Société contre l’État: Société celtique et gauloise, le « Défi Celtique » d’Alain Guillerm ~ 3ème partie ~

“Loin de constamment s’épuiser en tentant se survivre, la société primitive*, sélective dans la détermination de ses besoins, possède une machine de production capable de la satisfaire amplement, fonctionnant en fait selon le principe connu du: à chacun selon ses besoins. C’est pourquoi l’anthropologue Marshall Sahlins a été capable de parler de la société primitive* comme étant la première société d’abondance.”

~ Pierre Clastres ~

 

* “société primitive” du latin “primere”: premier, originel, donc “société première”, “société originelle”. Le mot “primitif” en anthropologie n’a pas la connotation péjorative du langage courant.

 

Société celtique société contre l’État: à l’origine de la culture européenne

 

“Le Défi Celtique” d’Alain Guillerm, 1986 (larges extraits)

 

Compilés par Résistance 71

 

20 Août 2015

 

Introduction

1ère partie: Les Celtes contre l’État

2ème partie: Les Celtes après l’État

3ème partie: La société celtique

Conclusion de Résistance 71

 

Une société sans classe et sans État ?

 

Récapitulons donc: il ne peut être question dans la société celtique d’une division en classes: aristocratie guerrière, qui devrait en toute logique posséder la richesse foncière d’une part, plèbe “traitée pire que les esclaves” de l’autre. Il s’agit au contraire d’une société indivise, homogène, d’une société Sauvage, antérieure au mode de production esclavagiste, antérieure aussi à l’État. Car l’État, c’est la ville et comme le dit si bien Michelet: “si le monde gallique est celui de la tribu, le monde étrusco-romain est celui de la cité. Quelques savants ont même douté que leurs oppida au temps de César, fussent autre chose qu’un lieu de refuge.” […] Nous nous référons à Pierre Clastres à propos de ses travaux sur la guerre et le guerrier primitif (Note de R71: En anthropologie, le terme “primitif” n’est pas péjoratif comme dans le langage courant. Il provient du latin “primere” qui veut dire “premier” ou “originel”. En terme anthropologique, une “société primitive” est donc une “société première ou originelle”.).

[…]

Nous avons vu qu’on ne pouvait parler ni de monarchie, ni d’aristocratie (ou d’oligarchie) dans la société celtique. Que toutes les tentatives de “royauté” en Gaule ont échoué, comme d’ailleurs le montre si bien Jullian et, peut-on ajouter, qu’elles n’avaient aucune chance de réussir. C’est en vain que Camille Jullian et de nos jours, Paul-Marie Duval, tentent de voir à travers Vercingétorix, un homme d’État en puissance. Qu’il en ait eu les qualités, là n’est pas le problème, problème qui a pourtant suscité une abondante littérature. Le problème de son “échec” devant César ne tient pas à sa valeur personnelle mais à ce que, en aucun cas, Les Gaulois ne voulaient lui obéir car ce mot ne signifiait rien pour eux. Ils consentaient à le suivre quand ils étaient d’accord avec lui, après de longues “palabres”, sinon ils ne le suivaient pas.

La remarquable unité de la Gaule, qui se concrétisa par l’immense “armée de secours” autour d’Alésia, de même qu’auparavant la remarquable unité entre la fédération armorique et la (Grande-)Bretagne lors de la guerre des Vénètes, tout cela indiquait un sentiment d’identité celtique, mais cela n’expliquait pas que les Celtes auraient voulu former un État-Nation unifié sous un monarque. C’est du reste sans doute ce manque de centralisation étatique qui les a perdu face à Rome. C’est d’ailleurs cette intégration qui se produisit finalement, non sans succès mais non sans qu’auparavant les Romains eussent créé en Gaule de toutes pièces une société divisée en classes, base matérielle indispensable à tout État.

Mais pour les Celtes, le jeu n’en valait pas la chandelle. S’il fallait créer un état gaulois pour lutter contre Rome, alors autant se soumettre aux Romains puisque la spécificité de la société celtique par rapport à Rome était justement d’être une société contre l’État !

[…]

Il n’est peut-être pas une société qui ait plus innové que la société celtique. Alors que les sociétés étatiques-esclavagistes antiques stagnaient, s’en remettant au sur-travail servile pour résoudre leurs problèmes, les Celtes, dans le domaine de l’agriculture et de l’artisanat notamment, firent des bonds en avant prodigieux. Ils ont remplacé la jarre par le tonneau, ils ont remplacé la charrue en bois par la charrue à soc de fer; ils ont inventé la salaison, d’où la renommée des jambons et des charcuterie gauloises, adopté la vigne et créé les vignobles, de Bordeaux et de Bourgogne, déjà rivaux dans la fiscalité impériale. C’est à tel point, que pour les Latins, la Gaule paraissait un véritable pays de cocagne.

