Réflexion et action directe : anti-politique et anarcho-communisme (J. Eibish & Résistance 71)

“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

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Anti-politique et anarcho-communisme

Jonathan Eibish

2022

~ Traduit de l’anglais par Réistance 71 ~

Mai 2023

Lorsque j’ai décidé il y a cinq ans, de me consacrer de manière compréhensive à la théorie politique de l’anarchisme, il me sembla tout à fait évident d’explorer les concepts de base de ce courant socialiste pluraliste. Car dans l’anarchisme, il y a une pensée théorique indépendante qui doit nécessairement être comprise pour comprendre la connexion entre la morale anarchiste et son mode de vie ainsi que les idées anarchistes concernant l’organisation. C’est pourquoi je me suis posé ces questions : qu’est-ce que les anarchistes entendent en fait par “politique” ? Et, peut-il y avoir une “politique” anarchiste et quel serait son critère ? Le concept “d’anti-politique”, exprime le fait que c’est un champ de tension causé par l’ordre existant de la domination dans lequel les anarchistes agissent toujours en contradiction.

L’État comme relation politique organisée de la domination

Il est frappant que dans tous les courants anarchistes, il y a une critique fondamentale de la décision politique. Ceci a trait à la politique de gouvernement, la bureaucratie d’état, le parlementarisme et les partis politiques. Mais cela se réfère également à la logique politique et au mode d’organisation au sens large. Parce que ce que nous comprenons communément et associons avec la “politique” n’est pas un terrain neutre. Plutôt, les activités des mouvements sociaux qui tendent à être autonomes et auto-organisées sont souvent attribuées et appropriées par l’État. “La politique” prend la forme de la règle politique sous des formes libérales-démocratiques de la société. Ceci veut dire que l’État a émergé comme une relation de domination entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés et ceci est diffusé, transporté dans toutes les zones potentielles de la société.

Il est de la logique de l’état de réguler, contrôler, sanctionner et capturer toutes les sphères sociales. Si une “sphère privée” y est construite, alors celle-ci est à peine exempte de la domination de l’état, tout comme “l’économie ne peut pas vraiment être pensée comme séparée de l’État et du “loisir”, le côté face de la même pièce du travail salarié.L’étatisme peut être pensé de la même manière que le capitalisme, la relation de domination économique, le patriarcat et les relations de genre faisant de l’anthropocentrisme la relation sociale avec la nature.

En tant que relation de domination, cela s’insinue dans toutes les sphères sociales, mais ce n’est pas total. A ses côtés, résident des formes supprimées, réprimées de comment les humains peuvent s’organiser par eux-mêmes. Ils le font même lorsque l’état est la relation politique de domination. Sur la vaste majorité des activités qui se passent au niveau politique, l’état affirme son monopole ou du moins essaie de les contrôler et de les réguler. De la même manière, quand la plupart des gens pensent à la “politique”, ils l’associent rapidement avec ses structures étatiques et sa logique interne, parce que leur conscience est façonnée par l’idéologie de l’ordre dominant existant. 

FTS

Démocratie radicale ou scepticisme envers la politique ?

Si les anarchistes rejettent la nationalisation de la politique, on pourrait possiblement s’y opposer avec une sorte de politique auto-organisée et autonome, “d’en bas”. Une “démocratie radicale” ou “démocratie de la base” doit être opposée à la règle de l’état et de sa domination, état qui s’affirme faussement comme étant “démocratique”. On pourrait dire que ces approches procèdent à se réapproprier le concept de “politique” et aussi d’intervenir dans ses processus décisionnaires. C’est ce qui se passe lorsque les gens manifestent, s’activent dans des associations, parlent peut-être même aux politiciens et traitent de politique afin d’être capables de la critiquer et de la délégitimiser.

Connectée à ce sujet est la question de savoir quels points de départ existent pour l’organisation d’une société socialiste-anarchiste ? Même s’il y a des arguments plausibles pour cette vision démocratique radicale, j’ai décidé d’utiliser un autre concept politique. Je le décris comme (ultra)-réaliste, gouvernemental et orienté sur le conflit. Par cela j’essaie de faire passer l’idée que le champ politique est toujours au sujet de la lutte pour le pouvoir et que ceux qui y sont impliqués ont des sources de pouvoir très inégales. Ce qui veut dire, comme je l’ai dit avant, que le terrain politique n’est jamais neutre dans la règle d’ordre existante. En fait, ses conditions sont déjà façonnées par la domination politique.

