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Corruption cognitive: Sciences et sciences sociales sous tutelle idéologique… L’histoire abusée (Howard Zinn)

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“Être ignorant de l’histoire, c’est comme être né hier.”

“On ne peut pas être neutre dans un train en marche.”

~ Howard Zinn ~

 

“Des relations nouvelles par leur ampleur, se sont nouées entre historiens professionnels et la grande entreprise, privée ou publique, industrielle ou financière.”

“Quant aux jeunes chercheurs [en histoire], il est urgent que, soustraits à la norme des desiderata des bailleurs de fonds et ainsi mis en mesure de tenir la tête droite, ils puissent aider l’histoire contemporaine française à retrouver la voie de l’indépendance.”

“La discipline historique reflétant fidèlement le cours général des choses, l’histoire indépendante du pouvoir de l’argent finira bien, même ici, par faire reculer l’histoire de connivence.”

~ Annie Lacroix-Riz ~

 

L’utilisation et la spoliation de l’histoire

 

Howard Zinn

 

Ceci correspond à la traduction de larges extraits du chapitre 4 du livre de Zinn, “Declarations of Independence, cross-examining the American ideology”, Harper Perennial, 1990, qui n’a pas été traduit en français à notre connaissance.

Cet ouvrage, de notre point de vue, est le second meilleur ouvrage de Zinn juste après son célébre “Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours” (1980)

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Août 2016

 

Avant que je ne devienne un historien de profession, j’ai grandi dans la saleté et l’humidité des bas-fonds de New-York, j’ai été mis KO par un policier alors que je tenais une banderole dans une manif’ ouvrière, j’ai travaillé trois ans sur un chantier naval, et j’ai participé à la violence de la guerre. Ces expériences, parmi d’autres, m’ont fait perdre tout désir “d’objectivité”, que ce soit dans ma vie ou en écrivant l’histoire.

Ce que je viens de dire trouble un certain nombre de personnes et je dois m’en expliquer. Je veux donc dire par là qu’au moment où j’ai commencé à étudier l’histoire de manière formelle via le cursus universitaire, je savais que je ne le faisais pas parce que c’était “intéressant” ou parce que cela représentait une carrière “solide et respectable”. J’avais été touché à bien des égards par la lutte des travailleurs ordinaires pour survivre, par le côté glamour et hideux de la guerre et par mes propres lectures entreprises pour essayer de mieux comprendre le fascisme, le communisme, le capitalisme et le socialisme. Je ne pouvais décemment pas étudier l’histoire d’un point de vue neutre. Pour moi, l’histoire ne pouvait être qu’un outil de compréhension et de changement (et oui, une ambition extravagante) de ce qui n’allait pas dans le monde.

Ceci ne voulait pas dire de rechercher des faits historiques pour soutenir et renforcer les croyances que j’avais déjà. Cela ne voulait pas dire d’ignorer des données qui changeraient ou compliqueraient ma compréhension de la société. Cela voulait dire de poser les questions importantes pour qu’un changement social finisse par s’opérer, des questions au sujet de l’égalité, de la liberté, de la justice, de la paix, mais en demeurant ouvert à toute réponse suggérée en étudiant l’histoire.

J’avais très tôt décidé que je serais biaisé, partial dans le sens de demeurer vrai à certaines valeurs fondamentales comme le droit égal pour tout être humain, quelque soit la race, la religion, la nationalité, le sexe, le droit égal à la vie, la liberté et la poursuite incessante du bonheur sur terre, bref les idéaux décrits par Thomas Jefferson. Il me semblait que dédier sa vie à l’étude de l’histoire en valait la peine seulement si l’objectif était ces idéaux.

[…] Ainsi lorsque les troupes soviétiques envahirent la Hongrie (1956) puis la Tchécoslovaquie (1968) pour écraser des rébellions, il était clair pour moi que l’URSS violait des valeurs marxistes fondamentales, en réalité, un principe universel, celui de la solidarité internationale qui réside bien au-delà du marxisme.

Ma foi dans l’idéal d’une société égalitaire, d’une communauté mondiale coopérante, dans un monde sans frontières nationales, est demeurée saine et sauve ; simplement mon idée que l’URSS puisse représenter ce nouveau monde pouvait être d’emblée mise à l’écart. Je devais appeler un chat un chat alors que je voyais les choses au gré de ma lecture de l’histoire de l’Union Soviétique ; dans le même temps je voulais que ceux qui avaient une vue romantique des Etats-Unis soient aussi capables d’appeler un chat un chat au gré de leur découverte du passé américain. Je savais aussi qu’il était tentant de se raccrocher à de vieilles croyances, d’ignorer les faits inconfortables (NdT: appelée dissonnance cognitive) parce qu’on devait rester attaché à des idéaux et que je devais me préserver de la tentation et faire particulièrement attention aux écrits des autres historiens.

La forte croyance en certaines valeurs d’un historien peut mener à la malhonnêteté ou à la déformation de l’histoire. Mais ceci est évitable si l’historien(ne) comprend la différence entre la solidité de valeurs ultimes et ouverture d’esprit en regard du fait historique.

Il y a une autre forme de malhonnêtete qui souvent n’est pas remarquée, à savoir quand les historiens échouent à reconnaître leurs propres valeurs et prétendent à “l’objectivité”, se trompant ainsi eux-mêmes et leur lectorat.

Tout le monde est partial, biaisé, que vous le sachiez ou pas, par le fait de posséder des buts, objectifs fondamentaux et des fins à réaliser. Si nous comprenons cela, nous pouvons alors être proprement sceptiques de tous les historiens, journalistes et de quiconque rapporte sur le monde et nous pouvons vérifier si leur partialité provoque leur emphase sur certains faits historiques plus que d’autres et s’ils omettent ou donnent moins d’importance à d’autres.

[…] Quiconque lisant de l’histoire devrait comprendre depuis le départ qu’il n’y a pas d’histoire impartiale. Toute histoire écrite est partiale en deux sens. Partiale parce qu’elle ne représente qu’une petite portion de ce qui s’est vraiment passé. Ceci constitue une limite qui ne pourra jamais être dépassée. Et elle est partiale parce qu’elle prend inévitablement partie par le simple fait de ce qu’elle inclut et ce qu’elle omet, ce sur quoi elle insiste et ce sur quoi elle passe. Ceci peut-être fait ouvertement ou subrepticement, consciemment de la part de l’historien(ne) ou inconsciemment.

Le problème majeur en ce qui concerne l’honnêteté historique n’est pas le mensonge de but en blanc. C’est l’omission ou le passage sous silence de données très importantes sur un fait historique. La définition du mot “important”, bien sûr, dépend des valeurs de chacun.

Un excellent exemple dans l’histoire (américaine) est celui d massacre de Ludlow.

J’étais à l’université étudiant en histoire (NdT: après la seconde guerre mondiale donc puisque Zinn fut un des nombreux bénéficiaires de la GI Bill ou loi des “études contre service militaire”..), lorsque j’entendis pour la 1ère fois une chanson Folk de Woody Guthrie appelé “The Ludlow Massacre”, une ballade sombre et intense, accompagnée par les accords lents et hantés de sa guitare. Sa chanson raconte l’histoire de femmes et d’enfants qui périrent brûlés vifs lors de la grève des mineurs contre les mines de charbons des Rockefeller dans le sud-Colorado en 1914.

Je fus très curieux de ce fait. En effet, dans aucune de mes classes d’histoire américaine, aucun de mes livres d’école, ne figurait ne serait-ce qu’une mention de ce massacre de Ludlow dans le Colorado. Ceci me mea à un livre écrit non pas par un historien mais par un prof d’anglais du nom de Samuel Yellen: “American Labor Struggles” ou “Les luttes ouvrières américaines”. Ce livre contient des dizaines de narrations excitantes sur les conflits du travail de l’histoire des Etats-Unis, dont la très vaste majorité ne sont jamais mentionnées dans les livres d’histoire des écoles. Un de ces chapitres détaillait la grève du charbon du Colorado en 1913-14.

Note de Résistance 71: s’ensuit ici une description et résumé de trois pages des évènements de Ludlow, montrant la collusion entre les Rockefeller et le pouvoir politique régional et fédéral dans la sanglante répression ouvrière.

[…] La grève minière du colorado de cette époque ne rentre pas bien dans le moule créé par les livres d’histoire des bahuts vantant la perfection du développement économique américain. Peut-être qu’un compte-rendu des évènements et des dessous de l’affaire de Ludlow feraient poser quelques questions pertinentes aux jeunes élèves tout comme cela se produisit pour moi. Ces questions indibitablement menaceraient le pouvoir dominant de ce pays, ceci rentrerait en conflit avec l’orthodoxie (doxa) dominante. Les questionneurs, les enseignants et les membres des comités éducatifs pourraient faire face à des problèmes majeurs.

[…] Une observation rapprochée de la grève du charbon dans le Colorado révèlerait que non seulement le gouvernement de l’état du Colorado mais aussi le gouvernement fédéral de Washington, sous la présidence d’un présumé “libéral”/homme de gauche Woodrow Wilson, étaient du côté des corporations, des grosses entreprises. Tandis que les mineurs étaient battus, jetés en prison et assassinés par la police privée armée des Rockefeller ou par la Garde Nationale, le gouvernement ne fit absolument rien pour préserver les droits constitutionnels de son peuple. Il y a en effet un statut fédéral, Titre 10, section 333, qui donne le pouvoir au gouvernement fédéral de défendre les droits constitutionnels des citoyens si les autorités locales ne le font pas.

Ce ne fut qu’après le massacre, après que les mineurs ne se soient armés et déferlèrent contre les propriétés minières et leurs gardes que le président Wilson appela la troupe pour mettre fin aux émeutes dans le Colorado.

[…] Il n’y a pas de façon “objective” de gérer le massacre de Ludlow Il y a la décision subjective (biaisée, opinionâtre) de l’omettre du naratif historique, basé sur un système de valeurs qui ne le considère pas comme étant important ni même digne d’intérêt. […] mais c’est aussi une décision subjective, biaisée d’en parler et de narrer les évènements (bien documentés). Ma décision personnelle de couvrir cet évènement historique (NdT: Zinn le couvre en détail dans un des chapitres de son ouvrage séminal: “Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours”…) est fondée sur ma croyance qu’il est important que les gens sachent l’extension et l’implication des conflits de classes dans notre histoire, de savoir quelque chose au sujet du comment les ouvriers et classes laborieuses ont dû lutter iaprement, pied à pied pour changer leurs conditions d’existence et aussi de comprendre le rôle du gouvernement et des médias dans les luttes de classes de notre passé.

On doit inévitablement omettre une large portion de ce qui est disponible en tant qu’information historique ; mais ce qui est omis est critique dans le type d’éducation historique que les gens obtiennent, ceci peut les faire bouger d’un côté ou de l’autre, ce qu’ils semblent accepter par leur passivité. Ma propre intention est de sélectionner des sujets et insister sur des aspects de ceux-ci qui feront bouger les citoyens vers des activités répondant aux besoins de base des droits de l’Homme: égalité, paix, démocratie et un monde sans frontières nationales. Ceci sans leur cacher des faits mais en ajoutant au magazin de l’orthodoxie de la connaissance, en ouvrant plus large le grand marché de la connaissance.

Le problème de la sélection dans les faits historiques est montré de manière confondante avec l’histoire de Christophe Colomb et la “découverte” du nouveau monde. Cette histoire apparaît dans tous les livres d’histoires américains et ce à tous les niveaux, de l’école élémentaire jusqu’à l’université. Elle est toujours narrée comme une histoire de technique, de grand courage, menant à la découverte du continent des Amériques (NdT: que les Etats-Uniens appellent le “Western Hemisphere” ou l’hémisphère occidental.).

Pourtant quelque chose est omi dans cette histoire et ce dans quasiment tous les bouquins d’histoire utilisés dans toutes les écoles au travers des Etats-Unis. Ce qui est omis est la veûlerie, la soif d’or de Colomb, son intérêt bassement matériel et que ce penchant pour la fortune lui a fait commettre des crimes de mutilation, de mise en esclavage et d’assassinats purs et simples sur les Indiens venus à sa rencontre dans une parfaite innocence amicale. Ceci fut fait par lui et ses hommes à une telle échalle que cela mérite le vocable de “génocide”, de la destruction d’un peuple entier.

Cette information était parfaitement à la disposition des historiens. Dans les carnets et journaux de bord de Colomb lui-même, il décrit son attitude dès le départ.

Ils feraient de bons serviteurs… Avec 50 hommes on pourrait tous les subjuguer et faire d’eux ce que nous voulons.

[…] Dans son livre plus succint “Christopher Colombus, Mariner”, l’historien Samuel Eliot Morison dit: “la cruelle politique initiée par Colomb et poursuivie par ses successeurs a résulté en un génocide complet.” Mais cette déclaration se situe sur une page totalement enterrée dans un livre qui n’est presqu’exclusivement qu’une éloge de Colomb.

[…] Est-ce que mon emphase sur Colomb et le traitement qu’il réserva aux Indiens est biaisée ? Sans aucun doute. Je ne nierais pas et concéderais la technique et le courage à Colomb, qu’il fut un excellent marin (NdT: qui s’est quand même paumé pour en arriver aux Caraïbes…), mais je veux révéler quelque chose à son sujet qui fut omis de l’éducation historique de la plupart des Américains.

Mon biais est celui-ci: Je veux que mes lecteurs pensent à deux fois au sujet de nos “héros” traditionnels, qu’ils réexaminent ce que nous chérissons (compétence technique) et ce que nous ignorons (conséquences humaines). Je veux qu’ils pensent à quel point il est facile d’accepter la conquête et le meurtre parce que ces deux choses vont avancer le “progrès”. Le meurtre de masse pour “une bonne cause” est une des sévères maladies de notre temps. Il y a eu ceux qui ont défendu Staline et ses assassinats en disant ‘Bon, il a quand même rendu la Russie au niveau de grande puissance”. Il y a aussi ceux qui justifièrent les bombes sur Hiroshima et Nagasaki en disant: “Il fallait bien qu’on gagne la guerre.”

[…] Si les Américains recevaient une meilleure éducation historique , s’ils apprenaient à regarder et à gratter sous la surface de ces étiquettes faciles qu’on leur met sous les yeux comme “L’ère de la bonne volonté” ou “L’âge de la prospérité” etc ; s’ils comprenaient que notre orthodoxie nationale préfère cacher certains faits perturbants au sujet de notre société, ils pourraient alors dans ces années 1980 et 1990, regarder au-delà de la scintillance factice et du luxe et réagir enfin avec colère à la vue des gens SDF, de la pauvreté galopante et du désespoir qui ronge des millions de personnes dans ce pays.

Les historiens, comme les journalistes, sélectionnent ce qu’ils pensent être important ou ce qu’ils pensent que leur éditeur, maison d’édition vont trouver important ou ce qu’ils pensent ensemble être l’intérêt du public. Parfois ils vont rapporter sur un sujet précis parce que tout le monde avant eux l’a fait, et ils omettront quelque chose de l’histoire simplement parce que cela a toujours été omis dans les narratifs précédents.

En d’autres termes, il y a un bias conservateur à l’histoire et une tendance à insister sur ce que des générations d’historiens ont insisté avant. Le motif de ceci est souvent la sécurité, parce que l’historien qui brise le moule attire les regards et les suspiscions.

[…] Nous avons besoin d’apprendre l’histoire, le type qui ne va pas insister sur savoir qui sont les présidents des républiques et les statuts de la cour suprême des Etats-Unis, mais une histoire qui va inspirer une nouvelle génération à résister à la folie destructrice des gouvernements qui essaient de modeler le monde et nos esprits dans leurs sphères d’influence.

=*=

Nous devons aussi mentionner ce qu’il est convenu d’appeler selon les termes de l’historienne Annie Lacroix-Riz, citée en exergue de cette traduction de Zinn, “l’histoire de connivence” ; c’est à dire cette histoire achetée par les entreprises pour blanchir leur passé douteux dans la collaboration durant la seconde guerre mondiale ou leur relation équivoque quant au colonialisme ou toute autre turpitude avenante jugée nécessaire. Ceci existe dans tous les pays occidentaux impérialistes et correspond à un sévère travers de l’histoire contemporaine et de ses historiens.

L’histoire et ses historiens, ainsi que bien des scientifiques dans d’autres domaines, sont achetés par la mafia des transnationales de la grosses industrie et de la finance qui peut ainsi contrôler quasiment à volonté ce qu’elles désirent inculquer à la masse.

Les exemples sont multiples: de la recherche pétrolière et gazière (pétrole et gaz tous deux abiotiques, non-fossiles) à l’escroquerie du réchauffement climatique anthropique en passant par les grandes théories classiques de l’anthropologie, de l’ethnologie, sociologie, bien peu de secteurs ne sont pas aujourd’hui touchés par la main-mise financière qui corrompt tout.

Nous pensons comme Lacroix-Riz que nous avons citée ci-dessus, que , “… l’histoire indépendante du pouvoir de l’argent finira bien, même ici, par faire reculer l’histoire de connivence.”

De la violence et de la nature humaine… L’État seul terroriste ?… (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , on 31 mars 2016 by Résistance 71

« Le refus de l’État est le refus de l’exonomie, de la loi extérieure, c’est tout simplement le refus de la soumission, inscrit comme tel dans la structure même de la société originelle. Seuls des idiots peuvent croire que pour refuser toute aliénation, on doit d’abord en avoir fait l’expérience: le refus de l’aliénation économique ou politique appartient à l’être même de cette société, cela exprime son conservatisme, sa volonté délibérée de demeurer indivisée. Delibérée de fait et pas seulement l’effet du fonctionnement de la machine sociale: les sauvages ne savent que trop bien que toute altération de leur vie sociale ou toute innovation sociale, pourrait se transformer en une perte de liberté. »
~ Pierre Clastres ~

« L’Homme n’est donc pas le descendant d’un ‘singe tueur’, la violence n’est pas inscrite dans ses gènes. Au contraire, il a développé très tôt des comportements altruistes à travers notamment, l’empathie dont il a fait preuve envers ses semblables. Nous sommes loin de la thèse girardienne, de l’existence d’une ‘violence primordiale’. En outre, celle-ci dédouane l’Homme de toute responsabilité: ce ne sont pas nos actions mais notre ‘nature’, sous entendu, ‘animale’, qui engendre la violence. Cette supposée ‘animalité en nous’ est l’éternel alibi à tous nos débordements ! La violence, liée aux structures économiques, politiques, sociales et religieuses des sociétés, est souvent un symptôme, notamment des injustices et non une cause… Combattre les comportements violents suscités et légitimés après coup par des idéologies qui tiennent que la violence est inhérente à l’Homme, telle doit être notre ardente obligation. »
~ Marylène Patou-Mathis ~

 

Violence et nature humaine

 

Howard Zinn

 

Ce texte correspond à de larges extraits du chapitre 3 du livre d’Howard Zinn “Declarations of Independance, cross-examining the American Ideology”, Harper Perennial, 1990 qui n’a pas été traduit en français à notre connaissance.

