14 Juillet: Réflexion sur la société et la révolution…

“L’État c’est ainsi que s’appelle le plus froid des monstres froids et il ment froidement et le mensonge que voici sort de sa bouche: ‘Moi, l’État, je suis le peuple !’ “…

“La vérité importe peu à l’État, seule lui importe une vérité qui lui est utile ou pour parler plus exactement tout ce qui lui est utile, que cela soit vérité, demi-verité ou erreur. Une alliance entre État et philosophie n’a donc de sens que lorsque la philosophie peut promettre d’être sans conditions utile à l’État, c’est à dire de mettre l’intérêt de l’État plus haut que la vérité…”


~ Friedrich Nietzsche ~

 

Les trois problèmes de la révolution

 

Daniel Guérin

 

Publié en 1958

 

Source: http://robertgraham.wordpress.com/daniel-guerin-three-problems-of-the-revolution/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Voline, chroniqueur anarchiste libertaire de la révolution russe après en avoir été un acteur écrit en tant que témoin occulaire de l’évènement:

“Les révolutions précédentes nous ont légué un problème fondamental, je pense particulièrement à celles de 1789 et de 1917: largement contre l’oppression, animées par un souffle puissant de liberté et proclamant la liberté comme étant leur objectif primordial, comment se fait-il donc que ces révolutions ont immanquablement glissé vers une nouvelle dictature, menée par d’autres règles, une strate privilégiée et vers un nouvel esclavage pour les masses populaires ? Quelles pourraient bien être les conditions qui éviteraient à une révolution ce destin fatal ? Ce destin peut-il être dû à des facteurs éphémères ou même plus simplement à des erreurs et lacunes que nous pourrions dès à présent éviter ? Dans ce dernier cas, quel pourrait être le moyen d’éradiquer le danger menaçant les révolutions à venir ?”

Comme Voline, je pense que les deux grandes expériences historiques que sont la révolution française et la révolution russe sont indissolublement liées. Malgré la différence d’époque, la différence de contexte et leur “contenu de classe” différent, les problèmes qu’elles soulèvent et les obstacles qu’elles ont rencontrés sont essentiellement les mêmes. Au mieux la première révolution les met plus en vue de manière embryonnaire que la seconde. Aussi aujourd’hui, les Hommes ne peuvent pas découvrir le chemin de l’émancipation définitive à moins qu’ils puissent faire la distinction dans ces deux expériences entre ce qui fut un progrès et ce qui fut une régression, de façon à en tirer des leçons pour le futur.

La cause essentielle de l’échec relatif des deux plus grandes révolutions de l’histoire ne réside, comme je le vois, et pour emprunter les mots de Voline, n’est ni dans une “inévitabilité historique” ni dans quelques “erreurs” subjectives faites par les protagonistes révolutionnaires. La révolution porte en elle-même une grave contradiction (une contradiction qui, heureusement, disons-le encore, n’est pas sans remède et diminue avec le passage du temps): elle ne peut se produire et ne peut gagner si elle émane du tréfond des masses populaires et de leur révolte spontanée irresistible.

Mais, bien que l’instinct de classe leur commande de briser leurs chaînes, la masse des gens manque d’éducation et de conscience politique. Lorsqu’elle se soulève en cette grande vague pourvue d’une redoutable énergie et qu’elle aspire maladroitement et aveuglément à la liberté, rencontrant sur son chemin des classes sociales privilégiées, afinées, expertes et organisées, elle ne peut seulement triompher de la résistance qu’elle rencontre, que si elle gagne au gré de l’action la conscience, l’expertise, l’organisation et l’expérience qui lui manquent cruellement. L’acte de se procurer ces armes sus-mentionnées, qui sont les seules qui lui permettent de s’assurer qu’elle l’emporte sur leurs adversaires, porte en lui-même un énorme danger: celui que cela puisse bien tuer la spontanéité qui est le cœur même de la révolution, que cela puisse compromettre la liberté au sein de l’organisation ou permettre que le mouvement soit phagocyté par une élite minoritaire de militants plus experts, plus conscients et plus expérimentés, qui pour commencer se placeront en tant que guides de la révolution pour finir par s’imposer comme les leaders et à soumettre les masses à une nouvelle forme d’exploitation de l’homme par l’homme.

Depuis que le socialisme a considéré ce problème et depuis qu’il a perçu cette contradiction, c’est à dire en gros depuis la moitié du XIXème siècle, il n’a cessé d’évaluer les chances et a navigué entre les deux extrêmes de la liberté et de l’ordre. Chacun de ses penseurs et acteurs a peiné laborieusement et tentativement parmi toutes sortes d’hésitations et de contradictions, pour résoudre ce dilemne fondamental de la révolutuon.

