“La colonisation est une forme de conquête par laquelle une nation occupe un territoire lointain, y engouffre ses propres gens et contrôle ou élimine les populations locales natives… L’histoire de la colonisation… c’est aussi celle de la guerre et de l’exploitation des races et des nations les unes par les autres.”
~ Contre-amiral et historien Samuel Eliot Morison ~
“La révolte est, dans l’homme, le refus d’être traité en chose et d’être réduit à la simple histoire. Elle est l’affirmation d’une nature commune à tous les hommes, qui échappe au monde, la puissance.”
~ Albert Camus ~
« En point de départ, je suggèrerais de conceptualiser ce qu’on pourrait appeler l’anarcho-indigénisme […] Le mot indigène* qui évoque l’enracinement spirituel et culturel dans cette terre et la lutte pour la justice et la liberté d’Onkwe’hon:weh ; combiné au mouvement politique et philosophique qui est fondamentalement anti-institutionnel, radicalement démocratique et dévoué à prendre action afin d’amener le changement: l’anarchisme. »
~ Taiaiake Alfred, 2005, Mohawk et professeur de science politique ~
(*) dans cette citation, les peuples indigènes sont “onkwehonwe”, dans l’article que nous avons traduit ci-dessous, ils sont Mana Whenua en maori… Les mêmes choses, les mêmes luttes s’appliquent quel que soit le continent, car nous vivons toujours dans un monde colonial, de fait deux continents entiers, ceux des Amériques et de l’Océanie, sont toujours des entités coloniales actives, qui extraient ressources naturelles et humaines pour la clique de margoulins spéculateurs.
N’oublions jamais que si les hommes certes créent le système, celui-ci crée aussi les hommes qui le maintiennent en place… (Résistance 71)
Ihumatao : récupérer la terre et résister au capitalisme colonisateur sur Aoteraora* / Nouvelle -Zélande
Anarchistes Tamaki Makaurau
Février 2020
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
(*) Aoteraora est le nom maori pour la “Nouvelle-Zélande” qui en est le nom colonial. Aoteraora en maori veut dire “la terre du long nuage blanc”.
Sur Aotearoa, une des principales formes de lutte sociale est la lutte indigène maorie pour récupérer la terre qui leur a été volée par le gouvernement colonial néo-zélandais en tant que partie intégrante de la colonisation capitaliste d’Aotearoa. Depuis 2015 se produit la plus grande lutte pour la terre de la décennie à Ihumatao, Tamaki Makaurau / Auckland où des Maoris et non-Maoris de l’action Save Our Unique Landscape (SOUL, acronyme qui veut dire “âme” en anglais) ont occupé la terre pour arrêter la firme de construction capitaliste Fletcher Building (FB) de commencer un projet de développement immobilier nuisible à l’environnement et à la communauté et aussi afin de retourner la terre à mana whenua (NdT: qui veut dire en maori “les gens de la place”, l’équivalent austral du “honkwehonwe” / peuples indigènes, mohawk dont nous parlons souvent ici…). Cette lutte pour la terre est la plus récente dans la longue histoire d’Ihumatao.
Il y a 800 ans, Ihumatao fut un des premiers endroits où arrivèrent les Maoris et établirent leurs communautés sur Aotearoa, dans une zone maintenant connue sous le nom de Otuataua Stonefields. Là, ils cultivèrent plus de 8000 hectares de terres afin de faire pousser kumara, taro, yams et potirons pour se nourrir. Ils ont aussi nourri les colons britanniques lorsque ceux-ci arrivèrent et commencèrent à coloniser Tamaki Makaurau et créer Auckland après la signature du traité de Te Tiritti O Waitangi entre quelques sous-tribus maories Hapu (NdT: les collabos de tout système colonial…) et l’empire britannique. Mais une telle coopération entre les Maoris et Pakeha (colons) ne dura pas bien longtemps, alors que la poussée pour toujours accumuler plus de biens et de richesses par le gouvernement de manière inhérente au capitalisme, mena le gouvernement néo-zélandais à utiliser plusieurs moyens pour transformer la terre communale maorie en terre d’état (colonial) et privée, moyens incluant la Native Land Court, des ventes de terres illégales et des guerres, ainsi que la version d’Aoteraora de la mise sous clotures des communaux (NdT :propriétés communales, comme dans l’Angleterre de Cromwell et sous la révolution française bourgeoise…)
Ceci culmina avec la guerre de Waikato, partie de la plus vaste guerre de Nouvelle-Zélande, qui commença en 1863 entre le gouvernement de la NZ, mené par le gouverneur de la couronne George Grey, leurs alliés maoris de Kupapa/Queennitanga et le mouvement Kingitanga qui voulait que Te Tiritti soit honoré. Durant la guerre, un fonctionnaire britannique fut envoyé à Ihumatao et demanda que les Maoris de l’endroit jurent allégeance à la couronne d’Angleterre et déposent les armes sous peine d’expulsion. Les Maoris refusèrent et en réponse, la couronne confisqua illégalement Ihumatao et la donna en 1869 à une famille Pakeha (colon), la famille Wallace, afin d’en faire une vaste entreprise agricole capitaliste alors que les Maoris étaient destitués et devenaient sans terre.
