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Résurgence politique = Terre + Culture ou la formule naturelle de désintoxication de l’idéologie coloniale…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, démocratie participative, documentaire, guerres hégémoniques, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , on 24 février 2016 by Résistance 71

“Une existence indigène ne peut pas se réaliser sans respecter toutes les facettes de la tradition: culture, spritualité et gouvernement. Les mystiques qui ignorent la politique et vivent leur identité seulement au travers de leurs arts sont tout aussi perdus que les matérialistes dont les vies sont dénuées de spiritualité.”
“Une raison qui fait que nous avons perdu notre voie est que le système de valeur matérialiste courant nous a aveuglé et nous empêche de voir la beauté subtile des systèmes indigènes fondés sur un profond respect de l’équilibre.”
~ Taiaiake Alfred ~

“Toute personne indigène comprend que nous sommes tous intrinsèquement parties d’un système qui n’est pas au-dessus ou en-dehors ou séparé du monde naturel et de sa loi naturelle ; nous faisons partie de la mosaïque de la vie… Il n’y a aucune honte dans la nature et de vivre par la loi naturelle, il n’y a que de la dignité.”
~ Russell Means ~

 

Conversation avec Taiaiake Alfred au festival Hay de Médelin en Colombie

Entretien avec Erika Valero le 28 Janvier 2016

 

url de l’article original:

http://taiaiake.net/2016/02/05/hay-festival-medellin-interview/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Note: Taiaiake Alfred (Ph.D) est professeur de science politique à l’université de Victoria en Colombie Britannique, Canada. Il est Mohawk, clan de l’Ours du territoire de Kanahwake.

 

Taiaiake Alfred sur Résistance 71

 

Comment décririez-vous votre communauté, les Mohawk ?

Je suis quelqu’un qui a grandi dans une réserve indienne, dans un environnement de terre perdue, de pollution et avec tous les problèmes sociaux qui vont avec. Mais en même temps, je viens d’une communauté qui est très fière et aime se battre pour la justice. J’en ai fait ma propre mission dans la vie que de me battre pour notre terre, pour la nettoyer et pour permettre à nos enfants d’être encore plus indigènes que nous de façon à ce que nous soyons de nouveau en équilibre avec le monde naturel.

Au Canada, nous sommes devenus très résistant au colonialisme, nous y avons gagné la réputation d’être une des nations qui recherche toujours la confrontaton, ce qui est vrai. Ils ont essayé de nous retirer notre terre et notre gouvernement.

Les Mohawks sont aussi connus à New York pour être ceux qui travaillent l’acier, qui construisent les grattes-ciel comme les tours jumelles du WTC et autres bâtiments très hauts. Mon père a fait cela, tous mes copains aussi. C’est ce que les gens pensent de nous à New York lorsque vous dites “Mohawk”…

Dans votre travail, vous parlez au sujet de la revitalisation de la jeunesse et de la culture, pouvez-nous nous expliquer ce concept ?

Mon travail consiste en l’observation de chaque nation et de trouver des opportunités pour qu’elle puisse maintenir une connexion avec leurs pratiques ; ou si ces pratiques culturelles sont perdues, nous essayons de trouver des façons pour ces gens de réapprendre des autres tribus. Le modèle de base est celui du “maître et de l’apprenti”, comme pratiqué avec les langues ou les arts. Beaucoup de nos jeunes sont perdus, à cause de la perte de la terre et des assauts racistes répétés sur notre culture. Ils sont natifs, autochtones, mais ils ne savent pas ce que cela veut vraiment dire. Ils ont perdu les connexions avec leurs traditions. Il y a beaucoup de frustration et de colère, donc il y a beaucoup de violence dans nos communautés aussi bien que des violences latérales et des abus de substances (alcool et drogues).

J’ai été très impliqué dans la politique dans ce qui fut appelé la reivindicación de la tierra (NdT: en espagnol dans le texte original, Alfred donne cet entretien en Colombie rappelons-le). Ceci impliqua le processus légal et politique pour récupérer nos terres. Ce fut mon travail lorsque j’ai commencé ce travail il y a plus de 10 ans. Lorsque je suis passé à la revitalisation culturelle, ce fut lorsque nous ramenions notre jeunesse à des pratiques culturelles et de langues sur la terre que nous avions récupérée.

Il y a 12 ans, j’ai commencé à travailler avec une communauté en particulier. Nous avons essayé de comprendre une nouvelle façon d’impliquer les jeunes et de les maintenir motivés, qu’ils aient un but et qu’ils soient fiers d’être indigènes. Il ne s’agit pas de retourner 100 ans ou plus en arrière, mais d’intégrer notre vécu dans la vie moderne, un nouvel équilibre. Cela fait deux ans maintenant et nous avons observé des changements extraordinaires chez ces jeunes et dans leurs familles.

Comment utilisez-vous le conte de tradition orale, la langue et l’art pour ramener les jeunes vers leurs traditions ?

Je fais pas mal de choses différentes, mais c’est toujours le même chemin. J’avais l’habitude d’écrire des choses plus académiques et plus politiques dans ce but, mais maintenant, j’écris plus créativement et narrativement.

Il y a pas mal de gens qui le font en utilisant la langue, mais pour nous c’est plus en parlant à des groupes et en communiquant à leur niveau, ce qu’ils n’ont pas l’habitude d’entendre. A l’école, ils étudient l’histoire et le leadership. C’est très politique. Mais lorsque je vais y faire des cours, je leur parle de la grande Terre, parce que je vis dessus. J’ai souffert ce qu’ils ont souffert. J’essaie de les convaincre que toutes les réponses que le gouvernement leur donne ne vont pas les aider. La seule chose qui va les aider à se sentir entier de nouveau est d’être dans une saine relation de respect avec leur territoire, leur terre, et respecter la vision de leurs ancêtres au sujet du fait d’être indigène.

Quelle est la vision ancestrale d’être indigène ?

C’est très simple. Juste d’être respectueux, durable et d’honorer la relation avec tous les autres éléments du monde naturel ; de ne pas mettre l’humain au-dessus de quoi que ce soit d’autre, de regarder cette relation comme une arme secrète inter-connectée. Les relations qui existent et maintiennent cet équilibre sont sacrées. Les humains sont en bonne santé lorsque l’environnement est en bonne santé, il en va de même pour les animaux. C’est très simple mais très profond dans le même temps.

Il est presque impossible d’avoir cette vision maintenant à cause du capitalisme. Ce système voit tout comme une commodité, une marchandise, ceci inclut les personnes. Il est très difficile d’avoir une vision de respect des uns des autres dans ce contexte. Donc, nous créons ces espaces non-capitalistes où les gens peuvent expérimenter ce que cela veut vraiment dire d’être une personne indigène.

Comment décririez-vous votre travail en tant qu’éducateur ?

Mon travail à l’université de Victoria en Colombie Britannique est d’enseigner le leadership indigène. J’éduque, je forme des leaders au niveau de la maîtrise et du doctorat, ainsi ils peuvent retourner dans leurs communautés avec une connaissance et un baguage culturel. Ces leaders sont déjà dans les deux mondes (indigène et colonial), mais nous sentons qu’ils doivent être responsables de la tradition indigène et non pas d’une autre idée de progrès ou du capitalisme. La plupart des autochtones au Canada sont victimes de la ségrégation, un peu de la même façon que les indigènes d’ici en Colombie. Il n’y a rien pour eux. Ils sont isolés dans des zones climatiques dures et froides ; ils ont le plus souvent été expulsés et relocalisés des bonnes terres (ancestrales) vers des terres marginales de façon à ce que d’autres personnes prennent possession et tirent avantages des resseources naturelles. C’est çà le colonialisme.

Au Canada, l’option donnée à ces gens est de quitter leurs terres et d’aller à l’école, à l’université. Pour moi, c’est une destruction de leur identité nationale et même avec cette option, ils n’y arrivent pas. Ils doivent en plus aller dans la bonne université. Il y a pas mal d’écoles donc nous essayons de nous occuper de leur éducation politique de façon à ce qu’ils puissent tirer le meilleur parti des deux mondes.

Pensez-vous qu’il soit possible de vivre entre deux cultures et d’avoir une vision indigène de la vie dans votre système économique et social actuel ?

C’est très difficile, vous devez faire des sacrifices et vous impliquer. Vous ne pouvez juste pas avoir une vie normale et vous attendre à en avoir le bénéfice. Vous devez sacrifier quelque part du confort et des récomprenses matérielles qui viennent en participant à ce système afin de maintenir cette connexion. C’est du temps et de l’argent, mais c’est possible.

Quand je vais à la chasse, j’emmène parfois des gamins, mes gamins ou d’autres personnes pour maintenir la connexion. Cela coûte de l’argent mais cela vaut le coup parce que vous pouvez avoir une toute autre relation avec ce que vous mangez, avec ce que vous cuisinez et avec la conservation de la viande. On a juste besoin de tirer un élan (orignal) et on a de la viande pour un an pour toute la famille. Nous utilisons des fusils et des munitions qui ne font pas souffrir l’animal. Il y a plusieurs façons de conserver la viande, maintenant nous la congelons essentiellement.

