L’illusion démocratique: comprendre les rouages de l’état et les mécanismes d’oppression pour mieux en sortir.

Pourquoi ce texte écrit par Michel Bakounine en 1870, avant même la Commune de Paris, nous semble t’il tant d’actualité ? Parce que depuis cette époque, rien n’a vraiment changé, l’exploitation et l’oppression sont toujours de mise, d’aristocratique, l’état et les institutions sont devenues oligarchiques.

Pour trouver des solutions viables au marasme actuel, qui n’est que la conséquence logique de la vampirisation constante de nos sociétés par les parasites habituels, il faut d’abord comprendre vraiment ce dans quoi nous vivons, analyser les rouages, comment en sommes-nous arrivés là, pour trouver la juste et équitable sortie qui jettera ce système obsolète aux poubelles de l’histoire et nous mènera nous, les peuples sur la voie émancipatrice de la réalisation égalitaire de l’intérêt général, car au fond, c’est bien de cela dont il s’agit et de rien d’autre et ce depuis l’aube de l’humanité. Eliminons les interférences sous sa forme de parasitisme systémique.

— Résistance 71 —

“Le penseur et le poète ont le privilège d’anticiper sur l’avenir et de construire, au milieu du chaos de la mort et de la décomposition qui nous entourent, un nouveau monde de liberté et de beauté.”

(Michel Bakounine, correspondance, 1843)

 

La science et la question vitale de la révolution (extraits)

 

Par Michel Bakounine

 

(Genève, Mars 1870)

 

~ Compilé par Résistance 71 ~

 

[…]

Comment une infime minorité peut exploiter impunément l’immense majorité.

Afin de résoudre l’importante question de savoir comment ont été modifiés tout au long de l’histoire les équilibres ou les régimes établis, ou comment les uns et les autres peuvent l’être aujourd’hui, examinons de plus près la nature des forces sociales…

L’effort commun de quelques dizaines d’individus est beaucoup plus efficace que tout effort individuel, non seulement parce que la force de plusieurs unités est toujours plus grande que celle d’une seule, mais aussi parce que lorsqu’une dizaine, ou même davantage d’individus, conjuguent leurs efforts pour atteindre un but commun, une nouvelle force se constitue entre eux qui dépasse et de loin la simple somme arithmétique des efforts individuels de chacun. En économie politique, ce fait a été pour la première fois noté par Adam Smith et attribué à l’action naturelle de la division du travail. Or dans le cas que j’examine, ce n’est pas seulement la division du travail qui agit, c’est à dire engendre une nouvelle force, mais aussi, et dans une proportion plus grande encore, l’union et ce qui la complète nécessairement: l’élaboration d’un plan d’action, puis la meilleure répartition possible et l’organisation systématique ou réfléchie de forces peu nombreuses conformément au plan établi.

En effet, depuis que l’histoire existe, dans tous les pays, même les plus civilisés et les plus éclairés, toute la sommes des forces sociales se divise en deux grandes catégories foncièrement différentes l’une de l’autre et fréquemment, on peut même dire presque toujours, antagoniques, à savoir: la somme des forces inconscientes, instinctives, traditionnelles, pour ainsi dire spontannées et à peine organisées quoi que pleines de vie, et la somme incomparablement plus petite des forces conscientes, conjuguées, délibérément associées, agissant selon un plan donné et systématiquement organisées d’après ce plan.

Dans la première catégorie entre les millions et les millions qui constituent la masse du peuple, voire sous bien des rapports, la majeurs partie des catégories sociales cultivées ou privilégiées et enfin toute la couche inférieure de la caste bureaucratique et l’armée, constituent par leur forme organisationnelle la seconde catégorie, le gouvernement en étant le centre.

Bref la société est divisée en une minorité composée d’exploiteurs et en une masse immense plus ou moins sciemment exploitée.

Il va sans dire qu’il n’est pas possible de séparer par une ligne très rigide un monde de l’autre. Dans la société comme dans la nature, les forces les plus antagonistes finissent sur leurs limites par se confondre […]

[…] On demandera comment ce rapport monstrueux a pu se former ? Pourquoi dans l’état, 200 000 individus peuvent-ils impunément en exploiter 70 millions d’autres ? Est-ce possible que dans ces 200 000 exploiteurs il y ait plus de force physique ou plus d’intelligence naturelle que dans les autres 70 millions ?

