Résistance politique: Pour une résurgence des nations autochtones contre le colonialisme génocidaire…

Nous appartenons les uns aux autres: Nations autochtones résurgentes

 

Jeff Corntassel

 

27 Novembre 2013

 

url de l’article original:

http://nationsrising.org/we-belong-to-each-other-resurgent-indigenous-nations/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Que se passe t’il lorsque le peuple du saumon ne peut plus attraper de saumon dans ses rivières ? Ou lorsque les médicaments (naturels), eaux et alimentation traditionnelle dont les peuples autochtones sont dépendants depuis des millénaires afin de maintenir leurs communautés, deviennent contaminés par des toxines ? Comment les générations futures verront-elles nos efforts pour protéger et respecter les endroits et les relations que nous chérissons ? Ce n’est pas un accident que dans les endroits où les nations autochtones fleurissent et sont heureuses sur leurs terres et exercent leur autorité d’autodétermination, ces environnements naturels sont en bonne santé et biologiquement diversifiés. Les environnements gérés par l’État par ailleurs, sont souvent des sites d’extraction limitée, de manque d’eau douce, de désertification, de déforestation et d’une destruction quasi-générale de la diversité biologique et génétique. Le fait est établi que plus de 80% de la biodiversité mondiale fleurit et abonde sur des terres autochtones, n’est pas une coïncidence.

Qu’elles se déguisent sous forme d’états, d’entreprises corporatrices, d’organisations non-gouvernementales, etc… les puissances coloniales traitent la planète comme une vaste commodité marchande qui peut-être militarisée et exploitée sans fin.  Dans sa quête inextinguible de croissance infinie au travers une version moderne de la “doctrine de la découverte” chrétienne, chaque projet d’extraction d’état, de corporation, tente de déconnecter les peuples autochtones d’avec leurs rôles collectifs et individuels et leurs responsabilités au niveau de la terre, de la culture, de la communauté. Ainsi, en tant que nations autochtones résurgentes redemandant et maintenant nos existences fondées sur le sol, nous devenons de plus en plus une menace sérieuse pour la survie future du système colonial.

Alors que les gouvernements étatiques tentent de proclamer les peuples autochtones comme citoyens, travailleurs et/ou tenants de droit, les nations autochtones s’affirment d’une autre façon: comme des relations ayant des responsabilités inhérentes à nos terres ancestrales, nos cultures et nos communautés. Un mot Cherokee décrit ces relations vécues: “digadatsele’i” ou “nous appartenons l’un à l’autre”. C’est ce sens d’appartenance qui défie et brise les confinements coloniaux de la “famille nucléaire” et guide nos responsabilités relationnelles en that que clan des mères, chefs, grands-mères, grands-pères, jeunes, enfants, parents, etc… L’universitaire de Mississauga Nishnaabeg (Canada) Leanne Simpson le décrit comme “une série de responsabilités radiantes”, qui demande des actions afin d’obtenir la réciprocité et le renouvellement de ces relations.

L’autorité de notre autodétermination en tant que nations autochtones est fondée sur des relations saines et continuellement renouvelées. Pour les Cherokees, la notion de Gadugi exprime le comment notre gouvernance a persisté depuis plus de 10 000 ans sur terre: les gens travaillant ensemble dans un esprit de camaraderie communautaire. D’après l’ancien Cherokee Benny Smith, Gadugi est un processus centré sur la communauté qui assure que “personne n’est laissé seul à gravir et surmonter les tâches de la vie”. Cette conscience coopératrice et fondée sur l’endroit assure que la communauté obtient son juste respect, une certaine réciprocité et humilité. En tant que peuples autochtones, nous avons une très longue mémoire et malgré les tentatives répétées de l’État d’effacer notre présence de la terre et de l’eau, nous personnifions la lutte de la reconnaissance et de la reconnexion et de la régénérescence de notre existence basée sur la terre. Se rappeler de la vie au-delà de l’état et agir pour ces souvenirs est la régurgence !

Quand j’étais un élève de 4ème cycle à l’université d’Arizona, un officiel du consulat mexicain vint donner un discours à l’université peu de temps après le soulèvement des Zapatistes du Chiapas (EZLN) en 1994. A un moment donné, l’officiel mexicain a dit qu’il n’y avait aucune raison légitime pour le soulèvement des Zapatistes contre le gouvernement parce que “nous sommes tous indigènes, nous sommes des métisses et tous nous avons du sang autochtone dans les veines”. Il était époustoufflant d’entendre une telle ignorance et ce n’est que plus tard que j’ai réalisé à quel point cette classique tactique coloniale était utilisée. Il est commun pour les états de proclamer: “nous sommes vous” afin de légitimiser leur présence constante sur la terre. Ce que l’officiel mexicain avait dit est l’essence de la mentalité d’état-nation, justifiant ainsi de l’occupation illégale de territoires ancestraux autochtones en créant une illusion que l’état et la nation sont la même chose.