Colonialisme d’hier et d’aujourd’hui… En sortir par et pour les peuples (analyse Taiaiake Alfred)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , on 13 décembre 2013 by Résistance 71

Cette excellente analyse du professeur de science politique Taiaiake Alfred de l’université de Victoria (Canada) nous sensibilise à la vision de l’autre côté de la barrière coloniale. Le but étant de détruire cette « barrière » qui divise et détruit peuples et nature.

Notre dossier « colonilaisme et luttes indigènes« 

En savoir plus sur la pensée de l’auteur

— Résistance 71 —

 

Ce que la terre veut dire pour nous

 

Taiaiake Alfred

 

13 décembre 2013

 

url de l’article:

http://nationsrising.org/what-does-the-land-mean-to-us/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Un guerrier est celui qui peut utiliser les mots de façon à faire penser que tous font partie d’une même famille. Un guerrier dit ce qui est dans le cœur des gens, parle de la signification de la terre pour eux, les rassemble afin  qu’ils combattent pour elle.

– Bighorse, Diné

Si les buts de la décolonisation sont la justice et la paix, comme cela est souvent explicité par les gouvernements et les gens dans la politique autochtone, alors le processus de parvenir à ces buts doit refléter une clause fondamentale à la fois de la part des Onkwehonwe (NdT: Les autochtones, littéralement les habitants de l’île de la Grande Tortue) et des colons afin d’honorer l’existence de l’un l’autre. Cet honnorification ne peut pas se produire lorsqu’on demande à une des parties de sacrifier son héritage et son identité en échange de la paix. C’est pourquoi la seule possibilité d’une relation juste entre les Onkwehonwe et la société des colons est la conception d’une relation de nation à nation entre les peuples, le type de relation reflétée dans les anciens traités de paix et l’amitié consacrée entre les peuples indigènes et les nouveaux venus, lorsque les hommes blancs commencèrent à arriver sur nos territoires.

Les colons réfutent les tentatives de raisonnement logique du problème. Des disputes courantes au sujet de la restitution (payer pour les crimes et restituer les terres) et de la réconciliation (créer la paix), se sont toujours terminées en la défense conservatrice des injustices pourtant évidentes et ce contre les arguments les plus fondés et objectifs en faveur d’une restitution. Tolérer le crime encourage la criminalité. Mais l’argument des colons actuels présume que comme les injustices sont historiques et le passage du temps a mené au changement de circonstances pour les perpétrateurs des crimes et leurs victimes, et donc que le crime s’est estompé, effacé et qu’il n’y a plus d’obligation de payer pour celui-ci. Ceci est la version sophistiquée du sentiment commun du colon: “Les Indiens l’ont eu certes dur, mais ce n’est pas de ma faute: je n’étais pas ici il y a plus de 100 ans”, ou “J’ai acheté mon ranch légalement au gouvernement, tout est carré, boulon…”

Mais cette idée, si communément tenue par les blancs est fausse ; cela assume que le passage du temps mène à un changement de circonstances. Ceci est fonfamentalement faux, spécifiquement lorsqu’on a affaire à la relation entre Onkwehonwe et les sociétés colonisatrices et ce qu’il s’est passé entre nous. Entre le début de ce siècle et le début du siècle dernier, les vêtements des gens ont peut-être changés, leur nom est peut-être différent, mais les jeux joués sont les mêmes. Sans un véritable changement des réalités de notre relation, il n’y a aucune manière pour que nous considérions les mauvaises choses qui ont été faites et qui sont devenues faits historiques. Le crime du colonialisme perdure aujourd’hui et ses perpétrateurs sont présents parmi nous.

Où en sommes-nous sur ces questions maintenant en tant qu’Onkwehonwe ? Quand nos demandes sont avancées devant les gouvernements colons de manière précise, et non pas de manière cooptée ou adoucies par les collaborateurs autochtones avec le pouvoir blanc, Onkwehonwe au travers de tout le continent des Amériques a trois demandes essentielles:

1.     La gouvernance sur un territoire bien défini.

2.    Le contrôle des ressources au sein de ce territoire, avec l’attente de partager les dividendes du développment avec l’état et

3.    La reconnaissance légale et politique des croyances cultureles d’Onkwehonwe et ses façons d’étre et de se comporter sur ce territoire.

Qui a t’il de si radical là-dedans ? Il n’est que juste et correct qu’Onkwehonwe soit reconnu dans notre patrie même.

Mais “radical” est le comment les colons ont répondu à nos demandes. Leurs réponses aux demandes d’Onkwehonwe ont été les mêmes au-delà des frontières parmi mêmes les états colons soi-disant “progressistes” comme le Canada et les Etats-Unis. Ces gouvernements ont refusé d’arrêter l’érosion de notre base territoriale ; ils insistent à bénéficier financièrement de toutes les ressources au sein des territoires d’Onkwehonwe, ils défendent la suprématie légale et constitutionnelle de leurs gouvernements sur les notres et ils insistent sur l’équivalence des droits entre nous et les colons sur nos territoires ancestraux.

De Nunavut dans l’Arctique (NdT: pays et terres Inuits) à la Terre de Feu (du Chili) et au travers du Pacifique sur Aotearoa (NdT: “pays du long nuage blanc” ou appelée du nom colonial de Nouvelle-Zélande…), il y a constance dans ce schéma de demande et de réponse.

Certains peuvent penser que la lutte de nos peuples a changé ces dernières années. Mais non, frères et sœurs, c’est toujours la même chose. La terre, la culture, la communauté… Ce sont les champs de bataille de notre survie. Les colons le savent pertinemment et nous nous le rappellerons ou bien ils réussiront dans leur ancienne mission de nous déposséder de nos terres, de notre héritage et de de l’histoire.

Mais il y a danger que de laisser la colonisation n’être que la seule histoire des vies indigènes.

Le colonialisme est un cadre analytique efficace, mais il est limité en tant que théorie de la libération. C’est un narratif dans lequel le pouvoir du colon est fondamental et n’est pas remis en cause ; il limite la liberté des colonisés en cadrant, définissant leurs mouvements comme actes de résistance ou des résultats du pouvoir colonial. Pour les autochtones, les systèmes coloniaux ont toujours été des méthodes pour contrôler et maintenir le contrôle sur des peuples indigènes et sur leurs terres pour le bien des notions occidentales de progrès et des intérêts des colons. Nous vivons maintenant dans une époque de manipulation coloniale post-moderne ; les instruments de la domination ont évolué et les élites inventent de nouvelles méthodes pour effacer les identités indigènes et leurs présences. Bien que subtiles et non-violentes en surface, ces stratégies refusent la capacité aux peuples indigènes d’agir sur leurs identités authentiques, coupant les vies autochtones de leurs connexions vitales avec la terre, la culture et la communauté en n’offrant aux autochtones qu’une seule option: dépendence ou destruction.

Loin d’être dans une ère post-coloniale, la survie même des nations indigènes est menacée aujourd’hui tout comme auparavant, dans ces ères plus brutales d’oppression coloniale. Le discours actuel est le cadrage des peuples indigènes du Canada est un exemple de cette nouvelle réalité. On utilise une “façade” de “réconciliation” afin de renforcer, de consolider la suprématie blanche, de pacifier et de coopter le leadership indigène et de faciliter un accès total aux terres autochtones afin d’en extraire les ressources. Contre cela, un mouvement ancestral a re-émergé parmi les autochtones et leurs alliés penseurs et activistes colons d’Amérique du Nord: la résurgence indigène.

Nous nous dédions à la refonte de l’identité et de l’image des peuples indigènes en termes qui soient authentiques et sensés afin de régénérer et d’organiser une conscience politique radicale, de réoccuper la terre et obtenir la restitution, de protéger l’environnement naturel et de restaurer une relation de nation à nation entre les nations indigènes et celles des colons établis.

Ce recadrage de l’indigénéité comme Résurgence fournit les bases éthiques, culturelles et politiques pour un mouvement de transformation qui a le potentiel d’enlever la marque du colonialisme de la terre et de pareillement libérer les esprits des Peuples Originaux et des Nouveaux-Venus.

Taiaiake Alfred  est un membre du clan de l’Ours de la nation Mohawk de Kahnawake. Il est professeur titulaire de Gouvernance Indigène de la faculté de sciences politiques de l’université de Victoria en Colombie Britannique. Il a publié trois ouvrages :Wasáse: indigenous pathways of action and freedom (Broadview, 2005); Peace, Power, Righteousness (Oxford University Press, 1999/2009); and Heeding the Voices of Our Ancestors (Oxford University Press, 1995).

Vous pouvez le suivre sur Twitter: @Taiaiake.

Résistance politique: Venir à terme avec notre culture colonialiste ou la transcendance libératrice ~ 2ème partie ~

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, police politique et totalitarisme, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 4 juin 2013 by Résistance 71

Nous avons traduit de larges extraits d’une des recherches essentielles du professeur de science politique de l’université de Victoria (BC, Canada) Taiaiake Alfred, publiée en 1999 sous le titre: « Peace, Power & Righteousness, an indigenous manifesto » et réédité en 2009, que nous publions ici en deux parties.

