Archive pour zapatistes caracoles commune des communes

Zapatistes du Chiapas, Mexique et racines indigènes… Une communauté en armes (Tikva Honig-Parnass, PDF)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , on 17 avril 2023 by Résistance 71

Unknown

Résistance 71

17 avril 2023

Si tu es venu ici pour m’aider,
Tu perds ton temps…
Mais si tu es venu parce que
Ta libération est liée à la mienne,
Alors, travaillons ensemble.
Groupe d’activistes aborigènes, Queensland, Australie, 1970

EZLN_Chiapas_Une-communaute-en-armes-tikva-honig-parnass
PDF à lire et diffuser sans aucune modération

TLPARP

CREATOR: gd-jpeg v1.0 (using IJG JPEG v62), quality = 88

Territoires zapatistes… Terre et Liberté !

Une communauté en armes et en rébellion, les racines indigènes de l’EZLN zapatiste, Chiapas, Mexique 2/2 (Tikva Honig-Parnass)

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, démocratie participative, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , on 8 avril 2023 by Résistance 71

autodefense-populaire_chiapas3

“Vous devriez tous disparaître, pas seulement parce que vous représentez une aberration historique, une négation de l’humain et une cruauté cynique, mais aussi parce que vous êtes une insulte à l’intelligence. Vous et votre système nous rendez possibles, vous nous faites grandir. Nous sommes votre alter-ego, votre frère siamois opposé. Pour nous faire disparaître, vous devez disparaître…”
~ Communiqué zapatiste lors de l’intronisation du président mexicain Ernesto Zedillo, 1er décembre 1994 ~

Une communauté en armes, les racines indigènes de l’EZLN

Tikva Honig-Parnass*

2019

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Avril 2023

1ère partie

2ème partie

(*) Née et élevée dans une famille ultra-sioniste dans la pré-Palestine de 1948, elle fut secrétaire du parti de gauche Mapam (parti unifié des travailleurs) et membre du parlement de la Knesset entre 1951 et 1954. Elle rompt définitivement avec le sionisme en 1960 et devient activiste politique et écrivain pro-palestinienne. Elle travaille avec le mouvement Matzpen et publie plusieurs livres dont “Between the Lines” (2007), titre homonyme de la revue qu’elle a créée avec le Palestinien Toufik Haddad.

-[]-

Chiapas, Mexique et Amérique latine : le radicalisme anti-capitaliste

Incidemment, le soulèvement zapatiste se fit le jour où les accords du NAFTA furent confirmés. Cela représentait symboliquement

Cela représentait symboliquement l’anti-capitalisme et anti-impérialisme profondément ancrés que le Chiapas partageait avec “d’autres peuples indigènes du Mexique et ailleurs en Amérique Latine », que le Chiapas partageait avec “d’autres peuples indigènes du Mexique et ailleurs en Amérique Latine”, comme le fit remarquer Cleaver. C’était un cri de rage contre le capitalisme en tant que tel, et pas seulement contre les formes spécifiques proéminentes dans l’ère de l’économie dite néo-libérale ou contre ses effets sur les seuls peuples indigènes.

En même temps, ils avaient suffisamment bien compris son potentiel désastreux pour eux-mêmes qui étaient la première cible de ces politiques de dépossession.

La compréhension du but du capitalisme à éliminer la résistance indigène et la vie communale est présentée dans une lettre du Subcomandante Marcos adressée à l’écrivain et supporteur John Berger en décembre 1993, moins de un mois avant le soulèvement :

“Le néolibéralisme se déguise en défense de la souveraineté qui a été vendue en dollars sur le marché international… Ces peuples indigènes irritent la logique de modernisation du néo-mercantilisme. Leur rébellion, leur défi, leur résistance, leur résilience les irrite. L’anachronisme de leur existence au sein d’un projet de mondialisation, projet politico-économique qui, bientôt, va décider que les pauvres, tous les gens en opposition, c’est à dire la vaste majorité de la population sont des obstacles.

Une excellente source pour apprendre au sujet du radicalisme politique du peuple du Chiapas et de leurs leaders au moment du soulèvement est l’entretien d’Augusta Dwyer avec les leaders militants indigènes pour la revue “Socialist Review” (SWP GB). Dans cet entretien, qui eut lieu quelques mois après le soulèvement de janvier 1994, les militants expriment leur implication totale dans une guerre contre le capitalisme et ses manifestations dans l’expression du néolibéralisme économique comme celui du NAFTA.

Ils citent Marcos disant après la capture d’une station de radio lors du soulèvement : “L’accord de libre-échange [NAFTA] est l’arrêt de mort des peuples indigènes du Mexique, qui sont périssables pour le gouvernement de Carlos Salinas de Gortari. Nous nous soulevons donc en armes contre cet arrêt de mort.

