Dictature sanitaire comme outil du totalitarisme. Réflexions sur le totalitarisme avec Hannah Arendt

“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Là où cesse l’État, c’est là que commence l’Homme, celui qui n’est pas superflu : là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l’État — regardez donc mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?”
~ Friedrich Nietzsche, “De la nouvelle idole” ~

HannahArendt1

Lisez ce qui suit et pensez à la situation actuelle sous la dictature sanitaire générée par la crise COVID19 fabriquée. A maintes reprises au fil des ans nous avons affirmé qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre la république française ou toute autre entité politique parlementaire et les pires régimes tyranniques que l’histoire a connus. Tout n’est qu’une question de degré. Hannah Arendt avait décortiqué le processus il y a plus de 60 ans déjà. Rien n’a changé, nous sommes toujours à ce degré 0 de l’infantilisme politique. Ne pensez-vous pas qu’il est plus que temps de grandir et de devenir politiquement adulte. De fait, cette crise COVID bidon nous en offre l’opportunité, à nous de la saisir !
~ Résistance 71 ~

6 décembre 2021 : Super flash Jo nous a mis ce texte en PDF que voici :
Hannah-Arendt-reflexions-sur-le-totalitarisme

Conclusion de “Totalitarisme” de Hannah Arendt (très larges extraits)

Hannah Arendt

1951

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Source : “the Origins of Totalitarianism”, Harcourt réédition 1994, chapitre 13

Hannah Arendt (1906-1975), née à Hanovre (Allemagne), professeure de philosophie politique à l’université de Chicago de 1963 à 1967 puis à la faculté doctorale de la New School for Social Research, auteure de nombreux ouvrages dont “Crises of the Republic”, “Eichmann in Jerusalem”, “On Violence”, et “Men of Dark Times”. Hannah Arendt est plus spécifiquement connue pour ses écrits sur le totalitarisme et son analyse critique des affaires juives. Intime du philosophe Martin Heidegger dont elle fut l’élève, elle le quitta en 1933 lorsque celui-ci rejoignit le parti nazi et elle émigra en France puis aux Etats-Unis en 1941 de par sa confession juive, après avoir été arrêtée en France avec son mari Heinrich Blücher, spartakiste allemand, lui aussi exilé et après tous deux s’être évadés du camp de Gurs. 

Après la guerre, dans les années 1950, elle recontacta Heidegger avec qui elle correspondit jusqu’à sa mort en 1975. Elle refusera toujours de blâmer son mentor pour son adhésion au nazisme et continuera de dire que ce fut l’“erreur” d’un grand philosophe, ce qui fut et est toujours mal interprété venant de quelqu’un par ailleurs si intransigeante envers ceux qui ont fait ou font des compromis avec le crime et la malveillance…

Sa dissertation de doctorat en philosophie porta sur “L’amour et Saint Augustin” sous la supervision de son maître de recherche Karl Jaspers, à l’université d’Heidelberg en 1929. Elle termine du reste son ouvrage sur les origines du totalitarisme par une citation de St Augustin (voir ci-dessous).

Note de Résistance 71 :

Cette traduction de larges extraits  de la conclusion de Hannah Arendt sur le totalitarisme correspond au chapitre XIII de son livre “The Origins of Totalitarianism” écrit en 1949 et publié en 1951 aux Etats-Unis. Nous avons voulu publier cette réflexion de Hannah Arendt pour deux raisons essentielles :

