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Post modernisme, post-structuralisme, post-anarchisme, pour que les néologismes n’entretiennent ni la confusion ni la division (avec Saul Newman) 2ème partie

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Saul_Newman

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

“La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes.”
~ Pierre Clastres, directeur de recherche en anthropologie politique au CNRS, 1974 ~

La politique du post anarchisme

Saul Newman

2010

Traduit de l’anglais par Résistance 71 

1ère partie

2ème partie

Le rôle du généalogiste est de “réveiller sous la forme des institutions et législations, le passé oublié des véritables luttes, des victoires ou défaits masquées, le sang qui a séché sur les codes de la loi.” Dans les institutions, lois et pratiques que nous tenons pour garanties ou que nous voyons comme naturelles ou inévitables, il y a une condensation de luttes et d’antagonismes violents, qui ont été réprimés. Par exemple, Jacques Derrida a montré que l’autorité de la loi est basée sur une gestuelle fondatrice de la violence qui a été désavouée. La loi doit être fondée sur quelque chose qui pré-existe, qui lui est antérieur, et par conséquent ses fondations sont par définitions illégales. Le secret de l’être de la loi doit donc être une sorte d’illégalité désavouée, un crime originel ou acte de violence qui amène le corps de la loi dans l’existence et qui est maintenant caché dans ses structures symboliques. En d’autres termes, les institutions politiques et sociales ainsi que les identités doivent être vues et perçues comme ayant des origines politiques, c’est à dire antagonistes , plutôt que des origines naturelles.

Ces origines politiques ont été réprimées au sens psycho-analytique, c’est à dire qu’elles ont été “placées autre part” plutôt qu’entièrement éliminées et peuvent toujours être réactivées une fois que le sens de ces institutions et de ces narratifs est contesté. Alors que l’anarchisme devrait partager cet engagement déconstructeur avec l’autorité politique, il a rejeté la théorie du contrat social de l’État, par exemple et souscrit toujours à la vision dialectique de l’histoire. Le développement social et politique est vu comme étant déterminé par le déroulement d’une essence sociale rationnelle et des lois historiques et naturelles immuables. Le problème est que si ces lois immuables déterminent les conditions de la lutte révolutionnaire, il y a alors très peu de place pour regarder le politique comme contingent et indéterminé.

De plus, la critique généalogique pourrait aussi être étendue aux “institutions et relations naturelles” que les anarchistes voient comme étant opposées à l’ordre du pouvoir politique. Parce que la généalogie regarde l’histoire comme un clash de représentations et un antagonisme de forces, dans lequel les relations de pouvoir sont inévitables, ceci déstabiliserait toute identité, structure ou institution, même celles qui pourraient exister dans une société anarchiste post-révolutionnaire. 

Ces quatre problématiques qui sont centrales au post-structuralisme / analyse discursive, ont des implications fondamentales pour la théorie anarchiste : si l’anarchisme veut être théoriquement efficace aujourd’hui, s’il veut s’engager pleinement dans les luttes contemporaines politiques et d’identités, il doit abandonner le cadre humaniste des Lumières dans lequel il est articulé, ses discours essentialistes, sa compréhension positiviste des relations sociales et sa vision dialectique de l’histoire. En lieu et place, il doit complètement assumer la contingence de l’histoire, l’indétermination de l’identité et la nature antagoniste des relations socio-politiques. En d’autres termes, l’anarchisme doit suivre sa vision intérieure de l’autonomie de la dimension politique jusqu’à ses implications logiques et voir le politique comme un domaine constitutif ouvert de l’indétermination, de l’antagonisme et de la contingence, sans les garanties de la réconciliation dialectique et de l’harmonie sociale.

La problématique post-anarchiste

-[]- Le post-anarchisme peut donc être vu comme la tentative de corriger la théorie anarchiste le long de lignes non-essentialistes et non-dialectiques, par l’application et les développement de visions en provenance du post-structuralisme / analyse discursive qui est précisément la théorisation de l’autonomie et de la spécificité du domaine politique et la critique déconstructive de l’autorité politique. Ce sont ces aspects cruciaux de la théorie anarchiste qui doivent être mis en lumière et dont les implications doivent être explorées. Elles doivent être libérées des conditions épistémologiques qui, bien qu’elles leur ont donné originellement naissance, maintenant les restreignent. Le post-anarchisme accomplit ainsi une opération de sauvetage de l’anarchisme classique, tentant d’extraire son centre vital de l’autonomie du politique et d’explorer ses implications pour une politique radicale contemporaine. -[]-

La force de cette intervention post-anarchiste est venue de mon point de vue, du fait que la théorie anarchiste était centrale au post-structuralisme, mais aussi que le post-structuralisme lui-même était central à l’anarchisme. Cela veut dire que l’anarchisme a permis, comme je l’ai suggéré, la théorisation de l’autonomie du politique avec ses multiples sites de pouvoir et de domination ainsi que ses multiples identités et sites de résistance au delà du cadre économique réductionniste marxiste. Mais, comme je l’ai aussi argumenté, les implications de ces innovations théoriques furent restreintes par les conditions épistémologiques du temps, à savoir les idées essentialistes au sujet de la subjectivité, la vision déterministe de l’histoire et les discours rationnels des Lumières.

A son tour, le post-structuralisme est, du moins dans son orientation politique, fondamentalement anarchiste, particulièrement son projet déconstructiviste de démasquer et de déstabiliser les institutions de l’autorité et ses pratiques de contestation du pouvoir qui sont dominantes et exclusives. Le problème du post-structuralisme fut que, tandis qu’il impliquait un engagement politique anti-autoritaire, il manquait non seulement de contenu explicite politico-ethnique, mais aussi d’un compte adéquat de l’agencement individuel. Le problème central avec Foucault par exemple, était que si le sujet est construit par les discours et les relations de pouvoir qui le dominent, comment fait-il exactement pour résister à cette domination ? C’est pourquoi amener ensemble l’anarchisme et le post-structuralisme devait explorer les façons par lesquelles chacun pouvait mettre en valeur et s’occuper des problèmes théoriques de l’autre.

Par exemple, l’intervention post-structuraliste dans la théorie anarchiste a montré que l’anarchisme avait une faiblesse, un “point aveugle” : il ne reconnaissait pas les relations de pouvoir cachées et l’autoritarisme potentiel des identités essentialistes et des cadres épistémologiques et discursifs, qui ont formé la base de sa critique de l’autorité. L’intervention anarchiste dans la théorie post-structuraliste, d’un autre côté, a exposé ses faiblesses politiques et éthiques et en particulier, les ambigüités d’expliquer agencement et résistance dans le contexte de relations de pouvoir intégralement imbriquées.

Sur ces problèmes théoriques centrés autour de la question du pouvoir : il fut trouvé que tandis que l’anarchisme classique était capable de théoriser, dans le sujet essentiel révolutionnaire, une identité ou endroit de résistance en dehors de l’ordre du pouvoir, ce sujet fut prouvé, dans des analyses subséquentes, être imbriqué dans les relations de pouvoir qu’il conteste ; alors que le post-structuralisme tout en exposant précisément cette complicité entre le sujet et le pouvoir, n’avait pas de point de départ théorique, un extérieur, depuis lequel critiquer le pouvoir. Ainsi, le dilemme théorique que j’ai tenté de résoudre en partant de Bakounine et de Lacan, fut que, alors que nous devons assumer qu’il n’y a pas d’extérieur essentialiste au pouvoir, pas de terrain ferme ontologique ou épistémologique pour une résistance, au delà de l’ordre du pouvoir, la politique radicale a néanmoins besoin d’une dimension théorique en dehors du pouvoir et une certaine notion d’agencement radical qui n’est pas totalement déterminé par le pouvoir. J’ai exploré l’émergence de cette aporie, découvrant deux “cassures épistémologiques” centrales dans la pensée politique radicale.

La première fut trouvé dans la critique de l’humanisme des Lumières par Max Stirner, qui a formé la base théorique de l’intervention post-structuraliste au sein de la tradition anarchiste elle-même. La seconde fut trouvée dans la théorie de Jacques Lacan, dont les implications allèrent au delà des limites conceptuelles du post-structuralisme, faisant remarquer les déficiences dans les structures de pouvoir et de langage et la possibilité d’une notion indéterminée radicale de l’agencent émergeant de cette carence.

Donc, le post-anarchisme n’est pas tant un programme politique cohérent qu’une problématique anti-autoritaire qui émerge généalogiquement, c’est à dire, au travers de toute une série de conflits et d’apories théoriques, d’une approche post-structuraliste de l’anarchisme (ou de fait, une approche anarchiste du post-structuralisme). Mais le post-anarchisme implique aussi une large stratégie d’interrogation et de contestation des relations de pouvoir et de hiérarchie, de la découverte de sites auparavant invisibles de domination et d’antagonisme. En ce sens, le post-anarchisme peut être vu comme un projet politico-éthique ouvert de décontraction de l’autorité. Ce qui le distingue de l’anarchisme classique est qu’il est politique non-essentialiste. C’est à dire que le post-anarchisme ne se repose plus sur une identité essentielle de résistance et n’est plus ancré dans les épistémologues des Lumières ou des garanties ontologiques du discours humaniste.

