Résistance politique: Devoir de mémoire… « Oui la colonisation fut une barbarie »… Et elle l’est toujours !

L’humanité s’émancipera lorsque les peuples occidentaux se lèveront, se débarrasseront de l’idéologie coloniale qui les enchaîne (parce que « Nous sommes tous des colonisés! ») et se tiendront main dans la main avec les peuples autochtones de tous les continents pour mettre en place la société des sociétés, celle de l’union dans la complémentarité.

Il n’y a pas de solutions au sein du système, il n’y en a jamais eu et n’y en aura jamais. Croire le contraire est au mieux naïf et utopique, au pire complice et criminel…

~ Résistance 71 ~

 

En un mot anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens

 

Smaïl Hadj Ali

 

17 décembre 2017

 

Source:

https://www.legrandsoir.info/en-un-mot-aneantir-tout-ce-qui-ne-rampera-pas-a-nos-pieds-comme-des-chiens.html 

 

Le six décembre 2017, rue Larbi Ben M’hidi, à un jeune algérien qui lui disait que la France devait reconnaître ses méfaits en Algérie, le Président Macron demanda, excédé :

– « Quel âge avez-vous » ?

– « 26 ans », répondit le jeune homme.

– « Mais vous n’avez pas connu la colonisation, lui rétorqua le Président français ; qu’est-ce que vous venez m’embrouiller avec ça » !

Au-delà, de l’attitude véhémente à l’égard d’un jeune homme soucieux de son histoire nationale, et de surcroît en son pays, le Président français avait probablement oublié que ce sont des millions d’Algériens qui sont nés après le 5 juillet, date de la proclamation de l’indépendance nationale, et qui donc « n’ont jamais connu la colonisation », et l’auraient à ce titre « embrouillé », tout autant.

Ce sont aussi des dizaines de millions de Français qui n’ont jamais connu l’occupation allemande, la trahison nationale vichyste, et la Résistance, mais personne ne leur reprochera de ne pas oublier ce passé.

Question. Le Président français aurait-il tenu ces propos à un jeune juif ou à un jeune arménien, dont, respectivement la communauté et le peuple, ont connu l’horreur et le pire ?

L’Algérie, son peuple, sauf erreur, ne veulent ni repentance, ni autoflagellation. Mais personne ne pourra jamais empêcher les descendants des peuples colonisés de considérer que la colonisation fut, à minima, une longue « période de deuil et de souffrance », (1) comme l’avait souligné l’historienne et romancière Guadeloupéenne Maryse Condé, alors que la représentation française venait de voter la loi sur les « bienfaits de la colonisation », en 2005.

De même que Jean Ferrat dans Nuit et Brouillard, chantait « qu’il twisterait les mots s’il fallait les twister », pour dire l’horreur des camps d’extermination nazis, nous continuerons en Algérie, de chanter et de dire, sans haine, ni culpabilisation, l’épouvante que furent ces 132 ans d’oppression, d’exaction, de spoliation, et de néantisation.

Aussi et sans « embrouille », voici, pour mémoire, et pour commémorer l’héroïque Onze décembre 1960, quelques séquences, très abrégées, de ce moment négateur d’humanité revendiqué et administré par la France coloniale, qu’historiens et penseurs, à l’exemple de Mostefa Lacheraf, Bachir Hadj Ali, Henri Alleg, M.C Sahli, et bien d’autres, ont décrit et analysé il y a des décennies.

Dès le début de la conquête les crimes, multiformes, furent un invariant de l’armée coloniale. Pour le pouvoir politique et militaire, les indigènes, ces êtres inférieurs, les « Arabes », étaient des sous-hommes, « qui ne comprennent que la force brutale (2) et « qui n’entendraient de longtemps des raisonnements qui ne seraient point appuyés par des baïonnettes », comme s’en convainquait dès 1830, Lamoricière, cet émule des « conquistadores », qui occupera le poste de Ministre de la guerre en 1848, après avoir sabré « l’Arabe » pendant 18 ans…

C’est cette vision du monde qui va fonder et féconder la politique coloniale pendant 132 ans.