Il suffit de poser la question pour y répondre par la négative.

… Les exploiteurs ont un grand avantage, celui de l’instruction.

Certes l’instruction est une force et si mauvaise, si superficielle si déformée que soit celle de nos hautes classes, il est indéniable qu’avec d’autres facteurs, elle permet à la minorité privilégiée de garder en main le pouvoir. Mais là se pose une question: pourquoi la minorité est-elle instruite et pourquoi l’immense majorité ne l’est-elle pas ? Est-ce que la première est plus apte aux études que la seconde. Là encore il suffit de poser la question de l’aptitude pour y répondre négativement. Le peuple est infiniment plus apte aux études que la minorité; donc celle-ci bénéficie du privilège de l’instruction pour de toutes autres raisons. Quelles sont-elles ? Il n’y en a qu’une et tout le monde la connaît: la minorité est placée dans des conditions qui lui donnent accès à l’instruction tandis que les masses populaires sont placées dans des conditions qui la lui interdisent, autrement dit, la minorité occupe la position avantageuse des exploiteurs et le peuple est la victime de l’exploitation (Note de Résistance 71: aujourd’hui, même si “l’instruction” s’est généralisée, la minorité garde accès aux études prestigieuses, à celles qui garantissent le renforcement des privilèges, la barrière sociale n’est pas hermétique, mais les chances pour un fils d’ouvrier de devenir ce qui est vu comme un “succès social” sont bien moindres tandis que pour la caste du sérail, elle ne doit se soucier que de son héritage…)

Tous les états présents et passés, ont eu pour principe fondamental et absolu l’Union. C’est en vain que l’on va chercher la raison primordiale de la formation des états dans la religion. Il est certain que la religion, c’est à dire l’ignorance, la superstition et la bêtise du peuple engendrée par l’une et par l’autre, a beaucoup contribué à organiser l’exploitation systématique des masses populaires qu’on appelle l’état. Mais pour que la bêtise du peuple puisse être exploitée, il fallait qu’il y ait déjà en place des exploiteurs déjà unis et en train de former un État […]

[…] Affermies, les classes étatiques continueront à s’étendre et à se consolider sur le dos du peuple grâce à leur croissance naturelle et au droit d’héritage. Les enfants et les petits-enfants des premiers membres de la classe deviendront par la suite et par conséquent, dans une une mesure toujours plus grande, des exploiteurs du peuple plus encore par leur situation que par calcul ou plan sciemment préconçu. Ce complot se situera alors de plus en plus haut dans les hautes sphères gouvernementales et dans la minorité qui les touche de près. Il se transformera pour l’immense majorité des classes privilégiées en une exploitation de plus en plus coutumière, traditionnelle, rituelle, plus ou moins innocente.

Peu à peu et de plus en plus fort avec le temps qui passe, la majeure partie des exploiteurs, soit par naissance, soit par la situation dont ils ont hérité dans la société, commenceront à croire sérieusement au droit historique et au droit de naissance. Non seulement eux, mais les masses qu’ils exploitent se mettront à croire aussi, sous l’effet de l’habitude, de la tradition et de l’action délétère des dogmes religieux empoisonnés, aux “droits” de leurs exploiteurs et oppresseurs et elles continueront à y croire tant que la coupe de leurs maux ne débordera pas et que des souffrances de toute nature n’aient éveillé en elles un tout autre sentiment.

Ce sentiment nouveau naît et se développe avec une extrême lenteur dans les masses populaires. Des siècles passeront avant que ce sentiment ne s’éveille complètement, mais à partir du moment où il est réveillé, il brisera tout devant lui et nulle force ne pourra lui résister. C’est pourquoi la tâche principale qui incombe à l’état et à sa sagesse est précisément à empêcher par tous les moyens que ne s’éveille un sentiment rationnel dans le peuple ou du moins à le retarder indéfiniment […]

[…] La misère, la faim, le travail épuisant, une gêne incessante, (Note de R71: aujourd’hui par la société de consommation et la dette, même si la misère est toujours présente, de plus en plus même, depuis que la toute dernière crise économico-financière téléguidée par le capital fait ses ravages dans nos sociétés), suffisent pour abrutir l’homme le plus fort et le plus intelligent. Ajoutez à cela l’ignorance et vous serez étonné que ce malheureux peuple, fût-ce à pas lents, aille encore de l’avant et ne s’abêtisse pas encore d’avantage d’année en année.