En d’autres termes : comme cela nous apparaît être en politique aujourd’hui, il n’y a quasiment pas de place pour les positions anarchistes. S’ils amènent dans la sphère politique des aspirations sociales-révolutionnaires, ils sont marginalisés et diabolisés. Si les anarchistes tentent de travailler de manière pragmatique pour des améliorations graduelles, ils sont ignorés ou totalement encadrés. Ces effets ne devraient pas être sous-estimés, tout comme le cas de bon nombre de gens de gauche qui ont trouvé la 100ème secte politique, ont rejoint des partis politiques malgré leur inconfort en leur sein, ou se désespèrent de la politique et ne veulent être efficaces que culturellement ou dans leur propre style de vie par exemple. D’une perspective anarchiste, cela vaut la peine de demeurer continuellement sceptique au sujet de faire de la politique.

Les raisons de l’inconfort politique 

Incidemment, ce fut, entre autres choses, la dispute au sujet du concept de politique en soi qui donna naissance à l’anarchisme en tant que courant politique indépendant. Vers la mi-XIXème siècle, le mouvement socialiste de la base devint politisé. Ceci se produisit d’abord par l’appropriation de ses demandes d’amener une politique sociale d’état. De plus, les politiciens de partis communistes et social-démocrates cherchèrent à imposer leurs propres demandes en tant que leaders et à régner par la réforme politique ou la révolution politique. Troisièmement, des mouvements autonomes, auto-organisés ainsi que des zones auto-gouvernées furent sujets à une brutale répression au cours d’une période de renforcement de l’état-nation moderne.  Ainsi, ils prirent des formes organisationnelles qui furent légalisées dans l’ordre bourgeois et y furent assignés. Les anarchistes résistèrent à cette politisation du socialisme en insistant sur les principes organisationnels d’autonomie, de décentralisation, de fédéralisme et de volontarisme et en travaillant à un changement social compréhensif par la révolution sociale.

En plus de l’historique, il y a d’autres raisons sur le pourquoi il est important d’être sceptique de la politique d’une perspective anarchiste. Ceci concerne l’observation déjà faite de la tendance aux mouvements sociaux auto-organisés et autonomes de se retrouver encore et toujours appropriés par ou assignés à la politique d’état. Nous savons cela des manifestants qui ont un sentiment de satisfaction émancipatrice après avoir marché dans les rues en signe de protestation avec d’autres personnes. Une manif’ a du sens si des gens ayant les mêmes vues s’y rencontrent, échangent des idées, se sentent forts ensemble ou vont à la confrontation. Mais en eux-mêmes, ces mouvements ne génèrent que trop rarement une véritable pression sur ceux qui détiennent le pouvoir.

Un anarchisme pluraliste

Au sein de l’anarchisme, il y a de bien différentes traditions, perspectives, points de vue, expériences et pratiques. C’est pour cela qu’il y a des controverses et des disputes toujours vivaces parmi les anarchistes. Bien des positions de personnes qui se nomment anarchistes peuvent ennuyer et énerver d’autres anarchistes. Parce qu’elles existent ne veut pas dire qu’elles puissent être mises sur un pied d’égalité parce qu’alors elles demeurent des opinions arbitraires, ce qui n’est pas suffisant pour pratiquer une critique sociale fondamentale et pour construire des alternatives qui fonctionnent. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas non plus nier que l’anarchisme est pluraliste. Sans doute parce que si l’anarchisme était homogénéisé et centralisé par un leader politique, ce ne serait qu’un courant politique parmi tant d’autres. Mais l’anarchisme est qualitativement différent des autres approches socialistes mais aussi de la gauche radicale. Cette différence s’explique là encore par la compréhension de la politique.