 

Traduit de l’anglais par Résistance 71, Mars 2016

 

Je me rappelle de trois incidents différents liés à la violence dans trois parties différentes de ma vie. Dans deux d’entre eux j’étais un observateur, dans un autre je fus le perpétrateur.

A l’automne de 1963, j’étais à Salma, Alabama et j’y ai vu deux jeunes activistes des droits civils noirs se faire matraquer au sol par des troupes de l’état d’Alabama (NdT: les State Troopers, qui sont des troupes existant dans chaque état aux Etats-Unis. Différent de la Garde Nationale. La Garde Nationale est un service volontaire, les State Troopers sont des professionnels mais n’ont de compétence que dans leur état d’origine. Ils sont souvent assignés à des missions de police et de maintient de l’ordre), puis se faire électriser au moyen de bâton électrique, parce qu’ils essayèrent d’apporter de l’eau et de la nourriture à d’autres noirs qui faisaient la queue dans l’attente de s’inscrire sur les lisres électorales.

En tant que jeune bombardier de 22 ans, j’ai participé à une mission durant les toutes dernières semaines de la seconde guerre mondiale, qui ne peut être vue que comme une atrocité. Cela consistait au bombardement au napalm d’un petit village français pour des objectifs qui n’avaient rien de gagner la guerre et ne laissant qu’une zone dévastée par la mort et l’horreur quelques 7km en dessous de nos avions. (NdT: Howard Zinn fait ici référence au bombardement au napalm de Royan par les Américains le 15 Avril 1945. Il a expliqué cette affaire en de multiples occasions.)

Des années avant cela, alors que j’étais un adolescent dans les rues de Brooklyn à New York, j’ai été le témoin d’une dispute entre un homme noir et un vieux juif qui semnlait être son employeur. C’était une dispute au sujet d’argent qui apparemment était dû à l’homme noir et celui-ci semblait désespéré de l’obtenir. Il plaidait et menaçait tout à tour, mais le vieil homme restait inflexible. Soudain, l’home noir attrapa un panneau en bois et en frappa le viel homme à la tête. Celui-ci, le sang coulant sur son visage, continua à pousser son chariot sur le trottoir et s’éloigna.

Je n’ai jamais été persuadé qu’une telle violence, celle d’un noir en colère, d’un policier haineux ou d’un personnel navigant de l’armée de l’air, fusse le résultat de quelque instinct naturel. Tous ces incidents, après y a voir réfléchi dans le temps, avaient une explication sociale par les circonstances dans lesquelles ils eurent lieu. Je suis en accord total avec le philosophe anglais du XIXème siècle John Stuart Mill lorsqu’il disait: “De tous les modes vulgaires d’échappatoire à la considération de l’effet des influences sociales et morales sur l’esprit humain, le plus vulgaire est celui qui attribut la diversité de conduite et de caractère humain à des différences naturelles inhérentes.

Pourtant, au début des discussions sur la violence humaine, spécifiquement de discussion sur les causes de la guerre, quelqu’un dira immanquablement: “Que voulez-vous, c’est dans la nature humaine !” Il y a un soutien intellectuel ancien et de poids pour soutenir cet argument commun. Niccolo Machiavelli dans son ouvrage “Le Prince”, exprime de manière confiante sa propre vision de la nature humaine, à savoir que les humains tendent vers le mal. Ceci lui donne une bonne raison, en étant “réaliste”, d’insister pour laisser de côté les scrupules moraux lorsqu’on doit gérer des situations humaines: “Un homme qui voudrait faire profession d’être bon en tout doit nécessairement être désappointé par la masse de ceux qui ne le sont pas. Il est donc nécessaire pour un prince désirant de maintenir, d’apprendre à ne pas être bon.

Le philosophe du XVIIème siècle Thomas Hobbes a dit: “Je reconnais à toute l’humanité une inclinaison générale à un désir perpétuel du pouvoir pour le pouvoir qui ne cesse que dans la mort.” Cette vision de la nature humaine mena Hobbes à favoriser n’importe quel type de gouvernement, même autoritaire, qui maintiendrait la paix en bloquant, restreignant ce qu’il pensait être la proprention naturelle des gens à être violents envers les autres. Il parla de “condition dissolue d’hommes sans maîtres” qui demandait “un pouvoir coercitif pour leur lier les mains de toute rapine et de vengeance.

Les croyances au sujet de la nature humaine deviennent ainsi des prophéties se réalisant d’elles-mêmes. Si vous croyez que les êtres humains sont naturellement violents et méchants, vous pourrez bien être persuadé de penser (bien que pas requis de penser) que c’est en fait “réaliste” d’être vous-même ainsi. Mais est-il en fait réaliste (c’est à dire “je regrette, mais c’est un fait…”) de blâmer la guerre sur la nature humaine ?

En 1932, Albert Einstein, déjà célèbre pour son grand travail en physique et en mathématiques, écrivit une lettre à un autre grand penseur de ce siècle: Sigmund Freud. Einstein était très troublé par le souvenir de la première guerre mondiale, qui ne s’était terminé que quatorze ans auparavant. Dix millions d’hommes étaient morts sur les champs de bataille d’Europe, pour des raisons que personne ne pouvait logiquement expliquer. Comme tant d’autres qui avaient vécu cette guerre, Einstein était horrifié par la pensée que la vie humaine pouvait être détruite à une si grande échelle et il était très concerné du fait qu’il pourrait bien y avoir une autre guerre mondiale. Il considéra que Freud, la sommité mondiale en matière de psychologie, pourrait faire la lumière sur la question du pourquoi donc les hommes font-ils la guerre ?

Cher professeur Freud, y a t’il une façon quelconque de délivrer l’humanité de la menace de la guerre ?” Einstein parla de “ce petit groupe très déterminé, actif au sein de chaque nation, composé d’individus qui contemplent la guerre, la fabrication et la vente d’armes, simplement comme étant une occasion de faire avancer leurs intérêts particuliers et d’augmenter leur autorité personnelle.” Puis il demanda: “Comment est-il possible à cette petite clique de faire plier la volonté de la majorité, qui ne peut que perdre et souffrir du fait d’un état de guerre au service de leurs ambitions ?

Einstein tenta d’y répondre: “Parce que l’Homme a en lui une soif de haine et de destruction.” Puis il posa cette question finale à Freud: “Est-il possible de contrôler l’évolution mentale de l’humain afin de le rendre étanche contre les psychoses de la haine et de la destruction ?

Freud lui répondit: “Vous supposez que l’Homme a en lui un instinct actif pour la haine et la destruction et qu’il est prône à de telles stimulations. Je suis tout à fait d’accord avec vous… Le plus petit regard porté à l’histoire du monde montrera une série sans fin de conflits entre une communauté et une autre.” Freud mit en évidence les deux instincts fondamentaux de l’être humain: l’instinct amoureux ou érotique et son opposé, l’instinct destructeur. Le seul espoir qu’il entretenait pour que l’érotique triomphe de l’instinct de destruction était dans le développement culturel de l’humain, incluant “un renforcement de l’intellect, qui tend à maîtriser notre vie instinctive.

Einstein avait un point de vue différent sur la valeur de l’intellect et sa maîtrise des instincts. Après avoir pointé “les psychoses de haine et de destruction”, Einstein conclût: “L’expérience prouve que c’est plutôt la soi-disante “intelligentsia” qui est la plus apte à mener à ces désastreuses suggestions collectives.

Voici dont les deux des plus grands esprits du siècle, frustrés et sans espoir devant la persistance de la guerre. Einstein s’aventurant à suggérer que les instincts agressifs de l’homme sont à la racine de la guerre, demande à Freud, l’expert mondial sur les instincts et lui demande de l’aide pour trouver une solution. Notez néanmoins qu’Einstein a sauté de “l’homme ayant en lui une pulsion” à “des suggestions collectives désastreuses”. Freud ignore ce saut de l’instinct à la culture et affirme que “l’instinct destructeur” est la cause cruciale de la guerre.

Mais quelle est la preuve de Freud pour pouvoir affirmer l’existence d’un tel instinct ? Il y a quelque chose de curieux dans son raisonnement. Il n’offre aucune preuve depuis son champ d’expertise, la psychologie. Sa preuve est “le plus petit regard porté à l’histoire du monde”.

Faisons avancer la discussion, 50 ans plus tard, avec une école de pensée qui n’existait pas encore du temps de Freud: la sociobiologie. Le porte-parole le plus prominent de cette discipline est un professeur de l’université de Harvard: E. O. Wilson. Son livre “Sociobiology” est un traité impressionnant sur le comportement de diverses espèces dans le monde biologique et qui ont une inclinaison sociale, comme les fourmis, les abeilles ou les termites.

Dans le dernier chapitre de son ouvrage, Wilson se tourne vers les humains et ceci attira tellement d’attention, qu’il décida d’écrire un ouvrage complémentaire sur le sujet: “On Human Nature”. Il y a un chapitre sur l’agression. Il commence avec la question suivante: “Les êtres humains sont-ils naturellement agressifs ?” Deux phrases plus loin: “La réponse est oui.” (aucune hésitation ici) et dans la phrase suivante, il explique pourquoi: “Au travers de l’histoire, les guerres, représentant seulement la technique la plus organisée d’agression, ont été endémiques à toutes les formes de sociétés des bandes de chasseurs-cueilleurs aux états industriels.

Voilà de nouveau une situation bien péculière. Le psychologue (Freud) ne trouve pas ses preuves de l’instinct agressif de l’humain dans son champ d’expertise qu’est la psychologie mais dans l’histoire. De même, le biologiest (Wilson) ne trouve pas ses preuves dans la biologie, mais aussi dans … l’histoire.

Ceci fait plus que suggérer le fait que la preuve en provenance à la fois de la psychologie et de la biologie n’est pas suffisante pour établir sans contestation de l’instinct agressif de l’humain. Ainsi donc, ces éminents penseurs de notre temps se tournent vers l’histoire. En cela, ils ne sont pas différents de la personne ordinaire, dont la pensée suit la même logique: l’histoire est remplis de guerres, on ne peut pas trouver un temps de l’histoire où il n’y en eut pas (NdT: 20 ans plus tard, il a été établi par de nombreuses recherches archéologiques paléonthologiques que la violence guerrière s’est établie avec la sédentarité du néolithique et sa “révolution agricole”. Il n’y a en effet pas de traces significatives de violence collective dans la période paléolithique, celle de l’homme de Néanderthal et début de Cro-Magnon, cf à ce sujet les recherches des professeurs Marylène Patou-Mathis et Jean-Paul Demoule) ceci voudrait donc dire que cela proviendrait de quelque chose de profondément ancré dans la nature humaine, quelque chose de biologique, une pulsion, un instinct d’agression violente.

Cette logique est très répandue dans la pensée moderne, dans toutes les classes de la société, que les gens soient hautement éduqués ou pas. Et pourtant, cela est sans aucun doute faux. De plus, cela est dangereux de penser de la sorte.

Faux, parce qu’il n’y a pas de preuve concrète de cela. Ni dans la génétique, ni en zoologie, ni en psychologie, ni en anthropologie, ni en histoire, ni même dans l’expérience ordinaire des soldats en guerre. Cela est dangereux parce que cela détourne l’attention des causes non biologiques de la violence et de la guerre.

[…] Quand Wilson parle de gens qui sont “agressifs de manière innée”, il ne veut pas dire qu’ils sont nés avec une énorme propention à devenir violent, cela dépend de notre environnement. Et même si nous devenons agressifs, cela n’a pas besoin de prendre la forme de la violence.

[…] Il n’y a pas de gène connu de l’agression, de l’agressivité. De fait, il n’y a pas de gènes connus pour toutes les formes communes de comportement humain (je prends en considération le fait qu’un défaut génétique du cerveau pourrait laisser une personne plus violente que d’autres, mais le simple fait de dire qu’il s’agisse d’un défaut veut dire que cela n’est pas un trait normal…). La science de la génétique, l’étude des matériaux d’hérédité faite sur les quelques 40 et plus chromosomes de chaque cellule humaine et transmis d’une génération à l’autre, en sait long sur les gènes de caractéristiques physiques, très peu au sujet de gènes de capacité mentale et pratiquement rien sur les gènes de personnalité et de comportements (violence, concurrence, gentillesse, méchanceté, sens de l’humour etc…)

Le collègue de Wilson à Harvard, le scientifique Jay Gould, spécialiste de l’évolution, le dit très platement dans le magazine d’Histoire Naturelle en 1976: “Quelle est la preuve directe pour un contrôle génétique d’attitude sociale spécifique chez l’humain ? En ce moment la réponse est: absolument aucune !

[…] Au printemps 1986, une conférence scientifique internationale se tenant à Séville en Espagne, publia une déclaration sur la question de la nature humaine et de la violence d’agression, concluant: “Il est scientifiquement incorrect de dire que la guerre est causée par “instinct” ou toute motivation singulière… La guerre moderne implique l’utilisation institutionnelle de caractéristiques personnelles comme l’obéissance, la suggestibilité et l’idéalisme… Nous concluons que la biologie ne condamne pas l’humanité à la guerre.

Et la preuve psychologique ? Ceci n’est pas une science si “difficile” comme la génétique. Les généticiens peuvent examiner les gènes, même les découper en nouvelles formes. Ce que font les psychologues est de regarder et d’analyser ce que les gens pensent et comment ils se comportent., de les tester, de les psycho-analyser, faire des expériences pour voir comment les gens se comportent et essaient de parvenir à des conclusions raisonnables sur le pourquoi les gens se comportent de la façon dont ils le font.

Note de Résistance 71: Ici Zinn décrit la célèbre expérience de Milgram qui eut lieu à l’université de Yale dans les années 1960, où des sujets devaient infliger des chocs électriques bidons à des cobayes humains, complices des chercheurs, lorsque ceux-ci répondaient mal à une question. Les “tortionnaires” expérimentaux ne savaient pas que les chocs électriques étaient fictifs et les récipiendaires des décharges fictives, des acteurs. Cette expérience a été mise en scène au cinéma dans le film “I comme Icare” d’Henri Verneuil, 1979.

[…] Qu’en est-il des preuves en provenance de l’anthropologie, c’est à dire de l’étude du comportement des peuples “primitifs”, qui sont supposés être au plus proche de l’état “naturel” et donc de donner de bons indices au sujet de la “nature humaine”. Il y a eu bien des études sur les traits de personalité de tels peuples comme les Bushmen du Kalahari, les Indiens d’Amérique du Nord, les tribus malaises, les Tasaday encore à l’âge de pierre aux Philippines, etc… Les trouvailles peuvent être résumées assez facilement: Il n’y a pas de schéma simple d’attitude guerrière ou pacifique, les variations sont grandes. En Amérique du Nord les Indiens des grandes plaines étaient plus enclins à la guerre tandis que les Cherokee de Georgie étaient bien plus pacifiques.

L’anthropologue Colin Turnbull a conduit deux études différentes de terrain dans lesquelles il vécut un bon moment avec des autochtones. Dans son ouvrage “The Forest People”, il décrit les Pygmées de la forêt Ituri d’Afrique Centrale, un peuple des plus pacifique pour qui l’idée de punir quelqu’un est de l’envoyer méditer sur ce qu’il a fait de mal, seul en forêt. Lorsqu’il étudia les Mbuti du Zaïre, il les trouva pacifiques et coopératifs. Par contre lorsqu’il passa du temps avec le peuple Ik en Afrique orientale, peuple qu’il décrit comme le “peuple des montagnes”, il les trouva féroces et égoïstes.

Les différences de comportement entre ces peuples n’étaient pas génétiques, elles n’étaient pas dans la “nature” de ces gens, mais s’expliquaient par leur environnement et leurs conditions de vie. La vie relativement facile des peuples des forêts façonna gentillesse et pacifisme ainsi qu’une générosité sociale. Les Ik par contre, furent chassés de leurs terres ancestrales par la création d’un parc naturel et furent envoyés dans une vie de désolation montagnarde et de famine dans des montagnes rases et arides. Leur tentative désespérée pour survivre amena cette agressivité et cette propention à la destruction dont fut témoin Turnbull.

[…] Dans le monde animal, aucune espèce autre que les humains ne fait la guerre. Aucune ne s’engage dans des activités violentes organisées au nom de quelque abstraction que ce soit. Ceci est un don spécial d’espèces aux capacités cérébrales et culturelles plus avancées. Les animaux commettent des actes de violence pour une raison spécifique et visible: le besoin de nourriture et l’auto-défense d’eux-mêmes ou de leur progéniture.

La génétique, la psychologie, l’anthropologie et la zoologie, aucun de ces domaines n’a pu prouver l’instinct humain pour une sorte d’agressivité violente qui caractérise la guerre. Qu’en est-il de l’histoire, à laquelle se référa Freud si promptement ?

Qui peut nier la fréquence des guerres dans l’histoire humaine ? Mais sa persistance ne prouve en aucun cas qu’elle est “partie intégrante de la nature humaine”. N’y a t’il pas des faits persistants dans la société humaine qui peuvent expliquer l’éruption constante de guerres sans avoir recours à ces mystérieux instincts que la science, même en essayant hardemment, ne peut pas trouver dans nos gènes ? Un de ces faits n’est-il pas l’existence d’une caste élitiste dans chaque culture, caste qui devient amoureuse de son propre pouvoir et cherche à l’étendre en permanence ? Un autre de ces faits n’est-il pas la veulerie, non pas des populations, mais de minorités puissantes au sein des sociétés qui recherchent toujours plus de matières premières, de débouchés de marché, de terres à posséder et de possibilités d’investissement ? N’y a t’il pas une idéologie nationaliste persistante, spécifiquement dans le monde moderne, un set de croyances mettant en avant l’amour de la mère-patrie ou du Vaterland, en faisant un objet de vénération pour lequel des gens sont capables de tuer et de se faire tuer ?

Nous n’avons certainement pas besoin de la “nature humaine” pour expliquer les guerres, il y a quantité d’autres explications. Mais se référer à une “nature humaine” belliqueuse est facile, cela demande très peu de réflexion. Par contre, analyser les facteurs politiques, sociaux, économiques et culturels qui au travers de l’histoire ont mené à tant de guerres, çà c’est plus dur et demande un travail plus acharné.