Comment lutter efficacement contre le colonialisme toujours en vigueur dans des pays comme le Canada ou les Etats-Unis ainsi que contre cette mentalité globaliste néo-coloniale qui perdure dans la société occidentale ? Comment aller au delà, transcender cette hégémonie culturelle de destruction fondamentalement raciste et euro-centriste pour unifier le monde au sein d’un nouveau paradigme de paix et de tolérance.

Plus qu’une analyse, une vision fraîche pour une société universelle égalitaire.

== 1ère partie  ==

— Résistance 71 —

 

“Voici ce que la chrétienté a fait aux nations natives: Ils nous ont dit, tu ne voleras point et pourtant l’église possède plus de terres sur les réserves indiennes que n’importe quelle entité. Ils nous ont divisé ! Les missionnaires sont venus avec la bible dans une main et l’épée dans l’autre. Ils avaient le livre et nous avions la terre; maintenant nous avons le livre et ils ont nos terres.”

~ Clyde Bellecourt, Objiwe, fondateur de l’American Indian Mouvement, AIM ~

« La société primitive est le lieu du refus d’un pouvoir séparé, parce qu’elle-même et non le chef, est le lieu réel du pouvoir. La société primitive sait par nature, que la violence est l’essence du pouvoir. En ce savoir s’enracine le souci de maintenir constamment à l’écart l’un de l’autre le pouvoir et l’institution, le commandement et le chef ; et c’est le champ même de la parole qui assure la démarcation et trace la ligne de partage.
En contraignant le chef à se mouvoir seulement dans l’élément de la parole, c’est à dire dans l’extrême opposé de la violence, la tribu s’assure que toutes les choses restent à leur place, que l’axe du pouvoir se rabat sur le corps exclusif de la société que nul déplacement des forces ne viendra bouleverser l’ordre social. Le devoir de parole du chef, ce flux constant de paroles vides qu’il doit à la tribu, c’est sa dette infinie, la garantie qui interdit à l’homme de parole de devenir homme de pouvoir. »
— Pierre Clastres —

 

Pour une meilleure réfutation du colonialisme: “Paix, Pouvoir et Rectitude, un manifeste indigène” (Seconde édition 2009, extraits)

2ème partie

 

Taiaiake Alfred, Ph.D

 

Professeur de Science Politique à l’université de Victoria, Colombie Britannique, Canada

Kanahwake Mohawk du Québec

 

~ Extraits traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

== 1ère partie ==

 

~ 2ème et dernière partie ~

 

II

 

Sur l’État colonialiste

La souveraineté de l’État dépend de la fabrication de fausses informations qui exclut la voix indigène. L’ignorance et le racisme (littéralement la croyance en la supériorité d’une race sur une autre) sont les principes fondateurs du colonialisme et de l’État colonial, ainsi que des concepts concernant la souveraineté indigène qui ne défient en rien ces principes, mais en fait, servent même à les perpétuer. Affirmer que la légitimité de l’État repose sur la règle de la loi est hypocrite et anti-historique. Il n’y a aucune justification morale pour la souveraineté de l’État. La vérité est que le Canada et les Etats-Unis furent établis seulement parce que les peuples indigènes furent décimés par des maladies venant d’Europe entre autre et furent incapables de prévenir l’immigration massive des populations venues d’Europe.

En permettant aux peuples indigènes une toute petite mesure d’auto-administration et en refusant de prendre une toute petite portion de l’argent dérivé de l’exploitation des territoires indigènes, l’État a créé des incentifs pour l’intégration au sein de son propre cadre souverainiste. Ces communautés qui coopèrent sont les bénéficiaires de la flatterie faussement altruiste qui regarde les peuples indigènes comme autant de restes anachroniques de nations du passé, les descendants de peuples qui furent indépendants et qui par une combinaison de ténacité et de chance ont pu survivre et doivent maintenant être protégés comme minorités. En acceptant de vivre comme objets, de telle communautés co-optées se garantissent un rôle dans la mythologie étatique, par laquelle elles espèrent pouvoir négocier un ensemble de droits limités mais perpétuels. En vérité, le compromis est un véritable marchandage pathétique du principe. La reformulation de la nationalité pour créer des objets historiques qui prêtent une légitimité à l’économie politique de l’état moderne, n’est rien de moins qu’une trahison.

Qu’est-ce que les traditionalistes espèrent protéger ? Qu’ont oublié les co-optés ? Dans les deux cas, la réponse est le cœur même des nations indigènes: Un ensemble de valeurs qui défient la force destructrice et homogénéisante du libéralisme occidental et du capitalisme de libre-échange et ceci honore l’autonomie de la conscience individuelle, de l’autorité non-coercitive et la profonde inter-connexion entre les êtres humains et les autres éléments de la création.

Rien n’est plus en contraste entre les traditions native et occidentale (dominante), que leurs approches philosophiques respectives sur les problèmes fondamentaux du pouvoir et de la nature. Dans les philosophies natives, le pouvoir coule du respect de la nature et de l’ordre naturel. Dans la philosophie occidentale dominante, le pouvoir dérive de la coercition, de la force et de l’artifice, effectivement, d’une aliénation de la nature. […]

C’est le matérialisme de possession intense qui est au cœur des économies occidentales, qui doit être rejeté, pour la bonne raison que ceci contredit les valeurs tradutionnelles qui ont pour but de maintenir un bon et respectueux équilibre entre les gens et entre les humains et la Terre.

La forme de justice sociale distributive promue par l’État aujourd’hui dépend de l’industrie, de son développement et de celui des entreprises qui pourvoient au travail pour les gens et aux revenus pour les institutions gouvernementales. Le plus souvent, spécifiquement sur les territoires indigènes, ces industries et entreprises se concentrent sur l’extraction des ressources naturelles. Les arbres, cailloux, poissons, deviennent des commodités marchandables dont la valeur n’est calculée qu’en terme monétaire sans référence à la connexion spirtituelle entre elles et les peuples natifs. D’un point de vue traditionnel, ceci représente une dévaluation extrême de la nature.

[…] Ainsi, créer une relation post-coloniale légitime veut dire abandonner les notions de supériorité culturelle européenne et d’adopter une attitude de respect mutuel. L’idée qu’il n’y a qu’une seule façon correcte de faire les choses n’est plus tenable. Les valeurs traditionnelles des peuples indigènes menacent directement le monopole du contrôle du pouvoir dont l’État jouit pour l’heure. Certains universitaires ont interprété la violence qui se produit lorsque l’État confronte le traditionalisme indigène, comme étant une réaction étatique naturelle à cette menace sur son monopole.

Sur le cooptage et la méthodologie coloniale

Note du traducteur: Ici nous demandons au lecteur de considérer la chose suivante… Substituer les mots “natifs”, “indigène”, “leader natif ou indigène”, “communauté indigène” dans ce qui suit par des mots plus génériques comme “communes”, “maires”, “leaders politique” etc… Vous vous rendrez sûrement compte que mis à part quelques états de fait très spécifique au cas amérindien, l’oligarchie applique ses méthodes coloniales de la même manière, contre nous, les peuples occidentaux. De fait le dogme colonial et sa perpétration est le fait du petit nombre qui oppresse de la même manière les nations conquises et leurs peuples à la maison, la différence réside essentiellement dans le degré, l’intensité de l’oppression et de sa méthodologie…

Le cooptage de notre leadership politique est un fait subtil, insidieux et indéniable et il a résulté en une perte collective de la capacité à confronter les injustices quotidiennes de la vie native, à la fois les petites et les plus profondes. Politiquement et économiquement, tous les peuples natifs sont dans une position de vulnérabilité face au pouvoir supérieur de l’État. Ceci est la réalité à laquelle nous devons faire face. Les personnes, en tant qu’individus, répondent à cette relation injuste au pouvoir de manière différente: certains résistent, d’autres collaborent. Ceux qui rationalisent et participent activement à leur propre subordination et à la maintenance de la supériorité de l’autre, sont co-optés.

Toujours, lorsque les objectifs de la communauté diffèrent des intérêts qui déterminent la politique de l’État, les leaders de la communauté sont soumis à de grosses pressions et sont incités à coopérer avec le pouvoir d’État. Des pressions politiques, sociales, psychologiques et économiques sont exercées sur les leaders de la communauté afin de les persuader ou les inciter à utiliser les ressources de pouvoir à disposition au sein de la communauté pour servir les intérêts de l’État. Un tel co-optage est difficile à résister pour les natifs à cause de la distance politique et culturelle existant entre les cultures indigène et étatique

[…]

Les stratégies de co-optage sont régulièrement utilisées par des officiels gouvernementaux à tous les niveaux de leur interaction avec les leaders natifs. C’est pourquoi il est important de bien en comprendre les mécanismes.

Quelles méthodes les agents de l’État utilisent-ils pour co-opter les leaders natifs ?