  • Hannah Arendt est la philosophe politique qui a le plus réfléchi et écrit sur le totalitarisme et sa pensée en la matière est incontournable, même si sa réflexion est parfois sujette à discussion et ne va pas assez loin d’un point de vue anarchiste sur la question. Cet ouvrage est scindé en trois parties distinctes qui toutes touchent au problème du totalitarisme : L’antisémitisme, l’impérialisme et la troisième partie sur le totalitarisme à proprement parler. De manière intéressante, elle va à l’encontre de l’analyse classique qui partirait de l’analyse générale du totalitarisme pour finir avec le particulier qu’elle aborde ici en premier lieu avec les cas de l’Allemagne nazie et de la Russie soviétique, terminant par l’analyse générale du totalitarisme, qu’elle veut sans doute imprégner dans les esprits des lecteurs.
  • Cette réflexion est on ne peut plus vitale aujourd’hui alors que nous sommes les témoins et acteurs-cibles historiques de la mise en place de la phase terminale d’une entité totalitaire supranationale au moyen d’un outil  de dictature sanitaire se connectant aux outils de contrôle et de dictature technotroniques déjà existant ou à venir (5G, 6G, IA). Hannah Arendt eut une analyse très controversée qui prit à contre-pied bien des penseurs de l’époque, lorsqu’elle déclara dans son essai  de 1963 “Eichmann à Jérusalem, banalité du mal”, traitant du procès du haut-fonctionnaire nazi, responsable de la déportation de millions de gens, à Jérusalem entre 1961 et 1963, qu’elle ne pensait pas qu’Eichmann fut un monstre sadique et psychopathe dénué de toute morale, mais qu’il représentait au contraire, le visage du nouveau totalitarisme des temps modernes, celui d’un fonctionnaire zélé, acquis et dévoué à une cause et une doctrine, ne lui faisant se poser aucune question et agir de manière détachée, par conviction et par soucis de bien faire, en fait un rond-de-cuir des hautes sphères politiques et bureaucratiques dans toute la fadeur de sa banalité ; ainsi donc le parfait “petit soldat” de l’état totalitaire, analyse dérangeant le “politiquement correct” de la caste oligarchique, qui ne demande rien d’autre à ses fonctionnaires et maîtres-d’œuvre dans un nouveau paradigme totalitaire au déguisement démocratique, que l’obéissance aveugle aux dogmes et aux diktats.
    Le système étatico-capitaliste actuel, dans le monde entier, totalitaire et répressif par sa nature même et son ancestralité de pouvoir coercitif, est rempli de nouveaux “petits Eichmann” qui agissent pour la “bonne” cause idéologique. La crise COVID fabriquée nous le prouve au quotidien depuis 2020… En ce sens, Hannah Arendt fut visionnaire. Son analyse s’attira les foudres non seulement des survivants des camps de sa communauté, mais aussi celle de l’intelligentsia dans ses grandes largeurs. Pourtant, le temps lui donna en grande partie raison. Son analyse se vérifia dans tous les régimes totalitaires depuis la seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, dans le zèle effarant des fonctionnaires “démocrates, libéraux et progressistes” injecteurs de poison à ARNm soi-disants “antiCOVID”. Aujourd’hui, on doit piquer, isoler et mettre en “camp de quarantaine”, comme ordonné et sans réfléchir, puisque tout cela est “scientifique”, ce même si aucune décision concernant les mesures anti-COVID19 ne furent des décisions fondées sur la science et la médecine dans sa pratique historique, mais uniquement des décisions politiques comme nous l’avons démontré par ailleurs, fondées sur des données sciemment falsifiées…Dans chacun de ces fonctionnaires qui s’exécute, il y a un Adolf Eichmann qui sommeille… ou s’éveille.

Voici ci-dessous donc, l’essentiel à notre sens de ce texte :

