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Média et propagande: Le fonctionnement du « journalisme » de guerre dans la nébuleuse propagandiste de l’empire…

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, colonialisme, désinformation, documentaire, guerre Libye, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, média et propagande, N.O.M, neoliberalisme et fascisme, politique et lobbyisme, politique et social, politique française, presse et média, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 30 juin 2015 by Résistance 71

Excellent témoignage de Thierry Meyssan qui a vécu tout cela de l’intérieur d’abord en Libye puis en Syrie. Nous mettons en commentaire un entretien de Meyssan datant d’Août 2011 à Tripoli où il décortique les rouages des servides de renseignement en action avec les journalistes des grands médias opérant en zone de guerre. Son explication de la composition d’une « équipe de télévision » est édifiante à cet égard: Une équipe de « journaleux » en mission de couverture d’un conflit armé dans une guerre de 4ème génération comme cela existe en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie est composé d’une figure médiatique, « celui qui cause dans le poste », qui est un journaliste formé par les services de renseignement de son pays, d’un « producteur » qui est un officier du renseignement militaire en contact permanent via satellite avec sa cellule de l’OTAN et un « technicien/cameraman » qui est un militaire des forces spéciales, chargé de la protection du trio en vadrouille… A voir dans la vidéo de Meyssan ci-dessous ! Très instructif…

— Résistance 71 —

 

Les journalistes et la guerre

 

Thierry Meyssan

 

29 Juin 2015

 

url de l’article:

http://www.voltairenet.org/article187973.html

 

Considérant que les journalistes étaient au service de la paix, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité une résolution pour leur protection en zone de combat. Pourtant, deux semaines plus tard, le département US de la Défense publiait des instructions pour arrêter les professionnels des médias qui se livrent à de l’espionnage ; une décision qui pourrait se retourner contre les journalistes des États membres de l’Otan, observe Thierry Meyssan.

Le débat du Conseil de sécurité du 27 mai dernier sur la protection des journalistes en zone de combat n’a guère fait avancer les choses [1]. Les diplomates ont accusé divers États d’avoir tué ou laissé tuer des journalistes sans relever que la qualité de « journaliste » peut recouvrir des activités de nature différente, y compris de l’espionnage, du sabotage ou du terrorisme.

Jusqu’à présent, on considérait que pour bénéficier de la protection due aux journalistes, il fallait : 
 détenir une carte de presse délivrée par l’autorité compétente de son pays ou de celui dans lequel on travaille ; 
 ne pas prendre part aux combats ; 
 ne pas violer la censure militaire.

On notera l’étrangeté de cette dernière condition initialement prévue pour protéger les secrets militaires, mais utilisable pour masquer la propagande et les crimes de guerre.

En outre, on considérait que les soldats travaillant comme journalistes pour des médias militaires ou les journalistes civils embarqués dans les armées (embedded) ne devaient pas bénéficier du statut de journaliste, mais de celui de soldat.

Se référant au précédent de l’assassinat du commandant Ahmad Shah Massoud par deux journalistes, les États-uniens font valoir que cette profession peut servir de couverture pour une activité terroriste. Plus récemment le citoyen britannique Omar Hussein a rejoint l’Émirat islamique et a publié, sous le pseudonyme d’Abu Awlaki, des articles élogieux de la vie sous Daesh. Cependant, ces exemples de journalistes engagés dans des combats sont complètement marginaux. Le vrai problème est ailleurs avec les médias globaux et la Guerre de 4ème génération (4GW).

Les médias globaux

Jusqu’en 1989, les médias étaient nationaux. La propagande ne pouvait donc s’adresser qu’à son propre camp. On pouvait bien entendu lancer des tracts par avion ou utiliser des émissions de radio en ondes courtes, mais on était toujours perçu comme un locuteur ennemi.

En 1989, une télévision locale états-unienne, CNN, s’est soudainement transformée en télévision globale grâce aux satellites. Son changement de statut —elle n’était plus « américaine »— garantissait sa neutralité dans les conflits. Elle s’est affirmée comme un média d’« information en continu », relayant la chute des Ceaușescu. Le direct garantissait d’empêcher les manipulations et de restituer la vérité.

Or, ce fut exactement le contraire. La rédaction de CNN était —et est de manière définitive depuis 1998— sous la coupe d’une unité militaire installée dans ses locaux, l’United States Army’s Psychological Operations Unit. Elle ne rendit pas compte des événements, mais d’un spectacle mis en scène par la CIA et le Pentagone. On se souvient par exemple de la découverte du charnier de Timișoara. Les images des cadavres de plus de 4 500 jeunes gens [2], vidés de leur sang pour nourrir le dictateur des Carpathes atteint de leucémie ou abattus durant des manifestations, ont fait le tour du monde. Leurs visages avaient été mutilés à l’acide pour qu’on ne les identifie pas. La preuve était faite des horreurs infligées à son peuple par Nicolae Ceaușescu, le « Dracula roumain » [3]. Las ! on apprendra plus tard qu’il s’agissait de corps déterrés au cimetière de la ville.

En diffusant instantanément une fausse nouvelle dans le monde entier, les médias globaux lui ont donné l’apparence d’une vérité partagée. Ce qui faisait la force de cette intoxication, c’est qu’elle était parvenue à convaincre des médias du bloc soviétique, en Hongrie et en Allemagne de l’Est, qui l’ont reprise. Les faits se trouvaient ainsi authentifiés par des alliés de la Roumanie. D’où la concurrence actuelle entre les grandes puissances pour disposer de chaînes globales d’information en continu.

Par ailleurs, les idées selon lesquelles « les journalistes sont là pour dire ce qu’ils voient sur place » et que « le direct empêche les manipulations » sont grotesques. Au contraire, les journalistes ne doivent pas être des témoins, mais des analystes capables de découvrir la vérité derrière les apparences. C’est à cela qu’ils servent, de sorte que le concept d’« information en continu » (au sens de faits filmés sans s’arrêter) est la négation du journalisme. Soit les journalistes sont là pour recouper, vérifier, contextualiser, analyser et interpréter, soit ils ne servent à rien.

Des manipulations comme celle de Timișoara, l’Otan n’a cessé d’en fabriquer durant les guerres de Yougoslavie, d’Irak, d’Afghanistan, d’Irak encore, de Libye et de Syrie [4].

L’incorporation des journalistes de guerre

Cependant, un pas de plus a été franchi, en 1992. Vous avez remarqué que, depuis cette date, les États-Unis et l’Otan n’ont cessé d’être en guerre quelque part dans le monde. Une catégorie de journaliste s’est constituée pour couvrir ces événements. Un peu plus d’une centaine d’entre eux s’est précipitée en Bosnie, puis à Bagdad, à Kaboul ou à Tripoli, donnant ainsi la parole aux adversaires de l’Occident. Or, non pas quelques uns d’entre eux, mais presque tous sont devenus des collaborateurs permanents des services secrets de l’Otan. Et s’ils décrivent les résultats de bombardements de l’Alliance sur des populations civiles, c’est uniquement pour fournir des renseignements militaires et permettre à l’Otan d’ajuster ses tirs. Dès lors, ces journalistes doivent être qualifiés d’agents.