Sur un point en effet les Celtes semblent trancher avec les Amérindiens de Clastres. Il ne semble pas que “l’oisiveté” des sauvages, tant vantée par les ethnologues modernes (après avoir tant été décriée par les missionnaires !…), soit le propre des peuples celtiques. (Note de R71: ni non plus celui de certaines nations amérindiennes d’Amérique du Nord comme les Iroquois, Algonquins ou les nations des grandes plaines: Lakota, Cheyenne, Arapaho, Kiowa…)

Le refus de l’État chez les Gaulois, ce ne sont pas les fameux “droits à la paresse”, c’est au contraire une production socialement utile tendant à satisfaire le système des besoins. (Note de bas de page de l’auteur: Cette restriction des besoins est un des “reproches” qu’adresse Jean-William Lapierre aux sociétés sans État amérindiennes, cela allant de pair avec la restricton draconienne de la démographie, ce point étant contesté par Pierre Clastres, qui chiffrait la population des Amériques entre 80 et 100 millions de personnes au XVème siècles, soit un quart de la population mondiale…) D’où l’apparition des oppida: pour stocker les biens produits et les mettre à l’abri, d’où aussi l’apparition, face au troc, de l’échange monétaire.

Peut-on alors dans ce cas parler de classes dans le cadre de la société celtique ? Nous ne le croyons pas ; en effet, ici il convient d’être clair: la base de la division d’une société en classes est soit l’existence de l’État coiffant les communautés primitives (cas du despotisme oriental), soit la propriété privée du sol et de la mise en culture par le travail servile (esclavage, servage). Or, ce second cas ne semble pas s’être présenté plus que le premier.

On peut maintenir raisonnablement l’hypothèse de d’Arbois de Jubainville en 1891 et affirmer que les Celtes pratiquaient la culture en commun des terres. […] En fait on ne peut pas expliquer la société celtique, qui ne connaissait pas du tout le Mode de Production Esclavagiste (MPE), sans la propriété collective des sols. Celle-ci postulée, tous les récits des historiographes, y compris César lui-même, s’élucident parfaitement. Cette hypothèse formulée par les marxistes, Engels en 1884 dans son “Origine de la Famille”, Rosa Luxembourg en 1908-1917 dans “l’Introduction à l’économie politique”, autant que le conservateur d’Arbois de Jubainville en 1890 dans ses “Recherches”, est difficilement réfutable: on ne voit pas pourquoi les Celtes, comme les Germains et les Slaves, n’auraient pas connu la propriété collective et pourquoi une révolution aussi radicale que l’introduction de la propriété privée des sols chez eux juste avant la conquête romaine n’aurait pas été remarquée par les historiens grecs ou romains…

Nous pouvons donc légitimement penser qu’en ce qui concerne le régime de la propriété, Celtes et Germains étaient effectivement assimilables, leurs seules différences résidant dans le “degré de civilisation”. En effet, face aux Germains et aux Scythes (Slaves), les Celtes apparaissent aux “Anciens” parmi les “barbares occidentaux”, comme des “barbares porteurs de connaissance, de culture, des inventeurs. Et c’est cela qui nous pose un problème par rapport à l’existence d’une société “indivise”, sans classes et sans État.

[…]

Division du travail et division en classes

Par contre cette ardeur guerrière des Gaulois, des paysans libres portant l’épée et exploitant en commun la terre, n’empêcha pas l’existence d’une profonde division du travail. Mais nous ne pensons pas que la division du travail entraîne la division en classes, il faut l’État pour cela. Les Celtes avaient en effet opéré cette formidable révolution, la plus merveilleuse dans l’histoire de l’humanité, qu’est la division du travail (Note de R71: Nous ne partageons pas cet avis…). La division, tant décriée par certains, entre le travail manuel et le travail intellectuel, entre les druides et les autres, seule cette division a pu donner à la Celtie une vision du monde anti-étatique, une conscience de son unité, une justice non-répressive. Mais au sein des travailleurs manuels, segment qui incluait la quasi-totalité de la population, une différenciation s’est vite établie entre cultivateurs et artisans et au sein de l’artisanat entre une multitude de métiers. Il est certain que c’est au niveau de l’artisanat que s’est produite la seconde révolution monétaire, celle basée non plus sur les dons de prestige des chefs, mais sur la circulation des biens. Nous disons biens et non pas marchandises ! (Note de R71: bonne remarque de Guillerm, en effet le “bien” ou la possession est légitime, le passage du “bien” à la “marchandise” se fait par le truchement du glissement de la “possession” positive à la “propriété” négative, comme l’avait si bien analysé Proudhon…) En effet, il ne semble pas que se soient créées de quelconques classes de marchands, comme il s’en créera d’actives et puissantes chez les Gallo-Romains, qui aient accaparé le commerce des biens artisanaux en un mot: transformé les biens en marchandises.

