Analyse et réflexions sur la dictature post-moderne : retour au meilleur des mondes d’Aldous Huxley ~ 3ème et dernière partie ~

“La science a pour mission unique d’éclairer la vie et non de la gouverner.”
“La vie non la science crée la vie ; l’action spontanée du peuple lui-même peut seule créer la liberté populaire.”
~ Michel Bakounine ~

AH3

Le meilleur des mondes revisité (larges extraits)

Aldous Huxley

Essai, 1958

~ Traduction des extraits Résistance 71 ~

Novembre 2021

1ère partie
2ème partie
3eme partie

IX – La persuasion subconsciente

Dans une note de bas de page de l’édition 1919 de son livre “L’interprétation des rêves”, Sigmund Freud attirait l’attention sur le travail du Dr Poetzl, un neurologue autrichien, qui avait récemment publié un article décrivant ses expériences avec le tachistoscope un instrument qui vient sous deux formes : une boîte à images dans laquelle une personne regarde une image qui n’est exposée qu’une toute petite fraction de seconde et une sorte de “lanterne magique” avec un diaphragme à haute vitesse capable de projeter très très brièvement une image sur un écran. Dans ces expériences “Poetzl demanda aux sujets de dessiner ce qu’ils avaient consciemment remarqué d’une image exposée à leur vue par le tachistoscope… Il se tourna ensuit vers leurs rêves, rêvés la nuit suivant leur exposition à l’image et leur demanda de dessiner la plus grande portion de ce qu’ils se rappelaient de leurs rêves. Il fut démontré sans erreur possible que des détails exposés par les dessins des sujets reproduisaient l’objet exposé par la machine et qui n’avait pas été consciemment remarqué par les sujets et que cet objet avait fourni l’ossature matérielle de la construction des rêves.

L’expérience de Poetzl a été reproduite à maintes reprises avec des modifications et quelques peaufinages ; le plus récemment par le Dr Charles Fisher, qui a contribué à trois excellents articles sur le sujet des rêves et de “la perception pré-consciente” dans le Journal de l’Association Américaine des Psychanalystes.

[…] La science pure ne le demeure pas indéfiniment. Tôt ou tard, elle se transformera en science appliquée et finalement en technologie. La théorie se module en pratique industrielle, la connaissance devient des formules de pouvoir et les expériences de laboratoire se métamorphosent, et émergent en bombe H. Dans le cas présent, ce petit bout de science pure de Poetzl et toutes les autres pièces du science pure dans le domaine de la perception pré-consciente, gardèrent leur pureté scientifique pour un très long moment ce qui est bien surprenant en soi. Puis, au début de l’automne 1957, exactement 40 ans après la publication de l’article original de Poetzl, fut annoncé que leur pureté appartenait maintenant au passé. Elle est passée dans le domaine de la science appliquée et entrée le mode de la technologie. L’annonce a causé un certain remue-ménage, on en parla et on écrivit à ce sujet partout dans le monde. Et sans surprise, la nouvelle technique appelée “la projection subliminale”, fut intimement associée avec le spectacle de masse et dans la vie des êtres humains civilisés, le spectacle joue un très grand rôle, le même que celui de la religion au moyen-âge. On a donné bien des surnoms à notre époque “L’âge de l’angoisse”, “L’âge atomique”, “L’âge de l’espace”, on pourrait avec raison aussi l’appeler “L’âge de l’addiction à la télévision”, “L’âge des feuilletons”, ou “L’âge du disque-jockey”. Dans une telle époque, l’annonce que la science pure de Poetzl a été appliquée à une forme de technique de projection subliminale ne manque pas d’attirer l’attention des masses distraites. Car la technique les ciblait et le but était de manipuler leurs esprits sans qu’ils en soient conscients

[…]

Est-ce que la publicité subliminale marche vraiment ? La preuve produite par l’industrie du spectacle de l’efficacité de cette projection subliminale fut vague et d’un point de vue scientifique très insatisfaisante.