C’est ce que j’expliquais durant la guerre de Libye, soulevant l’indignation de la profession. Pourtant, c’est ce qu’a finalement admis le lieutenant-général Charles Bouchard lorsque l’opération fut terminée. À l’antenne de Radio-Canada, il déclara que le quartier-général de l’Otan à Naples analysait la situation grâce à des « renseignements [qui] venaient de beaucoup de sources, dont les médias qui étaient au sol et nous donnaient beaucoup d’informations sur les intentions et où étaient les forces terrestres ».

Pour crédibiliser le mythe de la « révolution démocratique », l’Otan mettait en scène, en 2012, un village témoin, en Syrie, Jabal al-Zouia. Le cabinet du Premier ministre turc organisait sur place le transport des journalistes qui en faisaient la demande. Ils pouvaient alors filmer les manifestations dans le village et se persuader que toute la Syrie était ainsi. Mais l’Armée arabe syrienne a, elle aussi, envoyé des journalistes —pas des Syriens, bien sûr— auprès des « rebelles » de manière à recueillir des renseignements sur le soutien que leur apportait l’Alliance.

Aussi, la publication cette semaine par le département US la Défense de son Manuel de Droit de la guerre est-elle bienvenue. Ce document explicite l’évolution de la guerre en affirmant que certains journalistes sont en réalité des combattants [5].

Ce faisant, le département de la Défense prend le risque que la plupart des journalistes de guerre occidentaux soient déclarés « belligérants non-privilégiés », une catégorie qu’il a créée lui-même et qui les prive du bénéfice des Conventions de Genève. Lors du prochain conflit, ce pourrait être le sort des collaborateurs d’Al-Jazeera, Al-Arabiya, BBC, CNN, Corriere della Sera, Fox News, France2, France24, Le Monde, Libération, New York Times, Sky News, Washington Post etc… Pour ce citer que ceux que j’ai identifiés.

Les fausses vidéos d’actualité

C’est encore un pas de plus qui a été franchi, en 2011, avec l’usage de vidéos de fiction, tournées en studio à ciel ouvert au Qatar, placées dans les actualités télévisées. Le summum ayant été atteint avec la diffusion, d’abord par Fox News puis par l’ensemble des télévisions atlantistes et du Golfe, d’images de fiction présentant la chute de Tripoli et l’entrée des « rebelles » sur la Place verte, trois jours avant que ces faits ne deviennent réalité.

Un point qui fut violemment démenti par l’Otan avant d’être reconnu par le président du Conseil national de transition, Moustapha Abdel Jalil, au micro de France24 en arabe.

Alors que les États-Unis négociaient avec la Russie un éventuel partage du « Moyen-Orient élargi », en juin 2012, l’Otan envisageait d’utiliser cette technique des fausses vidéos d’actualité pour casser la résistance syrienne et s’emparer du pouvoir. Washington fit déconnecter les télévisions satellitaires syriennes d’ArabSat et s’apprêtait à les chasser également de NileSat. Un pool de chaînes atlantistes (Al-Arabiya, Al-Jazeera, BBC, CNN, Fox, France 24, Future TV, MTV) se préparait à utiliser des images réalisées en studio au Qatar montrant la chute de la République arabe syrienne et des images de synthèse montrant la fuite du président el-Assad [6]. Le signal des fausses chaînes syriennes fut calé sur ArabSat depuis la base de la NSA en Australie. Cependant, l’opération fut annulée juste avant la conférence de Genève 1 du fait des protestations internationales.

Les lois de la propagande sont toujours les mêmes

Ceci dit les développements techniques ne modifient pas les techniques de la propagande. Ce mécanisme reste fondé sur deux principes : 
 par la répétition incessante, un mensonge grossier devient une évidence incontestée ; 
 il ne suffit pas de convaincre les personnes-cibles d’un mensonge, il faut qu’ils le défendent. Et pour cela, il convient de les contraindre, par un moyen ou par un autre, à professer —ne serait-ce qu’une fois— ce qu’ils considèrent encore comme un mensonge. Leur amour-propre suffira à les empêcher de retourner en arrière et de dénoncer la manipulation.

Par exemple, lorsque les services secrets britanniques ont lancé l’idée que la République arabe syrienne lançait des barils d’explosifs depuis des hélicoptères sur sa population civile, vous n’y avez pas cru. En Syrie, où l’on reproche au président el-Assad de brider les actions de l’armée contre les jihadistes par souci de protéger les civils, on n’y a pas cru non plus. Cette accusation est d’autant plus absurde que l’armée dispose de bombes, bien plus efficaces, fournies par la Russie. Pourtant, au bout d’un an de répétition quotidienne, ce mensonge est devenu une vérité incontestée, aussi bien en Occident qu’en Syrie. Peu importe que l’armée n’utilise pas d’hélicoptères à Alep parce que les jihadistes les détruiraient avec des missiles sol-air, la presse publie quand même des « témoignages » de largage de barils d’explosifs depuis des hélicoptères à Alep.

Le système est ainsi fait que les journalistes refusent de reconnaître avoir été trompés et se transforment en propagandistes qui vont, à leur tour, répéter ce que n’importe qui savait au départ être un mensonge. De facto, des professionnels qui pensent être honnêtes, quoique utilisant la rhétorique à la mode, travaillent à répandre le mensonge.

L’incorporation des médias dans l’art de la guerre

Même si de fausses images de la fuite du président el-Assad n’ont finalement pas été utilisées en Syrie, l’Otan a adopté une nouvelle technique de combat : la guerre de 4ème génération (4GW).

La guerre de 1ère génération, c’est la ligne et la colonne, comme au XVIIe siècle. Les armées étaient très hiérarchisées et progressaient lentement. Mais cette organisation ne résista pas à la généralisation des armes à feu. 
La guerre de 2ème génération, c’est la ligne et le feu, comme durant la Première Guerre mondiale. Mais cette organisation s’embourba dans les guerres de tranchées. 
La guerre de 3ème génération, c’est l’infiltration des lignes ennemies et la défense en profondeur. Elle implique la participation des civils, comme lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais cette organisation n’a pas résisté au développement des arsenaux et, notamment, aux bombes atomiques. 
La guerre de 4ème génération, c’est celle que l’on ne livre pas soi-même, mais que l’on fait livrer dans des pays lointains par des groupes non-étatiques, comme durant la Guerre froide avec de vraies et de fausses insurrections.

Dans ce type de guerre, qui s’apparente à un désordre général, le Pentagone intègre des médias dans sa salle d’état-major, en tant qu’unités combattantes. Il faut avoir en tête que les médias ont évolué. Ils ne sont plus des coopératives, mais des entreprises capitalistes avec des salariés qui peuvent être instantanément licenciés. Il ne s’agit donc plus d’une centaine de correspondants de guerre qui travaillent en sous-main comme espions, mais de médias qui participent en tant que tels aux combats en mettant l’ensemble de leur personnel à disposition des armées.