Chapitre 13
Idéologie et terreur : une nouvelle forme de gouvernement

Dans les chapitres précédents, nous avons insisté grandement sur le fait que les moyens de domination totale ne sont pas seulement plus drastiques mais que le totalitarisme se différencie essentiellement des autres formes d’oppression politique connues de nous comme le despotisme, la tyrannie et la dictature. Où qu’il soit arrivé au pouvoir, il a développé des institutions politiques nouvelles et a détruit toutes les traditions sociales, légales et politiques du pays. Peu importe la spécificité de la tradition nationale ou la source particulière de son idéologie, le gouvernement totalitaire a toujours transformé les classes en masses, supplanté le système de partis politiques, pas par des dictatures uni-parti, mais par un mouvement de masse, a fait glissé le centre du pouvoir de l’armée à la police et a établi une politique étrangère directement et ouvertement dirigée vers la domination du monde. Les gouvernements totalitaires actuels ont évolué du système uni-parti et lorsque devenus véritablement totalitaires, ils ont commencé à fonctionner selon un système de valeurs si différent des autres, que plus aucun sens commun traditionnel légal ou moral, ne puisse nous venir en aide pour le comprendre ou le juger ou prédire le cours de ses actions.

[…]

La règle totalitaire affirme de manière monstrueuse et sans qu’on puisse apparemment lui répondre, que loin d’être “sans loi”, elle puise à la source de l’autorité de laquelle le droit positif a reçu sa légitimité ultime et que loin d’être arbitraire, elle est plus obéissante à ces forces supra-humaines que tout autre gouvernement ne le fut jamais auparavant et que loin de manier le pouvoir dans l’intérêt d’une seule personne, elle est préparée à sacrifier les intérêts vitaux immédiats de tout à chacun pour exécuter ce qu’elle assume être la loi de l’Histoire ou la loi de la Nature… La légalité totalitaire prétend avoir trouvé une façon d’établir la règle de la justice sur terre, chose que la légalité du droit positif est reconnue ne jamais pouvoir atteindre.

[…]

Ainsi donc, la terreur est l’essence de la domination totalitaire. La terreur est la réalisation de la loi du mouvement, son but principal est de rendre possible pour la force de la nature ou de l’histoire de passer à travers l’humanité, sans être perturbée par aucune action humaine spontanée. De la sorte, la terreur cherche à “stabiliser” les humains afin de libérer les forces de la nature ou de l’histoire. C’est ce mouvement qui identifie les ennemis de l’humanité contre lesquels la terreur est lâchée et aucune libre action de l’opposition ou de l’alliée ne peut être permise d’interférer avec l’élimination de “l’ennemi objectif” de l’Histoire ou de la Nature, de la classe ou de la race. La culpabilité et l’innocence deviennent des notions insensées, “coupable” est celui qui se tient sur le chemin du processus naturel ou historique qui a passé jugement sur les “races inférieures”, sur les individus “indignes de vivre” sur les “classes mourantes et les peuples décadents”. […] Les dirigeants eux-mêmes n’affirment pas être justes ou sages, mais revendiquent de simplement exécuter les lois naturelles ou historiques ; ils n’appliquent pas de lois, mais exécutent un mouvement en accord avec la loi inhérente. La terreur est la légalité si la loi est la loi du mouvement de quelque force supra-humaine, de la Nature ou de l’Histoire.

La terreur en tant que résultat de l’exécution d’une loi de mouvement dont le but ultime n’est pas le bien-être des hommes ou l’intérêt d’une personne, mais la fabrication de l’humanité, élimine des individus au nom de l’espèce, sacrifie les parties au bénéfice du tout.

[…]

En pressant et montant les hommes les uns contre les autres, la terreur totale détruit l’espace entre eux, comparé à la condition au sein de sa bande de fer, même le désert de la tyrannie, dans la mesure où il est toujours une sorte d’espace, apparaît comme une sorte de garantie de liberté. Le gouvernement totalitaire ne fait pas juste que limiter les libertés ou abolir les libertés essentielles ; il ne réussit pas non plus, du moins de part notre connaissance limitée, à éradiquer l’amour de la liberté dans les cœurs des humains. Il détruit ce requis essentiel pour toute liberté, qui est simplement la capacité de mouvement qui ne peut pas exister sans espace.