  • Influencer sur la composition du leadership de la communauté: Dans les systèmes aux racines fragiles en place dans les communautés natives aujourd’hui, les gouvernements promeuvent et soutiennent avec consistance ceux qui posent le moins de problème et de menace envers le statu quo et qui ne défient pas de manière tangible le pouvoir de l’État.
    Pour s’assurer que les communautés natives soient formellement représentées par des leaders co-optés, l’État se fie à quatre tactiques majeures:
    (i) Il légitimise les personnes désirables en leur donnant une reconnaissance formelle ou un statut légal (similairement, au niveau infrastructurel, il promeut le cadre colonial plus que le cadre traditionnel, comme la reconnaissance légale des conseils de “bandes” au Canada, conseils de “tribus” aux Etats-Unis)
    (ii) Il ignore certains individus ou court-circuite leur leadership en faveur de discuter avec des gens plus désirables (similairement, les processus gouvernementaux sont structurés de telle manière, que les communautés natives doivent dépendre de l’expertise et de la représentation de personnes non-indigènes)
    (iii) Il marginalise les personnes indésirables en attirant l’attention sur les inégalités qui existent au sein de la communauté et en étiquetant certains groupes ou perspectives différentes comme étant “extrémistes” et
    (iv) Il divertit l’attention et l’énergie hors de la résolution des problèmes importants et vers la gestion pure et simple des symptômes de la colonisation.
  • Diviser pour mieux régner: Dans ses efforts d’influencer la composition du leadership, l’état joue sur ou amplifie les divisions sociales, politiques et économiques, déjà existentes au sein de la communauté. Il peut ensuite utiliser ces clivages pour empêcher la communauté de parachever ses efforts d’unité et de solidarité, qui sont essentielles pour défier effectivement le pouvoir étatique.
  • Générer la dépendance: Les communautés qui manquent la capacité de base qu’est l’auto-suffisance, ne peuvent pas faire reconnaître fortement leur concept de nation. En gardant ceci à l’esprit, l’État empêche le développement d’une base économique pour les communautés natives et encourage la dépendance envers des forces extérieures. Avec une dépendance quasi complète de fonds transférés de l’état vers les individus et les communes, les communautés natives sont sujettes à la coercition perpétuelle et ne peuvent défier le pouvoir de l’état qu’au risque d’une privation extrême sur le plan économique et social.
  • Incorporer: Focalisant sur la co-optation des leaders individuels, cette stratégie exploite la fallacie très répandue que le système peut être changé de l’intérieur. Ceci tend à manipuler les leaders vers une position où il y a un bon degré de conflit entre leurs positions, valeurs et intérêts et ceux de la communauté. En d’autres termes: l’État travaille à resserrer le fossé entre lui et l’individu et à augmenter le fossé entre l’individu et son chez lui et ce au point où l’identité de la personne est formée non pas seulement par la tension entre le normal et la communauté mais par le processus, les politiques ou les institutions avec lesquelles il s’est associés. Breton décrit le résultat comme suit:
    Les leaders et leurs organisations deviennent partie d’un système inter-organisationnel avec un certain nombre d’intérêts communs. Ils deviennent participants dans une politique dans laquelle des organisations d’une société plus vaste jouent, en toute possibilité, un rôle meneur. En un certain degré, ils deviennent des agents de la politique de l’État.

[…] Le long processus de la colonisation a eu un impact sur notre façon de penser. Les gens sont devenus les outils de leur propre oppression (NdT: concept également énoncé chez le pédagogue critique brésilien Paolo Freire)… Les peuples natifs ne peuvent pas s’effacer du monde qui les entoure. En fait, il est essentiel d’engager la lutte contre la société blanche et de défier l’État à tous les niveaux par tous les moyens possibles.

Note du traducteur: Taiaiake Alfred passe ensuite en revue les caractéristiques nécessaires pour un bon développement de l’autogestion et de la gouvernance autonome. En lisant cette liste, ne pensez pas qu’il s’adresse exclusivement aux Amérindiens, étendez sa pensée à nous, les peuples occidentaux… Le résultat ne serait-il pas le même ?… Que pouvons-nous donc en déduire ?

Les communautés qui s’immergent dans le traditionalisme auto-conscient trouveront qu’en traduisant et en adaptant les concepts traditionnels aux réalités modernes, ils finiront par incarner les caractéristiques mêmes qui constituent l’idéal contemporain d’une nation native forte:

  • Entièreté et diversité: le membres de la communauté sont confiants de savoir qui ils sont et ce qu’ils représentent, ils ont un haut niveau d’implication dans le groupe, haut niveau de solidarité, mais aussi un grand sentiment de tolérance pour ce qui est différent et non central à l’identité de la communauté.
  • Culture partagée: Les membres de la communauté connaissent leurs traditions, les valeurs et les normes qui forment la base de la société, celles-ci sont clairement établies et universellement  acceptées.
  • Communication: Il existe un réseau de communication important au sein de la communauté et les institutions de gouvernement ont clairement établi les couloirs de passage de l’information qui est mise à disposition des gens.
  • Respect et confiance: Les personnes sont motivées à coopérer les unes avec les autres, leur gouvernement et la communauté. Ils font confiance en l’intégrité de chacun et chacune.
  • Entretien du groupe: Fierté d’appartenir à la communauté. Les membres ont établi des limites culturelles claires et œuvrent avec le gouvernement afin que celles-ci ne s’érodent pas.
  • Gouvernement participatoire et basé sur le consensus: Les leaders de la communauté sont responsables et redevables devant tous les autres membres, ils les consultent attentivement et extensivement et fondent leurs décisions sur le principe de consensus général.
  • Pouvoir de la jeunesses: La communauté est motivée à éduquer et à guider sa jeunesse, à l’impliquer dans tous les processus de prises de décisions et de respecter les défis uniques auxquels ils devront faire face.
  • Liens forts sur le monde extérieur: La communauté a des relations politiques, économiques, sociales et culturelles extensives avec les autres communautés et ses leaders cherchent constamment à développer et créer, renforcer le soutien avec les autres communautés indigènes et internationales.

[…] En effet, quel est le bénéfice d’être appelé comme il est de coutume maintenant dans certains provinces du Canada, “nations originales”, “premières nations” ou “nations natives”, lorsque la structure du gouvernement n’est rien d’autre qu’un conseil tribal légitimisé par la loi de l’Indian Act ? La seule valeur de ce jeu de mot est pour l’establishment blanc, qui ne doit pas faire face à un racisme impliqué dans la structure même de leur pays supposé éclairé. Au lieu d’être des Indiens gouvernés par l’état sous l’Indian Act, ils sont maintenant reconnus comme “peuples aborigènes” avec un “droit inhérent” à “l’auto-gouvernement”.

Allez dans une réserve et regardez autour de vous et demandez-vous si les Indiens sont mieux lotis parce que la société blanche s’est libérée de son fardeau terminologique ?

La malhonnêteté intellectuelle est un des éléments essentiels du colonialisme !

Nous devons arrêter de croire aux mensonges qui ont été dits et perpétués par les Euroaméricains pour nornaliser la tempête de ruine qui a été perpétrée sur les autres peuples. Les peuples natifs ont été enveloppés dans ces mensonges ; maintenant, nous sommes prisonniers, otages du statu quo, incapables de bouger. Nous devons nous libérer des mythes de la société blanche et commencer à agir selon nos vérités. Nous devons nous référer et crier ces mots forts et vrais de Luther Ours Debout:

“… Il n’y a pas, j’insiste là-dessus, de problème indien créé par les Indiens eux-mêmes. Chaque problème qui existe aujourd’hui en regard de la population native est dû à l’état d’esprit de l’homme blanc, qui est incapable, du moins réticent, à rechercher la compréhension et parachever l’ajustement nécessaire dans un nouvel environnement dans lequel il vient d’arriver.”

[…]

La solidarité est le pouvoir qui vient de la reconnaissance et du respect de ce que les peuples indigènes ont en commun: la lutte pour l’auto-détermination. Nous soutenons tous notre frère indigène parce que nous comprenons que tous les natifs sont liés dans l’opposition à l’injustice à laquelle nos devons faire face dans nos vies quotidiennes.

[…]

Concernant le leadership, à qui rendons-nous des comptes ?

Il est dans la nature des systèmes politiques traditionnels indigènes que le pouvoir ne soit aucunement centralisé, que l’obéissance à l’autorité ne soit absolument pas coercitive, mais volontaire et que la prise de décision en tout domaine demande le consensus.

[…]

En politique native, il y a deux approches du futur:

  • La recherche de la résurrection d’une forme de nation en tant qu’objectif traditionnel.
  • Tenter de parvenir à une reconnaissance partielle d’un droit à l’auto-gouvernement au sein du confinement légal et structurel de l’État, ce qui constitue un but assimilatoire.

 

C’est la divergence de positions politiques des organisations indigènes variées, qui permet à l’État de manipuler le soi-disant processus de “décolonisation” et ce vers ses propres objectifs.

En cela, le droit historique et moral de la nation indigène, en termes légaux, l’existence du droit indigène d’auto-détermination, gagne la reconnaissance en dehors des communautés natives. Les gens historiquement conscients et bien éduqués réalisent parfaitement le bien-fondé de la position traditionnelle native.