Son ontologie est plutôt ouverte constitutivement à d’autres et pose un horizon radical vide et indéterminé, qui peut inclure une pluralité de différentes luttes politiques et d’identités. En d’autres termes, le post-anarchisme est un anti-autoritarisme qui résiste le potentiel totalisant d’un discours fermé ou d’une identité. Ce qui ne veut bien sur pas dire que le post-anarchisme n’a pas de contenu éthique ou de limites. De fait, son contenu politico-éthique peut même être fourni par des principes émancipateurs traditionnels de liberté et d’égalité, principes dont la nature irréductible et inconditionnelle fut affirmée et reconnue par l’anarchisme classique. Mais le point est que ces principes ne sont plus ancrés dans une identité fermée mais deviennent des “signifiants vides”, ouverts à un nombre de différentes articulations décidées de manière contingente au cours de la lutte.

De nouveaux défis : La bio-politique et le sujet

Un des défis centraux de la politique radicale d’aujourd’hui serait la déformation de l’état-nation en un état bio-politique ; une déformation qui, paradoxalement, montre son vrai visage. Comme l’a montré Giorgio Agamben, la logique de la souveraineté, au delà de la loi, et la logique de la bio-politique, se sont recoupées sous la forme de l’état moderne. Ainsi, la prérogative de l’État est de réguler, de contrôler et de policer la santé biologique de ses populations internes. Comme l’a argumenté Agamben, cette fonction produit une forme particulière de subjectivité, ce qu’il appelle Homo nacer, ce qui est défini par la forme de “simple vie” ou la vie biologique dépouillée de sa signification politique et symbolique, ainsi que par le principe de meurtre légal, ou meurtre en toute impunité.

De manière paradigmatique serait la subjectivité du réfugié et des camps d’internement des réfugiés, que nous voyons émerger de partout. Dans ces camps, une nouvelle forme arbitraire de pouvoir est directement exercée sur la vie dénudée des détenus. En d’autres termes, le corps du réfugié, qui a été dépouillé de tous droits politiques et légaux, est le point d’application d’un bio-pouvoir souverain. Mais le réfugié n’est qu’emblématique au statut bio-politique auquel nous sommes tous peu à peu réduits. En fait, ceci mène vers un nouvel antagonisme qui émerge comme étant central à la politique.

Une critique post-anarchiste serait dirigée sur précisément ce lien entre le pouvoir et la biologie. Ce n’est pas suffisant de simplement affirmer les droits humains du sujet contre les incursions du pouvoir. Ce qui doit être examiné de manière critique est la façon par laquelle certaines subjectivités humaines sont construites comme conduits du pouvoir.

Le vocabulaire conceptuel pour analyser ces nouvelles formes de pouvoir et subjectivité n’auraient pas été disponibles à l’anarchisme classique. Mais, même dans ce nouveau paradigme de pouvoir de la soumission, les motivations et implications éthiques et politiques de l’anarchisme pour remettre en question l’autorité, aussi bien que son analyse de la souveraineté de l’État, qui ont été au delà d’explications de classes, continuent d’être valides aujourd’hui. Le post-anarchisme est novateur parce qu’il combine ce qui est crucial dans la théorie anarchiste avec une critique post-structuraliste / analyse discursive de l’essentialisme. Ce qui en résulte est un projet ouvert anti-autoritaire politique pour le futur.

QuintetA

Le texte complet de Saul Newman en PDF superbement réalisé par Jo :

Saul-Newman-la-politique-du-post-anarchisme

Notes :

[1] See David Graeber’s discussion of some of these anarchistic structures and forms of organization in “The New Anarchists,”New Left Review 13 (Jan/Feb 2002): 61–73.

[2] Ernesto Laclau and Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics. London: Verso, 2001. p. 159.

[3] Ibid., p. 160.

[4] Mikhail Bakunin, Political Philosophy: Scientific Anarchism, ed. G. P Maximoff. London: Free Press of Glencoe. p. 221.

[5] See Murray Bookchin, Remaking Society, Montreal: Black Rose Books, 1989. p. 188.

[6] The last two in particular have remained resistant to poststructuralism/postmodernism. See, for instance, John Zerzan, “The Catastrophe of Postmodernism,”Anarchy: A Journal of Desire Armed (Fall 1991): 16–25.

[7] See Jean-Francois Lyotard, The Postmodern Condition: a Report on Knowledge. Trans. Geoff Bennington and Brian Massumi. Manchester: Manchester University Press, 1984.

[8] See Judith Butler, Ernesto Laclau and Slavoj Zizek, Contingency, Hegemony, Universality: Contemporary Dialogues on the Left. London: Verso. pp. 112–113.

[9] See Gilles Deleuze and Felix Guattari. Anti-Oedipus: Capitalism and Schizophrenia. Trans. R. Hurley. New York: Viking Press, 1972. p. 58.

[10] For a comprehensive discussion of the political implications of this Lacanian approach to identity, see Yannis Stavrakakis, Lacan and the Political. London: Routledge, 1999. pp 40–70.

[11] Peter Kropotkin, for instance, believed that there was an natural instinct for sociability in men, which formed the basis for ethical relations; while Bakunin argued that the subject’s morality and rationality arises out of his natural development. See, respectively, Peter Kropotkin, Ethics: Origin & Development. Trans., L.S Friedland. New York: Tudor, 1947; and Bakunin, Political Philosophy, op cit., pp. 152–157.

[12] Michel Foucault. Discipline and Punish: The Birth of the Prison. Trans. A. Sheridan. Penguin: London, 1991. p. 30.

[13] Michel Foucault, “Nietzsche, Genealogy, History,”in The Foucault Reader, ed. Paul Rabinow. New York: Pantheon, 1984. 76–100. p. 83.

[14] Michel Foucault, “War in the Filigree of Peace: Course Summary,”trans. I. Mcleod, in Oxford Literary Review 4, no. 2 (1976): 15–19. pp. 17–18.

[15] See Jacques Derrida, ‘Force of Law: The Mystical Foundation of Authority,’in Deconstruction and the Possibility of Justice, ed. Drucilla Cornell et al. New York: Routledge, 1992: 3–67.

[16] See Jacob Torfing, New Theories of Discourse: Laclau, Mouffe and Zizek, Oxford: Blackwell, 1999.

[17] The question of whether Lacan can be seen as ‘poststructuralist’or ‘post- postructuralist’forms a central point of contention between thinkers like Laclau and Zizek, both of whom are heavily influenced by Lacanian theory. See Butler et al. Contingency, op. cit.

[18] This notion of the “empty signifier”is central to Laclau’s theory of hegemonic articulation. See Hegemony, op. cit. See Ernesto Laclau, “Why do Empty Signifiers Matter to Politics?”in The Lesser Evil and the Greater Good: The Theory and Politics of Social Diversity, ed. Jeffrey Weeks. Concord, Mass.: Rivers Oram Press, 1994. 167–178

[19] See Giorgio Agamben, Homo Sacer: Sovereign Power and Bare Life. Trans., Daniel Heller- Roazen. Stanford, Ca: Stanford University Press, 1995.

[20] As Agamben argues: : “The novelty of coming politics is that it will not longer be a struggle for the conquest or control of the State, but a struggle between the State and the non-State (humanity)…”Giorgio Agamben, The Coming Community, trans., Michael Hardt. Minneapolis: University of Minnesota Press, 1993. p. 84.

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Lectures complémentaires :

“Manifeste pour la société des sociétés” (Résistance 71)

“Anthropologie politique, résolution de l’aporie de Pierre Clastres” (Résistance 71)

“La généalogie de la morale”, Friedrich Nietzsche

“L’entraide, facteur de l’évolution”, Pierre Kropotkine

« L’appel au socialisme », Gustav Landauer

Notre page “Anthropologie politique”

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Révolution ou insurrection ?.. Quand le collectif dépend de l’Unique qu’est l’individu et son affirmation au dessus de l’État (Saul Newman avec Max Stirner)

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« l »État appelle sa violence la loi, celle de l’individu un crime. »
~ Max Stirner ~

« Je ne suis pas rien dans le sens de vide, mais je suis le rien créateur, le rien duquel moi, en tant que créateur, crée tout. »
~ Max Stirner ~

« Quiconque est une personne complète n’a pas besoin d’autorité. »
~ Max Stirner ~

Insurrection ou Révolution ?

