d’Afrique et d’Océanie, et que nous avons pu connaître leurs luttes et leur façon de faire, et nous les avons appelées des rencontres « intergalactiques » pour rigoler mais aussi parce que nous avions invité les gens des autres planètes, mais on dirait qu’ils ne sont pas venus ou alors qu’ils sont venus mais qu’ils ne l’ont pas montré.

Mais rien à faire, ceux du mauvais gouvernement ne respectaient pas les accords, alors nous avons décidé de parler avec beaucoup de Mexicains pour avoir leur soutien. Alors d’abord, en 1997, nous avons organisé une marche jusqu’à Mexico qui s’est appelée la « Marche des 1 111 », parce qu’il y avait un compañero et une compañera pour chaque village zapatiste, mais le gouvernement n’a pas réagi. Après, en 1999, nous avons organisé dans tout le pays une consultation et on a pu voir que la majorité était d’accord avec les exigences des peuples indiens, mais ceux du mauvais gouvernement n’ont pas non plus réagi. Et en dernier, en 2001, nous avons organisé ce qui s’est appelé la « Marche pour la dignité indigène » qui a reçu le soutien de millions de Mexicains et de gens d’autres pays et qui est même arrivée là où sont les députés et les sénateurs, c’est-à-dire au Congrès de l’Union, pour exiger la reconnaissance des indigènes mexicains.

Mais pas moyen, les hommes politiques du parti du PRI, du parti du PAN et du parti du PRD se sont mis d’accord entre eux pour ne pas reconnaître les droits et la culture indigènes. Ça s’est passé en avril 2001 et à cette occasion les hommes politiques ont montré clairement qu’ils n’ont pas un gramme de décence et que ce sont des crapules qui ne pensent qu’à gagner de l’argent malhonnête, en mauvais gouvernants qu’ils sont. Il ne faudra surtout pas l’oublier, parce que vous verrez qu’ils seront capables de dire qu’ils vont reconnaître les droits indigènes, mais ce n’est qu’un mensonge qu’ils emploieront pour que l’on vote pour eux, parce qu’ils ont déjà eu leur chance et qu’ils n’ont pas tenu parole.

Alors, à ce moment-là, nous avons compris que le dialogue et la négociation avec ceux du mauvais gouvernement du Mexique n’avaient servi à rien. C’est-à-dire que ce n’est pas la peine de discuter avec les hommes politiques, parce que ni leur cœur ni leurs paroles ne sont droits, ils sont tordus et ils ne font que mentir en disant qu’ils vont respecter des accords. Et ce jour-là, quand les hommes politiques du PRI, du PAN et du PRD ont approuvé une loi qui ne vaut rien, ils ont tué et enterré le dialogue et ils ont montré clairement que ça ne leur fait rien de faire des accords et de signer, parce qu’ils n’ont pas de parole. Alors nous n’avons plus cherché à avoir de contact avec les pouvoirs fédéraux parce que nous avons compris que le dialogue et la négociation avaient échoué à cause de ces partis politiques. Nous avons compris que pour eux, le sang, la mort, la souffrance, les mobilisations, les consultations, les efforts, les déclarations nationales et internationales, les rencontres, les accords, les signatures, les engagements, rien ne compte. La classe politique n’a donc pas seulement claqué la porte, une fois de plus, aux nez des peuples indiens, elle a aussi frappé un coup mortel à une solution pacifique, dialoguée et négociée à la guerre. Et il ne faut pas croire qu’elle respectera les accords qu’elle passera avec qui que ce soit d’autre. Il suffit de voir ce qui nous est arrivé pour comprendre la leçon.

Alors, après avoir vu tout ça se passer, nous nous sommes mis à penser avec notre cœur à ce que nous allions pouvoir faire. Et la première chose que nous avons vue, c’est que notre cœur n’est plus le même qu’avant, quand nous avons commencé notre lutte, mais qu’il est plus grand parce que nous avons pénétré dans le cœur de beaucoup de gens bons. Et nous avons aussi vu que notre cœur est un peu plus meurtri, un peu plus blessé qu’avant. Ce n’est pas à cause de la tromperie de ceux du mauvais gouvernement, c’est parce que quand nous avons touché le cœur de ces autres gens, nous avons aussi touché leur douleur. Comme si nous nous étions regardés dans un miroir.

  1. OÙ NOUS EN SOMMES MAINTENANT

Alors, en zapatistes que nous sommes, nous avons pensé qu’il ne suffisait pas de cesser de dialoguer avec le gouvernement, mais qu’il fallait poursuivre notre lutte malgré ces parasites jean-foutre que sont les hommes politiques. L’EZLN a donc décidé d’appliquer, tout seul et de son côté (« unilatéralement » quoi, comme on dit, parce que c’est seulement d’un côté), les Accords de San Andrés en ce qui concerne les droits et la culture indigènes. Pendant quatre ans, de la mi-2001 à la mi-2005, nous nous sommes consacrés à ça, et à d’autres choses que nous vous raconterons aussi.

Bien. Alors, allons-y d’abord avec les communes autonomes rebelles zapatistes, la forme d’organisation que les communautés ont choisie pour gouverner et se gouverner, pour être plus fortes. Cette forme de gouvernement autonome n’a pas été miraculeusement inventée par l’EZLN, elle vient de plusieurs siècles de résistance indigène et de l’expérience zapatiste et c’est un peu l’auto-organisation des communautés. C’est-à-dire que ce n’est pas comme si quelqu’un de l’extérieur venait gouverner, ce sont les villages eux-mêmes qui décident, parmi eux, qui gouverne et comment, et ceux qui n’obéissent pas sont renvoyés. Si la personne qui commande n’obéit pas à la communauté, on la blâme, elle perd son mandat d’autorité et une autre prend sa place.

Mais nous nous sommes rendu compte que les communes autonomes n’étaient pas toutes sur le même plan. Il y en avait qui allaient plus loin et bénéficiaient de plus de soutien de la société civile, et d’autres qui étaient plus délaissées. Il fallait donc encore s’organiser pour qu’il y ait plus d’égalité. Et nous avons aussi pu constater que l’EZLN, avec son côté politico-militaire, intervenait dans les décisions qui revenaient aux autorités démocratiques « civiles », comme on dit. Le problème était que la partie politico-militaire de l’EZLN n’est pas démocratique, parce que c’est une armée, et nous avons trouvé que ce n’était pas correct que le militaire soit en haut et le démocratique en bas, parce qu’il ne faut pas que ce qui est démocratique se décide militairement, sinon le contraire : c’est-à-dire en haut le politico-démocratique qui commande et en bas le militaire qui obéit. Et peut-être même que c’est encore mieux rien en haut et tout bien plat, sans militaire, et c’est pour ça que les zapatistes s’étaient faits soldats, pour qu’il n’y ait pas de soldats. Alors, pour essayer de résoudre ce problème, nous avons commencé à séparer ce qui est politico-militaire de ce qui concerne les formes d’organisation autonomes et démocratiques des communautés zapatistes. Comme ça, les actions et les décisions qu’effectuait et prenait avant l’EZLN ont été passées petit à petit aux autorités démocratiquement élues dans les villages. Ça a l’air tout simple quand on le dit mais, dans la pratique, c’est beaucoup plus difficile. Parce que, pendant des années, nous nous sommes préparés à faire la guerre et puis, après, il y a eu la guerre elle-même, et on finit par s’habituer à l’organisation politico-militaire. Mais même si ça a été difficile, c’est ce que nous avons fait, parce que ce que nous disons nous le faisons. Sinon, à quoi servirait de dire quelque chose, si après on ne le fait pas.

C’est comme ça que nous avons créé les conseils de bon gouvernement, en août 2003, et avec eux nous avons continué notre propre apprentissage et appris à exercer le « commander en obéissant ».

Depuis, et jusqu’à la mi-2005, la direction de l’EZLN n’est plus intervenue avec ses ordres dans les affaires des civils, mais elle a accompagné et appuyé les autorités démocratiquement élues par les communautés, sans oublier de vérifier que l’on informe correctement la société civile mexicaine et internationale des aides reçues et de ce à quoi elles ont servi. Et maintenant, nous passons le travail de vigilance du bon gouvernement aux bases de soutien zapatistes, avec des mandats temporaires et rotatifs, pour que tous et toutes apprennent et puissent effectuer ce travail. Parce que, nous autres, nous pensons qu’un peuple qui ne contrôle pas ses dirigeants est condamné à être leur esclave et que nous luttons pour être libres, par pour changer de maître tous les six ans.

Pendant les quatre dernières années, l’EZLN a aussi passé aux conseils de bon gouvernement et aux communes rebelles autonomes les aides et les contacts au Mexique et dans le monde entier que nous avons obtenus tout au long des années de guerre et de résistance. Mais, en même temps, l’EZLN a aussi mis en place un réseau d’aide économique et politique qui permette aux communautés zapatistes d’avancer avec moins de difficultés dans la construction de leur autonomie et d’améliorer leurs conditions de vie. Ce n’est pas encore assez, mais c’est beaucoup plus que ce qu’il y avait avant notre soulèvement, en janvier 1994. Si vous prenez une de ces études que font les gouvernements, vous verrez que les seules communautés indigènes qui ont amélioré leurs conditions de vie, c’est-à-dire la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement, ce sont celles qui sont en « territoire zapatiste », comme nous disons pour parler de là où sont nos villages. Tout ça a été possible grâce aux progrès effectués dans les communautés zapatistes et grâce au très grand soutien que nous avons reçu de personnes bonnes et nobles, « les sociétés civiles », comme nous les appelons, et de leurs organisations, du monde entier. C’est comme si toutes ces personnes avaient fait du « Un autre monde est possible » une réalité, mais dans les faits, pas dans des discours.

Et alors les communautés ont beaucoup avancé. Maintenant, il y a toujours plus de compañeros, hommes et femmes, qui apprennent à être gouvernement. Et, même si c’est petit à petit, il y a de plus en plus de femmes qui ont ces responsabilités. Mais on manque encore beaucoup de respect envers ces compañeras et il faut qu’elles participent plus aux responsabilités de la lutte. Et puis, avec les conseils de bon gouvernement, la coordination entre les communes autonomes s’est aussi beaucoup améliorée, et aussi la résolution de problèmes avec d’autres organisations et avec les autorités « officielles ». Et puis les projets dans les communautés aussi se sont beaucoup améliorés, et la répartition des projets et des aides de la société civile du monde entier : la santé et l’éducation ont été beaucoup améliorées, même s’il y a encore beaucoup de chemin à faire avant d’arriver à ce qu’il devrait y avoir ; pareil avec le logement et l’alimentation, et dans certaines zones le problème de la terre va beaucoup mieux parce qu’on a réparti les terres récupérées aux grands propriétaires, mais il y a des zones où on manque terriblement de terres à cultiver. Et puis le soutien de la société civile mexicaine et internationale s’est beaucoup amélioré, parce que, avant, les gens allaient là où ça leur plaisait le plus, mais maintenant les conseils de bon gouvernement les orientent vers les endroits où il y en a le plus besoin. Pour les mêmes raisons, partout il y a toujours plus de compañeros, hommes et femmes, qui apprennent à entrer en contact avec des personnes venues d’ailleurs au Mexique et dans le monde. Ils apprennent à respecter et à exiger le respect, ils apprennent qu’il y a de nombreux mondes et que tous ont leur place, leur temps et leur façon de faire, et qu’il faut tous et toutes se respecter mutuellement.

Alors nous, les zapatistes de l’EZLN, nous avons consacré tout ce temps à notre force principale : aux communautés qui nous appuient. Et il faut dire que la situation s’est bien améliorée un peu, comme quoi on ne peut pas dire que l’organisation et la lutte zapatiste n’ont servi à rien mais plutôt que, même si on en finit avec nous, notre lutte aura bel et bien servi à quelque chose.

Mais il n’y a pas que les communautés zapatistes qui ont progressé. L’EZLN aussi. Parce que ce qui s’est passé pendant tout ce temps, c’est que de nouvelles générations ont renouvelé toute notre organisation. Un peu comme si elles lui avaient redonné des forces. Les commandants et les commandantes, qui étaient déjà majeurs au début de notre soulèvement, en 1994, possèdent maintenant la sagesse de ce qu’ils ont appris dans une guerre et dans un dialogue de douze ans avec des milliers de femmes et d’hommes du monde entier. Les membres du CCRI, la direction politico-organisationnelle zapatiste, conseillent et orientent les nouvelles personnes qui entrent dans notre lutte et celles qui vont occuper des postes de dirigeant. Il y a déjà longtemps que « les comités » (comme nous appelons ceux du CCRI) préparent toute une nouvelle génération de commandants et de commandantes pour qu’ils apprennent les tâches de direction et d’organisation et commencent, après une période d’instruction et d’essai, à les assumer. Et il se trouve aussi que nos insurgés et insurgées, nos miliciens et miliciennes, nos responsables locaux et régionaux et nos bases de soutien, qui étaient jeunes quand nous avons pris les armes, sont devenus des femmes et des hommes, des combattants vétérans et des leaders naturels dans leurs unités et dans leurs communautés. Et ceux qui n’étaient que des enfants ce fameux 1er janvier 1994 sont maintenant des jeunes qui ont grandi dans la résistance et qui ont été formés dans la digne rébellion menée par leurs aînés au long de ces douze années de guerre. Ces jeunes ont une formation politique, technique et culturelle que n’avaient pas ceux et celles qui ont commencé le mouvement zapatiste. Ces jeunes viennent grossir aujourd’hui, et toujours plus, aussi bien nos troupes que les postes de direction de notre organisation. Et puis, finalement, nous avons tous pu assister aux tromperies de la classe politique mexicaine et aux ravages destructeurs qu’ils ont perpétrés dans notre patrie. Et nous avons vu les grandes injustices et les massacres que produit la mondialisation néolibérale dans le monde entier. Mais nous parlerons de cela plus tard.

L’EZLN a donc résisté de cette manière à douze ans de guerre et d’attaques militaires, politiques, idéologiques et économiques, à douze ans de siège, de harcèlement et de persécutions, et ils n’ont pas pu nous vaincre, nous ne nous sommes pas rendus ou vendus et nous avons avancé. Des compañeros d’autres lieux sont entrés dans notre lutte et, au lieu de nous affaiblir au long de tant d’années, nous sommes devenus plus forts. Bien sûr, il y a des problèmes qui peuvent se résoudre simplement en séparant plus le politico-militaire du civil-démocratique. Mais il y a certaines choses plus importantes, comme le sont les exigences pour lesquelles nous luttons, qui n’ont pas encore été entièrement satisfaites.

C’est notre pensée et ce que nous éprouvons dans notre cœur qui nous font dire que nous en sommes arrivés à un seuil limite et qu’il se peut même que nous perdions tout ce que nous avons, si nous en restons là et si nous ne faisons rien pour avancer encore. Alors, l’heure est venue de prendre à nouveau des risques et de faire un pas dangereux mais qui en vaut la peine. Et peut-être qu’unis à d’autres secteurs sociaux qui ont les mêmes manques que nous il deviendra possible d’obtenir ce dont nous avons besoin et que nous méritons d’avoir. Un nouveau pas en avant dans la lutte indigène n’est possible que si les indigènes s’unissent aux ouvriers, aux paysans, aux étudiants, aux professeurs, aux employés, c’est-à-dire aux travailleurs des villes et des campagnes.

III. DE COMMENT NOUS VOYONS LE MONDE

Nous allons vous expliquer maintenant comment nous voyons ce qui se passe dans le monde, nous autres, les zapatistes. D’abord, nous voyons que c’est le capitalisme qui est le plus fort aujourd’hui. Le capitalisme est un système social, autrement dit la façon dont sont organisées les choses et les personnes, et qui possède et qui ne possède pas, qui commande et qui obéit. Dans le capitalisme, il y a des gens qui ont de l’argent, autrement dit du capital, et des usines et des magasins et des champs et plein de choses, et il y en a d’autres qui n’ont rien à part leur force et leur savoir pour travailler ; et dans le capitalisme commandent ceux qui ont l’argent et les choses, tandis qu’obéissent ceux qui n’ont rien d’autre que leur force de travail.

Alors, le capitalisme ça veut dire qu’il y a un groupe réduit de personnes qui possèdent de grandes richesses. Et pas parce qu’ils auraient gagné un prix ou qu’ils auraient trouvé un trésor ou qu’ils auraient hérité de leur famille, mais parce qu’ils obtiennent ces richesses en exploitant le travail de beaucoup d’autres. Autrement dit, le capitalisme repose sur l’exploitation des travailleurs, un peu comme s’il les pressait comme des citrons pour en tirer tous les profits possibles. Tout ça se fait avec beaucoup d’injustice parce qu’on ne paye pas aux travailleurs correctement leur travail, sinon qu’on leur donne juste un salaire suffisant pour qu’ils puissent manger et se reposer un peu et que le jour suivant ils retournent au presse-citron, à la campagne comme en ville.

Mais le capitalisme fabrique aussi sa richesse en spoliant, autrement dit par le vol, parce qu’il enlève à d’autres ce qu’il convoite, comme des terres et des richesses naturelles, par exemple. C’est-à-dire que le capitalisme est un système où les voleurs sont libres et admirés et donnés en exemple.

Et en plus d’exploiter et de spolier, le capitalisme réprime, parce qu’il jette en prison et tue ceux qui se rebellent contre l’injustice.

Ce qui intéresse le plus le capitalisme, ce sont les marchandises, parce que, quand on les achète et on les vend, elles donnent du profit. Alors, le capitalisme transforme tout en marchandise : il transforme en marchandise les personnes, la nature, la culture, l’histoire, la conscience, tout. Pour le capitalisme, tout doit pouvoir s’acheter et se vendre. Et il dissimule tout derrière la marchandise pour qu’on ne voie pas l’exploitation qui l’a rendu possible. Et alors les marchandises s’achètent et se vendent dans un marché, et il se trouve que ce marché ne sert pas seulement pour acheter et pour vendre, mais aussi pour dissimuler l’exploitation des travailleurs. Par exemple, sur le marché, on voit le café déjà joliment empaqueté dans sa boîte ou dans son paquet, mais on ne voit pas le paysan qui a souffert pour récolter ce café et on ne voit pas non plus le coyote qui lui a payé à un prix ridicule son travail et on ne voit pas non plus les travailleurs dans les grands ateliers qui passent leur vie à empaqueter ce café. Ou alors on voit un appareil pour écouter de la musique, de la cumbia, des rancheras ou des corridos ou ce qu’on veut, et on trouve que c’est un très bon appareil parce que le son est très bon, mais on ne voit pas l’ouvrière de l’atelier qui a passé un nombre incroyable d’heures à fixer des câbles et à monter cet appareil et qui a touché un salaire de misère pour le faire, on ne voit pas qu’elle vit loin de son travail et tout ce qu’elle doit dépenser pour le transport, sans compter qu’elle risque en plus de se faire enlever, d’être violée ou assassinée, comme ça arrive à Ciudad Juárez, au Mexique.