Mais nous devrions regarder de nouveau à la proposition qui dit que la persistance de la guerre dans l’histoire prouve que la guerre est dans la nature humaine. Cette affirmation requiert que les guerres soient non seulement fréquentes, mais perpétuelles, qu’elles ne se limitent pas à quelques nations, mais à toutes. Parce que si les guerres ne sont qu’intermittantes, s’il y a des périodes de guerres et des périodes de paix et s’il y a des nations qui vont en guerre et d’autres pas, alors il est irraisonnable d’attribuer la guerre à quelque chose qui serait aussi universel à l’humain que sa propre nature.

A chaque fois que quelqu’un dit “l’histoire nous prouve que…” puis cite une liste de faits historiques, nous devrions faire très attention. Nous pouvons toujours sélectionner des faits de l’histoire (et il y en a un sacré paquet en toute chose) pour “prouver” pratiquement tout ce qu’on voudrait au sujet de l’attitude humaine. Tout comme on peut sélectionner des évènements et des moments d’agressivité de la vie d’une personne et affirmer que par là-même cette personne est violente et agressive. Rien ne prouve qu’elle soit naturellement agressive et méchante. On pourrait tout aussi bien sélectionner de la même vie des moments de tendresse et d’affection, certainement plus nombreux pour prouver sa gentillesse naturelle.

[…] Les hommes que j’ai côtoyé et connu dans l’armée de l’air durant la guerre, les pilotes, navigateurs, bombardiers et mitrailleurs de ces équipages volant au dessus de l’Europe, largant des bombes et tuant beaucoup de gens, n’avaient aucune soif de tuer, n’étaient aucunement des enthousiastes de la violence et n’aimaient en rien la guerre. Ils, nous, étions engagés dans un massacre de masse, pour la plupart de non-combattants, de femmes, d’enfants et de personnes âgées qui habitaient dans les voisinages des villes que nous bombardions (qui étaient officiellement toutes des “cibles militaires”…) Mais ceci ne venait pas de notre “nature”, qui n’était pas différente de lorsque nous jouions calmement, étudions ou vivions les vies normales de jeunes gens américains à Brooklyn, New York ou Aurora, Missouri.

Les actes sanglants que nous fûmes appelés à commettre ne sont pas difficiles à tracer dans leur origine: nous avions tous été élevés pour croire que nos leaders politiques avaient de bonnes raisons et qu’on pouvait leur faire confiance pour faire le bien dans le monde ; on nous avait appris que dans le monde il y avait des bons et des méchants, de bons pays et des mauvais et que le notre était très bon. On nous avait entraîné à faire voler ces forteresses volantes, à tirer avec les mitrailleuses, à bombarder en utilisant les viseurs et à être fier de notre boulot et de nos missions. Nous avions aussi été entraînés a suivre les ordres lesquels n’avaient aucune raison d’être mis en doute parce que tout le monde de notre côté représentait le bien et que l’autre côté était le mal absolu. De plus, nous n’avions pas à voir les jambes d’une fillette se faire déchiquetées en résultat du largage de nos bombes, on opérait et larguait à 9 000m d’altitude et nous ne pouvions voir aucun humains au sol, nous ne pouvions pas entendre les hurlements des gens, ceci est sûrement suffisant pour expliquer pourquoi les hommes participent à la guerre. Aucun besoin de se cramponner au côté sombre de la nature humaine.

En fait, quand on regarde la guerre moderne, trouvez-vous des quantités de gens s’y précipitant avec cette volonté farouche de détruire et de tuer ? Pratiquement pas. Vous trouvez des hommes et quelques femmes qui s’engagent à la recherche d’une carrière, de l’aspect “glamour” de l’armée et une sécurité psychologique et économique. Vous en trouvez bien d’autres y étant conscrits sous peine de prison s’ils refusent. Soudain, tous ces gens se retrouvent envoyés à la guerre où l’habitude de suivre les ordres et le résonnement de la propagande à leurs oreilles leur certifiant la justesse de la cause, peuvent avoir raison de la peur ou des scrupules moraux de tuer d’autres êtres humains.

[…] Un autre exemple, lorsque le gouvernement des Etats-Unis décida d’entrer dans la première guerre mondiale, il ne trouva pas une armée d’hommes n’attendant que d’en découdre et de donner libre-court à leur colère et leur instinct “naturel” contre l’ennemi, de se repaître dans leur penchant “naturel” à tuer. En fait, il y eut de grandes manifestations contre la guerre, obligeant le congrès des Etats-Unis à passer une législation punitive contre le mouvement anti-guerre, plus de 2000 personnes furent arrêtés et déférées devant les tribunaux pour avoir critiqué la guerre. En plus de poursuivre en justice les activistes anti-guerre et de conscrire les jeunes gens dans l’armée, le gouvernement dût aussi organiser une large campagne de propagande en envoyant 75 000 harangueurs donner 750 000 discours dans des centaines de villes américaines juste pour persuader les gens que les Etats-Unis entraient dans une guerre juste.

Même avec tout cela, la résistance à la conscription fut importante. Dans la ville de New York, 90 des 100 premiers conscrits demandèrent une exemption. La résistance se propagea dans les états de l’Illinois, de la Floride, du Minnesota…

Il y eut plus de 350 000 hommes qui furent classifiés comme ayant refusé la conscription.

[…] Tandis que 2 millions d’hommes ont servi durant la guerre du Vietnam à un moment ou à un autre, 500 000 refusèrent la conscription et de ceux qui servirent, il y eu plus de 100 000 déserteurs, environ 34 000 GIs furent traduits en cour-martiale et emprisonnés. Si un instinct était à l’ouvrage, ce n’était pas celui de faire la guerre, mais bien celui de ne pas la faire !

[…] Quiconque a déjà participé à un mouvement social a vu et expérimenté le pouvoir de l’idéalisme à faire bouger les personnes vers la coopération et l’auto-sacrifice.

L’histoire, si diligente à enregistrer les désastres, est largement silencieuse sur le nombre impressionnant d’actes de courage perpétrés par des individus défiant l’autorité et défiant la mort.

La question de l’histoire, de son utilisation et des abus de son utilisation, mérite une discussion en elle-même.

Note de résitance 71 : qui est le chapitre suivant du livre et est intitulé:“Utilisation et abus de l’histoire”…. 

L’histoire en question: Le biais du narratif historique (Howard Zinn)

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Dans quelle mesure les livres d’histoire américains (mais pas seulement) sont-ils limités et orientés dans leur narratif ?

Entretien avec Howard Zinn en juillet 2008

Source vidéo et transcription en anglais:http://bigthink.com/videos/howard-zinn-on-the-limitations-of-american-history-books

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Question: En quoi les livres d’histoire traditionnels américains sont-ils limités ?

Howard Zinn: Le problème de base des livres d’histoire traditionnels est qu’ils sont nationalistes et élitistes. Par nationaliste, j’entends qu’ils regardent le monde d’un point de vue centré sur nous et qu’ils voient la politique américaine comme quelque chose de bénin.

Une histoire plus véritable et plus réaliste serait de regarder la politique étrangère américaine sur les quelques derniers siècles vraiment. Elle regarderait la politique étrangère américaine et la verrait pour ce qu’elle a été et est toujours: expansioniste, violente et militariste. En d’autres termes, ce serait une histoire qui serait vraiment honnête dans la mesure où nous nous attendons à ce que les individus soient honnêtes avec eux-mêmes et leur passé afin de rectifier leurs erreurs.

Faire cela n’est pas anti-patriotique ou anti-américain, à moins que vous ne pensiez qu’être américain veuille dire approuver tout ce que votre gouvernement fait ou qu’être patriote c’est soutenir tout ce que votre gouvernement fait ou dit.

Non, être honnête au sujet de notre passé, être honnête au sujet de ce que nous avons fait au monde, une histoire qui observe et analyse ce que nous avons fait du point de vue des indigènes natifs, des noirs, de spauvres, des femmes, du peuple qui en général a été complètement omis de l’histoire traditionnelle. Lorsque vous regardez notre histoire du point de vue du peuple, des gens de la base de la société, plutôt que du point de vue classique des gens “d’en haut”, tout est différent. Les politiques ne sont pas les mêmes. Vous avez soudainement un critère pour mesurer ce que le pays fait.

Question: Est-ce que les nations fortes comme les Etats-Unis ont intérêt à écrire des récits historiques justes et précis ?

Howard Zinn:  Les leaders de la nation n’ont pas intérêt. Les maisons d’édition des livres scolaires et universitaires n’ont pas non plus intérêt.

Les seules personnes qui ont intérêt sont les enseignants et les élèves / étudiants et les gens qui ne bénéficient en rien du système établi présentement. S’il doit y avoir un changement dans l’enseignement de l’histoire, cela devra se produire d’en-bas. Quel que soit le changement qui s’est produit jusqu’ici et il y a eu quelques changements dans la façon d’enseigner l’histoire, quelque changement que ce soit se produira parce que les profs et les élèves changeront d’attitude, ils lirons différentes choses, ils s’écarterons des livres teaditionnels, rejetteront les théories du “pas d’enfant laisser pour compte”, ses demandes, la standardisation des examens et des dates historiques et la vieille vision de regarder l’histoire au travers de l’œil des présidents, des hommes politiques et des généraux.

Cela viendra d’en-bas.

L’empire à nu… Connaître l’histoire pour ne plus se faire rouler dans la farine… (Howard Zinn)

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Honneur à Howard Zinn pour ouvrir le bal 2015 ! Texte écrit en 2006 sous Bush, la validité et l’actualité de ce texte 9 ans plus tard est stupéfiante…

— Résistance 71 —

 

Les leçons sur la guerre d’Irak commencent avec l’histoire des Etats-Unis

 

Howard Zinn

 

Mars 2006

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

En ce 3ème anniversaire de la débâcle en Irak du président Bush, il est important de considérer pourquoi le gouvernement a si facilement berné tant de gens à soutenir la guerre.

Je pense qu’il y a deux raisons essentielles, qui sont profondément ancrées dans notre culture nationale.

La première est l’absence quasi-totale de perspective historique. La seconde est une inhabilité de penser en dehors des limites du nationalisme.
Si nous ne connaissons pas l’histoire, alors nous sommes bons à être mangés tout cru par nos politiciens carnivores et par les intellectuels et les journalistes qui leur donnent les couteaux à découper. En revanche, si nous connaissons un peu d’histoire, si nous sommes au courant du nombre de fois où des présidents nous ont menti, alors on ne nous y reprendra pas.
Le président Polk a menti à la nation sur les raisons du pourquoi nous entrions en guerre contre le Mexique en 1846. Cela n’avait absolument rien à voir avec le fait que soi-disant “les Mexicains avaient versé le sang américain en territoire américain” et tout à voir avec le fait que Polk et l’aristocratie esclavagiste américaine convoitaient la vaste majorité du territoire mexicain.
Le président McKinley a menti en 1898 sur les raisons d’envahir Cuba, disant que nous voulions libérer les Cubains de l’emprise espagnole, mais en fait il voulait que les Espagnols quittent Cuba pour libérer la place pour des entreprises américaines comme United Fruit et autres. Il a aussi menti au sujet des raisons de notre guerre contre les Philippines, clâmant que nous ne voulions que “civiliser” les Filipinos, alors que la véritable raison était de posséder un bon bout de terrain dans l’Asie profonde, et ce aux dépends de la vie de centaines de milliers de Philippins qui y perdirent la vie.

Le président Wilson a menti sur les raisons de l’entrée des Etats-Unis dans la première guerre mondiale disant que ce fut une guerre “pour rendre le monde plus sécure pour la démocratie”, tandis que ce n’était en fait qu’une guerre pour rendre le monde plus sécure pour la puissance américaine montante.

Le président Truman a menti quand il a dit que la bombe atomique fut larguée sur Hiroshima parce qu’elle était une “cible militaire” et tout le monde a menti au sujet du Vietnam, le président Kennedy a menti au sujet de l’amplitude de notre engagement, le président Johnson au sujet de l’incident du Golfe du Tonkin et le président Nixon au sujet du bombardement secret du Cambodge (et du Laos). Ils ont tous affirmé que la guerre était nécessaire pour maintenir le Vietnam du Sud libre du communisme, mais ce qu’ils voulaient vraiment était de maintenir le Vietnam comme un poste avancé américain à la lisière du continent asiatique. Le président Reagan a menti au sujet de l’invasion de la Grenade, affirmant de manière erronée qu’elle représentait une menace pour les Etats-Unis.

Le père Bush a menti au sujet de l’invasion de Panama, menant à la mort des milliers de gens ordinaires de ce pays et il a encore menti au sujet des raison d’attaquer l’Irak en 1991, pas pour protéger l’intégrité du Koweït, mais plutôt pour affirmer la puissance américaine dans le Moyen-Orient riche en pétrole.

Il y a même un plus gros mensonge: L’idée arrogante que ce pays est le centre de l’univers, exceptionnellement vertueux, admirable, supérieur et indispensable.

Si notre point de départ pour évaluer le monde autour de nous est la croyance ferme en ce que cette nation est quelque part frappée par la Providence avec des qualités uniques qui la rendent moralement supérieure à tout autre nation sur terre, alors il y a peu de chances que nous questionnions le président lorsqu’il dit que nous envoyons des troupes ici et là ou que nous bombardons là-bas, afin de disséminer nos valeurs, la démocratie, la liberté et n’oublions pas au passage la libre-entreprise, dans des endroits du monde littéralement “oubliés de dieu” selon l’expression consacrée.
Mais nous devons faire face à certains faits qui perturbent l’idée d’une nation uniquement vertueuse.

Nous devons faire face à notre très longue histoire de nettoyage ethnique, par lequel le gouvernement américain a expulsé des millions d’Indiens natifs de leurs territoires en les massacrant et en les évacuant de force.

Nous devons faire face à notre longue histoire esclavagiste qui n’est toujours pas derrière nous, de politique de ségrégation et foncièrement raciste.
Et nous devons faire face à la mémoire persistante d’Hiroshima et de Nagasaki.

Ceci n’est pas une histoire dont nous pouvons être fiers.

Nos leaders l’ont pris pour argent comptant et ont planté la croyance dans les esprits que nous sommes autorisés a tout faire à cause de notre supériorité morale, à dominer le monde. Les deux partis politiques républicain et démocrate ont embrassé cette notion.
Mais sur quoi l’idée même de notre supériorité morale est-elle fondée ? Une façon bien plus honnête de nous évaluer en tant que nation nous préparerait tous pour le prochain tir de barrages de mensonges qui va immanquablement accompagné la prochaine proposition d’infliger notre pouvoir et notre puissance sur une autre partie du monde.
Cela pourrait nous inspirer de créer une histoire différente pour nous-mêmes, en écartant notre pays des menteurs qui le gouvernent et en rejetant cette arrogance nationaliste de façon à ce que nous rejoignions les gens autour du monde pour la cause commune de la paix et la justice.

= = =

Source:

http://howardzinn.org/lessons-iraq-war-start-with-us-history/

Résistance politique: Réflexions sur la politique et la société (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 1 décembre 2014 by Résistance 71

Politique et société

 

Howard Zinn

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Note: Ceci est une petite compilation de pensées de l’historien Howard Zinn sur la politique et la société.

 

“Ce fut la montée de l’état-nation moderne au XVIème siècle qui introduisit le gouvernement fort centralisé, afin de centraliser le système de l’impôt et ainsi lever suffisamment d’argent pour financer les nouvelles organisations de commerce qui sillonnèrent le monde, comme la Compagnie Hollandaise des Indes de l’Est et la Compagnie des Indes britannique. Ces deux entreprises reçurent des chartes royales vers 1600, leur donnant les droits monopolistiques de marauder autour du monde, de faire commerce de biens, produits et êtres humains et de ramener la richesse dans leur pays d’origine.”

“Ainsi la constitution des Etats-Unis mit en place un gouvernement fort et centralisé, suffisamment fort pour protéger les propriétaires d’esclaves contre la rébellion de leurs esclaves, d’attrapper ceux qui s’échappaient s’ils allaient d’un état à un autre, de payer les détenteurs de bons du trésor, de faire passer des tarifs en faveur des industriels, de taxer les pauvres agriculteurs afin de payer pour des armées qui les attaqueraient s’ils résistaient à l’impôt, comme cela fut fait lors de la rébellion de Whiskey en Pennsylvannie en 1794…

Le gouvernement défendrait ainsi les intérêts des classes riches. Il augmenterait les tarifs toujours de plus en plus afin d’aider les industriels, il donnerait des subsides pour les entreprises de transports et leurs intérêts et donnerait des centaines de milliers d’hectares gratuits aux compagnies de chemin de fer ; il armerait des forces répressives pour éliminer et chasser les Indiens de leurs terres, pour briser les émeutes du travail, pour envahir des pays des Caraïbes au profit des planteurs américains, des banquiers et des investisseurs de tout poil. Ceci fut un très gros gouvernement centralisé… Celui, comme le disait l’oratrice populiste Mary Ellen en 1890: “un gouvernement de Wall Street, par Wall Street et pour Wall Street !

“Les colons britanniques d’Amérique du Nord furent stupéfaits de la démocratie de la société iroquoise. Les nations (confédérées) qui occupaient alors les états de New York et de Pennsylvanie. L’historien américain Gary Nash décrivit la culture iroquoise en ces termes: ‘pas de lois ni d’ordonnances, ni de décrets, pas de shériffs, pas de policiers, pas de juges ni de jurés, pas de tribunaux ni de prisons, on ne trouvait pas cet appareil de l’autorité européenne et pourtant les limites d’une attitude acceptable et adéquate étaient établies fermement. Tout en se félicitant d’être eux-mêmes des individus autonomes, les Iroquois maintenaient un sens strict du bien et du mal.”

“Ceux qui clâment croire dans le ‘libre-échange’ ne croient pas en le libre-échange des idées, pas plus qu’ils ne croient en un libre-échange des biens et services. A la fois dans les biens matériels et les idées, ils veulent leur marché dominé par ceux qui ont toujours tenu les brides du pouvoir et de la richesse. Ils se soucient du fait que si de nouvelles idées finalement entrent dans le marché, alors les gens commenceraient à repenser les arrangements sociaux qui nous ont donnés tant de souffrance, tant de violence, tant de guerres ces 500 dernières années de ‘civilisation’… En repensant notre histoire, nous ne faisons pas que regarder le passé, mais aussi le présent en essayant de le regarder du point de vue de ceux qui ont été laissés pour compte. Nous avons besoin de faire cela alors que nous approchons du nouveau siècle (NdT: Zinn a écrit ceci en 1991…) et si nous désirons que ce nouveau siècle soit différent, si nous ne voulons pas qu’il soit un (autre) siècle américain,, ou un siècle blanc, ou mâle ou de quelque nation ou groupe que ce soit, mais un siècle véritablement de la race humaine.”