Alger 1957. Le port. Ballottés par la houle, des corps flottent. Ce sont les « crevettes-Bigeard », un des trophées du 3ème régiment de parachutistes coloniaux. (RPC). Cadavres d’Algériens raflés par les parachutistes, durant ladite « bataille » d’Alger (3), qui, au-delà de l’héroïque résistance du peuple qasbadji désarmé et d’une escouade de combattants sommairement armés, fut le moment mortifère, à l’échelle industrielle, de la torture d’État, et d’une massive et planifiée ratonnade militaro-policière, à ciel ouvert, tout aussi mortifère.

À ces crimes collectifs, et à tant d’autres, il est encore répondu : « C’était la guerre »(4), avec, implicitement, ses dérives, ses bavures des deux côtés ! Inévitables. Les crimes du 3ème régiment de parachutistes coloniaux, -qui faisait partie de la 10ème division parachutiste de Massu-, et plus largement de l’armée coloniale étaient-ils le lot commun de toute guerre, des dérives inévitables ? Une sorte de fatalité en somme inhérente à toute guerre ?

L’histoire du colonialisme en Algérie montre en réalité que les violences et les crimes coloniaux ont été une constante politique, et un phénomène d’ordre structurel. À ce titre le 3ème RPC, et la 10ème division de Massu, responsables de la disparition de Maurice Audin, de la liquidation de Larbi Ben M’hidi, de l’assassinat d’Ali Boumendjel et de milliers de patriotes algériens, sont les dignes héritiers des « Colonnes infernales » du général Bugeaud, adepte de «  la guerre totale jusqu’à extermination  » ? Dignes héritiers tout autant, des « Voltigeurs de la mort », dont le chef, le capitaine Montagnac, déclarait : «  Tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe (…). Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants (…), les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs. En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens.  » Dignes héritières des Bureaux Arabes, ont été aussi les sinistres Sections administratives spécialisées, et ce malgré les tentatives de minorer, sinon d’enjoliver leur rôle que l’on peut entendre et lire ici et là, alors qu’elles étaient des structures de répression féroce et de flicage massif des Algériens.

À propos de Montagnac, on aurait pu penser qu’il fut l’exception militaire en matière d’anéantissement. Mais ces crimes, ou l’incitation à les commettre, étaient choses partagées par la fine fleur intellectuelle de l’époque. Prenez Tocqueville. Ce penseur et théoricien adulé de la démocratie, homme de grande humanité et de quelques sympathies pour les Arabes, nous dit-on, prodiguait, avec cynisme et sang-froid, ses conseils, des « nécessités fâcheuses », disait-il, aux sabreurs et artilleurs coloniaux pour plus de domination, de désolation et de soumission :

(…) J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants.

Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre

« Le moyen le plus efficace dont on puisse se servir pour réduire les tribus, c’est l’interdiction du commerce. Le second moyen en importance, après l’interdiction du commerce, est le ravage du pays. Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux ».(5)

Absolu d’un idéal liberticide, défendu et porté par des élites familières des Lumières et de la modernité capitaliste, convaincues par les théories des races dites « inférieures », substrat idéologique des futures politiques d’extermination en Europe, comme l’analyse Hanna Arendt(6), la guerre de conquête coloniale, appuyée par une administration du même nom, ont effectivement, ainsi que le préconisait Tocqueville, ravagé et détruit les êtres, les villes, les écoles, l’agriculture, le commerce, avec comme point culminant le ravage de l’ethos (7) d’une société et d’un peuple dotés d’une unité culturelle et cultuelle certaine. Au bout du compte, une société et un peuple asservis, décivilisés par un implacable processus de spoliation, de paupérisation, de dés-alphabétisation, de régression socioculturelle, et de terreur existentielle érigée en mode d’administration d’exception d’une population défaite et exsangue. Terreur à laquelle prirent toute leur part les auxiliaires et supplétifs locaux, que l’on tente aujourd’hui de réhabiliter par la bande, avec la connivence et l’aide d’institutions et de personnalités publiques (8). Mais, et pour tout dire, n’avons-nous pas été aussi le pays dont un hebdomadaire public(9), a largement et généreusement donné la parole, en novembre 1984, au tortionnaire et responsable de la liquidation de Larbi Ben M’hidi, le patron du 3ème RPC, le parachutiste Bigeard, et ce, nous disait-on, au nom d’une nécessaire « décontraction idéologique » et de la « liberté d’expression, dont était privé, faut-il rappeler, la très grande majorité des Algériens ?