[…]

J’ai négligé l’impact de Poetzl lorsque j’ai rédigé “Le Meilleur des mondes”. Il n’y a aucune référence dans ma fable à la projection subliminale. C’est une erreur par omission que je corrigerai sans aucun doute si je devais réécrire le livre.

X – Hypnopaedia

A la fin de l’automne 1957, le Woodland Road Camp, institution pénitencière du County de Tulare en Californie, est devenu la scène d’une curieuse et intéressante expérience. Des hauts-parleurs miniatures furent placés sous les oreillers d’un groupe de prisonniers qui s’étaient portés volontaires pour servir de cobayes dans une expérience psychologique. Chacun des oreillers étaient raccordés à un phonographe dans le bureau du directeur de l’institution. Toutes les heures pendant la nuit, un message inspirationnel était chuchoté répétitivement, il s’agissait d’un message court sur les “principes de vivre moralement”. Se réveillant vers minuit, un prisonnier pouvait entendre cette voix vantant les vertus cardinales ou murmurant de la part de son second moi plus bienveillant “Je suis emplis d’amour et de compassion pour tous, pour la gloire de dieu.”

Après avoir lu au sujet de cette expérience de Woodland, je retournais au second chapitre de mon “Meilleur des Mondes”. Dans ce chapitre, le directeur du programme d’incubation et de conditionnement pour l’Europe occidentale explique à un groupe de conditionneurs fraîchement arrivés, le fonctionnement de ce système contrôlé par l’État d’éducation éthique connu en ce 7ème siècle après Ford, sous le nom d’hypnopaedia.

[…]

Un article de Theodore X. Barber “Sommeil et hypnose”, paru dans le “Journal d’hypnose clinique et expérimentale” en octobre 1956, est des plus éclairant. Mr Barber fait remarquer qu’il y a une différence significative entre le sommeil léger et le sommeil profond. En sommeil profond, l’électroencéphalogramme n’enregistre aucune onde alpha, c’est en phase de sommeil léger que celles-ci font leur apparition. A cet égard, le sommeil léger est plus proche de l’état de veille et de celui d’hypnose (dans les deux cas les ondes alpha sont présentes) que ne l‘est le sommeil profond. […] Une personne en sommeil profond ne peut pas être suggérée. Mais lorsque des sujets en sommeil léger sont suggérés, ils répondront au stimulus. Mr Barber a également trouvé qu’ils répondent de la même manière à des suggestions lorsqu’ils sont dans une transe hypnotique.

[…] Ainsi, pour un dictateur en herbe, la morale de ceci est claire comme de l’eau de roche. Sous les bonnes conditions, hypnopaedia marche, elle marche autant semble t’il que l’hypnose. La plupart des choses qui peuvent être faites avec des gens sous hypnose peuvent être faites avec des personnes en phase de sommeil léger. Des suggestions verbales peuvent être passées au travers du cortex somnolent au cerveau moyen, au rachis et au système nerveux autonome. Si les suggestions sont bien faites et répétées fréquemment, les fonctions corporelles du dormeur peuvent être améliorées ou placées sous interférence, de nouveaux schémas de sentiments peuvent être installés et les plus anciens modifiés, des commandements post-hypnotique peuvent être donnés, des slogans, formules et mots déclencheur d’action peuvent être intégrés dans la mémoire.

Les enfants sont de meilleurs sujets hypnopaediques que les adultes et le dictateur en herbe gagnerait un gros avantage du fait que les enfants dans les écoles maternelles soient traités au moyen de suggestions hypnopaediques durant leur sieste d’après-midi.

[…]

Les idéaux de la démocratie et de la liberté se confrontent au fait brutal de la suggestion humaine. Un cinquième de chaque électorat peut être hypnotisé pratiquement en un clin d’œil, un septième peut avoir sa douleur réduite avec des injections salines placebo, un quart va répondre rapidement et de manière enthousiaste à l’hypnopaedia. Et on peut ajouter à toutes ces minorités trop coopératrices, les minorités lentes au démarrage et donc le facteur de conditionnement moins extrême peut-être effectivement exploité par quiconque connait son affaire et est préparé à  passer du temps et de la sueur.