Le savoir est une force; l’ignorance la cause de l’impuissance sociale.

[…] L’ignorance empêche surtout le peuple de prendre conscience de la solidarité universelle qui est la sienne, de son immense force numérique; elle l’empêche de s’unir et d’organiser la révolte contre le vol et l’oppression organisés: contre l’État. Tout État sensé et prudent recourra dès lors à tous les moyens possibles et imaginables pour maintenir intacte dans le peuple cette précieuse ignorance sur laquelle reposent son existence même et toute sa puissance. (Note de R71: Aujourd’hui cela s’effectue à grand renfort de propagande et d’abrutissement via la société de consommation et la société spectacle; par la lobotomisation en règle des populations au moyen de la servitude volontaire mais induite, à la consommation et au ludique frivole)

Ignorance et savoir populaires.

Dans l’État, le peuple est voué à l’ignorance, de même les classes étatiques sont vouées et appelées par leur propre situation, à faire avancer la civilisation étatique. Jusqu’ici, l’histoire n’a pas connu autre chose que la civilisation de classe. Le vrai peuple, celui des travailleurs, n’a été jusquà présent pour cette civilisation qu’un instrument et une victime. Par son dur et âpre labeur, il crée la matière du progrès social qui, à son tour, accroît sans cesse davantage la domination des classes étatiques et lui apporte en guise de récompense la misère et la servitude […]

[…] L’égoïsme de classe est caché au commencement de l’histoire par l’héroïsme de ceux qui se sacrifient non pour le bien du peuple, mais au profit et pour la gloire de la classe, qui, à leurs yeux constitue tout le peuple et hors de laquelle ils ne voient qu’ennemis et esclaves. Tels furent les fameux républicains de la Grèce et de Rome. Mais les temps héroïques passent vite et font place à des temps de plaisirs et de jouissancess prosaïques quand les privilèges apparaissent sous leur vrai jour, engendrant, l’égoïsme, la lâcheté, la bassesse et la bêtise. Peu à peu, l’énergie de classe tombe en décrépitude et dégénère en débauche d’impuissance […]

[..] De quoi peuvent discuter les clans sociaux ? Uniquement de richesse et de pouvoir. Qu’est-ce que la richesse et le pouvoir si ce n’est deux aspects inséparables de l’exploitation du labeur du peuple et de sa force inorganisée ? Tous les clans sociaux ne sont riches et puissants que par la force et la richesse volées au peuple […]

[…] A la base de tous les problèmes historiques, nationaux, religieux et politiques, il y a toujours eu pour le monde du travail, comme pour toutes les classes et même pour l’État et l’église, le problème économique, le plus important, le plus vital de tous. La richesse a toujours été et est encore aujourd’hui la condition nécessaire de tout ce qui est humain: le pouvoir, la puissance, l’intelligence, le savoir, la liberté. Cela est d’autant plus vrai que l’église idéale entre toutes, l’église chrétienne, qui prêchait le dédain de tous les biens d’ici-bas, se mit de toute son énergie, dès qu’elle eut vaincu le paganisme et sur les ruines de celui-ci, ériger sa puissance, à acquérir la richesse.

La puissance politique et la richesse sont inséparables. Celui qui est puissant possède tous les moyens d’acquérir la richesse et il doit l’acquérir, car sans elle il ne conserverait par longtemps la puissance et le pouvoir. Qui est riche doit forcément être puissant, car si la force n’est pas de son côté, celui qui l’a le dépouillera. De tous temps, dans tous les pays, le monde du travail a été impuissant parce qu’il était dans la misère et il demeurait misérable parce qu’il n’avait pas de force organisée…

Le peuple laborieux, cette éternelle victime de la civilisation, ce martyr de l’histoire est loin d’avoir toujours vu et compris les problèmes comme il les comprend et les voit aujourd’hui […]

[…] Partout les masses populaires commencent à comprendre la cause réelle de tous leurs maux, à compendre dis-je, leur solidarité et à comparer leur nombre incalculable avec le nombre infime de leurs détrousseurs séculaires. Or, si elles ont déjà atteint ce degré de conscience, qu’est-ce qui les empêche de s’émanciper dès à présent ?

Le manque d’organisation, la difficulté de se concentrer et de s’entendre.