Dans son célèbre “Qu’est-ce que la propriété” en 1840, Proudhon avait pensé qu’il avait trouvé une synthèse lorsqu’il écrivit de manière si enthousiaste: “La plus haute perfection de la société repose dans l’union de l’ordre et de l’anarchie”. Mais un quart de siècle plus tard, il nota tristement: “Ces deux idées, liberté et ordre sont dos à dos… Elles ne peuvent pas être séparées, elles ne peuvent pas non s’absorber l’une l’autre: nous devons nous résigner à vivre avec elles et nous efforcer de les équilibrer.. Aucune force politique n’est encore parvenue à une véritable solution dans la réconciliation de la liberté et de l’ordre.

Aujourd’hui, un vaste empire construit sous les auspices du “socialisme” cherche à échapper du joug d’acier d’un “ordre” fondé sur la coercition et ce sans relâche, enmpiriquement et parfois même de manière convulsive ; tout cela pour redécouvrir la route de la liberté pour laquelle ses millions de personnes aspirent tout en devenant plus rude et plus vivant à ce fait.

Le problème demeure posé très précisément et nous n’avons pas fini d’en entendre parler.

Si nous l’examinons plus en détail, le problème pose trois facettes relativement distinctes mais néanmoins liées de manière proche:

  1. En période de lutte révolutionaire, quel devrait-être le bon ratio entre spontanéité et conscience, entre les masses et le leadership ?
  2. Une fois que le vieux régime oppresseur a été renversé, quelle forme d’organisation politique ou administrative devrait remplacer celle renversée ?
  3. Finalement, qui devra administrer l’économie après l’abolition de la propriété privée (un problème qui se pose dans sa pleine mesure aussi loin que l’organisation prolétatienne est concernée mais auquel la révolution française n’a eu affaire que dans une forme embryonnaire) ?

Sur chacun des ces points, les socialistes du XIXème siècle ont hésité, furent fébriles et furent sujets à contradictions les uns avec les autres tout autant que source de lutte intestine. Quels socialistes ?

On peut identifier trois types de socialistes parmi eux:

  1. Ceux que j’appellerai les autoritaires, les étatistes, les centralistes (centralisateurs), leurs héritiers, certains de tradition jacobine ou blanquiste de la révolution française et d’autres allemande (ou pour être plus précis, prussienne), de la tradition de la discipline militaire et de l’État.
  2. Ceux que j’appellerai anti-autoritaires, les libertaires, leurs héritiers d’un côté, de la démocratie directe de 1793 et de l’idée communiste, fédéraliste et de l’autre côté les apolitiques saint-simoniens visant à remplacer la gouvernance politique avec “l’administration des choses”.
  3. Finalement, les soi-disants socialistes scientifiques (Marx et Engels), poussant laborieusement mais pas toujours avec succès ou de manière cohérente et souvent pour de simples raisons tactiques (car ils durent faire des concessions aux branches autoritaires et libertaires du mouvement des travailleurs), de réconcilier les deux courants précédents et parvenir à un compromis entre l’idée autoritaire et la libertaire.

Essayons de résumer brièvement les tentatives faites par ces trois courants de la pensée sociliste pour résoudre les trois problèmes fondamentaux de la révolution.

  1. Spontanéité et conscience

Les autoritaires n’ont aucune cnfiance dans les masses populaires et leur capacité à parvenir à une conscience politique par elles-mêmes et même quand ils visent autre chose, les autoritaires ont une peur panique du peuple et des masses. Si on doit leur donner un quelconque crédit, les masses sont toujours brutalisées par des siècles d’oppression. Elles ont besoin de direction et d’être guidées. Une petite élite de leader se doit de se dresser pour elles, leur enseigner une stratégie révolutionnaire et les mener à la victoire.
Les libertaires, anarchistes d’un autre côté, argumentent que la révolution ne peut-être que l’œuvre des masses populaires elles-mêmes, de leur spontanéité et de leur libre-initiative, de leur potentiel créateur, aussi inattendus que formidables. Ils mettent en garde contre des leaders qui, au nomn d’une conscience supérieure, cherche à surpasser les masses et leur nier le fruit de leur victoire future.