La terreur totale, l’essence même du gouvernement totalitaire, n’existe ni pour ni contre les hommes. elle est supposée fournir aux forces de la nature ou de l’histoire un instrument incomparable d’accélération de leur mouvement. Ce mouvement, se déroulant selon ses propres lois, ne peut pas dans la durée être supprimé, ses forces vont toujours prouver être plus puissantes que les plus puissantes des forces engendrées par les actions et la volonté des hommes. Mais il peut être ralenti et est ralenti inévitablement par la liberté de l’homme, que même les dirigeants totalitaires ne peuvent pas nier, car cette liberté, aussi inutile et arbitraire qu’ils la conçoivent, est identique au fait que les hommes naissent et donc que chacun d’entre eux est un nouveau commencement et commence dans un certain sens, le renouvellement du monde. Du point de vue totalitaire, le fait que les hommes naissent et meurent ne peut être vu que comme une interférence avec des forces supérieures. La terreur donc, en tant que servante du mouvement naturel ou historique doit éliminer du processus non seulement la liberté dans son sens spécifique, mais la source même de la liberté qui est donnée avec la naissance de l’homme et réside dans sa capacité de toujours recommencer. […] De manière pratique, ceci veut dire que la terreur exécute sur place les peines de mort que la Nature est supposée avoir prononcées sur des races ou des individus qui sont “inaptes à vivre” ou de l’Histoire sur ses “classes moribondes”, sans attendre les processus plus lents et moins efficaces de la nature ou de l’histoire elles-mêmes.

[…] 

Dans un gouvernement totalitaire parfait, où tous les humains sont devenus Un Homme, où toutes les actions visent à l’accélération du mouvement de la nature ou de l’histoire, où chaque acte est l’exécution d’une peine de mort que la Nature ou l’Histoire ont déjà prononcée, c’est à dire sous des conditions dans lesquelles on peut se fier à la terreur pour maintenir le mouvement constant, aucun principe d’action séparé de son essence serait alors nécessaire. Pourtant,  aussi longtemps que la règle totalitaire n’a pas conquis la planète et que la main de fer de la terreur n’ait rendu chaque humain partie d’une humanité, la terreur, dans sa double fonction d’essence et de principe de gouvernement, pas d’une action mais d’un mouvement, ne pourra pas être pleinement réalisée Tout comme la pratique du droit dans le gouvernement constitutionnel est insuffisante pour inspirer et guider les actions des hommes, ainsi également la terreur dans un gouvernement totalitaire n’est pas suffisante pour inspirer et guider l’attitude humaine.

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Note de R71 : notez bien ce que dit Hannah Arendt dans les lignes suivantes et pensez-y dans le contexte actuel de la “peur COVID19”…

[…] Sous les conditions de terreur totale, même pas la peur ne peut servir de conseillère sur le comment se comporter, parce que la terreur choisie ses victimes sans référence à des actions ou pensées individuelles, mais uniquement en accord avec la nécessité objective du processus naturel ou historique. Sous des conditions totalitaires, la peur est sans doute plus étendue que jamais auparavant, mais la peur a perdu de son efficacité et utilité pratiques quand les actions qu’elle guide ne peuvent plus aider à éviter les dangers dont l’homme a peur. La même chose vaut pour la sympathie envers et le soutien au régime, car la terreur totale non seulement sélectionne ses victimes en accord avec des objectifs standards ; mais elle choisit ses bourreaux avec la plus complète indifférence que possible quant aux convictions et sympathies du candidat.

[…] Les habitants d’un pays totalitaire sont jetés et pris dans le processus de nature ou d’histoire dans le but d’accélérer son mouvement, ainsi ils ne peuvent être que soit bourreau ou victime de sa loi inhérente. Le processus peut décider que ceux qui aujourd’hui éliminent des races et des individus ou des membres de classes moribondes et des peuples décadents, pourraient bien être ceux qui seront sacrifiés demain. Ce dont la règle totalitaire a besoin pour guider l’attitude de ses sujets est une préparation pour que chacun d’entre eux puisse de manière égale, pouvoir remplir le rôle de bourreau ou celui de victime. La préparation à deux-faces, le substitut à un principe d’action, est l’idéologie.

