Archive pour anarchie et société des sociétés

Société, état, rébellion et insurrection… pensées critiques anarchistes organiques et hors moule… (Monkey Bars)

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, coronavirus CoV19, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, média et propagande, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , on 17 mai 2023 by Résistance 71

insurrection1

L’allure de l’insurrection

Monkey Bars

2009

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Mai 2023

Cet essai est une tentative de clarification de quelques incertitudes et affirmations au sujet des analyses insurrectionnelles comme étant incompréhensibles, ce espérons-le pour le bénéfice de ceux qui ont été critiques de cette tendance. Nous traiterons aussi ici de quelques sujets émanant des écrits anarchistes et des arguments souvent dogmatiques entretenus entre les factions anarchistes (NdT : ce que nous appelons ici les “guéguerres de clochers”, qui valent aussi pour une frange marxienne moins dogmatique que sa contre-partie autoritaire d’état, mais favorisant aussi une division qui n’a plus lieu d’être quand on s’accorde sur les conclusions et le chemin à emprunter, ce qui doit se faire par-delà toutes les factions politiques systémiques entretenues…). Pas besoin de dire ici que ceci est fait en solidarité de tous les exploités et discriminés, victimes de cette prison appelée “société”, ce sans exception.

Dans le milieu anarchiste souvent masochiste, certaines modes ont émergé invoquant l’insurrection et la guerre sociale. Bien que ces tendances aient été marginalisées et attaquées au sein du milieu, on oublie souvent que ceci n’est en rien nouveau. Beaucoup, si ce n’est tous les anarchistes dans l’histoire, ont été des insurgés croyant que c’était peine perdue pour une vie individuelle ou pour un groupe entier, de se dédier à la planification, l’attente, la trépidation d’une révolution, plus encore d’un révolution anarchiste et encore moins d’une qui aurait un quelconque succès. Une autre tendance, historiquement plus insignifiante mais apparemment prévalante aujourd’hui dans le milieu anarchiste, refuse toute suggestion de militantisme ou de conflit, cherchant simplement à diriger la société dans une direction libertaire jusqu’à ce que les institutions soient transformées. La critique vise la stratégie de ces notions, suggérant que de telles conditions (r)évolutionnaires ne peuvent pas venir du travail d’une poignée d’activistes et qu’il est prétentieux que de penser autrement. De la même manière, les institutions de la société ne vont pas se coucher tranquillement tandis que le peuple les “réforme”. Peut-être que la plus forte des réponses est la plus simple : qu’une vie passée à planifier, attendre la révolution ou elle “changement social” est voué à être insatisfaisant et frustrant, comme une vie de désir contenu voilée de célibat.

Mais, étant donné la fortification d’une éthique du travail occidentale masochiste, beaucoup trouvent du plaisir dans le boulot d’activiste et de travailler vers une révolution ou un changement social dont ils ne voient pas l’ombre. Tandis que de tels activistes (anarchistes, marxistes ou autres) poussent les autres radicaux à mettre de longues heures dans la construction d’institutions durables et de communication avec “le public”, il est évident que de par le petit nombre des mouvements radicaux gauchistes, pour la plupart des gens, un seul boulot est assez. Quand on donne le choix entre attendre une révolution ou travailler pour elle, je ne suis pas sûr de savoir quelle douleur auto-infligée est la meilleure… Ou bien puis-je les mélanger ? Ou devrais-je juste me suicider ?…

Cette critique de l’activisme et de la révolution sociale est bien connue, je vais donc me limiter à ça ici. Aussi, je ne veux pas dégrader les intérêts et les idées de radicaux différents, aussi loin qu’ils soient dignes d’intérêt et non pas des devoirs moraux ou des plateformes politiques. Je ne ferai pas non plus de critique de longue haleine de la sous-culture anarchiste, ces thèmes sont déjà abondamment discutés. Je ne désire en rien attaquer les sous-cultures, qui jouent un rôle intéressant dans l’exploration personnelle et la réalisation de vies plus sûres du malaise et de la grande dépression de la société de masse, moi-même inclus. Pourtant, je recherche les limites du mouvement anarchiste et de la sous-culture, ou de toute autre institution similaire. Ma préoccupation principale ici est d’écrire sur les tendances actuelles dans la pensée et l’écriture insurrectionnelles, dans l’espoir d’y amener une certaine clarté  pour ceux qui sont tombés dans leur mystification. Bien entendu, ceci n’est que ma perspective, et cela va sans nul doute entrer en conflit avec des aspects variés d’autres pièces insurrectionnelles. Ainsi soit-il…

La politique est dans les grandes largeurs un phénomène militaire, elle est gouvernée par la force, mais essentiellement une force de réserve, perçue, potentielle et les peurs et angoisses qu’elles instillent. Foucault a écrit sur l’utopie populaire d’une société démocratique populaire ayant toujours coexisté avec le rêve utopique militaire du contrôle total et de l’ordre, de la surveillance sans effort et de la punition imbriquée dans l’architecture (essentiellement urbaine) de la société. L’anarchisme en tant que philosophie politique n’est pas exempte de cela. La révolution est le moteur militaire de la politique anarchiste. La “société libre” est préservée dans le futur, de manière présumée, par la menace de plus de révolution. L’insurrectionisme met plusieurs pirouettes dans tout ça. D’abord, il veut souvent confronter la nature militaire de la société en général et de reconnaître la nature militaire du conflit au sein de ses institutions. Ceci est un degré de réalisme qui manque souvent à ceux qui échouent de voir le conflit dans la société comme plus que l’activisme. L’utilisation de Sun Tzu n’est ni frivole ni contre-productive. C’est amusant et poétique, mais c’est aussi un réveil pour considérer les véritables dimensions du conflit anarchiste.

Les bons textes insurrectionnels sont presque toujours des suggestions et des idées et non pas des plateformes ni des campagnes politiques. Une des notions clefs est de penser pour et par vous-même et de vraiment penser sérieusement au contexte en tant qu’individu, qu’anarchiste, que collectif et ce à quoi vous devez faire face. Si les gens pensent de manière créative et amène de nouvelles idées et de nouvelles tactiques, nous ne nous en porterons que mieux par rapport à ceux qui attendent que le boulot leur soit mâché par des leaders ou des organisateurs qui planifient tout pour eux ou que chaque action n’est qu’une resucée de la dernière. (Ndt : les manifs encore et encore, de A à B, encadrées par la flicaille qui passent et gazent sur la fin, encre et toujours, pourquoi voulez-vous que quoi que ce soit change ?…). Le problème avec les mobilisations de masse n’est pas le nombre, pas même le nombre de flics en contrôle. C’est leur orchestration de masse, leur nature de spectacle. La poésie et la joie d’une insurrection spontanée sont très rarement trouvées dans une action de masse pré-programmée et planifiée. Souvent donc, les gens retournent chez eux déçus et déprimés.

construction_ruines

Mais si les participants peuvent cesser d’être des participants, oublier la stratégie et la logistique qu’on leur annoncent et sortir du moule de la masse… alors tout un monde de possibilités s’ouvre devant eux. Les rôles sociaux et la division du travail inhérents à l’activisme institutionnalisé se dissocieraient. Pourtant cela ne pourra se produire que quand une action de masse cessera d’exister en tant qu’action de masse et deviendra un carnaval, une émeute, une insurrection. Ou alors cesse d’être quoi que ce soit et devienne mille différentes histoires, mille émotions. Voilà quelle allure doit avoir l’insurrection, vue le plus simplement. C’est un désir de sortir du moule, de faire péter les verrous, les murs de la norme, d’oublier tout acte social, de voir, d’entendre, de ressentir et de savoir des choses qu’on aurait jamais imaginées. C’est là qu’entre en jeu le désir, au grand dam du radicalisme occidental frustré, cette soif inextinguible d’expériences meilleures.

Le terme insurrection peut être mal compris. Autant une insurrection généralisée pour secouer les fondations mêmes de la société pourrait être superbe, elle ne pourrait pas être plus proche d’une révolution et ne peut certainement pas être planifiée. Pourtant, ce sont les moments, les actions ou même les périodes étendues dans lesquelles l’ordre social est suspendu, qui nourrissent nos âmes et nous donnent le goût des rêves. Ceci est similaire en bien des points à l’expérience que certains décrivent après une méditation et il y a sûrement un bon nombre de façon d’y avoir accès. Ceci n’est pas moins radical que de fétichiser une révolution utopique dans un futur distant dans nos esprits ; bien sûr nous seront là si cela se produit. Mais dans le même temps, puisons dans nos vies immédiates, avec toutes les joies et les peines qui vont avec.

La mythologie anarchiste prévalente est de planifier, de préparer et d’attendre la révolution et après celle-ci, parvenir à une liberté complète et débridée. Pourtant, peu de réflexion est donnée à ce que la liberté pourrait vouloir dire, quelles aventures et quelles extases pourraient être poursuivies. Sans suggérer quelque chose d’aussi ridicule qu’une “stratégie” d’apprentissage au sujet de ce que nous pourrions faire de notre liberté, ceci est toujours une préoccupation sensée. Sans expérience et peu de pensée données aux désirs personnels profonds et comment ils se manifestent dans nos relations, comment cette liberté se manifesterait-elle dans des vies émancipées de la société ? (NdT : ici il conviendrait de rajouter l’adjectif “aliénée” à notre sens car l’humain ne peut, de fait, pas vivre sa vie d’humain hors société…) Comment éviteraient-ils de recréer des relations d’aliénation, de domination et d’ennui ?

Ceci n’est pas une lamentation pessimiste sur la futilité de certains rêves libertaires. C’est simplement un avertissement contre l’estampillage non-créatif du terme “anarchiste” sur le même mode d’organisation socio-politique qui a construit les révolutions bourgeoises et “socialistes”. C’est un besoin vital de dépasser les idéologies politiques et de rechercher bien plus profondément ce que la souveraineté et l’auto-détermination pourraient bien signifier pour nous. Tout comme le conflit avec la société (aliénée) pourrait être amené dans le contexte de vie immédiat, ainsi le pourraient aussi nos rêves et nos désirs. On peut poursuivre l’aventure, l’épiphanie, la sagesse et l’extase dans la vie immédiate de manière aussi pressante qu’on poursuit une rupture avec cette société qui écrase ces sensations jusqu’à ce que nous les oublions. Écrire un poème ou grimper à un arbre peuvent mener à autant de joie, de bonheur et de perception qu’une émeute. Ceci ne veut pas dire d’abandonner la destruction créatrice et les actes physiques de rébellion, mais de dire simplement qu’il n’y a pas de dogme concernant ce qui compose une expérience anarchiste.

Ce n’est pas un secret que le milieu anarchiste est fréquemment et dogmatiquement divisé sur des problèmes variés, peut-être même sur chaque problème exprimé. Je ne préconise pas une forme d’harmonie muette ou de compromis pour créer une sorte d’unité insensée dans une sorte de “mouvement”. On peut simplement prendre une perspective différente dans la discussion et la critique des théories et propositions qui circulent. La pensée stratégique, élevée au rang de dogme, peut bien devenir le talon d’Achille des anarchistes. Tant de discussions se déroulent sur le thème de “ce qui est meilleur pour le mouvement”, “qu’est-ce qui est plus efficace ?” Et autre blablabla. Le débat sur l’hypothèse de créer des mobilisations de masse est un simple exemple de cela. Les arguments courants sont inutiles. Entre choisir une expérience de spectacle de masse de rue en une manifestation pré-planifiée et le boulot activiste fade et surfait dans “nos communautés”, la réponse et le choix sont évidents : aucun des deux !

R71slogan

Heureusement, le non-débat est aussi simple que ses soi-disants deux faces. Beaucoup de bonnes expériences et de relations peuvent provenir de la vie dans une communauté. De la même manière, une action de masse (ou toute perturbation d’importance, que ce soit un festival de rue, une construction ou un blizzard) offre un moule duquel on peut sortir afin de poursuivre sa propre taquinerie, Il suffit de gratter le fin vernis de tout évènement pour voir les possibilités qu’il y a de l’autre côté. Mais même si la plus grande chance de succès réside à passer la mobilisation et à apparaître dans d’autres endroits, cela ne peut pas être élevé en une stratégie dogmatique.

La discussion demande une bonne dose d’hédonisme. S’il y a quelque chose que vous désirez pour une mobilisation, que ce soit des amis, une action spécifique ou de revisiter une de ces belles expériences que vous avez eu auparavant, alors faites-le. Et ne vous sentez aucunement coupable de le faire. Mais n’essayez pas de persuader les autres de le faire pour les mêmes raisons. De la même manière, si vous ne voulez pas y aller et bien n’y allez pas. C’est aussi simple que ça. Et si les gens faisaient ce qu’ils aiment le mieux et ne s’emmerdaient pas les uns les autres, alors peut-être qu’ils n’abandonneraient pas si vite le mouvement anarchiste. Peut-être voudraient-ils rester. La critique constructive est très utile et importante. Le désaccord est sain. Il est bon de penser à la stratégie à employer. Mais la critique ne devrait jamais devenir un dogme, un jugement et des attentes sur le comment les autres doivent se comporter. Nous ne devons jamais être les esclaves d’une stratégie.

Le même argument présenté ci-dessus est fait pour le mode d’écriture des insurgés. Souvent les anarchistes balaient ces écrits parce qu’ils sont soi-disant incompréhensibles. Peut-être que certains le sont, mais la plupart ne demandent pas une grande éducation. Ils peuvent généralement être compris sans lire Nietzsche, Tiqqun, Agamben ou quiconque ils citent. Je dis ça parce que je n’ai pas lu la plupart de ces auteurs / journaux et je comprends les essais que j’ai lus. Ils demandent juste un peu d’imagination pour les lire et y prendre plaisir. Pourtant, des gens peuvent écrire de la poésie cryptique en argot et c’est tout ce qu’ils veulent écrire. Une fois encore, la critique est utile. Mais porter un jugement sur le style d’écriture de quelqu’un est une connerie, spécifiquement si vous ne vous donnez pas beaucoup de chance d’entrer dedans. Ce que j’aime et d’autres personnes également dans ces styles d’écriture, est qu’ils sont décalés du style d’écriture idéologique et programmé de tant de propagande.

Juste parce que la personne moyenne peut lire une forme diluée d’un article sur un sujet donné, ne veut pas dire que cette personne voudra nécessairement le faire. J’aime lire des choses imaginatives, poétiques, marrantes, mystérieuses même, ce même si je ne comprends pas toujours tout. Mais cela ne concerne que moi. Si ce n’est pas votre style, ne le lisez pas. Ne mélangeons pas tout. Beaucoup de gens sont attirés par des lectures faciles avec lesquelles ils se trouvent des affinités, mais aussi qui apportent une intrigue, d’émerveillement et de magie. Si l’anarchie ne comporte pas quelques éléments mystérieux faisant que les gens veulent en savoir un peu plus à son sujet, alors ils retourneront regarder la chaîne 5 de leur télé pourrie.

Orwell_covid

Et si le même style d’écriture devient normal et prévisible, alors ce que fut une épiphanie devient une corvée. Je veux être défié, entendre de nouvelles idées, rire, pleurer, sauter, jouer. Ceci ne s’applique pas seulement à l’écriture, la lecture, je veux la même excitation, la même curiosité dans l’art, les actions, les rassemblements, la communication, les informations et tout ce que je peux avoir. Une anarchie qui ne vous fasse pas impliquer votre âme : une anarchie sans politique. Et je ne veut pas juste en entendre parler, je veux la goûter, la savourer. Je veux une orgie dionysiaque de liberté et non pas un culte anarchiste monastique galvaudant le vie présente pour une utopie future. Et si je ne peux pas, alors comme tant d’autres personnes, je quitterai le navire. Beaucoup de personnes “rejoignent” l’anarchie parce qu’elle leur offre quelque chose dont elles ont besoin, ou satisfait quelques désirs pressants et beaucoup aussi la quittent parce qu’elle ne remplit plus aucune fonction. Plutôt que de penser “comment construire le mouvement”, pourquoi ne pas penser au comment nous satisfaire nous et ceux/celles qui nous entourent, au travers de nos relations et de nos actions ?… Arrêtons de penser comme des marchands de tapis et commençons à penser comme des amis et des camarades, compagnons.

Si vous pensiez critiquer ceci parce que “Foucault était maoïste” : Je ne suis pas Foucault. Faisons notre propre collage des choses et apprenons de qui nous voulons apprendre. Aussi, brûlons tous nos jugements, nos idées préconçues et nos idéologies rigides en un de ces grands potlach sauvages et embrassons, rions, luttons et, comme l’a dit un sage un jour, continuons sur le chemin de la grande et sublime conquête du Rien.

SlogBD7

= = =

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

SlogBD5

SlogBD1

SlogBD6

Réflexion et action directe : anti-politique et anarcho-communisme (J. Eibish & Résistance 71)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 14 mai 2023 by Résistance 71

“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

R71_slogan

Anti-politique et anarcho-communisme

Jonathan Eibish

2022

~ Traduit de l’anglais par Réistance 71 ~

Mai 2023

Lorsque j’ai décidé il y a cinq ans, de me consacrer de manière compréhensive à la théorie politique de l’anarchisme, il me sembla tout à fait évident d’explorer les concepts de base de ce courant socialiste pluraliste. Car dans l’anarchisme, il y a une pensée théorique indépendante qui doit nécessairement être comprise pour comprendre la connexion entre la morale anarchiste et son mode de vie ainsi que les idées anarchistes concernant l’organisation. C’est pourquoi je me suis posé ces questions : qu’est-ce que les anarchistes entendent en fait par “politique” ? Et, peut-il y avoir une “politique” anarchiste et quel serait son critère ? Le concept “d’anti-politique”, exprime le fait que c’est un champ de tension causé par l’ordre existant de la domination dans lequel les anarchistes agissent toujours en contradiction.

L’État comme relation politique organisée de la domination

Il est frappant que dans tous les courants anarchistes, il y a une critique fondamentale de la décision politique. Ceci a trait à la politique de gouvernement, la bureaucratie d’état, le parlementarisme et les partis politiques. Mais cela se réfère également à la logique politique et au mode d’organisation au sens large. Parce que ce que nous comprenons communément et associons avec la “politique” n’est pas un terrain neutre. Plutôt, les activités des mouvements sociaux qui tendent à être autonomes et auto-organisées sont souvent attribuées et appropriées par l’État. “La politique” prend la forme de la règle politique sous des formes libérales-démocratiques de la société. Ceci veut dire que l’État a émergé comme une relation de domination entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés et ceci est diffusé, transporté dans toutes les zones potentielles de la société.

Il est de la logique de l’état de réguler, contrôler, sanctionner et capturer toutes les sphères sociales. Si une “sphère privée” y est construite, alors celle-ci est à peine exempte de la domination de l’état, tout comme “l’économie ne peut pas vraiment être pensée comme séparée de l’État et du “loisir”, le côté face de la même pièce du travail salarié.L’étatisme peut être pensé de la même manière que le capitalisme, la relation de domination économique, le patriarcat et les relations de genre faisant de l’anthropocentrisme la relation sociale avec la nature.