Pour Marx et Engels, ils placent parfois l’accent sur la spontanéité, parfois sur la conscience ; mais leur synthèse demeure fade, insécure et contradictoire. De plus, il doit être dit que les libertaires aussi ne furent pas toujours exempts des mêmes afflictions. Dans Proudhon avec un côté optimiste sur la “capacité politique des classes laborieuses”, on peut aussi trouver des traces de pessimisme émettant des doutes sur cette capacité et s’alignant avec les autoritaires et leur suggestion que les masses devraient être dirigées d’en haut. De la même manière, Bakounine n’a jamais vraiment géré l’idée de se débarrasser du “conspirationnisme” 1848ard de sa jeunesse, juste après son éloge de l’irrésistible instinct des masses, nous le trouvons se faisant l’avocat de la “pénétration” sous couvert des masses par des leaders conscients organisés en “société secrète”. D’où ce va et vient étrange: les gens qu’il critiquait, peut–être pas sans bonne raison, d’autoritarisme le prirent la main dans le sac d’un acte autoritaire machiavélique.

Les deux tendances qui étaient en concurrence au sein de la première internationale (marxisme et anarchisme) se dénoncèrent l’une l’autre et pour de bonne raisons, d’utiliser des manœuvre sous-terraines pour capturer le contrôle du mouvement. Comme nous allons le voir, nous devrons attendre Rosa Luxembourg pour obtenir un modus vivendi viable entre spontanéité et conscience ; mais Trotsky a compromis douloureusement cet équilibre afin de mener la contradiction à son extrême: par certains traits il était “luxembourgiste” comme en témoigne son “1905” et “Histoire de la révolution russe”, il ressentait et avait un instinct pour la révolution d’en bas, il avait mis l’accent sur l’action autonome des masses, mais il changea du tout au tout ensuite, après avoir argumenté de manière brillante contre eux, contre les notions d’organisation blanquistes de Lénine, pour, une fois arrivé au pouvoir, se comporter d’une manière plus autoritaire encore que son leader de parti (bolchévique). Finalement, dans l’âpre lutte en exil, il devait protèger les arrières d’un Lénine qui était devenu inattaquable afin d’amener son accusation contre Staline et cette identification avec Lénine allait lui refuser jusqu’au jour de sa mort, l’opportunité de laisser libre-cours à l’élément luxembourgiste qui était en lui.

  1. Le problème du pouvoir

Les autoritaires maintiennent que les masses populaires, sous la direction de leurs leaders, doivent remplacer l’état bourgeois par leur propre état avec la description “prolétaire” et que pour assurer la survie de l’état prolétaire, ils doivent prendre des mesures et méthodes coercitives employés par l’ancien état, la centralisation, la discipline, la hiérarchie, la police, de manière extrême. Ce projet mena aux cris d’effroi et d’horreur des libertaires, il y a environ un siècle de cela. Ce qu’ils demandaient était-il juste le remplacement de l’appareil d’oppression d’un système par un autre ? Ennemis implacables de l’État, quelque forme d’état que ce soit, les anarchistes considéraient la révolution prolétarienne comme l’abolition finale et ultime des contraintes étatiques. Ils visaient à remplacer le vieil état oppresseur par la fédération libre des communes, une démocratie directe depuis la base.

Marx et Engels ont cherché un chemin entre ces deux extrêmes. Le jacobinisme avait laissé ses marques sur eux, mais des contacts avec Proudhon d’un côté vers 1844 et l’influence de Moses Hess d’un autre, le critique de l’hégélianisme, la découverte de “l’aliénation”, les avaient laissé avec une touche bien plus libertaire. Ils répudièrent l’étatisme autoritaire du Français Louis Blanc et celui de l’Allemand Lassalle, déclarant alors leur soutien pour l’abolition de l’État. L’État, “cette mixture gouvernementale”, devra perdurer après la révolution mais pour un certain temps seulement. Dès que les conditions matérielles indispensables seront réalisées, l’état “disparaîtra”. Dans l’intérim, des étapes doivent être prises pour “minimiser ses effets frustrants du mieux possible”. Cet aspect du projet à court terme ennuie et préoccuppe à juste titre les anarchistes. La survie de l’État, même de manière “temporelle”, n’a aucune validité à leurs yeux et les anarchistes annoncèrent de manière quasi prophétique qu’une fois installé, le Lévianthan refuserait de partir tranquillement. La critique sans relâche à ce sujet des anarchistes laissèrent Marx et Engels en désarroi et ils finirent par faire tant de concessions à leurs détracteurs que cela finit par ne plus guère être qu’une guerre de mots. Cet accord insouciant ne dura pas plus longtemps qu’un matin.

Mais le bolchévisme du XXème siècle démontra que cela n’était pas seulement qu’une question de sémantique. L’État transitionnel de Marx et Engels devint, sous une forme embryonnaire sous Lénine (et Trotsky) et bien plus dans la postérité de Lénine, une hydre multi-têtes qui refusait de manière bornée de céder le pas.