Les idéologies, ces “-ismes” qui, à la satisfaction totale de leurs adhérents, peuvent tout expliquer et toute chose se produisant en la déduisant d’un simple supposé, sont en fait un phénomène très récent et pendant bien des décennies, ont joué in rôle négligeable dans la vie politique. Ce n’est qu’avec la sagesse de la perception interne que nous pouvons découvrir en eux certains éléments qui les ont rendu si malsainement utiles pour la règle totalitaire. Ce n’est qu’avec Hitler et Staline que les grands potentiels politiques des idéologies furent découverts.

Les idéologies sont connues pour leur caractère scientifique, elles combinent une approche scientifique avec des résultats de pertinence philosophique et prétendent être philosophie scientifique.

[…] Le déisme par exemple, serait alors l’idéologie qui traite de l’idée de dieu, qui concerne la philosophie, de la manière scientifique de la théologie pour qui dieu est une réalité révélée. Une théologie qui n’est pas fondée sur la révélation comme réalité donnée mais qui traite dieu comme une idée, serait aussi folle qu’une zoologie qui ne serait plus sûre de l’existence physique tangible des animaux. Pourtant nous savons que cela n’est seulement qu’une partie de la vérité.. Le déisme, bien qu’il nie la révélation divine, ne fait pas simplement des déclarations “scientifiques” sur un dieu qui n’est en fait qu’une “idée”, mais utilise l’idée de dieu pour expliquer le mouvement et la direction du monde.

[…] Une idéologie n’est que ce que son nom implique en toute logique : c’est la logique d’une idée…

[…]

La question que nous avons soulevée au début de ces considérations et à laquelle nous allons maintenant revenir, est celle de savoir de quelle expérience basique dans le vivre-ensemble humain suinte une forme de gouvernement dont l’essence est la terreur et dont le principe d’action est la logique de la pensée idéologique. Qu’une telle combinaison ne fusse jamais utilisée auparavant dans les formes variées de domination politique est évident. Pourtant, l’expérience de base sur laquelle il repose doit être humaine et connue des hommes, dans la mesure où même ce plus “original” de tous les corps politiques a été créé par, et répond quelque part aux besoins des hommes.

Il a été fréquemment observé que la terreur pour diriger de manière absolue seulement sur des hommes qui ont été isolés les uns des autres et ceci par conséquent, est une des principales préoccupations de tout gouvernement tyrannique : mener à l’isolation. L’isolation peut être le commencement de la terreur, elle est sans aucun doute son terrain le plus fertile, elle est toujours son résultat. cette isolation est, en fait, prolétarienne, sa marque est l’impuissance dans la mesure où le pouvoir provient toujours de l’action concertée des hommes, “agissant de concert” (Burke). Les hommes isolés sont impuissants par définition. L’isolation et l’impuissance constituent l’incapacité fondamentale d’action de manière générale ; ceci a toujours été une caractéristique des tyrannies. Les contacts politiques entre les individus sont coupés dans une tyrannie et son gouvernement et les humains sont frustrés de la capacité de pouvoir et d’action. 

Mais tous les contacts entre les humains ne sont pas coupés et toutes les capacités humaines ne sont pas détruites. Toute la sphère de la vie privée et sa capacité d’expérience, de fabrication et de pensée sont laissées intactes. Nous savons que la main de fer de la terreur totale ne laisse aucun espace pour une telle vie privée et que l’auto-coercition de la logique totalitaire détruit la capacité humaine pour l’expérience et la pensée d’une façon aussi certaine que sa capacité d’action.