La liberté individuelle est-elle compatible avec un haut degré de conditionnement ? Les institutions démocratiques peuvent-elles survivre à la manipulation de l’intérieur de manipulateurs d’esprit entraînés dans la science et l’art d’exploiter la suggestion faite à la fois aux individus et aux foules ? Jusqu’où peut-on pousser l’exploitation du conditionnement par des hommes d’affaire, des religieux ou des politiciens dans et en dehors des cercles du pouvoir. Jusqu’à quel point cela peut-il être contrôlé par la loi ? Explicitement ou implicitement, les deux premières questions ont été discutées dans les articles précédents. Dans ce qui suit, je vais considérer les problèmes de la prévention et du soin.

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XI – Education pour la liberté

L’éducation pour la liberté doit commencer par établir les faits et énoncer les valeurs, et se doit de développer des techniques appropriées pour réaliser ces valeurs et combattre ceux qui, pour quelque raison que ce soit,  choisissent d’ignorer les faits ou de nier les valeurs.

[…]

Toutes les preuves disponibles établissent la conclusion que dans les vies des individus et des sociétés, l’hérédité n’est pas moins significative que la culture. Chaque individu est biologiquement unique et différent de tous les autres individus. La liberté est donc un grand bien, la tolérance une grande vertu et la réglementation un grand malheur. Pour des raisons pratiques ou théoriques, des dictateurs, des organisations et certains scientifiques sont anxieux de réduire la folle diversité des humains vers une sorte d’uniformité plus gérable.

[…]

Si les êtres humains faisaient partie d’une espèce véritablement sociale et si leurs différences individuelles pouvaient être complètement aplaties par un conditionnement approprié, alors il n’y aurait de fait aucun besoin de liberté et l’État serait justifié de persécuter les hérétiques qui la demanderaient. Pour la termite individuelle, servir la termitière à 100% est la parfaite liberté. Mais les humains ne sont pas totalement sociaux, ils ne sont que modérément grégaires. Leurs sociétés ne sont pas des organismes comme une ruche ou une fourmilière, ce sont des organisations, en d’autres termes des machines ad hoc pour la vie collective.

[…] Dans le meilleur des mondes de ma fable, un comportement social désirable et adéquat était assuré par un double processus de manipulation génétique et de conditionnement post-natal. Les bébés étaient cultivés dans des éprouvettes et bouteilles et un très haut niveau d’uniformité dans le produit humain était assuré par l’utilisation d’ovules d’un nombre très limité de mères et en traitant chaque ovule de telle façon qu’il se divisait et se divisait encore produisant des jumeaux identiques par groupes de cent sujets ou plus. De cette façon il fut possible de produire des esprits machiniques standardisés pour des machines standardisées. La standardisation des esprits machiniques était perfectionnée après la naissance par hypnopaedia infantile et euphorie chimiquement induite comme substitut à la satisfaction de se sentir libre et créatif. […] La standardisation génétique des individus n’est pas encore possible mais Big Gouvernement et Big Business possèdent déjà ou vont bientôt posséder toutes les techniques de manipulation des esprits décrites dans “Le meilleur des mondes”, ainsi que d’autres pour lesquelles je n’ai pas eu assez d’imagination pour les créer dans mes écrits. Sans la capacité d’imposer l’uniformité génétique sur les embryons, les dirigeants du monde surpeuplé et sur-organisé de demain essaieront  leur uniformité sociale et culturelle sur les adultes et leurs enfants. Pour ce faire, ils utiliseront (à moins qu’on les en empêche) de toutes les techniques de manipulation des esprits à leur disposition et n’hésiteront pas de renforcer ces méthodes de persuasion non-rationnelle par la coercition économique et des menaces de violence physique. Si nous voulons éviter ce genre de tyrannie, nous devons commencer de nous éduquer sans plus tarder, nous et nos enfants à la liberté et à l’auto-gouvernement.