  1. La gestion de l’économie

Finalement, quelle forme de propriété prendra t’elle la place du capitalisme privé ?

Les autoritaires ont une réponse tout prête à cela. Comme leur handicap majeur est le manque total d’imagination et comme ils ont une peur viscérale de l’inconnu, ils se reposent sur des formes de contrôle administratifs et de gestion empruntés au passé. L’État va jeter son grand filet sur l’ensemble de la production, tout le commerce, toute la finance. Le capitalisme d’état survivra la révolution sociale. La bureaucratie qui était déjà énorme sous Napoléon et la royauté, le roi de Prusse et le Tsar de Russie, ne sera plus seulement sous le socialisme un bras de collecte des impôts, de lever des armées et d’augmentation des forces de police, mais ses tentacules s’étendront désormais sur les usines, les mines, les banques et les moyens de transport. Les anarchistes hurlèrent d’horreur à cette idée. Cette extension des pouvoirs abusifs de l’État les frappèrent comme la mort du socialisme. Max Stirner fut un des tous premiers à se révolter contre l’étatisme de la société communiste. Pas que Prodhon fut moins en voix et Bakounine emboîta le pas: “je hais le communisme” declara t’il dans un discours, “parce qu’il résulte nécessairement dans la centralisation de la propriété dans les mains de l’État, tandis que je veux voir une société organisée et la propriété tenue collectivement ou socialement depuis la base par l’association libre et non pas du sommet de la pyramide vers le bas au travers d’une quelconque autorité.”

Mais les anti-autoritaires ne furent pas unanimes à formuler leurs contre-propositions. Stirner suggéra une “libre association” des “égoïstes”, qui fut bien trop philosophique dans sa formulation et aussi trop instable. Le plus terre-à-terre Proudhon suggéra quelque chose de petit-bourgeois approprié à l’ère démodée de la petite industrie, de petit commerce et de la production artisanale: la propriété privée serait sauvegardée ; les petits producteurs, retenant leur indépendance, favoriseraient l’entr’aide mutuelle ; au mieux il était d’accord sur la propriété collective dans un certain nombre de secteurs, pour lesquels il concédait que la grande industrie les avait déjà sous contrôle: le transport, les mines etc… Stirner, comme Proudhon, chacun à sa manière, se laissaient devenir vulnérables et coupaient eux-même les verges pour se faire fouetter par les marxistes, même si cela fut injuste.

Bakounine se démarqua de Proudhon. Pour un temps il fit cause commune avec Marx au sein de la 1ère Internationale contre son mentor. Il répudia l’individualisme post-proudhonien et prit bonne note des conséquences de l’industrialisation. Il soutint pleinement et avec passion la propriété collective. Il se présentait lui-même comme n’étant ni communiste, ni mutualiste, ni collectiviste. La production devait être gérée localement en même temps, au travers la “solidarisation des communes” et en termes de commerce établis par les entreprises ou associations de travailleurs. Sous l‘influence bakouniniste, le congrès de Bâle de la 1ère Internationale en 1869 décida que dans la société du futur, “le gouvernement serait remplacé par les conseils des corps de commerce”. Marx et Engels navigaient entre les deux extrêmes. Dans le “Manifeste du Parti Communiste” de 1848 inspiré par Louis Blanc, ils avaient opté pour la solution facile du pan-étatisme, mais plus tard à la fois sous l’influence de la Commune de Paris de 1871 et de la pression des anarchistes, ils devaient mettre de l’eau dans leur vin étatiste et parler plus “d’autogestion des producteurs”. Ces nuances anarchistes ne furent que de très courte durée. Presque immédiatement, dans leur lutte à mort engagée avec Bakounine et ses suiveurs, ils adoptèrent un vocabulaire bien plus autoritaire et étatiste.

Ainsi ce ne fut pas entièrement sans raison que Bakounine attaqua les marxistes disant qu’ils rêvaient de concentrer toute les productions agricoles et industrielles entre les mains de l’État. Dans le cas de Lénine, des tendances étatistes et autoritaires surpassant un anarchisme qu’elles contredisaient et éteignaient, étaient en train de germer et sous Staline, alors que la “quantité” devint “qualité”, elles dégénérèrent en un capitalisme d’état très oppresseur que Bakounine semblait avoir anticipé dans ses critiques certes parfois injustes de Marx.