Saul Newman

Février 2022

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Au moment où le grand narratif de la révolution que nous avons hérité de la modernité et des discours rationnels de l’ère des Lumières s’est brisé, quelles alternatives existe t’il pour conceptualiser la transformation radicale ? Malgré le manque d’une classe révolutionnaire organisée ou d’un mouvement, la gauche est dans le même temps, incapable de penser au delà de l’idée de l’émancipation révolutionnaire. Cet échec de l’imagination radicale est peut-être la raison du verrouillage politique dans lequel se trouve la gauche aujourd’hui. Incapable d’effectuer quelque changement  de fond et de raison, la gauche en revanche passe son temps en guerre de clochers, en “guerres de cultures” et s’engage dans une politique identitaire contre la droite qui elle, est bien plus performante à ce jeu.

Le dogmatisme puritain et le zèle religieux que les débats sans fin sur l’identité de genre, de race, l’inclusion des marginalisés etc parlent d’un épuisement certain de l’horizon politique radical. Fonder sa politique sur la reconnaissance des identités d’un côté et la promesse future d’une rédemption révolutionnaire de l’autre, est tomber dans le piège du pouvoir d’État. L’État est fétichisé soit comme une entité qui donne les droits et le statut légal des minorités ou, en tant qu’ennemi, doit être capturé afin que la liberté puisse se réaliser, une illusion qui n’a fait que créer de nouveaux états et de nouvelles formes de despotisme, comme l’histoire des révolutions le démontre.

Il est peut-être temps d’abandonner les “fantômes” de l’identité et de la révolution et de penser à la subjectivité et à la politique de manière différente. C’est ici que je suggère que nous nous tournions vers le philosophe anarchiste allemand égoïste du XIXème siècle Max Stirner. Dans son ouvrage “L’unique et sa propriété” publié en 1844, Stirner proposait une forme d’action politique alternative, “égoïste” qu’il appelait “insurrection” ou “révolte” (Empörung) qu’il contrastait avec la révolution. Tandis que la révolution est un projet visant à la transformation des relations socio-politiques externes, l’insurrection est une transformation de soi. C’est une façon pour l’individu de dépasser et de vaincre sa propre obéissance, sa propre servitude volontaire et son identification avec l’autorité.

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Ainsi, ceci n’empêche pas des changements politiques et sociaux plus larges, mais ceux-ci sont assujettis à cet acte d’auto-libération initial, un changement de la manière dont nous nous comportons envers nous-mêmes et les autres, un changement d’attitude. Comme le dit Stirner, l’insurrection possède comme conséquence inévitable, la transformation des circonstances qui “pourtant ne part pas de là, mais du mécontentement des hommes envers eux-mêmes”. L’insurrection peut donc être vue comme une forme d’auto-émancipation radicale. Elle n’est en rien guidée ou déterminée par des avant-gardes révolutionnaires ou partis politiques et elle ne cherche pas à gagner et contrôler le pouvoir d’État. Elle est plutôt radicalement anti-institutionnelle : “La révolution a pour but de nouveaux arrangements, l’insurrection elle, nous mène à ne plus nous laisser arranger, mais à nous arranger nous-mêmes et elle ne fait miroiter aucun espoir sur les “institutions”. L’État n’est ni un instrument de transformation sociale, ni même l’obstacle principal à la liberté individuelle. L’insurrection refuse cette forme de fétichisation du pouvoir étatique. L’individu égoïste doit au contraire s’affirmer par dessus l’État ; il ne doit plus le regarder avec vénération ou horreur (ce qui représente les deux faces de la même pièce), mais seulement pour ce qu’il est.

Cette idée inhabituelle de l’insurrection est un composant clef du projet égoïste philosophique et éthique de Stirner. Pour lui, dans un monde de “fantômes” ou d’abstractions idéologiques ainsi que d’idéaux métaphysiques, l’humanité, la moralité, la liberté, les droits, la société, la loi et l’État, qui ne sont tous que des extensions de la religion et qui continuent pourtant de nous hanter, l’ego, est la seule réalité concrète et tangible. Mais que veut dire Stirner exactement par “ego” ? C’est une erreur que de ne simplement l’identifier avec “l’individu” ou “l’individualité”, figure du discours libéral-libertaire, comme beaucoup commentent sur Stirner. L’ego est un concept beaucoup plus fluide qui échappe aux considérations de catégorisations et “d’idées fixes”. En fait,  nous pourrions dire que l’ego est une sorte de non-identité radicale qui ne peut pas être épinglée à quelque forme de subjectivité ou déterminée par des caractéristiques essentielles. L’ego change en permanence, il mute, il est fluide, il est processus d’auto-devenir et d’auto-création plutôt qu’une identité stable. Comme le dit Stirner “Aucun concept ne m’exprime, rien de ce qui désigne mon essence ne m’épuise, ce ne sont que des noms, des étiquettes”. En fait, plutôt que d’être une identité, l’ego est mieux pensé comme une singularité.

Une traduction plus précise du mot “ego” (der Einzige en allemand tel qu’écrit par Stirner) serait plutôt “L’Unique”. Le sujet est anarchiste dans un sens ontologique, c’est à dire sans fondation stable, set d’intérêts pré-déterminés ou telos rationnel. Le soi refuse toute forme de “dénomination”, que ce soit la liberté, la moralité, la rationalité ou même la reconnaissance de son propre “moi intérieur”. C’est pourquoi la notion d’égoïsme de Stirner n’a aucun lien en quoi que ce soit avec une “politique identitaire”, que ce soit de majorités ou de minorités, que ce soit des exclus ou des inclus, parce que la projection d’une identité confine l’unique dans une idée pré-déterminée qui impose certaines normes de comportement et de conduite, qui requièrent de vivre un certain idéal. La politique identitaire est la tentative de comprimer cet unique en des généralités fictives qui sont supposées représenter son essence mais qui ne font que mutiler sa différence.

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Le projet politique, éthique et philosophique complet de Stirner est de libérer l’Unique de l’obéissance à de telles abstractions. C’est de nous encourager de voir le monde et nous-mêmes, de notre propre perspective et de refuser de nous laisser manipuler par des “idées fixes” et concepts essentialistes de toutes sortes ; en d’autres termes, les idées et manières de vivre que nous avons simplement héritées de la tradition. En adoptant la vision alternative de l’Unique, tout apparaît comme radicalement indéterminé. Le monde s’ouvre à nous. Le soi devient une toile vierge ne demandant qu’à être recréé.

Cette nouvelle manière d’approcher le monde a des conséquences éthiques et politiques importantes. Si le monde devient contingent et ouvert, cela veut dire que l’action ne peut plus être fondée sur une morale absolue, universelle et des critères rationnels ; nous en venons à reconnaître que c’est juste aussi illusoire que les superstitions religieuses remplacées. Mais, en l’absence de ces coordonnées pré-déterminées, nous sommes forcés de prendre des décisions éthiques indépendantes. Si nous n’utilisons plus d’institutions comme l’État ou des communalités comme les nations, nous avons les moyens d’inventer nos propres formes autonomes d’organisation politique et de communauté (la notion paradoxale de Stirner de “l’union des égoïstes” est une des possibilités).

Nous ne nous associons plus maintenant avec les autres par obligation ou compulsion, mais parce que cela nous apporte joie, bonheur et exacerbe notre sens de soi. Si nous trouvons le langage des droits et même de la liberté obscur et insatisfaisant, nous pouvons déployer un langage alternatif du “soi” qui nous permet de déterminer notre propre chemin individuel de liberté, aussi unique en lui-même que celui qui le foule du pied.

L’insurrection devrait donc être vue comme une sorte d’expérience politique et morale qui procède de soi et de ses possibilités. C’est une invitation à pratiquer de nouvelles formes de modes d’interaction et d’association auto-déterminés, de nouvelles façons d’être qui sont indifférentes au pouvoir. Les anarchistes ont fourni moults exemples de cela, des pratiques quotidiennes de squatting aux occupations de lieux publics et à la création consciente de communautés alternatives.

Ce qui est central à de telles expériences, est une insurrection dans le moment présent, dans l’ici et maintenant, plutôt que de remettre ses espoirs dans le grand Évènement révolutionnaire de demain. Stirner nous enseigne que toute politique est de la micro-politique, que les changements politiques et sociaux commencent avec le changement de soi et de se détacher du pouvoir et de la transformation de ses relations éthiques avec les autres. Comme l’a dit l’anarchiste allemand très proche de Max Stirner, Gustav Landauer : “L’État est une relation sociale, une certaine façon qu’ont les gens d’interagir les uns avec les autres. Il peut être détruit par les gens créant de nouvelles relations sociales, comme par exemple en se comportant différemment les uns avec les autres.”

