Mieux comprendre société et état pour un changement politique profond: Fragments d’une anthropologie anarchiste (avec David Graeber) ~ 2ème partie ~

“Qui donc sont les réalistes ? Les réalistes je pense, sont les gens mentionnés plus tôt [dans ce livre “L’illusion occidentale de la nature humaine”], qui prennent la culture comme l’état originel de l’existence humaine et l’espèce biologique comme secondaire voire même conditionnelle… La culture est plus ancienne que l’Homo Sapiens, bien plus vieille et la culture était une condition fondamentale du développement biologique de l’espèce. La preuve de la culture dans la lignée humaine remonte à environ 3 millions d’années, tandis que la forme humaine courante remonte à environ quelques centaines de milliers d’années, l’homme actuel moderne ayant environ juste 50 000 ans… Le point critique est que durant ces 3 millions d’années les humains ont évolué biologiquement sous une sélection culturelle. Nous avons été façonnés corps et âme pour une existence culturelle.”

~ Marshall Sahlins ~

 

“Le monde occidental lui-même est une communauté, mais négative et cette négativité est la mort de toute communauté, de toute civilisation.

L’idée ‘blanche’ au terme de laquelle serait d’un côté ‘la nature’, nature que l’on respecte ou non, de l’autre ‘l’humanité’, est une idée ‘décivilisée’.”

~ Robert Jaulin ~

 

“La communauté primitive [originelle] est à la fois une totalité et une unité. Une totalité en cela qu’elle est complète, autonome, entièrement unie, sans cesse attentive à la préservation de son autonomie: une société dans le plein sens du mot. Elle est une unité en cela que son être homogène continue de refuser la division sociale, d’exclure l’inégalité, d’interdire l’aliénation. La société primitive est une totalité singulière en cela que le principe de son unité ne lui est pas extérieur: elle ne permet aucune configuration pour que l’Un se détache du corps social afin de le représenter, afin de lui faire prendre corps comme unité. Voilà pourquoi le critère de non-division de la société est fondamentalement politique: si le chef sauvage n’a pas de pouvoir, c’est parce que la société n’accepte aucunement que le pouvoir soit séparé de son être propre, qu’une division soit établie entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent.”

~ Pierre Clastres ~

 

Fragments d’une anthropologie anarchiste

 

Extraits du texte de David Graeber* “Fragments of an Anarchist Anthropology”

2004, Pricly Paradigm Press

 

Analyse et traduction d’extraits: Résistance 71

 

Février 2016

 

Le livre a été traduit en français sous le titre “Pour une anthropologie anarchiste”, Lux, 2006

 

1ère partie

2ème partie

 

La mondialisation et l’élimination des inégalités Nord-Sud

Sur le long terme, la position anarchiste sur la mondialisation est évidente: effacement des états-nations ce qui voudra dire l’élimination des frontières nationales. Ceci est la véritable mondialisation. Tout le reste n’est qu’escroquerie.

[…] Une fois, pendant les manifestations que soulevait la réunion du World Economic Forum (Davos), où les riches prétendaient discuter de moyens de soulager la pauvreté mondiale, je fus invité à engager un de leurs représentants dans un débat radiophonique. La tâche en incomba finalement à un autre activiste, mais j’avais néanmoins préparé pour l’occasion, un programme en trois points qui aurait je le pense résolu l’affaire assez efficacement:

  • Une amnistie immédiate sur la dette internationale
  • Une annulation immédiate de toutes les patentes et autres droits de “propriété intellectuelle” de plus d’un an liés à la technologie
  • L’élimination immédiate de toutes restrictions sur la liberté de voyager et de résider mondialement

Le reste en aurait découlé. Au moment même où le citoyen lambda de Tanzanie ou du Laos, ne se verrait plus interdire le droit de résider et de s’établir par exemple à Minneapolis ou à Rotterdam, le gouvernemnt de chaque pays riche déciderait très certainement qu’il n’y aurait rien de plus important que de trouver un moyen de s’assurer que ces gens préferrent rester chez eux plutôt que de se déplacer pour vivre ailleurs. Ne pensez-vous pas qu’ils trouveraient bien quelque chose ?

