Illusions démocratiques: De votards à communards ou la passion de la liberté !

Dans la « ferveur » du grand cirque  électoral, qui une fois de plus étreint notre nation inepte, vouée depuis des lustres au culte marchand et à ses idoles de sang et d’airain(tement), nous avons décidé de publier une petite trilogie de textes à la fois sulfureux, pertinents et truculents, textes qui émanent d’une des dernières plumes critiques francophones digne de ce nom: Raoul Vaneigem.

Connu pour sa participation à l’Internationale Situationniste de la fin des années 1960 et du début des années 70, ce grand écrivain critique belge nous laisse un véritable trésor littéraire à (re)découvrir. Auteur en 1967 de son célèbre « Traité de Savoir-Vivre pour les jeunes générations« , long essai qui inspira tant le mouvement de 1968 avec son pendant situationniste du compère Guy Debord et sa « Société du Spectacle » ; Vaneigem continua à gratifier l’humanité d’autres excellents ouvrages et essais tels que: « Adresse aux vivants sur la mort qui les gouverne et la possibilité de s’en défaire » (1992), « De l’inhumanité de la religion » (1999), « Pour une internationale du genre humain » (2000) et le remarquable « Pour l’abolition de la société marchande-Pour une société vivante » (2002).

Nous avons choisi de reproduire trois essais de Raoul Vaneigem, trois textes courts qui ne manqueront pas d’interpeller les consciences et titiller cette créativité solidaire qui est partie intégrante de notre nature humaine, pourtant si habilement ensevelie sous les couches multiples des déjections nauséabondes de la société marchande/spectacle, par une pseudo-élite inepte, parasitaire et autoproclamée.

Le premier essai s’intitule « Vive la Commune ! » (2007)

Le second essai: « La gratuité est l’arme absolue contre l’économie » (2011)

Le troisième essai: « Par delà l’impossible » (Avril 2012)

 

Bonne lecture et puisse l’inspiration politique ressurgir de vide intersidéral proposé par nos pathétiques « démocraties représentatives » où le citoyen est réduit depuis 1789 ou peu s’en faut (1776 aux Etats-Unis), à l’état de serf / électeur et de serf / contribuable… Non seulement nous méritons mieux que cela… mais nous SOMMES mieux que cela ! La Commune invoquée ici par Vaneigem (non pas celle de 1871…) en est une autre preuve s’il en fallait encore une…

— Résistance 71 —

 

Vive la Commune !

 

par Raoul Vaneigem

 

Décembre 2007

 

url de l’article original:

http://www.lavoiedujaguar.net/Vive-la-Commune

 

Nous vivons dans la clarté de l’obscur. Ce que le spectacle du monde nous montre sous les feux quotidiens de la rampe n’est qu’une mise en scène du totalitarisme marchand. Il occulte le désir de vivre, présent en chacun, pour lui substituer le désir de rentabiliser l’absence de vie.

C’est à peine si la presse des arrogantes démocraties européennes a consacré quelques lignes à l’insurrection d’Oaxaca. Jamais les journalistes qui se revendiquent de la liberté d’expression n’ont si unanimement manifesté par leur servilité leur mépris des libertés individuelles. Leur obédience à l’affairisme planétaire écarte sans scrupule ce qui est par essence scandaleux : la gratuité dont se revendique la générosité humaine. L’économie, la course à l’argent et au pouvoir, voilà le leitmotiv de la misérable représentation médiatique où hommes, femmes et enfants sont conditionnés à devenir les spectateurs de leur propre déchéance.

L’empire de la marchandise a mis la résignation et la lâcheté au rang des vertus. Quelle gifle à la veulerie occidentale que l’audace des habitants d’Oaxaca s’insurgeant contre un gouverneur corrompu dont les exactions ne diffèrent pas de celles que nous connaissons dans la vertueuse Europe, si ce n’est qu’il est d’usage au Mexique que les policiers municipaux et les escadrons paramilitaires tirent sur les mécontents. Ici, les patrons escroquent ouvertement le bien public sans avoir à recourir aux tueurs tant le fatalisme et le désespoir des masses travaillent en leur faveur. On comprend qu’exalter, analyser, voire se borner à mentionner l’exemple d’Oaxaca relèvent de l’incongruité pour ceux qui font métier d’informer.

À nous d’apprendre que les manifestations de la vie n’ont aucune chance de se transmettre par le biais d’une parole asservie aux impératifs marchands.

L’aspiration à vivre pleinement appartient aux faits qui ne se laissent ni corrompre ni effacer totalement. Seule la conscience d’une solidarité avec ce que nous avons en nous et entre nous de plus vivant et de plus humain peut briser les chaînes d’une oppression que la peur et le mépris de soi forgent partout.