Autrement dit, sur le marché on voit des marchandises, mais on ne voit pas l’exploitation avec laquelle elles ont été faites. Et alors le capitalisme a besoin de beaucoup de marchés… Ou d’un marché très grand, un marché mondial.

Et alors il se trouve que le capitalisme d’aujourd’hui n’est plus le même qu’avant, où les riches se contentaient d’exploiter les travailleurs chacun dans leurs pays, mais qu’il en est maintenant à un stade qui s’appelle « globalisation néolibérale ». La globalisation en question, ça veut dire que maintenant les capitalistes ne dominent plus seulement les travailleurs dans un pays ou dans plusieurs pays, mais qu’ils essayent de dominer tout dans le monde entier. Et alors le monde, la planète Terre autrement dit, on dit aussi que c’est le « globe terrestre », c’est pour ça qu’on dit « globalisation », la mondialisation, autrement dit le monde entier.

Et le néolibéralisme, eh bien, c’est l’idée selon laquelle le capitalisme est libre de dominer le monde entier et qu’il n’y a rien à dire et qu’on n’a plus qu’à se résigner et à l’admettre et à la fermer, autrement dit à ne pas se rebeller. Alors, le néolibéralisme c’est comme la théorie, le plan, de la mondialisation capitaliste. Et le néolibéralisme a des plans économiques, politiques, militaires et culturels. Dans tous ces plans, il ne s’agit de rien d’autre que de dominer le monde entier. Et ceux qui n’obéissent pas, on les réprime ou on les isole pour les empêcher de donner leurs idées de rébellion aux autres.

Alors, dans la mondialisation néolibérale, les grands capitalistes qui vivent dans des pays puissants, comme les États-Unis, par exemple, veulent que le monde entier devienne une énorme usine où produire des marchandises et une sorte d’énorme marché. Un marché mondial, un marché pour acheter et vendre tout ce qu’il y a dans le monde et pour dissimuler toute l’exploitation du monde entier. Alors les capitalistes mondialisés s’installent partout, autrement dit dans tous les pays, pour faire leurs grands négoces, c’est-à-dire leur grande exploitation. Et alors ils ne respectent rien et s’installent comme ils veulent. C’est comme qui dirait une conquête des autres pays. C’est pour ça que nous, les zapatistes, nous disons que la mondialisation néolibérale est une guerre de conquête du monde entier, une guerre mondiale, une guerre entreprise par le capitalisme pour dominer mondialement. Et alors cette conquête se fait parfois avec des armées qui envahissent un pays par la force et qui s’en emparent. Mais parfois cette conquête se fait avec l’économie, c’est-à-dire que les capitalistes mettent leur argent dans un autre pays ou bien lui prêtent de l’argent à condition qu’il fasse tout ce qu’ils lui disent de faire. Ils s’installent même dans d’autres pays avec les idées : autrement dit, la culture capitaliste, c’est la culture de la marchandise, du profit, du marché.

Alors celui qui fait cette conquête, le capitalisme, fait bien comme il veut, c’est-à-dire qu’il détruit ce qui ne lui plaît pas et élimine ce qui le gêne. Par exemple, ceux qui ne produisent ni n’achètent ni ne vendent des marchandises le gênent. Ou ceux qui se rebellent contre cet ordre mondial. Et ceux qui ne servent pas, il les méprise. C’est pour ça que les indigènes constituent un obstacle à la mondialisation néolibérale et c’est pour ça qu’on les méprise et qu’on veut les éliminer. Le capitalisme néolibéral enlève aussi les lois qui l’empêchent d’exploiter tranquillement et de faire beaucoup de profits. Par exemple, il impose que tout puisse s’acheter et se vendre, mais comme c’est le capitalisme qui a l’argent, il achète tout.

Alors, le capitalisme détruit les pays qu’il envahit avec la mondialisation néolibérale, mais il veut aussi arranger tout ou tout refaire à sa manière, autrement dit d’une manière qui lui convienne et sans être gêné par rien ni personne. Alors la mondialisation néolibérale, capitaliste détruit donc ce qu’il y a dans ces pays : elle détruit leur culture, leur système économique et leur système politique, et elle détruit même le type de rapports que les gens qui vivent dans ce pays ont entre eux. Autrement dit, tout ce qui fait d’un pays un pays est ravagé.

Alors, la mondialisation néolibérale veut détruire les nations du monde et veut qu’il n’y ait plus qu’une seule nation ou pays : le pays de l’argent, le pays du capital. Le capitalisme cherche donc à faire que tout soit comme lui veut que ce soit. Et tout ce qui est différent, ça ne lui plaît pas et il le persécute, il l’attaque, il l’isole dans un coin et fait comme si ça n’existait pas.

Alors, comme qui dirait en résumé, le capitalisme de la mondialisation néolibérale se fonde sur l’exploitation, sur la dépossession, sur le mépris et sur la répression de ceux qui ne se laissent pas faire. Autrement dit, pareil qu’avant mais maintenant globalement, mondialement.

Mais tout ne marche pas comme sur des roulettes dans la mondialisation néolibérale, parce que les exploités de chacun des pays ne veulent pas l’accepter et qu’ils ne se résignent pas à courber l’échine, mais se rebellent, et que ceux qui sont de trop et gênent résistent et ne se laissent pas éliminer. Et alors nous voyons que dans le monde entier ceux qui sont dans un sale pétrin opposent une résistance pour ne pas se laisser faire ; autrement dit, ils se rebellent, et pas seulement dans un pays mais dans plein d’endroits. Autrement dit, de la même façon qu’il y a une mondialisation néolibérale, il y a aussi une mondialisation de la rébellion.

Dans cette mondialisation de la rébellion, il n’y a pas que les travailleurs de la campagne et des villes, mais il y aussi d’autres gens, femmes et hommes, qui sont très souvent persécutés et méprisés parce qu’ils ne se laissent pas non plus dominer : les femmes, les jeunes, les indigènes, les homosexuels, les lesbiennes, les transsexuels, les migrants et beaucoup d’autres que nous ne verrons pas tant qu’ils n’auront pas hurlé que ça suffit qu’on les méprise et qu’ils ne se seront pas révoltés. Et alors nous les verrons, nous les entendrons et nous apprendrons à les connaître.

Et alors nous, nous voyons que tous ces groupes de gens luttent contre le néolibéralisme, autrement dit contre le plan de la mondialisation capitaliste, et qu’ils se battent pour l’humanité.

Et tout ça fait que nous éprouvons une grande inquiétude devant la stupidité des néolibéralistes qui veulent détruire l’humanité tout entière avec leurs guerres et leur exploitation, mais nous éprouvons en même temps une grande satisfaction en voyant que partout surgissent des résistances et des rébellions ; un peu comme la nôtre qui est un peu petite mais qui est toujours là. Et nous voyons tout cela dans le monde entier et notre cœur sait que nous ne sommes pas seuls.

A suivre…

Résistance politique: Soutenir les Zapatistes du Chiapas, s’inspirer de leur lutte universelle et adapter la méthode…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, France et colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, N.O.M, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, police politique et totalitarisme, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 4 novembre 2014 by Résistance 71

Si nous sommes tous des colonisés, nous ne sommes pas, bien évidemment, tous des « zapatistes », des amérindiens ou des peuples autochtones de nations sous domination coloniale directe. Le message de lutte est universel à tous les peuples. La réalité pratique se doit d’être adaptée à l’environnement géographique et socio-politique de chacun des peuples concernés. Inspirons-nous du Chiapas et créons le confédéralisme démocratique en contre-pouvoir efficace au marasme systémique ambiant et sclérosé.

— Résistance 71 —

 

Chiapas

 

Alternative Libertaire

 

22 Octobre 2014

 

url de l’article:

http://www.alternativelibertaire.org/?Chiapas

 

Une compilation d’articles et de communiqués, ainsi que sur les luttes politiques au Mexique et des peuples indigènes du continent sud-américain. En rejoignant la « Sexta » des Zapatistes, Alternative libertaire entend défendre l’autonomie des peuples et les expériences d’auto-organisation et d’autogestion.

Le soulèvement

Le soulèvement zapatiste du 1er janvier 1994 a permis de mettre en lumière des problématiques sociales et politiques propres aux peuples indigènes, du Mexique comme d’ailleurs. Usage du territoire, représentation politique, perte des cultures, discrimination raciale, ces thèmes se sont retrouvés sur le devant de la scène mexicaine et internationale, et le soulèvement a provoqué ou renforcé de nombreux autres mouvements indigènes, ainsi que suscité une grande vague de solidarité internationale.

Les relations développées avec la société civile mexicaine et internationale, ainsi que l’intense préparation politique des zapatistes pendant les dix ans précédents le soulèvement, ont débouché sur un mouvement avec une forte capacité organisationnelle, un large soutien populaire, et un discours inspirateur pour de nombreuses luttes. Le discours anticapitaliste, les pratiques horizontales, les revendications d’autonomie, ont participé entre autres à populariser ce mouvement dans les milieux libertaires du monde entier.

Le but n‘est pas de retracer ici l’histoire du mouvement, mais de voir où il se situe aujourd’hui et ce qu’il peut nous apporter dans nos luttes.

Un nouveau cycle du mouvement zapatiste

Dès la fin des combats de 1994, l’EZLN à tissé des liens avec la société civile mexicaine et les mouvements altermondialistes au travers des marches du Chiapas jusqu’à Mexico ou de rencontres internationales sur leur territoire. Dans le même temps les zapatistes ont organisé leur autonomie dans les « territoires récupérés » lors de l’insurrection. Après deux années d’intense travail avec la société civile mexicaine et internationale (autour de la 6ème déclaration) en 2006 et 2007, ils et elles se sont concentré-e-s sur le développement de leurs capacités productives, politiques, sociales.

Vous êtes en territoire rebelle zapatiste. Ici le peuple commande et le gouvernement obéit.

Le « pouvoir » de l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale) a été transmis à des instances civiles, les Juntas de buen gobierno (conseils de bon gouvernement), et de nombreux projets d’éducation, de santé, d’agriculture, de communication ont été mis en place ou renforcés. Les conditions de vie des communautés zapatistes se sont améliorées, malgré la répression constante du mouvement de la part des gouvernements local et fédéral. Les médias et nombre de mouvements politiques hostiles aux zapatistes ont profité de ce moment de moindre visibilité pour déclarer la disparition du mouvement. Mais le déclenchement d’une nouvelle phase de mobilisation depuis décembre 2012 leur a donné tort.

Le 21 Décembre 2012, environ 40.000 bases de apoyo (bases de soutien) zapatistes ont défilé silencieusement dans les cinq villes que l’EZLN avait prises par les armes le 1er janvier 1994. Le communiqué émis ce jour-là disait seulement « VOUS AVEZ ENTENDU ? C’est le son de votre monde en train de s’effondrer, C’est celui du notre qui resurgit. Le jour qui fut jour, était nuit, Et nuit sera le jour qui sera le jour. ».

Quelques jours après, l’EZLN a commencé à émettre des communiqués à un rythme soutenu, expliquant le relatif silence des années précédentes et la volonté de reprendre le travail de communication national et international, la nomination d’un nouveau subcomandante, et l’entrée dans une nouvelle phase de leur mouvement : « le temps du oui ». C’est-à-dire une phase de construction active d’une autre société et non plus de simple opposition ou résistance à la société existante. Puis, détaillant les premières étapes de cette nouvelle phase : 
 la escuelita (petite école), sorte d’université populaire organisée par les zapatistes dans leurs communautés depuis août 2013 jusqu’au début 2014 pour partager leur expérience avec des individu-e-s et des organisations sociales nationales et internationales qui les soutiennent. 
 la reprise d’un travail unitaire avec d’autres mouvements indigènes mexicains, notamment au travers de la Catedra Tata Juan Chavez des 17 et 18 août 2013.

Le moment d’entrée dans cette nouvelle phase de mobilisation répond à un contexte particulier.

D’une part, la généralisation de la violence. Le Mexique est devenu ces dernières années l’un des pays les plus violents au monde, avec le déclenchement de la « guerre contre le narcotrafic » sous le mandat du président Calderón (2006-2012) du PAN (Parti Action Nationale, droite conservatrice catholique), qui a fait 60 000 morts dont bon nombre de « dommages collatéraux ». Cette violence s’est ajoutée à la corruption et à l’autoritarisme de la classe politique mexicaine, détruisant encore plus le tissu social du pays, et masquant la répression (assassinats, disparitions, emprisonnements) dont souffrent les mouvements sociaux et indigènes.

D’autre part, le retour du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) au pouvoir. Le PRI a gouverné le Mexique pendant 70 ans d’affilés jusqu’à l’arrivée du PAN au pouvoir en 2000. Il symbolise la corruption, le clientélisme, la répression, le virage néolibéral, l’état mafieux (pratiques que le PAN a perpétuées avec plaisir), et son retour au pouvoir fin 2012 ne peut faire que craindre le pire.

Enfin, la mise en place de l’agenda néolibéral des élites nord-américaines. Intégration commerciale profitant aux multinationales, extraction sauvage des ressources naturelles, pillage des ressources biologiques, privatisations (éducation, énergie, etc.), aux conséquences socio-économiques désastreuses pour la majorité de la population, et notamment pour les peuples indigènes dépossédés de leurs territoires et de leurs cultures.

Un élément primordial dans cette nouvelle phase de mobilisation est aussi d’ordre culturel et spirituel. Le 21 décembre 2012 représente dans la cosmovision maya le passage à un nouveau cycle de leur calendrier, le 14eme Baktun, chaque baktun durant environ 394 ans. Cet aspect culturel a déterminé le choix de la date de la mobilisation du 21 décembre, et donne le sens du communiqué émis à cette occasion, l’entrée dans un nouveau cycle devant s’accompagner de l’entrée dans un autre modèle de société que les zapatistes s’efforcent de construire.

Plus récemment, suite à l’attaque du Caracol La Realidad et de l’assassinat du compa Galeano, perpétué par des paramilitaires, les zapatistes, par la voix du Sous-commandant Marcos, ont confirmé l’engagement dans cette nouvelle étape du mouvement. En effet, en décidant la « disparition » du personnage de Marcos, ils montrent au monde que leur mouvement est autogestionnaire et horizontal. L’évolution est notoire, comme le montre cet extrait du communiqué Ombre et Lumière de l’EZLN :

« Au cours de ce ces vingt dernières années, une relève complexe et à plusieurs niveaux s’est opérée au sein de l’EZLN. 
Certains n’ont vu que ce qu’il y avait de plus évident : la relève générationnelle. 
Aujourd’hui, en effet, ce sont celles et ceux qui étaient tout jeunes ou qui n’étaient pas encore nés au début de notre soulèvement qui luttent et conduisent la résistance. 
Cependant, certains lettrés n’ont pas eu conscience des autres relèves qui ont eu lieu : 
Une relève de classe : le passage d’une origine de la classe moyenne éclairée à une origine indigène paysanne. 
Une relève de race : de dirigeants métis, on est passé à des dirigeants nettement indigènes. 
Et le plus important, une relève dans la pensée. De l’avant-gardisme révolutionnaire, on est passé au « commander en obéissant » ; de la prise du Pouvoir d’en Haut à la création du pouvoir d’en bas ; de la politique professionnelle à la politique quotidienne ; des leaders aux communautés ; de la ségrégation de genre à la participation directe des femmes ; de la moquerie envers l’autre à la célébration de la différence. »

Aternative libertaire adhère à la Sexta, c’est-à-dire à la Sixième Déclaration de la Selva Lacandona, rédigée en 2005. Ce texte avait contribué à créer un nouveau réseau fédérant les groupes en lutte.

L’EZLN et le mouvement zapatiste ont montré au cours de ces dernières décennies qu’il n’y avait pas de fatalité dans ce monde dominé par le néolibéralisme, les injustices et les gouvernements à la botte des capitalistes. Même les plus pauvres, les plus oublié-e-s, peuvent se lever et crier Ya Basta ! Assez ! Et choisir une autre voie, basée sur la justice, la démocratie, la dignité, la solidarité, l’égalité.

Ce qu’ont réussi à construire les zapatistes depuis la création de l’EZLN représente une source d’optimisme et d’inspiration pour tous ceux et toutes celles qui luttent pour un monde meilleur. Les conditions politiques, sociales, culturelles, ne sont pas les mêmes en France et au Chiapas, et n’appellent pas les mêmes réponses, mais un désir commun doit nous animer, comme partout sur cette planète : reprendre le contrôle de nos vies. Et sur ce plan là, les zapatistes sont un exemple.

Alternative libertaire lutte depuis longtemps contre toutes les oppressions : capitaliste, étatique, patriarcale, raciste. Nous participons dans la mesure de nos capacités aux mouvements sociaux et aux luttes sur nos lieux de travail, et diffusons autant que possible nos idées communistes libertaires pour créer une société libre de toute forme de domination.

Depuis le soulèvement zapatiste, nous avons suivi avec intérêt et solidarité l’évolution de cette lutte, et l’avons diffusée dans les pages de notre journal. Mais nous n’avons jamais formalisé notre solidarité, ni n’avons participé aux rencontres et activités organisées par les zapatistes ou les mouvements de solidarité. Il est malheureusement difficile de s’engager sur tous les fronts. Mais aujourd’hui, alors que les conséquences économiques, sociales et écologiques du néolibéralisme se font de plus en plus dramatiques et irréversibles, il nous semble important de participer à la nouvelle dynamique que les zapatistes essayent d’impulser. C’est pourquoi nous avons décidé de rejoindre la Sexta Declaración de la Selva Lacandona.

Ces derniers mois, à l’occasion des 20 ans du soulèvement, nous avons participé dans différentes villes de France à des activités de solidarité en commun avec d’autres groupes et collectifs de soutien aux zapatistes, avec des débats publics, des repas de solidarité, et la participation à des rassemblements de soutien. Avec ces collectifs, nous tentons tant bien que mal d’apporter notre aide.

Nous souhaitons ainsi diffuser la lutte zapatiste et les revendications d’autonomie des peuples indigènes du Chiapas et d’ailleurs, et exiger l’application des accords de San Andres, la libération des prisonniers politiques et la fin du harcèlement militaire et de la violence politique dont sont trop souvent victimes les peuples du Chiapas et du reste du Mexique.