La loi internationale a rendu le colonialisme illégal. Néanmoins, à cause de la domination des états colons dans le système international, ce principe légal n’est appliqué que dans le contexte de relations d’état à état: la forme de colonialisme intérieur pratiqué par le Canada, les Etats-Unis, le Mexique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et d’autres pays (NdT: comme Israël) ayant de substantielles populations indigènes est exclu.

[…] Les solutions au colonialisme doivent être développées coopérativement et en respect du pricipe d’auto-détermination. Consentir à abaisser ce standard qui donne la primauté au droit colonial, ou accepter des contraintes politiques et/ou économiques, n’est que capituler à la logique tordue du colonialisme.

Pour contraster la perspective co-optée avec une vue fermement ancrée dans la philosophie indigène, considérons les perspectives envisagées par Atsenhaienton de la nation Kanien’kehaka ou peuple de Flint, plus connu sous le nom de nation Mohawk de la confédération iroquoise et membre du clan de l’ours. Il a plus de dix ans d’expérience de travail avec l’ONU sur les processus concernant les nations indigènes, il fut un porte-parole international de la nation Mohawk et est une voix reconnue et respectée sur les problèmes de communautés et de gouvernement traditionnel par Rotinohshonni ou la Confédération Iroquoise:

Il y a une autre part très importante de l’histoire, le système de clan: Le faiseur de paix nous a amené le système de clans, où tous les loups et les ours et les tortues étaient de la même famille. Les ours des Mohawks étaient les frères des ours des Oneidas, des Onondaga, des Senecas et des Cayugas, il y avait un lien de famille non sanguin. C’est ce qui a vaincu l’hostilité à terme et a découragé les guerres, car vous devriez avoir à guerroyer contre vos frères et sœurs. Une fois tous les membres de mêmes clans frères et sœurs à travers les nations, il devint très difficule de faire la guerre l’un contre l’autre. Les gens oublient que cela est une des raisons, et non des moindres, du système de clan. Je pense que le système de clan casse le nationalisme, c’est le nationalisme qui cause les conflits, les Mohawks contre les Oneidas ou contre les Onondagas. Si nous nous asseyons tous dans nos clans et discutons des problèmes, nous nous éloignons du nationalisme qui nous divise. La paix serait parfaitement atteignable et le leadership se focaliserait sur d’autres choses. Il faut parler des problèmes au lieu de prendre position en tant que nation.

Je pense qu’il y a des visions extrêmes du rôle des leaders qui étaient applicables au XVème ou XVIème siècles; mais dans l’ère moderne, avec les télécommunications, téléphones portables, ordinateurs, fax etc, la Confédération doit s’ajuster à une forme plus participatrice de gouvernement qu’auparavant.

Les jeunes gens aujourd’hui au sein de la Confédération ont une vision bien plus claire de la véritable intention de l’auto-détermination. Ils en savent plus au sujet du gouvernement participatoire que la vieille garde, ainsi que le cercle interne des chefs et des clans des mères. Un jour, la nouvelle génération sera en charge et tout cela va changer pour le mieux, parce qu’ils savent qu’il doivent suivre un meilleur chemin. La nouvelle génération voit très bien ce qui ne fonctionne pas et comment le faire fonctionner et ils le feront, parce qu’ils voient également les problèmes liés à l’Indian Act, les systèmes électifs de délégation ainsi que les conseils de bandes et tribaux élus, qui se retrouvent hâpés dans la vie politique commune étatique.

[…]

Une certaine cicatrisation doit s’opérer avant que de pouvoir exercer l’auto-détermination. Nous devons avoir des familles fortes avant d’avoir de fortes communautés, avant d’avoir une nation forte. […] Dans le système issu de l’Europe, la couronne est souveraine, tandis que dans notre système le peuple est souverain. Leur concept de souveraineté est très différent du notre historiquement; en ce sens il y a un lien fondamental entre la lutte de nos peuples et ceux des autres peuples natifs de par le monde. Les luttes sont très similaires (NdT: Le cas palestinien par exemple en dehors du continent américain…), il suffit de changer les noms et c’est la même chose ! Tout le monde combat le colonialisme d’une manière ou d’une autre.”

Les traités modernes: le chemin de l’assimilation ?

Toutes les litigations au sujet de la terre au Canada, incluant celles impliquées dans le processus du traité de Colombie Britannique, proviennent de l’erreur primordiale de ce que le Canada clâme posséder la terre sur laquelle il existe. En fait, là où les populations indigènes n’ont pas abandonné leur propriété, le titre légal à la “couronne”, la terre n’existe pas, c’est une fiction de la loi coloniale canadienne. Accepter et endorser la validité de la possession par la couronne des titres de terre que les populations indigènes n’ont pas abandonnées par traité est accepter les affirmations racistes des siècles précédents, quand les intérêts européens obtenaient automatiquement la priorité sur les droits de peuples supposés “non-civilisés”. Ceux qui n’acceptent pas l’idée que les peuples indigènes possèdent tous leurs territoires traditionnels à moins qu’ils n’aient été abandonnés par traité, sont soit ignorant de la réalité historique ou sont des racistes qui ignorent cette réalité afin d’imposer une hiérarchie du droit fondé sur la “conquête”. Une des raison pour laquelle l’État a pu imposer sa vision raciste, anti-historique est la simple arrogance culturelle. L’État continue de négocier aujourd’hui depuis une position de force fondée sur sa fausse prétention de moralité, de justice et d’autorité.

De fait, le gouvernement canadien (quelque soit le bord politique du moment) assume de manière arrogante les droits de propriété sur l’identité des nations indigènes. Avancé dans le XXIème siècle, la solution finale du Canada pour le problème indien est de forcer les indigènes, qui ont habités cette terre depuis des millénaires, de faire ce qu’aucun peuple au monde n’est obligé de faire: de formaliser une définition d’eux-mêmes pour l’éternité et d’être d’accord sur un nombre de critères pour déterminer le fait d’être membre et qui ne sera sujet à évolution ou changement alors que le groupe doit répondre à un changement de réalités de l’environnement politique et social.

[…]

Nos communautés pour l’heure manquent du rôle culturel solide et bien défini pour les anciens et les enseignants traditionnels qui pourraient aider à la transmission de la connaissance et de la pensée. La formation d’une nouvelle intelligentsia indigène qui comprend l’essence de l’enseignement traditionnel est crucial pour réformer notre politique et notre société.

Les quatre objectifs de base de la bonne gestion d’institutions dans la société moderne:

  • Réforme structurelle: Les gouvernements natifs doivent devenir légitimes au sein de leurs communautés. Le seul moyen d’y parvenir est de rejeter les politiques électorales et de restructurer les gouvernements indigènes pour accommoder la prise de décision traditionnelle, la consultation avec tous les membres de la communauté, incluant les anciens, la jeunesse et les femmes et la mise en place de processus dispute-solution. Dans le même temps, la dépendance de la communauté auprès des conseillers blancs se doit d’être vraiment diminuée en insistant sur la capacitee du gouvernement indigène à s’auto-gérer. Ceci demande un effort soutenu pour éduquer et entraîner les membres des communautés.
  • Réintégration des langues natives: Les langues natives personnifient l’identité des peuples et sont l’élément le plus important de leur culture. Elles doivent être ravivées et protégées comme à la fois des symboles et des sources de nationalité. Ceci peut-être accompli en faisant de la langue la langue officielle de la communauté, celle utilisée par les leaders, celle utilisée pour discuter des politiques à suivre ainsi que la version officielle dans laquelle tous les documents seront écrits. Les communautés doivent faire de l’enseignement de leur langue aux adultes et aux enfants, une priorité absolue.
  • Auto-suffisance économique: Un progrès significatif vers l’auto-détermination ne peut jamais être fait tant que les communautés natives ne sont pas libres économiquement. L’auto-suffisance est impossible sans une base de ressource et des terres adéquates pour bâtir une économie. Pour ce faire, les communautés natives doivent étendre leur base de territoires et gagner un contrôle sur les activités économiques qui prennent place sur leurs territoires de façon à ce qu’elles puissent en bénéficier. De plus les communautés doivent se concentrer sur l’éducation technique et commerciale. Ce n’est qu’en développant nos ressources que nous pourrons nous émanciper du gouvernement colonial et augmenter notre capacité de contribution à la communauté.
  • Relations avec l’état colonial de nation à nation: Un espace politique doit être créé pour faire place à l’auto-détermination. Les communautés natives doivent rejeter l’autorité clâmée par l’état colonial, affirmer leur droit de gouverner leurs propres territoires et leurs peuples et agir en toute capacité pour ce faire. Les communautés doivent être préparées à bouger pour défendre leurs territoires et leur nationalité en temps et en heure, lorsque l’État se retranche dans une position de déni et négocier des nouvelles voies inovantes pour que l’État reconnaisse le principe quand leur acrtivisme crée l’espace du mouvement vers la justice.