De 1954 à 1962, pour tenter de briser l’insurrection nationale et l’aspiration profonde des Algériens à la liberté, l’armée française n’aura aucun mal à renouer avec les violences de l’armée d’Afrique, celle-là même qui participa, au côté des capitulards Versaillais de Thiers, défaits par Bismarck, au meurtre de 30 000 révolutionnaires parisiens (10), entre le 21 et le 28 mai 1871 (11).

Violences absolues, totales, crimes de guerre et contre l’humanité, notion faite sienne par le président Macron le 14 février 2017, requalifiée il est vrai par celle de « crime contre l’humain » (12), quelques jours après, lors d’un meeting électoral le 18 février 2017, à Toulon, ville-portuaire d’où est partie la flotte et l’armada de la conquête qui mettront le pays à feu et à sang ?

Pour le système colonial, -que des historiens français en vue, souvent invités en Algérie, s’exprimant à foison dans la presse privée et publique, ainsi que des politiques français, ayant exercé ou exerçant les plus hautes responsabilités, ont qualifié de «  système injuste  », les Algériens n’étaient rien d’autres qu’une « race inférieure »

Pour maintenir leur asservissement, la puissance coloniale se dotera d’une administration militaire et civile d’exception, à vocation mortifère. Celle-ci mettra en pratique les pseudo théories sur les races, une invention des « sciences » en terre européenne au 19ème siècle, qui fonctionneront comme le nécessaire lubrifiant (13) idéologique pour la cohésion de la colonie de peuplement.

« Ce système injuste », – quel euphémisme ! – a désintégré la société algérienne. Il lui a interdit toute possibilité, 132 années durant, une éternité, d’inventer, d’imaginer son « avenir historique », de penser sa modernité, de concevoir son rapport au monde, de proposer son apport singulier, riche de son histoire plurimillénaire, à l’universalité, en un mot d’exister. Peut encore considérer un instant que l’Algérie n’aurait pas fait l’économie bienfaitrice des millions de victimes des guerres coloniales, de la mobilisation forcée des siens pour les guerres qui n’étaient pas les siennes, des famines organisées, et des épidémies induites par celles-ci. Peut-on imaginer un instant ce qu’elle aurait été sans les lois d’exception, le Code de l’indigénat, les expropriations massives, la pratique systématisée et généralisée du racisme, la destruction-péjoration de son système anthroponymique. N’aurait-elle pas mieux fait que le legs de cinq techniciens en agriculture et des quelques 90% d’analphabètes dans les deux langues. C’est cela, et la liste reste ouverte, l’héritage fondamental laissé par un système de gouvernement mu, entre autres, par une logique de destruction culturelle et, comme le notait Lacheraf d’« ébranlement du substrat mental » des individus et des groupes sociaux. Un héritage qui, à ce jour, -sans occulter les régressions qui érodent, au quotidien, la société, et l’emprise des castes prédatrices et exploiteuses, néo-colonisées, qui s’emploient à saigner et à corrompre le pays-, pèse encore lourdement sur le cerveau des vivants.

Oui la colonisation fut une barbarie. Elle ne pouvait porter en elle « des éléments de civilisation » (14) Seuls le combat et la résistance des Damnés de la terre, depuis 1830, puis la libération et l’indépendance nationale furent et firent civilisation.

Smaïl Hadj Ali.

13 Réponses to “Résistance politique: Devoir de mémoire… « Oui la colonisation fut une barbarie »… Et elle l’est toujours !”

  1. anticolonial Says:

    Guy de Maupassant et la Comtesse de Ségur étaient pour la colonisation. Dans le « Mauvais Génie » de la Comtesse de Ségur, le fils du fermier revient honoré par ses parents après avoir fait son service militaire contre les Maures et monté en grade après avoir donné des coups de sabres en Algérie. Dans « Bel Ami » de Maupassant, c’est pareil, le héros revient à Paris après avoir donné des coups de sabres aux Maures en Algérie.