Rien n’est plus important aujourd’hui que de faire savoir aux individus qu’ils ne sont pas seuls quand ils récusent le désespoir, retrouvent l’audace et avancent avec la détermination de construire leur vie en libérant les territoires quadrillés et dévastés par le totalitarisme marchand.

Nous n’avons tiré aucune leçon de l’histoire, disent ceux qui se complaisent dans leur rôle d’éternelles victimes. L’évolution du monde semble leur donner raison. À défaut d’instaurer des valeurs nouvelles, fondées sur la vie et sur la détermination d’en assurer la souveraineté, nous sommes confrontés à un vide où s’engloutissent pêle-mêle les valeurs patriarcales et le souvenir des luttes entreprises contre l’État, l’armée, la police, la religion, les idéologies.

Le travail, où l’on « perd sa vie à la gagner », exerce aujourd’hui un double effet de nuisance par sa raréfaction et par son investissement croissant dans les services parasitaires. En effet, ceux qui célèbrent sa vertu et font miroiter, en garantissant plus d’emplois, l’espérance d’un bonheur consommable sont les mêmes qui ferment les usines parce que les actionnaires tirent moins de profit du travail que de la Bourse. Dans le même temps, les agioteurs font du travail inutile l’instrument de leur enrichissement. Ils sacrifient la production de matières premières, jadis prioritaire, au profit d’entreprises aussi artificieuses qu’aléatoires dont le jeu spéculatif des actionnaires règle et dérègle le sort, au mépris des salariés. L’Europe qui se targuait d’être le berceau de la démocratie en est devenue le cercueil.

Tout ce qui a démontré sa nuisance par le passé revient comme un remugle d’égout : le libéralisme, cette imposture qui identifie la liberté individuelle à la prédation ; le nationalisme, fauteur de guerres ; le fanatisme religieux ; les détritus du bolchevisme ; les nostalgiques du fascisme.

C’est de l’histoire de leur inhumanité que les hommes ne tirent guère de leçons, réitérant dans une parodie à la fois ridicule et sanglante les pires aberrations du passé. Le prétendu devoir de mémoire, qui nous enseigne les horreurs du passé, les guerres, les massacres, la sainte Inquisition, les pogromes, les camps d’extermination et les goulags, perpétue le vieux dogme religieux d’une impuissance congénitale à vaincre le mal, auquel l’honneur prescrit d’opposer cette éthique qui repose sur le libre arbitre comme un fakir sur une chaise à clous.

Des entreprises hasardées de siècle en siècle en faveur d’une vie meilleure, la mémoire ne retient que leur défaite. Anacharsis Cloots, Jacques Roux, Babeuf, décapités par les jacobins ; la Commune de Paris écrasée par les versaillais ; les conseils ouvriers et paysans liquidés par Lénine et Trotski ; les collectivités libertaires espagnoles détruites par les staliniens. Une défaite, vraiment ?

J’appelle défaite l’étouffement des libertés individuelles par l’individualisme libéral, par le mensonge du nationalisme identitaire, par l’imposture du prétendu communisme, par le socialisme et la démocratie corrompue, par la dictature des libertés économiques. Ne voyez-vous pas que ce qui a été tenté en faveur de la vie et que les armes de la mort ont apparemment vaincu renaît sans cesse ? C’est de son inachèvement que nous devons tirer les leçons car il nous appartient d’aller plus avant.

La Commune d’Oaxaca est, en ce sens, exemplaire. Simple tumulte contre les exactions et les malversations d’un gouverneur, la mobilisation de la population aboutit à la formation d’une Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO) initialement dominée par les politiques, dont les traditionnels détritus léninistes et trotskistes. L’entrée dans l’APPO des barricadiers, de la population urbaine et des communautés indiennes des régions environnantes limite et s’emploie à briser les manœuvres et la mainmise des hommes de pouvoir sur l’assemblée.

Le discours est d’une grande clarté : « Nous voulons ce qui aujourd’hui aux yeux des gouvernements et des patrons criminels et exploiteurs constitue le pire des délits : nous voulons la justice et la dignité, nous voulons ne plus avoir peur d’exprimer nos idées, nous voulons ne plus être victimes de ségrégation pour la couleur de notre peau, notre pensée, notre langue ou nos goûts, nous voulons des aliments sains que nous obtenons par notre travail et ne plus être volés par les riches, nous voulons employer notre énergie créatrice pour le bien commun, nous voulons la libération de nos prisonniers et de nos prisonnières. Nous voulons la liberté de choisir notre façon de vivre et que personne ne nous impose ses mensonges, sa violence et sa manière de gouverner, et nous savons que ce que nous voulons est correct et juste.