-[]-

NdR71 : de la même manière, aujourd’hui en 2023, l’ensemble des institutions étatico-marchandes livrent une guerre sans merci aux peuples de la terre à grand renfort d’armes biologiques (SRAS-CoV2 / COVID, injections ARNm), d’empoisonnement chimique, de guerres perpétuelles, de crises économiques provoquées et dévastatrices, de pénuries fabriquées en tout domaine. En cela nous sommes tous des Zapatistes et l’heure est venue pour les peuples de la terre de se soulever en armes contre l’arrêt de mort pris par le système à notre encontre. Nous sommes en état de légitime défense permanent face à l’État et à la marchandise dominants et exploiteurs nous agressant tout azimut. Se défendre PHYSIQUEMENT devient une obligation quasi survivaliste…

-[]-

Les activistes indigènes interviewés insiste sur la fausse conscience partagée par la classe laborieuse, qui dans les grandes largeurs, a accepté des idéologies trompeuses et de fausses promesses en ce qui concerne le système capitaliste. Et donc, “l’énorme défi que présente le soulèvement à la toile soigneusement tissée de la répression et du mensonge par le gouvernement et le refus d’accepter ces conditions plus avant, devraient être une inspiration pour tous les socialistes où qu’ils soient.

Ils argumentent qu’ils ne sont pas seulement un mouvement “indigène ou ethnique”. Leurs objectifs et leurs stratégies sont adressés “à toute la classe laborieuse et à ceux qui sont opprimés, réprimés.”, tout en insistant dans le même temps sur la plus brutale des oppressions au Chiapas et autres communautés indigènes au Mexique et en Amérique Latine : “la distribution des terres est largement biaisée pour favoriser les riches et les puissant éleveurs de bétail ; ceci représente une vieille tradition de plusieurs siècles de discrimination contre les peuples indigènes et la pauvreté dans sa très vaste majorité.

De la même manière, leurs demandes ciblant le gouvernement ne furent pas limitées aux seuls peuples indigènes : “Les demandes zapatistes pour la terre, un habitat décent, des écoles, des cliniques, des salaires décents, l’égalité, la liberté, la justice, des élections saines et un gouvernement transitoire, sont simples et pourtant révolutionnaires.” Elles “exposent le grand fossé entre les riches et les pauvres, le contrôle des salaires qui fait du travailleur mexicain un des moins bien payés au monde, tout autant que la corruption et l’hypocrisie qui sont les marques de fabrique du parti politique qui a monopolisé le pouvoir pendant des décennies.

Greve_Generale_Active

Résistance et construction durant les années de négociation

La décennie qui suivit le soulèvement de 1994 fut témoin d’un dialogue intermittent entre l’EZLN et le gouvernement fédéral mexicain.. Les Zapatistes demandèrent l’autonomie complète du Chiapas, des droits sur la terre dans d’autres endroits du pays et la démolition en règle des accords du NAFTA et autres politiques néolibérales, ainsi que la demande pour des droits véritablement démocratiques pour tous les citoyens mexicains. Mais ces demandes n’étaient pas faites pour n’être mises en place qu’au Mexique.

La Première Rencontre Intercontinentale de 1996 organisée par les Zapatistes, convoqua plus de 3000 activistes de plus de 400 pays à se réunir et discuter, entre eux, de la nature du néolbéralisme et des luttes menées contre lui. De cela émana le Congrès National Indigène (CNI), qui, durant les années de négociation, fut consulté au sujet de l’introduction de changements dans la constitution qui amélioreraient considérablement la condition des peuples indigènes.

Dans le même temps, le mouvement de solidarité avec le Chiapas en Amérique Latine grandissait. Ce mouvement joua un rôle central dans le soutien constant des Zapatistes, les défendant contre les attaques incessantes de l’armée mexicaine et leur permettant de continuer leur projet égalitaire autonome. Les attaques par l’armée mexicaine allaient continuer pendant des années, persistant jusqu’à aujourd’hui sans être jamais mentionnées dans la presse occidentale.

Après presque une décennie de fausses négociations avec l’état, la cassure inévitable se produisit. Le 1er janvier 2003, les Zapatistes du Chiapas décidèrent d’abandonner “la politique de la demande est avec elle, tout contact avec l’état mexicain”. En lieu et place, ils choisirent de se concentrer sur la construction de leur propre autonomie, des formes horizontales d’auto-gouvernement au sein de leurs propres territoires et par leurs propres moyens.

Le 9 août 2003, les Zapatistes annoncèrent l’établissement des Conseils de Bon Gouvernement (Juntas de Buen Gobierno), chacun basé dans les caracoles (escargots) ou centres administratifs des zones rebelles. Un total de cinq caracoles furent créés, chacun avec son propre conseil de bon gouvernement et chacun responsable de sa propre Municipalité Rebelle Autonome Zapatiste (MAREZ)

Chaque Caracol possède trois niveaux de gouvernement autonome : la communauté, la municipalité et le conseil de bon gouvernement. Les deux premiers sont fondés sur une base populaire d’assemblées volontaires. Les décisions prises par chacun des cinq conseils de bon gouvernement sont basées sur des lignes de conduite préalablement déterminées au niveau de la communauté. Les membres du conseil sont élus, mais avec l’intention d’avoir le plus de participants possibles dans ces conseils au fil des années sur le principe de la rotation.