[…]

Les Druides

Pas de classes différenciées, donc, au sein de la masse des travailleurs libres qui forment l’essentiel de la population. Mais n’y a t’il pas de castes comme celles des guerriers ou des druides ? Commençons donc par cette seconde qui a tant intrigué les historiens anciens et les “romantiques” modernes et voyons si nous pouvons proprement parler de “castes”.

L’essentiel de la formation des druides consistait en vingt ans d’études, qui, dit Régine Pernoud, a donné notre cycle actuel d’éducation du primaire à l’université incluse.

Le recrutement devait être entièrement ouvert, basé avant tout sur le désir d’apprendre et sur l’intelligence des postulants. Par ailleurs la vie d’un travailleur libre et armé (ne l’oublions pas, les Celtes avaient la passion de la guerre) pouvait être plus attirante que celle d’un druide, fonction qui n’entraînait aucun privilège, hormis le fait d’être nourri par la communauté et un indéniable prestige.

[…]

Les druides formaient un clergé “hiérarchisé” “obéissant” à un chef unique, du moins pour toute la Gaule et peut-être aussi la (Grande-)Bretagne, qui détenait l’autorité suprême et qui à sa mort était remplacé par un autre chef désigné par élection.

Ils vivaient au sein des villages, mariés comme tout le monde. Il ne semble pas à ce propos qu’on ait tenté de leur imposer un quelconque célibat comme l’église dut le faire au début du Moyen-Age pour éviter justement que les prêtres ne se transforment en une caste héréditaire.

Peut-on alors dire que le segment de la population que constitue les druides, comme celle des guerriers (equites) pourrait mettre en danger l’indivision de la société celtique ? […]

On sait que les Druides sont des prêtes ou des “chamanes” si l’on veut éviter de se référer au sacerdoce indo-européen (ce que fait Nora Chadwick dans son “The Druids”, Oxford Press, 1966). En fait, pour en rester aux textes antiques, seul Jules César utilise le mot sacerdos à leur propos.

[…]

Tout ce que l’on peut dire c’est que les druides, dotés d’attributions dans des domaines très étendus et du seul pouvoir existant, le spirituel, forment une institution essentielle de la société celtique. Ils en sont le ciment idéologique ou, si l’on préfère, religieux, ces deux mots étant pour nous équivalents. (Note de R71: opinion à débattre bien évidemment !..). D’où l’importance en effet que revêt leur recrutement. Celui-ci avait lieu tout simplement par examens, par une sorte de sélection fort sévère sur les aptitudes intellectuelles qui seules donnent droit d’entrée dans le “collège” des druides.

La capacité devait être limitée, ainsi selon Leroux et Guyonvarc’h, le druide Cathbad avait quelques 150 élèves et seulement “huit de ceux-ci étaient capables de science druidique.” On voit que la sélection est sévère et qu’elle se fait probablement dans les premières années, au début du cycle d’études. Ceux des jeunes garçons qui étaient recalés n’en étaient pas pour autant mal considérés, avoir eu accès au rang d’élève était déjà en soi un signe de distinction, les écoles druidiques visaient à ne former que des druides et étaient le seul système d’instruction à la fois laïc et religieux. Quant au vingt ans d’études, ils se justifient par le système d’attribution, fort étendues, des druides.