Alors vous allez me dire “Mais vos propositions sont complètement irréalistes !…” Certes, mais pourquoi ? Essentiellement parce que ces riches types faisant de belles réunions à l’hôtel Waldorf de Davos, ne voudraient rien entendre, cela ne va pas dans leurs intérêts. C’est pourquoi nous disons qu’ils sont le problème en eux-mêmes.

La lutte contre le travail

La lutte contre le travail a toujours été centrale à l’organisation anarchiste. Je veux dire par là, pas la lutte pour de meilleures conditions de travail ou de plus hauts salaires, non, mais la lutte pour éliminer le travail (salarié) en tant que relation de domination. D’où le slogan de l’Industrial Workers of the World (IWW), le syndicat des ouvriers de l’industrie du monde: “Contre le salariat !” Ceci est bien sûr un objectif de long terme et ce qui ne peut pas êrtre éliminer peut du moins être réduit. Au début du XXème siècle, les “Wobblies” (syndiqués de l’IWW) gagnèrent bien des combats sociaux et contribuèrent grandement à l’adoption de la semaine de 5 jours de travail à 8 heures par jour. La lutte des Wobblies aujourd’hui aux Etats-Unis est la semaine de 4 jours de travail à 4 heures par jour: la “semaine des 16 heures”.

[…] Quels boulots sont donc vraiment nécessaires ?

Pour commencer, il y a bien des travaux dont la disparition ne serait contestée par personne et serait un grand gain pour l’humanité. Considérez dans cette liste les télépublicitaires, les producteurs de “stretch-SUV” et les avocats, juristes d’affaire. Nous éliminerions aussi la totalité de l’industrie publicitaire et du marketing, relation publique, tous les politiciens et leurs personnels, tout ceci sans même aller chercher loin dans les fonctions de la société. L’élimination de l’industie de la publicité réduirait de facto considérablement la production, la distribution et la vente de produits totalement inutiles. L’élimination des inégalités radicales signifierait aussi que nous n’aurions plus besoin des services des millions d’employés actuels à ouvrir et fermer les portes, les forces de sécurité privées, gardiens de prison ou équipes de police spécialisées, sans parler de l’armée. Au-delà de cela, il faudra conduire une recherche. Les financiers, banquiers, assureurs et agents d’investissement sont tous essentiellement des parasites, mais il pourra demeurer quelques fonctions utiles dans ces secteurs d’activité, qui ne pourront pas simplement être remplacés par des logiciels.

[…] Ceci nous amène à une question vitale: “Qui va faire les sales boulots ?” La sempiternelle question qui est toujours lancée à la face des anarchistes. Pierre Kropotkine a pointé il y a bien longtemps à l’absurdité de cette question/argument. Il n’y a en fait aucune raison pour laquelle ces boulots devraient exister. Si on divisait les taches déplaisantes de manière équitable, cela voudrait dire que les top scientifiques et ingénieurs et chirurgiens du monde devraient les faire également. On pourrait alors très facilement concevoir la création très rapide de cuisines auto-nettoyantes et de robots de nettoyage, d’assainissement ou fonctionnant pour le travail minier et ce pratiquement immédiatement.

Démocratie

Ceci pourrait bien donner au lecteur une chance d’apercevoir ce qu’est une organisation anarchiste, ou inspirée par l’anarchisme ; quelques contours du nouveau monde sont en train d’être construits dans la coquille de l’ancien et de montrer ce que la perspective historico-ethnographique que j’ai essayée de développer ici et de voir comment notre science non-existante pourrait y contribuer.

Le premier cycle du nouveau soulèvement mondial, ce que les médias insistent à appeler de manière ridiculement croissante “le mouvement anti-mondialisation”, a commencé avec les municipalités autonomes du Chiapas au Mexique et vint au top avec les asembleas barreales de Buenos Aires et des villes argentines. Il n’y a ni le temps ni l’espace ici pour en expliquer l’histoire complète. Cela a commencé avec le refus des Zapatistes de l’EZLN de prendre le pouvoir et leur tentative de créer un modèle d’autogestion démocratique qui inspirerait le reste du Mexique, leur initiative de créer un réseau international du People’s Global Action ou PGA (Action Global Populaire), qui appela à des journées d’action contre l’OMC à Seattle), contre le FMI (Washington, Prague…) etc… L’effondrement final de l’économie argentine et le révolte populaire qui s’en suivit, qui encore une fois rejeta l’idée qu’on puisse trouver une solution en remplaçant un set de politiciens par un autre. Le slogan du mouvement argentin fut des le départ: Que se vayan todas, qu’ils s’en aillent tous ! Au lieu d’un nouveau gouvernement, ils établirent un vaste réseau d’institutions alternatives, à commencer par les assemblées populaires afin d’organiser chaque voisinage où la seule restriction à la participaton était pour ceux qui appartenaient à un parti politique, il y eut des centaines d’usines occupées par les ouvriers et autogérées par ceux-ci, un système complexe de “troc” et un système de monnaie d’échange alternatif afin de les maintenir opérationnels, bref, une longue variation sur le thème de la démocratie directe. Tout ceci se produisit sous le radar des médias, qui complètement loupèrent la signification de ces grandes mobilisations pour cause d’asservissement corporatiste.