Chaque Caracol possède ses propres systèmes éducatif, de santé et de justice, ainsi que des coopératives produisant du café, créant des objets d’artisanat et du bétail, entre autres choses. Toutes les décisions sont prises en accord avec des lignes de conduite préalablement décidées par les assemblés volontaires au niveau de la communauté, “un modèle révolutionnaire pour organiser un auto-gouvernement” d’après le Comité de Soutien au Chiapas (CSC), une organisation basée à Oakland en Californie.

masquecarte

Émancipation et dignité des femmes dans les Caracoles rebelles

Le défi de l’égalité pour les femmes a trouvé une acceptation et un soutien de l’EZLN et de ses leaders. La prise de la ville de San Cristobal de Las Casas, le ville la plus importante occupée par l’EZLN en 1994, fut commandée par la Comandante Ana Maria et une autre figure de proue du mouvement était la Comandante Ramona, qui fut la toute première zapatiste envoyée à Mexico-City pour représenter le mouvement dans les négociations avec le gouvernement mexicain.

Les femmes ont été traitées en véritables égales au point que beaucoup de femmes ont un statut d’officier et tant les hommes que les femmes doivent porter la responsabilité du travail et du combat de manière égale. Quand les femmes se sont organisées dans des douzaines de comités pour produire un code des droits des femmes, le leadership de l’EZLN composé de leaders Mayans, le CCRI-CG, a adopté le code à l’unanimité.

Cette “loi révolutionnaire des femmes” a inclus les droits de toutes les femmes “sans regard pour la race, couleur ou affiliation politique”, à participer à la lutte “de toute manière que dicte leur désir et leur capacité”. Ceci inclut le droit “de travailler et de recevoir un juste salaire”, le droit de “décider du nombre d’enfants qu’elles auront et prendront soin”, le droit de “participer aux affaires de la communauté et d’avoir des charges si elles sont élues librement et démocratiquement”, le droit (avec les enfants) “de toute première attention en matière de nutrition et de santé”, le droit “de choisir leur partenaire et de ne pas être obligée de se marier”, le “droit de ne pas subir de violence domestique de la part de proches ou d’étrangers. Le viol et la tentative de viol seront sévèrement punis.”, le droit “d’occuper des postes de leadership au sein de l’EZLN et de tenir un haut rang d’officier dans les forces armées révolutionnaires” et finalement “tous les droits et obligations que donnent les lois et les règlements révolutionnaires.”

Aujourd’hui, des femmes participent à tous les niveaux du gouvernement et sont à la tête de coopératives et de structures économiques. Elles forment une grande partie des rangs de l’EZLN et prennent de hautes positions dans le commandement militaire.

Faisant face à la politique néolibérale qui a établi la dépossession et l’extraction agressive des ressources de leurs territoires, les Caracoles rebelles ont fonctionné lentement, silencieusement et efficacement pour plus de deux décennies. Leurs stratégies allèrent plus loin, plus profond et personnifiaient une culture que l’État fut obligé de reconnaître et surtout de respecter.

Ainsi, le 24 février 2016, un juge fédéral du Mexique a admis qu’il n’avait pas d’autre choix que d’accepter que l’affaire judiciaire entre l’État et l’EZLN ne pouvait pas aller plus loin. Les accusations de terrorisme, de sédition, d’émeutes, de rébellion et de conspiration enregistrés sous une plainte par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) en 1994 contre le Subcomandante Insurgente Marcos et les leaders indigènes de la résistance étaient nulles et non avenues : le statut de la date butoir ayant été dépassé.

Les conclusions de Gonzalez Casanova furent larges : “Plus qu’une idéologie sur le pouvoir du gouvernement de et par les peuples, les caracoles construisent et expriment une culture du pouvoir émanant de 500 ans de résistance des peuples indiens des Amériques.” Les caracoles du Chiapas sont au centre du mouvement indigène de toute l’Amérique Latine.

Le Mexique et l’Amérique Latine

Les Zapatistes du Chiapas ne sont pas surgis de nulle part, mais sont apparus dans une région où les mouvements sociaux indigènes luttant pour la terre contre le racisme et la discrimination furent très présents depuis les années 1970, plus d’une décennie avant l’avènement de l’EZLN, comme grande partie du mouvement de résistance du Chiapas. Les Zapatistes furent d’abord inspirés par leur militantisme résolu et avec le temps, devinrent eux-même un modèle pour eux.

Poussant à renforcer la lutte unifiée indigène, le peuple Maya du Chiapas développait des réseaux de coopération et de lutte conjointe avec d’autres communautés mexicaines luttant pour le retour des terres volées, une éducation et de l’eau potable parmi d’autres besoins notoires et contre l’oppression de masse commise par la classe dirigeante du PRI au service absolu des monopoles multinationaux.

Au Mexique et à travers toute l’Amérique Latine, les communautés indigènes ont été exposées à l’attaque du trafic de la drogue par les cartels, les gangs criminels, les gardes de sécurité privés des corporations, des entreprises multinationales, ainsi que  par les forces de sécurité étatiques comme la police et l’armée. Les leaders indigènes de la résistance organisée ont souvent été assassinés dans un effort de supprimer tout obstacle aux projets du pillage de leurs territoires.

De manière intéressante, les mouvements indigènes latinos furent durement touchés par la chute des gouvernements de centre-gauche de la “marée rose” entre les années 2000 et 2005, ce qui en un sens a permis toujours plus de résistance locale. Les mouvements ont persisté dans la construction de leurs communautés de telles façons qu’elles s’adaptent constamment aux requis de défense toujours changeants contre les massacres qui leur étaient infligés quotidiennement.