Les natifs sont toujours obligés de négocier avec des représentants de l’État qui opèrent dans un style réaliste et adhèrent à trois principes de base qu’il faut toujours garder présent à l’esprit:

(i)  Les affaires humaines sont toujours contingentes

(ii)                  La fin justifie les moyens

(iii)                Le mensonge et la tromperie sont nécessaires

 

La forme bureaucratique a six caractéristiques essentielles:

(i)  La dépendance en des procédures formelles

(ii)                  La hiérarchie

(iii)                La tension entre le protocole et la vie réelle

(iv)                Des délais sans fin

(v)                  La subordination de la parole aux écrits

(vi)                La substitution de la personne bureaucratique pour la véritable personalité et la responsabilité

 

[…] Mettre un point final au colonialisme demande une complète destruction de ses présupposés intellectuels et moraux. A leur place, nous devons établir une bordée de justifications pour l’auto-gouvernement, l’auto-gestion indigènes, qui résonneront avec les meilleures traditions alternatives au sein de la société dominante également.

[…] La décolonisation structurelle et psychologique est un processus intellectuel tout autant que politique, social et spirituel. Nous ne considèrerons pas avoir un blanc représentant nos peuples, initiant une cicatrisation ou nous donner des leçons au sujet de notre spiritualité. Similairement, la revitalisation de nos idées et institutions ne doit pas être sous-traitée par d’autres…

Il n’y a aucun espoir, ni aucun sens, d’attaquer l’État au moyen de la force physique ou à rechercher la paix par des moyens non pacifiques. Les buts qui émanent de nos traditions demandent une approche fondée sur la diminution des fondations morales et intellectuelles du colonialisme et exposant les contradictions internes des États et des sociétés qui promettent la justice et pratiquent l’oppression. Les personnes non-indigènes doivent être amenées à réaliser que leur notion de pouvoir et de son extension sur les peuples indigènes est mauvaise sur quelque standard moral que ce soit. Cette approche promet de grandes choses pour la liberté des peuples indigènes.

[…] A cet effet, il faudra sortir le mouvement politique et intellectuel des croyances et des structures prévalentes. En cela, toute action doit être guidée par quatre principes fondamentaux:

(i)  Diminuer les certitudes intellectuelles du colonialisme

(ii)                  Agir sur l’impératif moral pour le changement

(iii)                Ne pas coopérer avec le colonialisme

(iv)                Résister toute injustice supplémentaire

 

Nous pouvons parvenir à la décolonisation au travers de sacrifice et d’un dur labeur basés sur ces principes, de concert avec la restauration d’une culture politique indigène au sein de nos communautés.

Ces mots constituent un manifeste, un défi, et un appel à l’action. Ne préservez pas la tradition, vivez là !

 

=  =  =

 

Note de Résistance 71:

Ceci correspond à la traduction d’extraits de l’ouvrage de Taiaiake Alfred: “Peace, Power, Righteousness, an indigenous manifesto”, 1999, seconde édition 2009 aux éditions Oxford University Press.

 

Autre ouvrage de l’auteur: “Wasase, indigenous pathways of action and freedom”, 2005, University of Toronto Press.

Résistance politique: Venir à terme avec notre culture colonialiste ou la transcendance libératrice ~ 1ère partie ~

Posted in actualité, autogestion, démocratie participative, France et colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, média et propagande, militantisme alternatif, N.O.M, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , on 29 mai 2013 by Résistance 71

Nous avons traduit de larges extraits d’une des recherches essentielles du professeur de science politique de l’université de Victoria (BC, Canada) Taiaiake Alfred, publiée en 1999 sous le titre: « Peace, Power & Righteousness, an indigenous manifesto » et réédité en 2009, que nous publions ici en deux parties.

Comment lutter efficacement contre le colonialisme toujours en vigueur dans des pays comme le Canada ou les Etats-Unis ainsi que contre cette mentalité globaliste néo-coloniale qui perdure dans la société occidentale ? Comment aller au delà, transcender cette hégémonie culturelle de destruction fondamentalement raciste et euro-centriste pour unifier le monde au sein d’un nouveau paradigme de paix et de tolérance.

Plus qu’une analyse, une vision fraîche pour une société universelle égalitaire.

— Résistance 71 —

*  *  *

“Avant l’arrivée de l’homme blanc, nous, Indiens n’avions pas de chefs. Nous avions des leaders bien sûr, des hommes et des femmes choisis par consensus pour leur sagesse et leur courage. L’idée d’une hiérarchie pyramidale avec une personne à son sommet était un concept européen. Quand dans un premier temps, les blancs demandèrent de parler à un “chef”, mes ancêtres ne surent pas trop quoi répondre. Ils poussèrent quelqu’un en avant en guise de porte-parole, pas nécessairement le plus intelligent ou le plus courageux du lot, juste quelqu’un qui avait une certaine volonté de parler aux étrangers et de savoir ce qu’ils voulaient dans notre pays. Mais aussi loin que les blancs furent concernés, la personne désignée était le monarque, une sorte de roitelet et ainsi autorisé à certains privilèges. Ceci ne servit pas nos meilleurs intérêts, mais nous avons été coincés avec des “chefs” depuis lors et nous essayons d’en tirer le mieux que nous pouvons. Nos chefs ne règnent pas, ne commandent pas. Quand des sujets importants apparaissent pour être discutés, ils se rassemblent, discutent et cherchent le consensus en leur sein ; ensuite ils disent aux membres des communautés ce qu’ils pensent qu’il devrait se passer, ils suggèrent.”

~ Russell Means ~

 

“Les Apaches, qui en fonction des circonstances, acceptaient le leadership de Geronimo pour son habileté de combattant, lui tournaient systématiquement le dos lorsqu’il voulait mener sa guerre personnelle. Geronimo, dernier grand chef de guerre nord-américain, qui passa trente années de sa vie à vouloir “faire le chef” … et n’y parvint pas.”

~ Pierre Clastres ~

*  *  *

Pour une meilleure réfutation du colonialisme: “Paix, Pouvoir et Rectitude, un manifeste indigène” (Seconde édition 2009, extraits)

 

Taiaiake Alfred, Ph.D

Professeur de Science Politique à l’université de Victoria, Colombie Britannique, Canada

Kanahwake Mohawk du Québec

 

~ Extraits traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

1ère partie

2ème partie

 

La colonisation est un processus qui nous déconnecte de nos responsabilités les uns envers les autres, de notre respect des uns envers les autres, de notre respect pour la terre et de nos responsabilités et respect envers la culture…

Le pouvoir de l’État, incluant des concepts européens tels que: l’imposition, la citoyenneté, l’autorité exécutive et la souveraineté doivent être éradiqués de la politique des communautés natives…

La notion de traditionalisme dont je me suis fait l’avocat demande une part de savoir donner et recevoir sur un plan culturel avec les personnes non-indigènes; il doit y avoir un respect pour ce que les deux côtés peuvent contribuer et partager. Ceci demande également une forme de self-respect et la confiance de bâtir sur ce que nous savons être juste et bon pour nos peuples. En tant que mouvement pour gagner le respect envers les peuples indigènes, cette forme de traditionalisme n’a pas ses prérogatives construites sur un conflit racial. Ce n’est pas une question de l’Homme blanc contre l’Homme rouge, mais du juste contre l’injuste, du vrai sur le faux, considérés dans la large fenêtre des valeurs que nous partageons tous: liberté, égalité, justice, paix…

A la question d’est-ce que je me considère comme Canadien ? La réponse est non. J’ai essayé de rechercher le moment dans l’histoire où le Canada a décidé légalement, au moins légalement, que nous soyons considérés comme citoyens. Ce qui est une blague, parce que comme j’ai entendu quelqu’un le dire: “légalement oui, nous sommes considérés comme citoyens et pourtant la même législation, L’Indian Act, est toujours là pour nous rappeler que nous ne le sommes pas.” Pour moi, vous ne pouvez pas regarder l’Indian Act, regarder les précédents de justice et en tirer la conclusion que nous sommes des citoyens…

Défier la société de base et questionner sa propre structure, son système de valeurs d’acquisition et de valeurs individuelles, ainsi que les faux tenants du colonialisme, est essentiel si nous voulons aller au delà des problèmes qui minent toutes nos société, native et blanche et si nous voulons reconstruire les relations entre nos peuples. Une lecture profonde de la tradition montre un univers moral pour lequel l’ensemble de l’humanité est redevable en tenant compte du même standard…

La valeur de la critique indigène du monde occidental ne réside pas dans la création de fausses dichotomies mais dans la vision que les attitudes et structures coloniales imposées au monde par les Européens ne sont pas des manifestations d’un diabolisme inhérent: elles ne sont que les réflexions de la compréhension de son propre pouvoir et de sa relation avec la nature par la société blanche. Le régime brutal de l’avancement technologique européen, qui intente  dominer, s’est confronté à son opposé direct avec les sociétés indigènes des Amériques. Le résultat de la quasi extinction des peuples natifs a créé un vide dans lequel le régime européen a établi sa domination politique, économique et philosophique. En leur sein même, les État européens et leurs rejetons d’outre-mers personalisent toujours les mêmes impulsions destructrices et irrespectueuses qu’ils représentaient déjà il y a plus de 500 ans…

Au moment de leur premier contact avec les Européens, la très vaste majorité des sociétés natives américaines avaient achevé la véritable civilisation: elles n’abusaient pas de la planète terre, elles promouvaient la responsabilité communale, elles pratiquaient l’égalité des relations de genres et elles respectaient la liberté individuelle. Avec leur prise de conscience des relations sacrées qu’ils avaient, eux, en tant qu’humains, le devoir d’aider à maintenir, les hommes et femmes de ce nouveau monde se dictaient une philosophie dans laquelle l’existence et la survie de tout être vivant, spécifiquement les animaux et les plantes, ne doivent pas être mises en danger. Ils reconnaissaient et obéissaient les lois et ne réduisaient pas la liberté des autres créatures. Ainsi, ils assuraient la protection de leur plus chère possession: leur propre liberté. Ce contexte de vie a changé et les peuples natifs vivent aujourd’hui dans un monde matérialiste et consummériste de globalisation industrielle, un monde diamétralement opposé à la culture sociale et politique de celui qui maintenait nos communautés d’autrefois….