En tant que relation de domination, cela s’insinue dans toutes les sphères sociales, mais ce n’est pas total. A ses côtés, résident des formes supprimées, réprimées de comment les humains peuvent s’organiser par eux-mêmes. Ils le font même lorsque l’état est la relation politique de domination. Sur la vaste majorité des activités qui se passent au niveau politique, l’état affirme son monopole ou du moins essaie de les contrôler et de les réguler. De la même manière, quand la plupart des gens pensent à la “politique”, ils l’associent rapidement avec ses structures étatiques et sa logique interne, parce que leur conscience est façonnée par l’idéologie de l’ordre dominant existant. 

FTS

Démocratie radicale ou scepticisme envers la politique ?

Si les anarchistes rejettent la nationalisation de la politique, on pourrait possiblement s’y opposer avec une sorte de politique auto-organisée et autonome, “d’en bas”. Une “démocratie radicale” ou “démocratie de la base” doit être opposée à la règle de l’état et de sa domination, état qui s’affirme faussement comme étant “démocratique”. On pourrait dire que ces approches procèdent à se réapproprier le concept de “politique” et aussi d’intervenir dans ses processus décisionnaires. C’est ce qui se passe lorsque les gens manifestent, s’activent dans des associations, parlent peut-être même aux politiciens et traitent de politique afin d’être capables de la critiquer et de la délégitimiser.

Connectée à ce sujet est la question de savoir quels points de départ existent pour l’organisation d’une société socialiste-anarchiste ? Même s’il y a des arguments plausibles pour cette vision démocratique radicale, j’ai décidé d’utiliser un autre concept politique. Je le décris comme (ultra)-réaliste, gouvernemental et orienté sur le conflit. Par cela j’essaie de faire passer l’idée que le champ politique est toujours au sujet de la lutte pour le pouvoir et que ceux qui y sont impliqués ont des sources de pouvoir très inégales. Ce qui veut dire, comme je l’ai dit avant, que le terrain politique n’est jamais neutre dans la règle d’ordre existante. En fait, ses conditions sont déjà façonnées par la domination politique.

En d’autres termes : comme cela nous apparaît être en politique aujourd’hui, il n’y a quasiment pas de place pour les positions anarchistes. S’ils amènent dans la sphère politique des aspirations sociales-révolutionnaires, ils sont marginalisés et diabolisés. Si les anarchistes tentent de travailler de manière pragmatique pour des améliorations graduelles, ils sont ignorés ou totalement encadrés. Ces effets ne devraient pas être sous-estimés, tout comme le cas de bon nombre de gens de gauche qui ont trouvé la 100ème secte politique, ont rejoint des partis politiques malgré leur inconfort en leur sein, ou se désespèrent de la politique et ne veulent être efficaces que culturellement ou dans leur propre style de vie par exemple. D’une perspective anarchiste, cela vaut la peine de demeurer continuellement sceptique au sujet de faire de la politique.

Les raisons de l’inconfort politique 

Incidemment, ce fut, entre autres choses, la dispute au sujet du concept de politique en soi qui donna naissance à l’anarchisme en tant que courant politique indépendant. Vers la mi-XIXème siècle, le mouvement socialiste de la base devint politisé. Ceci se produisit d’abord par l’appropriation de ses demandes d’amener une politique sociale d’état. De plus, les politiciens de partis communistes et social-démocrates cherchèrent à imposer leurs propres demandes en tant que leaders et à régner par la réforme politique ou la révolution politique. Troisièmement, des mouvements autonomes, auto-organisés ainsi que des zones auto-gouvernées furent sujets à une brutale répression au cours d’une période de renforcement de l’état-nation moderne.  Ainsi, ils prirent des formes organisationnelles qui furent légalisées dans l’ordre bourgeois et y furent assignés. Les anarchistes résistèrent à cette politisation du socialisme en insistant sur les principes organisationnels d’autonomie, de décentralisation, de fédéralisme et de volontarisme et en travaillant à un changement social compréhensif par la révolution sociale.

En plus de l’historique, il y a d’autres raisons sur le pourquoi il est important d’être sceptique de la politique d’une perspective anarchiste. Ceci concerne l’observation déjà faite de la tendance aux mouvements sociaux auto-organisés et autonomes de se retrouver encore et toujours appropriés par ou assignés à la politique d’état. Nous savons cela des manifestants qui ont un sentiment de satisfaction émancipatrice après avoir marché dans les rues en signe de protestation avec d’autres personnes. Une manif’ a du sens si des gens ayant les mêmes vues s’y rencontrent, échangent des idées, se sentent forts ensemble ou vont à la confrontation. Mais en eux-mêmes, ces mouvements ne génèrent que trop rarement une véritable pression sur ceux qui détiennent le pouvoir.

Un anarchisme pluraliste

Au sein de l’anarchisme, il y a de bien différentes traditions, perspectives, points de vue, expériences et pratiques. C’est pour cela qu’il y a des controverses et des disputes toujours vivaces parmi les anarchistes. Bien des positions de personnes qui se nomment anarchistes peuvent ennuyer et énerver d’autres anarchistes. Parce qu’elles existent ne veut pas dire qu’elles puissent être mises sur un pied d’égalité parce qu’alors elles demeurent des opinions arbitraires, ce qui n’est pas suffisant pour pratiquer une critique sociale fondamentale et pour construire des alternatives qui fonctionnent. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas non plus nier que l’anarchisme est pluraliste. Sans doute parce que si l’anarchisme était homogénéisé et centralisé par un leader politique, ce ne serait qu’un courant politique parmi tant d’autres. Mais l’anarchisme est qualitativement différent des autres approches socialistes mais aussi de la gauche radicale. Cette différence s’explique là encore par la compréhension de la politique.

Les anarchistes individualistes (NdT : tendance Max Stirner, Henry David Thoreau) critiquent la règle politique essentiellement parce qu’elle restreint l’auto-détermination des individus, ce à quoi ils s’opposent. Les besoins et les désirs des individus ne peuvent être définis que par eux-mêmes. Ils ne veulent pas que quiconque représentent leurs intérêts. Le mutualiste (NdT : tendance proudhonienne) approche le but de l’auto-organisation, par exemple dans les voisinages, les circuits économiques régionaux etc et se fait l’avocat des coopératives et des entreprises collectives. Dans l’anarcho-syndicalisme (NdT : tendance CNT / AIT), la politique est clairement opposée à l’organisation et la lutte dans la sphère économique. Au lieu de parvenir à des réformes politiques au travers de l’état, le but est de traiter les intérêts directement contre les propriétaires du capital et d’utiliser les syndicats pour arranger l’organisation fondamentale pour l’autogestion d’une forme de société libertaire socialiste. L’anarchisme communal, ou anarcho-communisme (NdT : tendance Kropotkine, Goldman, Malatesta) tend à vouloir partager la vie entre gens pensant de même et, au delà de la politique, d’anticiper expérimentalement la venue de la nouvelle société dans des scènes alternatives ou des projets de communes.

Par contraste, l’insurrectionisme anarchiste assume que les anarchistes ne devraient produire aucune vision et que plutôt toute forme de domination se doit d’être attaquée en permanence sans avoir le besoin de narratifs “politiques” alternatifs. La tendance insurrectionnelle a émergé comme l’inversion de l’anarcho-communisme. Selon moi, il s’est développé comme résultat de l’expérience de l’échec des affirmations anarchistes, le désillusionnement avec l’échec de la révolution sociale et de la répression brutale subie par les mouvements socialistes libertaires.

NdR71 : Ce qu’Eibish appelle ici “l’anarchisme insurrectionnel” n’est qu’une resucée de la “propagande par le fait” populaire au sein du mouvement anarchiste à la fin du XIXème et début XXème siècles et essentiellement abandonnée depuis. Cette stratégie ressurgit cycliquement dans l’histoire en fonctions des conditions sociales et de la frustration émanant d’un sentiment de statu quo politique… C’est la partie la plus facilement manipulable par l’État pour générer le ressentiment populaire contre l’anarchie. Ne pas confonde “la propagande par le fait” et l’auto-défense, deux choses complètement différentes. En ce sens, le Black Bloc par exemple, est ambivalent, il peut être un outil de “propagande par le fait” et/ou un outil (très efficace) d’auto-défense… On ne peut évoquer cet aspect sans évoquer le toujours épineux sujet du “peuple en arme”. Nous avons traité de ce sujet qui est, surtout en cette période historique des plus troubles, un des sujets les plus importants qui ne pourra plus être ignoré longtemps…

Les traditions, perspectives et pratiques des tendances anarchistes variées sont initialement intéressantes en elles-mêmes. Nous ne devrions pas regarder leur catégorisation de manière trop étroite, parce que dans les scènes anarchistes, elles se mélangent de différentes façons. Ceci n’est pas mauvais et peut être très enrichissant. Aussi différents que les anarchistes soient et pensent, ils ont une chose en commun dans leur compréhension de la politique et cela mène à la poussée vers l’autonomie, c’est à dire le rejet de la domination avec la mise en place simultanée de relations et institutions égalitaires, libertaires et solidaires.

yin-yang_celeste

Le vide politique en anarchisme

Mais la critique radicale de la politique et de son rejet dans l’anarchisme créent aussi deux problèmes théoriques. Le premier, si le terrain politique est complètement négligé, les approches anarchistes tendent à devenir des fins en elles-mêmes. La révolte peut devenir une fin sans but (NdT : d’où l’importance d’avoir élaboré une “conscience politique” solide…), qui peut être utilisée pour satisfaire des besoins de rébellion, mais qui demeurent un anti-réflexe et ne peuvent pas dépasser la domination. Le centre autonome ne peut être que sous-culturel et un projet d’habitat devient une meilleure façon de vivre dans un voisinage embourgeoisé. Le syndicalisme de la base est instrumentalisé par des groupes politiques ou masque ses contradictions internes. Les pratiques d’aide mutuelle s’arrêtent à la gestion de la misère sociale ou a ne servir que ses propres intérêts. Des individus subversifs ne font juste que tourner autour de leur auto-découverte.

Le second est qu’il y a la question du comment une forme de société socialiste-libertaire peut-être organisée politiquement ? Comment les communautés auto-organisées se forment-elles et comment s’inter-connectent-elles entre elles ? Comment les consensus sont-ils formés ? Comment se prennent les décisions et comment peuvent-elles être soutenues par le plus de monde possible ? Si les anarchistes veulent rendre justice à leurs propres demandes et créer des réalités alternatives pré-figuratives, ces questions n’émergent pas de manière conclusive et dans le sens d’un brouillon abstrait d’un nouvel ordre social. Elles sont plutôt des fondations essentielles pour développer des mouvements sociaux émancipateurs et des structures alternatives. Les anarcho-communistes en particulier, s’occupent de ces questions. (NdT : Résistance 71 est un collectif anarcho-communiste et nous confirmons ce que dit ici le compañero Jonathan, c’est toujours une tentative et le cœur de l’affaire vient de la non-coercition, un système  ne s’impose pas par la force, il ne peut que s’imposer par le respect et son efficacité prouvée de terrain dans la complémentarité de la diversité des associations libres…). Je vais donc maintenant mettre plus de lumière sur l’anti-politique anarcho-communiste. Je voudrais aussi dire ici par avance que le problème politique ne peut pas non plus être vraiment résolu de cette manière.

L’anti-politique des groupes anarcho-communistes

Même au sein de l’anarcho-communisme, plusieurs déclarations sont faites sur la politique. Par exemple, Johann Most fait une amère critique du politiser et Joseph Peukert rejette aussi la “politique” de manière abrupte. Pierre Kropotkine se demande comment les relations politiques socialistes-libertaires peuvent être conçues aux côtés et en opposition à la relation politique de domination de l’État. Le communisme est la relation économique alternative, tandis que l’anarchie est supposée être le mode de relation politique sans domination. D’après cette conception, la fédération de communes autonomes décentralisée est le modèle d’organisation politique pour la forme désirable de société. (NdT : une “fédération”, “confédération” qui ne serait évidemment pas un proto ou crypto-état) Le fait que différentes communautés puissent s’organiser sans devenir exclusives, homogènes et hiérarchiques est fondé sur des expériences historiques, qui forment le point de départ de la vision de la forme socialiste-libertaire de la société. Les anarchistes peuvent décrire une telle utopie concrète et réelle sans la graver dans le marbre ou croire en un plan infaillible qui n’existe pas et ne peut pas exister. Ils ont aussi besoin d’une telle vision s’ils veulent montrer des alternatives à l’ordre existant et s’ils veulent réaliser leurs idées et pas seulement en scenarios et en projets.

Parce que l’anarcho-communisme est au sujet de la totale révolution sociale de la forme de la société, il insiste sur la promotion, le développement de la conscience politique et l’organisation, ce plus que toutes les autres tendances anarchistes. Alors même qu’il y a un scepticisme prononcé sur le politique dans l’anarcho-communisme, il est aussi le plus politique de toutes les tendances anarchistes dans ses organisations. Entre autres, les anarcho-communistes se réfèrent aux groupes politiques de l’extrême-gauche et se comparent à ceux-ci, ils acceptent les différences graduelles des politiciens, veulent montrer une certaine direction à prendre pour les mouvements sociaux ; l’anarchisme communiste entre en territoire politique avec ces assomptions de base, même si cela n’implique pas la politique d’état. Mais si l’État est compris en un sens plus large comme relation politique de domination, une contradiction surgit ici. Comment la politique autonome anarcho-communiste diffère vraiment par exemple, de l’approche marxiste, qui critique aussi la domination politique, mais pour cette même raison une politique réformiste et/ou révolutionnaire est poursuivie ?

NdR71 sur l’anarcho-communisme : Si l’auteur est toujours empreint de confusion sur ces questions, c’est qu’il n’a pas bien saisi et fait des faux-sens dans son interprétation de l’anarcho-communisme. L’anarcho-communiste refuse toute forme d’état ou d’institutions centralisées. Il prône et développe les associations libres, associées en communes libres, fonctionnant sur l’entraide et selon le slogan du “A chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins”. Il élabore un système de coopération qui abolit également le rapport marchand et donc l’argent et toute forme de “troc” et donc aussi de salariat, on arrête de mettre une étiquette de prix sur tout ce qui nous entoure, y compris “l’heure de travail” et la vie humaine !..

Le marxiste dépend d’un parti centralisé qui saisit le pouvoir par voie électorale ou par la violence révolutionnaire. Le parti centralise le politique et l’économique et ne remet pas en cause le rapport marchand qu’il ne fait que “socialiser” de manière incomplète ne pouvant être que pervertie. Pour le marxiste, le prolétariat saisit les moyens de production et de pouvoir que le parti gère avec ses cadres. Le marxiste se complet dans un “capitalisme d’état” en attendant la “disparition” de celui-ci dans un futur plus lointain que proche… L’anarcho-communiste change totalement le rapport et la relation sociale en construisant une société sans état, sans parti, sans rapport marchand et sans argent ni salariat. Il s’oppose aussi en cela à l’anarcho-collectiviste (tendance Bakounine), qui fonctionne sans État mais ne pense pas que l’argent et le rapport marchand doivent disparaître dans l’immédiat, ce à quoi l’anarcho-communiste répond : État et rapport marchand / argent doivent disparaître de paire, pourquoi se débarrasser de l’un et attendre pour l’autre ? Cela n’a absolument aucun sens et ne peut que nuire à l’harmonie sociale…. L’anarcho-communisme est la société des sociétés telle qu’envisagée par Gustav Landauer dans le sillage de Pierre Kropotkine, la société humaine organique rayonnant dans toute la splendeur de la complémentarité de sa diversité bien comprise. Le marxiste s’inféode à une nouvelle relation de domination, l’anarcho-communiste s’émancipe avec la société. L’anarcho-communisme est une voie à deux sens, de l’individu à la société et de la société à l’individu en relation osmotique et complémentaire ; le marxisme est une voie à sens unique où l’individu est effacé devant le parti, ses cadres “avant-gardistes” et la société sous un nouveau rapport de domination. “Le prolétariat utilisera sa suprématie politique pour centraliser tous les instruments de production dans les mains de l’État…” (Marx, “Manifeste du Parti communiste”, 1848, 2ème chapitre). Marx y définit aussi l’état communiste comme étant “le prolétariat comme classe dirigeante”… Comment peut-on éprouver une quelconque confusion entre l’anarcho-communisme et le marxisme si l’analyse est complète ?… [fin de note]

BB1

Accusations contre l’action sur le terrain politique

Certains anarchistes accusent donc l’anarcho-communisme de n’être en fait qu’un autre courant politique de la gauche. Ses activistes se considéreraient anti-autoritaires, mais au bout du compte sous-estimeraient le fait que le modèle social pour lequel ils poussent ne serait au mieux qu’un meilleur ordre de réglementation, mais ne serait pas du tout l’abolition de toute règle ; et en fait avec l’anarcho-communisme la logique politique ne serait finalement pas “de gauche”, mais toujours dans les catégories de l’esprit de l’ordre dirigeant. 

Je considère ces accusations être fausses, parce que je suis convaincu que de bonnes relations sociales alternatives existent déjà et que nous pouvons les étendre et travailler avec. Au lieu de cette fiction de “société libérée”, nous devrions nous aligner sur la vison d’une utopie faisable et concrète, orienter nos luttes autour d’elle et essayer de progresser toujours plus en tant que minorité radicale. De mon point de vue, les humains sont des animaux sociaux qui ne peuvent que se développer et se déterminer comme personnes spéciales, individuellement, dans la société. Les institutions ne sont pas des structures de domination per se, c’est un fait social établi que les gens développent des institutions, c’est pourquoi leur façonnement est important. (NdR71 : toute institution centralisée, privée ou étatique ne peut être que structure de domination de par le rapport hiérarchique intrinsèque. Une institution est une infrastructure qui ne peut refléter que son environnement… La commune libre serait une “institution” en tant qu’infrastructure sociale échappant au rapport de coercition, elle ne pourrait donc avoir qu’une influence positive, nous sommes en cela d’accord avec Eibish )

[…]

Devenir capable d’agir en contradictions

Ceci me ramène à mes questions initiales : Qu’est-ce que les anarchistes entendent par politique ? Comment la gèrent-ils ? Peut-il vraiment y avoir une politique autonome allant au-delà du cadre de relation politique de domination et qui n’est pas phagocytée par l’État ? Malheureusement, je ne peux pas répondre à ces questions de manière conclusive. Ceci est due à mon approche non-dogmatique par laquelle je trouve plus important de poser plus de questions et de discuter plus avant que de donner des réponses définitives ou de formuler des définitions fixes. Ainsi donc, je désirerais partager mes questions avec quiconque est intéressé et les encourager d’y penser également.

Je pense qu’il est vrai qu’il y a une contradiction théorique dans l’anarcho-communisme quand, d’un côté, il est utilisé pour entrer le champ politique et d’un autre côté, la critique anarchiste de la décision politique demeure en lui. 