Les anarchistes individualistes (NdT : tendance Max Stirner, Henry David Thoreau) critiquent la règle politique essentiellement parce qu’elle restreint l’auto-détermination des individus, ce à quoi ils s’opposent. Les besoins et les désirs des individus ne peuvent être définis que par eux-mêmes. Ils ne veulent pas que quiconque représentent leurs intérêts. Le mutualiste (NdT : tendance proudhonienne) approche le but de l’auto-organisation, par exemple dans les voisinages, les circuits économiques régionaux etc et se fait l’avocat des coopératives et des entreprises collectives. Dans l’anarcho-syndicalisme (NdT : tendance CNT / AIT), la politique est clairement opposée à l’organisation et la lutte dans la sphère économique. Au lieu de parvenir à des réformes politiques au travers de l’état, le but est de traiter les intérêts directement contre les propriétaires du capital et d’utiliser les syndicats pour arranger l’organisation fondamentale pour l’autogestion d’une forme de société libertaire socialiste. L’anarchisme communal, ou anarcho-communisme (NdT : tendance Kropotkine, Goldman, Malatesta) tend à vouloir partager la vie entre gens pensant de même et, au delà de la politique, d’anticiper expérimentalement la venue de la nouvelle société dans des scènes alternatives ou des projets de communes.

Par contraste, l’insurrectionisme anarchiste assume que les anarchistes ne devraient produire aucune vision et que plutôt toute forme de domination se doit d’être attaquée en permanence sans avoir le besoin de narratifs “politiques” alternatifs. La tendance insurrectionnelle a émergé comme l’inversion de l’anarcho-communisme. Selon moi, il s’est développé comme résultat de l’expérience de l’échec des affirmations anarchistes, le désillusionnement avec l’échec de la révolution sociale et de la répression brutale subie par les mouvements socialistes libertaires.

NdR71 : Ce qu’Eibish appelle ici “l’anarchisme insurrectionnel” n’est qu’une resucée de la “propagande par le fait” populaire au sein du mouvement anarchiste à la fin du XIXème et début XXème siècles et essentiellement abandonnée depuis. Cette stratégie ressurgit cycliquement dans l’histoire en fonctions des conditions sociales et de la frustration émanant d’un sentiment de statu quo politique… C’est la partie la plus facilement manipulable par l’État pour générer le ressentiment populaire contre l’anarchie. Ne pas confonde “la propagande par le fait” et l’auto-défense, deux choses complètement différentes. En ce sens, le Black Bloc par exemple, est ambivalent, il peut être un outil de “propagande par le fait” et/ou un outil (très efficace) d’auto-défense… On ne peut évoquer cet aspect sans évoquer le toujours épineux sujet du “peuple en arme”. Nous avons traité de ce sujet qui est, surtout en cette période historique des plus troubles, un des sujets les plus importants qui ne pourra plus être ignoré longtemps…

Les traditions, perspectives et pratiques des tendances anarchistes variées sont initialement intéressantes en elles-mêmes. Nous ne devrions pas regarder leur catégorisation de manière trop étroite, parce que dans les scènes anarchistes, elles se mélangent de différentes façons. Ceci n’est pas mauvais et peut être très enrichissant. Aussi différents que les anarchistes soient et pensent, ils ont une chose en commun dans leur compréhension de la politique et cela mène à la poussée vers l’autonomie, c’est à dire le rejet de la domination avec la mise en place simultanée de relations et institutions égalitaires, libertaires et solidaires.

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Le vide politique en anarchisme

Mais la critique radicale de la politique et de son rejet dans l’anarchisme créent aussi deux problèmes théoriques. Le premier, si le terrain politique est complètement négligé, les approches anarchistes tendent à devenir des fins en elles-mêmes. La révolte peut devenir une fin sans but (NdT : d’où l’importance d’avoir élaboré une “conscience politique” solide…), qui peut être utilisée pour satisfaire des besoins de rébellion, mais qui demeurent un anti-réflexe et ne peuvent pas dépasser la domination. Le centre autonome ne peut être que sous-culturel et un projet d’habitat devient une meilleure façon de vivre dans un voisinage embourgeoisé. Le syndicalisme de la base est instrumentalisé par des groupes politiques ou masque ses contradictions internes. Les pratiques d’aide mutuelle s’arrêtent à la gestion de la misère sociale ou a ne servir que ses propres intérêts. Des individus subversifs ne font juste que tourner autour de leur auto-découverte.