[…]

Dans leur propagande anti-rationnelle, les ennemis de la liberté pervertissent systématiquement les ressources de la langue afin de moquer ou d’écraser leurs victimes et les faire penser, ressentir comme ces manipulateurs de conscience le désirent.

[…] Une telle éducation afin de distinguer entre les bonnes et mauvaises interprétations des symboles pourrait être inaugurée immédiatement. De fait, cela aurait pu avoir commencé ces dernières trente ou quarante dernières années. Et pourtant les enfants sont très loin d’apprendre de quelque manière systémique que ce soit, à distinguer la vérité du mensonge, le vrai du faux ou des déclarations sensées ou insensées. Pourquoi donc ? Parce que leurs aînés, ce, même dans les pays “démocratiques”, ne veulent pas leur donner ce genre d’éducation. Dans ce contexte, la brève et bien triste histoire de l’Institut d’Analyse de la Propagande est très significative. L’institut fut fondé en 1937 lorsque la propagande nazie était la plus assourdissante, par Mr Filene, le philanthrope de la Nouvelle-Angleterre… et ferma en 1941.

[…]

La propagande qui est à la fois insensée et immorale peut être directement rejetée. Celle qui est juste irrationnelle mais compatible avec l’amour et la liberté non pas sur des principes opposés à l’exercice de l’intelligence, peut être provisoirement acceptée pour ce qu’elle vaut.

XII – Que faire ?

Nous pouvons être éduqués pour la liberté et ce bien mieux que nous ne le sommes maintenant. Mais la liberté, comme j’ai tenté de le démontrer, est menacée de bien des directions et ces menaces sont de bien différentes sortes : démographique, sociale, politique, psychologique. Notre maladie a une multiplicité de causes concomitantes et ne pourra pas être soignée à moins que ce ne soit par une multiplicité de remèdes concomitants.

[…]

Il est parfaitement possible pour un homme d’être sorti de prison et pourtant de ne pas être libre. De n’être sous aucune contraint physique et pourtant être un captif psychologique, forcé de penser, de ressentir et d’agir comme le représentant de l’État national ou de quelque intérêt privé au sein de la nation qui lui dicte sa façon de penser, de ressentir et d’agir.

[…] La victime d’une manipulation de l’esprit, psychologique, ne sait pas qu’elle en est la victime. Pour elle, les murs de la prison sont invisibles et elle croit en les bonnes lois et que celles-ci vont rester et être utilisée à la lettre, mais ces formes libérales ne feront que masquer et valider une profonde substance non-libérale.

[…]

Mais c’est maintenant devenu un fait historique que les moyens de production sont en train de rapidement devenir la propriété monopoliste de Big Business et Big Gouvernement. De ce fait, si vous croyez en la démocratie, faites tous les arrangements possibles pour distribuer la propriété le plus largement possible.

Ou prenez par exemple le droit de vote. En principe, c’est un grand privilège. En pratique, comme l’a incessamment montré l’histoire récente, le droit de vote en lui-même, n’est en rien garantie de liberté. Ainsi, si vous voulez éviter le dictature par referendum, brisez les collectifs de la société moderne qui ne fonctionnent pour ainsi dire pas et transformez-les en groupes auto-gouvernés d’associations volontaires, capables de fonctionner en dehors de tous systèmes bureaucratiques de Big Business et Big Gouvernement.

La surpopulation et la sur-organisation ont produit la métropole moderne, dans laquelle une vie humaine riche et pleine de relations personnelles multiples est devenue pratiquement impossible. Donc, si vous souhaitez éviter l’appauvrissement spirituel des individus et de sociétés entières, quittez les métropoles et faites revivre la petite communauté campagnarde, ou alors humanisez les métropoles en créant en leur sein un réseau d’organisation mécanique, l’équivalent urbain des petites communautés rurales, dans lequel les individus peuvent se rencontrer et coopérer en tant que personnes complètes et non pas comme de simples personnalisations de fonctions spécialisées.

Tout ceci est évident aujourd’hui comme cela l’était il y a 50 ans.