NdR71 : il n’y a pas de contradiction quand on pense hors de la “boîte” étatico-marchande, quand la décision politique, le pouvoir, est réintégré dans le corps social, hors institutions coercitives, car à terme, on ne peut pas échapper au “pouvoir”, à la capacité et au besoin de prendre des décisions dans une communauté, une société sans pouvoir n’existe pas ; ce qu’il y a en revanche, ce sont des sociétés à pouvoir non-coercitif et des sociétés à pouvoir coercitif. La grande question historico-anthropologico-politique est de savoir pourquoi passe t’on d’un pouvoir non-coercitif somme toute naturel pour l’humanité de -1,8 millions d’années jusqu’à il y a quelques 5000 ans, à un pouvoir coercitif, d’abord en alternance, puis “définitif” par construction au moyen de l’état et d’institutions garde-chiourmes d’un système de domination par le plus petit nombre et ceci est-il irrémédiablement irréversible sachant que tout construction humaine, car c’est de cela qu’il s’agit ici, peut se déconstruire avec plus ou moins de perte et fracas selon les circonstances ? Rien n’est inéluctable dans une construction sociale, il est toujours possible de changer de relation, à tout moment, on ne dit pas que c’est facile, on dit que c’est tout à fait possible… encore faut-il le vouloir et pour le vouloir, d’abord en être conscient. [fin de note]

Malgré le fait que cette contradiction est aussi présente dans les autres tendances anarchistes bien que cela soit souvent ignoré de façon romantique ou balayé d’un revers de la main, la question demeure de savoir si c’est si mal que ça. Ceci n’est pas du à une quelconque anomalie de la pensée anarchiste. Cela surgit plutôt du cadre des conditions d’un certain ordre de domination, aux côtés duquel et au delà duquel il y a aussi des conditions sociales désirables que les anarchistes puissent aussi positivement se référer.

En bref, la domination et la liberté existent simultanément. Si cela n’était pas le cas, les anarchistes n’auraient pas à combattre pour quoi que ce soit d’autre. Ceci est vrai même s’ils devaient se consacrer essentiellement à la destruction des stuctures de domination. Si aucun changement désirable n’était possible, les anarchistes resteraient rhétoriques ou ils fusionneraient avec des groupes politiques et feraient de la politique pour une clientèle spécifique ; ou ils sombreraient dans le nihilisme, qui est une conclusion absurde. Même si ces signes de décomposition sont présents, je suis convaincu que les gens peuvent être par principe investis du pouvoir de déterminer leurs propres vies et pour se battre pour une société socialiste libertaire qui continuera à être défiée et développée par l’anarchie.

Finalement, il devrait être question de savoir comment les anarchistes peuvent être capables d’agir en contradictions afin de briser le cadre de l’ordre de la domination, de créer des communautés auto-organisées et d’y créer des relations ainsi que des institutions égalitaires, libertaires et solidaires. Cela est-il possible et comment le faire devra être discuter ailleurs sur la base d’exemples particuliers. Pour l’anarcho-communisme, les pensées et actions de gens comme Emma Goldman et Errico Malatesta peuvent inspirer. Dans leurs textes et biographies, je vois une motivation et une implication continues d’amener des groupes différents eux aussi marginalisés, opprimés, exploités dans un projet social révolutionnaire commun. Ce faisant, ils connectent différents champs de lutte, tentent de relier des points de vue anarchistes divergents et prennent des positions claires sur des problèmes bien spécifiques.

-[]-

stirner-beats-marx

NdR71 : Jonathan Eibish a aussi écrit sur le thème de l’anarchisme individualiste. Nous comprenons que ces textes éparses font partie de sa thèse de doctorat sur la théorie politique de l’anarchisme. Ci-dessous nous avons traduit la conclusion de la partie :

“L’anti-politique dans l’anarchisme individualiste” (2022) sans traduire le corps du texte, afin de sensibiliser sur les deux parties fondamentales de l’approche anarchiste de la société et des rapports de pouvoir et surtout tenter de faire comprendre qu’ils sont complémentaires et non pas antagonistes. Quoi que l’on fasse politiquement, tout par de l’individu, de sa conscience politique, de sa morale et de la façon dont il/elle interagit avec sa réalité, elle-même une réalité sociale collective. L’individu politiquement éveillé et actif rayonne sur ses extérieurs et s’associe volontairement, en retour l’association volontaire influe sur les individus la composant, la rendant plus vaste et compréhensive, supérieure à la somme de ses individus. Tout est là…

=> Conclusion (de Eibish sur l’anarchisme individualiste) :

En terme politique, cela veut d’abord dire : commencer à changer les choses avec soi-même et son propre environnement. C’est dans ce contexte que nous nous connaissions et là où nous faisons l’expérience de notre efficacité, ce qui est crucial pour transformer nos propres vies en ce changement que nous voulons voir pour le monde. Pour ce faire, nous ne devons pas discuter pompeusement de la révolution ou affirmer que les conditions pour un changement radical et émancipateur sont absentes, parce qu’elles sont toujours là ou ne le seront jamais.

En termes d’organisation, deuxièmement, cela veut dire organiser sur la base de relations sociales tangibles dès que possible. Ceci ne veut pas dire être amis avec tous les camarades, mais de développer des affinités avec eux. C’est donc une question de façonner activement les relations en accord avec sa demande, de communiquer de manière sensible, et de se traiter les uns les autres avec respect. Même les grands mouvements sociaux ne sont aussi forts que les individus qui les composent et leur capacité à s’unifier directement, à se faire confiance et à coopérer les uns avec les autres ; ceci ne tombe pas du ciel, c’est activement encouragé.

Troisièmement, un scepticisme au sujet de la décision politique peut être dérivée de l’anarchisme individualiste, ce qui est en fait approprié et peut bien être justifié. Les actions ne “réussissent” pas seulement si elles peuvent être utilisées pour exercer une pression sur l’Etat pour qu’il se sente obliger d’émettre des réformes en pratique. Les actions directes parlent d’elles-mêmes et ont un effet immédiat sur les choses que l’on veut critiquer et changer. Ceci demande que les individus agissent activement, volontairement, respectivement et consciemment, c’est à dire de manière auto-déterminée. Ceci anticipe ce que les anarchistes dans leur ensemble luttent pour : une forme de société dans laquelle tout le monde vit dans les conditions qui les aident à déterminer et à façonner leurs vies par eux-mêmes. Que l’action résultante soit alors appelée “action politique” ou pas n’est pas important. La chose vitale est de s’éloigner du mode nationalisé d’action politique.

NdR71 : manifestement, J. Eibish est plus à l’aise pour analyser l’anarchisme individualiste que l’anarcho-communisme vu plus haut… 

Pour nous, Il n’y a pas d’antagonisme entre anarchisme individualiste et anarcho-communisme, il y a complémentarité qui doit être bien comprise. Tout part de l’individu pour y retourner par le truchement du collectif, de la capacité unique de l’individu de dire NON ! et de librement s’associer. Ce rayonnement passe des individus aux collectifs qui en retour agissent sur les individus pour que la société résultante soit plus grande que la somme des individus qui la composent. Là réside la force organique de l’anarchie. Le marxiste de parti a une mentalité de ruche, qui sacrifie l’individu à l’autel d’un collectif dirigé par une nomenklatura “avant-gardiste” donc élitiste à vocation dogmatique et coercitive. L’anarcho-communiste fonde son communisme sur les communes d’individus volontairement associées se perfectionnant les unes les autres par le truchement de la relation individuelle et collective. C’est une voie à deux sens qui met l’individu au cœur du communisme et non pas qui assujettit l’individu à un nouveau mode de domination collectiviste pseudo-communiste. L’anarcho-communisme est en adéquation avec la nature, il est la vie ; le marxisme institutionnel en est la négation, il est l’autre côté de la même pièce étatico-marchande du capitalisme et n’est que mort et putréfaction. Le choix est indéniablement vite fait pour quiconque réfléchit critiquement et donc radicalement (sur la racines des choses…).

= = =

“Obéir, non ! Et gouverner ? Jamais !”
~ F. Nietzsche (Le gai savoir #33) ~

“Là où cesse l’État, c’est là que commence l’Homme, celui qui n’est pas superflu : là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l’État — regardez donc mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?”
~ Friedrich Nietzsche, “De la nouvelle idole” ~

L’état n’est pas quelque chose qui peut être détruit par une révolution, mais il est un conditionnement, une certaine relation entre les êtres humains un mode de comportement humain, nous le détruisons en contractant d’autres relations, en nous comportant différemment.
~ Gustav Landauer ~

Lecture complémentaire importante de ce texte de Jonathan Eibish :

“Le communisme anarchiste”, Sam Dolgoff, traduit par Résistance 71

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

TLPARP

GL sur R71 cobra

Réflexion politique critique : Faux-sens sur l’anarchisme (Sam Dolgoff)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 23 avril 2023 by Résistance 71

resistance_illimitée

“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

samdolgoff2

Faux-sens sur l’anarchisme

Sam Dolgoff*

1986

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Avril 2023

Ceci est un passage de son livre : “Fragments : A memoir”, 1986

(*) Sam Dolgoff (1902~1990) : né en URSS (Biélorussie), il émigre avec ses parents aux Etats-Unis en 1905. Peintre en bâtiment de profession. Devient socialiste révolutionnaire après sa rencontre avec Gregory Maximov, qui devient son ami et mentor. Il passe sa vie à la compréhension théorique et pratique de l’anarchisme. Son équivalent francophone serait Gaston Leval. Tous deux ont profusément écrits sur les expériences anarchistes au cours de la révolution espagnole de 1936-39. Dolgoff est l’auteur d’un excellent livre compilation “Les collectifs anarchistes, l’autogestion des travailleurs dans la révolution espagnole de 1936-39” (1974), il a aussi écrit sur “L’illusion du Parti socialiste” en 1960, sur la révolution cubaine (1974), sur l’anarchisme et la société moderne (1977) et sur l’anarchisme et la technologie (1986). Nous aimons particulièrement son style simple, efficace, ancré dans la réalité et s’adressant au commun des mortels et non pas à une “élite” intellectuelle “avant-gardiste”. A lire de paire avec Gaston Leval. Deux auteurs d’une actualité brûlante qui mettent en perspective réaliste et viable l’approche anarchiste organique de l’organisation sociale pour sortir du marasme absolu et terminal dans lequel nous sommes présentement engagés avec l’organisation sociale de la domination étatico-marchande.

L’anarchisme n’est pas un individualisme anti-social absolu

L’anarchisme ne connote pas une liberté individuelle absolue, irresponsable et anti-sociale, qui viole les droits des autres et rejette toute forme d’organisation et d’auto-discipline. La liberté individuelle absolue ne peut être atteinte qu’en isolation (dans la mesure où cela est possible : “Ce qui rend vraiment la liberté impossible et la supprime tout en rendant l’initiative impossible c’est l’isolation, qui nous rend impuissant.Errico Malatesta, Life and Ideas, Freedom Press, p. 87)

L’anarchisme est synonyme de termes comme “socialisme libre” ou “anarchisme social”. Comme l’implique le terme “social”, l’anarchisme est l’association libre de gens vivant ensemble et coopérant dans des communautés libres. L’abolition de l’État et du capitalisme, l’autogestion des activités de travail par les travailleurs eux-mêmes, la distribution en fonction des besoins, l’association libre, sont les principes qui, pour toutes tendances socialistes, constituent l’essence même du socialisme.

Pour se distinguer des différences fondamentales sur le comment et quand ces objectifs seront réalisés, ainsi qu’en provenance des individualistes anti-sociaux, Pierre Kropotkine et les autres penseurs anarchistes ont défini l’anarchisme comme “l’aile gauche du mouvement socialiste”. L’anarchiste russe Alexeï Borovoï a déclaré que la bonne base de l’anarchisme dans une société libre, est l’égalité de tous ses membres dans une organisation libre. L’anarchisme social pourrait être défini comme le droit égal à être différent.

L’anarchisme n’est pas la liberté illimitée ni la négation de la responsabilité

Dans les relations sociales entre les personnes, certaines normes sociales volontaires devront être acceptées, comme l’obligation de remplir les conditions d’un accord librement accepté. L’anarchisme n’est pas un “non gouvernement”. L’anarchisme est l’auto-gouvernement (ou son équivalent d’auto-administration). Ceci veut dire auto-discipline. L’alternative à l’auto-discipline est l’obéissance forcée de dirigeants sur leurs sujets. Pour éviter ceci, les membres de chaque association font eux-mêmes et librement les règles de leur association et s’accordent pour suivre les règles fixées par eux-mêmes. Ceux qui refusent de les honorer après les avoir librement acceptées et ne remplissent pas leur part de responsabilité dans cet accord volontaire se verront refuser les bénéfices que procurent l’association. (NdT : à terme, ces personnes n’auront plus d’autre choix que de partir pour trouver un accord qui leur conviendrait mieux, ou, comme on va le voir plus loin, si suffisamment nombreux, faire sécession…)

Le droit de faire sécession

Les sanctions pour violations de l’accord sont contre-balancées par le droit inaliénable de faire sécession. Le droit pour des groupes ou des individus de choisir leurs propres formes d’association est, d’après Bakounine, le plus important des droits politiques. L’abrogation de ce droit mène directement à la réintroduction de la tyrannie. Vous ne pouvez pas faire sécession depuis la cellule d’une prison. La sécession ne va pas paralyser l’association. Les personnes ayant un intérêt commun fort vont coopérer (NdT : observons l’oligarchie du système actuel, leurs intérêts financiers et politiques communs les font coopérer au plus haut degré malgré la concurrence de marché qui parfois les anime…), ceux qui risquent plus de perdre en faisant sécession vont compromettre leurs différences. Ceux qui ont peu ou rien en commun avec la collectivité ne vont pas blesser la communauté associative en faisant sécession, mais vont au contraire, éliminer une source de frictions internes, promouvant ainsi une meilleure harmonie générale.

GL_acronyme

La différence essentielle entre l’anarchisme et l’État

La grande différence entre le concept anarchiste d’une autorité commune librement acceptée en échange de services et qui représente l’administration des choses, diffère fondamentalement de l’autorité de l’État, qui lui domine et dirige sur ses sujets, le peuple. Exemple : réparer ma télévision : l’autorité du technicien expert s’arrête lorsque la réparation est effectuée. La même chose se produit lorsque je suis d’accord pour repeindre l’atelier du technicien. L’échange réciproque de biens ou de services est une relation coopératrice limitée, non personnelle, ce qui exclut automatiquement toute forme de dictature. Au contraire de l’État qui est un appareil de gouvernement qui intervient en tout et pour tout et interfère dans tous les aspects de ma vie, ce, de ma naissance à ma mort et où je suis obligé d’obéir à toute loi, tout décret, de subir un harcèlement constant, une abrogation de mes droits (NdT : devenus à ce stade, de petits privilèges accordés temporairement et révocables à tout moment, c’est ce que nous constatons constamment de nos jours…), un emprisonnement potentiel voire même la mort en certains cas.

Des gens peuvent librement faire sécession d’un groupe ou d’une association, même organiser la leur. Mais ils ne peuvent pas échapper à la juridiction de l’État. S’ils arrivent finalement à s’échapper dans un autre état, alors ils sont immédiatement soumis à la juridiction du nouvel état où ils se trouvent.

Remplacer l’État

Les concepts anarchistes ne sont pas concoctés artificiellement par les anarchistes. Ils sont dérivés de tendance déjà au travail. Kropotkine, qui a formulé la sociologie de l’anarchisme, insista sur le fait que la conception anarchiste de la société libre est fondée sur “ces données qui sont déjà fournies par l’observation de la vie dans le temps présent.Les théoriciens anarchistes se sont limités à suggérer l’utilisation de tous les organismes utiles de l’ancienne société afin de construire une nouvelle. Que “les éléments de la nouvelle société se développent déjà dans l’effondrement de la société bourgeoise” (Marx), ceci est un principe fondamental partagé par toutes les tendances du mouvement socialiste.  L’écrivain anarchiste Colin Ward résume admirablement biien ce point : “Si vous voulez construire la nouvelle société, tous les matériaux nécessaires sont déjà disponibles”.

Les anarchistes cherchent à abolir et remplacer l’État, non pas par le chaos, mais avec les formes naturelles spontanées d’organisation qui ont émergé à chaque fois que l’entraide et l’intérêt commun par la coordination et l’auto-gouvernement sont devenus nécessaires. Cela jaillit de l’inévitable interdépendance de l’humanité et la volonté d’harmonie. Cette forme d’organisation est le “fédéralisme”. Une société sans ordre est inconcevable. Mais l’organisation de l’ordre n’est pas le monopole exclusif de l’État. Le fédéralisme est une forme d’ordre social qui précéda l’usurpation de la société par l’État et qui lui survivra.

Il n’y a pratiquement pas de forme d’organisation qui, avant d’être usurpée par l’État, ne fut pas fédéraliste par nature. On pourrait remplir des volumes de la simple liste de vastes réseaux de fédérations et de confédérations locaux, régionaux, nationaux et internationaux, embrassant la totalité de la vie sociale. La forme fédérée de l’organisation rend pratique pour tous les groupes et fédérations de bénéficier de l’unité et de la coordination tout en exerçant l’autonomie au sein de leur sphère, étendant ainsi le champ de leur liberté. Le Fédéralisme, synonyme d’accord libre, est l’organisation de la liberté. Comme l’avait dit Proudhon : “Celui qui parle de liberté sans parler de fédéralisme, ne dit rien.”

NdR71 : Ceci dit, nous pensons que le fédéralisme à la sauce proudhonienne est très ambigu. Il suffit de lire le livre de Proudhon : “Du principe fédératif” pour comprendre que Proudhon demeure très proche, trop proche de fait, d’entités organisationnelles étatiques qu’il voudrait voir “réformées”. Sam Dolgoff est ici beaucoup plus clair et semble avoir mieux compris le principe fédératif. Nous avons dit par ailleurs et pensons toujours que Proudhon est le maillon faible de la chaîne anarchiste. Il se doit d’être lu et étudié, comme Marx, il n’a pas dit que des conneries, mais il en a dit pas mal quand même… Voir l’anarchisme et l’englober dans une sorte de “néo-proudhonisme” à la sauce “woke” XXIème siècle serait la pire des erreurs à faire ! C’est pourtant là que s’enferme et gesticule la “gauche bobo” collaboratrice du système à l’insu de son plein gré, tentant de mener le système dans cette dimension, toute pilotée qu’elle est par l’oligarchie en place…
A Résistance 71, nous n’employons jamais le terme de “fédéralisme” devenu ambigu et synonyme de confusion politique. Notre concept est emprunté à Gustav Landauer et sa société des sociétés organique.

GJa

Après la révolution

La société est un vaste réseau de travail coopératif interconnecté et toutes les institutions profondément enracinées qui fonctionnent de manière efficace maintenant continueront de fonctionner pour la simple raison que l’existence même de l’humanité dépend de cette cohésion interne. Ceci n’a jamais été remis en question par quiconque. Ce dont on a besoin, est l’émancipation des institutions autoritaires sur la société et de l’autoritarisme au sein des organisations elles-mêmes. Par dessus tout, elles doivent être infuser d’un esprit révolutionnaire et de la confiance en la capacité créatrice des gens, du peuple. Kropotkine, en faisant émerger la sociologie de l’anarchisme, a ouvert une zone de recherche fertile qui a été largement négligée par les scientifiques sociaux qui passent leur temps à cartographier de nouvelles zones pour le contrôle d’état.