Peu importe ici que les journalistes participent eux-mêmes à des relevés militaires ou à des intoxications. Leur travail, même irréprochable, s’insère dans un ensemble qui fait la guerre. Pis : ceux qui sont sincères servent de paravent à ceux qui trichent en leur donnant de la crédibilité.

En définitive, la résolution 2222 n’a été adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité que parce qu’elle ne répond pas à l’évolution du métier de journaliste.

 

[1] « Résolution 2222 et débats (journalistes en zones de conflit) », Réseau Voltaire, 27 mai 2015.

[2] “Mass Graves Found in Rumania ; Relatives of Missing Dig Them Up”, Associated Press, December 22, 1989.

[3] « Les vautours de Timisoara », par Serge Halimi, La Vache folle, août 2000.

[4] « L’effet CNN », cours de Thierry Meyssan à l’Accademia Nazionale della Politica (Palerme, Italie), Réseau Voltaire, 19 mai 2003.

[5] Law of War Manuel, US Defense Department, June 2015.

[6] « L’OTAN prépare une vaste opération d’intoxication », par Thierry Meyssan, Komsomolskaïa Pravda (Russie), Réseau Voltaire, 10 juin 2012.

Scoop ! L’intégrité existe toujours en journalisme… Honneur à Hervé Kempf !

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Puisse t’il être suivi par beaucoup d’autres. Messieurs / mesdames les journalistes, arrêtez d’avoir peur, sortez de la torpeur et du confort oligarchique et faites enfin votre boulot librement… Que les médias alternatifs se reposent un peu (mais demeurent vigilants)!…

— Résistance 71 —

 

Un journaliste quitte “Le Monde” pour échapper à la censure du business

 

Hervé Kempf et Michel Collon

 

2 Septembre 2013

 

url de l’article original:

http://www.michelcollon.info/Un-journaliste-quitte-Le-Monde.html?lang=fr

 

MICHEL COLLON : Le journaliste Hervé Kempf couvrait pour le « prestigieux » quotidien français la construction scandaleuse d’un aéroport anti-écologique à Nantes. Ses enquêtes étant de plus en plus “découragées”, il vient de quitter Le Monde pour garder sa liberté de publier. Il a découvert que Le Monde avait des intérêts liés avec les constructeurs de l’aéroport. Ceci rejoint notre analyse sur ce journal dans Les 7 Péchés d’Hugo Chavez : nous avions montré que les médiamensonges anti-Chavez et anti-Evo Morales de ce journal s’expliquaient par ses liens économiques avec les pires multinationales actives en Amérique latine. Seule l’info indépendante est vraiment libre. Le Monde est au service de ceux qui le payent. Et cela explique qu’il mente systématiquement sur chaque guerre de la France. Et refuse tout débat.

Ce 2 septembre, quinze ans et un jour après y être entré, je quitte Le Monde : en ce lundi, le dernier lien juridique entre ce journal et moi est défait, par le « solde de tout compte ».

Que je quitte volontairement un titre prestigieux étonnera peut-être. Mais certes moins que la raison qui m’y pousse : la censure mise en œuvre par sa direction, qui m’a empêché de poursuivre dans ce journal enquêtes et reportages sur le dossier de Notre Dame des Landes.

Au terme de l’histoire que je vais ici retracer, il ne me restait qu’une issue, si je voulais conserver la liberté sans laquelle le journalisme n’a pas de sens : abandonner le confort d’un salaire assuré et de moyens de travail avant que soit étouffée la dernière marge d’expression qui me restait, la chronique Ecologie.

Abandonner le journal fondé par Hubert Beuve-Méry et vendu en 2010 est une libération. Je me lance dans l’aventure du site Reporterre, parce que plus que jamais, une information indépendante est nécessaire pour rendre compte du phénomène le plus crucial de l’époque, la crise écologique.

On trouvera ci-après le récit des événements ouverts le 5 novembre 2012 et qui ont conduit à cette décision. Les lecteurs qui en auront le temps trouveront dans C’était un autre monde une présentation de mon travail antérieur dans ce journal qui éclairera le contexte de cette affaire.

Rappelons simplement quelques dates : 
 création du service Planète : octobre 2008 ;
 création de la chronique Ecologie : février 2009 ;
 prise de contrôle du Monde par MM. Bergé, Niel et Pigasse : juin 2010.

Notre Dame des Landes : il est interdit d’enquêter

J’ai suivi avec attention le dossier de Notre Dame des Landes depuis qu’en 2007, j’avais rencontré sur place des protagonistes du projet d’aéroport. J’y étais retourné en août 2009, enquêtant et présentant les arguments des uns et des autres, dans ce qui fut un des premiers articles de presse nationale abordant en détail le sujet.

Articles dans Le Monde du 11 août 2009.

Je gardais un oeil attentif sur ce dossier qui ne semblait pas vouloir s’apaiser. J’étais le journaliste qui publiait le plus d’articles sur ce sujet, comme en témoigne la base de données du Monde : sur les 155 articles ou brèves où apparaît l’expression « Notre-Dame-des-Landes » entre le 19 novembre 2005 et le 19 novembre 2012, 33 sont signés de moi, le deuxième auteur, Anne-Sophie Mercier, signant 14 articles, le correspondant local, Yan Gauchard, 10.

J’avertis, dans une chronique du 5 octobre 2011, que cette affaire serait délicate pour un gouvernement socialiste : « Il serait dommage qu’une éventuelle présidence socialiste s’ouvre par le spectacle de CRS évacuant des paysans et des écologistes pour faire couler le béton ». Mais ni M. Hollande, ni M. Ayrault, ne lisaient apparemment la chronique Ecologie.

En octobre 2012, des forces de police investissaient la zone de Notre Dame des Landes où est censé être construit un aéroport. Elles venaient déloger les quelques centaines de personnes qui s’y étaient progressivement installées durant les années précédentes.

Gendarmes à Notre Dame des Landes, octobre 2012

Je consacrais trois chroniques aux événements, dont deux peuvent être qualifiées de « scoop » : le 14 octobre 2012, j’avertissais de l’imminence d’une intervention policière, qui se produisit le 16 octobre ; le 21 octobre, je montrais que l’affaire n’était pas locale, mais bien nationale ; le 3 novembre, je révélais que M. Hagelsteen, le préfet de Loire-Atlantique qui avait préparé l’appel d’offres que remporterait ultérieurement la compagnie Vinci, avait plus tard été embauché par cette entreprise.

Durant toute cette période, entre la mi-octobre et la mi-novembre, je m’étonnais de la réticence du journal à suivre cette affaire, alors même que le service Planète aurait dû plonger sur ces événements qui étaient alors le principal sujet de l’actualité environnementale. Sur place, dans la ZAD (Zone à défendre), les forces policières puissamment armées détruisaient maison après maison, noyant le bocage sous le gaz lacrymogène, mais rencontrant une résistance farouche des nouveaux habitants de la zone, des opposants de toujours et des paysans. Ces événements étaient quasiment tus par Le Monde. Le journal publiait cependant le 27 octobre, alors que le résistance se renforçait, un article étonnamment titré « Le ciel se dégage pour l’aéroport de Notre Dame des Landes ». J’avais demandé dès le 16 à partir sur place en reportage, la chef de service me dit que ce n’était pas possible pour des raisons budgétaires.