Durant le XXème siècle, alors que les Wallace géraient leur très vaste ferme, le centre de traitement des eaux usagées de Mangere fut construit entre 1960 et 2000, polluant dans le temps, l’air, l’eau et les fonds marins avoisinants. Les volcans furent nivelés pour la construction de l’aéroport d’Auckland ainsi que les réseaux routiers. En 2009, la deuxième construction d’une autoroute pour l’aéroport d’Auckland, mena au nivellement par bulldozers du très vieux centres funéraires (urupa) près de Manukau Harbor, mettant à jour 89 tombes. en 2012, le conseil de la province d’Auckland essaya de faire de cette terre un espace public et ceci fut amené devant le tribunal de l’environnement et ils durent retoquer la terre pour tout futur développement économique. En février 2014, la tribu locale iwi Te Kawerau de Maki signa un traité avec le gouvernement pour arranger la violation du traité Te Tirriti par le gouvernement. En juillet 2014, le gouvernement et le conseil d’Auckland désignèrent 32ha adjacents au Otuataua Stonefields et sa réserve historique comme zone spéciale de développement immobilière ou SHA62 pour le développement futur d’une zone d’habitation.
Lorsque ceci fut annoncé, la locale de Ihumatao, Pania Newton, ainsi que ses cousins, formèrent l’association SOUL en 2015 afin de mettre un terme à la rezonification. En 2016, les Wallace vendirent la terre à une société de construction capitaliste Fletcher Building, qui planifia la construction de 480 logements. En réponse à cela, en novembre 2016, SOUL commença son occupation de la terre et demanda l’arrêt immédiat du projet de FB et que la SHA62 soit dissoute. Un mois plus tard, Joe Hawke, le leader de l’occupation à Bastion Point, rendit visite à SOUL et proposa ses conseils. Dans les trois années qui suivirent, SOUL mit en place toute une série de tactiques diverses afin de tenter d’enrayer le plan de FB, ceci incluant une requête à l’ONU, la traduction de l’entreprise devant un tribunal environnemental ainsi que de nombreuses pétitions au gouvernement de Wellington / Poneke et du conseil de la province d’Auckland, tout ceci effectué à grand renfort de campagne médiatique dans les réseaux sociaux. Mais aucune de ces mesures n’eut de succès et le projet de développement de FB continua. En réponse, Te Kawerau a Maki négocia avec FB de mettre des logements au profit de la tribu Iwi puis soutint le projet, disant que cela était pour le mieux et que SOUL n’était pas Mana Whenua (autochtone)…
Sans plus d’obstacle devant elle, FB essaie maintenant de commencer les constructions sur Ihumatao. La police fut envoyée le 23 juillet 2019 pour exécuter des ordres d’expulsion et arrêta trois manifestants / activistes. Lorsque ceci se produisit, les trois ans de campagne de SOUL portèrent leurs fruits avec des centaines de personnes arrivant sur place pour renforcer le blocus et empêcher les constructions sur Ihamarao. Des membres anarchistes de Tamaki Makaurau se trouvèrent parmi elles. Grâce à ce blocus, le gouvernement qui avait initialement dit qu’il n’interviendrait pas le 24 juillet, déclara le 26 juillet que toute construction sur Ihumatao cesserait tandis qu’une solution entrait en cours de négociation entre Te Kawerau ā Maki, Fletchers et le conseil d’Auckland.
Malheureusement, SOUL ne fut pas invité aux négociations et ils continuèrent le blocus essentiellement aussi parce que la police et FB demeuraient sur place à Ihumatao, les kiataki / protecteurs de Ihumatao étant capables de pousser la ligne de blocus toujours plus proche de la place tout en faisant face à une présence policière renforcée le 5 août. Le jour suivant, il y eut une journée nationale d’action en solidarité avec les demandes des locaux d’Ihumatao. Ceci aida grandement à maintenir la pression sur Fletcher et le gouvernement après que les Kingitanga offrirent de tenir un hui entre SOUL et Te Kawerau ā Maki pour en venir à une position acceptée par les deux camps.