Nous voudrions devenir frères et sœurs dans cette lutte par en bas, avec tous ceux et toutes celles qui, à la ville ou dans l’arrière-pays, ont comme nous opposé résistance à tous les maîtres du pouvoir et de l’argent, nous voulons jumeler nos expériences de lutte avec le moindre recoin de notre État, nous voulons dialoguer et échanger avec toutes les femmes et tous les hommes de l’Oaxaca. »

Il serait temps que – réagissant contre la passivité, le manque de créativité, le fatalisme, l’obédience aux bureaucrates politiques et syndicaux – les démocrates européens, avilis, crétinisés, couillonnés par les démocraties corrompues qu’ils ont portées au pouvoir, découvrent dans la volonté d’émancipation qui se manifeste à Oaxaca la conscience de cette dignité humaine qui, de la Révolution française au mouvement des occupations de Mai 1968, n’a cessé de faire entendre ses exigences.

J’appelle à la solidarité avec ceux qui « participent activement au mouvement social actuel et veulent que ce mouvement reste fidèle à ses principes d’autonomie et d’indépendance vis-à-vis des partis politiques, en revendiquant l’assemblée souveraine comme la manière la plus juste et la plus harmonieuse pour réussir à nous comprendre, à nous organiser de façon autonome et à nous autogouverner. Un lieu où les accords du peuple ne se fondent ni sur la prédominance de la majorité sur une minorité ni sur aucune autre façon d’imposer son point de vue comme celle communément exercée par le pouvoir de ceux d’en haut, mais sur le respect mutuel entre toutes les composantes du peuple. L’autonomie entendue comme la construction d’autres réalités montrant qu’il existe une autre manière de changer les choses à la source, dans laquelle les peuples décident de leurs propres modes de vie, et non au sein d’institutions qui ne font que réformer l’oppression et la répression, comme le font les partis politiques qui produisent des tyrans, homme ou femme, des caciques et un autoritarisme chez tous ceux et toutes celles qui y accèdent à travers des postes qui leur confèrent une quelconque autorité. »

C’est cela la démocratie. Elle a toujours voulu être tout. Elle a été quelque chose, en regard des tyrannies qui l’interdisaient. Elle n’est plus rien qu’un hochet entre les mains des multinationales et des intérêts marchands.

L’exploitation et l’inhumanité qu’elle produit n’a pas changé – un esclave mort au travail a toujours permis d’en acheter deux –, elle a seulement gangrené la totalité de la planète. Mais c’est aussi de cette planète dont la vie est menacée avec celle de millions d’êtres vivants que va surgir une Internationale du genre humain. Elle sera confuse, incertaine, tâtonnante ; elle sera, comme disent les zapatistes, non un modèle mais une expérience.

Si condamnées qu’elles soient au mépris, au discrédit, à la clandestinité, la résistance à l’oppression et l’aspiration à une existence heureuse et créatrice n’ont jamais cessé de se manifester. C’est en vain que l’obscurantisme spectaculaire et ses larbins étouffent de leur inanité sonore le fracas des casseroles martelées avec lesquelles les femmes d’Oaxaca sonnent le rappel d’une population armée de sa seule volonté de vivre. Aucun silence ne couvre le bruit des chaînes qui se brisent.

Raoul Vaneigem 
6 décembre 2007

4 Réponses to “Illusions démocratiques: De votards à communards ou la passion de la liberté !”

  1. Hum…
    mais par exemple ce qui n’est pas une illusion c’est que manifestement, les grecs n’en ont pas pris assez dans les dents et signent pour  » l’austérité « .
    A Bruxelles ils sont tordus de rire surement.
    Franchement ras le bol, rien ne changera jamais. C’est à se demander s’il ne faut pas croire que l’on a que ce que l’on mérite.

    • Tant que nous tournerons en rond comme le chien qui court après sa queue, pour trouver une (des) solution(s) au sein du système… Il n’y aura JAMAIS de solution ni dans le court, moyen, ni dans le long terme.
      c’est d’une évidence limpide.
      La solution ne peut venir que dans la gestion organique de notre société par les seuls qui puissent le faire sans délégation de pouvoir: NOUS ! Tant que cela ne sera pas compris et appliqué en parallèle dans un premier temps puis en contre-pouvoir réel autogestionnaire dans un second, rien ne changera JAMAIS ! Ce ne seront pas 100, 200, 500 ou 1000 ans de vote pathétique supplémentaires qui changeront quoi que ce soit. Le pire, c’est qu’au fond d’elle-même, la très vaste majorité des gens le sait… Mais la dissonance cognitive induite depuis des générations remplit sa fonction.

      Rien n’est inéluctable, c’est notre rôle de fourmi que de continuer le travail de sape pour faire péter les digues du consensus du statu quo, faire sauter les verrous qui embastillent la pensée critique source de solidarité, d’égalité, de liberté et surtout… de créativité !!

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