Le second est qu’il y a la question du comment une forme de société socialiste-libertaire peut-être organisée politiquement ? Comment les communautés auto-organisées se forment-elles et comment s’inter-connectent-elles entre elles ? Comment les consensus sont-ils formés ? Comment se prennent les décisions et comment peuvent-elles être soutenues par le plus de monde possible ? Si les anarchistes veulent rendre justice à leurs propres demandes et créer des réalités alternatives pré-figuratives, ces questions n’émergent pas de manière conclusive et dans le sens d’un brouillon abstrait d’un nouvel ordre social. Elles sont plutôt des fondations essentielles pour développer des mouvements sociaux émancipateurs et des structures alternatives. Les anarcho-communistes en particulier, s’occupent de ces questions. (NdT : Résistance 71 est un collectif anarcho-communiste et nous confirmons ce que dit ici le compañero Jonathan, c’est toujours une tentative et le cœur de l’affaire vient de la non-coercition, un système  ne s’impose pas par la force, il ne peut que s’imposer par le respect et son efficacité prouvée de terrain dans la complémentarité de la diversité des associations libres…). Je vais donc maintenant mettre plus de lumière sur l’anti-politique anarcho-communiste. Je voudrais aussi dire ici par avance que le problème politique ne peut pas non plus être vraiment résolu de cette manière.

L’anti-politique des groupes anarcho-communistes

Même au sein de l’anarcho-communisme, plusieurs déclarations sont faites sur la politique. Par exemple, Johann Most fait une amère critique du politiser et Joseph Peukert rejette aussi la “politique” de manière abrupte. Pierre Kropotkine se demande comment les relations politiques socialistes-libertaires peuvent être conçues aux côtés et en opposition à la relation politique de domination de l’État. Le communisme est la relation économique alternative, tandis que l’anarchie est supposée être le mode de relation politique sans domination. D’après cette conception, la fédération de communes autonomes décentralisée est le modèle d’organisation politique pour la forme désirable de société. (NdT : une “fédération”, “confédération” qui ne serait évidemment pas un proto ou crypto-état) Le fait que différentes communautés puissent s’organiser sans devenir exclusives, homogènes et hiérarchiques est fondé sur des expériences historiques, qui forment le point de départ de la vision de la forme socialiste-libertaire de la société. Les anarchistes peuvent décrire une telle utopie concrète et réelle sans la graver dans le marbre ou croire en un plan infaillible qui n’existe pas et ne peut pas exister. Ils ont aussi besoin d’une telle vision s’ils veulent montrer des alternatives à l’ordre existant et s’ils veulent réaliser leurs idées et pas seulement en scenarios et en projets.

Parce que l’anarcho-communisme est au sujet de la totale révolution sociale de la forme de la société, il insiste sur la promotion, le développement de la conscience politique et l’organisation, ce plus que toutes les autres tendances anarchistes. Alors même qu’il y a un scepticisme prononcé sur le politique dans l’anarcho-communisme, il est aussi le plus politique de toutes les tendances anarchistes dans ses organisations. Entre autres, les anarcho-communistes se réfèrent aux groupes politiques de l’extrême-gauche et se comparent à ceux-ci, ils acceptent les différences graduelles des politiciens, veulent montrer une certaine direction à prendre pour les mouvements sociaux ; l’anarchisme communiste entre en territoire politique avec ces assomptions de base, même si cela n’implique pas la politique d’état. Mais si l’État est compris en un sens plus large comme relation politique de domination, une contradiction surgit ici. Comment la politique autonome anarcho-communiste diffère vraiment par exemple, de l’approche marxiste, qui critique aussi la domination politique, mais pour cette même raison une politique réformiste et/ou révolutionnaire est poursuivie ?