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Saul Newman sur Résistance 71

Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Astyle

« L’objectif de l’État est toujours le même :
Limiter l’individu,

le domestiquer,
le subjuguer,
 le subordonner. »
~ Max Stirner ~

« Post-modernisme, post-structuralisme, post-anarchisme », pour que les néologismes n’entretiennent ni la confusion ni la division (avec Saul Newman) – 1ère partie –

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Saul_Newman

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

“La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes.”
~ Pierre Clastres, directeur de recherche en anthropologie politique au CNRS, 1974 ~

Nous avons traduit ci-dessous un texte important du professeur de science politique anarchiste Saul Newman, que les lecteurs de ce blog commencent à connaître par notre travail antérieur. Newman soulève ici des points importants concernant la perception et la compréhension des luttes sociales et leur capacité ou incapacité parfois à s’adapter aux situation nouvelles générées par le système. Il fait ici état de ce qu’il appelle la nécessité de passer d’un mode de pensée anarchiste “classique” à un mode de pensée et d’action dit “post-anarchiste”, en référence à l’évolution de la pensée et du mode de réflexion dit “structuraliste” au mode “post-structuraliste”. Le réflexion énoncée est positive en elle-même et soulève des points, faiblesses et manques tout à fait relevants aux luttes sociales contemporaines. Nous y voyons quand même une limite, qui est celle de présenter la chose une fois de plus comme un antagonisme, alors que nous la voyons et pensons qu’elle devrait être vue de manière complémentaire. Pour nous il ne s’agit pas de laisser tomber un mode de pensée pour en adopter un autre jugé plus “précis ou performant”, mais de reconnaître la vérité émanant des deux et adapter en fonction des situations. S’il est contestable aujourd’hui de concevoir l’histoire comme un puissant déterminisme nous emmenant d’un point à un autre en une ligne droite évolutive (avec ses hauts et ses bas), nous devons aussi reconnaître que fonctionner dans un système donné, à plus forte raison fabriqué et imposé, implique des rouages et une certaine logique implacable de ce système. Il faut donc sans cesse passer du micro au macro et ne pas les voir comme antagonistes mais comme complémentaires.
Le chaos quantique sub-atomique, par exemple, donne naissance à l’harmonie du macro et du vivant. Les visions structuralistes et post-structuralistes de l’évolution du monde ont toutes deux leurs points de validité et leurs points de faiblesse, elles ne s’opposent pas, elles sont complémentaire et s’enrichissent l’une l’autre. Rien ne s’oppose plus au monde quantique que le monde macroscopique et pourtant, tous deux sous-ensembles d’un même monde, d’un même univers, leur opposition est la preuve de leur complémentarité pour donner naissance à une logique macroscopique (et quantique pour ce qu’on en comprend…) universelle. Ce que nous ne comprenons pas ou mal, est le passage de l’un à l’autre. Le réel n’est pas antagoniste, mais fait de complémentarité à tous les échelons. Dans les relations humaines, changer de paradigme politico-social, c’est changer d’attitude envers ce qui est imposé, comprendre les possibilités et embrasser la diversité complémentaire pour permettre ce lâcher-prise qui nous fait tant défaut, pour avancer sur le chemin de notre émancipation finale, un monde de fin de domination et d’exploitation, qui résultera à la fois des impasses du monde imposé et de notre compréhension accrue de ses limites systémiques inéluctables. Nous avons tenté d’exposer cette approche très complémentaire de celle de Saul Newman dans notre essai “Du chemin de la société vers son humanité réalisée” (2019), que nous vous invitons également à (re)lire. De plus nous travaillons en ce moment sur une traduction partielle, mais plus que substantielle, du livre de l’anthropologue politique David Graeber et de l’archéologue David Wengrow “L’aube de tout, une nouvelle histoire de l’humanité”, qui amènera une grosse pierre angulaire à l’édifice de la reconstruction de la compréhension de l’histoire faisant suite au dynamitage en cours des mythes entretenus. A suivre donc…
~ Résistance 71 ~

QuintetA

La politique du post anarchisme

Saul Newman

2010

Traduit de l’anglais par Résistance 71 

1ère partie

2ème partie

Il n’est pas anarchiste parce que des groupes anarchistes sont prévalent en son sein. Ce qui est plus important est que le mouvement anti-mondialisation, sans être consciemment anarchiste, incarne une certaine forme de politique anarchiste dans sa structure et son organisation, qui sont décentralisées, pluralistes et démocratiques, ainsi que dans son inclusivité. Tout comme insistaient les anarchistes classiques comme Bakounine et Proudhon en opposition aux marxistes : la lutte révolutionnaire ne devait pas être confinée ou déterminée par les intérêts de classe du prolétariat industriel (ouvriers), mais devait aussi être ouverte aux paysans, au “sous-prolétariat”, aux intellectuels déclassés etc… de façon à ce que le mouvement contemporain puisse inclure une grande diversité de luttes, d’identités et d’intérêts soient-ils syndicaux, estudiantins, environnementaux, indigènes, minorités ethniques, activistes de la paix etc…

Comme l’argumentent les post-marxistes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, l’horizon politique radical n’est plus dominé par le prolétariat et sa lutte contre le capitalisme. Ils montrent toute une série de nouveaux mouvements sociaux et d’identités : féministes, ethniques, minorités sexuelles, qui ne cadrent plus dans la catégorie marxiste de lutte de classe : “Leur dénominateur commun serait leur différenciation des luttes des travailleurs, considérées comme ‘lutte de classe’”. La classe n’est donc plus la catégorie centrale par laquelle la subjectivité politique radicale est définie. De plus, les luttes politiques contemporaines ne sont plus déterminées par la lutte contre le capitalisme, mais plutôt tendent vers de nouveaux sites de domination et soulignent de nouvelles zones d’antagonisme comme le racisme, la privatisation, la surveillance sur les lieux de travail, la bureaucratisation etc. Comme argumentent Laclau et Mouffe, ces nouveaux mouvements sociaux ont d’abord été des luttes contre la domination plutôt que contre simplement une exploitation économique comme le suppose le paradigme marxiste : “Quant à leur nouveauté, ceci est démontré par le fait qu’ils questionnent de nouvelles formes de subordination.” (NdT : ce qui ne veut pas dire que celles-ci soient déconnectées du rapport étatico-marchand. Si le concept de lutte doit être flexible et prône à l’adaptation, il est néanmoins ancré dans une réalité de domination / oppression étatico-marchande, qu’on l’appelle “lutte de classe” ou autre n’enlève rien à cette réalité qu’il faut changer…)

C’est à dire que ces luttes sont des luttes anti-autoritaires, des luttes qui contestent le manque de réciprocité dans les relations particulières de pouvoir. Ici, l’exploitation économique serait vue comme partie d’une problématique plus large de domination, qui influerait également une subordination de formes sexuelle et/ou culturelle. En ce sens, on pourrait dire que ces luttes et antagonismes mènent vers un moment anarchiste de la politique contemporaine.

D’après les post-marxistes, les conditions politiques contemporaines ne peuvent plus être expliquées par les catégories et paradigmes théoriques centraux à la théorie marxiste. Le marxisme est conceptuellement limité par son essentialisme de classe et son déterminisme économique, qui ont eu pour effet de réduire le politique à une place où il était strictement déterminé par l’économie capitaliste  et l’émergence dialectique de ce qui a été vu comme le sujet émancipateur universel. C’est à dire que le marxisme a été incapable de comprendre le politique comme un champ contingent autonome et spécifique propre à lui-même, ne le voyant que comme un effet superstructure des structures de classes et de l’économie. Donc, l’analyse politique fut subordonnée à l’analyse du capitalisme.

A cause de cela, le marxisme n’a simplement aucun velléité théorique sur des luttes politiques non fondées sur la notion de classe et qui ne sont plus centrées sur des problèmes économiques. L’échec catastrophique du projet marxiste, sa culmination dans la perpétuation et la centralisation massives du pouvoir d’état et de l’autorité a démontré qu’il a négligé l’importance et la spécificité du domaine politique. Par contraste, les post-marxistes contemporains reconnaissent la primauté du politique, le voyant comme un énorme champ, qui, plutôt que d’être déterminé par la dynamique de classe et les fonctionnements de l’économie capitaliste, est radicalement contingent et indéterminé.

Ce qui est alors surprenant, est que la théorie post-marxiste n’a pas reconnu la contribution cruciale de l’anarchisme classique en conceptualisant un champ politique totalement autonome. (NdT : les post-marxistes sont trop occupés à continuer les guerres de clocher sur la 1ère Internationale et à protéger leur dieu Marx des démons de la mythologie marxiste, Bakounine et Proudhon…) En fait, c’est précisément cette emphase sur la primauté et la spécificité du politique qui caractérise l’anarchisme et le distingue grandement du marxisme. L’anarchisme a offert une critique socialiste radicale du marxisme, exposant son point aveugle théorique comme dérivant de la position de classe, des anarchistes comme Michel Bakounine ont insisté sur le fait que l’état doit être vu comme l’obstacle principal à la révolution sociale et qu’il est oppresseur quelque soit la forme qu’il prend et quelque soit la classe qui le contrôle.Les marxistes ne savent pas que le despotisme réside moins dans la forme que l’État prend que dans son principe même et son pouvoir politique ; il a constitué un site autonome, un endroit de pouvoir, qui doit être détruit par la révolution, car sa structure est dominatrice par essence.En d’autres termes, la domination existait déjà dans la structure et la logique mêmes de l’État. Elle constituait un endroit autonome de pouvoir, qui doit être détruite en tant qu’acte premier de la révolution sociale. Les anarchistes pensaient que la négligence de Marx en ce domaine aurait des conséquences désastreuses pour la politique révolutionnaire ; une prédiction qui fut prouvée très juste par la révolution bolchévique de 1917.