Je traitais donc le sujet, tant bien que mal, par la chronique Ecologie. Je dus m’absenter une semaine, juste après avoir publié, le samedi 3 novembre, l’information sur l’évolution professionnelle du préfet Hagelsteen. Ce papier fit du bruit : il intervenait à un moment où l’action policière échouait décidément à réduire la résistance. Alors que ce qui devait être expédié en deux coups de cuiller à pot se transformait en guerilla, cette information, comme tant d’autres éléments du dossier, montrait que la cause si obstinément défendue par le premier ministre était fort discutable.

Dans les jours suivants, en mon absence, un collègue était enfin envoyé sur place. Je revins le 12 novembre. Une grande manifestation devait avoir lieu le 16 novembre, elle s’annonçait d’ampleur importante. Je demandais à y aller, ayant suivi le dossier depuis le début. La chef de service s’y opposa. Au terme de l’échange, nous convinmes d’en référer au directeur adjoint de la rédaction, Didier Pourquery. J’allais voir celui-ci une heure plus tard. Il me dit que, par ma chronique, mes livres, j’étais “trop marqué » et que je ne pouvais pas couvrir le sujet. J’objectais que mes livres n’avaient pas évoqué le sujet de Notre Dame des Landes, que les chroniques avaient « sorti » des informations exclusives et exactes sur ce dossier, que, par ailleurs, j’écrivais dans les autres pages du journal différemment que dans la chronique qui, par nature, adoptait un ton et un angle fortement marqués. Mais non, « moi, directeur de la rédaction, je décide que tu n’iras pas ». Mais ne pourrais-je travailler avec un autre collègue ? Non. Faire au moins un papier « magazine » dans le supplément hebdomadaire du journal ? Non. Nous parlâmes assez longuement, mais la réponse était tranchée : je ne pouvais pas couvrir Notre Dame des Landes pour Le Monde, hors la chronique. Je n’obtins qu’une chose : pouvoir partir en reportage sur mon temps libre pour celle-ci et pouvoir le raconter sur Reporterre.

Il m’envoya en fin d’après-midi un courriel indiquant : « Bonsoir, En effet Hervé tu as bien noté que je ne souhaite pas que tu suives ce dossier pour le journal (ni pour le M d’ailleurs). Et j’ai bien noté que tu irais sur le terrain en tant que Hervé Kempf chroniqueur ’engagé’. Tout est clair
Merci Didier ».

Je répondis : « J’irai sur le terrain en tant que journaliste. Je ferai mon travail, qui est de témoigner de mon époque, en relatant honnêtement un moment important de l’histoire du mouvement écologique.
Dans le contexte actuel, le terme de chroniqueur ’engagé’ me paraît injurieux – à moins que l’on parle des ’éditorialistes engagés’ quand trois éditoriaux avalisent le Traité TSCG, ou de ’chroniqueur engagé’ à propos de notre camarade assurant la chronique Europe, aux vues très tranchées. J’en reste à ces exemples. »

Contre tous les usages, j’étais dessaisi sans raison valable d’un dossier que j’avais couvert et fait mûrir depuis le début. On me bloquait les reportages, mais aussi les enquêtes sur une affaire où les intérêts économiques paraissaient singulièrement tortueux. En m’interdisant de traiter ce sujet, en refusant de donner écho à ce que je pourrais voir ou trouver dans mes enquêtes, on assumait le fait que Le Monde ne creuserait pas le dossier de Notre Dame des Landes. C’était, de fait, une censure.

Que faire ? A court terme, préparer mon reportage (qui s’effectuerait à mes frais) et prendre rendez-vous avec Erik Izraelewicz, qui fut calé le lundi suivant. Je partis le jeudi pour Notre Dame des Landes. Dans l’espace confiné des 2 400 signes de la chronique, je restituais un constat essentiel de la lutte : les « zadistes » et les « historiques » ne s’étaient pas divisés, comme l’avait espéré le pouvoir, c’était au contraire leur alliance contre la répression qui avait fait échouer celle-ci (« Solidarité écologique »). Et sur Reporterre, je racontais ce que j’avais vu durant ces trois jours magnifiques. Dans un registre d’écriture propre au média, bien sûr, ce n’était pas le reportage que j’aurais écrit dans Le Monde.

La rencontre, lundi 19 novembre, avec Erik Izraelewicz, n’aboutit à rien. Nous discutâmes franchement, quoique calmement, car l’estime était, je crois, réciproque. Il me dit presque d’entrée de jeu qu’il soutenait sa direction. Il me reprocha l’accroche de mon reportage, en forme d’allégorie. Je lui répondis que c’était la réponse à la déloyauté du journal à mon égard. Il me dit que j’avais désobéi en allant à Notre Dame des Landes, à quoi je répondis que Didier Pourquery m’y avait autorisé. J’évoquais l’idée que le journal aurait pu subir des pressions à propos du traitement de ce dossier. Erik dit que c’était injurieux.

Plus tard, des indices concourrant me firent penser que l’hypothèse de pressions d’un propriétaire sur le journal à propos de Notre Dame des Landes était pensable. Ce sont des indices, pas des preuves. Je les publierai si cela parait nécessaire au public.

Mais mon propos n’est pas de savoir pourquoi la direction du Monde a bloqué mon travail de journaliste. S’il y a eu pression, elle devait y résister. S’il n’y en pas eu, elle devait me laisser travailler. Le journal aurait pu discuter des sujets, travailler les angles, m’associer un autre journaliste. Mais non : la direction ne discutait pas, elle interdisait. Le contrat de liberté qui fonde la légitimité de la presse était rompu.

Je ne lâchais pas le morceau. J’allais voir les uns et les autres, interrogeais le syndicat, faisais front face à l’agressivité de la hiérarchie. Nous avions convenu avec Erik Izraelewicz de nous revoir. J’appelais son secrétariat pour prendre rendez-vous. Sa secrétaire me dit, affolée, « Erik va mal, les pompiers sont dans son bureau ». Le directeur du Monde décédait le soir même, 27 novembre.

Nous n’étions pas d’accord, mais je le respectais. C’était un homme droit, il écoutait.

La vie continua. L’affaire n’était pas close. Il me restait la chronique. Je continuais à travailler avec les moyens du bord. Le 2 décembre, m’appuyant sur le travail de contre-expertise des opposants au projet de Notre Dame des Landes, la chronique Ecologie montrait comment, dans l’enquête publique, l’Etat avait manipulé les chiffres pour présenter comme profitable le projet. J’étais coincé dans les 2 400 signes d’un article enfoui au fond du journal ? Rien n’interdisait de développer la démonstration sur internet. De nouveau, ce travail repris par d’autres sites, eut un réel écho.