Ce que nous appelons isolation dans la sphère politique, est appelée esseulement dans le cours des choses sociales. L’isolation et l’esseulement ne sont pas la même chose. Je peux être isolée, c’est à dire être dans une situation où je ne peux pas agir, parce qu’il n’y a personne pour agir avec moi, je ne suis pas esseulée pour autant et je peux être esseulée dans la mesure où je suis désertée de toute relation humaine, sans compagnon, sans pour autant être isolée. L’isolation est cette impasse dans lesquels les hommes sont conduits lorsque la sphère politique de leurs vies, où ils agissent ensemble dans la poursuite de l’intérêt commun, est détruite. Pourtant, l’isolation, bien que destructrice du pouvoir et de la capacité d’action, non seulement laisse intacte, mais est aussi requise pour toutes les activités soi-disant productives des hommes.

[…] L’homme isolé qui a perdu sa place dans le monde politique de l’action est déserté par le monde des choses également, s’il n’est plus reconnu comme un homo faber (NdT : l’homme fabricant, façoneur qui maîtrise sa destinée), il est alors traité comme rien. Alors l’isolation devient esseulement. La tyrannie fondée sur l’isolation laisse en général les capacités de production humaine intacte. Une tyrannie sur les “travailleurs” néanmoins, comme par exemple la domination sur les esclaves dans l’antiquité (NdT: pas seulement dans l’antiquité !!… mais en référence au “mode de production” esclavagiste antique), serait automatiquement une domination sur des hommes esseulés et pas seulement isolés et tendrait à être totalitaire.

Alors que l’isolation ne concerne que l’aspect politique de la vie, l’esseulement concerne la vie de l’homme dans son entièreté. Le gouvernement totalitaire, comme toutes les tyrannies, ne pourrait certainement pas exister sans la destruction du mode de vie publique, c’est à dire, sans détruire, en isolant les hommes, leurs capacités politiques. Mais la domination totalitaire en tant que forme de gouvernement est nouvelle en cela qu’elle ne se contente pas de l’isolation et de la destruction de la vie privée en sus. Elle se fonde sur l’esseulement, sur l’expérience de non-appartenance au monde, ce qui constitue les plus radicales et désespérées expériences pour l’homme.

L’esseulement, le terrain fertile de la terreur, l’essence du gouvernement totalitaire et pour logique et idéologie, la préparation de ses bourreaux et ses victimes, est intimement connecté avec le déracinement (NdT: voir les analyses de Simone Weil à ce sujet…) et le sentiment d’être superflu, ce qui a été la damnation des masses modernes depuis le début de la révolution industrielle et devenue très sévère avec la montée de l’impérialisme à la fin du siècle dernier et l’effondrement des institutions politiques et des traditions sociales de notre temps. Être déraciné veut dire n’avoir plus de place dans le monde reconnue et garantie par les autres, être superflu veut dire ne pas appartenir du tout au monde. Le déracinement peut être la cause première du superflu, tout comme l’isolation peut (mais ne doit pas) être la condition préliminaire de l’esseulement.

[…]

L’esseulement n’est pas solitude. La solitude a pour requis d’être seul alors que l’esseulement se montre de manière la plus marquante en compagnie des autres. […] En solitude, je suis livrée à moi-même, seule avec moi-même, deux en un ; tandis qu’en esseulement je suis seule, désertée par les autres. Toute pensée, au sens strict, est faite en solitude et est un dialogue entre moi et moi-même, mais ceci ne me fait pas perdre contact avec le monde de mes pairs parce qu’ils sont représentés dans le moi-même avec qui je dialogue intérieurement. Le problème de la solitude est que ce deux-en-un a besoin des autres pour redevenir un, cet individu inchangé et inchangeable dont l’identité ne peut jamais être confondue avec celle des autres. Pour la confirmation de mon identité, je dépends totalement des autres et c’est cette grâce salvatrice du compagnonnage pour les hommes solitaires qui les rend de nouveau “entiers”, qui les sauve du dialogue de pensée dans lequel on demeure toujours équivoque et qui restaure l’identité qui les fait parler avec cette voix unique d’une personne inchangée.