NdR71 sur l’anarcho-communisme : Si l’auteur est toujours empreint de confusion sur ces questions, c’est qu’il n’a pas bien saisi et fait des faux-sens dans son interprétation de l’anarcho-communisme. L’anarcho-communiste refuse toute forme d’état ou d’institutions centralisées. Il prône et développe les associations libres, associées en communes libres, fonctionnant sur l’entraide et selon le slogan du “A chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins”. Il élabore un système de coopération qui abolit également le rapport marchand et donc l’argent et toute forme de “troc” et donc aussi de salariat, on arrête de mettre une étiquette de prix sur tout ce qui nous entoure, y compris “l’heure de travail” et la vie humaine !..

Le marxiste dépend d’un parti centralisé qui saisit le pouvoir par voie électorale ou par la violence révolutionnaire. Le parti centralise le politique et l’économique et ne remet pas en cause le rapport marchand qu’il ne fait que “socialiser” de manière incomplète ne pouvant être que pervertie. Pour le marxiste, le prolétariat saisit les moyens de production et de pouvoir que le parti gère avec ses cadres. Le marxiste se complet dans un “capitalisme d’état” en attendant la “disparition” de celui-ci dans un futur plus lointain que proche… L’anarcho-communiste change totalement le rapport et la relation sociale en construisant une société sans état, sans parti, sans rapport marchand et sans argent ni salariat. Il s’oppose aussi en cela à l’anarcho-collectiviste (tendance Bakounine), qui fonctionne sans État mais ne pense pas que l’argent et le rapport marchand doivent disparaître dans l’immédiat, ce à quoi l’anarcho-communiste répond : État et rapport marchand / argent doivent disparaître de paire, pourquoi se débarrasser de l’un et attendre pour l’autre ? Cela n’a absolument aucun sens et ne peut que nuire à l’harmonie sociale…. L’anarcho-communisme est la société des sociétés telle qu’envisagée par Gustav Landauer dans le sillage de Pierre Kropotkine, la société humaine organique rayonnant dans toute la splendeur de la complémentarité de sa diversité bien comprise. Le marxiste s’inféode à une nouvelle relation de domination, l’anarcho-communiste s’émancipe avec la société. L’anarcho-communisme est une voie à deux sens, de l’individu à la société et de la société à l’individu en relation osmotique et complémentaire ; le marxisme est une voie à sens unique où l’individu est effacé devant le parti, ses cadres “avant-gardistes” et la société sous un nouveau rapport de domination. “Le prolétariat utilisera sa suprématie politique pour centraliser tous les instruments de production dans les mains de l’État…” (Marx, “Manifeste du Parti communiste”, 1848, 2ème chapitre). Marx y définit aussi l’état communiste comme étant “le prolétariat comme classe dirigeante”… Comment peut-on éprouver une quelconque confusion entre l’anarcho-communisme et le marxisme si l’analyse est complète ?… [fin de note]

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Accusations contre l’action sur le terrain politique

Certains anarchistes accusent donc l’anarcho-communisme de n’être en fait qu’un autre courant politique de la gauche. Ses activistes se considéreraient anti-autoritaires, mais au bout du compte sous-estimeraient le fait que le modèle social pour lequel ils poussent ne serait au mieux qu’un meilleur ordre de réglementation, mais ne serait pas du tout l’abolition de toute règle ; et en fait avec l’anarcho-communisme la logique politique ne serait finalement pas “de gauche”, mais toujours dans les catégories de l’esprit de l’ordre dirigeant. 

Je considère ces accusations être fausses, parce que je suis convaincu que de bonnes relations sociales alternatives existent déjà et que nous pouvons les étendre et travailler avec. Au lieu de cette fiction de “société libérée”, nous devrions nous aligner sur la vison d’une utopie faisable et concrète, orienter nos luttes autour d’elle et essayer de progresser toujours plus en tant que minorité radicale. De mon point de vue, les humains sont des animaux sociaux qui ne peuvent que se développer et se déterminer comme personnes spéciales, individuellement, dans la société. Les institutions ne sont pas des structures de domination per se, c’est un fait social établi que les gens développent des institutions, c’est pourquoi leur façonnement est important. (NdR71 : toute institution centralisée, privée ou étatique ne peut être que structure de domination de par le rapport hiérarchique intrinsèque. Une institution est une infrastructure qui ne peut refléter que son environnement… La commune libre serait une “institution” en tant qu’infrastructure sociale échappant au rapport de coercition, elle ne pourrait donc avoir qu’une influence positive, nous sommes en cela d’accord avec Eibish )