Quelques unes des communautés les plus affectées ont trouvé un système de garde-fou qui est soumis au peuple, développant des structures de pouvoir communal en parallèle de celles de l’état, mais opérant de manière bien différente de celles de l’état. Comme dit plus haut, le rôle de l’EZLN fut largement celui d’une force de défense militaire jusqu’à la décision prise par les communautés indigènes de prendre les armes.

D’autres communautés en Amérique latine ont adopté la culture politique synthétisée par les Zapatistes dans leur expression de “diriger en obéissant” (mandar obedeciendo). Ces systèmes se sont vus ancrés dans des pratiques communautaires qui doivent même être différenciées des partis de gauche et des syndicats, car ceux-ci “sont toujours marqués par une tentation sous-jacente de devenir le véritable pouvoir, construit à l’image de l’État.”, comme l’écrit Raúl Zibechi.

Au contraire de ces formes, la structure de ces gardes-fou indigènes dans les communautés a été fondée sur des principes similaires de ceux des caracoles du Chiapas, elle vise à maintenir les membres de la communauté comme les preneurs de décision qui exercent leur pouvoir en contrôlant leurs représentants choisis [NdT : sur une base de rotation pour impliquer la totalité de la communauté politiquement…] Chaque assemblée de communauté choisit 10 gardes et un coordinateur. Un second coordinateur est ensuite choisi le Comité Régional Clandestin (CRC) et un troisième des Conseils de Bon Gouvernement (CBG)

La région de Colombie du Cauca du Nord par exemple, a 3500 gardes indigènes, correspondant au conseil de gouvernement local. La participation dans les groupes de défense est volontaire et n’est pas payée et les voisinages dans chaque communauté aident dans la logistique et dans la maintenance dub lopin de terre familial de chaque garde et parfois accomplissent les taches de base comme semer et récolter les cultures.

“Ces pratiques et procédures, nous dit Zibechi, visent à éviter de faire l’erreur de distribuer le pouvoir à des institutions qui sont des rouages efficaces de la machine d’état.” Qui empêcherait toute autonomie de la base dans la prise de décision. De fait, l’échec des conseils communaux au Venezuela démontre les conséquences d’une telle erreur de distribution du pouvoir décisionnaire : à cause de leur dépendance au financement de l’état, les conseils sont partie intégrante de la structure organisationnelle de l’état et aident à sécuriser son pouvoir plutôt que de le transcender.

Dans le temps, ils sont devenus plus homogènes et ont perdu leur indépendance. Bien qu’il y ait une forte culture égalitaire dans les voisinages au Venezuela, une culture d’horizontalité et d’absence de hiérarchie, la contradiction entre la base populaire et le leadership a été résolue par des directives qui mettent des limites et contrôlent les espaces égalitaires.

Bien d’autres cas indiquent que l’intervention de gouvernements, même de services sociaux “bien pensants” et de bons “projets de développement”, a eu pour conséquence la perte d’indépendance de la communauté. D’un autre côté, il y a des contre-exemples comme la Guardia Indigena, le cœur du pouvoir du peuple Nasa qui a été à l’avant-garde du mouvement indigène en Colombie.

Zibechi dépeint le Chiapas zapatiste comme un remarquable exemple d’un système social totalement horizontal. Les caracoles sont “le seul cas en Amérique Latine ou autonomie et auto-gouvernement sont exprimés à trois niveaux différents avec la même logique d’assemblée en rotation des communautés.” Le modèle zapatiste de démocratie d’en bas (à gauche) demeure vivant et actif jusqu’à aujourd’hui, 30 ans plus tard. A juste titre, ils attribuent leur succès au fait que depuis le départ ils ont été déterminés de garder une complète déconnexion d’avec l’État et ses institutions, incluant les partis politiques de la “gauche” mexicaine, qui ont soutenu les gouvernements néolibéraux (NdT : comme partout ailleurs dans le monde, la gauchiasse étatique de partis et de syndicats inféodés, des marxistes aux socialos, n’a fait que trahir encore et toujours les peuples et la révolution sociale…).

Marcos1

Au-delà du cadre marxiste

Le Chiapas et la plupart des mouvements indigènes d’Amérique Latine ont été à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire mondiale contre le capitalisme et sa forme actuelle “d’accumulation par dépossession”. Ces mouvements ont été une réponse à un type différent “d’exploitation” que celui de la classe laborieuse qui est associée à la valeur ajoutée produite par le travail.

Ici, nous sommes les témoins d’entières communautés indigènes qui sont les cibles de l’extraction. Elles sont les victimes de massacres quotidiens commis par leurs “employeurs directs”, les industries d’extraction et les cartels de la drogue que les gouvernements impérialistes locaux ont soutenu. Le besoin d’une défense continue de leurs vies et de leurs terres a fait croître le pouvoir communal personnifié par les caracoles et le système social de démocratie d’en bas, ancré profondément dans la tradition indigène.