L’organisation de ces actions fut faite pour donner une illustration vivante de ce que pourrait être un monde véritablement démocratique.

[…]

Anthropologie

Chapitre dans lequel l’auteur mord à regret, la main qui le nourrit… (Note de R71: Ce sous-titre existe factuellement dans la version anglaise du livre, ironiquement ou non, Graeber est un peu du genre “pince-sans-rire”… Il sera viré de Yale un an après avoir publié ce livre.)

La question finale, celle que j’ai de mon propre aveu éviter de poser jusqu’ici, est pourquoi les anthropologues n’ont pas éprouvé plus d’affinité avec l’anarchisme jusqu’ici ?

[…] C’est un peu bizarre, parce qu’après tout, les anthropologues sont le seul groupe de scientifiques universitaires qui savent quelque chose au sujet des sociétés sans état existant réellement ; bon nombre d’entre eux ont physiquement vécu dans des endroits du monde où les États ont cessé de fonctionner ou du moins se sont effacés et ont laissé les peuples gérer leurs propres affaires de manière autonome. Si rien d’autre, les anthropologues sont parfaitement au courant de ce que la supposition générale de ce qui serait supposé arriver en l’absence de l’État et qui voudrait que “les gens simplement se massacreraient entre eux !…” est factuellement fausse.

Pourquoi donc ?

Il y a plusieurs raisons. Quelques unes sont compréhensibles.

La discipline que nous connaissons aujourd’hui a été rendue possible par de terribles et horribles schémas de conquête, de colonisation et de meurtre de masse, tout comme d’autres disciplines scientifiques comme la géographie, la botanique, comme aussi les mathématiques, la linguistique ou la robotique, mais les anthropologues, dont le travail tend à connaître personnellement les victimes, ont fini par agoniser sur ces faits et ces façons de faire comme sans doute aucun autre protagoniste n’a pu le faire.

[…] Pour les anthropologues, les résultats ont été bizarrement paradoxaux. Alors que ces scientifiques sont littéralement assis sur de très vastes archives d’expérience humaine, d’expériences sociales et politiques, dont personne d’autre n’a vraiment connaissance, ce corps d’ethnographie comparative est vu comme quelque chose de honteux. Comme je l’ai dit, ce n’est pas traité comme l’héritage commun de l’humanité, mais comme notre sale petit secret. Ce qui est très utile, du moins dans la mesure où jusqu’ici le pouvoir académique est largement constitué de l’établissement des droits de propriété sur une certaine forme de connaissance et de s’assurer que les autres n’y aient pas vraiment accès ; parce que comme je l’ai dit, notre sale petit secret est toujours le notre. Ce n’est pas quelque chose qu’on a besoin de partager avec les autres.

Mais il y a plus. De biens des façons, l’anthropologie semble être une discipline qui semble être absolument terrifiée de son propre potentiel. Elle est par exemple, la seule discipline scientifique qui est en position de faire des généralisations au sujet de l’humanité dans sa globalité, car c’est la seule discipline qui prend de fait en compte toute l’humanité et qui est familière avec les cas d’anomalies (ex: “toutes les sociétés pratiquent le mariage dites-vous ? Et bien cela dépend du comment vous définissez le mariage. Chez les Nayar par exemple….) Et pourtant, elle refuse résolument de le faire.