Le druidisme n’était pas héréditaire, quoi qu’il arrive qu’un fils de druide le devienne plus aisément qu’un autre, mais pas plus que de nos jours un fils d’universitaire ne devient professeur, il n’était pas non plus électif, ce qui était une grande différence tant avec les “rois” (vergobrets) que les “chefs de guerre”, fonctions, qui pour n’en être pas moins séparées, étaient toutes deux électives. En effet si les Celtes ignorent les charges héréditaires, ils n’en distinguent pas moins les fonctions de “chef”, électives, des fonctions de druides, sélectives. Si l’on sait que le pouvoir du chef de guerre est nul entre deux campagnes (Note de R71: de la même façon que chez les Amérindiens…), ce fut le cas notamment avec Vercingétorix et la souveraineté du vergobret, chef civil, entravée de tellement d’interdits qu’elle en est un non-pouvoir, les druides ne forment-ils pas alors une classe dominante, rompant l’indivision de la société, une classe fondée sur l’équation bien connue savoir = pouvoir et vice versa, se cooptant par des “examens” dont ils fixent les critères un peu à la manière des mandarins chinois ? Hormis le fait que c’est oublier que les mandarins ont derrière eux tout l’appareil d’État, civil et militaire, économique et bureaucratique et tous les moyens de coercition que cela implique, alors que les druides n’eurent rien de tout cela ; c’est aussi oublier que dans une société sans classes, la “sélection” ne se base sur aucun “héritage”, ni matériel, ni culturel.

[…]

Or qu’enseignent les druides ? Littérature, histoire, théologie, sciences de la nature, mathématiques, géographie, astronomie etc… les études druidiques couvrent tout le champ des connaissances alors concevables. Aucune de ces connaissances n’a de base empirique dans ce qui est propre de la connaissance commune celte: la charrue ou l’épée.

Les druides retirés dans des forêts ou des îles peu accessibles pour y dispenser leur enseignement, pouvaient “dresser” leurs élèves, quelle que soit la profession des parents et en faire une “classe” homogène vis à vis du monde extérieur, dont l’aspect et les manières ne devaient pas manquer de grandeur, mais répétons-le, il n’y a là aucune transmission d’un héritage culturel ou matériel, d’origine parentale. Par contre les druides formaient le véritable ciment de la société celtique. Dans une société sans police, sans prison, sans système judiciaire ni diplomatie, des druides remplissaient toutes les fonctions judiciaires et de coercition auxquelles les Celtes obéissaient de leur plein gré, car les druides n’avaient aucun moyen matériel de faire appliquer leurs décisions. Ainsi pour les fonctions de justice et de police, la seule partie civile pour les délits, y compris les plus graves, étaient les parents ou les amis de la victime. Le seul recours était donc soit la vendetta, soit la pression morale tel que le jeûne devant la maison du coupable jusqu’à ce qu’on obtienne réparation (Les Celtes ont aussi inventé la “grève de la faim”) ou enfin le choix d’un juge accepté d’un commun accord. Mais la vendetta pouvait entraîner une spirale de violence sans fin, le jeûneur ne pas avoir son droit reconnu, le juge “civil” être récusé. Dans ce cas le seul recours était le druide, recours auquel il était fait appel rarement, car le coupable savait que le druide possédait une sanction terrible, pire que la mort: l’exclusion absolue de toute la communauté celtique, cette malédiction, qui est bien entendu l’ancêtre de l’excommunication médiévale. (Note de R71: il en va de même pour les communautés amérindiennes où l’exclusion de la communauté revient à terme à une sentence de mort…) Cette sanction était redoutée car le condamné, privé de l’eau et du feu, ne pouvait que mettre fin à ses jours ou vivre en véritable paria. Cette sanction était appliquée par tous avec la plus grande rigueur envers les condamnés. Ainsi on comprend que les justiciables aient préféré en dernier recours à se soumettre à la sentence des druides, d’autant que ceux-ci étaient d’ailleurs des juristes en même temps que des juges. Le droit celtique était très développé et très détaillé. Les Irlandais nous ont laissé de nombreux traités du VIIIème au XIVème siècles ; il ne faut pas non plus oublier qu’auparavant ils étaient tous oraux et les druides devaient les connaître par cœur. Le droit irlandais nous semble un modèle d’humanité envers le coupable qui se soumet, il n’en est pas pour autant moins juste, mais tout son effort vise à dédommager la victime et non pas à faire souffrir le coupable repentant. Ainsi est-il basé sur des amendes de toutes sortes, si celles-ci peuvent ruiner le coupable, elle ne visent jamais à “remplir les caisses de l’État” (qui rappelons-le, est non existant…). Le glissement dans ce sens se voit au contraire dans les traités en gallois rédigés au Pays de Galles du XIème au XIIIème siècles, quand se créent trois royaumes, au sens moderne du terme, où l’État se porte systématiquement partie civile et où la vaste majorité des amendes va au fisc et non plus aux victimes.