Mais un journaliste ne peut pas enquêter durablement sur les sujets délicats si le média qui l’emploie ne le soutient pas. Il y faut du temps, quelques moyens, la discussion avec des collègues motivés, la force de la carte de visite. Je savais dans quelles directions il faut porter le regard, l’indiquais dans la chronique du 16 décembre (« Voici le programme ») et notamment sur « le comportement des grandes firmes de génie civil et concessionnaires, à la puissance financière devenue énorme et qui, par des formules de type partenariat public privé, s’assurent la gestion d’opérations qui sont logiquement de la responsabilité publique. »

Je vis le directeur par intérim, Alain Frachon, le 5 décembre. Discussion intéressante, mais qui n’aboutit à rien : le fond du problème était nié. Dans une lettre qu’il m’écrivit le 17 décembre, il exprima le point de vue officiel de la direction : « Ce ne sont pas tes compétences qui sont en question, mais un problème d’image : nous tenons à ce que l’approche du journal reste aussi impavide que possible, tout particulièrement dans les pages Planète ».

A quoi je répondis : « Impavide, nous dit le dictionnaire, signifie ’qui n’éprouve ni ne manifeste aucune crainte, aucune peur’. De quoi le journal pourrait-il avoir peur ? En quoi mon travail de journaliste et de révélateur d’aspects dérangeants du dossier Notre Dame des Landes pourrait-il empêcher le journal de ne pas avoir peur ? »

Une réponse possible à cette question est que Le Monde avait peur de déplaire aux promoteurs du projet d’aéroport.

La fin

Je ne détaille pas les mois suivants, qui ont été pénibles. On voulait me transformer en coupable. Les événements prirent une telle tournure que le délégué du personnel me conseilla de consulter le médecin du travail, qui m’orienta vers une psychologue. J’allais bien, heureusement, même si le choc était rude. Je découvris alors que plusieurs de mes collègues étaient en dépression nerveuse, qu’une mission sur les risques psycho-sociaux était menée dans l’honorable journal, qu’une plainte pour harcèlement moral était engagée par une collègue.

En mars, une nouvelle directrice du Monde fut désignée par les actionnaires. Une de ses premières réformes fut de rétrograder le service Planète, pourtant bien peu remuant, en un pôle subordonné au service International. Le journal lançait une formule marquée par un cahier consacré à l’Economie et aux entreprises, signe de la ligne nouvelle, qui visait la clientèle des « responsables » et CSP +++.

Le Débat national sur la transition énergétique, peu traité par le journal, trouva soudain une vive expression, le 17 mai, sous la forme de quatre pages axées sur « la compétitivité des entreprises » et majoritairement rédigées par des journalistes économiques extérieurs à la rédaction. On expliquait que l’enjeu essentiel d’une nouvelle politique énergétique était la compétitivité des entreprises, que le gaz de schiste réveillait l’industrie américaine, que la politique énergétique allemande produisait maints effets pervers. Un colloque organisé par l’Association française des entreprises privées (les cent plus importantes) et le Cercle de l’Industrie (fondé naguère par Dominique Strauss-Kahn) avec Le Monde accompagnait cet exercice de communication, qui remerciait Alstom, Areva, GDF-Suez, Arkema, Lafarge, etc. Ces partenaires avaient-ils apporté 35 000 euros au journal pour prix de ces quatre pages, comme me l’indiqua un collègue bien placé pour le savoir ?

Le 18 juin, Le Monde organisait, avec l’Institut de l’entreprise, l’International summit of business think tanks (Sommet international des cabinets de réflexion sur les affaires), « avec le soutien de Deloitte et Vinci ». Pour préparer cet important événement, des entretiens avec des chefs d’entreprise furent publiés, le premier avec Xavier Huillard, président de Vinci.

L’environnement gênait. Plus que jamais, la chronique Ecologie divergeait des éditoriaux et des autres chroniques. Cela restait un espace de liberté, mais dans une atmosphère de plus en plus pesante.

En juin, une actualité obligea à supprimer la page du journal qui comprenait la chronique Politique. La direction de la rédaction décida de déplacer cette page au lendemain, et de supprimer de ce fait la chronique Ecologie qui devait paraitre ce jour. C’était un choix éditorial net, qui marquait quelle était la priorité. Pour la première fois depuis sa création, cette chronique était supprimée. On allait me conduire à une lente asphyxie. Nous échangeames des courriels, puis des lettres.

J’allais voir Louis Dreyfus, le président du directoire et directeur de la publication, et nous convinmes qu’une rupture conventionnelle de contrat était la solution idoine. J’étais libéré.

Le quotidien de l’écologie

Libéré… et chômeur. Dans toute cette lutte, je n’ai pas cherché à « voir ailleurs ». Un média aura-t-il le désir de travailler avec un bon journaliste d’environnement, libre, produisant régulièrement des informations et des idées nouvelles, apprécié du public ? On verra. Le téléphone est ouvert.

Mais dans le secteur économique dévasté qu’est devenue la presse, et largement dominé par les intérêts capitalistes, le journalisme environnemental est relégué, de nouveau, à la position de cinquième roue du carosse, voire de gêneur. Ce qui compte, dans l’atmosphère délétère d’un système qui ne proclame la démocratie que pour mieux renforcer les logiques oligarchiques, c’est la croissance, l’économie, la production.

On ne peut plus feindre qu’il y aurait des journalistes « engagés » et d’autres qui seraient neutres. Derrière la bataille pour l’information se joue celle des priorités, et les choix de priorité renvoient à des visions différentes du monde. Le 11 juillet 2012, sur France Inter, Matthieu Pigasse, vice-président de la banque Lazard en Europe et co-propriétaire du journal Le Monde était interviewé – présenté, d’ailleurs, comme « engagé ». La vision de la crise par M. Pigasse était révélatrice. La question des inégalités et de la répartition des richesses n’était pas évoquée, comme si elle n’avait aucune part dans les difficultés. Et pour résoudre le problème de la dette, une seule solution : la croissance. « La mère de toutes les batailles est la croissance », selon M. Pigasse. Qu’il pourrait y avoir une tendance historique à la stagnation de la croissance économique dans les pays riches était hors sujet. Quant à l’idée d’écologie, elle était aussi absente de l’entretien que l’existence des Martiens.

Je ne reproche à personne cette vision des choses. Simplement, il en est une autre tout aussi légitime, et qui ne trouve pas sa place dans les médias : celle selon laquelle la crise écologique mondiale est le phénomène actuel essentiel, sur les plans historique, économique et géopolitique. Et que c’est autour de ce phénomène – qu’il faut mettre en relation avec l’inégalité record qui structure la majorité des sociétés nationales comme les rapports entre Nord et Sud, en relation aussi avec la lutte pour la démocratie qui anime tant de mouvements populaires à travers le monde -, c’est autour de cette question centrale que peut et doit s’orienter la hiérarchie de l’information.

Nous manquons de lieux où s’expose nettement cette problématique, où se présentent les informations et les reportages qui l’expriment, où l’on lise les débats et réflexions vigoureuses qu’appellent les nouvelles questions qui se posent, où les mouvements sociaux et les luttes « d’en bas » soient racontés, où les mille alternatives et solutions nouvelles que créent autant de citoyens qui savent que, oui, « un autre monde est possible » seront décrites, comme ailleurs, on relate les aventures des entreprises du CAC 40.