Les mouvements indigènes ont été les moyens courageux de confrontation de cette guerre totale qui est livrée contre eux. Ils continuent de servir de puissante ressource pour la mobilisation d’une résistance continuelle et déterminée qu’ils ont mené contre l’économie néolibérale. [NdT : qui n’est quelle phase conjoncturelle de l’oppression capitaliste dans son ensemble, le capitalisme n’étant qu’un avatar historique du système marchand qu’il faut impérativement mettre à bas…]

Les Zapatistes, qui sont devenus un avec les communautés du Chiapas, n’étaient en rien similaires aux mouvements de guérilla qui importèrent de l’extérieur une version du marxisme, qu’ils tentaient d’inculquer aux gens en supervisant sa mise en place d’en haut. Ces mouvements de guérilla visaient à changer le système socio-politique en occupant le pouvoir d’état dans une révolution future menée par le parti des travailleurs.

Au lieu de cela, les indigènes zapatistes ont combiné l’autodéfense avec une résistance résolue, qui, avec la lutte latino-américaine, peuvent créer des fissures dans le système capitaliste.

De nombreuses tendances de la gauche marxiste se sont souvent focalisées sur le court soulèvement du Chiapas en 1994, mais n’ont pas engagé le mouvement zapatiste plus loin que de commémorer cette date. Elles n’ont pratiquement jamais parlé des années avant et après ce soulèvement. Elles ne l’ont pas vu non plus comme un projet unifié, des années de résistance tout en construisant dans le même temps un Chiapas autonome.

Le projet au Chiapas de “la démocratie d’en bas [à gauche]”, le système horizontal de prise de décision de la communauté, n’ont pas été reconnus comme une lutte “révolutionnaire” contre le capitalisme. Ni du reste n’ont été considérées comme révolutionnaire la résistance quotidienne démontrée par les groupes de résistance des mouvements indigènes à travers l’Amérique Latine et leurs tentatives de suivre le Chiapas dans la construction des caracoles.

Les mouvements de résistance indigènes utilisent la seule armure disponible : les sages stratégies autonomes de la “démocratie d’en bas” et la cohésion des communautés. C’est un combat pour leur vie même en tant qu’individus et communautés, tout en ciblant directement les forteresses du capitalisme et de l’impérialisme, les multinationales et spécifiquement ces industries d’extraction soutenues par les Etats-Unis. Ceci en fait d’admirables frères et sœurs de notre lutte partagée, qui mérite bien plus qu’une franche solidarité.

Si tu es venu ici pour m’aider,
Tu perds ton temps…
Mais si tu es venu parce que
Ta libération est liée à la mienne,
Alors, travaillons ensemble.
Groupe d’activistes aborigènes, Queensland, Australie, 1970

Le texte complet en PDF :

EZLN_Chiapas_Une-communaute-en-armes-tikva-honig-parnass

= = =

chiapas_autodefense2
¡Viva Zapata!

“Vous et votre système avez peur parce qu’ils disent qu’alors que nous passons, les pauvres vont se soulever et demander rétribution pour toutes les fautes et malveillances commises contre eux. Vous avez peur parce que vous comprenez et reconnaissez que les conditions de vie de la majorité des Mexicains, pas seulement celles des peuples indigènes, sont très mauvaises et pourraient bien mener à la rébellion.”
~ SCI Marcos, 5 mars 2001 ~

“Ce qui caractérise l’esprit de la société, c’est l’unification des concepts humains, l’esprit social constructeur est une compréhension du Tout dans un universel vivant ; c’est en cela que la société humaine, dans son collectif pensant et agissant, est organique, contrairement à l’État, mécanisme de l’aliénation et de la coercition. En passant du mode organisationnel étatique à celui de la société des sociétés, l’humanité passe du non-esprit à l’esprit retrouvé, de la mort à la renaissance sociale. Elle passe de l’éphémère à l’universel. La réalité sociale du vivant est présente en nous à chaque instant, ainsi que l’esprit communal que nous devons laisser émerger de nouveau.”
~ Résistance 71, “Manifeste pour la société des sociétés”, 2017 ~

Lectures complémentaires :

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

5 textes pour comprendre et éradiquer le colonialisme

« Païens en terre promise, décoder la doctrine chrétienne de la découverte », Steven Newcomb, 2008

« Comprendre le système de l’oppression coloniale par mieux le démonter », Steven Newcomb

« Comprendre le système de l’oppression coloniale pour mieux le démonter », Peter d’Errico

« Effondrer le colonialisme », Résistance 71

« Nous sommes tous des colonisés ! », Résistance 71

“Nous distinguons trois grandes stratégies ces dix dernières années :

  • La stratégie que nous appelons “le Feu”, qui se réfère à l’action militaire, à la préparation, aux batailles, aux mouvements militaires
  • La stratégie que nous appelons “La Parole”, qui se réfère aux réunions, aux dialogues, aux communiqués, qu’il y ait une parole ou un silence organisé, qui est l(‘absence de parole.
  • La stratégie qui est la colonne vertébrale de tout ce qui précède, celle de “L’Organisation”, le processus organisationnel développé dans le temps par les communautés zapatistes.

Ces stratégies, le feu et la parole, articulées autour d’une organisation populaire, sont ce qui marque ces dix années de vie publique zapatiste et de l’EZLN entre 1994 et 2004.”
~ EZLN, 2008 ~

rebellion

Chapas1

EZLN1

Invasion zapatiste de l’Europe, rencontres rebelles fructifiantes… Que la fête commence !