Pour les anarchistes, le pouvoir politique centralisé ne pouvait pas être facilement renversé et était toujours en danger d’être réaffirmé à moins de s’en occuper spécifiquement. Ainsi donc, l’innovation théorique de l’anarchisme réside en mener l’analyse du pouvoir au delà de paradigme économique réducteur du marxisme. L’anarchisme a aussi montré d’autres sites d’autorité et de domination qui étaient totalement négligés par la théorie marxiste comme par exemple : l’église, la famille et ses structures patriarcales, la loi, la technologie ainsi que la structure et la hiérarchie du parti politique révolutionnaire marxiste lui-même. L’anarchisme a offert de nouveaux outils pour l’analyse du pouvoir politique et ce faisant, a ouvert le site du politique en tant que champ spécifique de la lutte révolutionnaire et de l’antagonisme, qui ne pouvaient plus être cantonnés et subordonnés à des facettes purement économiques.

Etant donnée la contribution de l’anarchisme à la politique radicale et, en particulier, de sa proximité théorique des projets actuels post-marxistes, il y a eu un bien curieux silence au sujet de cette tradition révolutionnaire de la part de la théorie radicale contemporaine. Mais je voudrais suggérer qu’autant la théorie contemporaine devrait tenir compte de l’intervention de l’anarchisme, l’anarchisme lui-même bénéficierait grandement de l’incorporation des perspectives théoriques contemporaines, particulièrement celles dérivées de l’analyse discursive de la psycho-analyse et du post-structuralisme. Peut-être pourrait-on dire qu’aujourd’hui, l’anarchisme a été plus pratique que théorique, malgré l’intervention d’un bon nombre de penseurs anarchistes contemporains. J’ai déjà pointé vers l’anarchie en action que nous voyons dans les nouveaux mouvements sociaux qui caractérisent notre paysage politique. Quoi qu’il en soit, les conditions qui ont émergé et fait monter en puissance le moment anarchiste, la pluralité des luttes, les subjectivités et places de pouvoir, sont aussi les conditions qui soulignent les contradictions centrales et les limites de la théorie anarchiste.

La théorie anarchiste est toujours largement ancrée dans le paradigme de l’humanisme des Lumières, avec ses notions essentialistes du sujet humain rationnel et sa foi positiviste en la science et les lois historiques objectives. Tout comme le marxisme était politiquement limité par ses propres catégories de déterminisme de classe et économique et par sa vue dialectique du développement historique, l’anarchisme peut aussi être vu comme limité par son ancrage épistémologique dans les discours essentialistes et rationalistes de l’humanisme des Lumières.

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Les nouveaux paradigmes du social : le post-structuralisme et l’analyse discursive

Le paradigme de l’humanisme des Lumières a été remplacé par le paradigme de la post-modernité, qui peut être vue comme une perspective critique sur le narratif de la modernité, une “incrédulité envers des mets-narratifs” comme le dirait Jean-François Lyotard. En d’autres termes, ce que la condition post-moderne remet en question est précisément l’universalité et l’absolutisme des cadres moraux et rationnels dérivés des Lumières. Cela démasque ces idées prises pour argent comptant, notre foi en la science, par exemple, montrant leur nature arbitraire et la manière dont elles ont été construites via l’exclusion violente des autres discours, narratifs et perspectives.

Le postmodernisme questionne également les idées essentialistes de subjectivité et de société ; la conviction qu’il y a une vérité centrale et immuable à la base de notre identité et de notre existence sociale, une vérité qui ne peut être révélée que quand les mystifications irrationnelles de religion et d’idéologie ont été écartées. Au lieu de cela, le postmodernisme insiste sur le passage et la nature contingente de l’identité, sur la multitude de façons par lesquelles cela peut être vécu et compris. De plus,  plutôt que l’histoire étant comprise comme le déroulement d’une logique rationnelle ou d’une vérité essentielle, comme par exemple dans la dialectique, elle est vue de la perspective postmoderne, comme une série d’évènements et de contingences hasardeuses, sans origine ni but. Ainsi donc, le postmodernisme insiste sur l’instabilité et le pluralisme de l’identité, la nature construite de la réalité sociale, l’incommensurabilité de la différence et la contingence de l’histoire.

Il y a un bon nombre de stratégies théoriques critiques contemporaines qui affrontent la question de la post-modernité et que je vois comme ayant des implications cruciales pour une politique radicale aujourd’hui. Ces stratégies influeraient le post-structuralisme, “l’analyse discursive” et le post-marxisme. Elles dérivent d’une variété de différents domaines de la philosophie, de la théorie politique, des études culturelles, de l’esthétique et de la psycho-analyse, pourtant ce qu’elles partagent toutes au sens large est une compréhension discursive de la réalité sociale. C’est à dire qu’elles voient les identités politiques et sociales comme étant construites au travers de relations de discours et de pouvoir et comme n’ayant aucun sens intelligible en dehors de ce contexte. De plus, ces perspectives vont au-delà d’une compréhension déterministe structurelle du monde, montrant l’indétermination de la structure elle-même ainsi que ses multiples formes d’articulation. Il y a plusieurs problématiques théoriques que l’on peut en tirer, qui ne sont pas seulement centrales au domaine politique contemporain, mais qui ont aussi des implications importantes sur l’anarchisme en lui-même.

A) L’opacité du social. Le domaine politico-social est caractérisé par de multiples couches d’articulation, d’antagonisme et de dissimulation idéologique. Plutôt qu’il y ait une vérité sociale objective au-delà de l’interprétation et de l’idéologie, il n’y a que l’antagonisme des articulations conflictuelles du social. Ceci dérive du principe de sur-détermination althussérien (et originellement freudien), selon lequel le sens n’est jamais fixé, ce qui donne corps à une pluralité d’interprétations symboliques. Slavoj Zizek fournit un exemple intéressant de l’opération discursive au travers de la discussion de Claude Lévi-Strauss sur les différentes perceptions de la localisation spatiale de bâtiments parmi les membres de la tribu des Winnebago. La tribu, nous dit-on, est divisée en deux groupes : “ceux qui sont au-dessus et ceux qui sont en-dessous” Un individu de chaque groupe reçut la tache de dessiner le plan de son village dans le sable ou sur une feuille de papier.

Le résulta fut une représentation radicalement différente du village par les membres de chaque groupe. “Ceux d’en-haut dessinèrent le village comme une série de cercles concentriques au sein de cercles avec un groupe de cercles au centre et des séries de cercles satellites amalgamés autour. Ceci correspondrait à une image “conservatrice-corporatrice” de la société telle que se la représente la classe supérieure. Ceux d’en-bas dessinèrent aussi le village sous forme de cercles, mais avec un cercle étant clairement divisé par une ligne délimitant deux moitiés antagonistes, ceci correspondant à la vision “antagoniste-révolutionnaire” tenue par les classes inférieures.

Ainsi, la notion anarchiste d’objectivité sociale ou de totalité serait impossible à tenir. Il y a toujours un antagonisme au niveau de la représentation sociale qui minimise la consistance symbolique de cette totalité. Les perspectives différentes et interprétations conflictuelles du social ne peuvent pas être vues comme résultant simplement d’une distorsion idéologique empêchant le sujet de comprendre la vérité de la société. Le point ici est que la différence dans les interprétations sociales, ce gigantesque domaine des antagonismes, est la vérité de la société. En d’autres termes, la distorsion ici n’est pas au niveau de l’idéologie, mais au niveau de la réalité sociale elle-même.

B) L’indétermination du sujet. Tout comme l’identité du social peut être vue comme indéterminée, il en va de même pour l’identité du sujet. Ceci dérive d’un certain nombre de différentes approches théoriques. Les post-structuralistes comme Gilles Deleuze et Félix Guattari ont tenté de voir la subjectivité comme un domaine d’immanence et de devenir qui donne naissance à une pluralité de différences, plutôt qu’à une identité stable et fixée. L’unité supposée du sujet est déstabilisée par les connexions hétérogènes qu’elle forme avec d’autres identités et assemblages sociaux.

Une approche différente de la subjectivité peut être trouvée dans la psycho-analyse de Lacan. Ici, l’identité du sujet est toujours déficiente ou absente, à cause de l’absence de ce que Jacques Lacan appelle l’objet petit a, l’objet perdu du désir. Ce manque d’identité est aussi enregistré dans l’ordre symbolique externe au travers duquel le sujet est compris. Le sujet recherche a reconnaissance de lui-même au travers d’une interaction avec la structure du langage ; mais cette structure est elle-même déficiente, tout comme l’est un certain élément, le Réel, qui échappe à la symbolique.