[…]

Devenir capable d’agir en contradictions

Ceci me ramène à mes questions initiales : Qu’est-ce que les anarchistes entendent par politique ? Comment la gèrent-ils ? Peut-il vraiment y avoir une politique autonome allant au-delà du cadre de relation politique de domination et qui n’est pas phagocytée par l’État ? Malheureusement, je ne peux pas répondre à ces questions de manière conclusive. Ceci est due à mon approche non-dogmatique par laquelle je trouve plus important de poser plus de questions et de discuter plus avant que de donner des réponses définitives ou de formuler des définitions fixes. Ainsi donc, je désirerais partager mes questions avec quiconque est intéressé et les encourager d’y penser également.

Je pense qu’il est vrai qu’il y a une contradiction théorique dans l’anarcho-communisme quand, d’un côté, il est utilisé pour entrer le champ politique et d’un autre côté, la critique anarchiste de la décision politique demeure en lui. 

NdR71 : il n’y a pas de contradiction quand on pense hors de la “boîte” étatico-marchande, quand la décision politique, le pouvoir, est réintégré dans le corps social, hors institutions coercitives, car à terme, on ne peut pas échapper au “pouvoir”, à la capacité et au besoin de prendre des décisions dans une communauté, une société sans pouvoir n’existe pas ; ce qu’il y a en revanche, ce sont des sociétés à pouvoir non-coercitif et des sociétés à pouvoir coercitif. La grande question historico-anthropologico-politique est de savoir pourquoi passe t’on d’un pouvoir non-coercitif somme toute naturel pour l’humanité de -1,8 millions d’années jusqu’à il y a quelques 5000 ans, à un pouvoir coercitif, d’abord en alternance, puis “définitif” par construction au moyen de l’état et d’institutions garde-chiourmes d’un système de domination par le plus petit nombre et ceci est-il irrémédiablement irréversible sachant que tout construction humaine, car c’est de cela qu’il s’agit ici, peut se déconstruire avec plus ou moins de perte et fracas selon les circonstances ? Rien n’est inéluctable dans une construction sociale, il est toujours possible de changer de relation, à tout moment, on ne dit pas que c’est facile, on dit que c’est tout à fait possible… encore faut-il le vouloir et pour le vouloir, d’abord en être conscient. [fin de note]

Malgré le fait que cette contradiction est aussi présente dans les autres tendances anarchistes bien que cela soit souvent ignoré de façon romantique ou balayé d’un revers de la main, la question demeure de savoir si c’est si mal que ça. Ceci n’est pas du à une quelconque anomalie de la pensée anarchiste. Cela surgit plutôt du cadre des conditions d’un certain ordre de domination, aux côtés duquel et au delà duquel il y a aussi des conditions sociales désirables que les anarchistes puissent aussi positivement se référer.

En bref, la domination et la liberté existent simultanément. Si cela n’était pas le cas, les anarchistes n’auraient pas à combattre pour quoi que ce soit d’autre. Ceci est vrai même s’ils devaient se consacrer essentiellement à la destruction des stuctures de domination. Si aucun changement désirable n’était possible, les anarchistes resteraient rhétoriques ou ils fusionneraient avec des groupes politiques et feraient de la politique pour une clientèle spécifique ; ou ils sombreraient dans le nihilisme, qui est une conclusion absurde. Même si ces signes de décomposition sont présents, je suis convaincu que les gens peuvent être par principe investis du pouvoir de déterminer leurs propres vies et pour se battre pour une société socialiste libertaire qui continuera à être défiée et développée par l’anarchie.