Je ne pense pas que ceci soit seulement une réaction compréhensible de la “droite” encline à faire de grands arguments au sujet de la nature humaine afin de justifier des institutions sociales particulièrement néfastes et répressives come le viol, la guerre, le libre-marché, le capitalisme etc bien que ce soit sans aucune doute une partie de la raison. C’est partiellement aussi à cause de la taille du sujet, son immensité. Qui a par exemple les moyens et le temps de discuter disons des conceptions du désir ou de l’imagination ou du soi ou de la souveraineté en considérant tout ce que les penseurs chinois, indiens et mulsulmans pensent sur les sujets en plus des canons de la pensée occidentale, sans même parler des conceptions émanant des centaines, des milliers de peuples au travers des îles océaniques, des Indiens des Amériques et autres peuples ? C’est bien trop vaste. Ainsi les anthropologues ne produisent plus de généralisations théoriques et tournent ce travail aux philosophes européens qui n’ont aucun problème à discuter du désir ou de l’imagination ou du soi ou de la souveraineté comme si ces concepts avaient été inventés par les Platon, Aristote, développés par Kant ou le divin marquis et n’avaient jamais été discutés de manière profonde en dehors de l’élite des traditions littéraires européennes et nord-américaines. Là où autrefois les termes théoriques anthropologistes clef étaient des mots comme mana, totem, ou tabou, les nouveaux mots à la mode dérivent tous invariablemet du grec, du latin via le français et un peu d’allemand.

Alors donc que l’anthropologie semble être parfaitement positionnée pour fournir un forum intellectuel pour toutes sortes de conversations planétaires politiques ou autre, il y a une certaine gêne intégrée à le faire.

Il y a ensuite la question politique.

La plupart des anthropologues écrivent comme si leur travail avait une importance politique évidente et d’un ton qui trahit qu’ils pensent que ce qu’ils font est radical et certainement de centre-gauche. Mais en quoi exactement consiste cette politique ? C’est de plus en plus difficile à dire. Les anthropologues ont-ils une tendance à être anti-capitalistes ? Il est certainement difficile d’en trouver qui ont quelque chose de bien à dire du capitalisme. Beaucoup ont pris pour habitude de décrire l’âge actuel comme étant celui de la “fin du capitalisme”, comme si le fait de le dire allait y mettre fin et qu’ils pourraient par ce simple fait précipiter sa disparition. Mais il est aussi difficile de penser à un anthropologue qui aurait récemment fait une quelconque suggestion sur ce que pourrait être une alternative au capitalisme. Alors sont-ils des libéraux ? Beaucoup ne peuvent prononcer ce mot sans un grognement de dédain. Alors quoi ? Aussi loin que je puisse le comprendre, il n’y a qu’un seul sentiment bien partagé à travers le spectre de la profession: celui du populisme. Si rien d’autre, nous ne sommes définitivement pas du côté de qui que ce soit, dans une situation donnée, est ou se targue d’être l’élite. Nous sommes pour les petites gens. Comme en pratique la plupart des anthropologues sont attachés à des universités ou si non terminent avec des boulots comme des consultations en marketing ou des boulots à l’ONU, des positions au sein même de l’appareil de réglementation global, ce qui en revient vraiment à une sorte de constante, une déclaration ritualisée de déloyauté à cette même élite mondiale dont nous-mêmes, en tant qu’universitaires et membres de l’academia, formons clairement (même si de manière admise marginale) une faction.”

[…]

Pour clore son petit livre/essai/manifeste Graeber commente sur l’expérience anarchiste qui ne dit pas son nom parce qu’ancrée dans le mode de gouvernance et la tradition autochtone des participants: Les Zapatistes du Chiapas dans le sud du Mexique, descendants directs des peuples Mayas. Ce qui est une très bonne façon de conclure son discours puisque le plus souvent, c’est ce qu’on voit ou apprend en dernier qui reste.

Graeber écrit son livre en 2004, soient 10 ans après l’avènement des Zapatistes en 1994. Aujourd’hui en 2016, le mouvement anarcho-indigène du Chiapas est dans sa 23ème année d’existence et continue à inspirer de plus en plus mondialement.