La solitude peut devenir esseulement ; ceci se produit lorsque de moi-même je suis désertée par mon moi propre. Les personnes solitaires ont toujours été en danger d’esseulement, lorsqu’elles ne peuvent plus trouver la grâce rédemptrice du compagnonnage pour les sauver de la dualité, de l’équivoque et du doute. […] A témoin cette anecdote rapportée du lit de mort de Hegel, qui aurait pu aussi bien être dite de tout grand philosophe avant lui : “Personne ne m’a compris sauf une, et elle m’a aussi mal compris.” Il y a toujours une chance pour qu’une personne solitaire se trouve elle-même et commence le dialogue de pensée de solitude. C’est ce qui semble être arrivé à Nietzsche à Sils Maria lorsqu’il concevait son “Zarathoustra”. Dans deux poèmes (“Sils Maria” et “Aus hohen Bergen”), il parle du vide de l’attente et l’ennui, l’impatience du solitaire jusqu’à ce que, soudain “um Mittag war’s, da wurde Eins zu Zwei../ Nun feirn wir, vereinten Siegs gewiss,/ das Fest der Feste ;/ Freund Zarathustra kam, der Gast des Gäste !” (Ce fut midi, quand Un devint Deux… Certains de la victoire unifiée nous célébrons la fête des fêtes ; s’envint l’ami Zarathoustra, l’hôte des hôtes !

[…]

Ce qui prépare les humains à la domination totalitaire dans le monde non-totalitaire est le fait que l’esseulement, jadis une expérience limite subie habituellement dans certaines conditions sociales marginales comme la vieillesse, est devenue une expérience quotidienne des masses hypertrophiées en ce siècle. Le processus sans pitié dans lequel le totalitarisme mène et organise les masses, ressemble à une évasion suicidaire de la réalité. […] En détruisant tout espace entre les hommes et en les pressant les uns contre les autres, même les potentiels producteurs de l’isolation sont annihilés ; en enseignant et en glorifiant le raisonnement logique de l’esseulement où l’homme sait qu’il va immanquablement se perdre si jamais il laisse aller le pré-requis duquel tout le processus a commencé, même les chances les plus infimes pour que l’esseulement soit transformé en solitude et logique de la pensée, sont annihilées. Si cette pratique est comparée avec celle de la tyrannie,  il semble qu’une voie ait été trouvée pour faire bouger le désert lui-même, pour lâcher une tempête de sable qui pourrait bien couvrir toutes les parties de la terre habitée.

Les conditions sous lesquelles nous existons aujourd’hui dans le domaine de la politique sont de fait menacées par ces tempêtes de sable. Leur danger n’est pas qu’elles puissent établir un monde permanent. La domination totalitaire, comme la tyrannie, porte les germes de sa propre destruction. Tout comme la peur et l’impuissance de laquelle la peur prend sa source sont des principes anti-politiques et précipitent les humains dans une situation contraire à l’action politique, ainsi l’esseulement et la logique idéologique déduisent le pire qui puisse en provenir, représentent une situation anti-sociale et abrite un principe destructeur pour tous les humains vivant ensemble. Quoi qu’il en soit, l’esseulement organisé est considérablement plus dangereux que l’impuissance inorganisée de tous ceux qui sont dominés par le tyrannique et l’arbitraire de la volonté d’un seul homme. Son danger est qu’il menace de ravager le monde tel qu’on le connaît, un monde où partout, tout semble être arrivé à une fin, avant qu’un nouveau commencement naissant de cette fin ait le temps de se mettre en place.

[…]

Mais il reste aussi la vérité qui dit que chaque fin dans l’histoire contient nécessairement un nouveau commencement. Ce commencement est la promesse, le seul “message”, que la fin puisse jamais produire. Le commencement, avant qu’il ne devienne un évènement historique, est la capacité suprême de l’Homme. Politiquement, ceci est identique à la liberté de l’homme. Initium ut esset homo creatus est… “Pour qu’un commencement ait lieu, l’Homme fut créé”, a dit Saint Augustin. Ce commencement est garanti par chaque nouvelle naissance ; c’est en fait chaque être humain.