Ce qui est clair dans ces deux approches, c’est que les sujet ne peut plus être vu comme complet, entier, identité auto-contenue, fixées par une essence, mais cette identité est plutôt changeante, contingente et instable. Donc, la politique ne peut plus être entièrement basée sur des affirmations rationnelles d’identités stables ou sur l’assertion révolutionnaire d’une essence humaine fondamentale. Les identités politiques sont plutôt indéterminées et contingentes, peuvent donner naissance à une pluralité de luttes différentes et souvent antagonistes sur précisément comment cette identité peut être définie. Cette approche clairement met en question la compréhension anarchiste de la subjectivité, qui la voit comme étant basée sur une essence humaine universelle ayant des caractéristiques morales et rationnelles.

C) La complicité du sujet dans le pouvoir. Le statut du sujet est problématisé plus avant par son implication dans les relations de pouvoirs et de discours. Ceci est un problème qui fut excessivement exploré par Michel Foucault, qui montra une myriade de façons par lesquelles la subjectivité est construite au travers de régimes discursifs et des pratiques de pouvoir / connaissance. En fait, la façon dont nous nous regardons en tant que sujet auto-réflexif ayant des capacités et des caractéristiques particulières, est basée sur notre complicité en relations et pratiques avec le pouvoir qui souvent nous domine. Ceci jette le doute la notion d’autonomie, de sujet humain rationnel et son statut dans une politique radicale émancipatrice.

Comme le dit Foucault : “L’Homme qui nous est d´´écrit, que nous sommes invités à libérer, est déjà en lui-même l’effet d’une subjection bien plus profonde que lui-même.” Ceci a un certain nombre d’implications majeures pour l’anarchisme.

Premièrement, plutôt que d’être un sujet dont l’essence humaine naturelle est réprimée par le pouvoir, comme le croient les anarchistes, cette forme de subjectivité est en fait un effet du pouvoir. C’est à dire, que cette subjectivité a été produite de telle façon qu’elle se voit comme ayant une essence réprimée, ainsi sa libération est en fait concomitante de sa domination continue.

Secondo, cette figure discursive du sujet humain universel qui est central à l’anarchisme, est lui-même un mécanisme de domination qui vise à la normalisation de l’individu et l’exclusion de formes de subjectivité qui ne lui conviennent pas. Cette domination fut démasquée par Max Stirner, qui montra que la figure humaniste de l’Homme était en fait une image inversée de dieu et faisait la même opération idéologique d’opprimer l’individu et de nier la différence.

D) La vision généalogique de l’histoire. Ici, la vision de l’histoire comme le déroulement d’une loi fondamentale est rejetée en faveur d’une qui insiste sur les ruptures, les cassures et les discontinuités dans l’histoire. Une histoire qui est vue comme une série d’antagonismes et de multiplicités plutôt que comme l’articulation d’une logique universelle, comme dans la dialectique hégélienne par exemple. Il n’y a pas de “secret intemporel et secret” de l’histoire, mais juste, comme le dit Foucault “le jeu du hasard des dominations”. Foucault regardait la généalogie nietzschéenne comme un projet de démarquage des conflits et des antagonismes, “la guerre non dite” qui est mené derrière le voile de l’histoire.

A suivre…

Saul Newman sur Résistance 71

Notre page « Anthropologie politique »

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Pour un changement de paradigme politique renouant avec la spiritualité de la société : l’anarcho-mysticisme de Gustav Landauer (avec Saul Newman, PDF)

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Saul_Newman

Résistance 71

29 septembre 2022

Jo nous a fait un superbe PDF de notre traduction de l’essai de Saul Newman sur l’anarcho-mysticisme de Gustav Landauer et la compréhension de la dimension spirituelle (non religieuse pour ceux qui n’auraient pas encore compris…). Nous l’avions joint en début de seconde partie de notre publication de l’essai, mais le voici de nouveau dans son intégralité. Lire, comprendre et diffuser sans modération, parce que le nouveau paradigme politique qui va remplacer la pourriture étatico-marchande actuelle au bout du rouleau, aura une dimension spirituelle telle que tout État et/ou institution coercitive de domination ne seront plus possibles. Vivement demain…

Le texte en format PDF réalisé par Jo. Nous dédions cette publication à son fils récemment disparu. Qu’il repose en paix. Paix et fraternité.

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Format PDF

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La société organique spirituelle pour un changement de paradigme politique avec Gustav Landauer et Saul Newman (2ème partie)

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L’anarcho-mysticisme de Gustav Landauer et la critique de la théologie politique*

Saul Newman

2020

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Juillet 2022

(*) théologie politique : croisée du chemin entre la philosophie politique et la théologie chrétienne, comment des concepts religieux, des croyances peuvent être sous-jacents à des modes d’organisation politiques, économiques et sociaux

1ère partie

2ème partie

Le texte de Saul Newman en format PDF made in Jo ;
Saul_Newman_L-anarcho-mysticisme-de-gustav-landauer

Esprit / Geist

L’esprit (Geist) est le référent central de la pensée anarcho-mystique de Landauer. Comme nous l’avons vu, des communautés d’esprit, fondées sur l’association volontaire et les affinités naturelles, sont opposées aux communautés artificielles sans esprit, comme l’état-nation par exemple. L’esprit est ce qui cimente la communauté en un tout de manière non-coercitive et ce qui permet la rédemption de l’humanité de la forme appauvrie dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. De plus, comme nous l’avons vu, l’esprit est totalement différent de la théologie, qui implique l’obéissance à une révélation divine et qui, selon les termes de Schmitt, se transcrit directement en obéissance politique. Comment devons-nous donc comprendre cette notion, de concept d’esprit, de Geist ? Alors que la façon dont Landauer déploie parfois le terme est peu clair, il a l’intention de se référer à cette sorte de force non-coercitive qui, à certains moments et sous certaines circonstances, ravive les peuples et les cultures. C’est quelque chose qui fournit à la vie son sens et sa sacralité et imbibe le présent de joie, de force et de vitalité.

Il associe l’esprit de manière diverse avec le raffinement culturel, avec une vitalité intérieure qui unifie un peuple ou une communauté, avec une disposition vers la liberté, l’amour et la solidarité ; avec aussi, comme on l’a vu, la théologie mystique chrétienne par laquelle l’âme parvient à s’unifier avec dieu. Landauer parle de la grande époque de l’esprit, moments de l’histoire et de la culture humaines où cette vitalité était évidente, comme dans le moyen-âge chrétien. Alors qu’aujourd’hui, sous les conditions exploiteuses et oppressives du capitalisme et de l’état, l’esprit est dans un état de dissipation et de déclin, jusqu’à ce que soit latent chez les gens, comme une sorte de principe évolutionnaire, comme un héritage biologique de générations précédentes ; il peut être réveillé.

Le socialisme pour Landauer, offre l’opportunité d’un renouveau spirituel. De fait, dans un ouvrage tardif, “Appel au Socialisme” (1911), il argumente que le socialisme doit être vu comme uns disposition spirituelle, une nouvelle façon de vivre le présent. En ce sens, l’anarchisme, comme politique préfiguratrice et le socialisme sont très étroitement reliés. En fait, Landauer décrit le socialisme comme “anarchie et fédération”. Le socialisme et l’anarchisme ne sont pas deux systèmes sociaux distincts, mais se réfère à un mode de vie autonome, libre et coopératif. Le socialisme de Landauer est définitivement non-marxiste. Pour Landauer, le marxisme est autoritaire, centraliste et étranger au véritable esprit du socialisme. Le marxisme est non-spirituel parce qu’il tente de transformer le socialisme et une science et un parti politique, finissant comme une idéologie étriquée et doctrinaire, qui n’a rien à voir avec le socialisme véritable.

Les anarchistes du XIXème siècle et spécifiquement Bakounine, rejetèrent aussi les prétensions du marxisme, affirmant que cela mènerait à de nouvelles formes d’autoritarisme. La science est incapable de saisir les forces de la vie dans leur spontanéité et leur vitalité ou, pour le dire en termes de Landauer, leur esprit. Le problème du marxisme, aux yeux de Landauer,  était sa doctrine du matérialisme historique qui affirmait être capable de prédire les révolutions par une observation scientifique des lois du développement historique et du mode de production économique.