“L’éducation a toujours inspiré une grande peur parmi ceux qui veulent garder les distributions de pouvoir et de richesses existantes comme elles le sont…

Au bout du compte est-ce que j’ai instigué une liberté d’expression dans mes cours ? Oui, parce que j’ai toujours suivi le conseil d’Aldous Huxley qui disait: ‘Les libertés ne sont pas données mais prises.’ “

“L’idée que quelqu’un qui commet un ou plusieurs actes de désobéissance civile doit “volontairement” accepter la punition prévue est une notion idiote très, trop, souvent répétée… Ce n’est pas la communauté qui arrête et punit, mais les autorités légales. Ainsi la désobéissance civile ne dénote pas de mépris pour la société organisée, mais pour le gouvernement, surtout s’il agit mal et de façon irresponsable. La raison pour montrer son mépris au gouvernement, pour défier la loi, est précisément parce que la loi ne montre que mépris pour les vies et les libertés de la communauté.”

“Quel degré de confort ai-je lorsqu’on m’appelle un anarchiste ou un socialiste démocratique ? Cela dépend de qui utilise ces termes… Je me sens inconfortable lorsque je dois justifier les termes, que je dois clarifier parce qu’après tout, le terme ‘anarchiste’ pour bien des gens est associé à quelqu’un qui lance des bombes, quelqu’un qui croit en la violence. Bizarrement du reste, le terme ‘anarchiste’ ne s’applique pas aux gouvernements des états, qui eux utilisent des bombes à un niveau jamais égalé. Le terme ‘anarchiste’ est souvent associé, à tort, à la violence. Comme je ne crois pas en lancer des bombes, en le terrorisme ou la violence, je ne veux donc pas que cette interprétation de l’anarchisme s’applique à moi.

L’anarchisme est aussi souvent mal représenté comme étant un mode de société où il n’y a aucune organisation, aucune responsabilité, que c’est une sorte de chaos, une fois de plus sans réaliser à quel point le monde qui nous entoure est chaotique, que la société est très chaotique et pourtant, le mot ‘anarchisme’ ne s’y applique pas.

J’ai commencé à vraiment apprendre au sujet de l’anarchisme dans les années 1960 en lisant l’autobiographie d’Emma Goldman, en lisant les travaux d’Alexandre Berkman, de Pierre Kropotkine et de Michel Bakounine. L’anarchisme veut dire pour moi une société où vous avez une organisation vraiment démocratique de la société, des prises de décision, de l’économie et où l’autoritarisme du capitalisme n’existe plus et où l’autorité représentée par la police, les tribunaux et tous les instruments et institutions de contrôle des actions des gens, ne sont plus présents non plus. Les gens ont quelque chose à dire pour leur propre destinée, ils ne sont plus forcés de choisir entre deux partis politiques, dont aucun des deux ne représentent leurs intérêts. Ainsi je vois l’anarchisme comme un moyen réel de démocratie politique et économique dans le meilleur sens du terme…

Un monde équitable, un monde de la liberté de parole et des vrais droits civiques, un monde sans antagonisme politique ou religieux et où les différences inéluctables ne seront plus la cause d’actions violentes, de guerres et de divisions.

Ce serait un monde où les gens ne travailleraient que quelques heures par jour, ce qui est parfaitement possible avec la technologie et si cette technologie n’est pas utilisée, détournée pour faire la guerre ou toute autre activité néfaste et inutile, les gens pourraient bien ne travailler que 3 ou 4 heures par jour et produire largement suffisamment pour que tout le monde ait ses besoins bien satisfaits. Ce serait un monde où les gens auraient bien plus de temps à consacrer à leur famille, aux sports, aux arts et à simplement vivre, humainement, avec les autres.”

= = =

Sources:

 

  • “Original Zinn, Conversations on History and Politics”, Harper Perennial, 2006
  • “Howard Zinn on History”, Seven Stories Press, 2001

Résistance politique: Entretien sur l’anarchisme avec l’historien Howard Zinn (2008)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 22 octobre 2014 by Résistance 71

Nous avons déniché cette perle d’entretien qu’Howard Zinn a eu en 2008 et où pour la première fois (à notre connaissance), il déclare être anarchiste dans la première phrase de la première réponse. Zinn a toujours manifesté une sympathie non masquée pour les idées et les concepts de société anarchiste, mais ne s´était jamais ouvertement déclaré comme tel. C’est bien qu’il l’est finalement fait.

— Résistance 71 —

 

Rebelles contre la tyrannie un entretien sur l’anarchisme avec Howard Zinn

 

Mai 2008

 

Howard Zinn avec Ziga Vodovnik

 

url de l’article:

http://howardzinn.org/rebels-against-tyranny/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Interview by Žiga Vodovnik

 

Ziga Vodovnik: Depuis les années 1980 nous assistons au processus de mondialisation économique qui se renforce jour après jour. Bon nombre de personnes de “gauche” sont prises dans un dilemme, soit travailler pour renforcer la souveraineté des états-nations comme barrière de défense contre le contrôle du capital étranger et mondial, ou pousser pour une alternative non-nationale à la forme présente de mondialisation et qui est tout aussi globale. Quelle est votre opinion là-dessus ?

Howard Zinn : Je suis un anarchiste et en accord avec les principes anarchistes, les états-nations deviennent des obstacles à une vraie mondialisation humaniste. Dans une certaine mesure, le mouvement pour la mondialisation où les capitalistes essaient de sauter au dessus de la barrière des états-nations, crée une sorte d’oppotunité pour un mouvement d’ignorer les barrières nationales et de rassembler les gens globalement, à travers les lignes nationales en opposition à la mondialisation et au capital, de créer la mondialisation des peuples, opposée à la notion traditionnelle de mondialisation. En d’autres termes, d’utiliser la mondialisation, dans un sens d’outre-passement des limites nationales et bien sûr qui n’impliquerait pas le contrôle corporatif des décisions économiques qui sont prises pour les peuples dans le monde.

ZV: Pierre-Joseph Proudhon a écrit un jour: “La liberté est la mère et non pas la fille de l’ordre.” Comment voyez-vous la vie après ou au-delà des états (nations) ?

HZ : Au delà des états-nations ? (rires) Je pense que ce qu’il y a au-delà des états-nations est un monde sans frontières, mais aussi avec un peuple organisé. Non pas organisé en tant que nations, mais organisé en tant que groupes, collectifs, sans aucune limite nationale et quelque frontière que ce soit. Sans frontières, sans passeports, sans visas. Rien de tout cela ! Organisation de collectifs de différentes tailles, dépendant de la fonction du collectif, ayant des contacts avec les uns avec les autres (NdT: Ce que nous appelons une “confédération de communes libres” !). Vous ne pouvez pas avoir de petits collectifs auto-suffisants, parce que ces collectifs ont différentes ressources disponibles. C’est ce que la théorie anarchiste n’a pas résolu, et qu’elle ne peut sans doute pas résoudre à l’avance, parce que tout cela devra s’établir dans la pratique.

ZV: Pensez-vous qu’un changement peut se produire au travers des partis politiques institutionalisés ou seulement au travers de moyens alternatifs avec la désobéissance civile, la construction de cadres parallèles, l’établissement de médias alternatifs, etc…

HZ: Si vous travaillez, fonctionnez au sein des structures existentes, vous serez corrompu. En travaillant au travers d’un système politique qui empoisonne l’atmosphère, même les organisations progressistes, comme on peut le voir même maintenant aux Etats-Unis, où les gens de la “gauche” sont englués dans la campagne électorale et s’engagent dans de sévères disputes au sujet de savoir s’ils doivent soutenir tel ou tel candidat. Ceci est une petite preuve qui suggère que lorsque vous travaillez au sein de la politique électorale, vous corrompez vos idéaux. Je pense donc qu’un moyen de bien se comporter n’est pas de raisonner en termes de gouvernemet représentatif, de vote, pas en termes de politique électorale, mais en termes d’organisation de mouvements sociaux, organiser les lieux de travail, organiser les voisinages, les collectifs qui peuvent devenir fort au point de prendre le dessus, d’abord suffisamment fort pour résister ce que l’autorité leur a fait et leur fera et secundo, plus tard, devenir plus fort pour remplacer les institutions.

ZV: Une question personnelle. Votez-vous ?

HZ: Parfois, cela dépend. Je pense parfois qu’il est préférable d’avoir tel candidat plutôt qu’un autre, même en sachant que cela n’est pas la solution. Parfois le moindre de deux maux, n’est pas le moindre, alors vous voulez ignorer cela, alors soit vous ne voter pas ou vous votez pour un tiers en forme de protestation contre le système de partis politiques. Parfois la différence entre deux canditats est énorme en elle-même, alors on peut comprendre le fait de vouloir mettre en place quelqu’un de moins mauvais, de moins dangereux (NdT: Les cas Obama ou Hollande sont la preuve que cela n’a aucun sens…). Mais il ne faut jamais perdre de vue que ce qui est important n’est pas qui est en fonction mais quel genre de mouvements sociaux avez-vous en place ? Nous avons vu dans le passé qu’il importe peu qui est au pouvoir si le contre-pouvoir social est fort. Qui que ce soit est à la Maison Blanche, si vous avez un contre-pouvoir social fort, cette personne devra plier en respect du pouvoir des mouvements sociaux. Nous avons vu cela dans les années 60-70 avec Richard Nixon dont l’administration n’est pas le moindre de deux maux, mais le pire, mais la guerre du Vietnam fut terminée grâce aux mouvements sociaux à la fois du mouvement anti-guerre aux Etats-Unis mais aussi du mouvement politico-social vietnamien. Si je vote c’est toujours avec la notion que ce qui est le plus important n’est pas de voter mais de s’organiser.

Lorsque des gens me demandent au sujet du vote, si je soutiendrais tel ou tel candidat, je réponds toujours: “Je soutiens telle ou telle personne dans l’isoloir au moment du vote, mais avant et après je m’assure que se concentrer sur l’organisation des gens est la vraie priorité et non pas d’organiser une campagane électorale.” (NdT: Nous sommes ici en désaccord avec Zinn, voter c’est cautionner le système, qui avec le temps a complètement muselé les mouvements sociaux à grand renfort de corruption et de société de consommation, même en 2008 lorsqu’il disait cela, l’affaire était déjà entendue… Il avait peut-être raison, en tout cas ce raisonnement avait une certaine validité jusqu’à la fin de la guerre du Vietnam, plus après, idem en Europe…)

ZV: L’anarchisme s’oppose grandement à la démocratie représentative puisque c’est une forme de tyrannie, la tyrannie de la majorité. Les anarchistes objectent à la notion du vote majoritaire, notant que les vues de la majorité ne coïncident pas toujours avec des idées morales. Henry David Thoreau a écrit que nous avons une obligation d’agir en accord avec ce que nous dicte notre conscience, même si celle-ci va contre la majorité ou les lois de la société. Seriez-vous d’accord avec cela ?

HZ: Absolument ! Rousseau a dit que si je fais partie d’un groupe de 100 personnes, 99 d’entr’elles ont-elles le droit de me condamner à mort juste parce qu’elles représentent la majorité ? Non, les majorités peuvent avoir tort, les majorités peuvent prévaloir sur les droits de minorités. Si les majorités règnent, nous pourrions bien toujours avoir l’esclavage en place. 80% de la population ont un jour réduit les 20% restant en esclavage. De par le règne de la majorité, cela serait donc acceptable. Ceci est une notion très pervertie de la démocratie. La démocratie doit prendre en compte pas mal de choses, les requis proportionnels des gens, pas seulement la majorité, mais aussi prendre en compte les besoins des minorités ou de la minorité. Aussi prendre en considération que dans une société où les médias manipulent les gens et l’opinion publique, la majorité peut en fait avoir complètement tort du fait d’être manipulée et être même du côté du mal. Donc oui, les gens doivent agir en accord avec leur conscience et non pas par le vote majoritaire.

ZV: Où voyez-vous les origines historiques de l’anarchisme aux Etats-Unis ?

Un des problèmes avec l’anarchisme est qu’il y a beaucoup de gens qui pensent et agissent en tant qu’anarchistes mais qui n’en revendiquent pas le nom. Ce mot fut utilisé par Pierre Joseph Proudhon en France au XIXème siècle, mais il y a eu en fait des idées anarchistes qui ont précédé Proudhon tant en Europe qu’ici aux Etats-Unis. Par exemple certaines idées de Thomas Paine, qui ne s’appellerait pas lui-même un anarchiste, étaient très suspicieuses de toute forme de gouvernement étatique. Bien sûr H.D. Thoreau, il ne connaît ni n’utilise le mot anarchisme, mais ses idées étaient très proches de l’anarchisme. Il est très hostile à toute forme de gouvernement. Si on trace les origines de l’anarchisme aux Etats-Unis alors Thoreau est sans doute ce qui se fait de plus proche du premier anarchiste américain. On ne rencontre pas l’anarchisme jusqu’à après la guerre civile, lorsque les anarchistes européens viennent sur le continent, spécifiquement des anarchistes allemands qui sont venus aux Etats-Unis. Ils ont commencé à organiser les gens. La première fois que l’anarchisme en tant que force organisée est devenu connu publiquement aux Etats-Unis, ce fut suite à l’affaire du Haymarket de Chicago.

ZV: Où voyez-vous la principale source d’inspiration de l’anarchisme contemporain aux Etats-Unis ? Quelle est votre opinion au sujet du transcendentalisme de Thoreau, Ralph Emerson, Walt Whitman, Margaret Fullet et al. en tant qu’inspiration dans cette perspective ?

Bien le transcendentalisme est, nous pourrions dire, une jeune forme de l’anarchisme, ils ne s’appellèrent pas eux-mêmes anarchistes, mais il y a des idées anarchistes dans leur mode de pensée et leur littérature. Dans bien des cas Herman Melville montre des idées anarchistes. Ils étaient très suspicieux de l’autorité. Nous pourrions dire que le transcendentalisme a joué un rôle de créateur d’une atmosphère de scepticisme envers l’autorité, envers le gouvernement.

Malheureusement auourd’hui il n’y a pas de véritable mouvement anarchiste organisé aux Etats-Unis. Il y a pas mal de groupes ou de collectifs qui se disent anarchistes, mais ils sont petits. Je me rappelle que dans les années 60 il y avait un collectif anarchiste ici à Boston qui consistait en 15 personnes (sic), puis ils se sont séparés. Mais dans les années 60, l’idée d’anarchisme devint plus importante en connexion avec les mouvements sociaux de ces années là.

La plupart de l’énergie créatrice en matière de politique radicale de nos jours provient de l’anarchisme, mais seulement peu de personnes sont impliquées dans le mouvement actuellement et se nommant “anarchistes”, Pourquoi cela à votre avis ? Les activistes sont-ils honteux de s’identifier avec cette tradition intellectuelle ou plutôt sont-Ils vrais avec l’engagement dont a besoin l’émancipation véritable pour s’émanciper de toute étiquette ?

Le terme d’anarchisme est devenu associé avec deux phénomènes auxquels le véritable anarchiste ne veut pas être associé. Le premier est la violence et le second est le chaos. La conception populaire (NdT: aidée en cela par certains faits marginaux certes, mais surtout une abondante propagande du système) de l’anarchisme est d’un côté celle du jeteur de bombe et du terrorisme et de l’autre celle du manque de règles, de discipline, tout le monde fait ce qu’il veut, la confusion etc… C’est pour cela qu’il y a une reluctance à utiliser le terme d’anarchisme. Mais en fait, les idées de l’anarchisme sont incorporées dans la façon dont les mouvements des années 1960 ont commencé à penser.

Je pense que peut-être le meilleur exemple de , fut le mouvement des droits civiques avec le Comité de Coordination Non-Violente des Etudiants le SNCC (sigle américain). Sans en connaître les idées, le SNCC personnifia les caractéristiques organisationnelles anarchistes. Il était décentralisé. D’autres organisations du mouvement étaient en revanche très centralisées avec un leader comme la Seven Christian Leadership Conference avec Martin Luther King. La National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) était basée à New York et avait aussi une forme d’organisation centralisée. Le SNCC en revanche était complètement décentralisé. Il y avait ce qu’on appelait des secrétaires de terrain, qui travaillaient dans les petites villes partout dans le sud des Etats-Unis et ce avec une très grande autonomie. Ils avaient un bureau à Atlanta en Georgie, mais ce bureau n’avait que peu d’autorité. Les gens qui travaillaient sur le terrain en Alabama, en Georgie, en Louisiane dans le Mississippi étaient en fait libres de faire comme bon leur semblait en rapport avec une ligne directrice. Ils travaillaient avec les locaux, avec les groupes de la base populaire. Il n’y avait pas de leader(s) dans le SNCC et il y avait une très grande méfiance vis à vis du gouvernement.

Ils ne pouvaient pas compter sur le gouvernement pour les aider, pour les soutenir, même si le gouvernement à cette époque au début des années 60, était considéré comme progressiste, libéral spécifiquement avec J.F. Kennedy. Mais ils observèrent JFK et virent comment il se comportait. JF Kennedy ne soutenait pas les mouvements noirs du sud pour l’égalité raciale. Il nommait des juges ségrégationnistes dans le sud, il permettait aux ségrégationnistes du sud de faire ce que bon leur semblait. Donc le SNCC fut décentralisé, devint anti-gouvernement, sans leadership, mais ils n’avaient pas une vision anarchiste du futur. Ils ne pensaient pas sur le long terme, ils ne se posaient pas la question de savoir quel type de société serait bonne pour le futur. Ils étaient vraiment 100% concentrés sur les problèmes du moment et ceux touchant à la ségrégation raciale. Mais leur attitude, la façon dont ils travaillaient, leur organisation étaient grandement sur des lignes anarchistes pourrait-on dire.

ZV: Pensez-vous que l’emploi de manière péjorative du mot “anarchisme” est une conséquence directe du fait que l’idée que les gens peuvent être libres était et est toujours terrifiant pour ceux qui détiennent le pouvoir ?

Sans aucun doute ! Aucun doute que les idées anarchistes sont terrifiantes pour ceux qui détiennent le pouvoir. Les gens du pouvoir peuvent tolérer des idées libérales (NdT: de gauche dans la terminologie américaine). Ils peuvent tolérer des idées qui appellent aux réformes, mais ils ne peuvent pas tolérer des idées qu’il n’y aura plus ni d’État, ni de pouvoir, ni d’autorité centralisés. Il est donc très important pour eux de ridiculiser l’idée de l’anarchisme de créer cette impression que l’anarchisme est violent et chaotique. Cela sert leurs intérêts bien sûr.