    Enfin c’était les mêmes collabo Nazis qui persécutaient les résistants en France qui se retrouvaient en Algérie à opprimer les arabes au service de l’Etat Français. Les Nazis qui voulaient sauver leur peau avaient juré en échange de permettre la France de garder l’Algérie à la place.

    La France a recruté des savants d’Hitler en 1945
    https://www.lexpress.fr/informations/comment-la-france-a-recrute-des-savants-de-hitler_633743.html

    et aussi des collabos français du régime nazi

    L’exemple est Maurice Papon

    Maurice Papon fait transiter par la Corse le traffic d’armes qui permet au jeune Etat Israélien de survivre

    Maurice Papon a été nommé préfet de Constantine dans l’est Algérien en organisant les futurs algériens à éliminer avant de devenir préfet de Paris après la seconde guerre mondiale
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Papon

    Maurice Papon, un ancien ministre du Cabinet qui a été reconnu coupable de complicité dans des crimes contre l’humanité pour le rôle qu’il a joué dans la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et qui est devenu un symbole de la collaboration de la France avec les nazis,Papon était le Français le plus haut gradé à être condamné pour un rôle dans le régime pro-nazi de Vichyhttp://www.twincities.com/2007/02/18/nazi-collaborator-maurice-papon-dies/

    C’est La participation de Maurice Papn à l’organisation de la déportation des juifs de Bordeaux [1] dont il est secrétaire général de 1942 à 1944, qui fera tomber le 12 avril 1998, ce haut fonctionnaire, si protégé, si utilisé, si décoré [2], ce « franc-salaud » comme le nomme Gilles Perrault. Son histoire se mêle intimement à celle de la France coloniale, à celle de ces massacres en Algérie que l’on a cherché à occulter….

    Le 17 octobre, quelque 30 000 manifestants sont descendus dans les rues de Paris pour protester contre un couvre-feu imposé par les forces d’occupation aux « Algériens musulmans » en Algérie. (France24. com, 18 octobre 2012) Sur ordre direct du préfet de Paris Maurice Papon, près de 7 000 policiers français lourdement armés ont attaqué brutalement les manifestants pacifiques, les piégeant sur les ponts, les battant, les étranglant et les jetant dans la Seine pour les noyer. Papon a dit à ses officiers qu’il se tiendrait derrière le massacre des manifestants. Parce que tant de corps ont été perdus dans la Seine, il y a une incertitude sur le nombre de personnes tuées par la police française. Les estimations oscillent entre 70 et 300. Des milliers de personnes ont été blessées et 11 000 autres arrêtées.

    Le lendemain, le journal français Libération rapporte que le bilan officiel est de deux morts, plusieurs blessés et 7 500 arrestations. Ils ont collaboré avec l’Etat français et couvert la véritable histoire du massacre depuis des décennies. Les médias impérialistes internationaux ont fait de même, même si les journalistes ont vu des dizaines de corps flotter dans la Seine. Enfin, en 1991, l’historien français Jean-Luc Einaudi écrivit un livre sur le massacre, »La bataille de Paris ». Top-cop Papon avait collaboré avec l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale et envoyé des Juifs, des communistes et d’autres résistants à la mort. Il a été jugé en France et reconnu coupable de complicité de crimes de guerre des décennies plus tard, en 1998. Plus d’informations sur le massacre ont été révélées lors du procès de Papon.

    En 1845, l’armée française mettait régulièrement en pratique ce programme de génocide. Le général Aimable Pélissier rapporte le massacre d’une tribu berbère de 1 500 personnes réfugiées dans une grotte. Les troupes françaises commandées par Pélissier brûlent vifs les Berbères. Cela incluait tous les enfants et les personnes âgées – et, bien sûr, les femmes qui étaient des résistantes héroïques. L’armée française en Algérie a empêché ces rapports d’atteindre Paris et a peut-être permis à des parlementaires progressistes de s’opposer aux actes génocidaires commis au nom de la « civilisation française ». Voilà pour la liberté de la presse.

    En 1946, alors que la France impérialiste venait de sortir de l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Les peuples arabes et berbères ont organisé des manifestations et des soulèvements massifs en Algérie contre la domination française. Pour réprimer cette rébellion, les troupes françaises massacrent 6 000 Algériens.