Laissons le mot de la fin à David Graeber et au mouvement zapatiste du Chiapas…

Les Zapatistes sont venus essentiellement des communautés de langue Maya Tzeltal, Tzotzil, et Tojolobal, qui se sont établies dans la jungle de Lacandon (NdT: sud-est du Mexique à la frontière guatémaltèque). Ce sont des communautés parmi les plus pauvres et les plus exploitées du Mexique. Les Zapatistes ne s’appellent pas eux-mêmes anarchistes, ni même autonomistes. Ils représentent leur propre voie au sein de cette tradition indienne bien plus vaste, en fait ils essaient même de révolutionner les stratégies révolutionnaires en abandonnant toute notion de parti d’avant-garde saisissant et contrôlant l’état et ses institutions (NdT: ce que prône toutes les factions marxistes… Les Zapatistes ne sont pas des marxistes) ; au lieu de cela combattant pour créer des enclaves libres qui pourraient servir de modèles pour des gouvernements autonomes, permettant ainsi une réorganisation générale de la société mexicaine en un réseau complexe de groupes autogérés se chevauchant les uns les autres et qui pourraient ensuite commencer à discuter la réinvention de la société politique.

Il y eut des divergences d’opinion au sein du mouvement zapatiste quant aux formes de pratiques démocratiques à employer et à promouvoir. La base qui parlait les langues maya poussèrent pour une forme de processus consensuel adopté de leur propre tradition communale, mais reformulée pour être plus radicalement égalitaire. Quelques uns des membres de la faction armée zapatiste parlant espagnol furent très sceptiques sur le fait d’appliquer cela à l’échelle nationale. Finalement, ils se rangèrent derrière la vision de ceux qu’ils “mènent en obéissant” comme le dit si bien le dicton zapatiste. Mais ce qui est remarquable est ce qu’il se passa lorsque les nouvelles de cette rébellion se propagèrent au reste du monde. C’est là où on peut voir à l’œuvre la “machine identitaire” de Leve.

Plutôt qu’une bande de rebelles ayant une vision radicale de transformation démocratique, ils furent immédiatement redéfinis comme une bande d’Indiens Maya demandant l’autonomie indigène. C’est ainsi que les médias internationaux en ont fait le portrait, c’est ce qui était considéré comme important à leur sujet venant de tout le monde, des organisations humanitaires aux bureaucrates mexicains en passant par les contrôleurs des droits de l’Homme de l’ONU. Alors que le temps passait, les Zapatistes, dont la stratégie a été dès le départ dépendante de gagner des alliés dans la communauté internationale, furent forcés de plus en plus de jouer également la carte indigène, sauf en s’arrangeant avec leurs alliés les plus motivés.

Cette stratégie n’a pas été inefficace. Dix ans plus tard (NdT: 22 ans plus tard en 2016..), l’EZLN est toujours là, sans avoir pratiquement dû tirer un coup de feu même si cela est dû au fait que jusque maintenant ils ont minimisé le mot “national” qui est dans leur nom (Ejercito Zapatista de Liberación Nacional ou Armée Zapatiste de Libération Nationale).

[…] Ce que les Zapatistes proposaient de faire était exactement de commencer ce travail difficile qui ignore tant au sujet de “l’identité”: essayer de réussir ce qui forme une organisation, ce qui forme un processus et une délibération, seront requis pour créer un monde dans lequel les gens et les communautés seront acrtuellement libres de déterminer pour eux-mêmes quels types de peuples et de communautés ils désireront être.

Et qu’est-ce qu’on leur a dit aux Zapatistes ?

Ils furent effectivement informés que comme ils étaient Mayas, ils ne pouvaient rien avoir à dire au monde au sujet des processus par lesquels l’identité se forme, se construit, ou au sujet de la nature des possibilités politiques. En tant que Mayas, la seule déclaration politique qu’ils pourraient faire aux autres serait au sujet de leur propre identité maya. Ils pouvaient affirmer leur droit de demeurer Mayas. Ils pouvaient demander d’être reconnus en tant que Mayas ; mais pour un Maya de dire quelque chose au monde qui ne fusse pas seulement un commentaire sur leur propre identité serait simplement inconcevable.

Et qui au final a écouté ce que les Zapatistes avaient à dire ?

Et bien largement une collection d’adolescents anarchistes en Europe et en Amérique du Nord, qui commencèrent bientôt à assiéger les sommets économiques et politiques de cette même élite mondialiste avec laquelle les anthropologues maintiennent une telle alliance difficile et inconfortable.

Mais les anarchistes avaient raison. Je pense que les anthropologues devraient faire bien plus cause commune avec eux. Nous avons des outils dans les mains qui pourraient bien être d’une énorme importance au final pour la liberté humaine. Commençons donc par en faire usage.