Ce bref résumé historique n’est d’aucune utilité si ce n’est de nous aider à retrouver une orientation pour le présent. Les leçons que nous en tirons nous font comprendre de manière lumineuse et dramatique que, malgré bien des options qui apparaissent archaïques et infantiles aujourd’hui par lesquelles l’expérience a réfuté disons leur apolitisme, les libertaires étaient en essence plus corrects que les autoritaires. Ces derniers inondèrent les premiers d’insultes disant que leur programme “était une collection d’idées d’outre-tombe” ou que c’était une utopie réactionnaire, obsolète et moribonde. Mais aujourd’hui, il apparaît, comme le souligne Voline emphatiquement, que ce sont les idées autoritaires qui, loin d’appartenir au futur, ne furent que du réchauffé du vieux monde bourgeois froid, moribond et totalement éculé. S’il y a bien une utopie ici, c’est en fait l’utopie du soi-disant État “communiste”, dont l’échec est si évident que ses propres bénéficiaires (concernés par dessus tout par la préservation de leurs privilèges de caste) essaient ardemment en ce moment d’en sortir.

Le futur n’appartient ni au capitalisme classique, ni, malgré ce que Merleau-Ponty voudrait nous faire croire, à un capitalisme restauré et corrigé par le “néo-libéralisme” ou par le réformisme social-démocrate. L’échec de ces deux doctrines est aussi résonnant que celui du communisme d’état. (NdT: Guérin écrit ceci en 1958 ne l’oublions pas… Nous voyons aujourd’hui à quel point il avait 100% raison…) Le futur appartient toujours et plus que jamais, au socialisme et en cela au socialisme anarchiste. Comme l’avait prophétiquement annoncé Pierre Kropotkine en 1896 “notre âge portera l’empreinte du réveil des idées anarchistes… La prochaine révolution ne sera plus une révolution jacobine.”

Les trois problèmes fondamentaux de la révolution que nous avons esquissé plus tôt devraient et peuvent être enfin résolus. Plus de cette hésitation et de ces tâtonnements de la pensée socialiste du XIXème siècle. Les problèmes ne sont plus posés maintenant en termes abstraits, mais en termes bien concrets. Aujourd’hui, nous pouvons nous servir d’une grande moisson d’expériences pratiques. La technique de la révolution a été enrichie au delà de toute mesure. L’idée anarchiste, libertaire, n’est plus située dans les nuages, mais dérive des faits eux-mêmes, des plus profondes (même lorsque réprimées) et plus authentiques aspirations des masses populaires.

Le problème de la spontanéité et de la conscience est bien plus facile à résoudre aujourd’hui qu’il y a un siècle. Les masses, bien qu’elles soient en conséquence de la grande oppression sous laquelle elles se trouvent écrasées, quelque peu hors d’atteinte aussi loin que l’échec et la banqueroute du système capitaliste soient concernés et bien que manquant toujours de l’éducation et de la clairvoyance politiques, ont regagné une grande partie du terrain qu’elles avaient perdu au cours de l’histoire. Dans les pays industriellement avancés aussi bien que dans les pays en voie de développement et ceux sujets au soi-disant “communisme d’état”, elles ont fait un grand bond en avant. Elles sont moins faciles à duper (NdT: Guérin a raison jusqu’à l’avènement de la société de consommation, arme des destruction massive de la société et mère de toutes les duperies…). Elles connaissent l’étendue de leurs droits. Leur compréhension du monde et de leur propre destinée s’est considérablement améliorée. Bien que les déficiences du prolétariat français d’avant 1840 en termes de son ignorance et de son infériorité numérique, donnèrent naissance au blanquisme, celles du prolétariat russe pré-1917 au léninisme et celles du nouveau prolétariat épuisé et en plein désarroi après la guerre civile de 1918-1920, ou récemment déracinées de la campagne, ont mené au stalinisme, aujourd’hui, les masses laborieuses ont bien moins besoin de faire reposer leurs pouvoirs sur des tuteurs autoritaires et supposés infaillibles.

Une fois de plus, remercions Rosa Luxembourg pour cela, la pensée socialiste a été pénétrée par l’idée que même si les masses populaires ne sont pas encore tout à fait mûres et même si la fusion de la science et des masses envisagée par Lassalle ne s’est pas encore complètement réalisée, la seule façon de combattre ce rétrogradisme et remédier à ces lacunes est d’aider les masses à s’éduquer elles-mêmes en démocratie directe dirigé depuis la base: de les infuser d’un sentiment de responsabilité, au lieu de maintenar en elles comme le fait le communisme d’état, qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition, les vieilles habitudes de passivité, de soumission et de complexe d’infériorité qui leur furent inculquées par l’oppression passée. Même si un tel apprentissage peut parfpis s’avérer fastidieux, même si la vitesse de progression est parfis lente, même si cela met un peu plus de stress sur la société, même cela ne peut progresser qu’au prix d’un degré de “désordre” et disons-le, ces difficultés, ces retards, ce stress ajouté, ces petites douleurs sont bien moins dommageables que le faux ordre, le faux fynamisme, la fausse “efficacité” du communisme d’état, qui réduit l’humain à un chiffre, un numéro matricule, assassine l’initiative populaire et au bout du compte ternit au plus haut point l’image de ce que devrait être le socialisme.