[…]

Devant les druides, les épées tirées s’abaissent s’ils le désirent, ce qui n’est pas une mince affaire si l’on sait que la guerre est la passion, voire la raison d’être des Celtes. C’est en effet comme chez toutes les sociétés primitives (originelles, non-étatiques), seule la guerre maintient la division en multiples pays et cités, qui empêche la création d’un “État” ou d’un “Empire” celtique s’étendant des bouches du Tage aux plateaux d’Anatolie. Par contre refusant l’unité étatique, les druides maintiennent l’unité religieuse et traditionnelle, par delà la foi hypothétique en l’existence d’un ancêtre commun (Celtos ?). Ainsi la religion druidique, nous pouvons employer ce mot au sens fort, est-elle avec la langue, un des deux facteurs d’unité du monde celtique.

Note de Résistance 71: [] Les recherches de l’anthropologue Pierre Clastres furent les premières à démontrer que les sociétés primitives (premières, originelles) non-étatiques, le demeurent par leur unité, leur indivision, le fait qu’il n’y a pas d’organe séparé du pouvoir qui réside avec le peuple, et qui se choisit des représentants sans pouvoir et sans capacité coercitive. Ceci a un prix: pour que la communauté demeure unie et indivisée, égalitaire et collectiviste, elle ne peut le faire qu’en refusant une unification centralisée avec les autres communautés/nations environnantes. Pour que la division demeure, la guerre est indispensable. Ceci dit, le concept de “guerre” dans ces sociétés originelles n’a rien de commun avec celui de nos états impérialistes ayant vu le jour avec l’avènement de la monarchie absolue et des états-nations européens depuis la fin XVème et au XVIème siècles. La guerre occidentale est impérialiste, génocidaire et totale. Ce qui ne l’est en aucun cas dans le contexte des sociétés premières non-étatiques et ce essentiellement pour des raisons démographiques, l’annihilation de l’autre ne fut jamais une option, la guerre n’était pas motivée par l’économie, le profit et la subjugation de l’autre, mais par la maintenance de la politique d’indivision communautaire. En cela les sociétés primitives (premières, originelles) ne sont pas seulement des sociétés sans État, mais elles sont des sociétés CONTRE l’État. []

Les guerriers

Après les druides, l’autre segment particulier de la société celtique est celui des guerriers. L’existence de ces deux catégories, prêtres et guerriers est, notons-le, universelle dans les sociétés primitives. Il n’y a aucune différence significative entre le sacerdoce et le chamanisme ; quant aux guerriers, les remarquables descriptions de Pierre Clastres sur les guerriers amérindiens nous font penser trait pour trait, à celles des guerriers celtiques…

Faisons ici une parenthèse: dans la société celtique, tout le monde sauf le “roi”, le vergobret, nous verrons pourquoi, est “libre et armé” et tout le monde a le droit, l’obligation (sauf les druides qui peuvent s’en dispenser, ce dont ils profitent rarement…) de faire la guerre. Tout le monde, ce sont les hommes valides, mais et ceci représente une grosse différence avec les Amérindiens, aussi les femmes quand le besoin l’exige (cela demeura vrai jusqu’au VIIIème siècle de notre ère en Irlande). Au guerrier n’est donc pas réservé le seul monopole de la violence légale, comme l’État moderne le réserve à la police et à l’armée, mais un autre privilège bien plus redoutable que Pierre Clastres a mis en évidence et qui est corroboré par le témoignage de César: celui d’être “un être pour la mort” et de devoir toujours se surpasser jusqu’à en périr. […]

Comme l’a démontré Clastres, l’existence du guerrier est un danger pour la société primitive, aussi celle-ci le pousse t’elle, s’il veut garder son titre de guerrier, à s’exposer de plus en plus, à surpasser en permanence ses exploits jusqu’à la mort. […] On peut se demander pourquoi la société pousse ainsi le guerrier toujours plus avant, la raison en est simple: c’est que sans cela, il serait un trouble pour l’indivision. Impropre au travail, il est tenté de vivre du travail des autres, faute de guerre et de butin.