14 Réponses to “Mieux comprendre société et état pour un changement politique profond: Fragments d’une anthropologie anarchiste (avec David Graeber) ~ 2ème partie ~”

  1. « mieux-comprendre-societe-et-etat-pour-un-changement-politique-profond-fragments-dune-anthropologie-anarchiste-avec-david-graeber »

    Une simple question,
    Dans ce nouveau paradigme,
    Comment comptez vous traiter le problème
    Du peuple « élu » ?

    Pour rappel,tout les rois de France ainsi que napoleon y ont été confrontés.

    • et aussi un grand nombre de ces gens furent des anarchistes au XIXème et début XXème. Emma Goldman, Alexandre Berkman, Voline, Gustav Landauer, pour n’en citer que quelques uns, le projet sioniste a aussi eu pour origine la volonté de canaliser l’énergie des activistes et penseurs anarchistes qui avaient le vent en poupe, sur un projet nationaliste. Certains ont mordu à l’hameçon d’autres pas, le sionisme comme tout colonialisme et étatisme est une antinomie totale à l’anarchie, c’est pourquoi du reste le mouvement kibouthzim a échoué.
      Ce que nous voulons dire par là, c’est que ces gens savent très bien qu’il n’y a pas plus de « peuple élu » que de beurre en branche. Nous n’avons affaire qu’à une minorité de frapadingues de leur mythologie qui endoctrine la majorité pour subvenir à des objectifs bien précis essentiellement exogènes du reste, ces gens demeureront des frapadingues du missel ou autres torchons religieux, noyés dans la masse des communes libres confédérées et n’ayant plus aucun moyen matériel d’imposer leurs idées dégénérées religieuses à qui que ce soit, parce que le pouvoir sera dilué totalement dans les peuples et que leur survie dépendra de leur volonté à intégrer la volonté de l’intérêt général qui sera le seul objectif politico-social. Il n’y aura plus aucune possibilité de dire aux voisins: « on vous donne 1 million de dollars si vous faites comme on veut », comme cela se passe CONSTAMMENT aujourd’hui.
      Tout cela s’autorégulera à termes.
      Prendre les rois et napoleon comme exemple n’est pas le bon angle d’approche, comment veux-tu régler un pb sectaire avec des sectaires ?… C’est un pb systémique qu’il faut régler à la base. As-tu remarqué que ce que nous publions est de plus en plus ciblé ? De moins en moins général… Il faut adresser le pb à sa racine qui est la société ; cela ne peut se faire qu’en comprenant mieux ce s’est passé pour mieux comprendre ce qu’il se passe maintenant et ce qu’on ne veut pas qu’il se passe et comment on peut changer le cap de ce navire à la dérive qu’est l’humanité. Les fragments de réponses se trouvent dans l’anthropologie, l’histoire, la philosophie politique. La supercherie est grandiose. L’oligarchie a fait falsifier bien des choses, jusqu’à la compréhension du fonctionnement de la société (qui est très très antérieure à l’État, mais dont on inculque aux gens qu’elle est l’État). L’oligarchie a réussi à persuader les gens que société = état et que c’est inéluctable et que sans l’État ce sera « la lutte de tous contre chacun » (Hobbes), que « l’homme est un loup pour l’homme », que c’est la « survie du plus apte » et toutes les inepties social-darwinistes et malthusiennes avenantes, si utiles à la justification de la prédation capitaliste et à ses racines racistes et eugénistes.
      Il faut détruire les mythes, c’est du bowling en fait, on essaie le strike à chaque coup. 😉
      C’est un boulot de démythification par le dépoussiérage. Il n’y a rien à vraiment inventer, juste qu’à dépoussiérer et ressortir quelques joyaux de sous les gravas où ils ont été intentionnellement enfouis…
      C’est notre mission: balayeur de société, plus on sera de balayeurs, plus vite on déblaiera et plus vite les gens pourront voir et choisir à bon escient. Aujourd’hui personne ne choisit rien, tout est imposé (avec plus ou moins de force, ce n’est qu’une question de degré) du berceau à la tombe…
      Temps que çà change non ?…

  2. Tu éludes un peu trop vite certains facteurs dans ton équation.
    Tu ne parts pas d’une feuille blanche,mais de la situation actuelle.
    Le point de non retour est déjà franchi.
    C’est une utopie ton paradigme,
    Et soit il se bâtira sur une mer de sang,comme les autres,
    Soit tu auras vraiment besoin de l’aide de Dieu,
    Ce qui est totalement exclu,pour ta part.