    Parce que cet article se concentre sur les crimes de l’impérialisme français et la résistance des Algériens, il a négligé les actions de la classe ouvrière française en solidarité avec les peuples coloniaux. De même, la classe dirigeante française est elle aussi meurtrière en ordonnant aux troupes françaises d’écraser la révolte ouvrière de 1871, dite Commune de Paris; les soldats français abattent 30 000 ouvriers français.

    Ce qu’il faut maintenant plus que tout autre chose, c’est que les mouvements ouvriers des pays impérialistes manifestent leur solidarité avec les luttes des peuples opprimés – en tant qu’immigrants et dans leur propre pays

    https://www.workers.org/2015/01/13/french-imperialisms-brutal-colonial-rule/

    Savary, l’ancien préfet de police de Napoléon Ier, promu duc de Rovigo, impose sa loi aux Algériens. Les recommandations qu’il fait à ses subordonnés tiennent en deux mots: «Des têtes! Apportez des têtes, des têtes, bouchez les conduites d’eau crevées avec la tête du premier Bédouin que vous trouverez!» (1) Il ne s’agit pas de faits isolés, d’accidents tragiques, de «bavures» comme on dira plus tard, dont il suffit de connaître les responsables pour qu’ils soient châtiés, mais d’un système voulu, étudié, qu’on étendra et qu’on perfectionnera. Bugeaud s’adressant à la Chambre le 14 mai 1840, dira à peu près la même chose dans un style plus parlementaire: «Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths.» Le seul obstacle à la conquête du pays tout entier, mais qui se révèle chaque jour plus formidable est, en effet, le peuple algérien lui-même, qui résiste partout avec un extraordinaire acharnement. La méthode est celle de l’effroi et de la terreur dont Montagnac a fait une science exacte: la décapitation systématique, explique-t-il encore, est la meilleure et la plus humaine des politiques: ´´Une tête coupée produit une terreur plus forte que la mort de 50 individus […] Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes: tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de 15 ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs. En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens». Vous me demandez dans un paragraphe de votre lettre ce que nous faisons des femmes que nous prenons. On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont échangées contre des chevaux et le reste est vendu à l’enchère comme des bêtes de somme.» (2)
    «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas! Enfumez-les à outrance comme des renards.» dixit Bugeaud. En 1845, un siècle avant les massacres du 8 Mai 1945 et son lot de plusieurs milliers de victimes, Cavaignac avait inauguré une année avant l’ancêtre de la «chambre à gaz» que le colonel Pélissier utilisera pour mater l’insurrection des Ouled Riah dans le Dahra. La politique de la terre brûlée devait amener une vingtaine d’années plus tard les famines qui ont vu la mort de centaines de milliers d’Algériens, au point qu’il a fallu 50 ans pour que la population algérienne retrouve le chiffre de 3 millions d’habitants qu’elle avait en 1830. En 1959, la politique des camps de regroupement eut un résultat. Michel Rocard notait dans son rapport que 500 enfants y mourraient chaque jour des suites de la faim et de la maladie
    Les estimations contemporaines de la population algérienne avant la conquête française de 1830 oscillent entre 3 et 5 millions d’habitants. La population connaîtra un recul quasiment constant durant la période de conquête jusqu’à son étiage en 1872, ne retrouvant finalement un niveau de trois millions d’habitants qu’en 1890. On peut découper cette période de l’évolution démographique algérienne en trois phases. De 1830 à 1856, sa population tombe de 3 à moins de 2,5 millions. Elle remonte ensuite jusqu’à 2,7 millions en 1861 avant de connaître sa chute la plus brutale à 2,1 millions en 1871. La politique de la terre brûlée, décidée par le gouverneur général Bugeaud, a des effets dévastateurs sur les équilibres socio-économique et alimentaire du pays: nous tirons peu de coups de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages, toutes les cahutes; l’ennemi fuit partout en emmenant ses troupeaux.
    Selon Olivier Le Cour Grandmaison, la colonisation de l’Algérie se serait ainsi traduite par l’extermination du tiers de la population, dont les causes multiples (massacres, déportations, famines ou encore épidémies) seraient étroitement liées entre elles. Après l’accalmie consécutive à la fin de la première phase de conquête, la période 1866-1872 voit à nouveau se creuser le déficit démographique algérien. En raison d’un cycle de six années où se mêlent les répressions de l’armée française, un tremblement de terre, le développement d’une épidémie de choléra et de la famine qui sévit en 1868, la population diminue de plus de 500.000 personnes]. Selon Augustin Bernard, la famine de 1868 serait responsable à elle seule de 300.000 à 500.000 morts. (3)
    Les déportations massives: des tribus entières ont fait l’objet de déportations et de bannissement. Les grandes familles maures (d’origine espagnole) de Tlemcen s’exilent en Orient (au Levant) tandis que d’autres émigrent ailleurs. Les tribus jugées trop turbulentes sont bannies en Nouvelle Calédonie et à Cayenne et certaines se réfugient en Tunisie et au Maroc, voire en Syrie. (4)
    Massacres de masse de Sétif 1945: Combien y eut-il de victimes? Les chiffres sont contradictoires et pour cause, puisque les autorités parlent de 1100 personnes. Le Parti populaire algérien de Messali Hadj et le consulat américain d’Alger, particulièrement bien renseigné, avançaient, eux, le chiffre de 45 000 victimes. Tubert évoquait, en petit comité, 15 000 morts…