[…]

En France, pendant et après la seconde guerre mondiale, Marcel Barbu et ses suiveurs mirent en place un certain nombre de communautés de production auto-gouvernées, non hiérarchiques, qui étaient aussi des communautés d’entraide et de vie pleinement humaine. Dans le même temps, à Londres, l’expérience de Peckham a démontré qu’il est possible, en coordonnant les services de santé avec les intérêts plus larges du groupe, de créer une véritable communauté et ce même en métropole.

Nous voyons dès lors, que la maladie de la sur-organisation a été perçue de longue date, que bien des remèdes compréhensifs ont été prescrits et que des traitements expérimentaux des symptômes ont été tentés ça et là, souvent avec beaucoup de succès. Et pourtant, malgré toute la prêche et la pratique exemplaire, la maladie se développe et empire. Nous savons qu’il est dangereux de permettre au pouvoir d’être concentré entre les quelques mains d’une oligarchie dirigeante, quoi qu’il en soit, le pouvoir devient toujours plus concentré en de moins en moins de mains. Nous savons que, pour la plupart des gens, la vie dans une grande ville est totalement anonyme, atomique, moins que pleinement humaine, et pourtant les grandes villes sont en croissance exponentielle et les schémas de la vie industrielle urbaine demeurent inchangés. Nous savons que dans une société large et complexe, la démocratie n’a aucun sens sauf dans des relations entre groupes autonomes de taille adéquate, mais de plus en plus des affaires des nations se retrouvent gérées par la bureaucratie de Big Gouvernement et Big Business. Il n’est que trop évident que, en pratique, le problème de la sur-organisation est presque aussi difficile à résoudre que le problème de la surpopulation. Dans les deux cas, nous savons ce qui doit être fait, mais dans aucun des cas n’avons nous été jusqu’à présent capables d’agir effectivement sur notre connaissance.

A ce point, nous nous retrouvons confrontés à une question très troublante : désirons-nous vraiment agir sur notre connaissance ?… Est-ce qu’une majorité de la population pense que cela vaut la peine de se mettre dans l’embarras afin d’arrêter et si possible, renverser la dérive actuelle vers un contrôle totalitaire de tout. Aux Etats-Unis, et ce pays est l’image prophétique du reste du monde industrialisé comme il le sera dans quelques années d’ici, des sondages d’opinion publique récents ont révélé qu’une majorité d’adolescents, les électeurs de demain, n’ont aucune confiance dans les institutions démocratiques, ne voient aucune objection à la censure d’idées impopulaires, ne croient pas que le gouvernement du peuple par le peuple soit possible et seraient parfaitement satisfaits de continuer à vivre dans le style auquel ils sont habitués, d’être dirigés d’en haut par une oligarchie d’experts associés. Que tant de jeunes téléspectateurs bien nourris de la démocratie la plus puissante du monde soient complètement indifférents à l’idée d’auto-gouvernement, soient si directement désintéressés par la liberté de pensée et le droit à ne pas être d’accord est déprimant certes, mais pas si surprenant que cela.

[…]

“En fin de compte”, dit le Grand Inquisiteur de la parabole de Dostoïevski, “ils mettront leur liberté à nos pieds et nous diront : ‘faites de nous vos esclaves, mais donnez-nous à manger.’ “ Et quand Aliocha Karamazov demande à son frère, le narrateur de l’histoire, si le Grand Inquisiteur parle de manière ironique, Ivan répond : “Absolument pas ! Il affirme que c’est un honneur pour lui-même et son église d’avoir vaincu la liberté et de l’avoir fait pour rendre les hommes heureux.” Oui, pour rendre les hommes heureux, “car rien”, insiste l’Inquisiteur, “n’a jamais été plus insupportable pour un humain ou une société humaine, que la liberté.” […] Les jeunes qui pensent maintenant si peu de la démocratie grandiront peut-être pour devenir des combattants pour la liberté. Le cri de “Donnez-moi la télévision et des hamburgers, mais ne m’embêtez pas avec les responsabilités de la liberté”, laissera peut-être la place, en des circonstances différentes, au cri de “La liberté ou la mort !” Si une telle révolution a lieu, ce sera dû en partie aux forces sur lesquelles même le plus puissant des dirigeants a très peu de contrôle, en partie à cause de l’incompétence de ces dirigeants, leur incapacité de rendre effectifs les instruments de manipulation des esprits suppléés par la science et la technologie, qui continueront à en fournir à tous les tyrans en herbe.