La résistance au colonialisme occidental mondial s’organise à l’initiative du Conseil National Indigène et de l’EZLN zapatiste…

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Soutien ! Parce que nous sommes tous des colonisés d’une manière ou d’une autre et aussi parce que l’avenir de l’humanité passe par les peuples occidentaux émancipés de l’idéologie coloniale se tenant debout, main dans la main avec leurs frères autochtones des cinq continents !…

— Résistance 71 —

 

Invitation au festival mondial des résistance et des rébellions

 

Congrès National Indigène & EZLN

 

23 Septembre 2014

 

url de l’article:

http://www.lavoiedujaguar.net/Invitation-au-Festival-mondial-des

 

Samedi 9 août 2014.

« Nous venons partager les souffrances et les douleurs que nous cause ce système néolibéral. Mais pas seulement. Nous venons aussi clairement partager les précieux savoirs, les expériences de lutte, d’organisation. Enjeux et défis face aux envahisseurs capitalistes néolibéraux qui nous causent tant de maux. » 
(EZLN, août 2014)

Aux frères et sœurs de la Sexta nationale et internationale,

Réunis dans ce moment de partage « David Ruiz García » entre peuples zapatistes et du Congrès national indigène, nos peuples ont discuté de nos douleurs, nos paroles et expériences de lutte, rébellion et résistance.

Ensemble nous savons que dans nos rébellions résident nos « NON » aux politiques de destruction menées par le capitalisme dans le monde entier. Et nous savons que dans nos résistances germent les graines du monde que nous voulons.

Ces rébellions et résistances ne sont pas seulement celles des peuples originaires du Mexique. Elles cheminent aussi dans les pas des peuples originaires de tout le continent et dans tous les recoins de cette planète où des individus, groupes, collectifs et organisations ne disent pas seulement « NON » à la destruction, mais avancent aussi en reconstruisant quelque chose de nouveau.

Au cours de ce moment de partage, dont nous savons qu’il a été rendu possible en grande part grâce à l’appui de frères et sœurs de la Sexta nationale et internationale, nous avons confirmé que notre terre-mère, porteuse de toute vie sur la planète, est en danger et avec elle l’humanité tout entière ; nous voyons que c’est le capitalisme néolibéral qui provoque tant de douleur, tant de destruction et tant de mort, que c’est lui qui nous spolie, nous exploite, nous méprise et nous réprime.

Dans la défense de la terre-mère, dans la lutte pour l’humanité contre le néolibéralisme, il n’existe pas de petite lutte.

Frères et sœurs de la Sexta nationale et internationale, parce que nous savons que ce capitalisme sauvage et mortifère n’est pas invincible, comme nous l’enseignent, outre l’expérience zapatiste, les rébellions et résistances qui fleurissent sur toute la planète, parce que vos douleurs sont nos douleurs, vos luttes sont nos luttes et vos rêves sont nos rêves, nous voulons partager entre nous et avec vous les paroles, les expériences, les chemins et la décision commune de la possibilité d’un monde où tiennent beaucoup de mondes. Nous concrétisons les pas à faire pour atteindre ce rêve, il est nécessaire pour nous de partager, de savoir ce que nous pensons, de nous écouter pour savoir comment sont nos luttes, pour connaître nos rébellions et apprendre de nos résistances.

Nous, peuples, tribus et nations, nous sommes mis d’accord dans cette assemblée pour réaliser avec vous le « Premier Festival mondial des résistances et des rébellions contre le capitalisme » avec pour devise « Là où ceux d’en haut détruisent, nous, ceux d’en bas, reconstruisons ».

Ce gigantesque moment de partage mondial se tiendra entre le 22 décembre 2014 et le 3 janvier 2015 dans les lieux qui suivent :

Inauguration dans la communauté Ñatho de San Francisco Xochicuautla, à Lerma, dans l’État de Mexico, le dimanche 21 décembre 2014.

Partages dans les communautés de San Francisco Xochicuautla et d’Amilzingo, dans l’État de Morelos les 22 et 23 décembre 2014. 
 Grand festival culturel dans le District fédéral les 24, 25 et 26 décembre 2014.

Suite des partages dans les communautés binnizá de Juchitán, Oaxaca, et dans la péninsule du Yucatán, les 28 et 29 décembre 2014.

Fête de la rébellion et de la résistance anticapitaliste au Caracol d’Oventic les 31 décembre 2014 et 1er janvier 2015.

Conclusions et clôture, proclamations et déclarations, au Cideci, à San Cristóbal de Las Casas, Chiapas, les 2 et 3 janvier 2015.

Notre partage dans ce « Premier Festival mondial des résistances et rébellions contre le capitalisme » se fera entre les peuples zapatistes, les peuples, tribus, nations et barrios du Congrès national indigène, les peuples originaires du continent, et les peuples, collectifs et individus adhérents de la Sexta nationale et internationale du monde entier.

Dans les prochains jours, nous vous donnerons plus de détails concernant cet appel.

Nous, peuples qui sommes de maïs, nous serons, dans ce partage avec vous, comme la milpa qui fleurit, pour renforcer nos résistances et protéger notre mère terre sur ce nouveau chemin que nous voulons partager.

Depuis La Realidad zapatiste, août 2014. 
Pour la reconstruction intégrale de nos peuples

Plus jamais un Mexique sans nous

Congrès national indigène 
Armée zapatiste de libération nationale

Ainsi que les individus, groupes, collectifs, organisations de la Sexta dans le monde entier qui se joignent à cet appel.

Autonomie, autogestion et leçon politique des Indiens du Chiapas (Mexique). Au revoir Marcos et merci !…

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“Je mourrai esclave de principes non des Hommes”
~ Emiliano Zapata, 1879-1919 ~

“C’est notre conviction et notre mode de pratique que pour se rebeller et lutter, aucun leader, patron, messie ou sauveur n’est nécessaire. Pour lutter, les gens ont besoin d’un sens de la honte, d’un peu de dignité et de beaucoup d’organisation. Pour le reste, cela sert le collectif ou pas.”

~Subcomandante Insurgente Marcos ~

 

La der du Sub Marcos

 

Résistance 71

 

3 Juin 2014

 

Source: http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2014/05/27/between-light-and-shadow/

 

Note: C’est avec grand plaisir et non sans une certaine émotion que nous avons traduit (partiellement) et commenté cette toute dernière intervention du Subcomandante Marcos porte-parole de l’EZLN et du mouvement autonomiste indien du Chiapas au Mexique depuis 1995. L’autonomie indigène est une réalité, la lutte contre l’impérialisme colonialiste en est une autre. Le mouvement autonome et autogéré indigène du Chiapas prouve que le bon gouvernement du peuple par et pour le peuple est non seulement possible, mais parfaitement sain et productif et ce malgré un environnement hostile de répression permanente de la liberté. ¡Todos somos Marcos! Les peuples prévaudront !

*  *  *

Le 25 Mai 2014 à 2:08 du matin, depuis la jungle de Lacandon au Chiapas, province du Sud-Est du Mexique, émanait cette déclaration du Subcomandante Insurgente Marcos:

Je déclare que celui qui est connu comme étant le Subcomandante Insurgente Marcos, “subcomandante d’acier inoxidable” auto-proclamé, cesse d’exister. C’est comme çà,

Au travers de ma voix ne s’exprime plus l’Armée Nationale de Libération Zapatiste (Ejercito Zapatista de Liberacion Nacionale ou EZLN). Vale. Santé et jusque jamais ou jusqu’à toujours, ceux qui ont compris sauront que tout cela n’a plus d’importance, que cela n’en a jamais eu.

Cette déclaration était attentue depuis un moment, l’EZLN avait soufflé le chaud et le froid à ce sujet. L’heure de retirer Marcos du circuit avait sonné. Ainsi fut fait.

Dans un long entretien avec les compañeros et les compañeras reproduit sous le titre “Entre ombre et lumière”, la figure charismatique du Sub Marcos s’est exliquée de tout ceci. En voici quelques extraits, qui devraient tous nous faire dire “Nous sommes tous des Marcos !” du moins potentiellement !

Cette décision a été prise de manière collective pour des raisons politiques. Il y a longtemps déjà, un journaliste avait demandé à Marcos s’il changerait quoi que ce soit à ce qui avait été accompli par l’EZLN et les populations autochtones du Chiapas depuis 1994. Il avait répondu en substance: “Marcos ! Il a pris trop d’importance et ne correspond plus aux besoins de la lutte.” Le ton était donné pour la suite.

Marcos dit que ce fut une décision difficile. Des débuts de la lutte il dit ceci:

Lorsque nous avons érupté en 1994 avec le sang et le feu, ce n’était pas le début de la guerre pour nous en tant que zapatistes.. La guerre du dessus, avec sa mort et sa destruction, sa dépossession et son humiliation, son exploitation et son silence imposé aux vaincus, nous les avons enduré pendant des siècles. Ce qui commença pour nous en 1994 est un des moments de guerre forcé par ceux d’en bas contre ceux d’en haut, contre leur monde… Une guerre ressentie par bien des gens d’en bas, une guerre pour l’humanité et contre le néolibéralisme.

Une fois certains succès atteints et certaines zones libérées et gérées par les populations indigènes essentiellement d’origine Maya, les Zapatistes ont dû faire face à la répression gouvernementale une fois de plus. Il était hors de question d’occuper les grandes villes comme la capitale du Chiapas, San Cristobal de Las Casas qui fut prise les premiers jours de l’insurrection de Janvier 1994. Se posa alors la question de savoir: “Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?” Pour les Zapatistes, cette question mena à d’autres, comme le dit Marcos:

Devions-nous préparer ceux qui viennent après nous à ce chemin de la mort ? Devions-nous développer de meilleurs guerriers, plus nombreux ? Devions-nous investir nos efforts à développer notre machine de guerre ? Devions-nous simuler le dialogue avec le mauvais gouvernement (mexicain), gagner du temps tout en préparant de nouvelles attaques ? Tuer ou mourir était-ce là notre seule destinée ?

Ou devions-nous reconstruire le chemin de la vie, celui que ceux d’en haut avait brisé et continuait de briser ? Le chemin qui n’appartient pas seulement au peuple indigène, mais aux travailleurs, aux étudiants, aux enseignants, à la jeunesse, aux paysans ? Aurions-nous dû utiliser notre sang pour décorer le chemin du pouvoir que d’autres ont emprunté ou devrions-nous tourner nos regards et nos cœurs vers qui nous sommes, vers ceux qui sont ce que nous sommes, c’est à dire les peuples autochtones, les gardiens de la terre et de la mémoire ? […] Nous avons dû affronter ce dilemne et nous avons choisi. Ainsi, au lieu de nous dédier à l’entrainement de toujours plus de guerilleros, de soldats, d’escadrons, nous avons développé l’éducation et la santé et nous avons construit les fondations même de l’autonomie (et de l’autogestion) qui aujourd’hui surprennent et étonnent le monde…

L’EZLN est la branche armée du mouvement autonomiste d’autogestion zapatiste (nom qui vient du révolutionnaire mexicain Emiliano Zapata 1879-1919, qui leva une armée de paysans sans terre contre la dicature de Porfirio Diaz en 1910), aujourd’hui de grandes zones de la province du Chiapas (et de la province voisine d’Oaxaca) sont autogérées par les peuples indiens descendants pour la plupart de la civilisation Maya.

Après l’insurrection des premiers jours de Janvier 1994, les zapatistes se retirèrent dans les terres ancestrales de la jungle de Lacandon. Le 21 décembre 2012, les Zapatistes retournèrent dans les grandes villes qu’ils saisirent de nouveau dans un silence de mort, sans un mot et sans tirer un coup de feu.

Voici ce qu’en dit Marcos:

Le 21 décembre 2012, lorsque le politique et l’ésotérique coïncidèrent, comme cela se produisit dans le passé… nous avons répété le coup de main réalisé en 1994, sans tirer un seul coup de feu, seulement avec notre silence, nous avons de nouveau humilié l’arrogance crâne des cités qui sont le berceau du racisme et du dédain. Si le 1er Janvier 1994, ce furent quelques milliers d’hommes et de femmes sans visages qui attaquèrent et mirent à bas les garnisons qui protégeaient les villes, le 21 décembre 2012, ce furent des dizaines de milliers de sans visages qui prirent sans dire un seul mot, ces bâtiments où ceux d’en haut célébraient notre disparition. Ceci mit au grand jour le fait indiscutable que l’EZLN n’avait non seulement pas été affaiblie, encore moins disparue, mais avait au contraire grandi quantitativement et qualitativement. Au cours de ces près de 20 ans d’existence, quelque chose avait changé au sein des communautés et de l’EZLN. Il y a sûrement pas mal de monde qui pense que nous avons fait le mauvais choix, qu’une armée ne peut pas et ne devrait pas pencher pour la paix. Nous avons fait ce choix pour plusieurs raisons, c’est vrai, mais la principale a été que c’est de cette façon que nous (en tant qu’armée) pouvions ultimement disparaître… Nous avons fait ce choix en regardant en nous-mêmes, en tant que Votàn collectif que nous sommes.

Nous avons choisi la rébellion, c’est à dire la vie…

De tout cela résulta la question inévitable de l’échec. L’opération zapatiste était-elle un échec dans le sens où elle ne fut pas capable de déclencher une vague de changement à l’échelle de la nation ?

Voici ce qu’en dit Marcos:

Ils disent là-bas que nous n’avons rien réalisé pour nous-mêmes… Ils pensent que les fils et les filles des commandants et commandantes (de l’EZLN) devraient jouir et profiter de voyages à l’étranger, étudier dans des écoles privées et devraient parvenir au pinacle des réalisations dans les mondes de la politique et des affaires. Qu’au lieu de produire leur nourriture à la sueur de leur front et pleins de détermination, qu’ils devraient briller dans les réseaux sociaux, s’amuser dans les boîtes de nuit, se pavaner dans le luxe. Peut-être que les subcomandantes devraient procréer et passer leurs boulots, leurs amusements et leurs spectacles à leur progéniture comme les politiciens le font. […] Ce n’est pas le chemin que nous voulons emprunter. Cela ne nous intéresse pas. Au sein de ces paramètres d’évaluation, nous préférons échouer que réussir.

Marcos aborde ensuite la question du pouvoir et celle de la figure illusoire du “leader”. Il est absolument stupéfiant de constater que le personnage de Marcos, sa fonction de porte-parole du mouvement n’a pas été une nécessité politique mais une nécessité de … relations publiques, de marketing révolutionnaire si on veut, certes lié à la politique, mais surtout à l’image que le mouvement voulait donner et le désir que les médias fassent connaître enfin le mouvement en les manipulant ! Nous apprenons que le personnage de Marcos a émergé pour des raisons de communications et du fait de forcer la reconnaissance de la lutte et des succès zapatistes. Marcos qualifie Marcos “d’hologramme”, écoutons le:

Ces dernières 20 années il y a de multiples changements au sein de l’EZLN. Beaucoup n’ont vu que le générationnel, ceux qui n’étaient pas encore nés en 1994, dirigent maintenant la résistance pour certain(e)s. Quelques experts ont vu un changement de classe: de la classe moyenne éveillée au paysan autochtone, et un changement de race: du leadership métis (NdT: Marcos, entre autres, est un métis de la classe moyenne) au leadership indigène ; mais le plus important, un changement de pensée: de l’avant-garde révolutionnaire au concept de “commander en obéissant”, de la prise de pouvoir d’en haut à la création du pouvoir d’en bas, de la politique professionnelle à la politique de tous et de tous les jours, des leaders vers le peuple, de la marginalisation du genre vers la participation directe des femmes, de la dérision de l’autre vers la célébration de la différence. […] Personnellement, je ne comprends pas pourquoi des personnes pensantes qui affirment que l’histoire est faite par les gens, ont si peur devant un gouvernement du peuple qui ne comprend absolument aucun “spécialiste” (de la politique). Pourquoi sont-ils si terrifiés à l’idée que le peuple commande, qu’il est celui qui détermine sa propre marche à suivre ? Pourquoi donc secouent-ils la tête de dépit et d’incompréhension au concept de “commander en obéissant” ? C’est cela précisément, que l’indigène dirige et maintenant avec une personne indigène en tant que chef / porte-parole (NdT: se référer ici au travail de Pierre Clastres sur la Chefferie sans pouvoir des sociétés dites “primitives”…), cela les terrifie, les répugne et finalement les renvoient chercher quelqu’un qui demandera une avant-garde, des patrons, des leaders et ce parce qu’il y a du racisme dans la gauche qui se dit révolutionnaire. […]

Avant l’aube de 1994, j’ai passé 10 ans dans ces montagnes. J’ai rencontré et ai personnellement interagis avec des personnes dont la mort fut la notre en partie. (NdT: Avant le 1er Janvier 1994, les leaders zapatistes ont passé 10 ans de 1983 à fin 1993 à entraîner et à éduquer politiquement, les peuples autochtones du Chiapas et ce dans la plus totale clandestinité. Ceci constitue la face immergée de l’iceberg zapatiste… Les 10 ans de préparation de terrain dans le plus grand secret, sans aucune fuite ni infiltration…) […]

Je dois dire ici que j’ai déjà demandé la permission au Subcomandante Insurgente Moisés de dire ceci: Rien de ce que nous avons fait, pour le meilleur et pour le pire, n’aurait pu être possible sans un groupement armé: l’EZLN. Sans elle, nous n’aurions jamais pu nou élever contre le mauvais gouvernement exerçant le droit de violence légitime. La violence d’en bas face à la violence d’en haut. Nous sommes des guerriers et ainsi nous savons notre place, notre rôle et le moment pour ce faire.

Dans les premières heures de l’année 1994, une armée de géants pour le moins, de rebelles indigènes, descendit dans les villes pour secouer le monde dans son sillage.

Ce n’est que quelques jours plus tard, le sang de nos soldats tombés toujours frais dans les rues des villes, que nous avons remarqué que ceux de l’extérieur ne nous ont pas vu. Habitués à regarder les Indiens depuis leurs hauteurs, ils n’ont pas levé les yeux pour nous regarder. Leur regard ne s’est arrêté que sur un métis portant un masque de ski, c’est à dire, ils n’ont rien vu.

Nos autorités, nos commandants nous ont alors dit: “Ils ne peuvent voir que ceux qui sont aussi petits qu’eux. Créons quelqu’un d’aussi petit, qu’ils puissent le voir et au travers de lui, qu’ils puissent nous voir.”

Ainsi commença une manœuvre complexe de distraction, un truc magique, un tour de passe-passe terrible et merveilleux, un coup malicieux venant du cœur indigène que nous sommes, avec la sagesse indienne défiant un des bastions de la modernité: les médias.