    Et peut être que la seule chance de voir ce paradigme ou quelque chose d’approchant sera le systeme adopté par leur future Nouvel ordre mondial,
    Le shalom juif en quelque sorte.

    • Non, parce que leur N.O.M est un système supra étatique répressif et globalement totalitaire. à l’opposé total de ce que serait une société associative libre complètement décentralisée.
      Ce que nous disons est qu’il n’y a pas de solutions au sein du système, après les gens feront ce qu’ils entendront. Personne ne peut décider pour eux, soit il y aura à un moment donné une conscience collective suffisante pour aller dans la direction de la société organique non-étatique, anti-autoritaire et solidaire, soit il n’y en aura pas et ce sera le goulag planétaire, laissons dieu en dehors de tout çà, car juste pour la discussion en admettant qu’il existe, au mieux, il en a vraiment rien à crier de nos gueules… 😉

  3. Concernant l’EZLN vous rappelez-vous de leur message dans lequel il faisait référence à leur origine maya et au fait que le 21/12/2012 avait été procédé à la réactivation de leur mouvement et j’avais pour ma part fait allusion au message maya comme quoi, il n’avait jamais prétendu à aucun moment que c’était la fin annoncée et que l’EZLN l’avait transformé en ; Début de qque chose… Si vous le retrouvez, vous pourrez m’envoyer le lien, par mail, SVP ? Je le reblogue celui-ci en y liant les 2 billets sur l’EZLN demain se plante aujourd’hui et du fond de la nuit des temps ; https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/01/05/demain-se-plante-aujourdhui/
    https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/01/08/du-fond-de-la-nuit-des-temps/

    Comme quoi, sur une page blanche on peut écrire avec des idées déjà pensées dans une forme nouvelle et adaptée à la modernité de notre époque… Merci, A+ JBL

  4. Une société non étatique sous entend un projet global,
    A l’échelle de la planète.
    Donc sans avoir peur des mots:
    Un nouvel ordre mondial.

    Une prise de conscience globale,qui viendrait d’on ne sait où ,
    Il faut bien des leaders,il ne peut en être autrement,
    Des gens comme toi qui ont une vision d’un modèle,d’un système,et qui ont le don de le vulgariser pour le commun des mortels.

    J’oserai dire un « guide », mais tu vas rigoler.

    Donc projeter ce modèle d’une manière concrète devient à un stade de la réflexion nécessaire.
    C’est tout un modèle social financier et énergétique qu’il faut réformer,donc,Du concret.

    Quelle est la mécanique de ton paradigme ?

    Je défends l’idée que le système dans lequel nous vivons est bon,
    Mais que ce sont les mauvaises personnes qui sont à sa tête.
    Ils ont corrompu une machine qui pouvait fonctionner,
    J’en veux pour preuve que les 60 les plus riches possèdent autant que les 3 000 000 000 les plus pauvres.
    Ce système permet de capter la richesse,y’a plus qu’à redistribuer.

    Le non agir de tchouang tseu c’est ça :

    « L’action doit avoir un but précis,sinon elle se divise,elle se brouille,
    Elle tourne mal et cause à la fin des dégâts irréparables.
    Les sages d’autrefois gardaient en eux le ressort de l’action,
    Ils ne le laissaient pas à d’autres.
    Tant que tu n’est pas sûr de le détenir,ne te mêle pas de mettre fin aux méfaits d’un tyran  »

    Tchouang tseu.