Finalement, il devrait être question de savoir comment les anarchistes peuvent être capables d’agir en contradictions afin de briser le cadre de l’ordre de la domination, de créer des communautés auto-organisées et d’y créer des relations ainsi que des institutions égalitaires, libertaires et solidaires. Cela est-il possible et comment le faire devra être discuter ailleurs sur la base d’exemples particuliers. Pour l’anarcho-communisme, les pensées et actions de gens comme Emma Goldman et Errico Malatesta peuvent inspirer. Dans leurs textes et biographies, je vois une motivation et une implication continues d’amener des groupes différents eux aussi marginalisés, opprimés, exploités dans un projet social révolutionnaire commun. Ce faisant, ils connectent différents champs de lutte, tentent de relier des points de vue anarchistes divergents et prennent des positions claires sur des problèmes bien spécifiques.

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NdR71 : Jonathan Eibish a aussi écrit sur le thème de l’anarchisme individualiste. Nous comprenons que ces textes éparses font partie de sa thèse de doctorat sur la théorie politique de l’anarchisme. Ci-dessous nous avons traduit la conclusion de la partie :

“L’anti-politique dans l’anarchisme individualiste” (2022) sans traduire le corps du texte, afin de sensibiliser sur les deux parties fondamentales de l’approche anarchiste de la société et des rapports de pouvoir et surtout tenter de faire comprendre qu’ils sont complémentaires et non pas antagonistes. Quoi que l’on fasse politiquement, tout par de l’individu, de sa conscience politique, de sa morale et de la façon dont il/elle interagit avec sa réalité, elle-même une réalité sociale collective. L’individu politiquement éveillé et actif rayonne sur ses extérieurs et s’associe volontairement, en retour l’association volontaire influe sur les individus la composant, la rendant plus vaste et compréhensive, supérieure à la somme de ses individus. Tout est là…

=> Conclusion (de Eibish sur l’anarchisme individualiste) :

En terme politique, cela veut d’abord dire : commencer à changer les choses avec soi-même et son propre environnement. C’est dans ce contexte que nous nous connaissions et là où nous faisons l’expérience de notre efficacité, ce qui est crucial pour transformer nos propres vies en ce changement que nous voulons voir pour le monde. Pour ce faire, nous ne devons pas discuter pompeusement de la révolution ou affirmer que les conditions pour un changement radical et émancipateur sont absentes, parce qu’elles sont toujours là ou ne le seront jamais.

En termes d’organisation, deuxièmement, cela veut dire organiser sur la base de relations sociales tangibles dès que possible. Ceci ne veut pas dire être amis avec tous les camarades, mais de développer des affinités avec eux. C’est donc une question de façonner activement les relations en accord avec sa demande, de communiquer de manière sensible, et de se traiter les uns les autres avec respect. Même les grands mouvements sociaux ne sont aussi forts que les individus qui les composent et leur capacité à s’unifier directement, à se faire confiance et à coopérer les uns avec les autres ; ceci ne tombe pas du ciel, c’est activement encouragé.

Troisièmement, un scepticisme au sujet de la décision politique peut être dérivée de l’anarchisme individualiste, ce qui est en fait approprié et peut bien être justifié. Les actions ne “réussissent” pas seulement si elles peuvent être utilisées pour exercer une pression sur l’Etat pour qu’il se sente obliger d’émettre des réformes en pratique. Les actions directes parlent d’elles-mêmes et ont un effet immédiat sur les choses que l’on veut critiquer et changer. Ceci demande que les individus agissent activement, volontairement, respectivement et consciemment, c’est à dire de manière auto-déterminée. Ceci anticipe ce que les anarchistes dans leur ensemble luttent pour : une forme de société dans laquelle tout le monde vit dans les conditions qui les aident à déterminer et à façonner leurs vies par eux-mêmes. Que l’action résultante soit alors appelée “action politique” ou pas n’est pas important. La chose vitale est de s’éloigner du mode nationalisé d’action politique.