Les anarchistes furent principalement concernés par les problèmes immédiats de la transformation sociale auxquels on devra faire face dans chaque pays après la révolution sociale. Ce fut pour cette raison que les anarchistes ont essayé de faire émerger des mesures pour répondre aux problèmes pressants qui vont le plus probablement émerger pendant ce que le penseur révolutionnaire anarchiste italien Errico Malatesta a appelé “une période de réorganisation et de transition”. Un résumé de la discussion de Malatesta de quelques unes des questions les plus importantes suit.

Les problèmes cruciaux ne peuvent pas être évités en les repoussant aux calendes grecques, à cette époque aussi lointaine qu’aléatoire quand les masses auront totalement compris et seront convaincues de l’anarcho-communisme. Nous, les anarchistes, devons avoir nos solutions si nous ne voulons pas jouer le rôle de “vieux ronchons inutiles et politiquement impuissants”, tandis que des autoritaires moins scrupuleux mais plus réalistes saisissent le pouvoir. Anarchie ou pas, le peuple doit manger et avoir les nécessités de base de la vie. Les villes doivent être approvisionnées et les services vitaux ne peuvent pas être interrompus. Rien ne peut se faire en un jour.

L’organisation de la société anarcho-communiste sur une grande échelle ne peut se faire que graduellement, les conditions matérielles le permettant et avec les masses se persuadant elles-mêmes des bénéfices à être gagnés alors qu’elles deviennent graduellement psychologiquement accoutumées aux changements radicaux dans leur mode de vie. Comme le communisme libre et volontaire (le synonyme de Malatesta pour anarchisme) ne peut pas être imposé, Malatesta a insisté sur la nécessité de la coexistence de formes économiques variées : collectiviste, mutualiste, individualiste, sous condition qu’il n’y ait pas exploitation d’autrui. Malatesta fut confiant que l’exemple réussi des collectifs libertaires attireront les autres dans l’orbite de la collectivité.. en ce qui me concerne, je ne crois pas qu’il y ait “une” solution à la question sociale, mais sans doute mille solutions différentes changeantes, de la même manière que l’existence sociale est différente dans le temps et dans l’espace.

[Errico Malatesta, Life and Ideas, edited by Vernon Richards, Freedom Press, London, pp. 36, 100, 99, 103–4, 101, 151, 159]

L’anarchisme “pur” est utopie

L’anarchisme “pur” est défini par le penseur et écrivain anarchiste George Woodcock comme étant “le groupe d’affinité souple et flexible qui n’a pas besoin d’organisation formelle et qui propage les concepts anarchistes au moyen d’un réseau invisible de contacts personnels et d’influences intellectuelles.” Woodcock argumente que l’anarchisme “pur” est incompatible avec les mouvements de masse comme l’anarcho-syndicalisme par exemple parce qu’ils ont besoin d’organisations stables précisément parce qu’il bouge dans un monde qui n’est que partiellement gouverné par des idéaux anarchistes,,, et fait des compromis avec les situations au jour le jour…

[L’anarcho-syndicalisme] doit maintenir l’allégeance des masses [de travailleurs] qui ne sont que de très loin au courant du but final de l’anarchisme. [Anarchism, pp. 273–4]

Si ceci est vrai, alors l’anarchisme est une utopie, parce qu’il n’y aura jamais un temps où tout le monde sera un anarchiste “pur” et parce que l’humanité devra toujours faire “des compromis avec la situation au jour le jour”. Cela ne veut pas dire que l’anarchisme rejette les “groupes d’affinité”. En fait, c’est précisément parce que la variété infinie d’organisations volontaires qui sont formées, dissoutes et reconstruites en accord avec les fluctuations conjoncturelles et individualistes, reflètent les préférences individuelles, qu’elles constituent la condition indispensable d’une société libre.

Mais les anarchistes insistent sur ce que la production, la distribution, l’échange communicatif et autre indispensable qui doivent être coordonnés à une échelle mondiale dans notre monde moderne indépendant, doivent être fournis sans coup férir par des organisations “stables” et ne peuvent pas être laissés aux humeurs fluctuantes des individus. Il y a des obligations sociales que chaque individu sain de corps et d’esprit doit remplir si il ou elle s’attend à jouir des bénéfices du travail collectif. Ceci devrait être axiomatique que de telles associations “stables” indispensables, organisées de manière anarchiste, ne sont pas des déviations. Elles constituent l’essence de l’anarchisme pour qu’il soit viable en tant qu’ordre social.

complementarite1

Cartographier le chemin vers la liberté

Les anarchistes ne sont pas des êtres naïfs attendant l’installation de a société parfaite composée d’individus parfaits qui auraient miraculeusement mué de leurs préjudices et biais induits et dépassés leurs habitudes dès le “jour d’après la révolution”. Nous ne nous préoccupons pas  de ce à quoi ressemblera la société dans un futur lointain lorsque le paradis sur terre aura enfin été atteint. Mais nous sommes concernés par dessus tout, par la direction que prend le développement humain. Il n’y a pas d’anarchisme “pur”. Il n’y a que l’application de principes anarchistes aux réalités de la vie sociale. Le seul et unique but de l’anarchisme est de propulser la société dans une direction anarchiste.

Vu de cette manière, l’anarchisme est un guide pratique viable et crédible de l’organisation sociale. Autrement vu, il est voué à demeurer dans les rêves utopiques et ne peut en aucun cas devenir une force vive, vivante et organique.

= = =

“Là où cesse l’État, c’est là que commence l’Homme, celui qui n’est pas superflu : là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l’État — regardez donc mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?”
~ Friedrich Nietzsche, “De la nouvelle idole” ~

Lectures complémentaires :

Sam Dolgoff sur Résistance 71

“Le communisme anarchiste”, Sam Dolgoff, PDF

+

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

Cobra_peuple

Lion_eveil

Réformes des retraites et turpitudes étatico-marchandes : seul un Front Uni des associations libres hors État, marchandise et institution nous mènera à l’émancipation finale… (Résistance 71 avec Sam Dolgoff)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 17 mars 2023 by Résistance 71

GJ_RP2
Tout le pouvoir aux ronds-points !

Suite à notre publication récente du “Manifeste anarchiste contre la guerre” de 1915, nous avons traduit ce remarquable petit texte de Sam Dolgoff datant de 1935 soient 20 ans plus tard. En 1935, Mussolini et Hitler sont au pouvoir, le communisme autoritaire d’état est stalinien, bientôt ce sera l’avènement du “Front Populaire” en France et ailleurs, et le début de la révolution sociale espagnole, qui sera écrasée à partir de 1937 par une coalition étatiste fasciste (Franco, Mussolini, Hitler), marxiste autoritaire d’état (Staline) sous le regard et la non-intervention complice de la république française alors sous front populaire dit socialiste et d’une Grande-Bretagne dont la famille royale soutient le fascisme.
Sam Dolgoff a participé à la révolution sociale espagnole, il a écrit un excellent petit bouquin sur les collectifs anarcho-communistes aragonais et de Levant, “The anarchiste collectives”, 1974. Dans le texte ci-dessous, il met les points sur les “i” et prévoit ce qui va historiquement suivre, il était d’une très grande lucidité politique et si une fois de plus, ce texte paraît tant d’actualité, c’est parce que là encore… rien n’a changé, ou plutôt, ce qui a été changé de manière purement cosmétique, l’a été pour qu’en fait rien ne change jamais…
Il va quand même falloir que la masse se rende compte un jour de sa naïveté et son inconscience politique qui la rend systématiquement complice des pires conneries et atrocités d’un pouvoir étatico-marchand aujourd’hui devenu totalement fou parce que la logique interne du système est à la destruction finale… Aujourd’hui, la “réforme de retraites” du Bozo Macron, ne fait que répondre à la logique implacable du désespoir oligarchique de se maintenir au pouvoir. Le système doit passer par l’annihilation et la réification de tout pour muter dans sa phase suivante transhumaniste. Il ne sert à rien de défiler dans les rues et de courir derrière le statut quo oligarchique qui ne peut plus se faire. Le seul et véritable Front Uni ne eut venir que du lâcher-prise politique et de la mise en place des associations volontaires hors État, hors marchandise, hors argent et hors salariat.
Tout le reste n’est que pisser dans un violon !
~ Résistance 71 ~

AuroreSocieteEmancipee

“Hitler a peut-être perdu la guerre, mais le fascisme mon ami, il l’a gagnée…”
(George Carlin)

Front Uni

Sam Dolgoff

1935

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 =~

Février 2023

Le triomphe du fascisme en Allemagne, en Italie, en Bulgarie et l’influence croissante de ce mouvement dans le monde, la menace persistante d’une autre guerre mondiale, ont choqué des millions de travailleurs, partout, à comprendre que leur espoir pour un futur meilleur est en danger. La défaite des travailleurs dans les pays fascistes leur ont appris la nécessité d’une action unie contre le danger commun. Ainsi donc, la question du Front Uni est devenue très importante dans la crise actuelle. Quel devrait être le but du Front Uni ? Comment y parvenir ? Sans une réponse claire à ces questions cruciales, toutes tentatives d’union seront vouées à l’échec. Le fascisme et la guerre seront la conséquence directe d’un tel échec.

Il est évident que le fascisme ne sera pas exterminé par une série de pieuses résolutions, mais qu’il demande la plus drastique des actions de la part des masses prolétariennes et paysannes (NdT : les paysans sont aussi des prolétaires…). Seule une puissance suffisamment grande pour déraciner la dictature militaire, pour exproprier les industries, annihiler quiconque se retranche dans les vieilles institutions et outils de la terreur capitaliste, sera capable d’extirper la menace fasciste. Le régime de la force par excellence ne ploiera que sous la force supérieure de la révolution sociale. A la contre-révolution doit être opposés les grands pouvoirs que seule la révolution sociale puisse générer. Ceci doit être le but du Front Uni. Toute politique, chaque action entreprises doivent être orientées sur la base de la préparation du terrain pour la révolution sociale.

En n’appliquant pas ce standard, les seconde et troisième Internationales ont clairement démontré leur banqueroute totale face à la période la plus cruciale de l’histoire du mouvement révolutionnaire. Elles appellent les masses à s’unir avec les maîtres de la bourgeoisie “démocrate” afin de lutter contre le fascisme. Ils pressent les travailleurs à lutter épaule contre épaule avec la démocratie impérialiste française. Ce slogan étant basé sur la supposition stupide que les pays  bourgeois-démocrates, redevant à leur tradition démocratique, ne suivront pas l’exemple de l’Allemagne ni de l’Italie.

Les libertés conquises par les masses au cours de siècles de lutte doivent être préservées et étendues. C’est la “démocratie” bourgeoise qui est un obstacle à une expansion plus avant de la liberté dans la vie socio-économique de l’humanité. Voilà pourquoi la démocratie capitaliste se doit d’être transcendée par le mouvement socialiste. Liberté, Égalité, Fraternité doivent toujours être mis en place par la révolution sociale.

Le fascisme n’est pas un phénomène accidentel : il est la forme prise par un capitalisme en décomposition se raccrochant désespérément à son pouvoir et donc se résolvant à la terreur et à la dictature. C’est un développement qui se produit dans tous les pays capitalistes, les démocratiques inclus. Parce qu’ils furent les maillons faibles de la chaîne capitaliste, l’Italie, l’Allemagne, la Bulgarie etc ont capitulé en premier. Les pays “démocratiques” vont maintenant capituler et leurs traditions démocratiques sont balayées par le puissant courant réactionnaire fasciste.

La France est mûre pour le fascisme. Les Croix de Feu et autres organisations fascistes, avec l’assistance du gouvernement, n’attendent qu’une guerre pour consolider leur pouvoir et établir une variété française de fascisme. Le gouvernement est noyauté d’influences fascistes. Bien des pontes de l’armée sont des fascistes. Appeler les travailleurs et les paysans à faire une “guerre sainte” contre les pays fascistes avec cet appareil d’état semi-fasciste n’est qu’appeler à la militarisation de la France.

La théorie suicidaire du moindre mal est fondée sur la foi en une démocratie capitaliste. L’application de cette théorie à l’Allemagne fut en grande partie responsable de la montée fasciste. La logique de front uni en France est vouée à mener à la même capitulation devant les demandes objectives d’une économie capitaliste en décomposition.

En appelant pour un Front Uni, ni les communistes ni les socio-démocrates ne remplissent les pré-requis nécessaires pour une véritable action révolutionnaire. Ils ne sont ni idéologiquement ni tactiquement capables de mener la classe travailleuse dans la direction d’une lutte militante efficace. Le principe même de soutenir la démocratie bourgeoise est une négation de la lutte des classes et de la révolution sociale. La lutte de classe veut dire pour nos soi-disants leaders [de gauche] la lutte des partis politiques pour le pouvoir d’état. Les masses, trompées par cette chimère d’une coalition pacifique avec la bourgeoisie, des résolutions n’ayant aucun sens et des actions parlementaires n’en ayant pas plus, ont permis à leurs organisations économiques de devenir les ballons de foot des politiciens. Volées de leur initiative, ignorantes des principes et tactiques révolutionnaires, les travailleurs sont rendus incapables de lutter contre le fascisme et de prévenir, d’empêcher la guerre.

Le Front Uni de l’opportunisme entre les patriotes sociaux de 1914 et les nouveaux patriotes sociaux de 1935 est le type même de Front Uni qui mène droit dans le mur les travailleurs et donnera une victoire certaine aux fascistes. Seulement dans le processus de lutte pour des objectifs révolutionnaires clairement établis, peuvent l’expérience et l’aspect militant indispensables des masses opprimées être développées et le pouvoir nécessaire généré pour l’effort suprême. Construire le Front Uni des organisations de travailleurs et de paysans par l’action révolutionnaire militante, lutter pour la révolution sociale, ceci, imprégné des principes et de l’esprit de l’anarcho-communisme, sont les taches du mouvement révolutionnaire.

= = =

Il y a un an, nous publiions ce texte en deux parties de Sam Dolgoff sur Résistance 71 :

https://resistance71.wordpress.com/2022/02/14/reflexions-sur-le-changement-de-paradigme-a-venir-le-communisme-anarchiste-sam-dolgoff/ (à lire et diffuser sans modération)

Notre page “Gustav Landauer et la société organique” :

https://resistance71.wordpress.com/gustav-landauer-et-la-societe-organique/

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

Le_Reveil

R71_slogan

« Le communisme de Kropotkine » de Marie Goldsmith en format PDF mis en page par Jo, traduction de Résistance 71

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , on 2 février 2023 by Résistance 71

PK_GL_Etat_Terroriste

Résistance 71

2 février 2023

Suite à la publication il y a quelques jours de notre traduction du superbe texte « Le communisme de Kropotkine », que Marie Goldsmith écrivit en 1931 pour le 10ème anniversaire de la mort de son grand ami, Jo nous en a fait un superbe PDF que nous soumettons ci-dessous à nos lecteurs, texte à (re)lire encore et encore ainsi que les lectures complémentaires ajoutées et à diffuser au grand large, car nous approchons à grands pas de la grande croisé des chemins où nous devrons choisit sans faiblir notre route future, celle qui ne nous permettra pas que de survivre le marasme ambiant, mais de vivre enfin la vie émancipée que l’humanité peine tant à trouver. Ce texte éclaire le chemin dans les ténèbres qui se sont abattues sur nous tous, mais qui ne sont en rien inéluctables… Il suffit de dire NON !
Bonne (re)lecture !

Le_communisme_de_Kropotkine_par_Marie_Goldsmith
Version PDF

Cobra_peuple

De l’imbécilité imposée…

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, coronavirus CoV19, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , on 9 janvier 2023 by Résistance 71

“Il faut tout un village pour élever un enfant.”
~ Proverbe africain ~

“Tout ce qui se fait par amour est au delà du bien et du mal.”
~ Friedrich Nietzsche ~

faut-pas-enerver-le-bonze-de-rien-231122

L’imbécilité imposée

Rob Los Ricos

1999

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Janvier 2023

Un des plus grands obstacles à renverser lors de la lutte contre le capitalisme est le sens de dépendance que ses méthodes de production ont forcé sur nous. En forçant les gens à passer le plus clair de leur temps à faire un travail productif répétitif et à faible niveau de qualification, les gens doivent dépendre de la production spécialisée des autres ouvriers et travailleurs pour leur fournir de la nourriture, des vêtements, des abris et un nombre incalculable de gadgets consuméristes pour lesquels nos cerveaux sont façonnés de désirer.

Avant l’ère de l’esclavage industriel, la plupart des foyers et des familles étaient considérés comme fonctionnels, ou pas, selon la capacité du foyer d’être plus ou moins autonome. Ceci a été vrai des sociétés nomades au travers des âges des communautés rurales. La dislocation des populations paysannes par les états divers, pendant la période toujours en cours des expropriations et des enclos, a forcé les gens dans une pauvreté désespérée, un exode rural, une renaissance dans une vie ouvrière et dans l’immigration vers de nouvelles colonies conquises par delà les mers. A la fois la montée du capitalisme industriel et de la conquête européenne d’un nouveau monde n’auraient pas été possibles si ce ne fut pour l’éviscération systématique des foyers paysans. Après tout, pourquoi se risquer à aller par delà montagnes et océans pour rechercher la fortune, pourquoi acheter des produits de masse de basse qualité, lorsque les gens sont capables de faire tout ce dont ils ont besoin par eux-mêmes et que la quasi totalité de ce dont ils ont besoin est disponible chez eux ou près de chez eux ?

Vivre, du temps d’avant la mise en esclavage industriel, était ce que faisaient les gens quotidiennement ; préparant la nourriture et les choses qui seraient nécessaires pour le confort et la survie de chacun dans le futur. Ceci était souvent fait sous la supervision d’un membre de la famille et tout le monde apprenait la base pour pouvoir subvenir aux besoins de tous. Mais maintenant, le gens ne font que “gagner leur vie”. On nous a forcé à travailler pour le profit des entreprises et obligé à gérer nos vies autour de ces activités de travail aliénantes. Là où la vie jadis coulait de ses rythmes doux de lumière et d’obscurité, maintenant nous devons répondre sans cesse aux diktats de la pendule, chaque moment du jour mesuré et calculé en accord avec la demande de quelque obscur patron. Notre société tourne maintenant au rythme des usines, de l’école et autres institutions maintenant en place l’état et le capital.

La plupart des gens acceptent cela sans aucune question. La plupart des gens non seulement ne veulent pas regarder tout cela de manière critique, observer avec détachement toutes ces impositions sur leur vie, mais pour la plupart, ils en sont même incapables. Toutes les institutions de pouvoir et de privilège servent ce but de forcer sur les masses ce sentiment d’incapacité et d’auto-négation. Le coup de maître a consisté à convaincre les gens d’embrasser leur dépendance au système comme étant en fait leur pouvoir de décision. Même les personnes les plus intelligentes et les plus capables de nos sociétés ont fini par tomber dans ce piège. Ils n’y peuvent rien. Ils ont été formés à devenir des imbéciles s’auto-réprimant depuis le moment de leur naissance.