Mais étant donné que la majorité de classe, quoi que insuffisemment organisée, a néanmoins plus de richesse, plus de liberté de mouvement, plus d’instruction et plus de moyens pour comploter et s’organiser que le monde du travail, il est arrivé fréquemment que des séditions éclatent au sein des classes majoritaires et que les séditieux, après avoir vaincu le gouvernement, en installaient un autre, le leur, à sa place. Telles furent jusqu’ici toutes les révolutions de palais que l’histoire a entegistrées.

L’arche sacrée de l’État.

[…] Quels qu’aient été les conflits entre les classes, ou leurs séditions contre le pouvoir établi, aucune des révolutions de classe n’a eu et ne pouvait avoir pour objet l’abolition des fondements économiques et politiques de l’état, fondements qui rendent possible l’exploitation des masses miserables des travailleurs, c’est à dire l’existence même des classes et de leur régime. Si révolutionnaire qu’ait été l’état d’esprit des classes et qu’elle qu’ait été la haine qu’elles avaient pour telle ou telle forme d’étatisme, l’État est pour elles une chose sacrée: l’intégrité de l’état, sa puissance, tous ses intérêts sont à l’unisson regardés par elles comme hautement légitimes […]

[…] C’est pourquoi pas une révolution, si violente ou si audacieuse qu’elle ait pu être dans ses actes, n’a osé porter une main sacrilège sur l’arche sacrée de l’État; et étant donné que sans organisation, sans administration, sans armée et d’un nombre important de personnes investies de l’autorité, autrement dit sans gouvernement, aucun État n’est possible; tout gouvernement renversé a toujours été remplacé par un autre plus sympathique ou plus utile aux classes victorieuses…

Telle est la nature de toute autorité qu’elle la condamne à faire le mal, sans parler du mal chronique du peuple: l’état, ce rempart des classes, et le gouvernement qui, en tant que défenseur des intérêts de l’État, infailliblement et indubitablement et quelle que soit sa forme, est toujours pour le peuple une calamité […]

[…] Pourquoi un gouvernement est-il nécessaire au maintien de l’état ? Parce qu’aucun état ne peut exister sans complot permanent, dirigé, cela va sans dire, vers les masses laborieuses, au nom de l’asservissement et de la spoliation desquelles tous les états sans exception, existent; et dans chacun d’eux le gouvernement n’est rien d’autre que le complot permanent de la minorité contre la majorité spoliée et asservie par la dite minorité[…]

[…] Tout gouvernement a un double objectif: le premier, essentiel et hautement proclamé, c’est la sauvegarde et le renforcement de l’état, de la civilisation et de l’ordre public, c’est à dire la domination systématique et légale des classes sur le peuple exploité par elles.

Le second, presqu’aussi important que le premier aux yeux du gouvernement bien qu’on ne l’avoue pas volontiers, c’est la protection de ses privilèges particuliers et de l’oligarchie qui le compose. Le premier objectif concerne l’intérêt général des classes privilégiées; quant au second il ne va pas au delà de la vanité et des privilèges personnels des gouvernements […]

[…] La haine que se vouent mutuellement les états et les gouvernements qui les dirigent ne saurait être comparée à celle que nourrit chacun d’eux contre le peuple laborieux; et de même que deux classes privilégiées qui se font la guerre sont prêtes à oublier leur inimitié irréductible devant la révolte de la masse laborieuse, de même deux états et gouvernements directement aux prises seront prêts à se tendre la main pour peu que chez l’un d’entr’eux n’éclate une révolution sociale. (Note de Résistance 71: ceci fut appliqué historiquement dans une période très proche de ce texte puisque la France, vaincue à Sedan lors de la guerre de 1870 par la Prusse, est au bord du goufre, Napoléon III est prisonnier des Prussiens, ceux-ci assiègent Paris où éclate la Commune. Les Prussiens rendront leurs armes à l’armée de la jeune république de Thiers refugié à Versailles, pour écraser dans le sang la révolution. La collusion des états a agi contre la révolution sociale. Ceci se reproduira en 1936 en Espagne lorsque les fascismes, les social-démocraties et le stalinisme se ligueront pour écraser la révolution libertaire espagnole à l’heure où la CNT-AIT, syndicat anarchiste, avait plus d’un million d’adhérents en Espagne et où la société libertaire autogestionnaire fonctionnait sur une bonne partie du territoire…)

Pour tous les gouvernements, les états et les classes, quels qu’en soient la forme et le prétexte, et peu importe au nom de quoi, la soumission du peuple et son maintien en servitude est la question qui prime toutes les autres, car c’est une question de vie ou de mort pour tout ce qui s’appelle aujourd’hui civilisation ou civisme. Pour atteindre ce but, tout est permis.