    La torture et le pouvoir colonial.
    Les atrocités pendant la Révolution
    Tout au long de l’invasion coloniale, la torture fut utilisée sans retenue. Il n’y eut aucune protestation puisque cela permettait de civiliser. Point de protestation de Lamartine, Hugo, Balzac, Zola et tant d’autres «humanistes». Pour la période de la révolution. Dès 1958, Henri Alleg posait clairement la question et dénonçait la pratique de la torture, que le général Massu, vainqueur de la bataille d’Alger, admettra plus tard avoir été «généralisée et institutionnalisée». Pour sa part. Serge Moureaux est catégorique; la France officielle a bien certaines fois fermé les yeux et dans tous les cas laissé faire aux bourreaux leur sale besogne «…Donc l’Algérie c’est la France et le FLN, une «association de malfaiteurs» sur laquelle doit s’abattre la rigueur des lois, ou comme disait Peyrefitte, la «rugueuse fermeté de la République (…) Torture-t-on en 1956-60 dans les commissariats français? Oui, indiscutablement. Certainement pas partout, ni tout le temps. Mais il ne s’agit pas non plus d’exception ou de bavures. Certains hommes, certains services font -au nom de la sacro-sainte efficacité policière- un stupide, un funeste excès de zèle.» Hommes attachés nus à des radiateurs par des menottes, brûlés par des cigarettes, frappés au… La torture donc, existe.Elle consiste aussi, le cas échéant, à livrer les hommes nus aux chiens policiers, en les enfermant dans la cage des bergers allemands après avoir privé ceux-ci de nourriture. L’accusé, sauf à en mourir, revenait de ce traitement à l’état de loque sanglante, disposé le plus souvent à dire n’importe quoi, plutôt que de connaître une nouvelle expérience. J’ai vu, j’ai vu hélas, les corps meurtris des militants de la cause algérienne. J’ai vu hélas, ces cicatrices inimitables, ces cicatrices que nul homme n’aura l’idée saugrenue d’inventer ou de s’infliger. Ces cicatrices de la honte de notre civilisation qui se gargarise trop aisément de qualificatifs pompeux.» (5)
    Si l’on se réfère à certaines autorités ecclésiastiques, la présence française en Algérie est assimilée à une croisade des temps modernes. Pour le Cardinal, la terreur doit changer de camp!  » Analysant le  » mécanisme et le pourquoi de la torture « , F. Fanon écrit: «La torture en Algérie, n’est pas un accident, ou une erreur ou une faute. Le colonialisme ne se comprend pas sans la possibilité de torturer, de violer ou de massacrer. La torture est une modalité des relations occupant-occupé.» (6)
    Pour le devoir de vérité, il nous faut signaler le témoignage courageux du général Paris de la Bollardière. Le général donna sa démission pour protester contre les «méthodes» musclées employées par le général Massu pour arracher des renseignements aux prisonniers algériens. Cette prise de position fait l’effet d’une bombe. Elle émane de l’un des plus éminents généraux, décoré de la Légion d’honneur, Compagnon de la libération:
    C’est néanmoins avec le récit en juin 2000 de Louisette Ighilahriz, militante du FLN torturée par des militaires français, que la Guerre d’Algérie a resurgi. Ce témoignage poignant a entraîné les «regrets» du général Massu qui pense que la torture n’était pas indispensable». Par contre, dans son livre, Aussaresses écrit que son bataillon a tué 134 personnes et en a blessé des centaines. A la 10e DP sous les ordres directs de Massu, il procède aux éliminations, déguisées en suicides, de Ben Mhidi et Ali Boumendjel en février et mars 1957. Le 3 mai 2001 paraît, un ouvrage du général Aussaresses, il assume sans remord: «Je trouve que c’était nécessaire, quand nous l’avons fait, et utile…Si c’était à refaire, je referais ce chemin. Je ne serais pas content, mais je le referais… C’était pour la France. C’est le devoir d’un soldat. J’assume.» Dans La Torture dans la République de Pierre Vidal-Naquet, il est désigné comme le chef de file «de ce qu’il faut bien appeler une équipe de tueurs professionnels».
    Même son de cloche d’un autre tortionnaire, Jean-Marie Le Pen: «Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire.» Dans la villa des Roses et la villa Susini, Le Pen a torturé avec toutes les méthodes dont il a fait une science exacte. Lors de l’une de ses opérations, il a torturé devant ses enfants, il a égaré son poignard où son nom est écrit. Remuant ciel et terre il ne le retrouva pas et pour cause, il fut caché par le fils de 11 ans du supplicié, quarante ans plus tard le poignard refait surface et est présenté à la justice. Jean-Marie Le Pen aurait été sauvé d’une mort certaine par un soldat algérien en opération lors de la guerre de l’Indochine en 1953. Cet ancien engagé de l’armée française du nom de Bouabda Zaïdi réside à Aïn Azel (Sétif). M.Bouabda: «Sans mon intervention, Le Pen aurait laissé sa vie ce jour-là en Indochine», ajoute-t-il.(7)
    Plusieurs dizaines d’Algériens ont été guillotinés depuis 1954 avec l’avis du chef de l’Etat français….A Alger, à Paris, à Lyon, on exécute en série. Et en ce début de 1961, ce sont des dizaines de condamnés qui attendent des honneurs du «rasoir national». En octobre 1961, les exactions du préfet Maurice Papon contre l’émigration algérienne ont fait réagir Pierre Bourdieu: «J’ai maintes fois souhaité que la honte d’avoir été le témoin impuissant d’une violence d’État haineuse et organisée puisse se transformer en honte collective. Je voudrais aujourd’hui que le souvenir des crimes monstrueux du 17 octobre 1961, sorte de concentré de toutes les horreurs de la Guerre d’Algérie, soit inscrit sur une stèle, en un haut lieu de toutes les villes de France, et aussi, à côté du portrait du président de la République, dans tous les édifices publics, mairies, commissariats, palais de justice, écoles, à titre de mise en garde solennelle contre toute rechute dans la barbarie raciste.» (8)
    Jean Jaurès citant Clemenceau, déclare à la Chambre des députés en 1908: «On a tué, massacré, violé, pillé tout à l’aise dans un pays sans défense, l’histoire de cette frénésie de meurtres et de rapines ne sera jamais connue, les Européens ayant trop de motifs pour faire le silence (…)» Tout est dit.Non, la colonisation ne fut pas une oeuvre positive.http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/154913-recit-des-massacres-de-masse-et-des-tortures-en-algerie.html