ZV: En science politique théorique, nous pouvons identifier analytiquement les deux conceptions principales de l’anarchisme: un soi-disant anarchisme collectiviste limité à l’Europe et un anarchisme individualiste limité quant à lui aux Etats-Unis. Etes-vous d’accord avec cette séparation analytique ?

Pour moi, ceci correspond à une séparation artificielle. Comme cela arrive souvent, les analystes peuvent rendre les choses plus faciles pour eux-mêmes, comme par exemple créer des allégories et classer les mouvements dans des tiroirs, mais je ne pense pas qu’on puisse faire cela. Ici aux Etats-Unis il est indéniable que des gens ont cru et croient encore à l’anarchisme individualiste, mais il y a aussi eu les anarchistes organisés de Chicago des années 1880 ou du SNCC. Je pense que dans ces deux cas, en Europe et aux Etats-Unis, vous avez ces deux manifestations du mouvement, mais peut-être qu’en Europe, l’idée d’anarcho-syndicalisme (NdT: CNT/AIT) y est plus forte qu’aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis vous avez l’Industrial Workers of the World (IWW) qui est une organisation anarcho-syndicaliste et qui n’est sûrement pas en phase avec le courant de l’anarchisme individualiste.

ZV: Quelle est votre opinion sur le dilemme des moyens: révolution contre évolution socio-culturelle ?

Je pense qu’ici il y a plusieurs questions différentes. L’une d’entr’elles est celle de la violence et je pense qu’ici les anarchistes se sont trouvés en désaccord. Ici aux Etats-Unis, vous trouverez un désaccord, et vous pouvez trouver ce désaccord en une personne, Emma Goldman. Vous pourriez dire qu’après sa mort, son œuvre amena l’anarchisme sur le devant de la scène politique aux Etats-Unis dans les années 1960, lorsqu’elle devint alors une figure politique très importane. Mais Emma Goldman était pour l’assassinat de Henry Clay Frock, puis elle décida que cela n’était pas le chemin à prendre. Son ami et camarade Alexandre Berkman, n’a pas totalement abandonné l’idée de la violence. D’un autre côté vous avez aussi des anarchistes qui étaient sur le chemin emprunté par des gens comme Léon Tolstoï et Mohanda Gandhi, qui croyaient en la non-violence.

Il y a une caractéristique centrale de l’anarchisme sur le plan des moyens, et ce principe central est celui de l’action directe, de ne pas céder aux formes que la société vous offre, celles du gouvernement représentatif, du vote, de la législation, mais de directement prendre le pouvoir. Dans le cas des syncicats, de l’anarcho-syndicalisme, cela veut dire que les travailleurs ne se mettent pas seulement en grève générale, mais ils exproprient les industries, et les font fonctionner en auto-gestion. Qu’est-ce que l’action directe ? Dans le sud, lorsque les noirs s’organisaient contre la ségrégation raciale, ils n’ont pas attendu que le gouvernement leur donne le feu vert, ni n’ont été devant les tribunaux après avoir déposé des plaintes ou attendu que le congrès passe des lois. Ils ont pris les affaires en main, directement, ils sont allés dans les restaurants, s’y assirent et refusèrent d’en sortir. Ils montèrent dans les bus et agirent de la façon dont ils voulaient que cela se passe.

Bien sûr la grève est toujours une forme d’action directe. Avec une grève, vous ne demandez pas au gouvernement de vous faciliter les choses en passant une loi, vous prenez une action directe contre l’employeur. Je dirai qu’aussi loin que les moyens sont concernés, l’idée d’une action directe contre le mal que vous voulez éradiquer est une sorte de dénominateur commun de l’action anarchiste, de ses idées et de ses mouvements. Je pense qu’un des plus grands principes de l’anarchisme est que vous ne pouvez pas séparer les fins des moyens ; donc si vous pensez que votre objectif est une société égalitaire, vous devez utiliser des moyens égalitaires. Si votre but est une société non-violente sans guerre, vous ne pouvez pas utiliser la violence pour parvenir. Je pense que l’anarchisme requiert des moyens et des objectifs pour être en ligne les uns avec les autres. Je pense que cela est en fait une des caractéristiques très spéciales de l’anarchisme.

ZV: Noam Chomsky a dit une fois alors qu’on lui demandait au sujet de sa vision spécifique de la société anarchiste et de son plan détaillé pour y parvenir, que “nous ne pouvons pas nous représenter quels problèmes il y aura sans expérimenter avec eux”. Avez-vous le même sentiment que beaucoup d’intellectuels perdent leur temps et leur énergie au sein de disputes théoriques au sujet de la fin et des moyens et qu’ils ne pensent même pas à “expérimenter” ?

Je pense que cela vaut le coup de présenter des idées, comme Michael Albert l’a fait avec son “Parecon” par exemple, tout en maintenant la flexibilité. Nous ne pouvons pas créer un modèle de société du futur maintenant, mais je pense qu’il est bon d’y penser. Je pense qu’il est bon d’avoir un but en tête. C’est constructif, cela aide, c’est sain, de penser à quoi pourrait ressembler la société du futur, parce que cela vous guide en quelque sorte dans ce que vous faites aujourd’hui, mais il ne faut pas que ces discussions deviennent des obstacles à construire et à travailler ardemment à cette société. Il est facile de passer son temps à discuter ce type de société utopiste plutôt que celle-là et se perdre en conjectures en oubliant d’agir de façon à s’en rapprocher au mieux.

ZV: Dans votre livre “Une histoire populaire des Etats-Unis” vous nous montrez que notre liberté, no droits, nos standards d’environnement etc ne nous ont jamais été donnés par les riches et les influents, mais que cela a toujours été le résultat des luttes des gens ordinaires, au moyen de la désobéissance civile. Quel serait à cet égard, nos tous premiers pas vers un monde meilleur ?

Je pense que la première étape est de nous organiser et de protester contre l’ordre existant, contre la guerre, contre l’exploitation économique, sexuelle, contre le racisme etc, mais de s’organiser de telle façon que les moyens correspondent aux fins, de nous organiser de façon à créer le genre de relation humaine qui serait celle de la société à venir. Cela veut dire nous organiser sans autorité centralisée, sans leader charismatique, d’une façon qui représente en miniature la société idéale d’une société égalitaire. De cette façon, même si vous ne gagner pas demain ou l’an prochain, vous avez quoi qu’il en soit créé un modèle, Vous avez agit en façonnant une société future satisfaisante, vous en avez une vision pratique à petite échelle même si vous n’avez pas encore atteint le but ultime de la société égalitaire(NdT: L’exemple des Zapatistes du Chiapas au Mexique est très adapté à ce dont parle ici Zinn…)

ZV: Quelle est votre opinion sur les différentes tentatives de scientifiquement prouver l’hypothèse ontologique de Bakounine que les êtres humains ont “l’instinct de la liberté”, pas seuleemnt la volonté mais aussi le besoin biologique ?

En fait j’y croit ; mais je pense que vous ne pouvez pas avoir une preuve biologique de cela. Vous devriez trouver un gène de la liberté ? Non. Je pense que l’autre façon est de fouiller l’histoire du comportement humain. L’histoire du comportement humain montre ce désir de liberté, montre qu’à chaque fois que les gens ont vécu sous la tyrannie, les gens se sont rebellés contre.

Ziga Vodovnik est assistant professeur de sciences politiques à la facultév de sciences sociales de l’université de Loubjana (Slovénie), où il enseigne et recherche sur la théorie et la praxis des mouvements anarchistes et sociaux sur le continent des Amériques.

Published at CounterPunch • May 12, 2008

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Howard Zinn sur Résistance 71:

https://resistance71.wordpress.com/howard-zinn/

La fonction de l’histoire et de l’historien: Servir l’Homme dans la société… (Howard Zinn)

Posted in actualité, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, politique et social, résistance politique, sciences et technologies, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , on 31 août 2014 by Résistance 71

“Ceux qui pensent au sujet de l’histoire doivent décider au départ si l’histoire se doit d’être écrite et étudiée essentiellement pour le ‘bénéfice et l’utilisation des hommes’ ou plutôt principalement pour ‘un salaire et comme une profession”.

~ Howard Zinn citant Francis Bacon ~

“Refuser d’être l’instrument du contrôle social dans ce qui est essentiellement une société non-démocratique, commencer à vouloir jouer un petit rôle dans la création d’une véritable démocratie, voilà un boulot digne d’intérêt pour les historiens, pour les archivistes et finalement, pour nous tous.”

~ Howard Zinn, 1977 ~

 

Les historiens

 

Howard Zinn

 

Larges extraits du texte “The Historians”, publié en 1990 dans le livre “The politics of History”, University of Illinois Press.

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Même dans les années 1960, lorsque les étudiants, les noirs et les manifestants anti-guerre (du Vietnam) causaient certains troubles, ces historiens et philosophes qui philosophaient au sujet de l’histoire demeurèrent, à de rares exceptions près, impecablement académiques et dans le moule…

Carl Becker écrivit:

Pendant le siècle écoulé entre 1814 et 1914, une somme considérable et sans précédent de recherche a été effectuée, recherche concernant tous les domaines et champs d’action de l’histoire, une recherche minutieuse, critique, exhaustive et fatigante ! Nos bibliothèques sont remplies de cette connaissance emmagazinée du passé et jamais auparavant n’y a t’il eu une somme si importante de connaissance sur l’expérience humaine à la dispostion de l’humanité. Quelle influence a eu cette recherche experte sur la vie sociale de notre temps ? Cela a t’il fait quoi que ce soit pour restreindre la folie et l’imbécilité des politiciens ou pour améliorer la sagesse des hommes d’état ? Cela a t’il fait quoi que ce soit pour illuminer la masse des gens, ou leur a t’elle permis de penser et d’agir avec plus de sagesse ou de répondre aux questions de la société avec un sens plus aigu de la responsabilité ? Très peu en fait s’il y a eu quoi que ce soit en ce sens.

[…]

Nous qui pensons l’histoire, devons décider au départ si l’histoire doit-être écrite et étudiée principalement “pour le bénéfice et l’utilisation de l’Homme”, plutôt que primairement comme “un salaire et une profession”. De fait, la première question à poser à quelqu’un qui philosophe au sujet de quelque activité que ce soit est la suivante: Quel est le but ? Sans avoir d’objectif, comment pourrions-nous juger si un type de travail historique est préférable à un autre ?

[…]

Une question très pertinente serait en fait celle-ci: Dans quelle mesure les activités de l’American Historical Association et celles de ses membres ont elles focalisé la connaissance historique sur la solution des problèmes auxquels font face l’Amérique et le monde depuis les années 1950 ?

[…]

Dans bien des cas nous devons une fois de plus ne pas échouer à distinguer deux sortes de biais. Un de ceux-ci fait que l’historien penche vers certains buts humanistes (paix, santé, liberté etc…) et peut requérir de questionner les données d’une certaine manière, mais néanmoins de ne pas falsifier les réponses trouvées. L’autre biais se situe lorsqu’on est en charge de certains instruments (parti politique, nation, race, etc…), ce qui peut très facilement mener à la malhonnêteté dans l’évaluation des faits et à une certaine incongruité avec certains buts ultimes.

[…]

Par exemple nous trouvons un débat permanent parmi ces historiens qui insistent sur le fait que le boulot principal est un travail de narration et ceux qui insistent que le travail principal est un travail d’interprétation… Bien sûr la plupart des historiens font les deux, pourtant certaines histoires sont clairement plus narratives, tandis que d’autres sont plus interprétatives…

Pour moi, je dirai que l’historien, même lorsqu’il (elle) essaie de dire les détails d’un évènement aussi près de la réalité originale que possible, devrait avoir un but au-delà du fait de vouloir raconter quelque chose d’intéressant et ce but, décide pour lui ou elle, ce qu’il va décider de raconter, parmi le nombre infini d’évènements passés. Sa rhétorique est certes utile, quand l’histoire est une forme d’art, la narration d’une… histoire. Mais si l’histoire doit être plus que cela et j’argumente qu’elle doit l’être au vu de notre époque, alors cette rhétorique doit être utilisée pour mettre en valeur tout un set de valeurs humaines connectées avec les problèmes présents et urgents de l’Homme. Ceci demande plus par exemple que lorsque l’historien J.D. Hexter de l’université de Yale nous dit: “Mais le but de l’historien dans sa réponse aux données historiques est de rendre compte au mieux du passé comme il s’est déroulé.

[…]

Si nous partons de l’idée que l’histoire est connaissance et une connaissance pour le simple fait de connaître, alors Hexter est correct. Si nous partons de l’idée que la “méthode scientifique” est importante, en elle-même, alors l’historien théorique, “scientifique”, est sur la bonne voie. Mais si notre idée de départ est: Comment l’histoire peut-elle servir l’Homme aujourd’hui ? Alors cela n’a aucune importance de savoir si la méthode est narrative ou explicative. Car la question devient alors: Une narration de quoi ? Une explication de quoi ? Un narratif peut-être socialement tout à fait inutile ou au contraire révéler énormément de choses (de quelques questions qui se posent actuellement). Une explication peut-être sans aucune utilité ou extrêmement instructive.

[…]

Souvent, la réponse traditionnelle d’un historien que des gens harcelés supplient de les aider est la suivante: “Je contribue à augmenter votre quantité de connaissance au sujet du monde, mais mon travail n’est pas de vous aider à agir.” Ainsi l’historien allemand Gerhard Ritter dit: “… Le regard de l’historien est directement tourné vers le passé, celui de l’acteur (activiste) nécessairement vers le futur.

[…]

Ainsi, l’historien ne joue t’il pas inconsciemment un rôle de conserver la fabrique politique présente intacte en généralisant comme l’historien Gottcschalk le disait: “pour présenter une thèse à débattre” ? Comment peut-on échapper aux assomptions et aux rôles que notre propre culture nous presse de jouer ? Peut-être qu’en plongeant profond dans l’Histoire, nous pouvons nous rappeler ce que nous disait Francis Bacon: “La connaissance la plus ultime doit être au bénéfice et pour son utilisation par l’Homme.

Historien radical pour une histoire radicale garants de la pensée critique et du déboulonnage des dogmes ~ 1ère partie ~ (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, colonialisme, documentaire, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, média et propagande, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, science et nouvel ordre mondial, sciences, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , on 13 août 2014 by Résistance 71

“Dans mon enseignement, je n’ai jamais caché mes vues politiques: ma répugnance de la guerre et du militarisme, ma colère envers l’inégalité raciale, ma croyance en un socialisme démocratique, dans une redistribution juste et rationnelle de la richesse du monde. J’ai fait état de ma répugnance pour toute forme de harcèlement, que ce soit de nations puissantes envers de plus faibles, de gouvernements sur leurs citoyens, d’employeurs envers leurs employés ou par quiconque à droite ou à gauche, pense avoir le monopole de la vérité… Qu’ai-je appris au cours de ma vie ? Que les plus petits actes de résistance à l’autorité, s’ils sont persistants, peuvent mener à de larges mouvements sociaux. Que les personnes du commun sont capables d’actes extraordinaires de courage… Peut-être la chose la plus importante que j’ai apprise fut au sujet de la démocratie. Que la démocratie n’est pas nos gouvernements, nos constitutions, nos structures légales ; que bien trop souvent ceux-ci sont de fait, les ennemis de la démocratie.”
~ Howard Zinn
, “On ne peut pas être neutre dans un train en marche”, autobiographie, 1994 ~

 

Qu’est-ce que l’histoire radicale ?

par Howard Zinn (1970)

 

Traduit de l’anglais par Résistance 71

 

1ère partie

2ème partie

 

L’écriture historique (historiographie) a toujours un effet certain sur nous. Elle peut renforcer la passivité, elle peut nous activer. En tout cas, l’historien ne peut pas choisir d’être neutre, car il écrit dans un train en marche. Parfois ce qu’il/elle dit peut changer la vie d’une personne. En Mai 1968, j’ai écouté un prêtre catholique qui passait en jugement à Milwaukee pour avoir brûlé les archives d’un bureau de conscription militaire, dire (je paraphrase) comment il en était venu à commettre cet acte:

J’ai été formé à Rome. J’étais assez conservateur, je n’ai jamais brisé une règle du séminaire. Puis j’ai lu un livre d’un certain Gordon Zahn intitulé “Les catholiques allemands et la guerre d’Hitler”. Ce livre expliquait comment l’église catholique continuait ses activités normalement tandis qu’Hitler continuait les siennes. Le livre narrait comment les SS allaient à la messe, puis partaient râfler les juifs. Ce livre a changé ma vie. J’ai décidé que l’église ne devait plus jamais se conduire comme elle le fît dans le passé et que je ne devais pas me conduire de la sorte non plus.”

Ceci est incroyablement clair. Dans bon nombre de cas où les gens se tournent vers une autre direction, les causes sont si complexes, si subtiles, qu’elles sont souvent impossibles à tracer. Quoi qu’il en soit, nous sommes tous au courant que d’une manière ou d’une autre, des choses que nous avons lues ou entendues ont changé notre vision du monde et de la façon dont nous devions nous comporter. Nous savons qu’il y a eu beaucoup de gens qui n’ont pas fait l’expérience du mal eux-mêmes, mais qui sont devenus persuadés qu’il existait et qu’ils devaient s’y opposer. Ce qui nous rend humain est notre capacité d’atteindre par notre pensée au delà de nos capacités sensorielles immédiates, de ressentir à un degré moindre ce que d’autres ressentent totalement et peut-être d’agir sur un tel sentiment.

Ainsi je commence depuis l’idée d’écrire l’histoire de telle façon que de l’étendre aux sensibilités humaines et non pas de ce livre vers d’autres livres, mais le conflit de savoir comment les gens doivent vivre et si ils doivent vivre.

J’insiste sur une historiographie de la valeur. Pour ceux qui se rebelle toujours contre cela, malgré mon argument que cela ne détermine pas les réponses, seulement les questions; malgré ma plaidoirie pour qu’un travail esthétique, fait pour le plaisir, ait toujours sa place, malgré mon insistance sur le fait que notre travail est basé sur la valeur que nous le choisissions ou non, me fait pointer vers un secteur de l’éducation américaine où cette idée a été acceptée. Je parle des “études sur la culture noire américaine”, qui, depuis environ 1969, ont commencé a être adoptées à grande vitesse dans les universités de la nation.

Ces programmes sur l’étude de la culture noire-américaine ne prétendent pas introduire juste un autre sujet dans le domaine académique. Ils ont l’intention spécifique d’affecter la conscience des noirs et des blancs de ce pays afin de diminuer dans ces deux groupes la croyance pervasive de l’infériorité des noirs.