Alors que continuèrent les négociations, ainsi continua aussi le blocus, la majorité des forces de police évacuant Ihutamao le 16 août alors que SOUL organisait une marche sur le bureau de la première ministre Jacinda Ardern afin qu’elle vienne voir ce qui se passait à Ihumatao, ce qu’elle refusa de faire. les Négociations prirent fin le 18 septembre, voyant SOUL et Te Kawerau ā Maki être d’accord sur le fait que Ihumatao devrait retourner à mana whenua. Depuis la mi-septembre 2019, des négociations continuent bien que SOUL ait été empêché d’y participer. Il y a nombre de signes positifs indiquant qu’une solution devrait être trouvée avec le gouvernement disant le 19 novembre qu’il considérait prêter de l’argent au conseil d’Auckland pour racheter Ihumatao à FB afin d’en faire un espace public tandis que Pania Newton annonçait le 23 décembre 2019 qu’une résolution verrait bientôt le jour et serait annoncée. Cette bonne nouvelle mena à un très joyeux Noël en 2019.
En 2020, la lutte pour Ihumatao commença bien avec FB retirant ses barrières de l’endroit. Il y avait aussi une attente de règlement de conflit imminent, Kingitanga baissant le drapeau de Ihumatao de manière symbolique alors que leur travail pour parvenir à un accord arrivait à sa fin. Mais toujours pas de résolution au jour de Waitangi. En rétrospective, le boulot de SOUL dans cette affaire de protection de la terre fut simplement un succès phénoménal, le mouvement transforma son action de réclamation initial de petite envergure en une campagne d’action directe qui créa un mouvement de masse sur Tamaki Makaurau et à travers tout Aotearoa afin de mettre un terme au développement immobilier de Fletcher, ceci soutenu par une remarquable campagne de gain d’attention dans les réseaux sociaux. Ceci permit aussi une nouvelle approche dans la politique maorie, menant une nouvelle génération d’activistes recherchant plus l’action directe afin que soient retournées les terres volées sans plus se fier aux structures corporatrices et institutionnelles en place pour négocier avec le gouvernement et pour obtenir des gains sur les traités en compensations financières ne faisant qu’enrichir une nouvelle classe / caste maorie capitaliste bouffant au râtelier du système.
Quoi qu’il en soit, cette lutte n’est pas encore arrivée à son terme et les actions du gouvernement ne peuvent être vues qu’avec scepticisme car ils feront tout ce qui est possible pour mettre un terme au fait que cette dispute soit utilisée comme un précédent pour retourner des terres privées aux Maoris dans de futurs arrangements sur les traités contestés. Si cela se produit, alors toutes les terres volées sur Aotearoa pourraient bien être retournées aux Maoris, déstabilisant ainsi les piliers de développement colonial capitaliste sur Aotearoa, ce que ce soit au sujet de terres privées ou en possession d’état. Peu importe ce qu’il adviendra, la campagne de SOUL pour réclamer Ihumatao a mis en pratique le cri anti-colonial maori de son chef Rangitira, Rewi Maniapoto, lancé durant la guerre de Waikato : “Ka whawhai tonu mātou, Ake! Ake! Ake! – Nous continuerons à nous battre encore et toujours !”
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“Il y a des connexions philosophiques entre les sociétés indigènes et quelques sensibilités anarchistes sur l’esprit de la liberté et les idéaux pour une bonne société. Des idées critiques parallèles et des visions d’un futur post-impérialiste ont bien été notées par quelques penseurs, mais quelque chose qu’on pourrait appeler ‘anarcho-indigénisme’ doit toujours se développer en une philosophie et une pratique cohérentes. Il y a également une grande similitude entre les façons de voir le monde des anarchistes et des peuples autochtones: un rejet des alliances avec des systèmes légalisés, centralisés d’oppression et une non-participation aux institutions qui structurent la relation coloniale, ainsi que la croyance d’amener le changement par l’action directe et la résistance au pouvoir d’état.”
~ Taiaiake Alfred, professeur sciences politiques, Mohawk ~
L’avenir de l’humanité passe par les peuples occidentaux émancipés de l’idéologie et de l’action coloniales, se tenant debout, main dans la main avec les peuples autochtones de tous les continents pour instaurer l’harmonie de la société des sociétés sur terre. Il n’y a pas de solutions au sein du système, n’y en a jamais eu et n’y en aura jamais !
~ Résistance 71 ~
5 textes pour comprendre et éradiquer le colonialisme
« Païens en terre promise, décoder la doctrine chrétienne de la découverte », Steven Newcomb, 2008
« Comprendre le système de l’oppression coloniale par mieux le démonter », Steven Newcomb
« Comprendre le système de l’oppression coloniale pour mieux le démonter », Peter d’Errico
« Effondrer le colonialisme », Résistance 71
« Nous sommes tous des colonisés ! », Résistance 71
Mana Whenua