Plus de 500 ans d’expérience nous disent que la construction de l’État a tout à voir avec la destruction de la nation. L’autodétermination d’une nation autochtone ne vient pas de l’état mais directement de la terre elle-même et des milliers d’années d’expérience de relation vitale avec elle et non pas seulement le fait de se trouver dessus. Les États et les corporations fondés sur le vol des terres autochtones ne sont pas durables de manière inhérente, ceci est pourquoi ils utilisent des mécanismes coloniaux comme la peur, la répression et les fictions juridiques. Mais notre amour de la terre ancestrale et nos relations avec elle ne peuvent pas être vaincus par la violence d’état et nous vivons en tant que nations indigènes malgré les tentatives répétées d’éradiquer du paysage les peuples autochtones et nos relations avec la terre locale.

L’État dénoncé

Il y a environ 200 états reconnus dans le système de gouvernance mondial aujourd’hui et pourtant il y a plus de 5000 nations indigènes à travers le monde coincées entre ces frontières fictives étatiques. Le terme “d’état-nation” (NdT: émergeant historiquement au XVIème siècle avec la monarchie absolue) est devenu plus utilisé depuis les années 1920 ; ce terme est utilisé pour cacher la présence de nations autochtones au sein des frontières coloniales. En contraste avec cet état qui n’est qu’une création légale humaine, la nation autochtone est vécue et personnifiée par nos terres et nos eaux ancestrales. En tant que peuples autochtones à la mémoire très longue, nous dénonçons et défions les mythologies étatiques. En fait, la vaste majorité (plus de 70%) de ces quelques 200 états présents dans le monde aujourd’hui ont moins de 70 ans. Les nations autochtones ont existé bien avant les États et continueront à exister bien après leur disparition.

En tant que créations politiques et légales, les États imposent leur volonté par la violence et la coercition. La souveraineté donne à l’État une autorité exclusive d’intervenir avec force dans toutes les activités au sein de ses frontières, spécifiquement lorsqu’une nation est perçue comme “menaçant son intégrité territoriale”. Pourtant, l’État ne peut pas survivre dans le temps sans un soutien et une légitimité accordés par le peuple vivant dans ses frontières. Comme les conduits d’une croissance entrepreneuriale sans limite, les états sont en quête constante de certitude et de légitimité, ce qui les rend vulnérables, C’est pourquoi plus de 90% de tous les états qui ont jamais existés se sont divisés.

Une fois passé outre le vernis de la légitimité, tout ce que l’état conserve est son pouvoir et sa force de répression. Quand le professeur Mohawk Taiaiake Alfred appelle pour que mille Okas fleurissent (NdT: Oka fut la crise ayant eu lieu en territoire Mohawk du Québec en 1990 et qui vit un siège de plus d’un mois des guerriers Mohawks retranchés sur leur terre sacrée pour empêcher l’extension d’un golf sur leur terre…), il met en évidence la vulnérabilité de l’état. D’après le géographe Bernard Nietschmann, les nations autochtones peuvent saigner à blanc l’état en perpétrant trois actions de manière interconnectée:

  • Perpétrer de petites embuscades et sabotages de manière continue qui forcent l’état à maintenir à hauts coûts une force armée sur le terrain.
  • Détruire ou perturber toute l’exploitation économique des ressources nationales de l’état.
  • Au moyen d’un activisme environnementaliste et une politique extéreure, bloquer la réception par l’état des fonds de développement de ses donateurs étrangers, comme les ONG, les entreprises, les forums mondialistes et les autres états.

Chaque génération successive a une responsabilité de réinterprêter les luttes autochtones et d’agir sur ses engagements renouvelés à la terre, la culture et la communauté. Voilà pourquoi le Mouvement pour les Nations Autochtones (MNA) n’est pas quelque chose de nouveau, ce n’est que la dernière réinterprétation d’une très longue lutte pour la décolonisation afin de réclamer, de renommer et de réoccuper les terres ancestrales autochtones et leurs plans d’eau et qu’ils en soient conscients ou non, tous les peuples indigènes sont engagés dans cette lutte.

Quoi qu’il en soit, au lieu de ne se concentrer que sur l’état, notre point de concentration peut glisser vers la résurgence en renforçant notre relation avec les autres nations autochtones. En nous engageant dans des traités entre nations indigènes et des alliances pour promouvoir de nouvelles formes d’unité indigène (en revitalisant les réseaux anciens de commerce, en offrant des protections pour le passage des frontières, en protégeant nos terres ancestrales), émergeront de très fortes confédérations de familles autochtones et de communautés qui défieront l’autorité étatique. Comme l’autodétermination est quelque chose qui est de facto et non pas négocié, ceci est au sujet des nations autochtones réévaluant nos responsabilités inhérentes.

A la grande différence du pouvoir d’état totalement fabriqué, qui provient de la force et de la coercition, le pouvoir des nations autochtones, lui, provient des responsabilités et des relations envers nos territoires et familles. Au travers nos actes de résurgence quotidiens, nos ancêtres et les générations futures nous reconnaîtrons comme étant les indigènes à cette terre. Ultimement, seules les lois autochtones pourront fleurir sur les terres ancestrales.

Digadatsele’i (Nous appartenons l’un à l’autre).

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Jeff Corntassel (Cherokee Nation, Clan du Loup)  est professeur associé et conseiller 3ème cycle en Gouvernance Autochtone à l’université de Victoria, Colombie Britannique. Les recherches de Jeff on été publiées dans Alternative, American Indian Quarterly,  Canadian Journal of Human rights, Decolonization, Human Rights Quaterly, Nationalism & Ethnic Studies et le Journal de Science Sociale. Sur Twitter: @JeffCorntassel

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