Cette tentative délibérée de pousser pour l’égalité devrait être rejointe et cela est ma suggestion, par des efforts similaires pour l’égalité nationale et de classe. Ceci viendra sûrement, tout comme les programmes sur la culture noire-américaine, non pas par une acceptance graduelle des arguments appropriés, mais par une crise si dangereuse qu’elle demandera un changement d’attitude très rapide. L’exhortation intellectuelle ne va probablement pas initier un nouvel élan d’écriture historique, mais cela pourra sûrement le soutenir et le faciliter.

Quel type de conscience fait-il bouger les gens vers des directions plus humanistes et comment des écrits historiques peuvent-ils créer la conscience d’un tel mouvement ? Je peux penser à cinq façons dont l’histoire peut-être utile. Ceci ne constitue qu’un début cahotant. Je ne veut pas étabir de formules. Il y aura des histoires écrites utiles qui ne tomberont pas dans les catégories pré-conçues. Je ne veux qu’aiguiser le point de focalisation pour moi-même et d’autres qui désireraient plutôt avoir leurs écrits guidés par une inspiration humaine plutôt que par une habitude professionnelle.

1- Nous pouvons intensifier, étendre, affuter notre perception d’à quel point les choses sont-elles mauvaises, pour les victimes du monde. Ceci devient un acte de moins en moins philanthropique dans la mesure où chacun d’entre nous, indiféremment de sa race, de sa position géographique ou de sa classe sociale, devient la victime potentielle d’une planète brûlée, irradiée. Mais même notre propre victimisation est séparée de nous par le temps et la fragilité de notre imagination, tout comme celle des autres est séparé de nous parce que nous sommes blancs, prospères et au sein des murs d’un pays si sur-armé que nous avons bien plus de chances d’être agresseurs qu’agressés.

L’histoire peut essayer de surrmonter ces deux cas de séparations. La progression fascinante d’un fait historique du passé peut avoir un plus grand effet sur nous que le cours actuel des choses et les discours sur les possibilités dangereuses de l’époque actuelle et ce pour une bonne raison: parce que nous connaissons la fin de cette histoire. Il est vrai qu’il y a une crainte, un effroi à la contemplation d’une guerre nucléaire, mais ce n’est qu’une contemplation dont les effets terribles et effrayant sont difficiles à accepter. Il est vrai que notre préoccupation de la prolifération des bombes à hydrogène est magnifiée à la lecture des comptes-rendus de Barbara Tuchman sur la venue de la première guerre mondiale. La guerre était pressante de partout. Les gouvernements se débatirent pour l’éviter, mais rien n’y fît.

[…]

D’autres types de séparations des gens défavorisés du monde, les noirs, les pauvres, les prisonniers, sont parfois plus facile à surmonter dans le temps que dans l’espace, d’où la valeur et l’utilité du rappel, de la recollection historique. Les biographies de Malcolm X et de Frederick Douglass sont toutes deux parties intégrantes de l’histoire, une simplement plus récente que l’autre. Toutes deux attaquent notre suffisance. Ainsi que le sont également celles de noirs dans les ghettos brûlant des bâtiments aujourd’hui, mais les autobiographies font quelque chose de spécial: elles nous permettent de regarder de très près, attentivement, personnellement, derrière l’impersonalité de ces noirs sur les écrans. Elles envahissent nos maisons, ce que les noirs des ghettos n’ont pas encore fait et nos esprits, que nous avons tendance à durcir contre les demandes du maintenant. Elles nous disent à un degré moindre, ce que c’est que d’être noir d’une manière dont tous les clichés libéraux au sujet du “Négro” opprimé ne pourront jamais faire. Et ainsi, elles insistent pour que nous agissions, elles expliquent pourquoi les noirs agissent. Elles nous préparent sinon à intitier, du moins à répondre.

L’esclavage est terminé, mais sa dégradation prend maintenant d’autres formes du fond desquelles demeure la croyance non-dite que la personne noire n’est pas exactement un être humain. Le rappel de ce qu’est l’esclavage, de ce que sont les esclaves, aide à attaquer cette croyance. Prenez la lettre que Frederick Douglass écrivit à son ancien maître en 1848, au 10ème anniversaire de son évasion:

J’ai décidé d’attendre ce jour pour vous contacter parce que c’est l’anniversaire de mon émancipation… Il y a juste 10 ans, par un beau matin de Septembre, j’étais un pauvre esclave tremblant au son de votre voix, se lamentant d’être un homme. Bien que je ne fus qu’un enfant de six ans, je décidais de m’enfuir. Le tout premier effort mental dont je me souvienne, est cette tentative de résoudre ce mystère: pourquoi suis-je un esclave ? Lorsque j’entendis un gardien fouetter une femme esclave et entendit ses petits cris implorant, je m’en fus vers le coin de la cloture, fondis en larmes et me posai sans cesse ce mystère, c’est alors que je pris la décision de m’enfuir un jour… J’interprête de cette façon la moralité de mon acte: Je suis ce que je suis et vous êtes ce que vous êtes, nous sommes deux êtres différents. Ce que vous êtes, je le suis. Je ne vous suis pas attaché par nature ni vous à moi… En vous quittant, je n’ai fais que reprendre ce qui m’appartenait…”

Pourquoi devons nous regarder en arrière jusqu’à ces jours de l’esclavage ? L’expérience de Malcom X en notre époque n’est-elle pas suffisante ? Je vois deux raisons majeures de faire un retour en arrière. L’une est qu’en devant gérer le passé nous baissons notre garde, parce que nous commençons à penser que c’est fini, que nous n’avons rien à craindre en en absorbant la totalité. Il s’avère que nous avons tort, parce que cela nous touche et nous affecte directement, bien plus que ce que nous le pensons, et quand nous l’avons reconnu, il est trop tard, nous avons été touché, bouleversé. Une autre raison est que le temps ajoute de la profondeur et de l’intensité à un problème qui autrement semblerait être éphémère et susceptible d’être ignoré […]

L’histoire peut-elle aussi aiguiser notre perception de cette pauvreté cachée de la vue par le feuillage des banlieues ? Les pauvres, comme les noirs, deviennent invisibles dans une société aveuglée par l’éclat de son propre luxe. Il est vrai que nous pouvons être rappelés à leur existence, comme nous le fûmes aux Etats-Unis dans les années 1960 quand nos sensibilités avaient été aiguisées par la révolte des droits civiques et notre tolérance et patience envers le gouvernement, usées par la guerre du Vietnam. A cette époque, des livres comme celui de Michael Harrington “L’autre Amérique”, nous avaient frappé, sans avoir besoin de retourner en arrière, simplement en nous donnant un périscope pour voir au coin de la rue et simplement en demandant que nous regardions.

L’histoire peut aider quand elle nous montre comment d’autres gens en situation similaire, en d’autres temps, furent aveuglés par le comment leurs voisins vivaient, dans la même ville. Supposez qu’au beau milieu de cette “prospérité” des années 1950, nous avions lu à propos des années 1920, une autre époque d’affluence. En regardant bien, on aurait pu trouver le rapport du sénateur Burton Wheeler du Montana, enquêtant sur les conditions de vie en Pennsylvannie pendant les grèves des mineurs de charbon de 1928:

Toute la journée j’ai écouté des histoires à briser le cœur, de ces femmes évincées de leurs maisons par les compagnies minières. J’ai écouté les plaidoiries à faire pitié de jeunes enfants pleurant pour du pain. Je restais médusé à l’audition d’histoires incroyables d’hommes battus par des milices privées. Ceci fut une expérience choquante et déprimante.

Ceci suggérerait-il qu’un voile est aussi tiré sur la vie de bien des Américains de nos jours et que le son de la prospérité noie tout le reste et que la voix des nantis domine l’histoire ? A notre époque, tout comme dans le passé, nous construisons “l’histoire sur la base de la narration de ceux qui parlent le mieux, les membres les plus privilégiés de notre société”. Le résultat en est une image déformée du comment les gens vivent vraiment, une sous-estimation de la pauvreté, un échec de faire le portrait des circonstances dans lesquelles vivent les plus démunis. Si, dans le passé, nous avons pu trouver la voix des sans-voix, ceci peut nous permettre de trouver la voix des laisser-pour-compte de notre propre époque. Il est vrai que nous pourrions accomplir ceci sans avoir à se remémorer le passé. Mais parfois, la divulgation de ce qui est caché dans le passé nous force à regarder avec plus d’insistance dans notre société contemporaine, surtout quand il n’y a pas de raison immédiate de le faire. En ce qui me concerne, lire dans les documents de Fiorello LaGuardia, les lettres des pauvres de Harlem dans les années 1920, m’a fait regarder à deux fois le bon temps que nous avions dans les années 1950…

L’image de la société donnée par ses victimes est-elle véritable ? Il n’y a pas de véritable image de quelque situation historique que ce soit, pas de description objective. Cette recherche d’une objectivité non-existante nous a mené pardoxalement à une régression subjective, celle du badaud. La société possède des intérêts variés et antagonistes, ce qui est appelé “objectivité” est le déguisement d’un de ces intérêts, celui de la neutralité. Mais la neutralité est une fiction dans un monde partial. Il y a des victimes et il y a des bourreaux et il y a aussi des badauds. Dans le dynamisme de notre temps, alors que des têtes roulent dans la sciure toutes les heures, ce qui est vrai dépend de ce qui est vrai pour votre propre tête et l’objectivité du badaud appelle à l’inaction alors que d’autres têtes roulent dans la sciure. Dans le roman d’Albert Camus “La Peste”, le Dr. Rieux dit: “Tout ce que je dis est que sur cette terre il y a des pestilences et il y a des victimes, et il ne tient qu’à nous, aussi loin que possible, de ne pas joindre nos forces avec ces pestilences.Ne pas agir est joindre ses forces avec la peste qui s’étend.

Quelle est la vérité au sujet de la situation de l’homme noir aux Etats-Unis en 1968 ? Des statistiques peuvent être montrées pour affirmer que sa situation s’est améliorée. Des statistiques peuvent être montrées pour affirmer que sa situation est aussi mauvaise qu’elle l’a toujours été. Ces deux ensembles de statistiques sont “vrais”; le premier mène à la satisfaction du degré de changement aujourd’hui, le second mène à un désir d’accélérer le changement. Ainsi, le plus proche que nous puissions être de cette “objectivité” élusive est de faire un rapport adéquat des subjectivités dans une situation donnée. Mais nous insistons sur une, ou une autre de ces vues subjectives dans chaque cas. Je suggère que nous nous détachions de notre position habituelle d’observateurs privilégiés. A moins que nous ne nous extirpions d’être ce que nous aimons appeler, “objectifs”, nous sommes bien plus près psychologiquement, que nous désirions l’admettre ou pas, de l’exécuteur, que de la victime.

Il n’y a pas besoin de cacher les données qui montrent que quelques noirs montent l’échelle sociale américaine plus rapidement qu’auparavant, que cette échelle est plus encombrée qu’avant. Mais il y a un besoin, venant de la détermination de représenter ceux qui veulent toujours les nécessités de l’existence (nourriture, toit, dignité, liberté), d’insister sur les vies de ceux qui ne peuvent pas même approcher de l’échelle.

[…]

Ainsi, une histoire de l’esclavage tirée des narratifs des esclaves fugitifs est très importante. Ceci ne peut en aucun cas monopoliser l’historiographie, parce que les histoires que nous a vons déja sont celles provenant du point de vue des propriétaires d’esclaves (comme ceux d’Ulrich Phillip, basée sur des carnets d’exploitation de plantations par exemple), ou du point de vue de l’observateur détaché (l’historien libéral, critiquant l’esclavage mais sans la passion appropriée pour induire une action ). Une histoire orientée sur l’esclave simplement remplit le domaine de telle façon que cela nous tire de notre léthargie.

Cela est vrai pour raconter l’histoire de la révolution américaine du point de vue du marin plutôt que du marchant et de raconter l’histoire de la guerre avec le Mexique du point de vue des Mexicains. Il ne faut pas omettre le point de vue des privilégiés (qui domine le domaine de toute façon), mais de nous rappeler qu’il y a toujours une tendance, maintenant et auparavant, de ne voir l’histoire que depuis le sommet de la pyramide. Peut-être qu’une histoire de la guerre de l’opium vue à travers les yeux des Chinois suggèrerait aux Américains que la guerre du Vietnam pourrait tout aussi bien être vue du point de vue des Vietnamiens. *

2- Nous pouvons exposer les prétensions du gouvernement soit à la neutralité ou au favoritisme. Si le premier requis pour activer les gens est de développer leur attention sur ce qui n’est pas bien, le second est de les désabuser de la confiance qu’ils ont en ce qu’ils peuvent dépendre du gouvernement pour rectifier ce qui est mal.

Là encore, je pars du principe qu’il y a eu beaucoup de malfaisance de notre part, trop pour que beaucoup d’entre nous soient satisfaits, mais si tout le monde n’a pas été trompé. Les gouvernements du monde n’ont pas été disposés à changer beaucoup de chose; en fait, ils ont souvent été les perpétrateurs du mal occasionné. Marteler ceci nous pousse à agir sur nous-mêmes.

Est-ce que cela veut dire que je ne suis pas “objectif” au sujet du rôle des gouvernements ? Voyons un peu le rôle des Etats-Unis sur le sujet racial. Par exemple, que firent les différents gouvernements américains pour l’homme noir après la guerre de sécession ? Soyons “objectifs” c’est à dire relatons tous les faits afin de répondre à cette question. Ainsi nous devrions noter les 13ème, 14`eme et 15ème amendements de la constitution, le bureau de Freedman, le stationnement de forces armées dans le sud, le passage des lois de droit civique de 1866, 1870, 1871 et 1875; mais nous devons également prendre en compte la décision de justice émasculant le 14 ème amendement, la trahison du nègre dans l’accord de 1877 Hayes-Tilden, la non mise en application des lois de droit civique. Ultimement, même si nous mentionnons tout, notre insistance à la fin serait subjective, cela dépendrait de qui nous sommes et ce que nous voulons. Une préoccupation actuelle, pour laquelle les citoyens doivent agir par eux-mêmes, suggère que nous insistions sur le manque de confiance envers le gouvernement pour sécuriser des droits égaux pour les noirs.

Une autre question: Jusqu’à quel point peut-on faire confiance à notre gouvernement pour que la richesse du pays soit distribuée équitablement ? Nous pourrions prendre en compte les lois passées au cours de ce siècle semblant être faites pour une justice économique: les lois de réglementation des chemins de fer de l’ère progressiste, la création d’un impôt sur le revenu graduel sous le gouvernement du président Wilson, les procès en justice contre les trusts industriels et banquiers intitiés par les administrations de Roosevelt et de Taft. Mais la reconnaissance actuelle du fait que l’allocation de richesse des les cinquièmes supérieurs et inférieurs de la population n’a pas fondamentalement changé depuis cent ans suggérerait que toutes ces lois et réglementations n’ont en fait que préservées le statu quo. Pour changer cela, nous devrions insister sur ce qui n’a pas été jusque ici mis en cause: l’échec persistant du gouvernement de changer les constantes inégalités inhérentes au système économique américain.

[…]

Une histoire radicale exposerait dès lors les limites des réformes gouvernementales, les connexions du gouvernement avec la richesse et le privilège, les tendances du gouvernement vers la guerre et la xénophobie, le jeu constant de l’argent et du pouvoir derrière la présumée neutralité de la loi. Elle illustrerait le rôle du gouvernement à maintenir les choses telles qu’elles sont, soit par la force ou par le mensonge, ou par une subtile combinaison des deux, soit par plan délibéré ou par un enchaînement de situations impliquant des milliers d’individus jouant des rôles en accord avec ce qu’on attend d’eux.

A suivre…

Petit abrégé d’histoire du pays du goulag levant (ex-USA) depuis la seconde guerre mondiale (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, documentaire, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, média et propagande, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, politique et lobbyisme, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 14 juin 2014 by Résistance 71

“Les Etats-Unis ? C’est l’histoire d’une bande d’esclavagistes qui voulurent être libres. Alors ils ont tués plein d’Anglais blancs pour pouvoir garder leurs esclaves noirs africains et ils purent continuer à éliminer les hommes rouges, continuer à bouger vers l’Ouest pour aller voler les terres des Mexicains bronzés, ce qui leur donna un espace volé pour pouvoir plus tard bombarder nucléairement les jaunes. Vous savez ce que devrait-être le slogan de ce pays: ‘Donnez-nous une couleur, on l’éliminera !”

~ George Carlin ~

 

Une nation pacifique ?

 

Howard Zinn

 

Extrait d’une conversation avec Anthony Arnove sur le terrorisme et la guerre (2002)

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

[…] Vous ne pouvez pas dire aux Américians Originels (Indiens) que nous étions une nation pacifique alors que nous mouvions au travers du continent et nous engagions dans des centaines de guerres contre eux. Les Etats-Unis se sont engagés dans au moins vingt interventions militaires dans les Caraïbes dans les vingt premières années du siècle dernier (XXème siècle), de la seconde guerre mondiale à aujourd’hui, nous avons eu une interminable succession de guerres et d’interventions militaires.

Juste cinq ans après la fin de la guerre la plus désastreuse de l’histoire de l’humanité, après la seconde guerre mondiale, nous sommes en guerre en Corée. Ensuite, presqu’immédiatement, nous allons aider les Français en Indochine, suppléant plus de 80% de leur équipement militaire et bientôt nous sommes impliqués en Asie du Sud-Est. Nous bombardons non seulement le Vietnam mais aussi le Laos et le Cambodge.

Dans les années 1950, nous sommes aussi impliqués dans des opérations secrètes de renversement de gouvernements en Iran (1953) et au Guatémala (1954). De plus alors même que nous sommes impliqués par la suite au Vietnam, nous envoyons également l’armée en République Dominicaine. Dans cette période nous donnons aussi une énorme aide militaire à l’Indonésie, aidant ainsi le dictateur local Suharto, à mener une guerre interne contre son opposition au cours de laquelle plusieurs centaines de milliers d’opposants à son régime seront tués. Puis en 1975, le gouvernement américain apporte un soutien critique à la campagne féroce et brutale de mise au pas de la population du Timor Oriental, dans laquelle des centaines de milliers de personnes seront tuées.

Dans les années 1980. Lorsque Reagan arrive aux affaires, nous commençons une guerre secrète en Amérique Centrale, au Salvador et au Honduras, au Costa Rica et spécifiquement au Nicaragua, y créant une force contre-révolutionnaire les Contras, que Reagan appelle les “Combattants de la Liberté”.