Concernant le problème de l’État, la leçon de la révolution russe est écrite sur le mur pour nous tous de la lire. Eradiquer le droit au pouvoir des masses dès le succès de la révolution comme ce fut fait, reconstruire sur les ruines de la vieille machinerie d’état une nouvelle machinerie d’oppression encore plus raffinée que celle d’avant et la faire passer de manière frauduleuse pour la “dictature du prolétariat” et dans bien des cas, absorber dans le nouveau système “l’expertise” (et les experts) de l’ancien système, mènent graduellement à l’émergence d’une nouvelle classe, caste de privilégiés qui tend à ne vouloir regarder que ce qui concerna sa propre survie, tel est le modèle que nous savons ne pas vouloir imiter. De plus, si nous prenons de manière littérale la théorie marxiste de “la disparition/dissolution de l’État”, ces circonstances matérielles qui ont grandies (d’après les marxistes) ont légitimé la reconstruction d’un appareil d’état qui devrait nous permettre aujourd’hui de nous dispenser de manière croissante de l’État, mais celui-ci est devenu un gendarme qui s’ingère dans tout afin de permettre sa survie coûte que coûte. (NdT: une fois de plus, ceci est écrit en… 1958 sous Khroutchev)

L’industrialisation se passe de grand pas en grand pas dans le monde, bien que cela se passe à différente vitesse selon les pays. La découverte de nouvelles sources d’énergie inépuisable accélère ce processus de manière prodigieuse. L’état totalitaire engendré par la pauvreté et dérivant sa justification de celle-ci devient toujours plus superflus jour après jour. En ce qui concerne la gestion de l’économie, toute l’expérience à la fois dans les pays de la quintessence capitaliste comme les Etats-Unis et dans les pays ayant embrassé le “communisme d’état” (NdT: en fait un véritable capitalisme d’état à terme, comme voulu par Lénine et Trotsky qui ne l’oublions pas, firent la révolution de 1917 aux ordres de leurs maîtres de la finance de la City de Londres et de Wall Street, cf. les recherches du professeur Antony Sutton), démontre que en ce qui concerne au moins les grands secteurs de l’économie, le futur n’est plus avec les grandes unités de production. Le gigantisme industriel américain et soviétique sont des choses du passé: “Trop Grosse” est le titre d’une étude américaine faite pour expliquer les dégâts résultants de ce fait sur l’économie américaine. Le vieux renard Kroutchev réalisa quant à lui, que la décentralisation industrielle devenait nécessaire. Pendant très longtemps il fut cru que les sacro-saints impératifs de planification requérait une gestion étatique de l’économie.

Aujourd’hui, nous pouvons constater que la planification venant d’en-haut, la planification bureaucratique est une terrifiante source de désordre et de gâchis et que, comme le dit Merleau-Ponty: “planifier ne le fait pas” […]
Sans aucun doute, le futur appartient à la gestion autonome des tâches par les associations de travailleurs. Ce qui doit encore être clarifié est le décidément délicat mécanisme par lequel ces intérêts fédérés variés sont réconciliés dans un ordre libre. A la lumière de quoi, la tentative par le Belge César de Paepe, qui est oublié aujourd’hui de manière totalement injuste, de travailler sur un modus vivendi entre l’anarchisme et l’étatisme, mérite d’être ressorti du placard.

Ailleurs, l’évolution de la technologie et de l’organisation du travail ouvre la route au socialisme d’en-bas. La recherche la plus récente au sujet de la psychologie du travail a conclu que la production n’est vraiment “efficace” que si elle n’écrase pas l’humain et si elle travaille avec lui au lieu de l’aliéner et se repose sur son initiative et pleine coopération, transformant son travail, son labeur d’une obligation en une joie, quelque chose qui ne peut pas être accompli dans les barraquements du capitalisme privé ou du capitalisme d’État.
De plus, l’accélération de la technologie du transport est un bonus singulier pour l’opération de la démocratie directe. Pour ne prendre qu’un exemple: grâce à l’avion, en quelques heures, les délégués des branches locales du plus moderne des syndicats américain (disons le syndicat de l’automobile), peuvent se rassembler en un endroit précis.