Ainsi commença la construction du personnage appelé “Marcos”. […]

Si je devais définir le personnage de Marcos, je dirai que sans aucun doute ce fut une ruse colorée. Nous pourrions dire, de façon à ce que vous me compreniez bien, que Marcos était des médias non-libres […]

Dans notre quête d’autre chose nous avons échoué encore et encore. Ceux que nous avons rencontré voulaient soit nous utiliser et nous mener ou alors ils voulaient que nous les menions. Il y a eu ceux qui se sont rapprochés de nous par avidité de nous utiliser ou de regarder en arrière, que ce soit avec une nostalgie militante ou anthropologique.

Ainsi pour certains nous étions communistes, pour d’autres trotskistes, pour d’autres anarchistes, pour d’autres encore millénaristes, nous vous laissons le soin d’ajouter encore quelques “-istes” à cette liste. Il en fut ainsi jusqu’à la Sixième Déclaration de la Jungle de Lacandon, l’iniative la plus osée et la plus zapatiste de toutes les initiatives que nous avons lancé jusqu’à maintenant. Avec la 6ème, nous avons finalement rencontré ceux capables de nous rencontrer face à face et nous accueillir et nous embrasser, et c’est comme çà que rencontres et embrasses sont faites. Avec la 6ème nous vous avons enfin trouvé. (NdT: Cette déclaration fut mise en pratique par La Otra Campaña ou L’Autre Campagne, qui vît des délégations zapatistes aller à la rencontre des autres personnes opprimés au Mexique en dehors du Chiapas. Cette campagne fut lancée en 2005. Les zapatistes affirmèrent par là que tout comme il y a une mondialisation du néolibéralisme capitaliste, il y a une mondialisation de la rébellion…) […]

Puis vint le cours “La Liberté selon les Zapatistes”. Durant les trois sessions de ce cours, nous avons réalisé qu’il y avait déjà une génération qui pouvait nous regarder en face, qui pouvait nous écouter et nous parler sans chercher un guide ou un leader, sans essayer d’être soumis ou suiveurs.

Ainsi le personnage de Marcos n’était plus nécessaire.

La nouvelle phase de la lutte zapatiste était prête. [..]

Je ne suis pas ni n’ai été malade ; je ne suis pas ni n’ai été mort. Ou plutôt, malgré le fait que j’ai été tué tant de fois, que je suis mort tant de fois, et bien me voici de nouveau.

Si nous avons nous-mêmes encouragé ces rumeurs, c’est parce que cela nous convenait. Le dernier grand tour de passe-passe de l’hologramme fut de simuler une maladie terminale (NdT: des rumeurs ont couru depuis 2010 que Marcos était atteint d’un cancer terminal des poumons…), incluant les morts soi-disant produites. […] Si vous me permettez un petit conseil: Vous devez cultiver un petit sens de l’humour, non seulement pour votre santé mentale et physique, mais aussi parce que sans un sens de l’humour vous ne comprendrez rien au zapatisme et ceux qui ne comprennent pas jugent et ceux qui jugent, condamnent. […] C’est notre conviction ainsi que notre pratique que pour se rebeller et lutter, il n’y a pas besoin ni de leaders, ni de patrons, ni de messies, ni de sauveurs. Pour lutter, il faut un sens de la honte, un peu de dignité et beaucoup d’organisation. Pour le reste, cela sert le collectif… ou pas.

[…]

Ceux qui ont aimé et haïs le SubMarcos savent maintenant qu’ils ont aimé ou haïs un hologramme ; que leur amour et leur haine ont été inutiles, stériles, creuses, vides. Il n’y aura pas de musée, de plaque indiquant là où je suis né et où j’ai grandi. Il n’y aura personne qui vivra d’avoir été le Subcomandante Marcos. Personne n’héritera de son nom ou de son boulot. Il n’y aura pas de super voyages à l’étranger, grassement payés pour donner des conférences. Il n’y aura pas de transport et de soins intensifs dans un hôpital. Il n’y aura pas de veuve(s) ni d’héritier(s). Il n’y aura pas de funérailles, d’honneurs, de statues, de musées, de prix ou quoi que ce soit produit par le système pour le culte de la personne afin de mieux dévaluer le collectif.

Ce personnage a été créé et maintenant ses créateurs, les Zapatistes, le détruisent.

Si quiconque comprend cette leçon de nos compañeros et compañeras, ils auront compris une des fondations du mouvement zapatiste. Ainsi ces dernières années, ce qu’il s’est passé s’est passé. Nous avons vu que dorénavant, le costume, le personnage, l’hologramme n’étaient plus nécessaires.

Nous avons planifié ceci encore et encore et encore et toujours nous avons attendu le meilleur moment pour ce faire, le bon moment du calendrier et de la géographie pour montrer ce que nous sommes vraiment à ceux qui sont vraiment.

Et puis est arrivé Galeano avec sa mort marquant notre calendrier et notre géographie, dans l’ici de La Realidad et le maintenant de la douleur et la rage.

[…]

Nous pensons qu’il est nécessaire pour un d’entre nous de mourir pour que Galeano vive… C’est pourquoi nous avons décidé que Marcos cesserait d’exister aujourd’hui.

Il partira la main dans la main avec Ombre le guerrier et la Petite Lumière de façon à ce qu’il ne se perde pas en chemin. Don Durito partira avec lui ainsi que le vieil Antonio. (NdT: tous ces personnages ont été créés au fil des années par Marcos, l’aidant dans ses narrations). Il ne manquera pas aux petites filles et aux petits garçons qui avaient l’habitude de se rassembler pour entendre ses histoires car ils sont tous grands maintenant, ils ont acquis leur propre capacité de dicernement et luttent maintenant comme lui pour la liberté, la démocratie, la justice, ce qui est de fait la tâche de tout zapatiste.

Donc compas, au vu de ce qui précède en ce 25 Mai 2014 à 2:08 du matin, depuis le front de combat du sud-est de l’EZLN, Je déclare ici que celui qui est connu sous le nom de Subcomandante Insurgente Marcos, auto-proclamé “subcomandante en acier inoxidable”, cesse d’exister.

C’est ainsi.

A travers ma voix ne parle plus l’Armée Zapatiste de Libération Nationale. Vale. Santé et jusqu’à jamais ou jusqu’à toujours, ceux qui ont compris sauront que tout ceci n’a plus d’importance, que cela n’en a jamais eu.

Depuis la réalité zapatiste

Subcomandante Insurgente Marcos

Mexique le 25 Mai 2014.”

[ Il allume sa pipe et sort de l’estrade par la gauche. Le Subcomandante Insurgente Moisés annonce qu’un autre compañero veut dire quelques mots. On entend une voix de derrière la scène ]:

Bonjour compañeros et compañeras. Mon nom est Galeano, Subcomandante Insurgente Galenao. Y a t’il quelqu’un ici appelé Galeano ?

[la foule crie “Nous sommes tous Galeano !”]

Ah bon ! Voilà donc pourquoi ils m’ont dit que lorsque je renaîtrais, ce serait de manière collective. Ainsi soit-il.

Bonne journée à tous, prenez bien soin de vous, prenez soin de nous.

Depuis les montagnes du sud-est mexicain,

Subcomandante Insurgente Galeano

Mai 2014.

*  *  *

Lien connexe: Le Commune de Paris et le Mouvement Zapatiste…

http://www.federation-anarchiste.org/spip.php?article1248

Résistance politique: Un exemple de société autogérée, non pyramidale, non coercitive: Le Chiapas (Mexique) depuis 1994…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 6 mai 2014 by Résistance 71

“Nous montrons au pays (Le Mexique) et au monde, que pour être capable de développer une bien meilleure vie, vous pouvez parfaitement le faire sans la participation aucune du mauvais gouvernement (l’État). Le progrès en éducation, santé, commerce, sont des projets que nous abordons et menons avec une société civile nationale et internationale, parce qu’ensemble nous construisons ce que nous pensons être bon pour le peuple. Pourquoi le peuple mexicain et les autres peuples d’autres pays nous soutiennent-ils ? Nous pensons que c’est parce qu’ils voient bien que rien de ce que nous faisons est seulement à cause de nous, pour nous. Nous disons simplement que tout le monde peut planifier et décider comment leur économie et leur gouvernement devraient être et nous travaillons dans la pratique à cette forme de gouvernement.”

-o-o- Subcomandante Moisés, EZLN, 2004 –o-o-

 

Rebeldia Zapatista la parole de l’EZLN

 

Subcomandante Insurgente Moisés

 

Mexique, Avril 2014, 20ème année de la guerre contre l’oubli

 

url de l’article:

http://bsnorrell.blogspot.com/2014/05/rebeldia-zapatista-word-of-ezln.html

 

article original en espagnol:

http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2014/04/24/editorial-2-rebeldia-zapatista-la-palabra-del-ezln/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Compañeras et compañeros de la sixième (declaration) et de la petite école zapatiste:

Nous continuons ici de rapporter les paroles des compañeras et compañeros, des familles, des gardiens et des enseignants sur la façon dont ils ont vu et évalué leurs élèves de la petite école. Comme ils disent ici dans ces terres rebelles, il n’y a pas de répis, on doit continuer à travailler dur.

Nous mentionnons ceci parce qu’il y a toujours plus de travail qui arrive avec les compañeras et compañeros du Congrès National Indigène (CNI). Donc vous voyez bien, c’est vrai… Pas de répis. Et même lorsqu’il y a une coupure dans ces tâches, le temps est utilisé pour travailler à soutenir les familles, mais aussi pour penser, pour étudier et à faire de nouveaux plans pour la lutte.

Ceci est important du simple fait que les capitalistes néolibéraux ne prennent pas de repos non plus et pensent toujours au comment étendre leur domination à l’infini.

Comme le dirent si bien les Compañeras et compañeros dans un des “partages” que nous avons eu ici: en juste 19 ans, nous avons mis à la poubelle le mauvais système de 520 ans d’âge de domination et nous tenons maintenant notre proppre liberté et notre propre démocratie entre nos mains et nous ne sommes juste que quelques milliers d’hommes et de femmes qui gouvernons nos propres communautés, imaginez si nous nous organisions avec quelques autres millions de personnes dans les campagnes et dans les villes.

Comme ces mêmes compañeras et compañeros le disent, ceci est grâce au fait que nous nous sommes organisés et avons compris ce que la dignité et la résistance veulent véritablement dire. Nous ne nous résignons plus aux miettes, aux dons, aux pitances qui nous étaient jetés au fur et à mesure des déceptions et des mensonges du mauvais gouvernement.

Comme le disent les zapatistes, nos arrières arrières grand-parents, nos arrières grands-parents, nos grand-parents, n’ont jamais rien reçu à manger. Bien au contraire, ce qu’ils produisaient leur était enlevé et on leur laissait des miettes afin qu’ils puissent retourner au travail le lendemain pour leur propriétaire terrien. C’est comme cela qu’ils ont vécu: exploités par le patron et le mauvais gouvernement. Pourquoi penserions-nous que le mauvais gouvernement soit diférent aujourd’hui ? Qu’il serait bon alors qu’il est constitué des arrières arrières petits-enfants des mêmes exploiteurs et qui sont les plus corrompus de notre temps ?

C’est pourquoi les nouveaux patrons sont étrangers, enfin si nous les laissons faire, si nous les pauvres hommes et femmes de la campagne et de la ville nous résignons à cela.

Il est grand temps pour les pauvres des campagnes et des villes de s’auto-organiser, temps pour les gens des campagnes et des villes de reprendre leur destinée en mains. C’est à dire, il est temps pour le peuple de se gouverner lui-même au lieu d’être gouverné par quelques individus du haut de la pyramide qui essaient juste d’être toujours plus riches. C’est facile de le voir, de le comprendre et de confirmer en pratique que c’est de fait, la seule raison de leur présence.

C’est pourquoi les compañeras et compañeros des bases de support zapatistes se sont organisés eux-mêmes et ont rêvé et ont travaillé ensemble pour déterminer leurs propres destinées, cette destinée est maintenant totalement visible. Leur façon de se gouverner eux-mêmes comme peuple et comme communautés est totalement différent ; ils gouvernent en tant que peuple et leurs représentants leur obéissent (NdT: Retour à la société traditionnelle où les “chefs” n’ont aucun pouvoir et ne font que représenter leur peuple, cf Pierre Clastres et ses études sur le changement de direction de la dette que nous avons publiées..), c’est à dire que leur gouvernement obéit au peuple. Ceci est le véritable changement, pas seulement un changement de couleurs et de logos. Qui dit que cela ne peut pas être accompli, Compañeras et compañeros de la Petite Ecole ? Cela peut-être fait, parce que c’est le peuple lui-même qui décide, de manière organisée, ce qu’il veut et ce dans tous les aspects de sa vie…

Pourquoi avoir peur de laisser les gens décider eux-mêmes du comment leur nouvelle vie sera ? Comment ne pouvons-nous pas avoir peur de la grande atrocité commise par les trois niveaux de mauvais gouvernement qui décident de notre futur contre le bien et l’intérêt général ? C’est là que les Compañeras et compañeros de l’EZLN disent que le peuple doit avoir le pouvoir de décision sur sa propre vie, parce que les gens prennent les décisions pour le bien de la communauté et non pas pour profiter de leur propres vices. Et s’ils font des erreurs, et bien ils les corrigent d’eux-mêmes. Mais les trois niveaux du mauvais gouvernement n’ont pas d’yeux ni d’oreilles pour voir et entendre, ils refusent de reconnaître toute erreur commise au sein de leur monde de domination et de mensonge. Laissons ce monde derriere nous, laissons les seuls et voyons s’ils peuvent survivre, arrêtons de nous laisser exploiter. Les Compañeras et compañeros des communautés zapatistes ont fourni un exemple à suivre.

Voilà pourquoi nous continuons à partager ici les mots des Compañeras et compañeros des bases de soutien de l’EZLN.

Ceci continuera encore et encore.

Subcomandante Insurgente Moisés.

Mexique, Avril 2014. Vingtième année de la guerre contre l’oubli.

 = = =

A lire:

“EZLN 20 et 10, le Feu et la Parole”, Gloria Muñoz Ramirez, éditions Nautilus, 2005

A notre sens le meilleur bouquin écrit sur l’histoire du mouvement zapatiste par une journaliste mexicaine qui a passé 7 ans au Chiapas entre 1997 et 2004 et a rencontré les protagonistes, vécu avec eux… longtemps.

Résistance politique à l’oligarchie mondiale: Les Zapatistes du Chiapas (Mexique) montrent la voie…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , on 23 mars 2014 by Résistance 71

… d’un nouveau paradigme politique par la résurgence indigène et l’enseignement de la pratique démocratique réelle.

Excellente analyse de la situation mondiale par le Sub Moisès.

L’avenir de l’humanité demeure dans les peuples occidentaux, libérés de l’idéologie colonialiste, se tenant aux côtés de leurs frères indigènes pour gérer ensemble la planète de manière égalitaire, fraternelle et libre.

— Résistance 71 —

 

Rebeldia Zapatista

La Parole de l’EZLN

 

22 mars 2014

 

url de l’article original en français:

http://www.lavoiedujaguar.net/Rebeldia-Zapatista-La-parole-de-l

 

 

Éditorial

Nous sommes les femmes et les hommes zapatistes, rebelles en notre propre patrie, le Mexique, parce que nous sommes menacés de destruction, au même titre notre terre-mère, menacés sous terre et sur nos terres par les personnes mauvaises riches et par les mauvais gouvernants qui ne pensent qu’à convertir tout ce qu’ils voient en marchandises pour leur seul profit : ce sont les capitalistes néolibéraux.

Ils veulent posséder tout.

Ce sont des destructeurs, des assassins, des criminels, des violeurs. Ils sont cruels et inhumains ; ce sont des tortionnaires ; ils font disparaître les gens ; ce sont des corrompus qui concentrent tout ce que l’on peut imaginer de pire. Ils sont comme ça, ils n’ont rien à faire de l’humanité. Ils sont plutôt antihumains.

Ils ne sont qu’une poignée, mais qui décide de tout ; ils décident de comment dominer les pays qui se laissent dominer : ils ont fait des pays sous-développés leur chasse gardée, leur propriété privée, et ont fait des gouvernements capitalistes sous-développés de simples contremaîtres à leur service.

C’est le cas chez nous, au Mexique. Le patron, ce sont les néolibéraux sans frontières ; leur hacienda s’appelle le Mexique ; leur contremaître de service aujourd’hui s’appelle Enrique Peña Nieto ; leurs majordomes, ce sont Manuel Velasco, au Chiapas, et tous les autres gouverneurs, comme on les appelle, de chacun des États mexicains ; leurs capitaines, ce sont les mal nommés « présidents municipaux » (maires) et autres autorités municipales.

C’est contre une telle situation, contre ce système, que nous nous sommes insurgés à l’aube du 1er janvier 1994.

Cela fait maintenant trente ans que nous construisons et mettons en pratique notre idée d’une vie meilleure, à la vue de tout le monde : le peuple mexicain et le monde entier peuvent venir voir par eux-mêmes ce qu’il en est. Humblement mais sagement, différents peuples réunis, des dizaines de milliers de femmes et d’hommes décident et choisissent comment se gouverner de façon autonome.

Nous ne cachons rien de ce que nous faisons, des buts que nous poursuivons, de ce que nous voulons ; tout est visible, à la vue de tous.

Il n’en est pas de même avec les mauvais gouvernants, à savoir, les trois mauvais pouvoirs [1] : le système capitaliste, lui, fait tout en cachette, derrière le dos du peuple.

Nous, nous partageons avec les compañeros et les compañeras du Mexique et du monde notre humble façon d’envisager ce monde nouveau que nous imaginons et désirons ardemment.

C’est pour cette raison que nous avons décidé, après réflexion, de créer l’école zapatiste.

Un lieu où il est question de la liberté et de la construction d’un monde nouveau différent de celui dans lequel nous maintiennent les capitalistes néolibéraux.

Et ensuite, chez nous, c’est le peuple qui en discute, la base directement et non pas uniquement ses représentants. Ce sont les communautés qui disent si tout va bien ou si l’organisation actuelle leur convient, et non leurs représentants. En d’autres termes, c’est la base qui vérifie si les choses se passent comme le disent ses représentants.

compañeros de la ville et de la campagne, vous méritez de partager tout cela avec nous tous, parce que c’est nous tous ensemble qui devons penser à comment doit être ce monde nouveau que nous voulons et non pas seulement nos représentants ou des dirigeants. Ce n’est pas à eux de le penser et de le dire et encore moins de nous dire si c’est bien ou non la manière dont tout est organisé. C’est au peuple, à la base, d’en juger.

Alors, à vous de dire si c’est utile pour vous d’avoir participé à l’école zapatiste.

Comme vous le verrez en lisant les textes publiés dans ce numéro de Rebeldía Zapatista, notre revue, cela a servi à ce que des personnes bonnes aux Mexique et dans le monde connaissent nos compañeros et compañeras des bases de soutien, parce que aucun gouvernement, au Mexique même, ne veut reconnaître l’existence des indigènes. Ils ne se souviennent d’eux qu’en période d’élections, comme s’ils n’étaient que des bulletins de vote.