En 1978, avant même que les Russes n’entrent en Afghanistan, nous envoyons secrètement des armes aux rebelles les moudjahidines. Certains d’entre eux deviendront par la suite les Talibans, les gens qui soudainement deviendront nos ennemis. Le Conseiller à la Sécurité Nationale du président Carter, Zbigniew Brzezinski, crânait alors qu’il savait que les Etats-Unis allaient “provoquer une intervention militaire soviétique” en Afghanistan. Ceci se produisit, provoquant une guerre qui dura 10 ans. La guerre fut dévastatrice pour les Afghans et laissa le pays en ruine. Dès que ce fut fini, les Etats-Unis se retirèrent. Les gens que nous soutenions, les fondamentalistes religieux prirent le pouvoir en Afghanistan et y établirent leur régime.

Presqu’aussitôt la venue aux affaire de George Bush Sr en 1989, il lança une guerre contre la Panama, qui tua plusieurs milliers de personnes. Deux ans plus tard, nous étions en guerre dans le Golfe, utilisant l’invasion du Koweït par Saddam Hussein (NdT: qui eut au préalable le feu vert de Washington et fut encouragé de le faire se faisant ainsi piéger…) comme excuse pour intensifier notre présence militaire dans la région et pour stationner des troupes en Arabie Saoudite, ce qui devint par la suite un des crimes principaux qui fit réagir Oussama Ben Laden et d’autres nationalistes saoudiens.
Puis, avec l’administration Clinton, nous avons bombardé l’Afghanistan, le Soudan, la Yougoslavie et encore l’Irak.

Pour que quelqu’un comme Bush nous appelle une “nation pacifique”, cela veut dire qu’il faille laisser de côté une bien grande portion de l’histoire.

Il est en fait juste de dire que depuis la seconde guerre mondiale, il n’y a pas eu de nation plus belliqueuse et activement engagée dans les conflits que les Etats-Unis.

[…] Pour nous faire entrer de nouveau en guerre (NdT: Après les attentats du 11 Septembre 2001), ils veulent nous faire agir comme si nous étions nés hier. Ils veulent que nous oublions l’histoire de nos gouvernements, parce que si vous oubliez l’histoire, c’est à dire si vous êtes nés d’hier, alors vous allez croire n’importe quoi. Comment croyez-vous que nous ayons ajouté le Texas, le Colorado, le Nouveau-Mexique, l’Arizona et la Californie aux Etats-Unis ? Parce que les Mexicains nous aimaient beaucoup et qu’ils nous les ont donné ? Nous avons acquis ces territoires suite à la guerre contre le Mexique et nous avons pensé que les Mexicains devraient être contents que nous n’ayons pas tout pris. Cette guerre contre le Mexique a commencé avec un mensonge. Il y a eu un incident à la frontière américain-mexicaine. Des troupes américaines allèrent en zone disputée et des gens y furent tués. Le président James Polk décréta que le sang avait coulé en terre américaine et les armées furent envoyées vers Mexico-City, peu de temps après nous avions la moitié du Mexique.

[…] Ainsi l’histoire peut-être utile. Elle peut vous en dire beaucoup sur votre gouvernement, au sujet des mensonges et de la tricherie perpétuelle. Si les gens savaient cette histoire, ils ne resteraient pas assis béatement à écouter un Bush parler et à s’émerveiller qu’il soit capable de lire.

[…] Le gouvernemnt nous dit qu’il est absolument déterminé à éradiquer les camps d’entrainement terroristes (NdT: créés par la CIA, MI6, Mossad, ISI et financé par les Saoudiens et pays du Conseil de Coopération du Golfe), mais ici aux Etats-Unis, la sinistre “École des Amériques” (NdT: autrefois basée au Panama) a entraîné et entraîne toujours des personnels qui s’engagent dans le terrorisme, elle entraîne des gens qui deviennent les organisateurs des escadrons de la mort en Amérique Centrale (NdT: technique de “contre-insurrection” développée par l’armée française lors de la bataille d’Alger de 1957 et que des cadres tortionnaires français comme le général Aussarès, enseignèrent à l’École des Amériques…).

Si vous mettez au mur des photos de classe de l’École des Amériques, vous aurez une une sérieuse galerie de terroristes internationaux, comme par exemple le chef des escadrons de la mort salvadoriens Roberto D’Aubuisson, qui prît par au massacre de 811 personnes à El Mozote en 1981, ainsi que beaucoup de généraux et de dictateurs qui passèrent dans les rangs de l’École des Amériques.

Vous savez, le dictateur panaméen Manuel Noriega est allé à l’École des Amériques, puis est devenu un employé de la CIA, puis soudainement est devenu un ennemi et un terroriste, alors nous sommes entrés en guerre contre le Panama pour le capturer.

Nous n’irons probablement pas de si tôt en guerre contre Henry Kissinger !

Les Etats-Unis se sont opposés de manière persistante à la création d’un tribunal international contre les crimes de guerre parce qu’il pourrait être utilisé contre les personnels du gouvernement américain et ses militaires…

Kissinger a écrit récemment qu’un tel tribunal serait un mauvaise idée ! Bien sûr que c’est une mauvaise idée, il pourrait bien être un des premiers à y être jugé. (NdT: N’oublions pas que Kissinger est le protégé et l’homme d’action de la famille Rockefeller…)

[…] Le gouvernement américain quel qu’il soit n’est clairement pas intéressé en une telle initiative.

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Sur les mouvements sociaux et la lutte anti-ségrégationniste dont Zinn fut un fervent activiste il dit ceci (toujours avec Arnove en 2002):

Pas en notre nom

[…]

Je pense que la chute de l’URSS il y a dix ans nous a donné une nouvelle opportunité de discuter au sujet du socialisme d’une façon qui ne serait pas entachée par le stalinisme, par un état policier et le goulag (NdT: qu’aujourd’hui en 2014, les Etats-Unis ont remplacé en devenant le Pays du Goulag Levant depuis 2001…). Nous pouvons retourner à cette fraîche vision du socialisme qui nous fut donnée avant l’avènement de l’URSS par des gens comme Eugène Debs, Helen Keller et Jack London. C’est une vision du socialisme qui peut inspirer les gens, qui a inspiré plusieurs millions de personnes dans ce pays à la fin XIXème et début XXème siècles. Je pense que nous avons de nouveau cette opportunité pour le faire.

Cela prendra pas mal de temps et d’éducation, il est clair que les gens n’ont aucune foi dans les institutions du gouvernement. La revue Business Week, qui n’est pas exactement un magazine prolétaire, a conduit une étude il y a plusieurs années, étude qui indiqua que les gens avaient un sérieux manque de confiance dans les entreprises et le gros business et spécifiquement celles qui infuencent la politique. Ce scepticisme montre l’aliénation qui existe et donc l’opportuunité qui existe aussi en ce moment pour projeter de nouvelles idées vers les gens.

La guerre a toujours diminué notre liberté. Quand notre liberté s’est étendue, cela n’a jamais été le résultat de guerre ou de quoi que ce soit le gouvernement aurait fait, mais toujours en résultat de l’action directe des citoyens. Le meilleur exemple de cela est l’histoire des afro-américains aux Etats-Unis, l’histoire de l’esclavage et de la ségrégation. Ce ne fut pas le gouvernement qui initia le mouvement contre l’esclavage mais les abolitionnistes noirs et blancs. Ce ne fut pas le gouvernement qui initia la bataille contre la ségrégation dans les années 1950 et 1960, mais le mouvement social des peuples du sud des Etats-Unis. Ce ne fut pas le gouvernement qui donna aux ouvriers la liberté de ne travailler que huit heures par jour au lieu de 12. Ce furent les ouvriers et les travailleurs eux-mêmes qui s’organisèrent en syndicats, firent grève après grève et firent face dans les rues à la répression de la police. Le gouvernement était de l’autre côté, le gouvernement a toujours été du côté des employeurs et des grosses entreprises.

La liberté des travailleurs, la liberté des noirs ont toujours dépendu des luttes du peuple lui-même contre le gouvernement. Donc, si on y regarde de près historiquement, nous ne pouvons certainement pas dépendre des gouvernements pour maintenir ou gagner nos libertés. Nous ne pouvons compter que sur nos propres efforts bien organisés.

Une autre leçon que nous enseigne l’histoire est que vous ne devez jamais dépendre de vos droits légaux. Ne croyez jamais que vous pouvez montrer un statut légal ou la constitution et dire: “Vous voyez, c’est ce qu’il y est dit et donc c’est ce que je vais avoir.” Parce que quoi que dise la constitution, quelque soit ce que disent les statuts, quiconque en fait détient le pouvoir en une situation donnée déterminera si les droits que vous avez sur le papier seront les droits que vous aurez de fait. Ceci est une situation très commune dans notre société. Les gens luttent pour avoir leurs droits, ils les obtiennent sur le papier, mais la réalité du pouvoir et de la richesse intervient et ces droits légaux ne veulent plus dire grand chose. Vous devez vraiment lutter pour qu’ils deviennent réels.

[…] Je pense que l’échec du système capitaliste pour résoudre les problèmes fondamentaux va devenir de plus en plus évident.

[…] Un système qui place les bénéfices des entreprises et des actionnaires au dessus de toute autre considération est voué à être exposé à l’échec. Je ne sais pas quand cela deviendra l’évidence même pour la vaste majorité du public américain mais cela est certain de se produire dans le futur.

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Source:

Terrorism and War”, Howard Zinn with Anthony Arnove, Open Media, 2002

L’histoire contre l’histoire… Vérité contre propagande (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, documentaire, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, pédagogie libération, résistance politique with tags , , , , , , , , , , on 29 novembre 2013 by Résistance 71

Howard Zinn sur Résistance 71

« Howard Zinn nous a rappelé que nous ne pouvons en aucun cas compter sur des élus ou leaders politiques, mais que nous devons au contraire nous fier à nos actions individuelles et collectives: les mouvements sociaux, la désobéissance civile, et les contestations politiques. Il nous rappelle que le changement ne se produit jamais en ligne droite, mais par à-coups avec des hauts et des bas, des virages et de grandes courbes et qu’il n’y a aucune garantie en histoire… L’esprit d’Howard Zinn est de penser par soi-même, d’agir par soi-même, de toujours défier et de questionner l’autorité, mais de le faire solidairement avec les autres. Comme il l’écrivit dans sa pièce de théâtre ‘Marx in Soho’: — Si vous devez enfreindre la loi, faites le avec deux mille personnes… et Mozart…’ –« 
~ Anthony Arnove, 2012 ~

 

L’importance de l’histoire

 

Howard Zinn

 

Extraits du discours de l’historien Howard Zinn “History Matters” en 2004 à Cambridge, Massassuchetts, compilés par Anthony Arnove dans son livre “Howard Zinn Speaks”, 2013 (p.161-174)

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~ Novembre 2013 ~

 

… Je dis que l’histoire est utile. Je dis que si vous ne connaissez pas l’histoire, vous devenez la victime de quiconque vous dit quoi que ce soit aujourd’hui ou vous a dit hier, parce que si vous ne connaissez pas l’histoire, vous n’avez en fait aucun moyen de vérifier ce qui est dit dans les manchettes quotidiennes de la presse ou sur les déclarations quotidiennes de la Maison Blanche (NdT: Zinn est américain, il est bien évident que ceci s’applique à toute personne dans tout pays…). ainsi, n’importe qui ayant une quelconque autorité pourra vous dire quelque chose d’une voix autoritaire et on pourra vous le dire douze fois, sur douze chaînes de télévision ou de radio différentes et cela commencera à sembler être la vérité. A moins que vous ne puissiez vérifier certaines choses au moyen de l’histoire, vous serez enclin à croire ce qu’on vous dit parce que vous n’aurez aucun moyen de vérification. Donc je maintiens que l’histoire est utile afin de pouvoir vérifier quoi qu’on vous dise à quelque moment que ce soit du temps présent. Ceci ne veut pas dire que l’histoire puisse définitivement et de manière sûre vous dire quel jugement donner au sujet de ce qu’il s’est passé aujourd’hui, que ce soit au sujet du budget du gouvernement ou de la guerre en Irak. L’histoire ne peut pas vous donner des réponses claires et définitives à ces questions, parce qu’il y a toujours une possibilité qu’un évènement unique se produise et que quelque chose de différent se soit passé et pourtant l’histoire, en vous montrant certains traits évènementiels se produisant de manière persistante encore et toujours, même si elle ne peut pas vous donner des réponses définitives, peut néanmoins vous suggérer certains indices, peut vous en dire suffisamment pour vous faire rechercher plus avant sinon sur des certitudes mais du moins sur de fortes probabilités et ceci est très utile.

Donc, mon approche de l’histoire, celle de la regarder comme capable d’affronter les évènements contemporains est, je pense, probablement assez différente de l’approche traditionnelle des historiens professionnels en cela que l’approche de l’historien professionnel est généralement plus précautionneuse de ne pas interférer avec des problèmes politiques immédiats. Restons-en sécurité. S’occuper du passé est une activité sûre, sécure. Pratiquons une histoire sécure. Mon approche, et pas seulement la mienne mais sans doute celle des nouveaux historiens, peut-être des historiens qui furent affectés par les mouvements des années 1960 et qui observe l’histoire afin qu’elle leur serve de guide sérieux, mais mon approche et celle de ces historiens donc, vient je suppose des circonstances qui ont faites ma vie, mes propres expériences dans la mesure où je n’ai pas été un universitaire de A à Z jusqu’au moment où j’ai commencé à enseigner l’histoire. Je ne suis pas passé du bahut à l’université et d’un 3ème cycle à un 4ème (doctorat). Un paquet de choses me sont arrivées dans l’entre-fait. Il s’est passé plus de 10 ans entre le moment où j’ai terminé le Lycée et où je suis entré à l’université sous les auspices de la “GI bill” (NdT: la loi sur les anciens combattants qui donne à ceux qui le désirent une éducation universitaire après a voir servi un certain temps dans l’armée ou avoir participé à une guerre au sein de l’armée américaine) et au fil de ces 10 années, je pense que les expériences que j’ai vécues avant d’entrer à l’université à l’âge de 27 ans, m’ont donné une certaine approche éducative et sur la manière d’étudier l’histoire. Ces expériences personnelles m’ont incité en fait à vouloir apprendre l’histoire et ce, disons le de manière modeste… afin de changer le monde. Rien de plus que cela et puis non, ne soyons pas modeste là-dessus.

Que s’était-il donc passé ? Et bien après le secondaire et à l’âge de 18 ans, je suis parti travailler dans un chantier naval. J’y ai travaillé pendant 3 ans. J’ai grandi dans une famille ouvrière à New York. Mon père était garçon de café, un membre de Waiters’ Union Local 2 (syndicat). Puisque je suis ici avec des gens des syndicats, autant que je déballe toute mon expérience en la matière. Union Local 2 et ouvrier de chantier naval. Aucun des enfants avec lesquels j’ai grandi n’a été à l’université à l’âge de 18 ans. Tout le monde est parti travailler. Je suis parti travailler au chantier naval de la marine américaine à Brooklyn et suis devenu apprenti assembleur et j’ai rejoint un syndicat au nom à coucher dehors, l’IUMSWA, membre du syndicat du CIO.

[…] Puis vint la seconde guerre mondiale. J’aurai pu rester au chantier car j’avais une exemption. Je décidais au contraire de m’engager dans l’armée de l’air. J’étais persuadé que c’était une bonne guerre, celle de combattre le fascisme. Je suis devenu bombardier navigant. J’ai volé des missions de combat au dessus de l’Europe. Je suis revenu, me suis marié. Puis j’ai décidé de faire quelque chose qu’il se pourrait que j’aime bien. Je suis retourné à l’école sous la loi du GI bill of rights et décidais que j’étudierai l’histoire pour devenir enseignant.

Je vous raconte ces expériences personnelles parce que je pense que cela a façonné ma pensée à propos de l’histoire. Ma jeunesse à Brooklyn, avoir travaillé comme ouvrier, tout cela m’a donné une sorte de conscience de classe, une phrase qui n’est pas souvent utilisée aux Etats-Unis, parce qu’ici nous pensons généralement par notre éducation qu’il n’y a pas de société de classes. Que nous sommes une seule et grande famille heureuse et nous avons dans notre culture le langage qui accommode ce type de pensée. Ce type de langage qui tend à nous faire penser que “nous sommes tous logés à la même enseigne”. Il y a le drapeau, il y a l’Amérique. Nous prononçons tous le serment à la nation, nous chantons tous l’hymne national du “Star Spangled Banner” et le président nous explique que nous devons partir en guerre pour notre sécurité nationale. Ceci doit vouloir dire pour la sécurité de tout le monde hein ?.. Personne ne pose la question de savoir “pour la sécurité de qui ?…” Ou ils disent: “c’est pour la défense nationale” et personne ne demande: “la défense de qui ?” ou ils disent: “ceci est pour l’intérêt national” et toujours personne ne demande: “l’intérêt de quoi ?” Mais par contre à chaque fois que ces phrases sont prononcées, vous êtes supposés faire partie de cette grande entité dans laquelle tout le monde a le même intérêt. Vous et le président, moi et Bush, Exxon et moi, tous, nous avons le même intérêt. Vraiment ?

[…] J’ai donc grandi avec cette conscience de classe, ce qui veut dire que je suis parvenu assez tôt à la conclusion que non, nous n’avons pas les mêmes intérêts. Il y a des gens dans ce pays qui sont immensément riches et d’autres qui peinent à joindre les deux bouts et ces personnes n’ont pas les mêmes intérêts. Bien sûr, il y a une foule de gens au milieu, celle qu’on appelle la grande classe moyenne américaine et ces gens au milieu ne sont pas très riches, pas très pauvres non plus, mais ils sont très nerveux. Ils ne savent pas où ils en sont, ni où ils vont, ils ne savent pas s’ils montent ou bien s’ils descendent (NdT: Depuis 2008, ils savent qu’ils descendent à la vitesse “V”…), ils ne savent pas s’ils auront un boulot demain, ils ne savent pas s’ils seront plus riches demain ou s’ils descendront dans la précarité ; mais c’est une société de classes. J’en suis arrivé à cette conclusion inéluctable. Donc, quand j’ai commencé à étudier l’histoire, j’ai approché l’histoire des Etats-Unis sous l’angle de la conscience de classe.