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, crise mondiale, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , on 30 avril 2021 by Résistance 71

“L’invasion zapatiste” commence !

Jérôme Baschet

27 avril 2021

Source: https://www.lavoiedujaguar.net/L-invasion-zapatiste-commence

Cela avait été annoncé il y a six mois ; maintenant, nous y sommes.

Le voyage zapatiste vers l’Europe a commencé.

La « conquête inversée » a bel et bien débuté.

Lorsque, le 5 octobre 2020, les zapatistes ont publié leur communiqué « Une montagne en haute mer », la surprise fut considérable, à l’annonce d’une tournée de l’EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional) sur les cinq continents, en commençant par l’Europe.

Il faut dire que, si les zapatistes n’ont pas été avares d’initiatives tant au Chiapas qu’à l’échelle du Mexique (avec par exemple la Marche de la couleur de la terre, il y a tout juste vingt ans), c’est presque la première fois (à une petite exception près en 1997) qu’ils sortent des frontières de leur pays.

Puis, le 1er janvier dernier, ils ont écrit et cosigné avec des centaines de personnes, collectifs et organisations une « Déclaration pour la vie » exposant les raisons de ce voyage : contribuer à l’effort pour que les luttes contre le capitalisme — qui sont indissociablement des luttes pour la vie — se rencontrent dans la pleine conscience de leurs différences et loin de toute volonté d’homogénéisation ou d’hégémonie.

Au cours de ces six derniers mois, un ample processus d’organisation s’est mis en place à l’échelle européenne, mais aussi dans chaque pays ou « géographie », selon la terminologie zapatiste. Une coordination francophone a ainsi vu le jour, puis, en son sein, huit coordinations régionales fédérant collectifs et initiatives locales. Dans le même temps, l’EZLN a confirmé que se préparait une ample délégation composée de plus d’une centaine de ses membres, aux trois quarts des femmes, et qu’elle serait en outre accompagnée par des membres du Congrès national indien – Conseil indien de gouvernement, qui regroupe des luttes indiennes de tout le Mexique, ainsi que par une délégation du Front des peuples en défense de l’eau et de la terre de Morelos, Puebla et Tlaxcala, s’opposant à la mise en service d’une double centrale thermoélectrique qui menace de détourner les ressources en eau indispensables aux paysans de la région [1].

Le 10 avril dernier — anniversaire de l’assassinat d’Emiliano Zapata — était annoncé le départ de la première partie de la délégation zapatiste, destinée à faire le voyage par la voie maritime. On s’attendait à la voir sortir, ce jour-là, du caracol [2] de Morelia, où ses membres se préparaient depuis des mois. Il y eut bien alors un rituel en bonne et due forme, avec musique traditionnelle, encens et gestes de purification (limpia), sur la réplique d’une proue de navire ; mais la montagne ne s’est pas pour autant déplacée [3]. En effet, il a été annoncé que la délégation se plaçait en quarantaine pendant quinze jours afin d’être assurée de ne pas quitter les territoires zapatistes en étant porteuse d’un autre virus que celui de la rébellion — un choix qui réitère la décision de l’EZLN de prendre (par soi-même et loin de toute injonction étatique) toutes les mesures de précaution sanitaire requises pour éviter la propagation du SARS-CoV-2, ce qui l’avait conduit à déclarer, dès le 15 mars 2020, une alerte rouge et à fermer l’accès à tous les caracoles zapatistes.

On apprit aussi que cette délégation maritime avait été baptisée « Escadron 421 », parce qu’elle est composée de quatre femmes, de deux hommes et d’une personne transgenre (« unoa otroa », dans le lexique zapatiste), présenté·e·s individuellement dans un communiqué du sous-commandant Galeano [4]. Après une nouvelle fête de départ, le dimanche 25, avec exposition de nombreuses peintures et sculptures, paroles d’encouragement du conseil de bon gouvernement et bal populaire [5], ce lundi 26 avril est donc le jour de leur départ effectif de Morelia. De là, ils rejoindront un port mexicain où les attend le bateau dénommé « La Montagne » et, le 3 mai, largueront les amarres pour la traversée de l’Atlantique. L’Escadron 421 sera alors soumis aux impondérables océaniques, sous la compétente conduite de l’équipage du navire. Il devrait arriver en vue des côtes européennes dans la seconde moitié du mois de juin (le pays ne sera connu que plus tard).

Parallèlement, ces derniers jours, de petites fêtes étaient organisées au son des tambours et des encouragements de toutes sortes pour accompagner le départ d’autres membres de la délégation zapatiste qui quittaient leurs villages de la forêt Lacandone, parfois dans des pirogues permettant de descendre les rivières de cette région tropicale, proche de la frontière du Guatemala [6]. Elles et eux feront partie des groupes de la délégation zapatiste qui, en avion cette fois, rejoindront le vieux continent à partir du début juillet.

Commenceront alors des mois d’intenses activités, de rencontres et d’échanges dans toute l’Europe, puisque les zapatistes ont annoncé avoir reçu et accepté des invitations émanant de très nombreuses « géographies » : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Catalogne, Sardaigne, Chypre, Croatie, Danemark, Slovénie, État espagnol, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pays basque, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Roumanie, Russie, Serbie, Suède, Suisse, Turquie, Ukraine.