(Note de R71: C’est ce qu’il s’est produit avec les guerriers médiévaux devenus racketteurs pour leur compte et celui de chefs de guerre désœuvrés lors des temps de paix, générant la caste des “barons voleurs”. La société était alors déjà politiquement divisé et l’État existait, ce fut l’époque des ducs et des barons…)

En outre la constitution autour des chefs, de “suites guerrières”, pourrait être l’embryon d’un appareil d’État spécialisé, monopolisant la violence à son seul profit. En effet, les Celtes, comme les Indiens d’Amérique, nomment un chef de guerre à qui ils doivent une obéissance absolue lors des campagnes militaires. C’est ce que fut Vercingétorix, qui ne fut nullement “roi des Arvernes”, son nom indiquant seulement son origine “royale”, ce qui est très différent. En temps de paix, le peuple est delié de toute obéissance envers ce chef. Mais il peut continuer à guerroyer pour son propre compte, qui donc l’en empêcherait ? en s’entourant des jeunes gens les plus belliqueux de la tribu. Ce groupe de professionnels l’accompagnait bien sûr à la guerre où il était à la fois ses gardes du corps et ses troupes de choc. (Note de R71: On peut établir ici un parallèle avec un chef de guerre amérindien célèbre: le Chiricahua Géronimo, qui remplissait parfaitement la description faite ci-dessus. Géronimo passa le plus clair de sa vie à vouloir être un chef que personne de sa nation ne suivait, sauf une poignée de guerriers, à moins que les intérêts convergent, ce qui se produisit parfois… La motivation personnelle de Géronimo à guerroyer, essentiellement contre les Mexicains, était la vendetta. Il a passé sa vie à venger sa famille massacrée par les Mexicains lors de sa jeunesse.)

Sans la nécessité pour le guerrier de se surpasser, c’est à dire de mourir, on pourrait craindre que les “suites guerrières” ne se transforment en embryon d’État ; ce sont en effet ces “suites”, les embractes, qui constituent ce que César a cru être la nombreuse “clientèle” des chefs, quoique ce concept chez les Romains ne soit en rien comparable avec ce que nous décrivons ici. En réalité, le péril de l’État fut exorcisé et la société laténienne mourut, tuée par Rome, justement parce qu’elle s’était refusée à en constitué un. Mais la classe guerrière des oppida du 1er siècle s’était réservée le monopole du monnayage, qu’elle introduisit d’abord avec le mercenariat, donc celui de la richesse. Cette richesse “abusive”, elle s’en débarrassait périodiquement par le potlach, forme ludique de redistribution des richesses, que décrit si bellement Camille Jullian. (Note de R71: cette méthode est identique chez les Amérindiens chez qui l’accumulation de richesses est traditionnellement impensable dans des sociétés fondamentalement égalitaires et collectivistes. Le potlach sous sa forme de cérémonie traditionnelle fut interdit par les autorités coloniales au Canada par exemple entre 1867 et les années 1950… Redistribuer les richesses ?… Dans une société (imposée par la colonisation) capitaliste ? Impensable, folie que l’on se devait d’interdire !!)

Il n’empêche, le fait de donner confère en lui-même un pouvoir; on ne sait comment aurait évolué à l’échelle des siècles la société laténienne. Cette “évolution” on la voit avec la société irlandaise, restée à l’abri de la civilisation romaine et de la christianisation forcée. Les rapports entre le “druide et le vergobret” entravèrent la naissance de proto-états basés sur une aristocratie militaire même lorsque les druides païens furent devenus des moines chrétiens.

Fin

 

Note de Résistance 71: Le livre se termine sur cette note un peu brutale sans réelle conclusion parce qu’en fait, ce livre est la première partie de la thèse d’état du doctorat d’Alain Guillerm. La suite de sa thèse fut publiée chez Arthaud en 1992 sous le titre “La pierre et le vent, fortifications et marines en occident”.

Nous n’avons pas lu cet ouvrage.

A suivre notre conclusion sur la série d’études relatées sur ce blog concernant les sociétés contre l’État et en qoi cela devrait influencer notre vision pour un bien meileur futur politique…

 

 

 

 

3 Réponses to “Société contre l’État: Société celtique et gauloise, le « Défi Celtique » d’Alain Guillerm ~ 3ème partie ~”

  1. Très, très intéressant, vraiment.
    J’ai étudié pour mon intérêt personnel, la société arthurienne il y a quelques années mais je trouve cette étude dont le pré-supposé est la Société Celtique CONTRE l’État passionnant. Pour ma part, j’entends la « spiritualité » Celte, plutôt que « religion », comme la spiritualité Amérindienne.

    HS : Je voudrais vous inviter à visionner le documentaire suivant ; fr.sott.net/article/26129-Retour-sur-l-attentat-d-Oklahoma-City Alors, pour le coup c’est assez terrifiant dans la capacité de nuisance qu’à les Zunies sur sa propre population pour la maintenir dans un état permanent de peur… Et donc, 1995 était bien une répétition générale de 2001. Espérons qu’il n’y ait pas de rappel…

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