Le noyau familial comme incubateur de l’imbécilité

Chacun de nous est né être libre dans un monde dynamique d’abondance. La totalité du grand banquet de la nature est nôtre, pour le partager, pour le chérir. Mais ceci doit être nié à tout prix, par les forces de l’état et du capital. Si nous devions nous éveiller à ce fait et demander notre droit naturel, toutes les industries et les états-nations disparaîtraient et deviendraient inutiles par notre refus collectif d’accepter leurs limites imposées.

Malheureusement, les machinations de l’industrie sont si ancrées dans nos vies que la négation de notre droit naturel de naissance commence dès notre naissance. Nous sommes immédiatement soumis à la réglementation des nombres, chiffres, numéros, nous sommes pesés, mesurés, enregistrés, documentés, classifiées, estampillés.

Une fois dans le carcan du noyau familial, nous sommes enchaînés au rôle que l’on attend de nous dans notre vie future, celui que nous devrons jouer toute notre existence, celui d’un idiot bavant et vulnérable. Quelqu’un qui doit toujours être contrôlé, vérifiée, pourri, toléré, calmé et activement distrait. La camisole appelée enfance, nous ligote et bien peu d’entre nous peuvent échapper à ses liens et marques durant nos vies.

Avant l’époque de l’enfance planifiée, les jeunes passaient leur temps en compagne de leurs familles, essentiellement leurs parents et la famille proche. Les tous jeunes enfants étaient observateurs et intelligents. Ils pouvaient voir ce que leurs parents faisaient durant la journée : la cuisine, le nettoyage, la création de choses, le travail dans les potagers. Au moment où ils sont en âge de marcher, ils sont aussi capables d’aider leurs familles, même de manière minimale. Plus l’enfant grandissait et plus il devenait capable de se joindre aux taches quotidiennes et au bien-être de tous.

Ceci devenait une source de fierté chez la jeune personne et n’était jamais découragé. La famille allait même encourager l’enfant à acquérir de nouvelles techniques pour pouvoir aider toujours mieux et le jeune grandissait en talent et en expérience. Impliqué dans la famille plus éloignée et la communauté, la jeune personne n’aurait plus besoin que d’opportunités sociales pour se développer plus avant et découvrir ses intérêts et ses talents particuliers, ainsi que de trouver des anciens capables de façonner ces nouveaux talents en partageant ressources et expériences. Est-il étonnant donc qu’une personne élevée de cette manière soit capable de commencer sa propre famille à l’âge de 13, 14 ou 15 ans ? Ayant rencontrés très peu de limites à leurs développements autres que physiques, ces jeunes personnes pouvaient reconnaître quand elles étaient prêtes à avancer dans l’âge adulte.

Dans la prison conceptuelle contemporaine de l’enfance, l’enfant est totalement protégé des demandes du monde réel. Mis de côté, ignorés et négligés, les enfants sont empêchés de devenir des personnes autonomes et sont souvent traités comme des imbéciles. On leur enseigne d’être calmes, obéissants, diligents et soumis, ils demeurent dépendants de leurs familles et aussi souvent d’étrangers, qui prennent bien soin de ne pas permettre à l’enfant de grandir, de comprendre ses capacités et potentiels, d’affirmer leur juste place en tant qu’êtres humains vivant dans un monde d’abondance.

Le noyau familial est juste la première méthode de répression des expériences des jeunes personnes. Plus tard, les attentes de la société sont rendues manifestes au travers du système scolaire dit “éducatif”. Ceci n’est juste que le terrain d’entrainement pour cette vie de non sens et de soumission fades qui va s’ensuivre.

liberte_securite_vote

Dans le troupeau !

L’enfant est forcé de participer à des années et des années de formation imbécile. Des gens totalement étrangers à son environnement (instituteurs et profs) sont chargés d’empêcher l’enfant de développer ses opinions, de penser de manière indépendante, de penser de manière critique. On enseigne aux enfants de se taire, de ne pas bouger, de rester dans un moule créé de manière factice, de répéter ce qu’on leur dit, d’obéir sans questionner l’autorité, de ne prendre la parole que si on leur demande de le faire. Mais toute jeune personne est pleine de fougue, d’énergie et de curiosité. Demeurer tranquille et ne pas poser de questions est anti-naturel, répulsif même. En ayant la discipline de l’école les dominer, les jeunes apprennent la plus importante des leçons de l’autorité : ceux qui se comportent bien de la manière la plus passive et disciplinée sont ceux qui sont récompensés, félicités et que le système verra parvenir au “succès”.

Ils apprennent aussi une autre leçon : toutes déviations de l’attitude attendue seront tolérées d’aussi loin qu’on donne l’apparence de remplir les attentes de l’autorité. C’est peut-être la plus importante des leçons. De cette manière, l’action normale énergétique propre à l’enfance est chosifiée comme rébellion, comme attitude dérangeante et anormale. Lorsque les enfants passent le point où, dans une autre époque, ils auraient passer le point de passage à l’âge adulte, ces mêmes pulsions enfantines sont toujours vues comme attitude rebelle : parler sans demander la parole, faire ce que les adultes font mais interdisent aux enfants de faire, ne pas faire ce qu’on dit de faire, faire des choses considérées comme mauvaises ou tabous. La rébellion imbécile est tolérée aussi loin que le supposé rebelle demeure dans les clous et fait ce que la société attend de lui.

Ce n’est un problème pour quasiment personne. Leur niveau élevé d’imbécilité les empêche de défier la poigne de fer que la société a sur eux et de remplir leurs droits naturels.

Après avoir subi leur peine, les plus vieux des enfants sont libérés pour bonne conduite vers le monde extérieur. Là, ils mettront en pratique ce qu’ils ont appris, obéir sans réfléchir et surtout ne jamais défier l’autorité. Une attitude déviante est punie par envoyer l’enfant dans un centre de rééducation appelé prison. Là, les bonnes vieilles règles sont de nouveau inculquées : fais ce qu’on te dit, parle quand on te le demande, extinction des feux, au lit ! Les règles de l’imbécilité sont somme toute assez simple.

La rébellion imbécile est punie modérément. De plus sévères punitions sont mises en place pour ceux qui dépassent les règles de l’imbécilité, en ignorant les règles et en se rendant plus imbécile, bien que ce soit toléré et puni modestement si les violations sont commises pour maintenir le rôle de l’imbécilité. La pénalité est plus sévère pour ceux qui affirment que l’existence de chacun ne se doit pas d’être imbécile. Les véritables rebelles sont un réel danger pour les forces des nations-états industrielles. Non seulement les imbéciles hors des clous doivent payer pour leurs pensées déviantes de leur liberté ou de leur vie, mais ils doivent aussi endurer d’être balancés par les autres imbéciles, qui leur feront subir abus et humiliation dans le processus,

Plus intéressés de lécher le cul qui leur chie dessus, plutôt que d’essayer de stopper le flot de merde déversé sur eux, les imbéciles geignent et grincent des dents à la pensée que quiconque, quelque personne que ce soit, où que ce soit, à quelque moment que ce soit, oserait vivre en dehors des structures de domination qui définissent la vie de l’imbécile. Les véritables rebelles à l’imbécilité ambiante sont étiquetés comme fainéants ou arrogants. On dit d’eux qu’ils se pensent “meilleurs que les autres”, que les vrais imbéciles.

Les récompenses de l’imbécilité sont une augmentation de l’incapacité et du désespoir du croyant. Les membres les plus privilégiés du troupeau doivent être protégés, retirés derrière des barrières protectrices. Incapables de faire la plus simple des taches, les imbéciles les plus privilégiés bénéficient souvent de pseudo-mères pour arranger leurs conneries, leurs affaires, pour leur fournir et préparer des repas, pour planifier leurs activités. Ces imbéciles de la plus haute incompétence sont vénérés par les autres imbéciles, qui fétichisent et jalousent ceux qui sont parvenus à l’état supérieur de l’imbécilité institutionnalisée. Ceci, immanquablement, donne aux privilégiés un sentiment de puissance.

Cette puissance, ce pouvoir impliqué, est sanctifiée par le troupeau dont bien des membres aspirent à prendre part à cet état avancé d’imbécilité. Pour prouver leur valeur, les imbéciles doivent démontrer leur idiotie au travers une obéissance, une soumission sans partage à tout ce qui avilie l’existence humaine. La compassion et l’amour sont vus comme des faiblesses. L’amour est une affaire de propriété. L’annihilation est appelée progrès. Tout ce qui peut être fait pour générer plus de profit est justifiable. Des montagnes sont aplanies, des rivières bétonnées et barrées, des forêts assassinées, des espèces végétales et animales de toutes sortes sont annihilées, juste pour fournir leurs privilèges aux imbéciles.

Rappelez-vous que les imbéciles ne peuvent survivre que s’ils forcent les non-initiés, les sous-privilégiés, même les quelques humains libres demeurant, à les servir et à leur fournir leur pitance. Leurs vies réduites à la destitution, les marginalisés peuvent être corrompus à devenir le bras armé de l’imbécilité, assurant le confort et la sécurité des imbéciles du monde, et en supprimant quoi que ce soit ou qui que ce soit qui ne soient pas utilisés pour les demandes intarissables de l’imbécilité et de son expansion insatiable.

dead-mans-party

La veillée aux morts de l’imbécile

Une vie de bons et loyaux services à la continuité de l’imbécilité est récompensée par la misère de mourir graduellement avec une douleur croissante. Leurs corps ont été ruinés par une vie de labeur, par l’exposition à une industrie mortelle et ses processus de fabrication et les contacts avec ses déchets. Les imbéciles se sont empoisonnés eux-mêmes avec des cigarettes, de l’alcool, des produits pharmaceutiques, une malbouffe, de l’air pollué, du stress, de la colère et de la haine des autres. Les plus fortunés peuvent payer pour des médicaments, des opérations chirurgicales et l’intervention de la technologie médicale (NdT : elle-même totalement corrompue et mortifère…). Ces gens épuisés ne demandent jamais que ceux responsables de leur condition par leurs méthodes de production cessent de continuer à infliger les mêmes dégâts à leur descendance et au monde en général. Ils sont après tout des imbéciles. De fait, l’existence continue du grand nombre de ces personnes dépend de la continuation du processus industriel qui a ruiné leurs corps et leurs vies.

Que peut-on faire pour ces imbéciles ? Ceux d’entre nous qui ne veulent pas perpétuer la domination de l’imbécilité doivent s’émanciper de son étreinte. Nous devons apprendre à nous soucier de nous-mêmes et de nous occuper de nous-mêmes et aussi inviter les autres à partager nos aventure d’auto-découverte. De cette façon, nous pouvons créer un nouveau cycle d’existence expansif et vital, un courant d’arrachement de libération pour faire se retirer la marée de gestion de la mort des états industriels.

Rejetons l’imbécilité en embrassant notre propre capacité de satisfaire nos besoins vitaux en dehors de l’incapacité sanctifiée de l’imbécile. Affirmez votre place en tant que personne née dans un monde d’abondance, liez-vous avec d’autres qui ressentent comme vous et libérez-vous de la domination et du contrôle d’une fange de riches qui dépendent de votre soumission pour pouvoir vivre leurs vies d’extraordinaires excès.

= = =

Lectures complémentaires :

“Gustav Landauer et le changement relationnel” (Anarqxista Goldman)

Le penseur qui a le plus critiquement réfléchi sur la question : Gustav Landauer 

Et n’oublions jamais…

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

ÉTEIGNONS LES ÉCRANS RALLUMONS NOS VIES

relation_extatique

Anarchie et double pouvoir : possibilité ou illusion, quelques notes sur le développement du mouvement anarchiste avec Matt Crossin 2/2

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, résistance politique, société des sociétés, syndicalisme et anarchisme, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 11 décembre 2022 by Résistance 71

 

RIEN ne s'oppose TOUT se compose

 

Notes critiques sur les développements au sein du mouvement anarchiste

Matt Crossin

Août 2022

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Décembre 2022

1ère partie

2ème partie

A travers les Etats-Unis, l’insurrection s’est graduellement transformée en manifestations légalement gérées. Le militantisme des premiers moments se volatilisa sans avoir établi quelques formes organisationnelles ou stratégie propice à sa propre reproduction, sans parler de l’escalade. Le commissariat du 3ème district de Minneapolis fut entièrement brûlé, des fenêtres furent brisées et les produits des magasins pillés, partagés entre les communautés en deuil. Mais la police, les prisons, les entreprises capitalistes et la production de marchandise demeurent. Les capitalistes continuent de plus belle à être une classe possédante et opprimante ayant besoin de l’État pour la protéger et l’État, lui-même propriétaire de bon nombre de moyens de production (et de services), continue d’avoir besoin du système de propriété afin de se reproduire lui-même et le privilège de la règle politique.

Ces relations sociales ne peuvent pas être écrasées ou explosées dans les rues. Elles ne peuvent pas être abolies en simplement attaquant les individus qui nous gouvernent et nous contrôlent. Elles ne peuvent être transformées qu’à leur racine, au sein de la sphère de production par l’expropriation de la propriété et la destruction de force de l’État.

La révolte de 2020 sans nul doute marque un moment significatif. L’expérience a transformé le mode de pensée de beaucoup de ceux qui y ont participé, voire même n’en furent que des témoins. L’expression de solidarité sans parallèle avec les Palestiniens toujours sous l’assaut d’Israël juste un an plus tard fut dû en grande partie au glissement de la conscience populaire autour du sujet de la domination raciale. L’opposition militante à la police a aussi aggravé la crise du recrutement en cours dans les forces de l’ordre établi. Ceci a intensifié le cycle dans lequel l’institution expose sans fard son caractère autoritaire, alors que ce sont de manière disproportionnée les plus fascistes qui continuent à être attirés par cette profession.

Mais comme l’écrivain Shemon Salam le demanda à la suite de la rébellion : “En quoi les émeutes sont-elles le chemin de la révolution si elles ne peuvent pas se généraliser au niveau de la production, à moins que cette dernière ne soit plus utile ?” “Bonne chance à tous d’obtenir de la bouffe une fois que l’épicerie du coin est pillée…

De la même manière, la pertinente analyse de Tristan Leoni du mouvement des Gilets Jaunes en France nous mène à la même conclusion :

Les Gilets Jaunes ont ciblé la circulation plutôt que la production. Pourtant, bloquer veut aussi dire bloquer les gens pour aller au travail ou le travail des autres. Ce n’est que parce que des gens produisent des choses et que d’autres les transportent qu’un blocage routier a un quelconque “impact” : en d’autres termes, le blocage est le résultat d’une minorité, parce que la majorité n’entre pas en grève. Par définition, la sphère de la circulation n’est pas centrale, elle est en amont et en aval de la production. […] En mai 1968 (NdT: commencé en fait en 1967), quand 10 millions de travailleurs entrèrent en grève, puis en grève sauvage. Il n’y avait plus rien à bloquer ! Donc, pour faire une révolution, bloquer ou arrêter la production n’est pas suffisant […] il est nécessaire de changer le sens de la production, du haut vers le bas ainsi que de changer les relations sociales inhérentes. Ceci est difficile à faire si vous ne vous rebellez que lors de vos temps de loisir…

Avec l’augmentation des activités de grève dans le monde, avec les syndicats, sans eux et même contre la volonté des bureaucrates syndicalistes, il est intéressant de noter que les avocats de l’insurrection sont devenus bien silencieux au sujet de “l’inutilité et de l’obsolescence” d’une organisation de classe. On en entend même de moins en moins sur la supposée suffisance des groupes d’affinité !

Qui peut possiblement argumenter maintenant que la rébellion George Floyd aurait été “bureaucratisée” avec la participation d’anarchistes appartenant à des organisations anarchistes , encourageant les activités en accord avec une analyse anarchiste partagée et un programme ? Qui pourrait ne pas être d’accord avec un mouvement étant passé des batailles de rues à un système de routes et de parcs “autonomes”, à l’occupation et à la redéfinition de chaînes essentielles de production sous contrôle des travailleurs ? Peut-on vraiment douter que les travailleurs organisés, fédérés en solidarité et capables de mener à bien leur connaissance technique partagée dans leurs industries respectives contre la production capitaliste elle-même, seraient vraiment mieux préparés pour ce genre de soulèvement ?

Sans révolution, un tel développement des choses aurait terrifié les classes dirigeantes bien plus que d’avoir fait crâmer quelques bagnoles de flics…

Acceptant ceci, les anarchistes insurrectionnels auraient bénéficié de revisiter quelques unes des idées exprimées par un de leurs penseurs les plus sérieux : le révolutionnaire italien Alfredo Bonanno.

Son travail le plus célèbre “Joie armée” (1977), est en bien des points représentatif des écrits anarchistes insurrectionnels. Certainement, cela reflète les défauts que cela implique, le plus criant étant la tendance d’écrire dans un style pédant et prétentieux. L’essai est néanmoins notoire en cela que quand il ne réduit pas simplement notre politique de lutte de classe à soit une parodie de syndicalisme conservateur ou une énumération opportuniste des mouvements sociaux, il concède beaucoup à l’analyse anarchiste de masse.

“Joie armée” balaie les “réunions”, le “modèle rigide de l’attaque frontale contre les forces capitalistes” et les efforts de “se saisir des moyens de production” au travers d’un système “d’auto-gestion”. Bonanno clarifie qu’il est bien plus impressionné par ceux qui simplement “font l’amour, fument [des joints], écoutent de la musique, vont marcher, dorment, rient, tuent des flics, des journalistes pathétiques, tuent des juges et font péter des barraquements” etc. Et pourtant, Bonanno reconnait le besoin d’auto-organisation des producteurs sur les lieux de travail” afin de mettre en place le communisme : “L’affirmation que l’humain puisse se reproduire et s’objectiver dans une non-relation de travail par des solicitations variées que cela stimule en lui.” Pour Bonanno, le communisme est un mode de production dans lequel :

“La production ne sera plus la dimension par laquelle l’Homme se détermine lui-même et cela se manifestera dans la sphère du jeu et de la joie… il sera possible de stopper la production à tout moment lorsqu’il y aura assez.”

Les plus contrariants des insurrectionistes peuvent bien prétendre autre chose, mais si les mots de Bonanno doivent avoir une cohérence, ceci revient à “une attaque frontale sur les forces capitalistes”, “prise des moyens de production” et à “l’auto-gestion” communiste, telles qu’articulées dans le mouvement de masse anarchiste classique.

Les parallèles avec la pensée anarchiste de masse (particulièrement dans le domaine de la double organisation de type “plateformiste”) sont encore plus clairs dans d’autres travaux de Bonanno, comme ceux qui décrivent une stratégie fondée sur le “nucleus de production”. Par exemple dans l’essai “Critique des méthodes syndicalistes” dans lequel il argumente en faveur de :

La lutte directe organisée par la base ; petits groupes de travailleurs qui attaquent les centres de production. Ceci serait un exercice de cohésion pour de futurs développements dans la lutte qui pourraient se produire après avoir obtenu une formation détaillée et la décision de passer à la phase finale de l’expropriation du capital, c’est à dire la révolution.