Ce sont des centaines de rencontres et d’activités qui ont été proposées aux zapatistes et sont actuellement en cours de préparation. Les collectifs et organisations concernés les feront connaître le moment venu. Il est possible qu’il y ait des rassemblements amples, impliquant toutes les luttes de la période actuelle, des Gilets jaunes aux ZAD et autres résistances territoriales contre les grands projets destructeurs, des collectifs féministes à toutes les formes de soutien aux migrants, des luttes contre les violences policières à celles qui visent à défaire les dominations coloniales, des réseaux d’entraide dans les métropoles aux régions rurales où s’esquissent d’autres manières de vivre, sans oublier la mobilisation prioritaire à laquelle nous obligent, comme le soulignent les zapatistes, les sanglots tragiques de notre planète blessée. La liste est longue (et ici incomplète) au sein de la galaxie des rébellions contre tous les aspects de la barbarie capitaliste et des résistances pour faire émerger d’autres mondes plus désirables.

Surtout, les zapatistes ont expliqué qu’ils venaient pour échanger — c’est-à-dire pour parler et, plus encore, pour écouter — avec toutes celles et ceux qui les ont invités « pour parler de nos histoires mutuelles, de nos douleurs, de nos rages, de nos réussites et de nos échecs » [7]. Des rencontres à petite échelle, pour prendre le temps de se connaître et commencer à apprendre les un·e·s des autres. Cela fait bien longtemps que les zapatistes insistent sur le fait que nos luttes ne peuvent rester isolées les unes des autres, soulignant la nécessité de construire des réseaux planétaires de résistance et de rébellion. Il est inutile de rappeler ici toutes les rencontres internationales qu’ils ont organisées au Chiapas, depuis la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme (dite « Intergalactique »), en 1996, jusqu’au séminaire « La pensée critique contre l’hydre capitaliste », en 2015 [8]. Mais on peut noter qu’en août 2019, au moment d’annoncer une nouvelle avancée de l’autonomie, avec la création de quatre nouvelles communes autonomes et de sept nouveaux conseils de bon gouvernement, ils avaient précisé qu’ils ne proposaient plus d’organiser de grandes rencontres, mais plutôt de faire des « réunions avec les groupes, collectifs et organisations qui travaillent [luttent] dans leurs géographies » [9]. Il n’était pas alors question de voyage sur les cinq continents, mais celui-ci pourrait être — en plus d’autres raisons d’entreprendre un tel périple — une manière d’engager ce processus. Mais, si une telle perspective peut résonner avec le besoin que beaucoup ressentent de tisser davantage entre les luttes existantes, il est clair qu’elle a pour préalable non seulement l’échange qui permet d’identifier ce qui est partagé sans dénier différences et divergences, mais aussi et surtout la rencontre qui crée une interconnaissance réelle.

Le voyage pour la vie sera donc l’occasion pour un nombre bien plus important de personnes de rencontrer les zapatistes et d’en apprendre davantage sur cette expérience d’autonomie et de dignité qui persévère contre vents et marées, depuis plus d’un quart de siècle. Et, espérons-le, de se laisser gagner par la contagion rebelle dont les zapatistes sont de virulents porteurs. Souhaitons donc que toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans la Déclaration pour la vie et pour qui l’autonomie zapatiste brille fort dans le ciel de nos aspirations (et inspirations) soient prêt·e·s à les accueillir, à soutenir leur initiative itinérante (par exemple en contribuant et en faisant circuler la plate-forme de crowdfunding mise en place à cet effet), à participer, de la manière qui conviendra à chacun·e, au VOYAGE POUR LA VIE [10].

Mais revenons à l’Escadron 421. Depuis le début de l’annonce du voyage vers l’Europe, les zapatistes suggèrent qu’il s’agit de refaire à l’envers le processus de la conquête. Ils s’amusent à l’idée d’une invasion inversée (et, cette fois, consentie). C’est de l’humour, bien sûr (mais en est-on bien sûr ?) [11]. En tout cas, ils ont annoncé qu’ils seraient, le 13 août 2021, à Madrid pour célébrer à leur manière les cinq cents ans de la conquête de Mexico-Tenochtitlan par l’armée de Hernan Cortés. Les Indiens du Chiapas, comme ceux de tout le continent américain, éprouvent depuis cinq siècles dans leur chair ce que signifient la colonisation et toutes les formes de colonialisme interne et de racisme qui en sont la prolongation. Mais les zapatistes ont clairement dit qu’ils ne se rendraient pas à Madrid pour exiger que l’État espagnol ou l’Église catholique leur demande pardon. Ils refusent tout autant la condamnation essentialisante d’un « Occident » diabolisé et tout entier assimilé aux colonisateurs que l’attitude consistant à enfermer les colonisés dans la position de victimes. Au contraire, ils entendent dire aux Espagnols « qu’ils ne nous ont pas conquis [et] que nous sommes toujours en résistance et en rébellion ». Refaire le voyage à l’envers, c’est déjouer une histoire toute faite, qui assigne des positions figées et univoques aux vainqueurs et aux vaincus. Il s’agit d’ouvrir par effraction la possibilité d’une autre histoire.