C’est seulement en s’organisant comme ils l’ont fait, avec leur lutte, qu’ils ont pu se défendre pendant trente ans.

Ils font tout ce qui est possible, réalisent l’impossible, et ils l’ont largement démontré tout au long de ces trente ans d’existence. C’est ce qu’ils partagent et communiquent ici.

Avec cette école, nous avons fait en sorte que la parole de nos compañeras et de nos compañeros des bases de soutien zapatiste voyage beaucoup plus loin et franchissent des milliers et des milliers de kilomètres, contrairement aux balles de nos fusils à l’aube du mois de janvier 1994. Certaines n’ont parcouru que 50 mètres à peine, d’autres 100 mètres et au mieux certaines ont franchi jusqu’à 300 ou 400 mètres de distance ; les paroles, l’idée de l’école zapatiste traverse des océans, des frontières et des espaces énormes pour vous rejoindre, compañeras, compañeros.

Nous les indigènes rebelles, nous le savons bien et nous savons qu’il y a d’autres femmes et d’autres hommes rebelles qui sont indigènes et qui savent aussi ce qu’est le capitalisme néolibéral.

Et il y a d’autres frères et sœurs qui sont aussi des rebelles, sans être indigènes, qui peuvent aussi écrire et partager dans cette revue pour faire savoir leur pensée et ce qu’ils pensent du système actuel qui veut détruire la planète Terre. C’est pour cela que nous donnons également la parole, dans ce numéro de notre revue, à des compañeras et à des compañeros anarchistes.

Bien, compañeros de la Sexta, le mieux c’est que ceux qui ont assisté aux discussions et ont pu le voir avec leurs propres yeux et l’entendre avec leurs propres oreilles et en ont été satisfaits se chargent de le communiquer et de l’expliquer à ceux qui ne peuvent pas venir.

Dans ce premier numéro de notre revue, on trouvera retranscrites les paroles et la pensée de nos compañeras et compañeros des bases de soutien zapatistes, des familles, des gardes d’enfants, des instituteurs et institutrices, qui donnent leur avis sur l’école où ils partagent leurs points de vue et aussi sur les compañeras et compañeros élèves. Dans les prochaines livraisons, nous publierons l’évaluation recueillie de la bouche des professeurs, des guides, des familles et des chargés de coordination de cette école dans chacune des zones des cinq caracoles.

De la même façon que vous avez discuté entre vous ou publié ce que vous avez vécu, vu et entendu dans nos terres zapatistes, vous pourrez lire ici comment l’ont vu et entendu celles et ceux qui ont brandi l’étendard de la RÉBELLION ZAPATISTE.

Sous-commandant insurgé Moisés

Mexique, janvier 2014. 
An XX après le début de la guerre contre l’oubli.

Traduit par SWM.

Source du texte d’origine : 
Enlace Zapatista

Notes

[1] Le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire (NdT).

Résistance politique: Mondialisation de la rébellion pour un changement de société…

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“La forme de capitalisme liée à la mondialisation néolibérale est fondée sur l’exploitation, le pillage, le mépris, et la répression de ceux qui s’y opposent. En d’autres termes, la même chose qu’auparavant, mais maintenant à l’échelle planétaire… Mais ce n’est pas si facile pour cette mondialisation néolibérale, parce que ceux qui sont exploités dans chaque pays ne s’assoient pas à attendre leur triste sort, ils se rebellent et ceux qui ne s’intègrent pas et se retrouvent sur le chemin du néolibéralisme résistent et refusent d’être éliminés ; tout comme il y a une mondialisation néolibérale, il y a également une mondialisation de la rebellion…”

~ Extrait de la 6ème déclaration zapatiste de la jungle de Lacandon, Juin 2005 ~

 

Rebeldia Zapatista, La parole de l’EZLN

 

Editorial de Rebeldia Zapatista, la parole de l’EZLN

 

Subcomandante Insurgente Moisés

 

3 Mars 2014

 

url de l’article:

http://bsnorrell.blogspot.com/2014/03/rebeldia-zapatista-word-of-ezln.html

 

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Nous, les rebelles zapatistes, ainsi que notre terre-mère, sommes menacés de destruction dans notre patrie mexicaine. A la fois au dessus et en dessous de la surface de la Terre, les mauvais gouvernements, les mauvais riches, tous les capitalistes néo-libéraux, veulent transformer en commodités tout ce qu’ils voient.

Ils veulent tout posséder.

Ils sont destructeurs, ce sont des assassins, des criminels, des violeurs. Ils sont cruels et inhumains, ils torturent, font disparaître des gens, ils sont corrompus. Ils sont tout ce que vous pouvez imaginer de mauvais, ils se moquent éperdument de l’humanité. Ils sont en fait, inhumains.

Ils sont peu nombreux, mais ils décident de tout, de la façon dont ils vont dominer les pays qui se laissent dominer. Ils ont fait des pays sous-développés leurs plantations et ont assujettis les soi-disants gouvernements des pays capitalistes sous-développés. C’est ce qui s’est passé au Mexique. Les corporations néolibérales transnationales sont les patronnes, leur plantation s’appelle le Mexique, le délégué en charge actuel s’appelle Enrique Peña Nieto, les administrateurs sont Manuel Velasco au Chiapas et les autres soi-disants gouverneurs des états et les “présidents” municipaux ces mal-nommés sont les contremaîtres du système.

C’est pour cela que nous nous sommes soulevés contre ce système à l’aube du 1er Janvier 1994.

Pendant 30 ans (NdT: la phase préparatoire clandestine de la rebellion zapatiste s’est tenue entre 1984 et 1994…), nous avons construit ce que nous pensons être une meilleure façon de vivre et ce que nous avons construit est disponible pour tout le peuple du Mexique et pour le monde a voir et à analyser. C’est une chose humble, mais déterminée sainement par des dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui décident ensemble comment nous voulons nous gouverner de manière autonome et autogérée. Rien ne cache ce que nous faisons, ce que nous voulons, ce que nous recherchons. Tout est bien visible. Le mauvais gouvernement d’un autre côté, les trois mauvais pouvoirs que sont le système capitaliste, fait tout derrière le dos des gens.

Nous partageons notre humble idée du nouveau monde que nous imaginons et désirons avec les compañeros et les compañeras du Mexique et de partout dans le monde.

C’est pourquoi nous avons décidé de créer la “Petite École Zapatiste” (escuelita zapatista). Cette petite école est à propos de la liberté et de la construction d’un monde différent de celui des capitalistes néo-libéraux. De plus, ce sont les gens eux-mêmes, c’est à dire, la base de soutien populaire qui partagent ces idées et non pas juste leurs représentants. Ces gens, et non pas leurs représentants, sont ceux qui diront s’ils font bien ou si la façon dont ils sont organisés fonctionne bien. De cette façon, les autres peuvent voir si les choses sont réellement comme les représentants des gens disent qu’elles sont.

Ce grand “partage” entre nous, compañeros des villes et de la campagne est nécessaire parce que nous sommes ceux qui doivent penser comment le monde que nous désirons devrait être. Ce ne peut pas être nos représentants ou nos leaders qui pensent et décident comment le monde devrait être et ils ne peuvent certainement pas être ceux qui disent comment nous réussissons en tant qu’organisation. C’est le peuple, la base, qui doit adresser ce sujet.

Ceux qui ont participé peuvent nous dire si tout cela a aidé et a été utile.

Comme vous le lirez dans ce numéro de notre magazine “Rebeldia Zapatista”, ce processus a aidé les compañeros et les compañeras qui sont la base du soutien, à rencontrer d’autres personnes venant d’autres parties du Mexique et du monde entier. Ceci est très important parce qu’au Mexique, il n’y a pas de gouvernement qui reconnaisse les peuples indigènes. Le gouvernement ne s’en souvient qu’au moment des élections, comme s’ils n’étaient que des ustensiles à voter.

Ce n’est qu’au travers de l’organisation et de la lutte que les bases du soutien se sont elles-mêmes défendues depuis maintenant 30 ans. Ces bases de soutien populaire ont fait tout ce qui était en leur pouvoir et tout ce qui était possible, ces 30 dernières années et c’est cela qu’elles partagent aujourd’hui.

Nous avons travaillé à la création de la Petite École Zapatiste de façon à ce que les mots des compañeros et des compañeras qui sont la base de soutien de l’organisation zapatiste, puissent parvenir au plus grand nombre. Avec la Petite Ecole, leurs voix portent à des milliers et des milliers de kilomètres, non pas comme nos balles en ce 1er Janvier 1994, qui n’allèrent que 50 ou 100m devant nous, au plus loin, 400m. Les enseignements de la Petite Ecole Zapatiste traversent les océans, les frontières et les cieux pour vous atteindre, vous, les compañeros et les compañeras.

Nous les autochtones rebelles, savons qu’il y a d’autres rebellions indigènes, qui savent également ce qu’est vraiment le capitalisme néolibéral.

Il y a aussi des frères et sœurs en rebellion qui ne sont pas indigènes, mais qui écrivent pour partager avec nous dans cette édition ce qu’ils pensent et comment ils voient ce système qui est en train de détruire la planète. C’est pourquoi nous incluons également les mots de compañeros et compañeras anarchistes dans cette édition du magazine.

Et bien compañeros de la 6ème (NdT: Référence à la sixième déclaration zapatiste de la jungle de Lacandon de Juin 2005, qui déclarait l’ouverture du mouvement zapatiste vers l’extérieur), il est très bon que ceux qui sont venus aient pu voir de leurs propres yeux et entendre de leurs propres oreilles ce qu’il se passe ici et qu’ils soient repartis prêts et désireux de communiquer tout cela à ceux qui n’ont pas pu venir.

Dans cette première édition de ce magazine, nous allons commencer à partager quelques mots et idées de nos compañeras et de nos compañeros qui sont la base du soutien zapatiste, les familles, les gardiens, les gardiennes et les enseignants, sur la façon dont ils ont perçu les étudiants de la Petite École Zapatiste. Dans les premières publications de notre magazine, nous allons partager les évaluations faites par les enseignants de la petite école, les votanes, les familles d’accueuil et les coordinateurs des zones des cinq caracoles (NdT: Le Chiapas zapatiste est divisé en 5 zones d’autodétermination populaire de bon gouvernement: les “caracoles” ou “escargots” en espagnol).

De la même manière que vous avez pu parler ou publier ce que vous avez vécu, vu ou entendu dans notre territoite zapatatiste, vous pourrez lire ici comment nous avons vu et entendu ceux qui sont venus et ont levé le drapeau de la rebellion zapatatiste.

Subcomandante Insurgente Moisés

Mexique, Janvier 2014, 20 ans après le débur de la guerre contre l’oubli.

Résistance politique: Plongée dans l’école zapatiste mexicaine…

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À l’école des zapatistes

 

lundi 27 janvier 2014, par Georges Lapierre

 

url de l’article original:

http://www.lavoiedujaguar.net/A-l-ecole-des-zapatistes

 

Morelia, Torbellino de nuestras palabras, « Tourbillon de nos paroles », caracol [1] zapatiste sur les hauteurs d’Altamirano qui dominent la plaine d’Ocosingo, il fait nuit, il bruine, nous distinguons des attroupements, les couleurs vives du corsage des femmes tzeltales ou tzotziles, des feux sous de sombres marmites, zones d’ombres et zones de lumière. Le voyage depuis San Cristóbal n’a pas été trop long, entre trois et quatre heures, plutôt l’attente avant d’être répartis dans les camions, redilas [2] ou autobus en partance pour les cinq caracoles, les centres régionaux zapatistes. À la descente de l’autobus, chaque voyageur se voit attribuer un ange selon son sexe. Il y a deux files d’anges à gauche de la porte, si le catéchumène est de sexe masculin, c’est un ange que l’on peut supposer du même sexe qui l’accompagnera durant tout son séjour, s’il s’agit d’une femme ou d’une petite fille, c’est un ange de l’autre file qui en prendra soin. Ainsi se trouve résolue la question du sexe des anges. Le hasard semble commander cette répartition et nous voilà déambulant dans la boue accompagnés de notre ange gardien ou votán ou plus simplement guardián ou guardiana. Nous ne sommes plus en enfer mais nous ne sommes pas encore au paradis ; nous ne sommes pas non plus tout à fait morts, du moins nous le supposons, mais cela fait une impression étrange d’errer, de nous rencontrer et de nous saluer en telle compagnie.

Je bois un café avec des tortillas séchées, quelques haricots et du riz, avant de prendre le chemin du dortoir, qui se trouve en plein vent, dans ce qui sera l’auditorium le lendemain ; peu de places disponibles si bien que mon gardien finit par me proposer le bureau de la « banque », où je serai vite rejoint par d’autres âmes aventureuses.

Premier jour, les professeurs passe-montagne forment comme une frise chevaleresque au-dessus des tables tout le long de l’estrade ; à tour de rôle, ils parleront de l’organisation politique de la population zapatiste : des assemblées communales ou locales, dites encore régionales, au conseil municipal et aux diverses commissions et des conseils municipaux à la junta de buen gobierno du caracol, centre politique d’une zone étendue comprenant de trois à neuf municipalités zapatistes.

Pendant plus de sept ans l’EZLN a mené campagne pour faire reconnaître les droits et la culture des peuples indiens, une campagne pacifique faite de dialogues, de rencontres, de manifestations diverses, en vain. En février 2001, sensibles à l’ouverture que semble représenter l’élection de Vicente Fox — représentant un autre parti que le PRI — à la présidence de la République, les zapatistes (représentés par vingt-trois commandants plus le sous-commandant Marcos) entreprennent une longue marche [3] sur Mexico pour promouvoir les accords de San Andrés. Tout au long de son périple, la Marche de la couleur de la terre reçoit un accueil enthousiaste. Forts de ce soutien populaire et d’avoir pu faire entendre leurs doléances lors d’une session du Congrès de l’Union, les zapatistes retournent au Chiapas au cours du mois de mars.

Le 25 avril, le gouvernement approuve à l’unanimité, tous partis confondus, une réforme constitutionnelle sur la question indienne. Cette réforme constitutionnelle va à contre-courant des accords de San Andrés, dont elle ignore délibérément les points capitaux. Elle est la parfaite expression de la peur et du mépris, ces deux sentiments confondus, de la classe politique confrontée à l’exigence des peuples. C’est une loi indigéniste, où tous les éléments qui auraient favorisé l’autonomie et la libre détermination ont été effacés. Les peuples sont considérés comme entités d’intérêt public, ils ne sont toujours pas reconnus comme sujets de droit.

Fin du dialogue avec l’État, les peuples zapatistes commencent sans plus attendre à édifier pratiquement leur autonomie. Elle se définit par le lien qui unit étroitement l’activité politique et une activité sociale reposant sur des valeurs, disons traditionnelles, comme le sens de la responsabilité face à la collectivité, la solidarité, le travail en commun (tequio ou faena), la réciprocité…

Chaque commune zapatiste a redéfini ses limites territoriales en fonction de critères qui lui sont propres et qui touchent à la langue parlée, à l’histoire, à la géographie, aux échanges, aux usages qui ont cours, à la tradition, au mode de vie. C’est en prenant en compte cet ensemble de critères permettant aux habitants de se reconnaître et de former somme toute un assortiment assez homogène de communautés, de villages et de hameaux, que furent créées les municipalités zapatistes — non par une décision venue d’en haut mais par décision des assemblées locales. Ce furent celles-ci qui décidèrent par consensus leur regroupement à l’échelon municipal et, de l’échelon municipal à celui du caracol.

Les assemblées locales dites encore régionales désignent leurs représentants au conseil municipal où ils occuperont pendant trois ans, à titre bénévole, des charges dans différentes commissions (justice, santé, éducation, production…). Cette recomposition des Municipios Autónomos Rebeldes Zapatistas (Marez) s’est faite d’une manière très pragmatique, les zapatistes ont tenu compte de la division des communautés entre zapatistes et partidistas [4] (rares sont les communautés entièrement zapatistes) et de la dispersion des zapatistes au sein de la population indigène qui en découle. Bien souvent l’assemblée locale regroupant les zapatistes d’une région tient lieu d’assemblée communale, c’est elle qui désigne les « autorités » responsables et décide des initiatives. Ces autorités seront les délégués de la région au niveau de la municipalité zapatiste où, réunies avec les délégués d’autres régions, elles désigneront les autorités municipales et les responsables des commissions ; ce même schéma est reproduit au dernier et troisième niveau, celui du caracol, centre politique et administratif d’une zone étendue regroupant plusieurs municipalités.

Face au processus généralisé de destruction et d’érosion de la vie sociale, les zapatistes ont réagi. Ils ont, d’une part, renforcé les institutions traditionnelles comme l’assemblée et le système des « charges » ainsi que le travail collectif et, d’autre part, innové en prenant en compte d’autres domaines, qui étaient jusqu’à présent du ressort de l’État, ou encore laissés à l’initiative individuelle, comme l’éducation, la santé, la justice, la production et la commercialisation de certains produits destinés à l’exportation dont le café. Nous avons affaire à une mise en place d’une autonomie politique prenant racine dans ce que j’appellerai, faute de mieux, une culture (un passé, une mémoire, une histoire, un savoir-vivre). L’autonomie ne concerne pas seulement le domaine politique, celui de l’autogouvernement (c’est la partie la plus visible), elle touche aussi tout cet immense pan de la vie sociale, ignoré par les professionnels de la politique et dont on parle moins. L’autonomie concerne aussi les fêtes, les rituels, les obligations réciproques, les échanges de services, tous les usages et les savoir-vivre d’une population, qui a forgé le « vivre ensemble » et, si possible, le « bien vivre ensemble ». À l’individualisme exacerbé, au chacun pour soi, à la guerre de tous contre tous, les zapatistes opposent le sens de la collectivité et du bien commun. Ce sont de vieilles valeurs qui ne nous sont pas totalement étrangères, qui éveillent encore de vagues souvenirs et, parfois, de vagues nostalgies : la vie communale, la communalité, les biens communaux.

Les zapatistes sont des communalistes en résistance.