Il continue en assumant que :

La situation économique pourrait être organisée sans aucune structure oppressive la contrôlant ou la dirigeant ou décidant ses buts à atteindre. C’est ce que les travailleurs comprennent très bien. Le travailleur, l’ouvrier, sait parfaitement comment l’usine, son lieu de travail est structuré et que, cette barrière franchie, il pourrait parfaitement être capable de travailler l’économie pour l’intérêt commun. Le travailleur sait parfaitement que l’effondrement de cet obstacle voudrait dire la transformation des relations à la fois dans et hors de l’usine, l’école, la terre, et toute la société. Pour le travailleur, le concept de gestion prolétarienne est avant tout celui de la gestion de la production […] C’est donc le contrôle sur le produit qui manque de sa perspective, et avec cela, les décisions sur les lignes de production, les choix à effectuer etc […] ce qui est requis est de lui expliquer la façon dont ce mécanisme pourrait être amené à une économie communiste, comment il pourrait avoir autant de produits que l’exigent ses véritables besoins et comment il pourrait participer à une production utile et efficace en accord avec son propre potentiel.

Qui Bonanno pense t’il devrait expliquer cela ? Pas des “délégués privilégiés” ou des “salariés bureaucrates”, mais plutôt des “animateurs politiques” : des activistes qui doivent travailler dans le sens des besoins des travailleurs. “En d’autres termes, la minorité des militants anarchistes devrait encourager le développement et l’activité des “fédérations des organisations de base”, en accord avec les principes qui nous conviennent, à la poursuite à la fois de l’amélioration (au travail et en dehors du travail) tout autant que de la révolution sociale.

Notre rôle en tant que “animateurs politiques” ou “activistes” devient-il inévitablement bureaucratique si nos organisations sont impliquées dans des taches plus qu’immédiates, singulières et sont guidées par des programmes révolutionnaires à la disposition de tous ?

Bonanno note les risques pour les organisations qui donnent la priorité à leur propre reproduction comme des organisations se plaçant au dessus de leur fonction supposée. Pour des organisations de masse comme les fédérations d’associations de travailleurs, localisées au point même de la lutte, le problème devient celui de sacrifier potentiellement la lutte en faveur de l’auto-préservation.

GJ_repression_etat2

Mais ceci n’est pas une vision unique de l’anarchisme insurrectionnel ! Et Bonanno le sait très bien. En fait, il cite et acquiesce à ces mots de l’anarchiste hollandais Ferdinand Donnera Nieuwenhuis :

Je suis anarchiste avant toute chose, puis un syndicaliste, mais je pense que beaucoup d’entre nous sont des syndicalistes avant tout et des anarchistes ensuite. Il y a une grande différence… Le culte du syndicalisme est aussi toxique et dangereux que celui de l’État… Comme les aficionados anarchistes de la double organisation l’ont disputé depuis longtemps, ce dont on a besoin est de la capacité continue pour les anarchistes à maintenir une position anarchiste constante ; d’être capables d’agir de manière indépendante de toute organisation de masse tout en maintenant des opportunités d’intervenir dans les luttes de nos compagnons ouvriers et travailleurs.

Bonanno cite l’expérience de la CNT dans la révolution sociale espagnole démontrant le danger institutionnel et psychologique posé par “la fusion d’un mouvement anarchiste spécifique avec des organisations de masse non spécifiques de lutte et d’action directes.” La déférence montrée par tant de travailleurs envers les politiques collaboratrices de la CNT, incluant la permission à des leaders anarcho-syndicalistes de prendre des positions au sein du gouvernement, indique le besoin d’une indépendance organisationnelle des anarchistes. Cette approche stratégique nous prépare mieux pour les circonstances dans lesquelles nous devons faire sécession des positions douteuses des organisations de masse, à la fois mentalement et dans la pratique, ce qui nous permettra d’encourager une ligne révolutionnaire claire au sein du mouvement ; redirigeant notre énergie là où l’auto-organisation de la lutte nous mène.

Mais Bonanno renforce cet argument avec des citations de… Malatesta ! Qui a argumenté que le syndicalisme anarchiste était soit limité aux anarchistes et donc “faible et impuissant, juste un groupe de propagande” ou construit sur une base de classe, rendant “le programme initial […] rien d’autre qu’une formule vide.”

C’est une fois de plus Bonanno se faisant l’écho de la double organisation. Le reste de son argumentation vaut par son insistance que les organisations anarchistes ne peuvent rien faire d’autre que de se bureaucratiser et de devenir une force contre-révolutionnaire si elles adoptent une continuité dans le membership et un programme anarchiste. Il affirme aussi sans preuve que c’est la forme de “nucleus de production” qui est uniquement immune aux tendances inhérentes aux syndicats, qu’ils soient réformistes, syndicalistes révolutionnaires ou anarchistes.

Aussi peu convaincant que ce soit, il convient de noter à quel point nous sommes loins du “fumer des pétards, baiser et tuer des flics”, ou des slogans préférés des admirateurs contemporains de Bonanno, appelant à la “destruction de l’économie”, “de la production”, et à l’abandon des vieux rêves comme “l’auto-gestion révolutionnaire”.

Si les anarchistes insurrectionnels, fatigués des émeutes sans fin et désorientés par le retour de l’organisation de terrain, peuvent parvenir aussi loin que le meilleur travail de Bonanno, peut-être alors pourront-ils aussi se permettre de concéder que la tradition anarchiste de masse est quelque chose qui vaut la peine d’être ranimé.

Laissons en place les groupes d’affinité ; pensons ensemble le monde et comment le changer ; écrivez vos idées et partagez les avec vos camarades, parlez, discutez avec vos collègues de travail sur le comment agir contre les patrons, diffusez les informations de lutte partout ; reconnaissez où réside notre pouvoir au sein de la société capitaliste et utilisez ce pouvoir.

Construisons la capacité organisationnelle de lutte au sein de nos industries respectives. Dans le processus de cette lutte, nous pouvons de la même manière construire la capacité de “saisir le contrôle des moyens de production” (excusez cette phrase poussiéreuse…). Ceci demande que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour encourager le renouvellement d’un mouvement militant des travailleurs, avec une coordination au travers de l’économie et des liens avec des mouvements sociaux radicaux au-delà des lieux de travail.

Pour ceux vraiment intéressés à l’anarchie et au communisme, ceci demeure une tache centrale.

pduv1

Les anarchistes et le parlementarisme : élections et changement social

Il y a ceux qui maintenant se considèrent anarchistes et qui nous disent “Oui, l’anarchie est notre but, mais nous sommes très loin de sa réalisation et nous devons penser à désespérément gagner des réformes tant attendues. Ceci veut dire faire campagne pour des politiciens, même faire campagne pour nous faire élire de façon à ce que des lois puissent être passées dans l’intérêt de la classe travailleuse.”

Il y a plusieurs problèmes avec de tels propos. D’abord, il est important de clarifier que l’anarchisme non seulement comprend une croyance dans l’idéal de l’anarchie, d’une société sans domination, sans état, sans argent et sans capitalisme etc… mais aussi une méthode, une théorie de changement social, basée sur une analyse spécifique des relations sociales, des processus et des institutions existants.

Tout communiste, même le plus enthousiaste champion du pouvoir étatique (tenu entre les mains des “communistes”, bien entendu…) peut affirmer que l’abolition du capitalisme et de l’État sont ses buts ultimes et indéfectibles. Ils peuvent même réellement croire que leurs tactiques autoritaires sont les seules capables d’y parvenir. Marx lui-même concéda que l’idéal de l’anarchie était consistant avec sa vision du communisme, bien qu’il se fit l’avocat d’une politique électorale et d’une forme “d’état révolutionnaire transitoire” comme moyen d’y parvenir. Il est important de réitérer le fait que ce qui distingue vraiment l’anarchisme n’est pas seulement le but, mais aussi notre insistance sur une unité nécessaire entre les moyens et les fins ; sur le besoin d’agir en dehors et contre l’État, plutôt qu’à travers lui.

Une erreur identique est l’idée qu’une telle vue n’est importante que quand une révolution semble imminente et que, en attendant, nous devrions nous impliquer politiquement dans les campagnes de politique électorale pour changer les parlements et donc les législations comme un moyen n’étant que “la seule façon d’accomplir des réformes”.

Les anarchistes rejettent cette forme de compréhension sur le comment le changement social, même réformiste, se produit. Les changements dans les gouvernements et les politiques sont motivés par les besoins d’ajustement de l’État et du capital, dans des paramètres établis par l’équilibre existant des forces de classes. Les réformes ne sont pas le produit de bonnes ou de mauvaises idées, de politiciens ou de législations changeantes, mais sont plutôt le résultat de l’État servant les meilleurs intérêts du capitalisme en tant que système. Lorsqu’il y a une pression soutenue d’en bas, dirigée contre les patrons et les gouvernements, la classe dirigeante doit s’adapter à la menace posée au profit et à la stabilité du système. Lorsque la force brute n’est pas suffisante pour éliminer le danger de l’activité de la classe du travail organisée, la menace est pacifiée par des concessions et la récupération de la grogne au profit du système.

Les victoires électorales et parlementaires (incluant les referendums et les assemblées constituantes) sont souvent étiquetées comme faussées, mais nécessaires, des culminations de l’énergie du mouvement social en un “véritable pouvoir”. En fait, ceci devrait être vu et compris comme étant l’effort de canaliser l’activité extra-parlementaire, le seul pouvoir que nous ayons, en des formes gérables, légales et contrôlables à terme sans aucun danger pour le système.

Quiconque examine avec sérieux les archives historiques trouvera que cela a toujours été la lutte et l’action directes et jamais la politique légale, qui ont permis de faire changer les choses. Ainsi, les anarchistes affirment que les réformes et la révolution sont le résultat de la même sorte d’activité. Cela ne peut pas être séparé…

Grèves, sabotage, blocages, désobéissance civile, émeutes, insurrection : ce ne sont pas seulement les outils de la révolution, mais les seules armes que nous ayons à notre disposition pour changer les choses radicalement. Ce sont aussi une passerelle entre deux objectifs : réforme et révolution, en ce que cela bâtit notre capacité à mettre la pression sur les patrons et les gouvernements tout en développant nos forces, nos idées et notre confiance en nous-mêmes pour nous départir de toutes les formes d’oppression et d’exploitation, que nous avons l’intention intangible de remplacer par la société libre communiste.

Les campagnes électorales, la routine du boulot quotidien de la bureaucratie parlementaire et l’exercice du pouvoir d’état, ne font que distraire et détourner l’attention des travailleurs, nous détourner de l’auto-organisation, de l’autonomie et de la lutte de classe. Cela nous mélange de manière toxique dans des modèles d’organisation autoritaires et donne pour tache à ceux qui gèrent d’obtenir des positions dans le système politique, dans le gouvernement en maintenant les intérêts d’une classe propriétaire exploiteuse, dont les intérêts (vu leur contrôle absolu de la vie économique de la société) doivent être servis par l’État de manière inévitable et que tout gouvernement se doit de produire immanquablement s’il veut continuer d’être gouvernement ayant le pouvoir de gouverner la société en tant qu’élite privilégiée.

Les anarchistes pensent ces tactiques nécessaires au vu de l’attitude de ceux qui ont pris part, quelques soient les croyances personnelles ou leurs intentions. Ceci n’est pas une question de corruption ou de trahison, mais plutôt d’impératifs systémiques et de logique institutionnelle qui ne peuvent pas être dépassés, résolus par même les plus radicaux des politiciens. (NdT : pour la France, pensez à des gugusses du style Mélenchon ou Cohn Bendit… tous deux de bons petits roquets du système trompant leur monde depuis des lustres…)

yin-yang-zenon

Ce qui nous ramène à ce principe qui est au cœur même de l’anarchisme : l’unité nécessaire entre les moyens et les fins. Comme je l’ai déjà dit, ceci demande que nous refusions toute participation à la politique électorale ou à la formation de tout autre “nouvel” ´état, quelle soit ses prétentions “révolutionnaires”. Mais cela veut aussi dire que nous devons nous organiser, prendre des décisions (NdT : c’est à dire d’exercer le pouvoir qui est inhérent à la société humaine, il n’y a pas et ne saurait y avoir de “société sans pouvoir”, il n’y a que le pouvoir non-coercitif et le pouvoir coercitif, comment repasse t’on de ce dernier au premier ? cf P. Clastres et notre résolution de son aporie d’anthropologie politique…) et agir de telle façon que cela reflète à la fois l’idéal pour lequel nous œuvrons pour établir et directement altérer l’équilibre des forces de classe, ce sans déférence que ce soit envers des leaders ou des institutions de quelque sorte que ce soit. Nos organisations doivent être construites de manière libre depuis la base et notre stratégie d’orientation doit aller vers l’action directe contre les patrons et les gouvernements.

En commentaire final, cela vaut la peine de noter que cette analyse institutionnelle de l’État s’étend également au niveau local ou municipal et que l’anarchisme ne peut pas se réconcilier avec de telles expériences de “démocratie de mairie” ou “directe”. La rupture de Murray Bookchin avec l’anarchisme à la fin des années 90 semble avoir été “oubliée” par les anarchistes qui recherchent maintenant une inspiration du côté de sa théorie sur le municipalisme (libertaire). Ses suiveurs se font à tort, l’écho de la croyance municipaliste qui veut que les impératifs structurels de l’état capitaliste disparaissent plus un corps gouvernemental se rapproche de sa population. Malheureusement, pour les municipalistes, les formes organisationnelles de la politique parlementaire, les manières dont elles nous transforment et nous changent en tant que peuple et leur fonction au sein de la société capitaliste, demeurent toutes identiques au niveau du conseil municipal. Un socialisme d’état de localité est toujours un socialisme d’état.

Le texte complet en PDF :
Matt-Crossin-Anarchie-et-double-pouvoir-notes-critiques-sur-le-developpement-du-mouvement-anarchiste

= = =

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 

rebellion

Astyle

Anarchie et double pouvoir : possibilité ou illusion, quelques notes critiques sur le développement du mouvement anarchiste avec Matt Crossin ?.. 1/2

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , on 7 décembre 2022 by Résistance 71

 

RIEN ne s'oppose TOUT se compose

 

Très bonne analyse ancrée dans la réalité des luttes quotidiennes dans le monde et les fondements essentiels du cœur de l’anarchie qui est un mode de vie ne l’oublions jamais et qui donc organise naturellement horizontalement la vie sociale pour nous mener à la société des sociétés des associations libres émancipées. Nous publions ce texte très récent en deux parties vu sa longueur avec PDF à suivre.
En ce qui nous concerne, nous ne pensons pas qu’il y ait opposition, antagonisme entre les deux visons anarchistes présentées ici par Crossin, mais complémentarité. Le succès de la société des sociétés à venir tiendra des deux et surtout dans ses APPLICATIONS PRATIQUES dans la vie quotidienne, c’est à dire qu’il faudra AGIR en plus de réfléchir et de discuter… La société émancipée à venir sera un nouveau MODE DE VIE, il est important de bien le comprendre et celui-ci emportera le vieux monde sur son passage, ce vieux monde qui n’en finit pas de mourir et qui crée des monstres dans son agonie pour paraphraser Gramsci.
A lire et diffuser sans aucune modération.
~ Résistance 71 ~

Notes critiques sur les développements au sein du mouvement anarchiste

Matt Crossin

Août 2022

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Décembre 2022

1ère partie
2ème partie

Les anarchistes et le double pouvoir : situation ou stratégie ?

Un étrange développement s’est produit, qui a mené à une théorie anarchiste devenant de plus en plus associée à une tactique appelée “la construction du double pouvoir”. Les aficionados de cette tactique pensent que les anarchistes, étant opposés aux patrons et aux gouvernements, devraient comme principale stratégie, créer des institutions parallèles auto-gérées, comme des coopératives des travailleurs, des assemblées de communauté, des groupes d’entraide etc… l’argument est qu’alors que ces groupes prolifèrent, ils vont constituer une forme de pouvoir populaire qui va non seulement fournir une vision attractive d’un autre monde, mais aussi laisser les capitalistes sans travailleurs et l’État obsolète et inutile.

Bien que le terme de “double pouvoir” pour se référer à de telles tactiques apparaît sporadiquement dans les années 90 (dans le matériel pédagogique du groupe Rage et Amour par exemple), il n’est cependant pas clair quant à savoir comment exactement l’association est devenue si largement popularisée ces dernières années. Ce qui est clair en revanche, est que cette conception de double pouvoir n’a rien en commun avec son utilisation originelle, inventée par Lénine, comme moyen de décrire une condition au potentiel révolutionnaire.

Le double pouvoir n’était pas une stratégie pour parvenir à de telles circonstances (sans parler du socialisme). Cela décrivait une situation existant réellement dans laquelle des organes du pouvoir des travailleurs (soviets/assemblées, comités d’usines, milices etc…), formés au travers de la lutte de classe, peuvent rassembler et coordonner des ressources et la légitimité populaire, pouvant rivaliser et même surpasser ceux de l’État. De telles conditions placèrent les ouvriers en position d’exproprier la classe capitaliste et de renverser l’État. Plus tard, au cours de la révolution sociale espagnole, des comités et des collectifs similaires, ayant le même potentiel révolutionnaire, émergèrent au sein de l’insurrection anti-fasciste, pour se retrouver assis de manière assez inconfortable aux côtés du gouvernement républicain s’étant graduellement reconstitué. Dans les deux cas, deux demandes rivales de pouvoir co-existèrent : l’une bourgeoise et l’autre prolétaire. En aucun cas le double pouvoir se réfère t’il à l’emploi d’une stratégie ; certainement pas une fondée sur le démarrage de lieux de travail coopératifs, de jardins communautaires ou de groupes d’entraide comme “Nourriture pas des bombes”, quelque soit le mérite de ces projets respectifs.

Le véritable double pouvoir est instable de manière inhérente, il représente une menace active au pouvoir des gouvernements et des capitalistes. A la fois dans le cas russe et le cas espagnol, les circonstances du double pouvoir se terminèrent en une inévitable confrontation. En Russie, le gouvernement provisoire fut renversé en faveur d’un gouvernement bolchévique de plus en plus autoritaire (légitimisé au départ sous le slogan de “tout le pouvoir aux soviets”, c’est à dire tout le pouvoir aux assemblées). En Espagne, les comités révolutionnaires ayant échoué à vaincre l’État au delà de toute réparation possible, ou de socialiser la production, furent soumis par le Front Populaire et éventuellement furent écrasés par la coalition stalino-libérale au sein du gouvernement républicain qu’ils aidèrent à raviver.

Loin de représenter la politique du classique anarchisme de masse (parfois étiqueté comme anarchisme de “lutte de classe”), les nouveaux aficionados du double pouvoir comme stratégie sont, en réalité, en train de raviver la vieille tradition “utopique” non-confrontationnelle du socialisme non-révolutionnaire. C’est, au mieux, la politique proto-anarchiste de Pierre Joseph Proudhon plutôt que l’anarchisme de Errico Malatesta, Michel Bakounine ou des organisations ouvrières anarchistes révolutionnaires qui se développèrent de l’aile fédéraliste de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT).