Ce qui dans la vie privée se nomme infâmie, bassesse, crime, devient pour les gouvernements noblesse, vertu et devoir. Machiavel avait mille fois raison lorsqu’il disait que l’existence, la prospérité et la force de tout état, qu’il soit monarchiste ou républicain, sont fondés sur le crime…

Il y a là un complot permanent contre le bien-être du peuple et sa liberté.

La science gouvernementale s’est formée et perfectionnée durant des siècles. Je ne crois pas qu’on puisse me taxer d’exagération si je la qualifie de science de la grande-filouterie d’état, science mise au point au cours de la lutte incessante de tous les états présents et passés et sur la base de leur expérience.

Cette science est l’art de détrousser le peuple de telle façon qu’il le sente le moins possible et de ne pas lui laisser le moindre superflu, car tout superflu lui donnerait une force supplémentaire; c’est aussi l’art de ne pas lui enlever ce qui est strictement nécessaire à sa misérable existence et à la production continue des richesses. C’est l’art de recruter dans le peuple des soldats et de les organiser au moyen d’une discipline factice et de former une armée, force armée, force fondamentale de l’état destinée à servir contre le peuple et à le mater; c’est l’art dis-je, de répartir intelligemment et rationnellement quelques dizaines de milliers de soldats sur les points importants du territoire, de maintenir dans la crainte et dans la soumission des millions d’individus, de couvrir des pays entiers d’un vaste réseau bureaucratique et comment parallèlement à ces institutions, à ces règlementations et mesures bureaucratiques, entortiller, dissocier et réduire à l’impuissance les masses populaires de façon à ce qu’elles ne puissent plus se concerter, ni s’unir, ni bouger, qu’elles restent toujours dans une ignorance relative, salutaire pour le gouvernement, pour l’État et les classes privilégiées, ainsi qu’à l’écart de toute idée neuve et de tout homme actif. (Note de R71: Depuis la fin des années 1960, ces fonctions sont remplis par la société de consommation et la dette qu’elle engendre pour soi-disant “vivre mieux”. La servitude par la consommation et la dette vaut toutes les armées oppressives…)

Tel est l’unique objectif de tout système gouvernemental et du complot permanent du gouvernement contre le peuple.

Ce complot que tout le monde considère comme légitime et dont on ne se donne même pas la peine de dissimuler les effets et de s’en désolidariser, s’étend, au dehors, à toute l’activité diplomatique et au dedans à toute l’administration, qu’elle soit militaire, civile, politique, judiciaire, financière, universitaire ou religieuse.

Contre cette gigantesque organisation disposant de toutes les armes possibles et imaginables, morales et matérielles, licites et illicites, et pouvant compter le cas échéant sur l’appui unanime ou presque de toutes les classes étatiques, doit combattre le peuple misérable, certes innombrable par comparaison, mais désarmé, ignorant et manquant complètement d’organisation !

La victoire est-elle possible ? La lutte seule est-elle possible ?

Certes il y a dans le peuple assez de force spontanée, celle-ci est incomparablement plus grande que celle du gouvernement, celle des classes comprise, mais faute d’organisation, la force spontanée n’est pas une force réelle. Elle n’est pas en état de soutenir une longue lutte contre des forces beaucoup plus faibles mais bien organisées. Sur cette indéniable supériorité de la force organisée sur la force élémentaire repose toute la puissance de l’État.

C’est pourquoi la condition première de la victoire du peuple, c’est l’union ou l’organisation des forces populaires.

Cette organisation est aujourd’hui en train de s’opérer en Europe grâce à l’Association Internationale des Travailleurs (AIT).

[Note de R71: Ceci était vrai en 1870, depuis, le réformisme rampant social-démocrate a étouffé la véritable union populaire avec des cadres de syndicats foies jaunes vendus au capital et à l’état moyennant une pitance subventionnée de celui-ci pour s’assurer une illusoire subsistance politique, nécessaire à entretenir la façade “démocratique” de nos sociétés. La division règne toujours maîtresse et alliée du capital et de l’état. L’avènement de la société de consommation fut pour beaucoup dans le muselage de la conscience sociale et politique du peuple, elle est en cela une des armes les plus redoutables que le capital, gardé par l’état et ses institutions, ait eu à sa disposition.]