Dans ma propre communauté de Kahnawake (Mohawk, Iroquois du Québec), les gens furent questionnés au début des années 1990, concernant l’importance culturelle de services sociaux variés et on leur demanda de considérer une liste d’expressions au sujet des valeurs traditionnelles et de donner leur niveau d’adhérence à ces valeurs. En voici un résumé:

  • Être responsable de toute la création: 97% adhéraient fortement
  • Importance la famille périphérique: 89% adhéraient fortement
  • Respect de la force intérieure et de la sagesse: 88% adhéraient fortement
  • Importance de l’éducation de la jeunesse: 88% adhéraient fortement
  • Aspect sacré et autonome de l’enfant: 78% adhéraient fortement
  • Importance de l’unité familiale: 78% adhéraient fortement
  • Importance de la sagesse ancestrale: 71% adhéraient fortement
  • Importance du partage et de la coopération: 71% adhéraient fortement

Cette étude d’une communauté démontrait la reconnaissance des valeurs traditionnelles malgré l’imposition de la culutre européenne…

En 1933, le sage Lakota (Sioux) Luther Ours Debout avait anticipé cette frustration provenant des valeurs occidentales:

Il est vrai que l’homme blanc a amené un grand changement. Mais les fruits variés de sa civilisation, bien que très colorés et très tentants, rendent malades et sont mortels… Je vais avancer l’hypothèse que l’homme qui s’est assis sur la terre battue de ce tipi, méditant sur la vie et ses significations, acceptant l’existence de toutes les créatures et reconnaissant l’unité avec tout l’univers des choses a reçu dans son être profond, la véritable essence de la civilisation. Et quand l’homme natif a abandonné cette forme de développement, la croissance de son humanisme en fut retardée.

Après avoir eu leur liberté volée et leurs civilisations écrasées par le colonialisme, les peuples natifs sont parfaitement conscients de la crise politique et sociale à laquelle ils doivent faire face…. Alors pourquoi n’avons-nous pas rejeté la voie européenne qui nous fait tant de mal et n’avons-nous pas rejoint le chemin indigène de la paix, du pouvoir et de la vertu ? La réponse à cette question est la raison la plus importante de toutes les questions importantes auxquelles nous devons faire face, celle du leadership, de la chefferie. Comprendre le leadership, c’est comprendre la philosophie politique native: les conceptions du pouvoir et les valeurs primordiales qui créent la légitimité et permettent au gouvernement de fonctionner de manière appropriée et efficace. Un bon leadership indigène assure que le gouvernement est enraciné dans la tradition, en accord avec les valeurs culturelles de la communauté. Les structures politiques  non-natives, leurs valeurs et différents styles de leadership, mènent à des formes compromises et coercitives de gouvernement qui contredisent les valeurs indigènes de base et sont la raison principale du pourquoi les crises sociales et politiques persistent chez nous.

Nous n’avons pas totalement récupéré du colonialisme, car notre leadership a été compromis. Et nous demeurerons soumis à la domination politique, intellectuelle et économique de la société occidentale tant que les leaders de nos communautés ne réaliseront pas le pouvoir des philosophies indigènes et n’agiront pas pour restaurer le respect de la sagesse traditionnelle.

[…] En choisissant entre des formes de gouvernemet indigénes revitalisantes ou la maintenance des formes européennes qui leur ont été imposées, les communautés natives ont le choix entre deux formes radicalement différentes d’organisation sociale: l’une fondée sur la conscience et l’autorité du bien et l’autre sur la coercition et l’autoritarisme. Le concept natif de gouvernance est fondé sur ce que Russell Barsh, un grand élève et connaisseur des sociétés indigènes, a appelé la “primauté de conscience”. Il n’y a pas d’autorité centrale ou coercitive et la prise de décision est collective. Les leaders comptent sur leurs capacités de persuasion pour parvenir à un consensus qui respecte l’autonomie des individus, chacun étant libre de ne pas adhérer et de demeurer inaffecté par la décision collective. Le clan ou la famille est l’unité de base de l’organisation sociale et des formes plus élargies d’organisation, de la tribu à la confédération en passant par la nation (NdT: un exemple typique demeure la société iroquoise composée de 5, puis 6 nations confédérées) sont toutes fondées sur l’autonomie politique et l’indépendance économique des unités de clan au moyen d’un contrôle familial des terres et des ressources.

Une caratéristique essentielle du concept de gouvernance indigène est son respect de l’autonomie individuelle. Ce respect empêche la notion de “souveraineté”, l’idée qu’il peut y avoir un transfert permanent du pouvoir ou de l’autorité de l’individu vers une abstraction du collectif appelée “gouvernement”. La tradition indigène voit le gouvernement comme le pouvoir collectif des membres individuels d’une nation; il n’y a pas de séparation entre la société et l’État (NdT: en fait, il conviendrait plutôt de dire comme l’a démontré l’ethnologue social Pierre Clastres que l’État est rendu impossible dans la société indigène…). Le leadership est exercé en persuadant les individus de mettre leur pouvoir individuel en commun pour le bien collectif. Par contraste, dans la tradition européenne, le pouvoir est capitulé à des représentants de la majorité, dont les décisions sur ce qu’ils pensent être le bien commun sont ensuite imposées à tous les citoyens.

Dans la tradition indigène, l’idée d’auto-détermination commence vraiment avec soi-même, l’identité politique, avec ses libertés, pouvoirs et responsabilités inhérents, n’est pas abandonnée à aucune entité externe. Seuls les individus déterminent leurs intérêts et leur destinée. Il n’y a aucune coercition, seulement la persuasion de la conscience basée sur les principes hérités et collectivement raffinés de la structure de la société. Avec l’héritage collectif d’un univers spirituel cohérent et d’une culture traditionnelle, le désaccord profond est très rare et est résolu par l’exemption individuelle de l’implémentation et des implications d’une décision particulière. Quand un différent entre l’individu et le collectif devient inconciliable, alors l’individu quitte le groupe. (NdT: Ceci est une façon d’agir de la société anarchiste… De fait en bien des points, les sociétés autochtones sont des sociétés anarchistes, bien ordonnées, anti-autoritaires, décentralisées et non-étatiques, ce mode de gouvernance fait partie du patrimoine universel de la société humaine quelque soit l’endroit géographique semblerait-il…).

L’auto-détermination collective dépend de la coordination de conscience des individus et des pouvoirs d’auto-détermination. Ces relations de pouvoir sont canalisées en des formes de prises de décision et de résolutions de disputes fondées sur la reconnaissance du fait qu’au-delà de l’individu, il existe une communauté d’intérêt naturelle: la famille étendue. Ainsi, dans presque toutes les cultures indigènes, l’ordre fondateur du gouvernement est le clan et presque tous les systèmes indigènes sont agencés sur un processus de prise de décision collective organisée autour du clan. C’est l’érosion de cette relation traditionnelle au pouvoir et la dépendance forcée envers un gouvernement central pour être viable, qui est à la racine de l’injustice dans l’esprit indigène. (NdT: ne pourrions-nous pas pas invoquer ici le fait qu’il en va de même pour nous les occidentaux ? N’avons-nous pas été soumis il y a longtemps à la même injustice ?…) Barsh reconnait une vérité qui s’applique aux institutions à la fois au niveau local et au niveau plus généralisé: “Le mal des états modernes est leur pouvoir de décider qui mange ou pas”. Couplée à la force armée, elles utilisent la dépendance qu’elles ont elle-mêmes créée, pour forcer l’obéissance des peuples à la volonté d’une structure abstraite d’autorité servant les intérêts d’une élite politique et économique. C’est un affront à la justice que des individus puissent être dépouillés de leur pouvoir d’auto-détermination et forcés à se soumettre aux décisions d’un système basé sur la conscience et les intérêts d’autres personnes.