Mais si nous voulons régénérer un socialisme qui a été mis à l’envers par les autoritaires et le remettre à l’endroit, nous devons agir rapidement. Déjà en 1896, Kropotkine insistait lourdement sur le fait que tant que le socialisme présenterait un visage autoritaire et étatique, les travailleurs ne lui feront pas confiance ce qui aura pour conséquence que les efforts du socialisme seront compromis et son développement frustré plus avant.

Le capitalisme privé, condamné par l’histoire, ne peut survivre aujourd’hui que grâce à la course à l’armement d’une part (NdT: Visionnaire !… Qu’en est-il aujourd’hui, 57 ans après ?… Étonnant non ?…) et grâce à l’échec en comparaison du communisme d’état d’autre part. Nous ne pouvons pas idéologiquement mettre en déroute le Gros Business et sa soi-disante “libre-entreprise”, derrière laquelle rôde la règle de quelques monopoles et nous ne pouvons pas non plus renvoyer à l’atelier nationalisme et fascisme qui sont toujours prêts à renaître de leurs cendres, à moins que nous ne puissions en fait proposer un substitut rapide et bon à l’État pseudo-communiste. Quant aux pays soi-disants socialistes, ils n’émergeront pas de l’impasse présente à moins que nous ne les y aidions, sans les liquider, mais plutôt en reconstruisant leur socialisme depuis les fondations.

Khroutchev a finalement regretté d’avoir hésité si longtemps entre le passé et le futur. Malgré toutes leurs bonnes intentions et leurs essais à la dé-stalinisation ou à la relâche du contrôle d’état, les Gomulka, Tito, Dubcek, courent le risque de faire du surplace ou pire, de glisser de la corde raide sur laquelle ils balancent si dangereusement et sur le long terme, ils risquent la ruine, à moins qu’ils acquièrent une vision anticipatrice et osée qui leur permettrait d’identifier les caractéristiques essentielles du socialisme anarchiste. (NdT: ce dernier paragraphe est très intéressant pour nous, parce que cela rejoint tout à fait ce que nous disions de la politique d’un Chavez par exemple et le disons toujours de son successeur Maduro: la seule voie pour les peuples est hors de l’état et de ses institutions. Il n’y a pas de solution au sein du système !… CQFD, grand merci à l’excellent Daniel Guérin pour cette mise au point lumineuse, faite en … 1958, rappelons-le si besoin était!…)

17 Réponses to “14 Juillet: Réflexion sur la société et la révolution…”

  1. Et cette analyse date de 1958 ! J’étais même pas née…
    C’est construit, critique, bref à se sauvegarder sous word et à utiliser comme trame pour ce changement de paradigme qu’il nous faut, d’urgence. Et après, les néo-cons vont prétendre que nous sommes de doux dingues. Non, et pour appuyer cette article, je vous colle ceci, lu sur le saker francophone ; http://lesakerfrancophone.net/les-hommes-qui-sapproprient-le-soleil/
    Et la dernière saillie de PCR toujours sur l’excellent saker français ;
    http://lesakerfrancophone.net/le-pentagone-lamerique-nest-pas-en-securite-tant-quelle-na-pas-conquis-le-monde/
    Aujourd’hui, 14 juillet 2015, nous avons la preuve en France, en Grèce, en Espagne, en Ukraine, en Macédoine, en Algérie… Everywhere et j’ai presque envie de dire, What else ? que les Zunies veulent le monde pour eux seuls et que tout comme il y a 500 ans, les païens, infidèles du monde entier devaient se soumettre par le baptême ou mourir ; Et bien nous en sommes au même point ! Nous pouvons nous enlever nous mêmes ces chaînes aujourd’hui nous savons comment faire. Il va falloir accélérer le mouvement sinon cela n’arrivera jamais.
    Même si c’est trop tard pour nous il faut tout mettre sur les rails, sinon à quoi bon ?

    • +1
      tout passe par l’éducation (politique) pour atteindre une conscience de lutte collective au-delà des clivages bidons inventés pour nous diviser. tout anarchiste le dira toujours: la révolution sociale se fera par le(s) peuple(s) émancipé(s) ou ne se fera pas.
      Ceci dit notre rôle est d’éduquer et de faire prendre conscience jusqu’à la masse critique. Il n’y a pas d’autre moyen… 😉

    • Oui, et l’incompréhensible arriva ; Tsipras se coucha ! En même temps, il l’a dit et répété qu’il voulait pas sortir de l’UE, nan y préfère continuer le bordel. Jusqu’à quand et pourquoi…