Eh bien, nous allons développer ce lieu nécessaire, ce « quotidien de l’écologie ». C’est Reporterre.

Faiblesse de nos moyens face aux millions des oligarques qui contrôlent les médias. Nous ne sommes rien, ils sont tout. Mais nous avons ce que l’argent ne peut pas acheter : la conviction, l’enthousiasme, la liberté.

 

kempf@reporterre.net

 

Source : Reporterre

Média et propagande: Le JT, décorticage d’un lavage de cerveau multi-quotidiens…

Posted in actualité, désinformation, média et propagande, pédagogie libération, presse et média with tags , , , , on 30 août 2011 by Résistance 71

Comment la structure rituelle du journal télévisé formate nos esprits

 

par Pierre Mellet

 

Septembre 2007

 

Url de l’article original:

http://www.voltairenet.org/Comment-la-structure-rituelle-du  

 

Si le téléspectateur est de plus en plus attentif au traitement d’informations particulières par les journaux télévisés, il s’interroge rarement sur la structure même de cette émission. Or, pour Pierre Mellet, la forme est ici le fond : conçu comme un rite, le déroulement du journal télévisé est une pédagogie en soi, une propagande à part entière qui nous enseigne la soumission au monde que l’on nous montre et que l’on nous apprend, mais que l’on souhaite nous empêcher de comprendre et de penser.

 

Le journal télévisé est le cœur de l’information contemporaine. Principale source d’information d’une grande partie des Français, il n’était pourtant, à ses débuts, en 1949 en France, que le sous-produit de ce que n’avaient pas voulu diffuser au cinéma la Gaumont et les Actualités Françaises. Défilé d’images sur lesquels était posé un commentaire, le « présentateur » ne s’est installé dans son fauteuil qu’en 1954, quand le journal a été fixé à 20h. Depuis lors, la mise en scène n’a fait qu’aller en s’accroissant, et l’information en a été écartée —si jamais elle était présente au départ— pour faire de ce théâtre non plus un journal, mais un spectacle ritualisé, une cérémonie liturgique. Le « 20h » n’a pas pour fonction d’informer, au sens de dégager une tentative de compréhension du monde, mais bien de divertir les téléspectateurs, tout en leur rappelant toujours ce qu’ils doivent savoir.

L’analyse qui suit se base sur les deux principaux journaux télévisés de 20h français, celui de TF1 et celui de France 2, mais peut, à bien des égards, trouver des correspondances avec les journaux télévisés d’autres pays, principalement en « Occident ».

Le contexte

Fixé à 20h, le journal télévisé est devenu, comme la messe à son époque, le rendez-vous où se retrouve (chacun chez soi) toute la société. C’est un lieu de socialisation essentiel, paradoxalement. Chacun découvre chaque soir le monde dans lequel il vit, et peut dès lors en faire le récit autour de lui, en discuter les thèmes du moment avec l’assurance de leur importance, puisqu’ils ont été montré au « jt ». Tout est mis en place comme dans un rituel religieux : l’horaire fixe, la durée (une quarantaine de minutes), le présentateur-prêtre inamovible, ou presque, qui entre ainsi d’autant mieux dans le quotidien de chacun, le ton emprunté, sérieux, distant, presque objectif, mais jamais véritablement neutre, les images choisies, la hiérarchie de l’information. Comme dans tout rituel, le même revient en permanence, et s’agrège autour d’un semblant d’évolution quotidienne. Les mêmes heures annoncent les mêmes histoires, racontées par les mêmes reportages, lancées et commentées par les mêmes mots, mettant en scène les mêmes personnages, illustrées par les mêmes images. C’est une boucle sans fin et sans fond.

En ouverture, le générique lance une musique abstraite où s’entend le mélange du temps qui passe, la précipitation des événements, et une façon d’intemporel nécessaire à toute cérémonie mystique. Sur la musique, un globe précède l’apparition du présentateur, ou un travelling vers ce dernier le fait passer de l’ombre à la lumière. Tout se passe comme si le monde allait nous être révélé.

Le présentateur y tient rôle de passeur et d’authentifiant. Personnage principale et transcendantal, il se trouve au cœur du dispositif de crédibilité du 20h. C’est par lui que l’information arrive, par lui qu’elle est légitimée, rendue importante et donnée comme « vraie ». Par lui également que le téléspectateur peut être rassuré : si le monde va mal et semble totalement inintelligible, il y a encore quelqu’un qui « sait » et qui peut nous l’expliquer. (Dans d’autre cas, c’est un duo qui présente le journal télévisé. La relation avec le téléspectateur est du coup beaucoup moins professorale et paternaliste, mais plus de l’ordre de la conversation, et peut sembler plus frivole. Bien évidemment, on ne trouvera jamais deux présentateur, ou deux présentatrices, mais toujours un duo hétérosexuel. C’est qu’il s’agit de ne pas choquer la représentation de la famille bourgeoise chrétienne. Ce type de mise en scène étant rare en France, nous ne développerons pas ce point plus avant).

Crédibilité et information

« Madame, Monsieur, bonsoir, voici les titres de l’actualité de ce lundi 6 août », nous dit le présentateur au début de chaque journal. Il ne s’agit donc pas d’un sommaire, d’un tri de la rédaction dans l’information du jour, mais bien des « titres de l’actualité », c’est-à-dire précisément de ce qu’il faut savoir du monde du jour. Il n’y a rien à comprendre, le « journalisme » ne s’applique désormais plus qu’a nous apprendre le monde. Le présentateur ne donne pas de clé, il ne déchiffre rien, il dit ce qui est. Ce n’est pas une « vision » de l’actualité qui nous est présentée, mais bien l’Actualité.

Ce qui importe, dès lors, pour lui, c’est « d’avoir l’air ». Sa crédibilité n’est pas basé sur sa qualité de journaliste, mais sur son charisme, sur l’empathie qu’il sait créer, sa manière d’être rassurant, et sur son apparence d’homme honnête et intelligent.

David Pujadas peut bien annoncer le retrait d’Alain Juppé de la vie politique, et Patrick Poivre d’Arvor montrer une fausse interview de Fidel Castro, ils sont tout de même maintenus à leur poste avec l’appui de leur direction, et n’en perdent pas pour autant leur statut de « journaliste » [1] et leur crédibilité auprès du public. Tout se passe comme si l’information délivrée n’avait finalement pas d’importance. Elle n’est là que pour justifier le rituel, comme la lecture des Évangiles à la messe, mais elle n’en est en aucun cas la raison centrale, le cœur, qui se trouve toujours ailleurs, dans le rappel constant des mots d’ordres moraux, politiques et économiques de l’époque. « Voici le Bien, voici le Mal », nous dit le présentateur.