Comme Proudhon, et contrairement à la vision anarchiste révolutionnaire, les soutiens du double pouvoir argumentent qu’ils peuvent améliorer notre position sous le capitalisme et parvenir au final à l’anarchie, en rassemblant nos ressources et en les gérant de manière autonome et coopérative. En pratique, cela voudrait dire que ceux d’entre nous qui sont le mieux lotis fourniraient aux moins bien lotis, une forme de service souvent amalgamée avec le concept d’entraide. Ce qui mènerait à des entreprises entrant en concurrence avec des entreprises traditionnelles sur le marché.

Historiquement, cette stratégie a été perdante pour des raisons parfaitement bien comprises et articulées par les anarchistes et les marxistes. En tant que travailleurs, nous n’avons quasiment rien à partager entre nous. Dans le mime temps, les capitalistes ont tout. Ils seront toujours capables de gagner la lutte concurrentielle et annihiler le secteur coopératif. La logique du marché mettra toujours la pression sur les travailleurs-propriétaires de ces coopératives, c’est à dire une propriété privée gérée de manière coopérative sous la forme d’entreprises, ce qui empirera leurs conditions, forcera à baisser leurs propres salaires, à réduire la qualité de leurs produits et d’augmenter le prix de vente à la seule fin de pouvoir survivre.

Survivre tout en maintenant l’esprit du projet coopératif est en soi une lutte. Pousser les entreprises capitalistes à la faillite, s’approprier leurs ressources, placer leurs biens et propriétés sous un plus vaste contrôle social et avoir l’État disparaître dans le processus, n’est que pure fantasmagorie.

Les avocats du double pouvoir évitent toute la question de savoir à quoi ressemble la victoire. Même si la stratégie du double pouvoir pouvait aboutir à la situation d’un véritable double pouvoir (comme édicté par Lénine), notre but en tant qu’anarchistes est d’ELIMINER l’État et la capital, de ne pas exister “en dehors” ou “en parallèle” en tant que “second pouvoir”. Clairement, à un moment donné, nous devrons exproprier le capital et ceci impliquera nécessairement une réponse de l’État, qui à la fois dépend de et reproduit la société de classe.

Et pourtant le contre-pouvoir, pouvoir au sein des entreprises capitalistes traditionnelles, contre les patrons et les gouvernements, capable de saisir le contrôle sur la vie économique de la société, la mettant au service des besoins humains, et défendant avec force cette transformation des relations sociales, est rarement mentionné par les champions du double pouvoir. Il y a ici aussi une faiblesse fondamentale dans la vision de réforme du double pouvoir, car il en est de notre position structurelle au sein des entreprises capitalistes (qui ont besoin de notre travail), qui nous permet de faire levier sur les patrons et les gouvernements qui les servent.

Les anarchistes devraient garder présent à l’esprit les mots de Pierre Kropotkine à ce sujet et son avertissement aux travailleurs qui refusent d’abandonner de telles tactiques de lutte révolutionnaire :

“Travaillez pour nous pauvres créatures, qui pensez que vous pouvez améliorer votre sort par les coopératives sans oser toucher en même temps à la propriété, à l’impôt et à l’État ! Maintenez-les en place et demeurez leurs esclaves !”
~ Kropotkin, P. 1914. “Science moderne et anarchie” ~

Anarchistes et neo-anarchistes : horizontalisme et espaces autonomes

Il n’est pas rare, surtout en Amérique du Nord, de voir l’anarchisme défini comme une idéologie enracinée dans la “démocratie directe”, la prise de décision par consensus et la maintenance de relations sociales “horizontales” (c’est à dire non-hiérarchiques), particulièrement dans des zones autonomes ou les espaces publics.

Cette idée de l’anarchisme est inhabituelle en ce qu’elle place au centre de sa définition, une adhérence à des formes spécifiques de procédure et de comportement interpersonnels tout en minimisant les buts politiques qu’un mouvement “horizontal” devrait essayer d’établir. De ce point de vue, se réaproprier les espaces publics comme opportunité d’y tenir des assemblées publiques non-hiérarchiques, où nous pouvons décider par consensus est, en soi, “anarchiste”, quelque soit le résultat d’un tel processus.

Ceci n’a pas grand chose à voir avec la tradition classique de masse anarchiste et sa politique de socialisme révolutionnaire. C’est au lieu de ça, une approche qui est le mieux décrite comme tombant sous la bannière du “neo-anarchisme”, qui est une conception moderne de l’anarchisme largement informé par les mouvements féministe et pacifiste des années 70, le mouvement environnementaliste vert des années 80, le mouvement alter-mondialisation des années 90 et de la révolte argentine de 2001, qui a inventé le terme “horizontalisme” ou “horizontalidad”, pour décrire le rejet par le mouvement de la démocratie représentative, l’utilisation des assemblées générales pour coordonner les activités et la conversion d’usines abandonnées ou en banqueroute en des entreprises coopératives.

Prenez par exemple, l’insistance des neo-anarchistes pour l’utilisation du consensus dans la prise de décision. Bien que le consensus (ou “l’unanimité” comme c’était typiquement appelé), était parfois une caractéristique des organisations politiques anarchistes et souvent vu comme un idéal pour travailler via une discussion entre camarades, ce ne fut jamais un composant fondamental du mouvement anarchiste. Les anarchistes ont généralement été d’accord pour dire que la forme appropriée de prise de décision dépend des circonstances et ont fréquemment endorsé des variations sur le vote majoritaire, particulièrement dans les organisations de masse fondées sur des communautés autre que des affinités idéologiques, comme les syndicats. Le point de focus des anarchistes n’a généralement pas été la forme du processus de prise de décision, mais plutôt les principes des associations libres et de la solidarité. De plus, bien que les anarchistes aient toujours insisté sur le “droit de la minorité d’être libre de la coercition de la majorité”, il est même plus important que la grande majorité soit libre de la règle minoritaire ou du sabotage. Comme l’écrivit Malatesta dans son essai “Entre paysans : un dialogue sur l’anarchie”.

Tout est fait pour atteindre l’unanimité et quand c’est impossible, le vote désignerait une majorité ou alors la décision résiderait en une tierce partie, qui agirait comme arbitre en la matière, respectant l’inviolabilité des principes d’égalité et de justice sur lesquels est basée la société. En réponse à la préoccupation du sabotage de la minorité, une telle situation rendrait nécessaire une action de force, parce que s’il est injuste que la majorité opprime la minorité et il est tout aussi injuste que l’opposé ne se produise. Et tout autant que la minorité a le droit à l’insurrection, la majorité a aussi le droit de se défendre.

Quant aux “zones autonomes” et la tactique de se réaproprier les espaces publics (comme vu lors du mouvement Occupy Wall Street), nous n’avons ici aucune connexion avec l’anarchisme en tant que tradition révolutionnaire et un exemple de tactique qui a montré de manière répétitive son incapacité à extraire des réformes significatives, sans parler de révolutionner la production et de détruire l’État.

Les limites fondamentales de “l’occupation publique” ou des “zones autonomes” et les défaites qui ont résulté de ces limites, ont mené quelques anciens promoteurs de la stratégie à faire une transition notable du Neo-anarchisme à la politique parlementaire. Bien qu’inexplicable aux observateurs extérieurs, le changement est facilement compris quand on considère la vision péculière du Neo-anarchisme sur la “démocratie directe” ou “les espaces horizontalement organisés” comme la caractéristique affirmée de l’anarchisme et non pas celé d’une théorie et pratique révolutionnaires libertaires contre l’État et le capital.

Si on accepte l’idée de l’anarchisme comme proposé par les Neo-anarchistes, il n’y a pas de contradiction fondamentale entre anarchisme et implication dans la politique parlementaire (!!!). Si le parti politique est un parti de démocratie directe, composé de mouvements sociaux et investi dans les relations interpersonnelles horizontales, quelle différence cela fait-il si la décision prise (idéalement par consensus) est pour faire campagne pour des candidats politiques, voire même administrer l’État ?

Nous avons vu cela avec le soi-disant “mouvement des places” en Europe. Les activistes qui prirent part au mouvement 15M ou des “Indignés”/“Los Indignados” en Espagne ont fini par abandonner leur notion des politiciens au slogan du “Ils ne nous représentent pas !” Avec la formation du parti politique Podemos et autres multiples partis politiques “municipalistes”.

Une trajectoire similaire fut suivie par l’anthropologue anarchiste David Graeber vers la fin de sa vie. Graeber, une figure du mouvement Occupy Wall Street et avant ca, un participant au mouvement altermondialiste, ne vit apparemment aucune contradiction  entre son (Neo)anarchisme et ses efforts de rejoindre le parti travailliste britannique en soutien de Jeremy Corbyn.

Graeber fut particulièrement enthousiaste avec l’organisation affiliée au parti travailliste Momentum ; une excroissance de la campagne de leadership de Corbyn, qui, argumentait-il constituait une tentative unique de fusionner le mouvement radical avec un parti parlementaire.

Plus récemment, nous avons été les témoins de l’absurdité du “socialiste libertaire” autoproclamé Gabriel Boric vantant son association avec le mouvement étudiant radical chilien et accédant à la présidence suite à un soulèvement populaire militant.

Les dégâts causés par ces supposées “tentatives uniques” de traduire l’horizontalisme du Neo-anarchisme en une forme de parti politique, qui en réalité ne diffère pas grandement de l’approche historique offerte par les marxistes en alternative à l’anarchisme, ont été bien documentés par ailleurs et il ne convient pas ici d’en faire une revue de détail. Il va sans dire qu’à chaque fois, il y eut bureaucratisation, accommodation des nécessités d’administre l’état capitaliste  (ou juste de faire campagne pour l’administrer) et il n’y a eu aucun gain de pouvoir des travailleurs contre les patrons.

La réalité est qu’on ne peut pas se préfigurer l’anarchie et le communisme au travers de la “démocratie directe” et des “espaces d’autonomie”. L’anarchisme demande un mouvement anarchiste spécifique et surtout… une pratique anarchiste. Bien que nous pouvons sans aucun doute nous organiser depuis la base au sein d’une structure fédéraliste consistante, nous ne pouvons pas faire vivre notre idéal de “vivre en anarchie” ou notre relation les uns aux autres le plus “horizontalement” possible. De la même manière, le contenu de l’anarchisme ne peut pas se limiter à la structure de notre mouvement, son contenu de lutte de classe dit être maintenu. Pour citer Luigi Fabbri :

Si l’anarchisme n’était qu’une éthique individuelle, à être cultivée pour soi-même et en même temps être adapté dans les actions de la vie matérielle et des mouvements en contradiction avec lui, nous pourrions nous appeler anarchistes et appartenir aux partis les plus divers et beaucoup pourraient aussi être appelés anarchistes, qui bien qu’ils soient spirituellement et intellectuellement émancipés, sont et demeurent, en base pratique, nos ennemis. Mais l’anarchisme est différent… Il est prolétarien et révolutionnaire, une participation active au mouvement pour l’émancipation humaine avec des principes et des buts égalitaires et libertaires dans le même temps. La partie la plus important de son programme n’est pas seulement le rêve que nous voulons devenir réalité d’une société sans patrons et sans gouvernements, mais avant tout la conception anarchiste de la révolution, de la révolution contre l’État et non pas à travers l’État…

heroisme

Anarchistes et insurrection : Organisation, lutte de classe et émeutes

La période “classique” de l’anarchisme, qui peut être définie comme allant de la fondation de l’Internationale Anarchiste de St Imier (NdT : créée par Michel Bakounine après l’expulsion des anarchistes de la 1ère Internationale Ouvrière suivant un plan fomenté par Marx et Engels qui prirent alors le contrôle de l’Internationale…) en 1872, à la fin de la seconde guerre mondiale en 1945. Il y eut deux courants significatifs, l’anarchisme social ou “de masse”, représenté par l’anarcho-syndicalisme (la formation de fédérations syndicales anarchistes) et l’organisation dans la dualité (formation d’organisations anarchistes spécifiques intervenant dans les luttes de masse), ce mouvement fut dominant et prend sa source au congrès de St Imier, l’aile libertaire de la 1ère Internationale et autres précurseurs fédéralistes au sein du mouvement des travailleurs.

Opposé à celui-ci fut un courant minoritaire d’anarchisme insurrectionnel, qui voyait le mouvement des travailleurs en développement comme réformiste (avec des réformes à la valeur douteuse), opposé aux organisations formelles comme étant inconsistantes avec l’anarchie et se limitant à des tactiques dont l’intention était de provoquer une insurrection généralisée : attaques armées contre l’État et la propriété privée ou étatique, assassinats de patrons et de politiciens etc…

L’anarchisme insurrectionnel a trouvé un nouvel élan avec le déclin du mouvement des travailleurs à la fin des années 1970. Les formes radicales furent réprimées. Les syndicats gérés par des bureaucraties professionnelles et dévolus à la stabilité du système capitaliste (incluant bien sûr leur position bien protégée et confortable en son sein) et de manière générale, soumis aux intérêts des partis politiques affiliés, acceptant l’intégration du travail organisé au sein de réseaux hautement régulés de gestion des litiges, qui a criminalisé toute action directe efficace et a restreint le contrôle des travailleurs sur leur propre lutte.

Plutôt que de reconnaître ce tournant de la défiance à la loi vers une impuissance légale en tant que résultat demandant un renouvellement de l’implication envers le long et patient travail de l’agitation sociale sur les lieux de travail, certains “révolutionnaires” choisirent d’accepter le narratif plus facile disant que cette tragédie historique était de fait inévitable. Notre position en tant que “travailleurs”, individus forgés par le développement capitaliste en une classe, mais capable de devenir une classe agissante par et pour elle-même, n’était plus, d’après eux, quelque chose d’important à notre émancipation.

Les insurgés affirment que la lutte pour la production a mené à la bureaucratisation et une accommodation au sein de la société de classe. De leur perspective, il n’y a donc aucun intérêt de tenter de collectivement s’identifier à une classe de “travailleurs” opprimés, ou d’organiser des manifestations de lutte de masse sur cette base. En fait, les anarchistes insurrectionnels s’opposent à toute forme d’organisation formelle et sont le plus souvent sceptiques à l’idée même “d’organisation”. Ils argumentent que des projets spécifiques ne demandent rien d’autre qu’une “affinité de groupe” informelle : des camarades rapprochés, travaillant ensemble pour parvenir à mettre en place des buts communs et concrets, sans aucune structure ni programme politique.

Mais si nous ne luttons pas en tant que classe organisée au travail, où de tels groupes d’affinité devraient-ils être engagés dans la lutte ? Les insurrectionnistes se sont fait typiquement les avocats d’une politique “de constante attaque”. Ils se délectent des images d’émeutes et de combats de rue contre la police, des feux allumés et du pillage, de la destruction des magasins. Comme avec la politique des Neo-anarchistes du mouvement Occupy, le point de lutte est généralement vu comme étant la rue ou l’espace public, façonnés comme une expérience “d’autonomie”. Mais là où les Neo-anarchistes trouvent la liberté dans l’autogestion de villes de tentes ou de jardins potagers communs, les insurgés d’aujourd’hui semblent la trouver dans l’acte de rébellion lui-même ; dans la démonstration de leur supposée ingouvernabilité. Les insurgés et leurs “équipages” de combat volent de la nourriture pour la distribuer à ceux qui ont faim et repoussent les flics quand ceux-ci essaient de les en empêcher et de les arrêter.

Il est bien évident que c’est bien de nourrir quelqu’un qui a faim et nous n’avons aucune objection à enfreindre la loi, mais ceci est néanmoins une étrange notion de la liberté. Cela assume la permanence insurmontable d’une société fondée sur l’existence des patrons, des gouvernements et des commodités. Ceci propose que nos agissions comme si le capital et l’État ne puissent jamais être renversés au travers de la transformation concrète des relations sociales en production. Les choses ne peuvent pas être changées, elles ne peuvent qu’être  détournées ou défiées.

Les plus myopes des supporteurs de l’insurrection voient les émeutes, l’assassinat et la destruction de la propriété comme une sorte de propagande de l’exemple à suivre ou autrefois appelée “propagande par le fait”. Ceci vise à déclencher des évènements par des minorités courageuses dans l’espoir que tout ceci spirale en insurrection généralisée contre le gouvernement ; nous libérant de la banalité d’une vie passée à travailler et de tout risquer dans un “retour à la normalité”. 

Avec la rébellion suite à l’affaire de George Floyd (NdT : générant le mouvement Black Live Matters, lui même se retrouvant politiquement infiltré et neutralisé à terme, il ne représente plus aucun danger pour le système, il a été neutralisé de l’intérieur), la politique de l’anarchisme insurrectionnel fut mise à rude épreuve. Les insurgés furent présentés à une émeute nationale qui échappa à la légalité et au contrôle de toute organisation. Des commissariats furent attaqués et des magasins pillés. Une coalition multi-raciale de la classe travailleuse envahit la rue, coude à coude, pour faire face aux flics. Dans la dite “Zone Autonome de Capitol Hill” ou ZACH (NdT : ou CHAZ en anglais), un très vaste voisinage fut déblayé de toute présence policière et il y fut établi un espace pour projets communs coopératifs (comme un potager communautaire “Noir et Indigène seulement”, ainsi qu’une esplanade à micro ouvert constant pour le libre échange de paroles et d’idées.

La CHAZ / ZACH (qui ne fut jamais en fait capable de se développer au delà d’une assemblée anti-flic…) a très rapidement stagné, en n’ayant pas d’autre but que celui de maintenir l’occupation de l’espace public. Les groupes d’affinité tentèrent de maintenir la rage, mais furent bien incapables d’encourager et de canaliser la rébellion dans une direction révolutionnaire.

Les choses se terminèrent rapidement dans le chaos et le désastre. Tous les barjots et aventuriers possibles furent attirés dans l’affaire. Des notions libérales de “privilège politique”, une compréhension très superficielle de la domination fondée sur l’identité, furent promues de manière agressive, minimisant les nouveaux liens créés de solidarité. Finalement, quelques individus armés (s’étant eux-mêmes nommés comme “la patrouille”) tirèrent sur et tuèrent quelques jeunes ados afro-américains qui faisaient les cons en voiture. Dans le brouillard de l’incertitude, de vagues rapports apparurent dans les réseaux sociaux, excitant ceux qui mettent sur le même plan l’usage des armes et le militantisme. Les tueries furent initialement louées dans certains cercles insurrectionnels de l’internet comme étant un bon exemple “d’auto-défense révolutionnaire” contre des “infiltrés de l’extrême-droite”.