[…] Du degré d’instruction du peuple basée sur l’expérience historique dépend son aptitude à s’affranchir rationnellement […]

[…] Qui a donné à la noblesse la terre du peuple ? L’État. Qui a asservi les paysans à cette même noblesse ? L’État. Qui a réprimé de la façon la plus cruelle les paysans si longtemps patients et si souvent martyrs, quand, poussés au désespoir par l’implacable et sauvage fureur de leurs maîtres, ils se soulevaient contre eux ? Encore l’état. Qui ruine le peuple par le recrutement, la dime et la taille ainsi que par une administration de voleurs ? Qui entrave et paralyse le moindre de ses mouvements au moyen d’une bureaucratie la plus insolente et la plus impitoyable au monde (Note de R71: Bakounine parle ici de son pays la Russie…Est-ce vraiment différent de nos jours chez nous ?..) ? Qui a délibérement sacrifié et continue de sacrifier des dizaines de milliers voire des centaines de milliers d’hommes pour atteindre des buts dits “nationaux” ?

Toujours ce même État. Qui a foulé aux piedx les coutumes et les libres croyances du peuple ? Qui l’humilie et le blesse dans tout son être ?  L’État. Pour qui tout droit du peuple est-il égal à zéro et sa vie ne vaut-elle pas un liard ? Pour l’État. Se peut-il après tout cela que le peuple ne haïsse pas l’état, ne haïsse pas le gouvernement ?. Non cela ne se peut pas.

Mais dira t’on, le peuple est comme le chien qui mord le baton qui le frappe et non la main qui s’en sert pour le frapper; il hait tous les petits et moyens fonctionnaires qui appliquent les ordres du gouvernement, mais en même temps il a, sinon de l’amour, du moins une admiration superstitieuse entremêlée de crainte pour le haut clergé, les fonctionnaires civils et militaires de haut-rang, qui a ses yeux représentent le souverain et en général les sphères gouvernementales […]

6 Réponses to “L’illusion démocratique: comprendre les rouages de l’état et les mécanismes d’oppression pour mieux en sortir.”

  1. Si tant est qu’elle ait existé un jour, c’est terminé la démocratie, fini.
    Désormais c’est eux ou nous.
    Et j’en arrive à la triste conclusion qu’il faudra hélas que cela soit violent : donnons leur raison : « there is no alternative » ?
    En effet : l’unique voie passe par une maousse révolte, point barre.
    Et si la Grèce est un labo, prenons en de la graine (et les devants).

    • La seule solution viable est de générer un contre-pouvoir viable par l’autogestion et court-circuiter le système étatico-capitaliste. La lutte frontale désorganisée, sans conscience sociale est vouée à l’échec, c’est là qu’ils nous attendent, sur leur terrain de la violence. Toutes les révolutions ont soient été écrasées, soient récupérées car le peuple n’était que l’instrument du capital. Pour changer de régime aujourd’hui, il faudra le rendre économiquement et politiquement non viable.

      Boycott du vote, des impôts, des institutions, désobéissance civile, organisé, de masse et le système s’effondrera sans presqu’aucune violence. Il suffira de le cueillir comme un fruit mûr.

      L’union et la solidarité ainsi que la reprise d’une véritable conscience sociale par l’éducation et la pratique de l’échange social sont les véritables armes contre les institutions.

      « La rebellion sans la conscience critique est pour ainsi dire une explosion d’impuissance »
      — Paulo Freire —

  2. merci pour ce partage resistance71… en complement pour ceux qui ne connaissent pas .. guy debord – la societe du spectacle film de 1973 (1 sur 9) http://youtu.be/oyhPAiWl_KU

    • Toujours un plaisir de savoir que cela est utile…
      Debord oui à lire absolument pour ceux qui ne connaissent pas en effet… ainsi que ses commentaires sur la société du spectacle écrit après… Nous préférons ici Raoul Vaneighem pour son style, mais ce n’est que subjectif et les deux compères sont des incontournables…

  3. à voir absolument absolument absolument la vidéo sur le lien suivant vite vite vite

    http://leschroniquesderorschach.blogspot.com/

    Vidéo : des noirs de Libye parqués au zoo comme des bêtes

  4. […] – "La Science et la question vitale de la révolution" […]

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