La hiérarchie de l’information est donc inexistante. Alors que l’un des premiers travail effectués dans tout « journal » est de dégager les sujets qui semblent les plus essentiels pour tenter d’en ressortir un déroulé (propre à chaque rédaction) de l’information en ordre décroissant, de l’important vers l’insignifiant, ici, point. On passe de la dépouille du cardinal Lustiger à l’accident de la Fête des Loges, puis vient le dénouement dans l’affaire de l’enlèvement du petit Alexandre à la Réunion, suivit du suicide d’un agriculteur face aux menées des anti-OGM, à quoi font suite l’allocation de rentrée scolaire, les enfants qui ne partent pas en vacances, la hausse du prix de

l’électricité, la spéléologue belge coincée dans une grotte, la campagne électorale états-unienne chez les démocrates, l’intervention de Reporters sans frontière pour dénoncer l’absence de liberté d’expression en Chine, la Chine comme destination touristique, le licenciement de Laure Manaudou, un accident lors d’une course aux États-Unis, le festival Fiesta de Sète, le décès du journaliste Henri Amouroux et enfin celui du baron Elie de Rothschild [2]. Il n’y a aucune cohérence, à aucun moment. Les sujets ne semblent choisis que pour leur insignifiance quasi- générale, ou leur semblant d’insignifiance. Tout y est mélangé, l’amour et la haine, les rires et les pleurs, l’empathie se mêle au pathos, les images spectaculaires ou risibles aux drames pathétiques, et l’omniprésence de la fatalité nous rappelle toujours la prédominance de la mort sur la vie.

Le reportage

Une fois les « titres » annoncés, le présentateur en vient au lancement du reportage. Le reportage est la démonstration par l’exemple de ce que nous dit le présentateur. En effet, tout ce qui va être dit et montré dans le reportage se trouve déjà dans son lancement. Le présentateur résume toujours au lieu précisément de présenter. Cela crée de la redondance. Ce qui est dit une fois en guise d’introduction est systématiquement répété ensuite dans le reportage. Ce sont les mêmes informations qui sont énoncées, la première fois résumées, et la seconde fois étendues pour l’élaboration de l’histoire contée. Le reportage ajoute très peu de regardant que les images. Il n’y a pas d’interlocuteur, donc pas de chose à ce qu’à déjà dit le présentateur, tout juste développe-t-il les détails anodins qui contrebalancent « l’objectivité » du présentateur en créant de la « proximité ». Aux éléments de départ, trouvé dans le lancement, s’ajoute ensuite à l’histoire les petits détails romanesques nécessaire à son instruction ludique.

Le reportage est constitué de deux choses : l’image et son commentaire. Or, si l’on coupe le son, l’image ne signifie plus rien. Alors même que tout devrait reposer sur elle, c’est l’inverse précisément qui se produit à la télévision : le commentaire raconte ce que l’image ne fait qu’illustrer. Cette dernière n’est là que comme faire-valoir. C’est une succession de paysages semblables, de visages et de gestes interchangeables, collés les uns à côté des autres, et sans lien entre eux. À la télévision, l’image ne sert qu’à justifier le commentaire, à l’authentifier. Elle lui permet d’apparaître comme « vrai ». Et elle le lui permet précisément parce que ne disant rien par elle-même, le commentaire peut alors la transformer en ce qu’il veut, et c’est là le principal danger de ce media. L’image possédant une force de conviction très importante, le consentement est d’autant plus simple à obtenir une fois que vous avez dépouillée l’image de tout son sens et l’avez transformée en preuve authentifiant votre discours. Tout repose donc désormais sur le commentaire, et sur la vraisemblance de l’histoire qui va nous être racontée.

« Dans le reportage, note l’anthropologue Stéphane Breton, le commentaire est soufflé depuis les coulisses, cet arrière-monde interdit au téléspectateur (…) et d’où jaillit, dans le mouvement d’une révélation, un sens imposé à l’image. La signification n’est pas à trouver dans la scène mais hors d’elle, prononcée par quelqu’un qui sait » [3]. Le journaliste n’apparaît que très rarement à la fin de son reportage. Nous entendons donc une voix sans énonciateur. C’est une parole divine qui s’impose à nous pour nous expliquer ce que nous ne pourrions comprendre en ne regardant que les images. Il n’y a pas d’interlocuteur, donc pas de

Tout cela se rapporte à la logique de diffusion de la morale. Le contradiction. Le reportage est un fil qui se déroule suivant une logique propre, celle que le journaliste veut nous donner à apprendre, où les « témoins » ne se succèdent que pour accréditer la parole qui a de toute manière déjà dit ce qu’ils vont nous expliquer. Comme avec le lancement, la redondance est omniprésente dans le reportage. Tout « témoin » est présenté non pas selon sa fonction, ni dans le but de justifier sa place dans ce reportage à ce moment là, mais suivant ce qu’il va nous dire. Et la parole du « témoin » accrédite le commentaire en donnant un point de vue nécessairement « vrai ». « Puisqu’il le dit, c’est que c’est comme ça ». Et bien souvent, le « témoin » n’a strictement rien à dire, mais va le dire tout de même, le journaliste devant faire la preuve de son objectivité et de l’authenticité de son reportage, de son enquête, en démontrant qu’il s’est bien rendu sur place et qu’il peut donc nous donner à voir ce qui est.

Le reportage, au journal télévisé, n’est pas la réalisation d’une enquête qui explore différentes pistes, mais le récit d’un fait quelconque montré comme fondamental. C’est une vision du monde sans alternative, qui tente d’apparaître comme purement objective. Si le présentateur dit ce qui est, le reportage, lui, le montre. Et c’est précisément là que l’image pêche par son non- sens, et que le commentaire semble devenir parole divine. « Voici le monde », nous dit l’un, « et voilà la preuve », poursuit le reportage. Et comment contester la preuve alors qu’elle nous est présentée, là, sous nos yeux ébahis ? La réalité se construit sur l’anecdote, et non plus sur un ensemble de faits plus ou moins contradictoires qui permettent de regarder une situation dans une tentative de vision globale pour pouvoir ensuite en donner une analyse.

Les mots d’ordre

Tout cela se rapporte à la logique de diffusion de la morale. La prison parce qu’il avait droit à une remise de peine, et c’est le journal télévisé, comme la quasi-totalité des médias, est un organe de diffusion des mots d’ordre de l’époque. Il ne discute jamais le système, il ne semble d’ailleurs même pas connaître son existence, mais diffuse à flux tendus les ordres que la classe dominante édicte. Le journal télévisé fait partie de ce « service public », dont parle Guy Debord dans les Commentaires sur la société du spectacle, « qui [gère] avec un impartial « professionnalisme » la nouvelle richesse de la communication de tous par mass media, communication enfin parvenue à la pureté unilatérale, où se fait paisiblement admirer la décision déjà prise. Ce qui est communiqué, ce sont des ordres ; et, fort harmonieusement, ceux qui les ont donnés sont également ceux qui diront ce qu’ils en pensent » [4] .