    • La mécanique, comme maintes fois expliqué ici, part de l’individu et de sa décision de refuser de consentir à l’oppression perpétuelle de l’État et de ses institutions qui ne savent et ne peuvent « gouverner » que par la répression, la peur et en exerçant un monopole de la violence pseudo-légitime. Donc l’individu dit stop. Dans le même temps, il s’associe localement et librement avec d’autres individus ayant eu la même prise de conscience et ayant décidé que ¡Ya Basta! ces gens continuent de s’associer librement et agissent sur leurs lieux de travail, voisinages, dans les campagnes, dans les villes. Ceci constitue l’ossature de la société organique en formation. La société s’organise en parallèle en ignorant état et institutions et forme des collectifs qui devront se réapproprier la terre et les moyens de productions et de distributions, non pas pour les remettre à la disposition d’un « parti d’avant-garde » et ses leaders, mais au peuple lui-même (Espagne 1936-39), tout cela fait boule de neige et s’étend au-delà des frontières et de vastes étendues géographiques fonctionnent confédérativement en association libre.
      Fondamentalement, il y aura une remise en question de la propriété et du salariat pour que l’accumulation de richesses individuelle et collective deviennent impossible, ainsi se solutionne le pb de la corruption et de l’assujettissement du politique à l’économique.
      La société devient organique, elle fonctionne non plus verticalement, mais horizontalement de manière non sclérosée et véritablement progressiste.
      Ce type de société existait dans les sociétés ancestrales, avant la division du pouvoir et sa constitution en une entité séparée de la société. Il suffit d’adapter les principes au monde moderne. Cela ne se fera pas à l’échelle planétaire dans un premier temps, en tout cas, il n’y aura pas de simultanéité, mais à terme oui, ce ne sera que répandre l’universalité.
      Y aura t’il des leaders ? Oui, car les leaders sont naturels dans les sociétés, simplement ils n’auront absolument aucun pouvoir et il leur sera impossible de s’en « emparer » puisque le pouvoir sera structurellement retourné en solution dans les peuples qui seuls décideront des affaires politiques.
      L’humanité a fonctionné des millénaires sur ce type de modèle, rien de nouveau, suffit d’adapter au monde moderne. C’est ce que l’humain fait le mieux, il s’adapte, c’est quand il veut dominer (la Nature d’abord) qu’il se plante royalement, parce que la domination est une tare systémique.
      Il est IMPOSSIBLE de planifier ce que sera cette société, bien des choses se règleront d’elles mêmes dans la pratique simplement parce que le rapport et l’attitude au pouvoir changeront.
      Si on avait dit à des paysans du XVème siècle, que leurs descendants vivraient sans roi, dans un système 8toujours étatique) mais de délégation où le politique centralisé demanderait l’avis du peuple (sur le papier en tout cas), ils auraient dit: « vous êtes des utopistes, jamais cela ne pourra changer, la taille, la dîme et la gabelle, le servage etc… » çà s’est produit. çà n’a pas donner les meilleurs résultats, parce que le système politique étatique toujours imposé est une ineptie qui ne sert que les intérêts du toujours plus petit-nombre, certes, mais cela s’est produit.
      Nous assistons au commencement de la fin de l’État tel qu’il a été connu depuis quelques siècles. Quel chemin devant nous ? L’imposition du goulag planétaíre du N.O.M oligarchique supra-national ou le choix des peuples à vivre enfin libre ?
      Il y aura une croisée des chemins. Il faut arrêter d’avoir peur et concevoir une notion que le taoïsme développa dans sa forme de bouddhisme Ch’an qui est devenu le Zen dans son passage au Japon. La notion de « lâcher-prise ». Savoir lâcher ses illusions et ses désirs pour atteindre le « satori ».
      Le satori politique… C’est la société anarchiste. 😉

      • Un passant Says:

        L’oligarchie et ses sous-fifres sont en train de donner coup sur coup. Pas sûr qu’il faille (et en tout cas pas évident de) rester si zen que ça!

        • L’oligarchie est à bout de souffle et aux abois, si nous pouvions jouer la carte de la coopération, de la solidarité, ces ordures, mais au-delà d7eux, le système en place n’en aurait plus pour longtemps, sans armes, ni haine, ni violence.

          • Un passant Says:

            Puissiez-vous avoir raison. Mais pour la solidarité, je remarque autour de moi (ville d’Europe occidentale) encore trop de « chacun pour soi », d’égoïsme etc… mais ça viendra peut-être, il y a aussi des gens qui se réveillent, mais pas encore assez me semble-t-il…
            Et l’oligarchie, est-ce pcqu’elle est à bout de souffle qu’elle est en train de mettre le paquet? je veux dire, blague à part, si on n’y fait gaffe, on a la puce ds le corps ds qqs décennies, la disparition de l’argent cash, etc, enfin plein de saloperies totalitaires. Et ils accélèrent… voyez 2015… que va t-il se passer après le prochain gros attentat (Valls nous a prévenu qu’il est inévitable)? Je vois des gens qui du coup réclament d’être encore + protégés par l’Etat, joder (comme on dit en espagnol)…

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