A suivre…

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 

GJVH

Post modernisme, post-structuralisme, post-anarchisme, pour que les néologismes n’entretiennent ni la confusion ni la division (avec Saul Newman) 2ème partie

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, économie, crise mondiale, démocratie participative, documentaire, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , on 18 octobre 2022 by Résistance 71

Saul_Newman

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

“La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes.”
~ Pierre Clastres, directeur de recherche en anthropologie politique au CNRS, 1974 ~

La politique du post anarchisme

Saul Newman

2010

Traduit de l’anglais par Résistance 71 

1ère partie

2ème partie

Le rôle du généalogiste est de “réveiller sous la forme des institutions et législations, le passé oublié des véritables luttes, des victoires ou défaits masquées, le sang qui a séché sur les codes de la loi.” Dans les institutions, lois et pratiques que nous tenons pour garanties ou que nous voyons comme naturelles ou inévitables, il y a une condensation de luttes et d’antagonismes violents, qui ont été réprimés. Par exemple, Jacques Derrida a montré que l’autorité de la loi est basée sur une gestuelle fondatrice de la violence qui a été désavouée. La loi doit être fondée sur quelque chose qui pré-existe, qui lui est antérieur, et par conséquent ses fondations sont par définitions illégales. Le secret de l’être de la loi doit donc être une sorte d’illégalité désavouée, un crime originel ou acte de violence qui amène le corps de la loi dans l’existence et qui est maintenant caché dans ses structures symboliques. En d’autres termes, les institutions politiques et sociales ainsi que les identités doivent être vues et perçues comme ayant des origines politiques, c’est à dire antagonistes , plutôt que des origines naturelles.

Ces origines politiques ont été réprimées au sens psycho-analytique, c’est à dire qu’elles ont été “placées autre part” plutôt qu’entièrement éliminées et peuvent toujours être réactivées une fois que le sens de ces institutions et de ces narratifs est contesté. Alors que l’anarchisme devrait partager cet engagement déconstructeur avec l’autorité politique, il a rejeté la théorie du contrat social de l’État, par exemple et souscrit toujours à la vision dialectique de l’histoire. Le développement social et politique est vu comme étant déterminé par le déroulement d’une essence sociale rationnelle et des lois historiques et naturelles immuables. Le problème est que si ces lois immuables déterminent les conditions de la lutte révolutionnaire, il y a alors très peu de place pour regarder le politique comme contingent et indéterminé.

De plus, la critique généalogique pourrait aussi être étendue aux “institutions et relations naturelles” que les anarchistes voient comme étant opposées à l’ordre du pouvoir politique. Parce que la généalogie regarde l’histoire comme un clash de représentations et un antagonisme de forces, dans lequel les relations de pouvoir sont inévitables, ceci déstabiliserait toute identité, structure ou institution, même celles qui pourraient exister dans une société anarchiste post-révolutionnaire. 

Ces quatre problématiques qui sont centrales au post-structuralisme / analyse discursive, ont des implications fondamentales pour la théorie anarchiste : si l’anarchisme veut être théoriquement efficace aujourd’hui, s’il veut s’engager pleinement dans les luttes contemporaines politiques et d’identités, il doit abandonner le cadre humaniste des Lumières dans lequel il est articulé, ses discours essentialistes, sa compréhension positiviste des relations sociales et sa vision dialectique de l’histoire. En lieu et place, il doit complètement assumer la contingence de l’histoire, l’indétermination de l’identité et la nature antagoniste des relations socio-politiques. En d’autres termes, l’anarchisme doit suivre sa vision intérieure de l’autonomie de la dimension politique jusqu’à ses implications logiques et voir le politique comme un domaine constitutif ouvert de l’indétermination, de l’antagonisme et de la contingence, sans les garanties de la réconciliation dialectique et de l’harmonie sociale.

La problématique post-anarchiste

-[]- Le post-anarchisme peut donc être vu comme la tentative de corriger la théorie anarchiste le long de lignes non-essentialistes et non-dialectiques, par l’application et les développement de visions en provenance du post-structuralisme / analyse discursive qui est précisément la théorisation de l’autonomie et de la spécificité du domaine politique et la critique déconstructive de l’autorité politique. Ce sont ces aspects cruciaux de la théorie anarchiste qui doivent être mis en lumière et dont les implications doivent être explorées. Elles doivent être libérées des conditions épistémologiques qui, bien qu’elles leur ont donné originellement naissance, maintenant les restreignent. Le post-anarchisme accomplit ainsi une opération de sauvetage de l’anarchisme classique, tentant d’extraire son centre vital de l’autonomie du politique et d’explorer ses implications pour une politique radicale contemporaine. -[]-

La force de cette intervention post-anarchiste est venue de mon point de vue, du fait que la théorie anarchiste était centrale au post-structuralisme, mais aussi que le post-structuralisme lui-même était central à l’anarchisme. Cela veut dire que l’anarchisme a permis, comme je l’ai suggéré, la théorisation de l’autonomie du politique avec ses multiples sites de pouvoir et de domination ainsi que ses multiples identités et sites de résistance au delà du cadre économique réductionniste marxiste. Mais, comme je l’ai aussi argumenté, les implications de ces innovations théoriques furent restreintes par les conditions épistémologiques du temps, à savoir les idées essentialistes au sujet de la subjectivité, la vision déterministe de l’histoire et les discours rationnels des Lumières.

A son tour, le post-structuralisme est, du moins dans son orientation politique, fondamentalement anarchiste, particulièrement son projet déconstructiviste de démasquer et de déstabiliser les institutions de l’autorité et ses pratiques de contestation du pouvoir qui sont dominantes et exclusives. Le problème du post-structuralisme fut que, tandis qu’il impliquait un engagement politique anti-autoritaire, il manquait non seulement de contenu explicite politico-ethnique, mais aussi d’un compte adéquat de l’agencement individuel. Le problème central avec Foucault par exemple, était que si le sujet est construit par les discours et les relations de pouvoir qui le dominent, comment fait-il exactement pour résister à cette domination ? C’est pourquoi amener ensemble l’anarchisme et le post-structuralisme devait explorer les façons par lesquelles chacun pouvait mettre en valeur et s’occuper des problèmes théoriques de l’autre.

Par exemple, l’intervention post-structuraliste dans la théorie anarchiste a montré que l’anarchisme avait une faiblesse, un “point aveugle” : il ne reconnaissait pas les relations de pouvoir cachées et l’autoritarisme potentiel des identités essentialistes et des cadres épistémologiques et discursifs, qui ont formé la base de sa critique de l’autorité. L’intervention anarchiste dans la théorie post-structuraliste, d’un autre côté, a exposé ses faiblesses politiques et éthiques et en particulier, les ambigüités d’expliquer agencement et résistance dans le contexte de relations de pouvoir intégralement imbriquées.

Sur ces problèmes théoriques centrés autour de la question du pouvoir : il fut trouvé que tandis que l’anarchisme classique était capable de théoriser, dans le sujet essentiel révolutionnaire, une identité ou endroit de résistance en dehors de l’ordre du pouvoir, ce sujet fut prouvé, dans des analyses subséquentes, être imbriqué dans les relations de pouvoir qu’il conteste ; alors que le post-structuralisme tout en exposant précisément cette complicité entre le sujet et le pouvoir, n’avait pas de point de départ théorique, un extérieur, depuis lequel critiquer le pouvoir. Ainsi, le dilemme théorique que j’ai tenté de résoudre en partant de Bakounine et de Lacan, fut que, alors que nous devons assumer qu’il n’y a pas d’extérieur essentialiste au pouvoir, pas de terrain ferme ontologique ou épistémologique pour une résistance, au delà de l’ordre du pouvoir, la politique radicale a néanmoins besoin d’une dimension théorique en dehors du pouvoir et une certaine notion d’agencement radical qui n’est pas totalement déterminé par le pouvoir. J’ai exploré l’émergence de cette aporie, découvrant deux “cassures épistémologiques” centrales dans la pensée politique radicale.

La première fut trouvé dans la critique de l’humanisme des Lumières par Max Stirner, qui a formé la base théorique de l’intervention post-structuraliste au sein de la tradition anarchiste elle-même. La seconde fut trouvée dans la théorie de Jacques Lacan, dont les implications allèrent au delà des limites conceptuelles du post-structuralisme, faisant remarquer les déficiences dans les structures de pouvoir et de langage et la possibilité d’une notion indéterminée radicale de l’agencent émergeant de cette carence.

Donc, le post-anarchisme n’est pas tant un programme politique cohérent qu’une problématique anti-autoritaire qui émerge généalogiquement, c’est à dire, au travers de toute une série de conflits et d’apories théoriques, d’une approche post-structuraliste de l’anarchisme (ou de fait, une approche anarchiste du post-structuralisme). Mais le post-anarchisme implique aussi une large stratégie d’interrogation et de contestation des relations de pouvoir et de hiérarchie, de la découverte de sites auparavant invisibles de domination et d’antagonisme. En ce sens, le post-anarchisme peut être vu comme un projet politico-éthique ouvert de décontraction de l’autorité. Ce qui le distingue de l’anarchisme classique est qu’il est politique non-essentialiste. C’est à dire que le post-anarchisme ne se repose plus sur une identité essentielle de résistance et n’est plus ancré dans les épistémologues des Lumières ou des garanties ontologiques du discours humaniste.

Son ontologie est plutôt ouverte constitutivement à d’autres et pose un horizon radical vide et indéterminé, qui peut inclure une pluralité de différentes luttes politiques et d’identités. En d’autres termes, le post-anarchisme est un anti-autoritarisme qui résiste le potentiel totalisant d’un discours fermé ou d’une identité. Ce qui ne veut bien sur pas dire que le post-anarchisme n’a pas de contenu éthique ou de limites. De fait, son contenu politico-éthique peut même être fourni par des principes émancipateurs traditionnels de liberté et d’égalité, principes dont la nature irréductible et inconditionnelle fut affirmée et reconnue par l’anarchisme classique. Mais le point est que ces principes ne sont plus ancrés dans une identité fermée mais deviennent des “signifiants vides”, ouverts à un nombre de différentes articulations décidées de manière contingente au cours de la lutte.

De nouveaux défis : La bio-politique et le sujet

Un des défis centraux de la politique radicale d’aujourd’hui serait la déformation de l’état-nation en un état bio-politique ; une déformation qui, paradoxalement, montre son vrai visage. Comme l’a montré Giorgio Agamben, la logique de la souveraineté, au delà de la loi, et la logique de la bio-politique, se sont recoupées sous la forme de l’état moderne. Ainsi, la prérogative de l’État est de réguler, de contrôler et de policer la santé biologique de ses populations internes. Comme l’a argumenté Agamben, cette fonction produit une forme particulière de subjectivité, ce qu’il appelle Homo nacer, ce qui est défini par la forme de “simple vie” ou la vie biologique dépouillée de sa signification politique et symbolique, ainsi que par le principe de meurtre légal, ou meurtre en toute impunité.

De manière paradigmatique serait la subjectivité du réfugié et des camps d’internement des réfugiés, que nous voyons émerger de partout. Dans ces camps, une nouvelle forme arbitraire de pouvoir est directement exercée sur la vie dénudée des détenus. En d’autres termes, le corps du réfugié, qui a été dépouillé de tous droits politiques et légaux, est le point d’application d’un bio-pouvoir souverain. Mais le réfugié n’est qu’emblématique au statut bio-politique auquel nous sommes tous peu à peu réduits. En fait, ceci mène vers un nouvel antagonisme qui émerge comme étant central à la politique.

Une critique post-anarchiste serait dirigée sur précisément ce lien entre le pouvoir et la biologie. Ce n’est pas suffisant de simplement affirmer les droits humains du sujet contre les incursions du pouvoir. Ce qui doit être examiné de manière critique est la façon par laquelle certaines subjectivités humaines sont construites comme conduits du pouvoir.

Le vocabulaire conceptuel pour analyser ces nouvelles formes de pouvoir et subjectivité n’auraient pas été disponibles à l’anarchisme classique. Mais, même dans ce nouveau paradigme de pouvoir de la soumission, les motivations et implications éthiques et politiques de l’anarchisme pour remettre en question l’autorité, aussi bien que son analyse de la souveraineté de l’État, qui ont été au delà d’explications de classes, continuent d’être valides aujourd’hui. Le post-anarchisme est novateur parce qu’il combine ce qui est crucial dans la théorie anarchiste avec une critique post-structuraliste / analyse discursive de l’essentialisme. Ce qui en résulte est un projet ouvert anti-autoritaire politique pour le futur.

QuintetA

Le texte complet de Saul Newman en PDF superbement réalisé par Jo :

Saul-Newman-la-politique-du-post-anarchisme

Notes :

[1] See David Graeber’s discussion of some of these anarchistic structures and forms of organization in “The New Anarchists,”New Left Review 13 (Jan/Feb 2002): 61–73.

[2] Ernesto Laclau and Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics. London: Verso, 2001. p. 159.

[3] Ibid., p. 160.

[4] Mikhail Bakunin, Political Philosophy: Scientific Anarchism, ed. G. P Maximoff. London: Free Press of Glencoe. p. 221.

[5] See Murray Bookchin, Remaking Society, Montreal: Black Rose Books, 1989. p. 188.

[6] The last two in particular have remained resistant to poststructuralism/postmodernism. See, for instance, John Zerzan, “The Catastrophe of Postmodernism,”Anarchy: A Journal of Desire Armed (Fall 1991): 16–25.

[7] See Jean-Francois Lyotard, The Postmodern Condition: a Report on Knowledge. Trans. Geoff Bennington and Brian Massumi. Manchester: Manchester University Press, 1984.

[8] See Judith Butler, Ernesto Laclau and Slavoj Zizek, Contingency, Hegemony, Universality: Contemporary Dialogues on the Left. London: Verso. pp. 112–113.

[9] See Gilles Deleuze and Felix Guattari. Anti-Oedipus: Capitalism and Schizophrenia. Trans. R. Hurley. New York: Viking Press, 1972. p. 58.

[10] For a comprehensive discussion of the political implications of this Lacanian approach to identity, see Yannis Stavrakakis, Lacan and the Political. London: Routledge, 1999. pp 40–70.

[11] Peter Kropotkin, for instance, believed that there was an natural instinct for sociability in men, which formed the basis for ethical relations; while Bakunin argued that the subject’s morality and rationality arises out of his natural development. See, respectively, Peter Kropotkin, Ethics: Origin & Development. Trans., L.S Friedland. New York: Tudor, 1947; and Bakunin, Political Philosophy, op cit., pp. 152–157.

[12] Michel Foucault. Discipline and Punish: The Birth of the Prison. Trans. A. Sheridan. Penguin: London, 1991. p. 30.

[13] Michel Foucault, “Nietzsche, Genealogy, History,”in The Foucault Reader, ed. Paul Rabinow. New York: Pantheon, 1984. 76–100. p. 83.

[14] Michel Foucault, “War in the Filigree of Peace: Course Summary,”trans. I. Mcleod, in Oxford Literary Review 4, no. 2 (1976): 15–19. pp. 17–18.

[15] See Jacques Derrida, ‘Force of Law: The Mystical Foundation of Authority,’in Deconstruction and the Possibility of Justice, ed. Drucilla Cornell et al. New York: Routledge, 1992: 3–67.

[16] See Jacob Torfing, New Theories of Discourse: Laclau, Mouffe and Zizek, Oxford: Blackwell, 1999.

[17] The question of whether Lacan can be seen as ‘poststructuralist’or ‘post- postructuralist’forms a central point of contention between thinkers like Laclau and Zizek, both of whom are heavily influenced by Lacanian theory. See Butler et al. Contingency, op. cit.

[18] This notion of the “empty signifier”is central to Laclau’s theory of hegemonic articulation. See Hegemony, op. cit. See Ernesto Laclau, “Why do Empty Signifiers Matter to Politics?”in The Lesser Evil and the Greater Good: The Theory and Politics of Social Diversity, ed. Jeffrey Weeks. Concord, Mass.: Rivers Oram Press, 1994. 167–178

[19] See Giorgio Agamben, Homo Sacer: Sovereign Power and Bare Life. Trans., Daniel Heller- Roazen. Stanford, Ca: Stanford University Press, 1995.

[20] As Agamben argues: : “The novelty of coming politics is that it will not longer be a struggle for the conquest or control of the State, but a struggle between the State and the non-State (humanity)…”Giorgio Agamben, The Coming Community, trans., Michael Hardt. Minneapolis: University of Minnesota Press, 1993. p. 84.

= = =

Lectures complémentaires :

“Manifeste pour la société des sociétés” (Résistance 71)

“Anthropologie politique, résolution de l’aporie de Pierre Clastres” (Résistance 71)

“La généalogie de la morale”, Friedrich Nietzsche

“L’entraide, facteur de l’évolution”, Pierre Kropotkine

« L’appel au socialisme », Gustav Landauer

Notre page “Anthropologie politique”

a-mour-rien

Lire, analyser, comprendre pour un changement faste de notre société, 8ème partie : Anarchie et société des sociétés et pause estivale 2022 (Résistance 71)

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, documentaire, gilets jaunes, militantisme alternatif, N.O.M, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, technologie et totalitarisme, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , on 2 août 2022 by Résistance 71

lecture1

« C’est notre conviction et notre mode de pratique que pour se rebeller et lutter, aucun leader, patron, messie ou sauveur n’est nécessaire. Pour lutter, les gens ont besoin d’un sens de la honte, d’un peu de dignité et de beaucoup d’organisation. Pour le reste… Cela sert le collectif… ou pas. »
~ SCI Marcos ~

Résistance 71

2 août 2022

1ère partie : introduction
2ème partie : Histoire, anthropologie et archéologie
3ème partie : Science
4ème partie : religion et philosophie
5ème partie : spirituel et arts
6ème partie : analyse politique
7ème partie : colonialisme
8ème partie : anarchie et société des sociétés

Nous vous laissons avec une saine lecture pour les semaines à venir, Résistance 71 se met en veilleuse, pause estivale jusqu’à la première semaine de septembre. Dans ce dernier segment de lecture, nous récapitulons nos pages sur la pensée et la pratique anarchistes menant vers l’avenir de notre société humaine, celui de la société des sociétés émancipée de toutes les escroqueries et impostures étatico-marchandes.
Nous le disons et répétons sans cesse : il n’y a a et ne saurait  avoir de solution au sein du système, la seule option viable pour l’humanité est de se départir du paradigme de contrôle tyrannique et mortifère mis en place depuis des siècles et arrivant au bout du bout du banc et ayant la volonté de se métamorphoser une énième fois en ce monstre froid au nouveau visage, celui de la dictature technotronique, déjà en phase avancée. Il suffit de dire NON ! et de reprendre notre liberté individuellement et collectivement, liberté usurpée il y a bien longtemps, au point que plus personne ne se rappelle de quoi il s’agit vraiment.
Quelques lectures pour vous en rappeler, et comprendre pourquoi et comment agir !…
Solidarité Union Persévérance Réflexion Action (directe), devenons S.U.P.R.A résistants au Nouvel Ordre Mondial qui pense et met en place notre extermination et esclavagisme post-modernes.
A la rentrée, nous publierons quelques textes essentiels sur la reconquête de la spiritualité pour une société équilibrée avec les pensées lumineuses de Gustav Landauer et de Simone Weil, pour que le « souffle du dragon » revigore notre société décadente et sans esprit aucun et la mène enfin vers sa réalité universelle de diversité, de complémentarité et de bien-être doucereux pour toutes et tous.

A lire et diffuser sans aucune modération pour mieux comprendre anarchie et société des sociétés :

Les pages ci-dessus contiennent déjà un grand nombre de lectures en format PDF, ci-dessous, 10 textes à notre sens vitaux pour aider à la facilitation d’un changement radical de paradigme politique et notre émancipation finale :

yin-yang_univers

cerveau_gratuit