Le 20h, issu d’une société où la mémoire a été détruite, transmet les mots d’ordre, comme pour tout conditionnement, par la répétition permanente et quotidienne. Les histoires racontées semblent toutes différentes, quand bien même elles sont finalement toutes semblables. Tout y est répété, soir après soir, constamment, et à tous les niveaux. Seuls les noms et les visages changent, mais le film, lui, reste toujours identique. C’est un perpétuel présent qui est montré et qui permet d’occulter tous les mouvements du pouvoir. Les évolutions n’étant plus jamais mises en lumière, c’est bien qu’elles n’ont plus cours. Le journal télévisé diffuse donc la morale bourgeoise (chrétienne et capitaliste) en bloc compact. C’est un vomi long et lent qui s’écoule, dilué et disséminé tout au long du 20h. Ils connaissent plusieurs modes de diffusions :

L’accusation. Elle est constante, et généralement dite par les « témoins », ce qui permet de faire croire au journaliste qu’il a donné à voir un « avis », et qu’il a donc rendu un regard objectif de la situation. Un incendie ravage une maison, et ce sont les pompiers qui auraient dû arriver plus tôt. Un violeur est sorti de

prison parce qu’il avait droit à une remise de peine, et c’est la justice qui dysfonctionne. Un gouvernement refuse de se plier aux injonctions occidentales, et c’est une dictature, un pays sous- développé où la stupidité se mêle à la barbarie, et mieux encore, où la censure bâillonne tous les opposants, qui sont eux nécessairement d’accord avec le point de vue des occidentaux mais ne peuvent pas le dire. Il s’agit toujours de trouver quelqu’un à vouer aux gémonies pour rappeler ce qui est « bien » et ce qui est « mal », et où l’on retrouve toute la sémantique chrétienne du « pardon », de la « déchéance », etc.

L’évidence. Particulièrement utilisée pour régler sans discussions les questions économiques, elle consiste à diffuser les dogmes ou les décisions gouvernementales sans jamais les remettre en question. C’est par exemple le cas de la « croissance », qui est toujours la voie nécessaire à la survie jamais remise en cause et dont le présentateur nous annonce les chiffres avec un air catastrophé : « la croissance ne sera que de 1,2 % cette année selon les experts »…

L’hagiographie. Commme à la messe, le journal télévisé a ses saints à mettre en avant. C’est le portrait de quelqu’un qui a « réussi », soit qu’il vienne de mourir, soit qu’il ait « tout gagné », soit qu’il se soit « fait tout seul », etc. C’est le prisme de l’exception qui édicte le modèle à suivre en suscitant admiration et respect. « Voilà ce que vous n’êtes pas, que vous devriez être, mais ne pourrez jamais devenir, et que vous devez donc adorer », nous répète le journal télévisé en permanence.

Le voisinage. Particulièrement efficace, il s’agit de dire que « la France est le dernier pays en Europe à aborder cette question ». C’est le mécanisme qui régit la sociabilité de base, l’appartenance au groupe par l’imitation, par la reproduction de ce qu’il semble faire ou être. Le présentateur nous dit alors « eux font comme cela, pourquoi faisons nous autrement ? présupposant que notre manière de faire est nécessairement moins bonne. « Travailler après 65 ans, aux États-Unis ça n’est pas un problème ». Aucune analyse n’est jamais donnée des points positifs et négatifs du système voisin, seulement un regard « objectif », qui dit : « voilà comment ça se passe là, et pourquoi c’est mieux que chez nous ».

Le folklore. Ici sont présentés, avec le sourire aux lèvres et l’indulgence pour l’artiste un peu fou mais qui ne fait finalement pas de mal, des gens qui vivent un peu autrement. C’est alors, et seulement dans ce genre de sujet, que le présentateur souligne le caractère « exceptionnel » des personnes qui vont nous être présentées, pour dissuader quiconque de suivre leur exemple.

Ce ne sont là que quelques exemples.

Anecdote et fatalité

Deux modes de représentation du monde bercent principalement le journal télévisé, et sont les deux principaux mouvements de diffusion des mots d’ordre : l’anecdote et la fatalité.

L’anecdote se trouve au début de chaque sujet. Tout part du fait particulier, du fait divers du jour, et s’étend vers le problème plus vaste qu’il semble contenir en lui-même, ou que les journalistes font mine de croire qu’il contient. C’est une rhétorique particulière qui se retrouve aujourd’hui à la base de tous les discours politiques ou journalistiques, un renversement de la logique, du déroulement effectif de la démonstration et de l’analyse du monde : c’est l’exception qui explique désormais la règle, qui la construit. Tout part du fait particulier pour se prolonger, comme si ce dernier détenait en lui toutes les causes et toutes les conséquences qui ont fondé la situation plus générale qu’il est censé démontrer. Le 20h ne se préoccupe jamais de décrire des phénomènes endémiques, ou les sort toujours de la chaîne de nous donner rendez-vous le lendemain à la même heure, puis d’événements qui les a amené à la situation présente. C’est une nécessité dialectique logique pour qui veut transmettre les consignes sans se mettre en devoir de les expliquer, sans quoi il se trouve obligé d’apporter de la complication à sa démonstration et se rend compte que les choses sont moins simples qu’il ne voulait les faire paraître. Pour que les mots d’ordre soient diffusés efficacement, il ne faut pas donner la possibilité d’être contredit, donc il vaut mieux ne rien expliquer. De toute manière, nous l’avons dit, il ne s’agit jamais de donner à comprendre, mais toujours à apprendre.

La fatalité, elle, berce l’ensemble du journal télévisé. Les événements arrivent par un malheurs contingent, un hasard distrait qui touche malencontreusement toujours les mêmes (personnes, pays…). C’est une lamentation constante : « si les pompiers étaient arrivés plus tôt », « si le violeurs n’était pas sorti de prison », « si l’Afrique n’était pas un continent pauvre et corrompu », etc. Elle est la base de toute religion puisqu’elle permet de ne rien avoir jamais à justifier, et rappel le devoir de soumission face à la transcendance, puisque nous sommes toujours « dépassés ». La fatalité revient sonner en permanence comme une condamnation, et ajoute avec dépit (mais pas toujours) : « c’est comme ça ». Le système se régule tout seul et est « le meilleur des systèmes possibles », l’homme est un être « mauvais » et passe son temps à « chuter » et à « rechuter » malgré toutes les tentatives de lui « pardonner », le pauvre est responsable de sa situation parce qu’il est trop fainéant pour chercher des solutions et les mettre en application alors même qu’on les lui donne, etc. C’est un soupir constant, un appel permanent à l’impuissance et à la soumission face à la souffrance. Le monde va et nous n’y pouvons rien…

Une fois les mots d’ordre transmis, le messager divin peut nous donner congé, concluant le sermon du jour en n’omettant jamais de nous donner rendez-vous le lendemain à la même heure, puis disparaît, rangeant les papiers qui font foi de son sérieux, la caméra s’éloignant, l’ombre grandissant, et se fondant progressivement dans cette sorte de musique qui ouvrait déjà la cérémonie.

Pierre Mellet

 

[1] Patrick Poivre d’Arvor, reconnnu comme la star du journalisme français, n’a pas de carte de presse car ses revenus principaux ne proviennent pas du journalisme, mais de ses activités de conseil et d’écriture.

[2] 20h de France 2, lundi 6 août 2007. [3] Stéphane Breton, Télévision, Hachette Littérature, 2005. [4] Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, Gallimard, Folio, 1996.

[3] Stéphane Breton, Télévision, Hachette Littérature, 2005.

[4] Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, Gallimard, Folio, 1996.