NdR71 : manifestement, J. Eibish est plus à l’aise pour analyser l’anarchisme individualiste que l’anarcho-communisme vu plus haut… 

Pour nous, Il n’y a pas d’antagonisme entre anarchisme individualiste et anarcho-communisme, il y a complémentarité qui doit être bien comprise. Tout part de l’individu pour y retourner par le truchement du collectif, de la capacité unique de l’individu de dire NON ! et de librement s’associer. Ce rayonnement passe des individus aux collectifs qui en retour agissent sur les individus pour que la société résultante soit plus grande que la somme des individus qui la composent. Là réside la force organique de l’anarchie. Le marxiste de parti a une mentalité de ruche, qui sacrifie l’individu à l’autel d’un collectif dirigé par une nomenklatura “avant-gardiste” donc élitiste à vocation dogmatique et coercitive. L’anarcho-communiste fonde son communisme sur les communes d’individus volontairement associées se perfectionnant les unes les autres par le truchement de la relation individuelle et collective. C’est une voie à deux sens qui met l’individu au cœur du communisme et non pas qui assujettit l’individu à un nouveau mode de domination collectiviste pseudo-communiste. L’anarcho-communisme est en adéquation avec la nature, il est la vie ; le marxisme institutionnel en est la négation, il est l’autre côté de la même pièce étatico-marchande du capitalisme et n’est que mort et putréfaction. Le choix est indéniablement vite fait pour quiconque réfléchit critiquement et donc radicalement (sur la racines des choses…).

= = =

“Obéir, non ! Et gouverner ? Jamais !”
~ F. Nietzsche (Le gai savoir #33) ~

“Là où cesse l’État, c’est là que commence l’Homme, celui qui n’est pas superflu : là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l’État — regardez donc mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?”
~ Friedrich Nietzsche, “De la nouvelle idole” ~

L’état n’est pas quelque chose qui peut être détruit par une révolution, mais il est un conditionnement, une certaine relation entre les êtres humains un mode de comportement humain, nous le détruisons en contractant d’autres relations, en nous comportant différemment.
~ Gustav Landauer ~

Lecture complémentaire importante de ce texte de Jonathan Eibish :

“Le communisme anarchiste”, Sam Dolgoff, traduit par Résistance 71

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

TLPARP

GL sur R71 cobra

7 Réponses to “Réflexion et action directe : anti-politique et anarcho-communisme (J. Eibish & Résistance 71)”

  1. Klaus Schwab veut supprimer la propriété privée.

    parce que la propriété privée permet l’autonomie et donc l’indépendance de chaque individu.

    c’est bien que les individus s’entendent de manière fraternelle, mais pour une vraie égalité, il faut que chacun ait sa terre et sa maison.

    après il y a des terres communes que les gens peuvent travailler ensemble pour partager le fruit, le blé, viande, fromage etc…commun.

    Mais il faut un minimum de propriété privée pour que les gens ne soient pas dépendants à 100% de leurs relations avec les autres, et ait l’esprit à l’aise et sans stress. Car dans une propriété commune, il y aura toujours des larçins, avec des gens qui arrivent à 6 heures du matin pour tout récolter avant les autres et cacher son butin. Avoir un plan B de secours pour pouvoir se nourrir, Cela s’appelle un plan B de secours si jamais les choses tournent mal. Un peu comme une défense minimale de sécurité contre la famine.

    1% des riches possèdent 99% des terres fertiles
    https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/01/22/20002-20180122ARTFIG00140-plus-de-80-de-la-richesse-mondiale-va-au-1-les-plus-riches.php

    Ce qui veut dire que 7 milliards d’habitants ne vivent que sur 1% des terres fertiles de la planète
    https://www.humanite.fr/social-eco/repartition-des-richesses/les-1-des-plus-riches-possedent-plus-que-99-de-la-population

    les terres de Rothschild à elle seules représentant 30% des terres arables, pourraient donc assurer de donner des terres et des fermes pour chaque habitant de la planète
    http://www.brujitafr.fr/article-edmund-de-rothschild-proprietaire-de-30-des-terres-mondiales-106448897.html

  2. par contre je suis contre les plages privées.
    un terrain privé de 400 mètres ok, mais pas plus.
    le reste c’est en commun et exploitation commune.
    incroyable le nombre de riches qui ont des plages privés. Cela fait autant de contrebandes qui n’ont pas de droits de douanes.

    les mafieux ont tous des plages privés.
    mais ils font chier les gueux qui passent aux scanners X et leur imposent des big brother jusque dans leurs chiottes.

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