FIN

Le texte de Hannah Arendt en format PDF :
Hannah-Arendt-reflexions-sur-le-totalitarisme

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“Plus encore, l’esprit de l’homme, de l’individu, est le premier à se rebeller contre l’injustice et l’avilissement; le premier à concevoir l’idée de résistance aux conditions dans lesquelles il se débat. L’individu est le générateur de la pensée libératrice, de même que de l’acte libérateur. Et cela ne concerne pas seulement le combat politique, mais toute la gamme des efforts humains, en tout temps et sous tous les cieux.”
~ Emma Goldman ~

« La machine de l’État est oppressive par sa nature même, ses rouages ne peuvent fonctionner sans broyer les citoyens, aucune bonne volonté ne peut en faire un instrument du bien public ; on ne peut l’empêcher d’opprimer qu’en le brisant. »
~ Simone Weil ~

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Lectures complémentaires :

Lire notre page “Anthropologie politique”

“Vers le chemin de notre humanité enfin réalisée” (Résistance 71, PDF)

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

“L’état n’est pas quelque chose qui peut être détruit par une révolution, mais il est un conditionnement, une certaine relation entre les êtres humains un mode de comportement humain, nous le détruisons en contractant d’autres relations, en nous comportant différemment.”
~ Gustav Landauer ~

Ce que nous disons depuis bien longtemps : nous n’avons pas besoin d’une énième révolution qui sera récupérée par le système comme les autres le furent auparavant… Nous avons besoin d’une “révolution” sans “r”, c’est à dire d’une évolution. Tout est là. L’humanité est maintenant au pied du mur de la création et du développement d’une entité totalitaire mondiale, transnationale, sous couvert d’une “urgence sanitaire” générant la peur nécessaire au quotidien et en faisant accepter aux masses la routine de mesures liberticides qui pas à pas deviendront des mesures de terreur. L’humanité doit opérer un véritable saut qualitatif pour mettre en place un paradigme politique radicalement nouveau et en phase avec notre nature profonde. Nous sommes à la fin… et au commencement, comme l’analyse si bien Hannah Arendt ci-dessus. Soyons cette naissance d’une humanité enfin réalisée et politiquement adulte dans la société des sociétés de la complémentarité de notre diversité.
Tout le reste n’est que vil réformisme et pisser dans un violon !
Qu’on se le dise !
~ Résistance 71 ~

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Hannah Arendt (1906-1975)

9 Réponses to “Dictature sanitaire comme outil du totalitarisme. Réflexions sur le totalitarisme avec Hannah Arendt”

  1. Ce texte tombe à point, effectivement, car depuis le 12 juillet 2021, et la promulgation par le Dictateur Macron des Lois contre les Non-Vaxxxinés, je n’arrivais pas à exprimer, correctement, pourquoi je me sentais comme les juifs allemands de 1933…

  2. très bon entretien du pr. Peronne sur Sputnik :

  3. […] ► RÉSISTANCE 71 : Lisez ce qui suit et pensez à la situation actuelle sous la dictature sanitaire générée par la […]

  4. […] sur le totalitarisme avec Hannah Arendt, traduction R71 par de larges extraits du livre The Origins Of Totalitarism, Harcourt réédition 1994, Chapitre […]

  5. […] sur le totalitarisme avec Hannah Arendt, traduction R71 par de larges extraits du livre The Origins Of Totalitarism, Harcourt réédition 1994, Chapitre […]

  6. […] extraits de traduction de R71 ► Réflexions sur le totalitarisme avec Hannah Arendt, traduction R71 par de larges extraits du livre The Origins Of Totalitarism, Harcourt réédition 1994, Chapitre […]

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