Prendre l’histoire de manière matérialiste et transformer toute l’existence humaine en une série de processus corporels c’était terminer dans un certain idéalisme : de fait pour Landauer, l’idéalisme n’est que le revers du matérialisme. La notion d’esprit (Geist) de Landauer est une alternative à la fois au matérialisme et à l’idéalisme. L’esprit résiste à la tendance du matérialisme à tout réduire au corporel ; tandis qu’il est la célébration de la spontanéité et de la richesse de la vie, il ne peut pas être enfermé dans des abstractions métaphysiques ni des tendances rigides d’une philosophie idéaliste. Alors que le socialisme est bien entendu associé à certains idéaux éthiques, le problème est que de ne voir le socialisme que comme un idéal, un état de perfection auquel parvenir, cela veut dire qu’il est constamment repoussé dans le futur, alors que Landauer lui est intéressé par ce qui peut être fait dans “l’ici et maintenant”. Ici réside l’esprit du socialisme, par opposition à l’idéal socialiste, c’est quelque chose de très présent, un potentiel qui peut être réalisé dans les relations quotidiennes, dans l’ici et le maintenant.

Allant de paire avec cette notion positive et affirmative d’esprit, nous devons aussi considérer sa dimension “négative”. Je veux dire par là la façon dont l’émergence d’un véritable esprit dépend d’abord du nettoyage du terrain de toutes fausses idées, illusions, abstractions métaphysiques ; ce que Landauer appelle, citant Stirner, des “fantômes”. Nous avons été bernés par tous ces fantômes sur dieu, l’état, le capital et l’individu : ainsi donc, comme nous l’avons vu, l’insistance de Landauer sur ce que nous devions nous retirer de ce monde d’illusions et nous engager dans une auto-destruction métaphorique. Ici, Landauer crédite le nominalisme de Stirner avec la destruction des abstractions métaphysiques, qui ne sont qu’un résidu de la religion.

A la fois Landauer et Stirner s’engagent dans une pensée négative et même une “théologie négative”, au centre de laquelle est le désir d’obtenir un centre de vide au-delà des illusions du monde et des catégories conceptuelles qui nous ont trompé et desquelles une nouvelle réalité pourrait émerger. La maxime de Stirner “Toutes choses ne sont rien pour moi”, trouve un écho distinct dans la pensée de Landauer. De plus, nous observons dans le travail de Landauer sur le linguiste Fritz Mauther, une pensée sceptique qui appelle au questionnement de la fonction représentative du langage lui-même.

Le langage crée une série de concepts et d’abstractions qui obscurcissent et aliènent la réalité. Afin d’avoir un contact plus direct et sans intermédiaire avec la réalité, nous devons d’abord contourner cette illusion. Il y a un désir, puis,  pour connecter avec une expérience mystique au-delà des noms et des concepts , ce n’est qu’en comprenant le néant au cœur de ces structures que nous pouvons y parvenir.

Landauer et le tournant impolitique

Un examen de la pensée mystique de Landauer trouve d’importants parallèles avec quelques approches récentes en philosophie politique continentale, particulièrement avec ce qui a été nommé la “pensée italienne”. D’après Roberto Esposito, la “pensée italienne”, se référant a divers penseurs italiens comme Agamben, Cacciari, Negri, Tronti at autres, est largement concernée par le problème de la théologie politique, cherchant à étendre les termes de l’analyse au delà des confinements du paradigme schmittien. Ce qui est commun à cette approche est la tentative de penser au delà des représentations et, en particulier, de penser la politique au delà la représentation théologique du pouvoir, c’est à dire au delà la souveraineté. Rappelons-nous que pour Schmitt, la fonction de la souveraineté est de représenter la société, de lui donner sa forme, un ordre et un sens en établissant en endroit transcendant et sacré pour l’autorité dans un monde autrement d’immanence sécularisée.

Pour Esposito, le problème avec ce type de théologie politique, est que bien que cela réponde à la neutralisation du politique que Schmitt vouait comme la tendance centrale de la modernité, dans sa tentative de contenir le politique au sein d’un ordre souverain, cela se termine en une nouvelle forme de dépolitisation : “une théologie politique, mais dont la politique est une politique de dépolitisation. Cette contradiction insolvable ou ce paradoxe, “théologise” la dépolitisation en une nouvelle forme politique. Nous trouvons une préoccupation similaire chez Massimo Cacciari et sa discussion de katechon, la mystérieuse figure théologique qui retarde et restreint la venue de l’Antéchrist mais qui, ce faisant, retarde aussi l’évènement que l’Antéchrist précède toujours : la seconde venue du Christ.

Pour Cacciari, le katechon, central à la théologie politique et que Schmitt associe à la souveraineté et l’empire chrétien, est une figure bien ambigüe : bien qu’elle ait pour intention de retenir ou de restreindre l’anomie qui sera amené par le règne de l’Antéchrist, en association avec la forme politique de souveraineté et d’empire, il va sans dire, dans sa fonction représentative ou politico-théologique, il est impossible d’éviter l’incarnation de cette même anomie qu’il est supposée maintenir à l’écart. Le problème de la théologie politique, selon Cacciari, est qu’elle est enfermée dans un conflit entre un point singulier unifié d’autorité et sa fonction de médiatrice et de représentante d’une multiplicité.

Cette critique de la théologie politique, suivant les termes du débat Schmitt-Peterson, a aussi été poursuivie par Agamben, qui a recherché à déplacer la souveraineté au travers de la notion d’oïkonomie, dérivant de la doctrine trinitaire et en montrant que ce n’est qu’un côté de la machine de gouvernement économique, dont les effets sont dispersés, dont l’autorité est déléguée (du Père au Fils aux Anges) et qui n’a pas de centre souverain unifié.

Pourtant, ce qui est curieux dans toutes ces approches, visant à être contre l’idée de souveraineté et sa capacité de représentation, est qu’elles rejettent, ou contournent, la question de l’anarchisme, qui, comme je l’ai défendu, est le rejet le plus radical de la souveraineté. Au lieu de cela, leurs analyses tendent se référer à “l’anarchie”, mais pour signifier, pour Agamben par exemple, la fondation ontologiquement anarchique non fondée de gouvernement économique ou, pour Cacciari, simplement le désordre, le chaos.

Alors qu’il y a de vagues allusions à une lecture alternative de l’anarchie, ainsi pour Agamben, l’anarchisme est invoqué de manière biaisée comme une possibilité de rédemption cachée derrière les voiles de la machine gouvernementale anarchique, la possibilité de ce qu’il appelle “l’ingouvernable”, il reste un petit espace pour une lecture plus positive et émancipatrice de l’anarchisme et leur traitement de cette question de manière générale demeure totalement ambigu et inadéquat.

Si, comme je l’ai suggéré, une rencontre avec l’anarchisme est nécessaire pour toute critique réelle de la théologie politique de la souveraineté, et pourtant si c’est aussi le cas que l’anarchisme révolutionnaire du XIXème siècle est tombé dans son propre piège politico-théologique, alors nous devons considérer ce que l’alternative, l’anarchisme mystique de Landauer a à offrir quelques unes de ces approches critiques contemporaines de la théologie politique. Il y a deux parallèles clefs que je voudrais adresser ici.

Premièrement, je pense que l’idée de Landauer d’une expérience mystique peut nous aider à comprendre l’idée “d’impolitique”, qu’Esposito contraste avec les déterminations de souveraineté de la théologie politique. Esposito définit l’impolitique comme l’horizon négatif de la politique : c’est ce qui résiste la fonction de représentation souveraine. Mais en même temps, l’impolitique n’est pas une simple négation du politique, mais en constitue plutôt sa limite : “L’impolitique est le politique, vu comme sa limite la plus extérieure.” Ceci n’est pas la même chose que l’apolitique ou l’anti-politique : cela ne réfère pas à une sorte d’espace utopique en dehors du politique, en dehors des relations de pouvoir. Mais plutôt, en regardant le politique depuis un autre espace qui lui est hétérogène, il essaie de le saisir, d’appréhender au sein de cette dimension ce qui est plus politique que lui-même, ce qui dépasse sa propre limite et catégories représentatives ; une intensité qui ne peut pas être exprimée au sein de ses catégories existantes.

La tentative de Landauer de parvenir à une expérience mystique au delà du pouvoir représentatif du langage et des concepts, en tant qu’expérience négative de détachement, est une façon de capturer exactement ce moment d’intensité. De plus, comme j’ai essayé de le montrer, ce détachement des institutions politiques et sociales existantes, et même d’une vue prescrite socialement du soi, n’est pas un désengagement des luttes politiques et de la véritable communauté de vie mais, plutôt, leur pré-condition. En s’effaçant des formes établies de la politique, cela ouvre un espace pour des formes autonomes d’engagement, d’organisation et d’association.