      • Hypothèse : Tsipras, dans toute sa naïveté, y croyait, à une solution. Son ministre des finances, plus balèze et mordant, non : il s’est barré.
        Mais dans tous les cas, la dictature européenne est totalement démasquée. Ceux qui croient encore à une idéal euro-solidaire ont de la m*rde dans les yeux ou sont complices.
        Mais ça pose une couche supplémentaire de mouise : les plaies ne sont pas refermées, le « teuton » is back.
        Ca craint un max…

      • j’ai lu qu’il s’était fait : euro-kiri

    • Farage dit bien sûr des vérités, mais Farage est aussi un étatiste. Sortir de l’UE, casser l’UE est une évidence, mais casser les États devraient encore être plus évidents !
      IL N’Y A PAS DE SOLUTIONS AU SEIN DU SYSTEME…
      Qu’on se le dise !

    • We will all be like Greece if the EU gets its way

  2. Vous connaissez mon côté farfouilleuse ; Daniel Guérin est donc l’auteur de « Ni dieux ni maîtres » ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Gu%C3%A9rin Il ne pouvait donc que me plaire cet homme, fut-il bi !

    • Biem sûr ! Il est aussi l’auteur du meilleur bouquin d’introduction à l’anarchisme à notre sens: « L’anarchisme: De la doctrine à l’action », paru originellement en 1965 chez Gallimard. Il a été republié depuis Chez Folio Essai sous le titre « L’Anarchisme » (même titre en anglais).
      A lire également…

  3. Et cette excellente analyse date de 1958 !
    J’ai bien évidemment sauvegardé ce texte sous word et pour moi c’est une pépite qui doit servir de trame de fond pour ceux qui travaille à un changement de paradigme. Et après les néo-cons vont nous traiter de doux dingues.
    En ce 14 juillet 2015 en France, en Grèce, en Espagne, en Italie, en Ukraine, en Macédoine, en fait every where et j’ai envie de dire what else ? On a la preuve que les zélites Zuniennes veulent le monde pour elles seules… Nous sommes leurs esclaves mais pour de plus en plus de personnes nous savons comment nous défaire de ces chaînes. Il faut accélérer le mouvement, sinon ce sera trop tard. Même si c’est vraisemblablement foutu pour nous, nous devons initier le changement (pas celui d’Hollandouille) !
    Dans la continuité de cet article, je vous colle l’article lu sur le saker francophone ; http://lesakerfrancophone.net/les-hommes-qui-sapproprient-le-soleil/
    Et toujours sur l’excellent saker français, la dernière saillie de PCR
    http://lesakerfrancophone.net/le-pentagone-lamerique-nest-pas-en-securite-tant-quelle-na-pas-conquis-le-monde/
    Franchement, je ne sais pas de quoi sera fait demain, mais tout est là, à notre portée il faut juste recentrer les choses et s’unifier et surtout arrêter de baisser les yeux de courber l’échine ! Cette minorité n’est puissante que parce que la majorité est à genoux. Redressons-nous bordel. Alors relisons Guérin, mais déjà Etienne de la Boétie au XVIIème siècle avait tout compris ! Soyons clairvoyant et agissons, en conscience, sans arme, sans violence et sans haine c’est possible, je le maintiens. Merci à vous R71 pour ces toujours excellents articles ; Fraternellement, Jo.

  4. ww.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/greece/11737773/We-will-all-be-like-Greece-if-the-EU-gets-its-way.html

    faites l’arbre généalogique de tous les élus, députés français ou députés à l’union européenne et je vous parie que pour la plupart ils sortent tous « du peuple » –

    moi je suis pour les envoyer un peu aux champs sarcler les betteraves ou ramasser les patates

    • C’est exactement notre position: Dans une société de confédération des communes libres autogérées, pas besoin « d’éliminer » les anciens oligarques, ceux-ci sont intégrés dans la force de travail « des gens », Rothschild dans les champs ou à l’usine ou œuvrant dans quelque compétence qu’il aurait… ni plus, ni moins… Automatiquement, au contact des gens, les oligarques changeront psychologiquement, c’est l’évidence même, et sur une ou deux générations de normalité égalitaire, il n’y paraîtra plus…
      C’est çà la société organique !

  5. […] Tim Cook devrait se rendre à Herzliya, au nord de Tel-Aviv. Reouven Rivlin espère beaucoup de cette coopération « Nous espérons apprendre de l’expérience d’Apple aux Etats-Unis dans le domaine de l’éducation afin d’utiliser les technologies modernes pour aider les populations faibles ». 14 Juillet: Réflexion sur la société et la révolution… | Resistance71 Blog. […]

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