Avec la création des municipalités autonomes (Marez), nous avons affaire à l’expression d’un pouvoir ; ce pouvoir, que nous pourrions qualifier de communal, n’est pas abstrait de la vie sociale proprement dite, des modes de vie, des usages et des mœurs, il n’entre pas en contradiction avec les habitus de la population. Le pouvoir est l’émanation d’une volonté commune, consensuelle ; loin de contrarier la cohésion sociale, il la renforce. L’autonomie politique va de pair avec un mouvement de reconstruction culturelle et de renforcement des valeurs sur lesquelles repose la vie communale. Elle apparaît comme l’émanation de la vie commune, l’expression de l’intérêt commun. L’organisation politique mise en avant par les zapatistes n’est alors qu’une étape dans un processus beaucoup plus profond de recomposition d’une vie sociale sans État, sans pouvoir séparé. Nous en sommes sans doute encore loin, mais nous avons là un premier pas, le pas qui enclenche et engage tout le processus : une organisation sociale qui n’a pas été dictée d’en haut, mais qui s’est construite peu à peu, par tâtonnements successifs (avec des erreurs, des retours en arrière), d’une manière presque organique, à partir d’un savoir-vivre ancestral.

En fin d’après-midi, les néophytes et leurs anges se préparent à partir pour les agences locales ou les communautés d’accueil. La répartition est faite en fonction des possibilités d’accueil de chaque agence. Le caracol de Morelia comprend trois municipalités rebelles : Lucio Cabañas, 17 Novembre et Commandante Ramona. Il est très étendu : d’un côté, il dépasse Ocosingo en direction de Palenque ; de l’autre, il s’étend jusqu’à Comitán. À partir de Morelia, le temps des trajets varie d’une heure à plus de quatre heures. Nous nous entassons dans les redilas, je me retrouve avec toute une bande d’anges des deux sexes, guardián et guardiana, une bande d’étourneaux prête à s’envoler, et l’on plaisante, et l’on rigole, et les yeux brillent dans la fente des passe-montagnes, ils ont la jeunesse de l’éternité. Je ne suis pas l’étranger, un kaxlan [5] que l’on craint, l’inconnu que l’on appréhende, mais l’étranger qu’on accueille, qu’on protège, qu’on instruit et j’apprécie de me retrouver sur ce pied d’égalité avec des gamins et des gamines. Ils avaient, quoi ? Quatre ans, cinq ans en 1994 au moment de l’insurrection ? La relève semble assurée, en tout cas ces jeunes sont sûrs de leur fait et vont de l’avant sans appréhension, sans inquiétude, avec même un certain enthousiasme et une joie de vivre certaine.

Avec la nuit tombe une pluie très fine, glacée, qui nous gèle peu à peu, si bien que nous arrivons à notre destination, l’agence locale Primero de Enero, tout grelotants. Nous sommes conduits dans un immense hangar ouvert à tout vent où nous sommes reçus avec musique et discours de bienvenue par les autorités locales en présence de toutes les familles zapatistes de la région.

Primero de Enero est une ancienne finca dont les terres furent occupées en 1994. Elle se trouve à la sortie d’Ocosingo sur la route qui mène à Palenque. En 2000, dans le cadre de la guerre dite de basse intensité menée dès le début contre les zapatistes, les occupants de la finca se divisèrent entre ceux qui acceptèrent les projets d’assistance du gouvernement pour entrer dans une organisation liée aux partis politiques, l’ORCAO, et ceux qui ne se rendaient pas. Je me souviens bien de cette guerre fratricide attisée par le « mauvais gouvernement » et qui avait abouti à l’incendie de la tienda zapatiste Arcoíris (magasin Arc-en-ciel), qui se trouve, elle, de l’autre côté d’Ocosingo. Aujourd’hui, la tienda a repris ses belles couleurs, je l’ai repérée sur le chemin du retour. Le calme est revenu, les ex-zapatistes membres de l’ORCAO et les zapatistes vivent côte à côte, ils ne se parlent pas.

Après cette petite cérémonie, une autorité nous attribue nos familles d’accueil et nous partons tous les cinq, le mari, l’épouse, une petite fille, qui dit s’appeler Marta-Estella, mon gardien et moi (ou moi et mon gardien) dans la nuit et dans la boue jusqu’à la maison.

Deuxième journée, petit déjeuner, le mari s’enferme dans un mutisme convenu, l’épouse est souriante et avenante ; comprend-elle l’espagnol ? Sans doute. Le parle-t-elle ? Peut-être. La petite fille comprend et parle le castillan mais elle obéira à la consigne : ne pas parler avec l’étudiant et passer par l’ange gardien pour communiquer avec lui. Ils parlent tzeltal en ma présence et font ceux qui ne comprennent pas le castillan, je ne suis pas dupe et ils le savent, une petite connivence pointe le bout de l’oreille, mais c’est la consigne, non ? Et nous la respecterons. Peur des indiscrétions ? Des malentendus ? De l’envahissement ? Je ne sais pas, mais nous devons passer par la médiation de l’ange gardien. Cela ne me gêne pas trop d’autant que les possibilités de parler avec les zapatistes qui ne sont pas directement impliqués ne manqueront pas, frères, beaux-frères, voisins, seulement j’éviterai de me montrer trop indiscret.

Nous partons nettoyer la milpa, qui n’est pas très éloignée, une demi-heure de marche à peine, sur une terre ejidal partagée entre zapatistes, deux récoltes par an, le climat s’y prête, les plants de maïs ont poussé, quatre ou cinq feuilles déjà et c’est la première étape de limpieza, qui consiste à enlever avec une sorte de pioche les herbes qui entourent les plants. Mon gardien y retrouve son père qui a accueilli un couple homo, ils sont cinq à travailler d’arrache-pied sur sa parcelle, ce qui m’amène à me poser une nouvelle fois, pour un bref instant, la question du sexe des anges.

Nous retournons assez vite à la maison pour prendre le pozol, de l’eau dans laquelle a macéré du maïs moulu, l’épouse mélange bien le tout avec ses doigts, c’est frais et nourrissant. Le lendemain elle m’enseignera comment faire le pozol et comment faire les tortillas ; la cuisson du maïs est un peu différente dans les deux cas, moins longue pour le pozol, le grain après avoir bouilli avec une cuillère à soupe de cal (chaux) doit être encore assez ferme, il est ensuite lavé à grandes eaux plusieurs fois, quatre ou cinq, puis moulu assez grossièrement dans un petit moulin à main fixé sur la table. L’opération est la même pour les tortillas seulement la cuisson est plus longue et le maïs moulu plus finement ; avec cette farine mélangée à l’eau, la ménagère fera des petites boules de pâte dans ses mains, qu’elle aplatira avant de les mettre à cuire sur le comal.

Nous nous retrouvons, mon gardien et moi, dans la vaste baraque qui sert de chambre à coucher, la famille y a son lit dans un coin entouré de rideaux, nous avons nos lits de planches dans les deux coins opposés, tout un pan est occupé par des caisses en carton et par un fil à linge où sont pendus les vêtements. Une petite table avec deux chaises se trouve au milieu de cette vaste pièce. Notre table de travail et d’étude. Nous nous plongeons, chacun de notre côté dans la lecture des cuadernos de texto de primer grado del curso de « La libertad según l@s zapatistas » (cahiers de texte de cours premier degré « La liberté selon les zapatistes »). Parfois je pose une question à laquelle mon guardián répond, il a été maître d’école, maintenant il fait partie de la commission de production.

Au tout début du soulèvement zapatiste, j’avais été surtout sensible à l’idéologie dont il était porteur, une idéologie qui s’ancrait dans l’histoire, histoire des civilisations, histoire des peuples, avec ses mouvements souterrains, ses oscillations, ses à-coups, ses avancées, tout ce travail géologique des sociétés sur elles-mêmes, mouvements de libération des nations, mouvement d’émancipation des peuples.

Je voyais le mouvement zapatiste à la croisée des chemins entre un mouvement pour la révolution de type marxiste et un mouvement pour l’autonomie des peuples, le mouvement pour l’autonomie atténuant le travers concernant le mouvement marxiste pour la révolution.

le sous-commandant Marcos a eu plusieurs fois l’occasion de révéler combien les relations nouées au tout début avec les communautés tzeltales, tzotziles, choles ou tojolabales au fin fond de l’État du Chiapas ont pu arrondir les angles révolutionnaires de ce petit groupe de guérilleros parti à la poursuite d’un rêve, celui du « Che » pénétrant les profondeurs de la jungle bolivienne pour y fomenter la révolution. C’est un rêve tenace, que nous comprenons mal en Europe. Il se situe juste à la frontière où se confondent les eaux de trois grands courants : le courant de la libération des nations colonisées par l’Occident chrétien, celui de la révolution sociale et enfin celui de l’émancipation des peuples. L’autonomie des peuples est alors perçue comme le premier pas dans un processus d’émancipation concernant la nation mexicaine tout entière, qui, prenant racine dans son passé préhispanique, retrouvera, après ces temps obscurs de la colonisation, le fil de son histoire — d’une histoire libérée du capitalisme.

Alors qu’en Occident le capitalisme reste lié à l’histoire intérieure de la société européenne, ici il est saisi comme une manifestation du colonialisme, comme une idée venue d’ailleurs : se libérer de la domination de l’Occident, c’est, dans le même mouvement, se libérer du capitalisme. Les États-Unis sont perçus par cette ancienne colonie de la couronne espagnole à la fois comme une nouvelle métropole et la pointe avancée du monde capitaliste. L’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) est née de la rencontre fortuite dans la Selva Lacandona de Simón Bolivar et de Karl Marx.

Ce point de vue sur le monde ne manque pas d’intérêt, il permet de saisir l’activité capitaliste pour ce qu’elle est : la pratique d’une pensée séparée, étrangère à celle qui anime les peuples, extérieure et coercitive, s’imposant par les armes. Nous, en Occident, nous la saisissons comme aliénation, l’histoire de l’Occident est alors perçue comme l’histoire de l’aliénation de la pensée, ce qui est un peu différent. Nous saisissons l’argent comme aliénation de notre propre pensée de l’échange, faire la révolution consiste à se ressaisir d’une pensée qui ne nous appartient plus, et qui, comme un petit ballon dont nous aurions lâché la ficelle, s’est irrémédiablement éloignée de nous. Pour les peuples des Amériques, la pensée de l’échange, ou pensée de l’activité sociale, de leur activité sociale, n’est pas éloignée des gens, elle entre seulement en conflit avec une autre pensée venue d’ailleurs.

La petite école, la escuelita, en me faisant partager le quotidien d’une famille zapatiste, m’apporte une perspective différente, plus terre-à-terre, plus pragmatique, elle ne contrarie pas nécessairement le point de vue de l’historien ou du théoricien, mais, entre passé et futur, elle m’offre le présent. Et dans ce quotidien, je rencontre des gens, des gens en lutte, des gens qui s’organisent pour résister à l’avancée, qui semble inéluctable, du monde occidental, chrétien et capitaliste. Elle a donné un visage ou, plutôt, des visages au mouvement zapatiste. Ces femmes et ces hommes, qui ont dû se cacher, mettre un passe-montagne ou un paliacate, pour se rendre « visibles », se montrent tels qu’ils sont à leurs invités. Contradiction ? Je ne le pense pas : avec le passe-montagne ils se rendent visibles aux yeux de l’État tout en se cachant devant sa police. Dans la relation avec nous, les invités, une rencontre (dont ils ont eu l’initiative) est possible, envisageable même, et ils nous donnent à voir leur vrai visage.

Troisième jour, c’est dimanche, je veux aller sarcler les plants de maïs, pas de travail le dimanche, me dit mon ange gardien. Nous nous baladons, nous allons voir la clinique et je discute avec les promoteurs de santé qui me paraissent très compétents ; en tout cas, ils prennent leur travail au sérieux. Il y a aussi un dentiste, une famille vient se faire soigner les dents. Nous nous rendons à la finca Primero de Enero où un collectif de femmes prépare des petits pains avec des étudiantes qui mettent la main à la pâte. La plus grande partie de la communauté zapatiste est là et nous discutons à bâtons rompus par petits groupes, c’est dimanche. Plus tard, après avoir mangé quelques petits pains sortis tout chauds du four, nous suivons un collectif de femmes sur la colline qui domine l’agence municipale, elles y ont un champ collectif. Elles veulent nous montrer comment on sème le maïs. Munies chacune d’un bâton pointu, elles avancent rapidement ; à chaque pas, elles creusent avec le bâton un petit trou dans lequel elles jettent trois grains de maïs, elles travaillent vite, elles s’amusent aussi, c’est seulement une démonstration, c’est dimanche ; je me suis assis à l’ombre, une famille est venue me rejoindre et partage avec moi des chayottes préalablement cuites à l’eau. Ah, j’oubliais, il y a eu aussi de grands matchs de basket, équipes féminines et équipes masculines, étudiant•e•s contre zapatistes, enfin pas tout à fait, il fallait tout de même équilibrer les équipes si l’on voulait rendre la partie intéressante, alors des étudiants sont passés du côté des zapatistes pour affaiblir leur équipe et des zapatistes sont passés du côté des étudiants pour renforcer l’équipe. C’était dimanche.

En octobre 2007, à Vícam, dans le désert ocre des Yaquis, dans l’État de Sonora, eut lieu, à l’initiative des zapatistes, une rencontre des peuples du continent dit américain. Le front fut tout de suite dessiné entre l’esprit des peuples reposant sur une relation de sujet à sujet étendue à tout l’environnement et le monde des Blancs éminemment destructeur, dominé par l’intérêt privé :

« Mon peuple comme beaucoup d’autres, vient d’une société matriarcale, où les femmes sont les protectrices de la terre. Traditionnellement, elles ont pour rôle de veiller sur les rivières, les lacs, la terre, les enfants, la nourriture. Au XIXe siècle, les colonisateurs en furent choqués ; ils y virent un obstacle au vol des terres et à leur domination. Ils définirent aussitôt quel devait être le rôle des femmes. Ils entreprirent d’éradiquer l’Indien en nous, de bannir notre identité en promulguant des lois qui nous interdisaient l’accès aux poissons, aux rivières, à la terre. L’Indian Act, promulgué en 1876, remplace notre identité indienne par une autre identité, qui se définit par une lignée exclusivement patriarcale. [6] »

Pour les tribus indiennes, la guerre se présente comme une confrontation entre deux civilisations : la civilisation indienne en osmose avec son environnement, qui connaît une relation de sujet à sujet avec tout ce qui existe, et la civilisation blanche en rupture avec tout ce qui existe, ne connaissant qu’une relation dominatrice de sujet à objet.

Pour les peuples mésoaméricains ou andins ainsi que pour le monde métis, le rapport avec le monde occidental est plus nuancé, des passerelles sont jetées, ce n’est plus la confrontation entre deux cosmovisions incompatibles. Pour eux, la lutte des peuples rejoint la lutte des classes et la guerre de libération tourne à la révolution. Dans le premier cas, le conflit oppose les nations indiennes à la société occidentale. Ce n’est même pas l’État, ou son absence, qui est évoqué pour définir l’opposition entre les deux formes de société, mais le mode de vie : guerre entre deux civilisations, entre deux courants civilisateurs. Dans le second cas, l’État pointe le bout de son nez avec le terme de nation (au singulier, l’État national) ; la confrontation devient une guerre de libération nationale, et l’armée, une armée de libération nationale (EZLN [7]). Le fantôme de l’État hante le mouvement zapatiste comme il hante aussi bien les mouvements de libération nationale que les mouvements révolutionnaires. Héritage des civilisations théocratiques mésoaméricaines et andines, la survivance de l’esprit politique et de son idéologie au sein du monde indigène vient perturber, troubler et corrompre le mouvement d’émancipation des peuples. Force ou faiblesse des zapatistes ?

Cet héritage préhispanique permet aux zapatistes de faire le pont entre la lutte des peuples pour l’autonomie et le marxisme qui, sous diverses formes plus ou moins travesties (d’Ivan Illich à Immanuel Wallerstein en passant par l’Église des pauvres et la théologie de la libération et, pendant que nous y sommes, par Hardt et Negri), continue à hanter la pensée occidentale et chrétienne. Nous devons reconnaître que le mouvement zapatiste, à la croisée des chemins entre libération nationale, révolution et émancipation, ne privilégie pas une voie particulière. Cette situation lui donne une souplesse qui le conduit à rechercher la rencontre et le dialogue avec les différents courants souterrains qui agitent la société mexicaine et, plus généralement, les laissés-pour-compte du monde capitaliste. Trouver et se faire des alliés dans un combat si inégal, ne pas couper les ponts, reste l’élément clé, crucial, d’une stratégie.

Recouvrer les fondements de la vie sociale mexicaine, el México profundo, pour secouer le joug de la domination néocoloniale : redonnons la parole à la population indigène du Mexique, qu’elle soit métisse ou indienne ; reconstruisons une nouvelle relation entre la nation et l’ensemble des citoyens qui la composent, « en bas et à gauche » ; libérons la politique séquestrée par les politiciens à la solde des États-Unis et des multinationales ; faisons « une révolution qui rende possible la révolution » (dixit le sous-commandant Marcos). Cette idée se trouve à l’origine de toutes les initiatives prises par les zapatistes en direction de « madame la société civile », elle explique le sens de la « Convention démocratique » et du « Mouvement de libération nationale » au tout début du soulèvement zapatiste jusqu’à l’« Autre Campagne » (la Otra) en passant par le « Front zapatiste de libération nationale ». Et aujourd’hui, la Sexta, entendu la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone vue comme un manifeste pour une nouvelle internationale. Les zapatistes ont de la suite dans les idées, c’est le moins que l’on puisse dire. Maintenant la escuelita.

L’histoire politique de ce mouvement est faite de l’enthousiasme des rencontres et des fiançailles auxquels succèdent les déceptions et les séparations. Pourtant, à travers tous ces aléas de la vie politique, toutes ces péripéties, le mouvement zapatiste reste lui-même, il s’approfondit, je dirai qu’il s’éclaircit, il retrouve l’origine historique qui fut la sienne dès le début : un mouvement social de récupération des terres et des territoires.

En prenant pied au sein d’une communauté zapatiste, dans des familles tzeltales et tzotziles, dans les environs d’Ocosingo, je retrouve cette origine, je prends contact avec un commencement et ce commencement est une victoire et une résistance. Que signifie cette victoire, la victoire des peones et des petits paysans indigènes sur les terratenientes, les grands propriétaires, les éleveurs de bétail de la vallée d’Ocosingo ? Elle signifie libération, elle signifie émancipation. Maintenant, il s’agit de tenir, il s’agit de résister. Ce qu’ils font. La résistance est une accumulation de force (se désagrègent, se décomposent toutes les parties faibles jusqu’au noyau dur) pour une nouvelle offensive. L’offensive d’ailleurs fait partie de la résistance, mais c’est une offensive qui se développe, qui se construit lentement à partir de positions préalablement renforcées.