L’importance de la pensée mystique de Landauer ici devient même encore plus apparente lorsque nous la comparons avec deux autres penseurs qui sont souvent invoqués comme ayant une influence clef sur le “virage impolitique” : Simone Weil et Georges Bataille. Avec Weil, mystique chrétienne, qui a aussi pas mal d’affinités avec l’anarchisme, il y a une certaine emphase sur l’expérience mystique, comme l’attention de l’âme envers dieu. De manière similaire, à Landauer, cette expérience mystique est comprise dans un sens négatif en termes de détachement, du vide de l’âme et des pensées de tout attachement aux mots et au langage afin de permettre à la vérité de pénétrer. (NdT : nous sommes ici très proche des concepts de “vide interstitiel” et de lâcher-prise que l’on trouve dans le Zen et ses principes méditatifs…)

Cet acte de “dé-création”, que Weil assimile à la mort, nous rappelle de la notion de Landauer de l’auto-destruction métaphorique qui devient la pré-condition pour une plus grande connectivité avec le monde et les autres. De fait, les deux penseurs sont concernés, bien que de manière différente, par la connexion individuelle à la communauté au travers d’une forme de communion spirituelle. L’étude de Weil sur la condition moderne du “déracinement” qui voit les individus aliénés d’un travail qui a du sens et spirituellement enrichissant, de leur passé, de leur culture et par dessus tout, de la vie en communauté, semble refléter directement la préoccupation de Landauer sur la condition contemporaine de”non-esprit”.

Pour les deux penseurs, il y a une préoccupation pour un renouvellement spirituel au travers de l’établissement d’une nouvelle signification du terme d’enracinement dans la vie de la communauté et même avec les traditions et cultures passées qui autrefois donnèrent un sens et de la vitalité au peuple.

Une emphase similaire sur la communion mystique peut être trouvée chez Georges Bataille. Ici, l’expérience mystique est comprise en termes d’une transgression extatique du moi au travers de moments d’excès “souverain”, comme par exemple l’érotisme, l’auto-sacrifice et la mort. Bien qu’abordé en termes plus violents que la notion de détachement mystique de Landauer et de Weil, il y a toujours le même point de focalisation sur la transcendance des limites de l’individu en tant que figure séparée, discontinue, vers une plus grande fusion ou continuité avec les autres.

La notion de communion mystique de Bataille a été reprise par des penseurs continentaux plus récents, bien que d’une perspective plus critique. Jean-Luc Nancy argumente que la communauté, dans le sillage de l’effondrement du communisme (d’état, NdT), ne peut plus être un retour à quelque idée organique ou essentielle de communauté basée sur la nostalgie de traditions partagées, de culture et d’identité. De telles communautés d’immanence risquent toujours de nouvelles formes de totalitarisme, dans lequel la différence est éclipsée par l’unité, dans laquelle les individus sont avalés dans des collectifs aliénants.

Pourtant, tandis que cette critique du communautarisme et de la communauté organique pourrait paraître jurer avec l’intérêt de Landauer dans les traditions et cultures locales, je pense qu’il y a une bien plus grande résonance ici dans la tentative de penser l’individu et la communauté ensemble de telle façon qu’aucun des deux ne soit effacé, Ici, l’idée de singularité, plutôt que celle d’individualité, devrait être déployée pour un meilleur effet. La communauté pourrait de fait être pensée en termes de relation d’ouverture, ce qui rend des identités fermées et souveraines impossibles. Ceci serait comme l’idée de Landauer sur la communauté mystique sans frontières et sans état souverain.

Aussi, et malgré certaines réserves que Landauer exprima au sujet de l’individualisme de Stirner, un parallèle peut être fait entre la communauté mystique sans souveraineté et l’idée en apparence paradoxale de Stirner sur “l’union des égoïstes” : une association volontaire libre, acéphale, sans forme et décentralisée, une sorte de groupe d’affinité, qui, à l’encontre des communautés établies comme “l’État” ou “la société”, n’impose aucune obligation de lien sur ceux qui y participent. Le plus important pour les deux penseurs (Landauer et Stirner), c’est que ces opportunités ne sont pas composées d’identités pré-définies comme les “citoyens” ni même les “individus”, mais plutôt de formes ouvertes de subjectivité en mouvement, en flux, devenant une auto-constitution, ce que l’on pourrait appeler des “singularités”.

Une préoccupation similaire de repenser la communauté au delà de la souveraineté, en termes de relations d’ouverture et de co-appartenance plutôt que d’identité et de frontières, peut aussi être trouvée chez Esposito et Agamben. Esposito tente de penser au delà de la logique “immunitaire” de l’état bio-politique, où le désir profond de protéger et de sécuriser la vie et l’identité du corps social de ce qui pourrait le contaminer ou le menacer, est transcendé par des compréhensions alternatives de communalité définie par le don et même la dette, impliquant la réciprocité, la mutualité et l’obligation.

Agamben d’un autre côté, parle de la “communauté à venir” formée de “singularités”, une nouvelle sorte de figure politique post-souveraineté, qui ne peut pas être assimilée au sein des structures représentatives de l’état et dont l’apparence dans des réunions spontanées et des manifestations suggère la possibilité d’une toute nouvelle forme de post-identité de la politique. Ceci est une sorte de communauté ouverte, amorphique, sans identité ni frontières, quelque chose qu’il associe particulièrement avec les réfugiés et les gens apatrides, mais qui peut aussi s’appliquer à d’autres formes autonomes et sans état, c’est à dire des communautés anarchistes, aussi loin que de telles communautés de singularités ne puissent pas être représentées au sein de catégories normales politiques ou identitaires, comme une nation, une ethnie, une religion, ou même une classe, elles sont une menace inacceptables pour l’État. Nous pouvons alors parler d’une nouvelle politique de “désidentification” ou, dans les termes de Landauer, de “séparation”, dont le but est non pas la reconnaissance d’identités existantes, mais plutôt la tentative de créer de nouvelles manières d’être, de nouvelles formes de vie autonome et de communauté.

Un geste de désidentification peut être observé dans le port de masques et le camouflage d’identité qui l’on voit souvent dans les manifestations de nos jours, essentiellement associé avec les “Black Blocs” anarchistes. Ceci est plus qu’une mesure de contre-surveillance, mais plutôt un abandon symbolique de son identité et l’affirmation de l’anonymat dans un espace de liberté dans lequel on crée de nouvelles formes d’affinité et d’appartenance en opposition à l’état et sa souveraineté. Agamben prédit alors que, “la nouveauté de la politique à venir est telle que ce ne sera plus une lutte pour la conquête ou le contrôle de l’État, mais une lutte entre l’État et le non-État (l’humanité), une dislocation insurmontable entre quelque singularité que ce soit et l’organisation de l’État.” (NdT : voir aussi les travaux de l’anthropologue politique James C. Scott et notamment son travail sur Zomia et “l’art de ne pas être gouverné” que nous avons traduits sur Résistance 71…)

Conclusion

Aujourd’hui, cette lutte entre l’État et le non-État semble se jouer sous la forme de manifestations de masse qui se déroulent dans le monde et dans lesquelles les gens retirent collectivement leur servitude volontaire et refusent de reconnaître la légitimité symbolique non seulement de leur gouvernement, mais de plus en plus, de tout le système politico-économique qui affirme représenter leurs intérêts. La question qui demeure pour nous est le comment interpréter au mieux un tel phénomène. Aussi loin qu’ils remettent en question le pouvoir représentatif de la souveraineté et personnifient en lieu et place des formes alternatives d’organisation autonome et de vie politique, ils invoquent, je dirais, un nouveau type d’attitude politique qui possède une orientation anarchiste.

Et c’est ici, comme je l’ai affirmé, que la pensée “impolitique” de Landauer, inspirée par ce que j’ai appelé l’anarcho-mysticisme et caractérisé par des idées de retrait mystique, de pensée négative et de nouvelles formes de communauté et d’association, nous donne une véritable vision intérieure interprétant la réalité. Que la pensée politique de Landauer puisse être considérée, ou pas, comme une nouvelle formule de théologie politique radicale, se tenant aux côtés d’autres articulations radicales comme la théologie de la libération, l’athéisme chrétien, l’anarchisme chrétien, la théologie écologique ou toute autre approche émancipatrice des temps millénaristes post-séculiers dans lesquels nous nous trouvons, l’anarcho-mysticisme est, au bas mot, une voie de penser politiquement sans et en dehors de la souveraineté.

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Le texte de Saul Newman en format PDF made in Jo ;
Saul_Newman_L-anarcho-mysticisme-de-gustav-landauer

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Saul_Newman

Saul Newman : 
Ph.D en Science Politique de l’université de Nouvelle-Galles-du-Sud (Australie) et co-directeur de l’Unité de Recherche sur la Théorie Politique Contemporaine de l’University of London (Goldsmiths). Il est spécialiste des théories politiques radicales et a extensivement publié sur le sujet (livres et articles), notamment sur le “post-anarchisme”, la théologie politique et des penseurs comme Max Stirner, Gustav Landauer.

Lire Gustav Landauer sur Résistance 71 (format PDF) :

L’appel au socialisme (traduction Résistance 71) et Texte complet

Vie et Œuvre de Gustav Landauer 

Notre page « Gustav Landauer et la société des sociétés organique »

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Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

SN_Postanarchisme

GL1