[…] Le Grand Inquisiteur reproche au Christ d’avoir appelé es hommes à être libres et Lui dit que “Nous avons corrigé ton travail et l’avons fondé sur le miracle, le mystère et l’autorité.” Mais le miracle, mystère et autorité ne sont pas suffisants pour garantir la pérennité de la dictature. Dans ma fable du “Meilleur des mondes”, les dictateurs ont ajouté la science à la liste et furent donc capables de renforcer leur autorité en manipulant les corps des embryons, les réflexes des bébés et les esprits des enfants et des adultes. Et au lieu de juste parler de miracle et de faire symboliquement allusion aux mystères, ils furent capables grâce à la drogue, de donner à leurs sujets l’expérience directe des mystères et des miracles, de transformer une simple foi en une connaissance extatique. Les vieux dictateurs tombèrent parce qu’ils ne purent jamais fournir à leurs sujets suffisamment de pain, suffisamment de cirque, suffisamment de miracles et de mystères. Ils ne possédaient pas non plus un système vraiment efficace de manipulation des esprits. Dans le passé, les libres-penseurs et les révolutionnaires furent souvent les produits de la plus pieuse des éducations orthodoxes. Ceci n’est en rien une surprise. Les méthodes employées par les éducateurs de l’orthodoxie étaient et sont toujours particulièrement inefficaces. Sous un dictateur scientifique, l’éducation fonctionnera vraiment avec pour résultat que la vaste majorité des hommes et des femmes grandira en aimant leur servitude et ne rêveront jamais de révolution. Il ne semble pas y avoir de bonne raison de croire qu’une stricte dictature scientifique soit jamais renversée.

Pour l’heure, il y a encore un peu de liberté dans le monde. Beaucoup de jeunes il est vrai semblent ne donner aucune valeur à la liberté. Mais certains d’entre nous pensent toujours que, sans liberté, les êtres humains ne peuvent pas devenir pleinement humains et donc que la liberté est d’une valeur suprême. Peut-être que les forces qui menacent maintenant la liberté sont trop fortes pour être résisté bien longtemps. Mais il est toujours de notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour leur résister.

FIN

= = =

“Un corps scientifique auquel on aurait confié le gouvernement de la société finirait bientôt par ne plus s’occuper du tout de science, mais d’une toute autre affaire. Et cette affaire, l’affaire de tous les pouvoirs établis, serait de s’éterniser en rendant la société confiée à ses soins, toujours plus stupide et par conséquent plus nécessiteuse de son gouvernement et de sa direction.”
“La science étant appelée désormais à représenter la conscience collective de la société, doit réellement devenir la propriété de tout le monde.”
~ Michel Bakounine ~

AH1
Comme la dictature climatico-sanitaire par exemple ?…

5 Réponses to “Analyse et réflexions sur la dictature post-moderne : retour au meilleur des mondes d’Aldous Huxley ~ 3ème et dernière partie ~”

  1. […] originale et inédite PDF N° 301121 de 29 pages des larges extraits de  traduction par Résistance71 du livre d’Aldous Huxley : Brave New World Révisited /Retour au Meilleur des Mondes, 1958 […]

  2. […] ! Version originale et inédite PDF N° 301121 de 29 pages des larges extraits de  traduction par Résistance71 du livre d’Aldous Huxley : Brave New World Révisited /Retour au Meilleur des Mondes, 1958 ► […]

  3. […] originale et inédite au format PDF N° 301121 de 29 pages des larges extraits de  traduction par Résistance71 du livre d’Aldous Huxley : Brave New World Révisited /Retour au Meilleur des Mondes, 1958 ► […]

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