Quatrième jour, nous aiguisons les machettes, rassurez-vous nous n’allons pas partir à la conquête d’Ocosingo, nous allons plus simplement débroussailler le potrero, le potrero dans notre cas est une partie de la montagne laissée en friche et consacrée à l’élevage. Les autres étudiants accompagnés de leur ange gardien et du chef de famille nous rejoignent à l’agence Primero de Enero et nous partons en file indienne en direction de la montagne, nous traversons le hameau où habitent ceux de l’ORCAO et nous montons tout doucement, nous longeons des cafetales, c’est le moment de la récolte du café ; certains arbustes sont malades avec quelques grains de café accrochés à des branches nues comme des squelettes. Ils ne peuvent pas le vendre mais ils me disent qu’ils s’en servent pour le « nescafé ». Ils appellent « nescafé » le pseudo-café, qu’ils font avec des haricots blancs et ronds (frijoles) grillés, réservé à un usage domestique. Nous traversons un río sur une étroite poutre et le sentier se fait un peu plus raide. La promenade est très agréable. Nous arrivons assez vite à destination, petite halte avant de se lancer à l’attaque des feurtaches (buissons, mais cette fois c’est un mot de chez nous) ; parfois nous nous arrêtons pour aiguiser avec une lime la machette. « Est-ce la machette qui ne coupe plus ou la main qui fatigue ? » me demande avec un sourire mon compagnon de corvée, un vieux de la vieille, « je crois bien que c’est la main ». Au détour d’un buisson, je me trouve nez à nez (c’est une façon de parler) avec un taureau, mais pas n’importe quel taureau ! Une vieille connaissance, un taureau charolais (ils prononcent « tcharolaille »), enfin presque, il lui manque quelques rondeurs aux fesses (j’apprendrai qu’il est un mélange de tcharolaille et de suisse). C’est un troupeau commun ou collectif de quarante-cinq vaches, ils gardent les génisses et se réservent les taurillons pour la vente, ils ont un troupeau d’une quarantaine de veaux dans un autre endroit. L’argent de la vente est utilisé pour des initiatives à caractère collectif. Les femmes aussi, de leur côté, ont commencé à se constituer un troupeau de moutons, pour la viande, ni pour le lait et fromage ni pour la laine, du moins pour l’instant. Elles nous le montreront dans l’après-midi.

« Nos camarades vont pouvoir continuer à travailler pour construire leur autonomie concernant la santé, l’éducation, les travaux collectifs et à former leurs propres autorités, mais toujours dans le respect des autres (…). L’autonomie des peuples, voilà ce que ne veulent pas nos mauvais gouvernements parce qu’ils veulent continuer à tenir sous leur domination les peuples originaires et ils ont beaucoup de haine quand nous, les peuples indiens, apprenons à nous organiser et à nous gouverner seuls mais, quoi qu’il en soit, personne ne pourra arrêter cette lutte qui nous anime. » Cette déclaration a été envoyée le 13 octobre 2010 par le conseil de bon gouvernement « Cœur central des zapatistes devant le monde », dans l’État du Chiapas. Elle annonce le retour dans leur communauté de San Marcos Avilés des Indiens zapatistes, qui en avaient été chassés quelque temps plus tôt sur l’ordre des partis politiques.

La récupération des terres accaparées par les finqueros est aussi une réappropriation de leur territoire par les peuples indiens de la région et cette réappropriation du territoire est en même temps l’affirmation d’une autonomie, autonomie politique mais aussi, plus largement, autonomie sociale. Elle est l’affirmation d’un mode de vie, qui, pour se renforcer et se reconstruire est amené à se confronter à l’État, à l’espace occupé par l’État mais aussi à l’espace occupé par un autre mode de vie, le mode de vie développé par le système-monde capitaliste. L’EZLN est là pour maintenir autant que faire se peut l’État mexicain à distance de ce processus de consolidation, il se présente comme une armée rebelle destinée à disparaître dès que le gouvernement aura reconnu l’autonomie des peuples indiens, ce n’est pas pour demain. L’EZLN, le bras armé des zapatistes, forme comme un cordon protecteur, dégageant un espace d’autonomie à l’intérieur duquel les gens ont pu garder leur liberté de mouvement leur permettant de développer une vie sociale qui leur est propre : « D’autres révolutionnaires disent qu’ils vont prendre le pouvoir, mais ils ne font rien ; nous, nous disons que nous n’allons pas prendre le pouvoir et nous nous organisons vraiment » (insurgée Gabriela).

La tactique de l’État consiste à profiter des conditions de vie désastreuses dans lesquelles il a plongé depuis plus de cinq cents ans les peuples et du besoin tragique de terres pour pervertir les mécanismes traditionnels de cohésion sociale et prôner l’intérêt particulier, le chacun pour soi, contre la communauté. Dans cette guerre de tous contre tous dont il est le promoteur, il a levé les paysans les uns contre les autres pour quelques arpents de terre, en l’occurrence les paysans affiliés aux partis d’État (PRD ou PRI) contre les zapatistes. Il a aussi créé de toutes pièces tout un réseau de paramilitaires afin de faire obstacle à l’avancée zapatiste dans les villages qui, à ses yeux, ont une position stratégique dans la guerre dite de basse intensité.

Dans l’expérience zapatiste, nous voyons à l’œuvre une pensée stratégique qui s’exerce dans deux directions : le premier axe est celui de la confrontation avec l’État où il s’agit de manœuvrer au plus juste pour préserver (ou étendre) un espace d’autonomie conquis de haute lutte sur les forces de destruction ; le second axe est celui de la construction, du renforcement et du développement de l’autonomie, il ne s’agit pas d’intervenir directement dans ce processus, mais d’offrir les conditions favorables à son développement, c’est dans ce cadre que s’inscrit l’initiative des caracoles. « Là ce qui aide beaucoup, c’est l’expérience ancestrale des communautés, qui vient de siècles accumulés, d’abord pour se développer au sein de leurs cultures, et ensuite pour survivre aux diverses tentatives d’anéantissement et d’ethnocide qu’elles ont subies tout au long de leur histoire, de la découverte de l’Amérique jusqu’à nos jours » (sous-commandant Marcos, juillet 2003).

L’État, c’est-à-dire l’ensemble de l’appareil institutionnel et administratif, n’est que l’instrument coercitif d’une pensée asociale qui le dépasse, ce que nous appelons le système-monde capitaliste. La collectivité zapatiste qui m’a accueilli ne se confronte pas seulement à l’État mexicain, elle se confronte à tout un monde, le monde occidental, chrétien et capitaliste. Ce monde marchand est un monde asocial, un monde à l’envers, dominé par l’intérêt particulier, le sauve-qui-peu, la guerre de tous contre tous, le chacun pour soi, l’individualisme. Comment résister à l’attraction de ce monde inversé, de ce trou noir ? Comment résister à l’attraction de la marchandise ? Aux chants de sirène de la propagande commerciale ? Comment résister à l’argent et à tout ce qu’il représente ?

Dans cette confrontation, l’expérience zapatiste est une expérience unique au monde par son ampleur, elle oppose pratiquement un point de vue sur le monde, le point de vue du vivre ensemble, le point de vue communaliste, au point de vue individualiste et asocial du marchand. Elle s’appuie, certes, sur une tradition ancestrale, et cette tradition ancestrale ne nous est pas totalement étrangère, mais elle doit aussi tout réinventer, tout reconstruire à travers cette confrontation, au fur et à mesure, à chaque instant de cette confrontation. C’est une certaine idée de l’homme et de la femme qui fait son chemin. Ce n’est pas une idée préconçue, c’est une idée qui chemine. C’est une idée qui ne tient plus qu’à un fil.

J’apprends que c’est notre dernier jour ici et que demain nous allons nous lever à l’aube pour retourner à Morelia. Le temps a passé très vite, trop vite. Mon hôtesse a été très attentionnée, souriante, agréable et pas seulement dans le but d’accomplir au mieux son « devoir d’hôtesse à l’égard de l’invité », il y avait cette sympathie, cette sincérité, cette ouverture sur l’autre, cette curiosité qui rendent possibles les rencontres et les échanges.

En fin d’après-midi de ce dernier jour nous avons pique-niqué en famille, les familles d’accueil, les étudiants et leurs anges gardiens ; le collectif des femmes avait préparé l’atole et les tamales. Et puis, le soir, nous nous sommes tous réunis dans le hangar pour des adieux en musique et en discours, pas des discours-discours mais des discours-paroles.

Cinquième jour, nous nous retrouvons, étudiants, anges gardiens et familles d’accueil, au petit jour sur le terre-plein de l’agence Primero de Enero ; le temps de remercier les familles qui nous ont reçus et nous nous entassons à nouveau dans la bétaillère, il bruine, aussi nous retrouvons nous sous la toile en quête d’un peu d’air frais, heureusement le voyage n’est pas trop long, nous nous arrêtons même un instant en cours de route. Arrivés au caracol de Morelia, nous retrouvons ceux qui étaient partis dans d’autres directions et nous partageons nos expériences. Nous restons tous un peu sur notre soif : nous avions à peine commencé à tisser une relation, à nous comprendre (et j’aime bien cette forme pronominale qui marque non seulement une compréhension mutuelle, réciproque, mais qui nous renvoie aussi à nous-mêmes) et déjà nous devons nous séparer. Nous retrouvons sous l’auditorium la frise des professeurs passe-montagne, qui me rappelle obstinément la tapisserie de Bayeux, pour un complément d’information sur l’organisation politique des communautés zapatistes, puis, musique et, l’après-midi, une ronde de spectacles, jeux de scène, chants, chorales, groupes de rock, contes, histoires drôles, danses, poésies, présentés par les étudiants ; le soir, bal, cumbia, cumbia… La nuit a été courte. Lever, quatre heures du matin ; départ, six heures.

Avec la petite école, nous avons pu nous faire une idée assez précise de l’organisation sociale et politique des zapatistes, desde abajo y a la izquierda, en bas et à gauche, mais qui a eu l’idée de l’escuelita ?

L’exercice de l’autonomie sociale et politique se déploie ainsi de la région (assemblée communautaire, lieu de débat et de décision où sont désignés les délégués de au conseil municipal) à la commune (conseil municipal et commissions) et de la commune à la « zone » (caracol et conseil de bon gouvernement). Au-delà des caracoles, l’autonomie sociale et politique rencontre la pensée stratégique — qui est en quelque sorte sa limite — comme l’autonomie sociale et politique reste la limite de la pensée stratégique. Cette réciprocité contraint les deux parties à un dialogue continu.

Dans la situation présente, les peuples ne peuvent se dispenser d’une pensée stratégique et c’est bien là que le bât blesse : cette impérieuse nécessité est la source de tous les dangers et de toutes les dérives. « L’aspect fondamental de cette résistance, c’est qu’elle est collective », le sous-commandant Marcos nous avait déjà signalé tout au début du soulèvement zapatiste que le Comité clandestin révolutionnaire indigène (CCRI-CG) ne pouvait prendre aucune initiative d’importance sans l’accord préalable et tacite des populations. La pensée sous son aspect stratégique est au service de cette résistance, l’inverse, les peuples au service d’une pensée stratégique, fruit de quelque cénacle idéologique, produit tous ces revers dont l’histoire des révolutions est grosse. La pensée stratégique ne peut en aucun cas s’imposer contre la collectivité, la violenter, c’est une pensée portée par un consensus, non seulement elle est portée par l’assentiment des guerriers mais aussi par l’approbation de l’ensemble de la société concernée.

La relation que les peuples indiens du Chiapas ont pu nouer avec le groupe de guérilleros au début et ensuite avec le sous-commandant Marcos, chef des forces armées, n’est pas sans rappeler certains cas historiques où les Indiens ont confié leur défense militaire à des transfuges, plus à même de mener campagne par la connaissance qu’ils ont de l’ennemi. Nous avons l’exemple célèbre de Gonzalo Guerrero, marin castillan qui s’échoua avec d’autres naufragés sur la côte yucatèque en 1511. Il rejeta la main tendue de Cortés, devint capitaine des Indiens mayas de la région et fut le promoteur des guerres contre les conquistadores. Il périt en 1536 sur la côte des Hibueras (Honduras) dans un affrontement contre les Espagnols.

La force difficilement contestable du CCRI-CG et de l’EZLN est d’avoir maintenu jusqu’à présent ce lien qui le rattache aux communautés tzeltales, tzotziles, tojolabales, choles, mames, zoques et métisses, ce qui leur a permis, dans les conditions pernicieuses d’une guerre contre-insurrectionnelle permanente, de sauvegarder le processus d’autonomie des communautés en résistance et même de le renforcer considérablement.

La distance qui existe entre le noyau dirigeant que l’on trouve dans le CCRI-CG (auquel nous ajoutons le sous-commandant Marcos) et la vie des communautés se transforme en distance stratégique permettant des initiatives rapides ou plus élaborées. Cependant la direction politico-militaire garde une relation étroite avec les communautés par la voie du dialogue, incitant la collaboration permanente des villages, favorisant la discussion et faisant en sorte que les propositions de l’état-major soient connues, acceptées et retenues par les communautés. Cet échange, cet aller-retour permanent entre ce que nous appelons l’état-major zapatiste et les communautés prend des formes diverses, qui, toutes, contribuent à réduire la distance qui pourrait les séparer : les membres qui composent le CCRI-CG sont issus des communautés dont ils partagent le quotidien et les préoccupations ; même s’il existe un « noyau dur », un renouvellement permanent des commandants et des commandantes se fait autour de ce noyau dur, avec une participation relativement importante des femmes ; les décisions sont présentées, expliquées et discutées dans les assemblées ; les gens eux-mêmes ont été continuellement appelés à participer aux rencontres nationales et internationales qui se sont tenues. La dernière initiative en date est la « petite école », au cours de laquelle des invités, sympathisants de la cause zapatiste, ont pu partager le quotidien d’une famille et surtout saisir sur le vif, de l’intérieur, le travail d’accouchement d’une vie sociale autonome.

Nous pouvons ajouter que la création des conseils régionaux libère l’EZLN des problèmes intérieurs et locaux qu’elle était, par « la force des choses », amenée à résoudre : « Avec ça, je veux dire que la structure militaire de l’EZLN “contaminait” d’une certaine façon une tradition de démocratie et d’autogouvernement, l’EZLN était, pour ainsi dire, un des éléments “antidémocratiques” dans une relation de démocratie directe communautaire (un autre élément antidémocratique, c’est l’Église, mais ce serait le sujet d’un autre texte) » (lettre du sous-commandant Marcos, juillet 2003). Éviter le plus possible de s’immiscer dans les affaires relevant de la société comme celle concernant l’autogouvernement a été un souci constant de l’Armée zapatiste.

Une telle situation, tout à fait nouvelle à notre époque, requiert toute notre attention. Nous pourrions y voir l’embryon de la formation d’un État avec, d’une part, ceux qui ont la pensée stratégique et, d’autre part, la population qui s’autogouverne et connaît une vie sociale qui lui est propre, et penser aux États théocratiques mésoaméricains auxquels j’ai fait allusion plus haut ; pourtant il n’en est rien et il faut remonter plus loin dans le temps pour la comprendre et s’adresser aux tribus amérindiennes. Celles-ci en temps de guerre déléguaient la conduite de la guerre à celui qui, à leurs yeux, était le plus apte à mener bataille, c’était en quelque sorte une délégation de pouvoir pour une tâche bien précise et ce pouvoir disparaissait une fois la mission accomplie.

La position du CCRI-CG n’est pas sans évoquer celle des chefs de guerre dans les sociétés sans État. Mener la guerre est une « charge », dans le sens traditionnel du terme, dont sont investis les commandants du Comité clandestin par leur peuple respectif. « Le meilleur exemple, note Raúl Ornelas [8], est sans aucun doute la déclaration de guerre faite au gouvernement mexicain : discutée, approuvée et signée par des dizaines de milliers d’Indiens zapatistes, elle conduisit à la remise du bâton symbolisant l’autorité, donc le commandement, au Comité clandestin révolutionnaire indigène, désormais chargé de la conduite de la guerre. »

Sixième jour, San Cristobal, onze heures du matin.

Cette rencontre fut tout de même une rencontre à haut risque, pas pour nous, mais pour les zapatistes. Nous, nous venons avec tout notre arsenal de comportements, d’automatismes, de manières d’être, de préjugés, de bonnes consciences, d’idées toutes faites, nous sommes des gens du premier monde, issus du premier monde, modelés, formés, que nous le voulions ou non, par ce « premier » monde, par le monde dominant. Inconsciemment nous cherchons à dominer, chercher à retenir ce réflexe de domination, qui s’exprime de mille manières, est déjà un signe de domination qui ne trompe pas. Que peuvent-ils opposer à cet ego ? La simplicité de l’être dans sa dimension sociale. À la liberté de l’individu réduit à l’immédiateté de l’ego, ils opposent celle de l’être saisi dans sa dimension spirituelle et humaine, « la liberté selon les zapatistes ». Cette simplicité est la force véritable des zapatistes.

Janvier 2014, 
Georges Lapierre

Notes

[1] Escargot, nom donné au centre d’une zone regroupant plusieurs municipalités rebelles.

[2] Bétaillère.

[3] Cf. La Fragile Armada. La marche des zapatistes, Textes choisis et présentés par Jacques Blanc, Yvon Le Bot, Joani Hocquenghem et René Solis, Éditions Métailié, Paris, 2001.

[4] Adhérents d’un parti politique, PRI, PRD, PAN, etc.

[5] Déformation de l’espagnol castellano : castillan.

[6] Angela, porte parole de la nation gitxsan, de la province qu’elle appelle la « Colombie-Britannique occupée » in Hocquenghem, Joani, Le Rendez-vous de Vícam. Rencontre de peuples indiens d’Amérique, Rue des Cascades, Paris, 2008.

[7] EZLN : Ejercito Zapatista de Liberación Nacional (Armée zapatiste de libération nationale).

[8] Ornelas Bernal (Raúl), L’Autonomie, axe de la résistance zapatiste, Rue des Cascades, Paris 2007.

2000ème article… Honneur aux 20 ans de la lutte autogestionnaire zapatiste autochtone du Chiapas…

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Il y a avec cet article 2000 articles en archives sur Résistance 71… Bonne lecture !

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Le salut de l’humanité viendra des peuples occidentaux rejetant l’idéologie colonialiste des oligarques qui les oppriment tout autant que les peuples colonisés, se rangeant aux côtés de ces peuples, pour changer unis et à jamais le paradigme politique et social qui régit les sociétés humaines. L’occident ne peut mûrir qu’au contact et en symbiose avec les peuples qu’il a opprimé pendant plus de 500 ans.

Alors oui… ¡Ya Basta!

~ Résistance 71 ~

 

Le mouvement zapatiste célèbre ses 20 ans

 

Pablo Vivanco (notes de proceso.mx.com)

 

22 janvier 2014

 

url de l’article:

http://tworowtimes.com/news/international/zapatistas-celebrate-20-year-anniversary/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Le 1er Janvier, les gouvernements du Canada, du Mexique et des Etats-Unis ont marqué le 20ème anniversaire du traité de libre échange entre les pays (NAFTA).