Les principes sous-jacents du gouvernement représentatif de style européen par la force coercitive est à l’opposé des valeurs desquelles découlent le leadership indigène et le pouvoir. Dans les cultures indigènes, les valeurs essentielles d’égalité et de respect sont réfléchies dans la pratique de la prise de décision par consensus et la résolution de dispute au travers d’une évaluation attentive et d’une considération équilibrée de tous les intérêts et points de vue en lice. Dans les sociétés indigènes, la gouvernance résulte de l’interaction du leadership avec le pouvoir autonome des individus qui constituent la société. La gouvernance, dans un sens ingigène, ne peut être pratiquée que dans un petit environnement décentralisé parmi des gens qui partagent la même culture (NdT: L’ethnologue politique Pierre Clastres a montré dans ses recherches que la gouvernance indigène fut aussi pratiquée dans de grandes nations comportant plusieurs centaines de milliers d’individus, ainsi l’extension au grand nombre demeure possible). Elle se centre sur la réalisation du consensus et la création d’un pouvoir collectif, lié par six principes:

  • La gouvernance dépend de la participation active des individus
  • La gouvernance équilibre plusieurs couches de pouvoir égal
  • La gouvernance est dispersée
  • La gouvernance est situationnelle
  • La gouvernance est non-coercitive
  • La gouvernance respecte la diversité

[…] Ainsi, l’imposition de structures politiques coloniales est la source de la plupart du factionalisme au sein des communautés natives (NdT: N’est-ce pas voulu dans la plus pure optique du diviser pour mieux règner ?)

[…] Se revêtir du manteau de la tradition n’est pas un substitut pour changer d’attitude, spécifiquement lorsqu’est impliquée la relation au pouvoir. Dans bien trop de communautés natives, l’adhérence à la tradition n’est qu’une façade légère masquant l’avidité de pouvoir et de succès comme définis par la société usuelle. La tradition indigène est profondément égalitaire, elle ne met aucune distance substantielle entre les leaders et les autres personnes, sans parler de l’impossibilité d’y exercer une quelconque autorité coercitive que ce soit. Pourtant, ce sont des caractéristiques importantes du système politique imposé aux peuples natifs. La dure vérité est que beaucoup de ceux qui ont une position d’autorité dans les communautés natives en sont venus à totalement dépendre du cadre colonial pour leur pouvoir, leur emploi et leur statut. Très peu de leaders natifs pourraient espérer tenir un rôle de leader si les critères traditionnels étaient appliqués. Ils ne pourraient pas assumer leur tâche dans une société non-coercitive, participatrice, transparente et basée sur le consensus. La faim de pouvoir, de notoriété et d’argent empêche beaucoup de gens de voir ce qui est le mieux pour la communauté sur le long terme.

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Dans la guerre contre les nations indigènes, l’État d’abord aliène les individus de leurs communautés et leur culture et ensuite capitalise sur cette aliénation en les retournant comme agents qui vont travailler plus avant pour les intérêts de l’état au sein des communautés (NdT: Il en va de même dans la société occidentale où les dissidents sont soit achetés par l’oligarchie pour la servir… ou soit ils sont éliminés politiquement ou physiquement s’ils refusent…) […]

Indéniablement, bon nombre de natifs qui travaillent dans les institutions d’état ou dans des gouvernements soutenus par l’état, pensent qu’ils travaillent pour l’intérêt de leur peuple. Il y a une forte croyance, très naïve, parmi eux qu’il est possible de “promouvoir le changement depuis l’intérieur”. Rétrospectivement, ceux qui ont essayés cette approche ont échoué de voir cette croyance pour ce qu’elle est: bien plus une justification qu’une raison… Les gens qui choisissent de travailler pour ou avec les institutions coloniales se sont construit une identité politique pour eux-mèmes qui justifie leur participation. Ceci n’est pas une excuse pour avoir tort, car ils ont tort, mais cela indique le besoin vital d’un plus grand sens des valeurs traditionnelles parmi les peuples natifs.

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Comme l’éducatrice Cree Roslyn Ing me l’a dit un jour: “si nous devons honorer ce que nos ancêtres ont enduré et pourquoi ils sont morts, nous avons la responsabilité de vouloir exister en tant que peuple Cree et de continuer”.

Le temps de blâmer l’homme blanc et le lointain passé est révolu. Les gens devraient être capables de reconnaître que le véritable ennemi est suffisamment proche qu’on peut le toucher. Comme me l’a dit un chef de la tribu Ehattesaht du nord de l’île de Vancouver: “Le plus gros problème est que les gens ont développé une mentalité de victime et blâment les autres pour leur oppression plutôt que de faire le travail pour en sortir. La culture de la dépendance et le sentiment de défaite sont nos plus gros problèmes.”

Aussi longtemps que le gouvernement fédéral travaille à maintenir les peuples natifs dans une dépendance politique et économique, les leaders devront résister aux efforts de l’État pour diminuer l’intégrité de la culture et d’empêcher la réclamation des voies traditionnelles qui sont la clef de notre reprise de pouvoir.

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Considérons la notion de justice, la source des notions de bien et de mal à laquelle toute discussion sur la nature et l’utilisation du pouvoir doit se référer.

Le concept dominant occidental de la justice est enraciné dans un idéal d’équité ou de normalité fondamentalement individualiste et matérialiste. Par contraste, les notions indigènes de justice surviennent parmi le contexte de la croyance en une relation universelle des éléments, qui constituent notre univers. Les idées natives se centrent sur un impératif respectueux de coexistence équilibrée parmi tous les humains, les animaux et les êtres spirituels, ensemble avec la terre mère. La justice est vue comme étant un éternel processus de maintien de cet équilibre crucial et de démontrer un véritable respect pour le pouvoir et la dignité de chaque partie de ce cercle d’inter-dépendance. L’injustice est vue comme étant un disfonctionnement, une érosion, qui perturbe en un certain point, l’équilibre crucial. Dans la sphère de la politique ou des relations sociales par exemple, le disfonctionnement peut résulter de la dégénération du pouvoir naturel d’une personne ou d’une communauté, par négligence de la sagesse traditionnelle ou par disrepect de la dignité de la création (des autres personnes, des autres êres, de la nature, ou de soi-même), déséquilibrant par là-même l’équilibre du pouvoir, de la paix et de l’harmonie.

Le but de la justice indigène est le mieux caractérisé par la réalisation d’une coexistence respectueuse, une restauration de l’harmonie dans le réseau de relations et des implications renouvelées afin d’assurer l’intégrité physique, émotionnelle et la santé spirituelle de tous les individus des communautés. Les idées indigènes de justice diffèrent de celles des idées occidentales en trois choses fondamentales:

  • Elles ne sont pas principalement concernées par des questions d’équité dans le traitement ou la distribution
  • Il n’y a pas d’impératif universel ou de mise à niveau qui puisse être utilisé pour justifier la limitation de la liberté
  • Le cadre culturel qui détermine si le pouvoir a été utilisé de manière appropriée n’inclut pas seulement les relations humaines qui forment notre société, mais également toutes les autres relations.

La justice consiste en la maintenance de l’état de coexistence harmonieuse, qui est le but de toute activité politique, spirituelle et économique. En ce qui concerne la vision indigène de la justice, la détermination de ce qui est bien ou mal ne peut pas être effectuée du contexte particulier de l’action en cause ou de la personne en question, parce que réétablir l’harmonie demande non seulement une considération de tous les éléments concernés mais leur participation active pour résoudre le cas. Cette résolution implique le dialogue, l’explication, et la réparation de la fabrique même de la relation particulière, ce qui veut dire la cicatrisation. La justice est un processus de cicatrisation des relations de façon à ce que chaque élément puisse vivre son pouvoir naturel et puisse remplir ses devoirs de responsabilité.

Ainsi l’injustice, dans le concept indigène, est une absence d’harmonie et d’équilibre. Cela ne se réalise pas dans l’action d’un acte particulier, des actes peuvent être perçus comme étant injustes, mais seulement dans leur effet.

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Le problème est que pour le moment, la politique native est toujours comprise et pratiquée au travers du prisme de la loi telle qu’elle est structurée par l’État. Dans ce cadre, l’État n’a rien a craindre des leaders indigènes, car même s’ils réussissaient à parachever leur but d’auto-gouvernance, la structure de base du pouvoir (étatique) demeurera intacte.

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Une critique du pouvoir de l’État qui voit l’oppression comme une fonction inévitable de l’État (Ndt: ce qui représente la vision anarchiste, libertaire de l’État…), même quand elle est restreinte par un contrat socio-politique constitutionnellement défini, devrait avoir une résonnance spéciale pour les peuples indigènes, dans la mesure où leurs nations n’ont jamais été partie intégrante de quelque contrat que ce soit et ont pourtant été forcées d’opérer au sein d’un cadre fonctionnel qui présuppose la légitimité de la souvertaineté de l’État sur eux-mêmes. Argumenter pour obtenir des droits au sein de ce cadre ne fait que renforcer la prétention anti-historique de l’État de sa souveraineté par contrat.

En acceptant cet état de fait, nous donnons tout le pouvoir nécessaire à l’État de dominer les peuples natifs. De cette manière, “des relations de force perpétuelles” sont devenues la norme. Les peuples indigènes bien entendu, reconnaissent la différence entre le système coercitif étatique et leur système traditionnel… L’État tente de réécrire l’histoire pour légitimiser son exercice du pouvoir (sa souveraineté) sur les peuples indigènes. Les peuples natifs luttent pour résister au cooptage de leur sens historique.

A suivre…

== 2ème partie ==