    • pas mieux…
      L’État est expansionniste et colonial par essence, c’est inscrit dans sa fonction d’outil de la répression et de l’oppression des peuples pour la sacro-sainte oligarchie. Cette énumération de crimes ne fait que confirmer ce que nous disons depuis des années: il n’y a fondamentalement aucune différence entre la république française ou tout autre état « modéré » et les pires régimes dictatoriaux, des bolchéviques (marxiste-léniniste) aux nazis en passant par Mao et Pol Pot, ce n’est qu’une question de degré.
      A tous ceux qui nous lisent: Il faut lire « La question » de Henri Alleg, rien à rajouter…

    • Merci pour ce long et très riche commentaire qui apporte d’utiles précisions.
      J’ai cliqué sur votre dernier lien, et pour avoir pris appui sur un long et riche article du Pr. Chitour ► https://jbl1960blog.wordpress.com/2017/06/25/tuer-lindigene-pour-sauver-lhomme/
      Car dans son paragraphe, qu’est-ce qu’un génocide, il décrit le même processus qui est décrit dans le Contre-rapport de la Commission Vérité & Réconciliation « Meurtre Par Décret » que R71 a partiellement mais substantiellement traduit, et que j’ai réunifié dans un PDF (et ce fut le tout premier d’une longue série) que j’ai mis à jour le 30/05/2017 ► https://jbl1960blog.files.wordpress.com/2016/06/meurtrepardecretversionpdfdu30052017.pdf
      Voilà pourquoi, tout comme R71 le réaffirme ici, je pense également que le salut de l’occident viendra des peuples qui briseront les chaines du colonialisme, ensemble… Tenons-nous main dans la main aux côtés de nos frères et sœurs toujours colonisés, refusons de consentir au jeu mortifère qu’on nous force à jouer. Nous sommes tous des colonisés… Luttons ensemble contre cette même oligarchie qui nous oppresse tous depuis bien trop longtemps.

      Bien entendu je relaye cet article, et je le mets en lien avec ce tuer l’indigène pour sauver l’homme blanc, et de surcroit chrétien, car j’y fais référence aussi bien à Newcomb, qu’à Meurtre Par Décret mais aussi à Pierre Clastres et il contient le message de Thahoketoteh : L’unité de l’esprit revêt une grande force et avec cette puissance, nous atteindrons la Paix. Unité, Force, Paix !
      Qui ne me quitte plus…

  2. Je venais vous tirer l’œil justement sur cette nouvelle Circulaire Collomb (y porte bien son nom celui-là) qui pose problème, pour le moins : Le ministre de l’Intérieur assume avoir demandé plus de résultats aux préfets en matière d’immigration irrégulière et porte le projet de recensement des migrants au sein des centres d’hébergement d’urgence. Une mesure vivement décriée par plusieurs associations, qui saisissent ce lundi le Défenseur des droits. Après la polémique, le déminage. Interrogée sur France Info à propos de la circulaire du 12 décembre, qui stipule que des «équipes mobiles» seront dépêchées dans les centres d’hébergement d’urgence afin de recenser les étrangers, la ministre des Affaires européennes Nathalie Loiseau a donné une lecture moins répressive de ce texte, qui déchaîne les associations d’aides aux sans-papiers.

    «Ce ne sont pas des patrouilles, a insisté la ministre, mardi. Ce sont des agents de la préfecture et de l’Office français d’immigration et d’intégration qui vont aller dans les centres d’hébergement pour examiner, pour ceux qui l’acceptent, qui ne forceront personne, leur situation administrative». Et d’insister: il n’y aura «aucune obligation de répondre», «ce n’est pas un recensement, mais un examen, une proposition». Source Le Figaro du 19/12/17
    =*=
    Ben voyons…
    Comme je l’ai déjà soulevée, ici-même, et après les terroristes ?
    Demain les criminels ordinaires ?
    Après-demain, les « voleurs de poule » ?
    Puis enfin, les opposants politiques ?
    Vous, moi…

    Rappelons-nous toujours du Poème de Martin Niemöller, 1942, parce qu’on peut remplacer certains mots par d’autres ; Ça marche quand même et c’est bien là le problème.

    « Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes,
    je n’ai rien dit,
    je n’étais pas communiste.

    Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates,
    je n’ai rien dit,
    je n’étais pas social-démocrate.

    Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes,
    je n’ai rien dit,
    je n’étais pas syndicaliste.

    Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs,
    je n’ai rien dit,
    je n’étais pas juif.

    Lorsqu’ils sont venus me chercher,
    il ne restait plus personne
    pour protester. »

    JBL

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