Au Chiapas, l’état le plus méridionnal du Mexique, c’est un aniversaire bien différent qui y fut célébré.

L’Ejercito Zapatista de Liberación Nacionale (EZLN), souvent appelée les Zapatistes, a célébré ses 20 ans depuis le début de l’insurrection armée ; disant qu’aujourd’hui “¡Ya Basta!” (“Assez c’est assez !”), l’EZLN a déclaré la guerre au gouvernement mecixain le 1er janvier 1994.

Parmi les trois principes  de base zapatistes figurait la défense des droits collectifs et individuels des peuples autochtones historiquement refusés par tous les gouvernements mexicains. Le traité NAFTA attaquait non seulement la classe ouvrière des trois pays, mais aussi les droits terriens communaux traditionnels des Indiens du Mexique.

La base sociale zapatiste est essentiellement constituée des populations indiennes rurales du Chiapas soient environ 957 000 des 3,5 millions personnes de l’état, qui parlent une des 56 différentes langues de la région. Un tiers de ces gens ne parlent pas du tout l’espagnol. Des 111 municipalités, 22 ont des populations autochtones allant jusqu’à 90% et 36 autres municipalités comptent une population indienne de plus de 50%.

L’état du Chiapas compte environ 13,5% de toute la population autochtone indienne du Mexique. La plupart des groupes indigènes au Chiapas inclus les Tzeltal, Tzotzil, Ch’ol, Zoque, Tojolabal et les Lacandon, tous descendent des Mayas.

L’EZLN accuse le gouvernement fédéral mexicain de maintenir une stratégie de guerre contre eux et veut reprendre les terres récupérées par les Zapatistes durant leur insurrection. Les Zapatistes ont aussi émis un nouvel appel à la rebellion et ont déclaré leur intention de renforcer l’autonomie de leur peuple.

Devant une assemblée de plusieurs milliers d’invités et des centaines de membres, la Commandante Hortencia a lu une déclaration qui insistait sur la lutte pour le maintien de l’autonomie et de l’autogestion. “Nous apprenons à nous gouverner nous-mêmes en accord avec nos façons de penser et de vivre. Nous essayons d’aller de l’avant en nous améliorant et en nous renforçant ensemble, femmes, hommes, enfants, jeunesse et anciens. Il y a 20 ans nous disions ¡Ya Basta!” Hortencia, une femme Tzotzil et une porte-parole de l’EZLN a dit que les Zapatistes doivent continuer d’organiser le renforcement de la rebellion et de l’autogestion.

Nous partageons notre expérience avec la nouvelle génération d’enfants et de jeunes. Nous préparons notre peuple à résister et à se gouverner. Dans nos zones zapatistes, nous n’avons plus de mauvais gouvernement, il n’y a plus non plus de partis qui règnent et manipulent.”

Des festivités ont duré toute la journée et dans la nuit, dans le brouillard et la bruine constante, festivités auxquelles assistèrent des milliers de jeunes de presque tous les états du pays ainsi que des étudiants venant d’autres pays, élèves des cours de la “petite école zapatiste” (NdT: qui devient internationalement populaire…)

A ces visiteurs, la Commandante Hortencia parla de la possibilité pour l’expérience autonome et autogestionnaire zapatiste de s’appliquer n’importe où.

1er janvier 1994 ~ 1er janvier 2014… 20 ans d’autogestion au Chiapas !

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Rien n’est jamais facile, surtout en milieu hostile, mais les membres de l »Ejercito Zapatista de Liberación Nacional (EZLN), mouvement autonomiste autochtone de la province du Chiapas au sud du Mexique, continuent à monter aux peuples du monde qu’autonomie et autogestion dans un système alternatif de bon gouvernement est non seulement possible, mais fonctionne, malgré l’hostilité et la répression.

Rien n’est parfait, mais le modèle est viable et nous avons beaucoup à apprendre du mouvement zapatiste. L’EZLN montre le chemin de la fédération des communes libres, de la persévérance et de la voie de l’union. L’autonomie zapatiste illustre le concept de la société contre l’état cher à l’anthropologue politique Pierre Clastres.

— Résistance 71 —

 

Vingtième anniversaire de la rébellion du Chiapas 
« Le goût de la liberté des zapatistes » 
entretien avec Jérôme Baschet

 

mercredi 1er janvier 2014, par Bernard Duterme, Jérôme Baschet

 

url de l’article original:

http://www.lavoiedujaguar.net/Vingtieme-anniversaire-de-la

 

Historien médiéviste, Jérôme Baschet vit entre Paris et San Cristóbal de Las Casas depuis plus de quinze ans. Il a consacré au mouvement zapatiste de multiples travaux, dont La Rébellion zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire (Flammarion, 2005). En 2013, il a préfacé Éthique et politique et Eux et nous (Éditions de l’Escargot), ouvrages rassemblant les textes récents des sous-commandants Marcos et Moisés.

En janvier 2014 sera publié son nouveau livre, largement fondé sur l’inspiration zapatiste, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien-vivre et multiplicité des mondes (La Découverte).

En ce vingtième anniversaire du soulèvement indigène du 1er janvier 1994, la dynamique zapatiste est-elle toujours à ce point porteuse de sens et d’espoir pour les résistances altermondialistes et les luttes d’émancipation dans le monde ?

Au cours des années récentes, principalement de 2007 à 2011, il était courant d’entendre dire que le mouvement zapatiste s’était épuisé. Au Mexique, les médias et certains intellectuels plutôt hostiles entretenaient les rumeurs sur la débandade au sein de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) ou sur la mort du sous-commandant Marcos. Pour tous ceux-là, et à dire vrai pour tout le monde, la mobilisation massive du 21 décembre 2012, le « jour de la fin du monde », a été une surprise totale : plus de 40 000 zapatistes ont occupé, dans un silence impressionnant et de manière aussi ordonnée que pacifique, cinq villes du Chiapas (presque les mêmes que le 1er janvier 1994). Cela a constitué un démenti cinglant à toutes les rumeurs, démontrant que la relative discrétion des années précédentes ne signifiait pas un déclin, mais la préparation silencieuse d’une nouvelle étape de la lutte. Depuis, la « petite école zapatiste » a constitué une impressionnante démonstration de force et d’inventivité politique. Parmi les autres initiatives annoncées dans la série de communiqués intitulée « Eux et nous », il y a l’appel à constituer un réseau planétaire de luttes, appelé « la Sexta » (en référence à la Sixième Déclaration de la Selva Lacandona). Pour cela, les zapatistes soulignent qu’il ne s’agit plus de faire la liste, connue jusqu’à la nausée, des NON de ce que nous refusons, mais d’élaborer collectivement les OUI qui caractérisent les mondes que nous voulons. En matière de construction de ces mondes alternatifs, il me semble que les zapatistes ont développé une expérience qui, sans nullement constituer un modèle, est l’une des plus importantes que l’on puisse observer aujourd’hui. Il serait très dommage, pour tous ceux qui ne désespèrent pas d’un véritable projet d’émancipation, de ne pas tourner le regard vers cette expérience, pour apprendre d’elle ce qui peut l’être, y chercher une possible source d’inspiration et, à tout le moins, un regain d’énergie et d’espérance.

En 2013, les zapatistes ont lancé une nouvelle invitation aux « zapatisants » du monde entier à venir se frotter de près aux réalités de la vie quotidienne des communautés rebelles autonomes, durant ce qu’ils ont appelé la « petite école zapatiste » (dont une première session a eu lieu en août, une deuxième et une troisième autour de ce 1er janvier 2014). Vous y avez participé : quel bilan tirent ces communautés et quel bilan tirez-vous vous-même de la situation d’« autonomie de fait » qu’elles ont construite depuis plus d’une décennie (en réaction au non-respect gouvernemental des accords de San Andrés censés précisément officialiser une certaine forme d’autonomie indigène) ?

La « petite école » du mois d’août, qui a permis à près de 1 500 personnes de partager, une semaine durant, la vie de familles zapatistes, a été une expérience exceptionnelle et parfois bouleversante, y compris sur le plan émotionnel. Cela a également été, pour les zapatistes eux-mêmes, l’occasion de faire une évaluation collective de l’autonomie, qui a été consignée dans quatre élégants fascicules remis aux participants de la « petite école ». Ce bilan est d’une grande honnêteté ; il fait une large place aux difficultés, aux tâtonnements de ceux qui, au moment de se constituer en autorités, savaient n’être pas préparés pour cela et ont dû « cheminer en questionnant » ; de nombreuses lacunes et des erreurs parfois graves sont également reconnues. Néanmoins, ce qui a été réalisé est remarquable. Prenant appui sur les traditions indiennes tout en les renouvelant profondément, un système d’autogouvernement a été mis en place, au niveau des villages, des communes et des régions. Cinq « conseils de bon gouvernement » fonctionnent, rendent la justice, organisent la prise de décision collective sur la base d’un mécanisme complexe de consultation des assemblées locales, communales et régionales. Un système de santé autonome a été mis en place ; des centaines d’écoles autonomes ont été créées et plus d’un millier d’enseignants ont été formés. Et cela sur la base d’un refus absolu de toute aide gouvernementale. Ce que les zapatistes ont créé peut être considéré comme un autogouvernement de démocratie radicale. Ils démontrent que la politique n’est pas une affaire de spécialistes et que les gens ordinaires (que nous sommes aussi) sont capables de s’emparer des tâches d’organisation de la vie collective. Ils appellent cela l’autonomie, terme qui, pour eux, n’a rien à voir avec une simple décentralisation des pouvoirs de l’État, mais désigne une démarche clairement antisystémique, à la fois construction d’une autre réalité sociale et mise en place d’une forme non étatique de gouvernement, dans laquelle la séparation entre gouvernants et gouvernés tend à se réduire autant que possible. C’est cela le « bilan » du zapatisme, vingt ans après le ¡Ya basta ! de 1994, et ce n’est pas rien.

Quelle est la viabilité sociale d’une telle expérience émancipatrice dans un contexte politique, militaire et économique toujours aussi adverse ?

La situation des communautés rebelles est certes moins dramatique qu’elle ne l’était entre 1997 et 2000 (paramilitarisation orchestrée par le gouvernement fédéral, dizaines de milliers de déplacés, massacre d’Acteal en décembre 1997). Néanmoins, l’hostilité contre-insurrectionnelle reste aujourd’hui manifeste. Elle agit surtout par l’intermédiaire de groupes et organisations que les autorités incitent à harceler les communautés zapatistes, notamment afin de leur soustraire des terres récupérées en 1994 et que celles-ci cultivent depuis lors (elles n’ont pas été légalisées, faute d’un accord de paix mettant fin au conflit). Il y a actuellement plusieurs communautés zapatistes qui ont dû abandonner leurs villages à la suite d’actions de ce genre, menées les armes à la main. Autre exemple, dénoncé l’an dernier : une organisation non zapatiste avait reçu une aide gouvernementale ; l’accord prévoyait que le projet ainsi financé devait utiliser un hangar dont les zapatistes font usage depuis les années 1990 pour y entreposer leur récolte de café.

Si l’EZLN répondait à la violence par la violence, ce serait le prétexte idéal pour une intervention de l’armée fédérale. Poursuivre la construction de l’autonomie suppose donc d’avoir assez de sang-froid pour ne pas « répondre à la provocation ». Cela dépend aussi de la vigilance de la « société civile » mexicaine et internationale, qui est essentielle, car elle rappelle aux autorités fédérales que les zapatistes ne sont pas seuls.

Dans certaines régions et communautés du Chiapas, la population indigène elle-même est hostile à la rébellion zapatiste. Comment ces clivages, parfois violents, évoluent-ils aujourd’hui ?

Hormis ces situations de conflit ouvert, presque toujours induits ou encouragés par les autorités, zapatistes et non-zapatistes sont tout à fait capables de coexister pacifiquement. C’est ce qui se passe dans la plupart des villages du Chiapas. Une grande partie de la population indigène, sans être zapatiste, ne leur est pas hostile et leur témoigne souvent un véritable respect.

Du reste, les cliniques zapatistes sont ouvertes aux non-zapatistes, qui savent qu’ils y seront mieux traités que dans les hôpitaux publics où règnent racisme et inefficacité (nombreux cas récents de femmes indigènes ayant accouché à l’entrée d’hôpitaux publics sans être prises en charge). Il est également fréquent que des non-zapatistes fassent appel à l’un des « conseils de bon gouvernement » pour résoudre une question juridique. Ils bénéficient là d’une justice gratuite, rapide et exercée par des personnes qui connaissent la réalité indienne, ce qui n’est pas le cas des instances constitutionnelles, dont la corruption est profonde. L’un des cinq « conseils de bon gouvernement » s’est récemment inquiété d’avoir trop de cas de non-zapatistes à traiter : il a simplement décidé, sans revenir sur le principe de gratuité, de demander que soient couverts les modestes frais de déplacement (en microbus) des personnes en charge de la justice, lorsque celles-ci devaient se rendre sur les lieux de l’affaire !

Sur le plan national, les zapatistes ont relancé dernièrement la dynamique du Congrès national indigène (CNI), qui fédère les luttes des peuples indiens du Mexique contre l’exploitation de leurs territoires. Au-delà, quelles sont les relations de l’EZLN avec les diverses composantes de la gauche mexicaine ?

Fondé en 1996, le Congrès national indigène rassemble des organisations de la plupart des ethnies du pays (plus de cinquante au total). Sa dernière réunion générale, en août dernier, a été convoquée à l’initiative de l’EZLN et a pris le nom de « chaire Tata Juan Chavez », en l’honneur de l’un des fondateurs du CNI, récemment décédé. Des centaines de délégués des organisations indiennes de tout le pays y ont dressé l’effrayante liste des attaques contre leurs territoires et leurs formes d’organisation communautaire, depuis le détournement illégal de l’eau du fleuve Yaqui dans l’État de Sonora jusqu’à l’implantation massive d’éoliennes détruisant l’écosystème lagunaire dont vivent les pêcheurs de l’isthme de Tehuantepec, sans oublier les récentes attaques contre la police communautaire des régions montagneuses du Guerrero. Le CNI est le lieu de convergence et d’appui mutuel entre ces multiples luttes indiennes.

Les zapatistes ayant dit et répété qu’ils rejetaient totalement la politique d’en haut, celle de l’État et du système des partis, leurs relations avec le Partido de la Revolución Democrática (mais peut-on encore le dire « de gauche » ?) ainsi qu’avec López Obrador, qui tente de fonder un nouveau parti, sont inexistantes. Pour les zapatistes, ce qui importe c’est de tisser des liens avec les organisations dont la lutte ne s’inscrit pas dans une perspective électorale, ainsi qu’ils l’ont fait dans le cadre de l’Autre Campagne.

On se souvient que le jour du soulèvement indigène zapatiste du 1er janvier 1994 fut aussi celui de l’entrée en vigueur des Accords de libre-échange nord-américain – Alena (Mexique, États-Unis, Canada). Vingt ans plus tard, quel bilan les zapatistes dressent-ils de cette ouverture du marché mexicain aux grands voisins du Nord ? Quelle influence a-t-elle eu sur leur propre lutte ?

Pour les zapatistes, il est clair que l’Alena, signé entre des puissances aussi manifestement inégales, fait partie de la « quatrième guerre mondiale » qui, en soumettant peuples et États à la logique néolibérale, tend à les détruire. De manière plus spécifique, l’Alena a fonctionné comme « arme de destruction massive » contre la paysannerie mexicaine. Dans les années 1980, le Mexique était autosuffisant pour sa production de base ; aujourd’hui, il importe la moitié du maïs consommé, pour ne rien dire des autres céréales. L’abandon pur et simple du monde rural faisait explicitement partie du projet du président Salinas de Gortari lorsqu’il a signé l’Alena. Il s’agissait de vider les campagnes et de mettre fin à un mode de vie archaïque dont la logique technocratique se plaît à souligner qu’il n’apporte presque rien au PIB national. Le résultat est catastrophique : migrations, déstructuration des communautés, baisse de la production, imposition de nouvelles formes de consommation, dépendance accrue à l’égard du marché, etc. Aux côtés d’autres organisations qui défendent une agriculture paysanne et promeuvent la souveraineté alimentaire, l’autonomie telle qu’elle se construit en territoire zapatiste se présente comme une alternative au désastre rural mexicain.

Quelles sont, à vos yeux, les perspectives de la dynamique zapatiste (« anticapitaliste, en bas à gauche ») comme critique en actes du modèle dominant et d’un certain rapport au politique ?

Le mouvement zapatiste (notamment « la Sexta ») se définit à la fois par un anticapitalisme conséquent et par un refus de la politique d’en haut, celle qui est centrée sur le pouvoir d’État et le jeu des partis. Ce second point renvoie évidemment à une question sensible, qui provoque malheureusement bien des divisions au sein des gauches mondiales. Pour les zapatistes, cette posture est le résultat d’une histoire jalonnée de trahisons (accords signés par le gouvernement mais jamais respectés, vote des parlementaires de tous les partis contraire au projet de réforme constitutionnel issu des Accords de San Andrés). Elle repose aussi sur le fait que le choix de la conquête du pouvoir d’État conduit, dans un monde dont la globalisation est irréversible, à une soumission, plus ou moins maquillée, aux logiques systémiques et, de plus, à une accentuation de la séparation entre gouvernants et gouvernés. Sur cette base, il n’y a pas d’autre option que de multiplier les espaces permettant d’amorcer la construction de formes d’organisation collective alternatives. Mais, attention, les zapatistes ne prônent pas la stratégie de la désertion et il ne s’agit pas, pour eux, de créer quelques îlots de paix supposément protégés du désastre capitaliste. Ils savent fort bien que, pour construire, il faut une force collective organisée. Et, même si l’autonomie qu’ils ont construite est sans doute l’un des « espaces libérés » les plus amples actuellement existants, ils savent aussi qu’une telle autonomie doit être défendue en permanence contre de multiples agressions et qu’elle demeure nécessairement partielle, vu son environnement systémique. De ce fait, construire et lutter contre doivent être conçus comme deux démarches indissociables. Durant la « petite école », l’un des maestros zapatistes nous a demandé à tous : « Et vous, est-ce que vous vous sentez libres ? » Pour eux, la réponse est claire. Malgré des conditions de précarité extrêmes, ils ont fait le choix de la liberté ; ils décident eux-mêmes de leur propre manière de s’organiser et de se gouverner. C’est sans doute ce goût de la liberté et la dignité qui en découle que l’on perçoit dans la manière d’être si singulière des zapatistes.

Propos recueillis 
par Bernard Duterme

Source : CETRI 
Centre tricontinental