Lorsque la délégation maritime zapatiste touchera terre en un point encore inconnu du continent européen, c’est Marijose, « unoa otroa » de l’Escadron 421 qui débarquera en premier. Voici comment le sous-commandant Galeano décrit par avance la scène, en une inversion du geste par lequel Christophe Colomb — qui pourtant n’a pas débarqué, le 12 octobre 1492, en conquérant ni même en découvreur, puisqu’il ne cherchait au contraire qu’à retrouver les terres déjà connues du Japon et de la Chine — s’est empressé de planter sa croix et d’imposer le nom de San Salvador à l’île de Guanahaní :

Ainsi, le premier pied à se poser sur le sol européen (bien sûr, si on nous laisse débarquer) ne sera ni celui d’un homme ni celui d’une femme. Ce sera celui d’un·e autre.

Dans ce que le défunt SupMarcos aurait décrit comme « une gifle avec un bas noir pour toute la gauche hétéropatriarcale », il a été décidé que la première personne à débarquer sera Marijose.

Dès qu’elle·il aura posé les deux pieds sur le sol européen et se sera remis·e du mal de mer, Marijose criera :

« Rendez-vous, visages pâles hétéropatriarcaux qui persécutez ce qui est différent ! »

Nan, je plaisante. Mais ça serait bien qu’il·elle le dise, non ?

Non, en descendant à terre, l@ compa zapatiste Marijose dira d’une voix solennelle :

« Au nom des femmes, des enfants, des hommes, des anciens et, bien sûr, des zapatistes autres, je déclare que le nom de cette terre, que ses natifs appellent aujourd’hui “Europe”, s’appellera désormais : SLUMIL K’AJXEMK’OP, ce qui signifie “Terre rebelle”, ou “Terre qui ne se résigne pas, qui ne défaille pas”. Et c’est ainsi qu’elle sera connue des habitants et des étrangers tant qu’il y aura ici quelqu’un qui n’abandonnera pas, qui ne se vendra pas et qui ne capitulera pas. »

Bienvenue, compañeroas, compañeras y compañeros zapatistas, dans les diverses géographies du continent bientôt renommé Slumil K’ajxemk’op.

Paris, 25-26 avril 2021

Jérôme Baschet

Source : LundiMatin

26 avril 2021.

P.-S.

[mise à jour : le communiqué « La route d’Ixchel », publié ce 26 avril après la parution du présent article, précise que « La Montaña » doit quitter le Mexique depuis Isla Mujeres, pour arriver en vue des côtes européennes à Vigo (Galice)]

Notes

[1] « Au Mexique, les zapatistes du Chiapas s’opposent aux grands projets nuisibles ».

[2] Escargot, en espagnol. Nom des centres régionaux où siègent les « conseils de bon gouvernement » de l’autonomie zapatiste et où ont lieu notamment les rencontres nationales et internationales organisées par l’EZLN.

[3] « En route vers l’Europe… ».

[4] « Escadron 421 ». On y apprend aussi que cette délégation maritime devait être composée de vingt personnes, mais que les autres n’ont pas réussi à vaincre les obstacles mis à l’obtention de leur passeport. NB : L’Escadron 201 est une unité aérienne mexicaine ayant participé à la Seconde guerre mondiale.

[5] « Réveillez-vous ! » et « Escuadrón 421, la delegación Zapatista : “¡Semillas llevamos, semillas dejamos, semillas germinarán !” ».

[6] « Et pendant ce temps, dans la selva Lacandone… »

[7] « En route vers l’Europe… ».

[8] Voir : « Zapatisme ».

[9] « Et nous avons brisé l’encerclement », voir aussi : « Ici, le peuple dirige, le gouvernement obéit » : au Mexique, le zapatisme est bien vivant.

[10] Les coordinations régionales peuvent être contactées aux adresses suivantes :

Centre Val de Loire : zapatista-centrevaldeloire@siberry.fr

Coordination Nord : zalig@herbesfolles.org

Coordination Nord-Est : zapat-est@riseup.net

Coordination Nord-Ouest : coordnordouest@lists.riseup.net

Coordination Île-de-France : comcomzap-idf@riseup.net

Coordination Auvergne – Rhône-Alpes : zap21_auv_rhon_alp@lists.riseup.net

Coordination PACA : pacaz@riseup.net

Coordination Sud-Ouest : contact-coordSudOuest@riseup.net

La coordination francophone à cette adresse : zap_2021_fr_contact@lists.riseup.net

Et pour la Belgique francophone : razb@collectifs.net

[11] Lors de la fête du 25 avril, à Morelia, des maquettes de bateaux ont été exposées, avec des noms faisant ironiquement référence aux caravelles de Christophe Colomb : « Santa Maria – La Revancha » ; « No soy Niña »…

= = =

Lecture complémentaire :

Du chemin de la société vers son humanité réalisée (Résistance 71)

Nous sommes tous des colonisés (Résistance 71)

6ème déclaratoin zapatiste de la forêt de Lacandon

Ricardo Flores Magon, textes choisis

Chiapas, feu et parole d’un peuple qui dirige et d’un gouvernement qui obéit

Rencontre au sommet…


Gilets Jaunes…


Zapatistes….