Résister à l’hégémonie oligarchique: Emma Goldman et la lutte de terrain…

«Le communiste moyen, qu’il soit fidèle à Trotsky ou à Staline, connaît à peu près autant la littérature anarchiste et ses auteurs que, disons, un catholique connaît Voltaire ou Thomas Paine. L’idée même que l’on doit s’enquérir de la position de ses adversaires politiques avant de les descendre en flammes est considérée comme une hérésie par la hiérarchie communiste.» (Emma Goldman)

 

A propos d’Emma Goldman

 

Yves Coleman

Ni Patrie Ni Frontières, 2002

 

EMMA GOLDMAN (1869-1940) est un personnage de premier plan de l’histoire de l’anarchisme et du féminisme. Née en Russie sous le tsarisme, elle connaît dès son enfance les pogroms antisémites, la répression sanglante contre les populistes russes et travaille à l’âge de 15 ans comme ouvrière, suite aux revers de fortune de ses parents. Refusant le mariage que veut lui imposer son père, elle s’enfuit à 16 ans aux États-Unis où elle épouse brièvement un Américain, ce qui lui permet de s’établir dans le pays et d’être naturalisée.Révoltée par la pendaison de cinq anarchistes à Chicago en 1887, elle s’investit à fond dans le mouvement libertaire local. Militante infatigable, oratrice talentueuse, elle sillonne les États-Unis pendant plus de vingt ans afin de récolter des fonds pour diverses causes et défendre ses idées. «Emma la Rouge», comme l’appelle la grande presse, combat pour le droit des femmes à l’égalité et à l’indépendance. Elle aide les ouvrières dans leur lutte pour s’organiser en syndicats et obtenir la journée de 8 heures. Vivant chichement de toutes sortes de petits boulots, elle collectionne les arrestations et les peines de prison à cause de ses discours sur la contraception, puis plus tard contre la guerre. Emma Goldman irrite les féministes américaines qui ne comprennent pas pourquoi elle refuse de combattre pour le droit de vote des femmes et qui sont scandalisées par ses positions sur l’amour libre, contre le mariage et pour la révolution sociale. Et elle exaspère aussi certains de ses camarades anarchistes: elle ira jusqu’à fouetter, à la tribune d’un meeting, le grand dirigeant anar de l’époque, Joachim Most, avant de quitter dignement la salle, parce que Most refusait de soutenir Alexandre Berkman condamné à 22 ans de prison après avoir tenté d’assassiner un patron de choc.

Avec Berkman, Emma Goldman anime pendant seize ans un hebdomadaire d’agitation Mother Earth (La Terre Mère) qui lui occasionne bien des déboires avec la police et la justice. Son opposition résolue à la conscription obligatoire et ses positions antimilitaristes durant la Première Guerre mondiale lui valent une condamnation à deux ans d’emprisonnement. Elle est ensuite déchue de sa nationalité américaine (pour y parvenir, le gouvernement américain ira jusqu’à dénaturaliser son premier mari!) et expulsée des États-Unis en 1919 en compagnie de 248 autres militants russes, ouvriers anarchistes pour la plupart. Après un séjour de deux ans en URSS, elle perd toute illusion sur le bolchevisme et réussit à quitter la «patrie du socialisme» avant d’y laisser sa peau. Elle vit alors en Angleterre, en Espagne et enfin au Canada où elle continue, dans des conditions d’extrême précarité, son combat pour la révolution jusqu’à sa mort, en 1940.

La vérité sur le bolchevisme est paru dans Mother Earth en 1918. Cet article très permet de comprendre pourquoi certains libertaires, dont Emma Goldman, ont soutenu avec enthousiasme Lénine et les bolcheviks au début de la révolution.

Comment j’ai perdu mes illusions sur la Russie (1923), est la postface d’un livre qui constitue le pendant du Mythe bolchevik d’Alexandre Berkman, puisque les deux auteurs se trouvaient à la même époque en Russie. Ce chapitre offre un point de vue plus général sur la Russie, la révolution et l’anarchisme. Malgré ses faiblesses évidentes (notamment sa croyance en la «virginité» politique du peuple russe et en son «instinct» révolutionnaire), ce texte démontre qu’il n’y avait pas besoin d’attendre L’Archipel du Goulag et les années 70 pour savoir ce qui se passait en URSS… et le dénoncer d’un point de vue révolutionnaire.

Le communisme n’existe pas en Russie a été écrit en 1935.

Trotsky proteste beaucoup trop… a été publié en 1938 sous forme de brochure à Glasgow, en Écosse, par la Fédération anarchiste communiste (Anarchist Communist Federation) et constitue une réponse à un article de Trotsky publié la même année.

Emma Goldman parle d’abord en témoin, puisqu’elle a séjourné en URSS entre décembre 1919 et octobre 1921, à un moment charnière de l’histoire de la révolution. Sans se perdre dans des considérations théoriques fumeuses, elle va droit à l’essentiel: les conditions de vie de la population, la mobilisation des ouvriers et des paysans contre la dictature du Parti bolchevik, la solidarité entre les marins de Cronstadt et les ouvriers affamés de Petrograd. Elle démonte également certains mécanismes de ce qu’il faut bien appeler L’École trotskyste de déformation de l’histoire, école qui continue à sévir de nos jours, bien que les groupes se réclamant de l’Opposition de gauche puis de la Quatrième Internationale aient été eux-mêmes victimes d’une longue campagne de calomnies (et d’assassinats) menée par les partis staliniens.

Tout en polémiquant sans pitié avec Trotsky, Emma Goldman exprime son empathie vis-à-vis des dures épreuves personnelles que son adversaire politique a traversées, attitude suffisamment rare pour être soulignée. Elle n’oublie jamais qu’elle débat avec un être humain, et se garde de le démoniser, comme c’est le cas si souvent dans les débats politiques.

Ce texte se termine par quelques lignes sur la guerre d’Espagne, durant laquelle Emma Goldman déploya tous ses efforts pour soutenir les anarchistes, sans pour autant leur ménager ses critiques («Dès le moment où les dirigeants de la CNT-FAI sont entrés dans les ministères et se sont soumis aux conditions imposées par la Russie soviétique en échange de quelques armes, j’ai pressenti le prix que nos camarades allaient inévitablement payer (…). La participation des anarchistes au gouvernement et les concessions faites à la Russie ont causé un dommage presque irréparable à la révolution», juillet 1937, «L’Espagne et le monde»).

Puissent ces quatre textes d’Emma Goldman sur la révolution russe contribuer à faire réfléchir ceux qui, encore aujourd’hui, croient qu’un Parti omniscient peut se substituer à la classe ouvrière pour faire son bonheur…

Une Réponse to “Résister à l’hégémonie oligarchique: Emma Goldman et la lutte de terrain…”

  1. « le droit à la contraception » – puis aux hormones à la ménopause et éventuellement au cancer ……..

    Il faut connaitre l’histoire de cette fameuse contraception, d’abord sur des animaux, puis sur des femmes pauvres …….. Bonjour les dégâts ……..

    Pourquoi refuse-t-on la stérilisation, à ceux ou celles qui le désirant ?

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