Ainsi lorsque je lis le préambule célèbre de la constitution des Etats-Unis qui dit que “Nous, le peuple des Etats-Unis…” Est-ce que “Nous, le peuples des Etats-Unis…” nous sommes rassemblés à Philadelphie en 1787 pour établir la constitution ? Non, ce n’était pas “Nous, le peuple…” ; c’était 55 riches hommes blancs qui se sont rassemblés à Philadelphie pour écrire la constitution. J’étais, comme la plupart d’entre nous, en admiration béate devant la Constitution. La constitution, le document sacré…

[…] Pendant le bicentenaire de la constitution en 1987, il y a eu une voix de la dissidence parmi les chœurs d’Alleluias au sujet de la constitution. Cette voix était celle d’un juge noir de la cour suprême des Etats-Unis: Thurgood Marshall. Il fit un discours cette année là où il disait: “Pourquoi tout le monde est-il si excité au sujet de la constitution ? La constitution des Etats-Unis d’Amérique a légitimisé l’esclavage.” La constitution déclara qu’un esclave noir équivalait aux 3/5 d’un être humain. La constitution déclarait que les esclaves qui échappaient à leurs maîtres devraient leur être ramenés, une provision de la constitution qui fut ensuite renforcée par la loi sur les esclaves fugitifs de 1850. Tout ceci est historiquement vrai. Cette déification de la constitution est toujours valide de nos jours.

Puis j’ai lu un livre écrit par un nommé Charles Beard dont le nom n’est pas très connu, mais il était une sorte d’historien connu dans les années 1930. Il écrivit un livre intitulé: “An Economic Interpretation of the Constitution”. Ce qu’il fît fut d’examiner les 55 hommes qui se rendirent à Philadelphie pour y écrire la constitution et il examina leurs intérêts économiques et leurs vues politiques. Il trouva que ces personnes étaient toutes, presque toutes, très riches, peut-être l’une d’entre elles ne l’était pas, ils étaient propriétaires d’esclaves, ils étaient des actionnaires et détenteurs de bons du trésor, ils étaient marchants, ils étaient des spéculateurs terriens. Ils n’étaient pas “Nous, le peuple des Etats-Unis…” et ils écrivirent une constitution afin de cadrer et de préserver leurs propres intérêts. Ceci est une vision très importante, parce que ce que Beard disait et qui est toujours de première valeur aujourd’hui est ceci : derrière les actes politiques, recherchez les intérêts économiques.

[…] Derrière la politique se trouve l’économique (NdT: en fait dans l’ère moderne, le politique a été acheté par les intérêts économiques transnationaux. Il n’est plus un secret pour personne que la famille Bush fait partie du cartel pétrolier et qu’Obama est un représentant de Goldman Sachs et d’une bonne partie de Wall Street…). Et ce n’est pas seulement l’économique, c’est plus compliqué que cela, mais l’économique est un facteur très très puissant. Donc Beard regarda les intérêts économiques et il vit en fait, qu’ils avaient mis en place… Quoi donc ? Je me rappelle être à l’école et apprendre au sujet de la constitution et apprenant que ceci était une très bonne chose. Avant la constitution, nous avions des articles de confédération. C’était le traitement historique, vous vous en rappelez sûrement de vos livres d’histoire d’école. Il y avait les articles de la confédération (des états). Après la guerre révolutionnaire, les treize colonies n’étaient pas vraiment unifiées, elles furent mollement unifiées sous les articles de la confédération. Mais maintenant nous avions la constitution, qui nous donna un pays, qui nous unifia et qui créa un gouvernement central très fort. Vrai. Il n’y a aucun doute là-dessus: la constitution a créé un très fort gouvernement central. Mais il est très important de regarder au-delà de cela et d’en comprendre les motifs, de regarder les motifs de classe derrière ceci. J’espère que vous ne m’en voudrez pas de faire un petit retour en arrière avant la guerre révolutionnaire et la constitution. C’est ce que les historiens font, ils retournent en arrière, c’est une maladie, mais j’affirme que c’est important pour comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui.

Il est intéressant de regarder l’année 1786, qui est l’année juste avant la constitution, parce que ce fut l’année où prit place un phénomène important dans l’ouest du Massassuchetts, que certains d’entre vous pourront reconnaître car c’est souvent dans les questionnaires multi-choix des examens… Il s’agit de la rébellion de Shays. Souvent les gens disent “ah oui, je me rappelle, examen trucmuche à trois-choix, section B, la rebellion de Shays”. Parfois vous apprenez même un petit quelque chose à son sujet, que ce fut une rebellion de fermiers dans l’ouest du Massassuchetts à laquelle participèrent beaucoup d’anciens combattants de la guerre révolutionnaire d’indépendance, qui revinrent de la guerre pour se rendre compte, et ceci est une procédure standard pour tous les combattants retournant de toutes les guerres, qu’ils ne reçurent point ce qu’on leur avait promis, qu’ils s’étaient battus pour la liberté, l’égalité et le droit de poursuivre le bonheur dans une société nouvelle, mais ceci n’avait pas vraiment fonctionné pour eux et ils se rendaient compte qu’ils n’étaient pas du tout traités en égaux. Ils se rendirent vite compte qu’ils avaient certes leur petit lopin de terre mais que celui-ci était soumis à lourd impôt et qu’ils ne pouvaient plus payer ces taxes à n’en plus finir. Donc les tribunaux saisissaient et vendaient aux enchères leurs biens et troupeaux, ainsi ils décidèrent d’organiser une rebellion sous le commandement d’un des capitaines qui avait servi lors de la guerre d’indépendance: Daniel Shays. Ainsi, des milliers de fermiers se rassemblèrent autour des tribunaux de l’état à Springfield, Amherst et Great Barrington, ils encerclèrent les tribunaux et empêchèrent les enchères de s’y dérouler. A un moment donné, le sheriff local en appela à la milice locale, qui vint et 1000 miliciens firent face à 5000 fermiers ; le juge sortit de son tribunal, évalua la situation et dit, ceci s’est passé au moins une fois: “Votons, laissons la milice voter et décider ce qu’elle veut faire. Combien de miliciens sont-ils en faveur des fermiers et combien sont en faveur de l’état ?” La vaste majorité des miliciens se tint aux côtés des fermiers. Ce fut la fin de la procédure. Mais la rebellion continua et finalement une armée fut appelée pour écraser la rebellion.

Pourquoi fais-je état de tout ceci ? Dans nos classes d’histoire, d’histoire traditionnelle, personne ne fait la connexion entre la rebellion de Shays et la constitution alors même que la rebellion se produisit une année seulement avant la proclamation de la constitution. Il y a pourtant une importante connexion entre les deux évènements, car après la rebellion de Shays, des messages furent échangés au sujet de la rebellion parmi les élites des colonies et surtout parmi les puissants de ces colonies. Thomas Jefferson était en Europe à cette époque, à Paris, et il en entendit parler. Il répondit: “Ne vous inquiétez pas. Une petite rebellion de temps en temps est sain.”  Mais il était là-bas. Ces gens étaient ici, ils devaient y faire face et risquer plus de rebellion. Un de ces messages fut du général Knox, un des aides de camp de Washington durant la guerre d’indépendance. Knox avait formé une organisation d’anciens combattants appelée “L’ordre de Cincinnati”. C’était une version primitive de l’American Legion (NdT: Association nationale des anciens combattants), mais ce n’était bien sûr pas une association d’hommes du rang, mais une congrégation de colonels et de généraux. Knox écrivit à Washington, j’ai la citation exacte quelque part dans mes notes, mais vous devrez ici, me croire sur parole, voici ce qu’il dit en substance: “Cher George, Je ne sais pas exactement comment le dire, ces gens qui se sont rebellés dans l’ouest du Massachussetts, ils pensent que parce qu’ils se sont battus dans la guerre d’indépendance, ils ont droit à une part égale de la richesse de ce pays. Non. On doit faire quelque chose.”

L’idée de la constitution fut de mettre en place un gouvernement qui serait capable de s’occuper des rebellions des pauvres, qui serait capable de s’occuper des révoltes d’esclaves, qui serait capable de s’engoufrer à l’Ouest et de gérer ces Indiens qui ne voulaient pas que des blancs s’installent sur leurs territoires. L’idée en d’autres termes, était de créer un gouvernement suffisamment fort pour protéger les intérêts des expansionnistes territoriaux, des esclavagistes, des marchands, des actionnaires de sociétés. Voilà ce qu’était l’idée. C’était une décision de classe menant à un document de classe. Je parle de ceci parce que ceci est l’histoire des Etats-Unis. Derrière les lois, depuis la constitution, derrière toute législation passée par le congrès toutes ces années passées, il y a un intérêt de classe, et quasiment toujours l’intérêt de la classe des riches et puissants. Je dis presque toujours, parce qu’il y a eu des époques dans l’histoire américaine où le congrès a passé des lois qui ont été au bénéfice du petit peuple. Ceci s’est produit à quelques reprises, mais à chaque fois après de gros tumultes sociaux et des rebellions aux Etats-Unis…

[…] En général, l’histoire de la législation, depuis les tous premiers programmes économiques d’Alexander Hamilton au premier congrès des Etats-Unis bénéficiant les détenteurs de bons du trésor et privilégiant la lourde imposition des fermiers, jusqu’aux retenues d’argent pour les pénuries pétrolières en passant par les exonérations massives d’impôts pour les grandes entreprises attribuées de nos jours, l’histoire n’a été qu’au sujet des intérêts de classe des gens aux pouvoirs s’exprimant au travers des législations. Il est très important de savoir cela, autrement vous ne pouvez approcher tout nouveau développment politique que comme s’il n’y avait aucun antécédent historique lui étant attaché, comme s’il n’y avait pas un certain schéma, une certaine programmation derrière tout cela. Le budget fédéral des Etats-Unis est un document de classe, celui-ci le plus récent, encore plus crasse que tous les précédents. Il est important de le savoir. Il est important de toujours demander lorsque vous discutez de politique ou de tel ou tel politicien(ne): “Quels sont les intérêts économiques derrière ces personnes ? Combien d’entre eux sont vraiment sensibles aux besoins des gens de la rue, des ouvriers, des simples citoyens et combien s’en fichent ?”

Alors quand j’ai commencé à écrire sur l’histoire, oui, la conscience de classe a prévalu sur ma façon de l’écrire. Je n’allais pas simplement écrire au sujet du miracle économique des Etats-Unis, qui me fut présenté au Lycée. Waouh ! Que nous étions fiers en classe d’apprendre que l’Amérique devint ce géant économique après la guerre civile. Les chemins de fer sillonnaient le pays d’Est en Ouest, les fonderies tournaient à plein régime, le PNB augmentait dramatiquement, même s’ils n’utilisaient pas ce terme à l’époque. C’était l’idée. Je me rappelle m’être senti bien après avoir appris  tous ces chiffres. Je n’ai jamais su, tant que je suis resté à l’école ou université, tant que je n’ai pas fait de lectures par moi-même, au sujet des luttes politiques et sociales, de la classe ouvrière, qui n’était plus dans mon université et ce jusqu’au doctorat à Colombia University n’ai-je appris au sujet de la classe ouvrière. J’ai dû apprendre tout cela par moi-même. J’ai dû lire par moi-même au sujet des grandes grèves dans les chemins de fer de 1877 et de la grande grève du textile de Lawrence en 1912 et le massacre de Ludlow dans le Colorado en 1914, tout ceci n’apparaissait nullement dans mes cours d’histoire universitaires.

Alors j’ai voulu raconter l’histoire du miracle économique américain du point de vue de ceux qui travaillaient dans les rafineries des Rockefellers, des immigrants chinois et irlandais, qui travaillèrent sur les voies de chemin de fer transcontinentales, qui sont toujours présentées comme de merveilleuses choses. Mais personne ne m’a jamais appris au sujet de ces dizaines de milliers d’immigrants chinois et irlandais qui y moururent de maladies, d’épuisement, de coups de chaleur, de froid ni de toutes ces petites filles qui allèrent travailler dans les usines textiles de la Nouvelle Angleterre dès l’âge de 12 ans pour en mourir à 25. On ne m’a pas enseigné au sujet des maladies pulmonaires, des règlementations minières ridicules.

Alors j’ai voulu regarder l’histoire économique d’un point de vue différent, celui des ouvriers et dire l’histoire de leurs luttes et de la résistance qu’ils firent dans les grèves, boycotts et de la façon dont les gens faisaient face au sheriffs, à la garde nationale, parce qu’autrement, si vous ne savez rien de tout cela, vous continuez à penser que la journée de travail de huit heures est venue simplement parce que le congrès passa une loi en 1938, c’est l’histoire standard. On fait penser aux gens que Oh, ceci s’est produit parce que le congrès a soudain eu l’illumination et qu’il a pensé: “nous devons aider ces pauvres gens”, Non. Les réformes ne viennent qu’après des décennies d’âpres luttes sociales. Les huit heures par jour sont le résultat de luttes et de grèves qui ont commencées dès 1886. Alors oui, les intérêts de classes ont dominé l’histoire que je voulais raconter.

[…] Mais ensuite, et je n’ai pas commencé à penser à cela avant mon retour de la seconde guerre mondiale, j’ai commencé à penser aux complications qui accompagnent une soi-disant “guerre juste et bonne”, du fait que dans cette “juste guerre” nous avons nous-mêmes commis des atrocités. Bien sûr les Allemands avaient commis de grandes atrocités eux-mêmes culminant avec l’holocauste. Mais nous en avions également commis. Nous, qui avions dénoncés les Allemands pour avoir bombardé des civils au début de la guerre. C’est horrible, barbare, imaginez lâcher des bombes sur des villes remplies de civils. Les Allemands l’ont fait sur Coventry et sur Rotterdam. Des milliers de civils sont morts à Rotterdam, mais alors que la guerre continuait, nous avons bombardé des civils et ce de manière tout à fait délibérée. Ne laissez jamais quelqu’un vous dire: “Mais nous ne bombarderions jamais volontairement des civils”. Ceci est un non sens total. Bombarder délibérément. Parce que ce que vous voulez faire dans une guerre c’est de démoraliser l’ennemi. Comment faire ? Vous tuez le plus de personnes possible et il importe peu qui elles sont. Ceci fut une décision délibérée du conseil de guerre de Churchill et fut approuvé par les Américains, de bombarder la population ouvrière d’Allemagne dans ses villes. Comme à Dresde. On ne sait pas combien de civils sont morts cette nuit là à Dresde ? 50 000 ? 100 000 ? 150 000 ? Personne ne sait. Lisez Kurt Vonnegut et son livre “Slaughterhouse Five”, un livre fascinant, un roman basé sur sa propre expérience de prisonnier de guerre à Dresde à cette époque et dans d’autres villes. 30 000 civils tués par nuit à Hambourg, Francfort, Tokyo au printemps de 1945… Une nuit de bombardement incendiaire de Tokyo. 100 000 civils moururent en une nuit à Tokyo. Si vous regardez ce documentaire “The Fog of War” au sujet de McNamara au Vietnam, vous y verrez McNamara dire: “Et bien si nous avions perdu la guerre, nous aurions pu être condamnés pour crimes de guerre, comme criminels de guerre à cause de cela.” Qu’est-ce que tu veux dire “si nous avions perdu la guerre” ? Tu veux dire que si tu gagnes la guerre cela change la nature de tes actes ? Si vous tuez 100 000 innocents et que vous perdez la guerre vous êtes des criminels de guerre, mais si vous gagnez alors tout va bien ? Intéressante façon de penser pour le moins. Et bien sûr, Hiroshima et Nagasaki. On peut avoir une discussion à ce sujet car la vaste majorité des Américains pensent que cela était nécessaire afin de gagner la guerre plus vite face au Japon. J’ai fait beaucoup de recherche là-dessus, beaucoup de gens aussi ont étudié cela en détail…

Je suis arrivé à la conclusion que la guerre, comme moyen de faire quelque chose, implique de manière évidente à notre époque plus que jamais avec la technologie moderne de faire la guerre, le meurtre d’innocents à une échelle gigantesque. Ceci est une certitude en matière de guerre. Ce qui est incertain en revanche, est le résultat, la fin. Vous ne savez pas vraiment ce qu’il va se passer. Vous pouvez constater un résultat immédiat comme par exemple Hitler, Mussoloni ne sont plus là, mais vous ne savez pas vraiment ce qu’il va se passer après. Après plus de 50 millions de morts durant la seconde guerre mondiale, avons-nous eu un monde pacifique après cela ? Oh, la guerre qui finira toutes les guerres ? Non, en fait, j’ai regardé le monde depuis la fin de la guerre et qu’ai-je vu ? On appelle cela du fascisme. Quelque soit le mot que vous utilisez, ce que j’ai vu n’est pas un monde, bien que nous ayons été libérés des Hitler, Mussolini et consorts, mais nous ne fûmes pas libérés du fascisme, pas libérés des dictatures, pas libérés de la pauvreté, de la misère, des riches contrôlant les ressources du monde, d’une guerre après une autre guerre après une autre qui en suivait une autre. Et celle là avait été la “bonne et juste guerre” ? Cela m’a fait réfléchir et m’a fait analyser très attentivement les guerres qui suivirent. Ainsi lorsque vint la guerre du Vietnam, les guerres se produisent accidentellement comme tout à chacun le sait bien sûr, j’étais étudiant en histoire de la politique étrangère américaine. Je connaissais l’histoire de la guerre contre le Mexique et je connaissais très bien l’histoire de nos guerres avec les Indiens autochtones et je connaissais également l’histoire de la guerre américano-espagnole et de celle contre les Philippines et l’incusrson des Marines en Amérique Centrale. Personne ne pouvait me dire lorsque la guerre du Vietnam commença, que les Etats-Unis voulaient juste amener la démocratie et la liberté au peuple vietnamien. Cela a pris quelques années pour le peuple américain pour comprendre que non, ce n’était pas ce qu’ils disaient que c’était.

Maintenant avec la guerre d’Irak, si vous ne connaissiez pas l’histoire, vous pourriez bien croire le président qui a dit: “Armes de destruction massive, menace imminente contre la nation, terrorisme. Nous devons faire cela, nous n’avons aucun autre motif. Non, non, non ce n’est pas le pétrole, non. Nous voulons juste établir la démocratie en Irak. Nous voulons renverser le régime comme cela nous aurons un bon régime en place en Irak.” Si vous connaissiez l’histoire des Etats-Unis lorsqu’on parle de changement de régime, vous sauriez combien de régimes nous avons renversé démocratiques ou non, et vous sauriez combien de fois les Etats-Unis ont renversé des régimes politiques démocratiquement élus et l’ont changé en dictature locale. Regardez l’Iran en 1953, le Guatémala en 1954, le Chili en 1973. Ainsi en ce qui concerne la guerre d’Irak, l’histoire fut très importante pour moi afin de comprendre les motifs et être capable d’examiner les affirmations du gouvernement américain contre ce que je pense être les réalités en ce qui concerne l’Irak.

Je rajouterai une chose: Lorsque j’ai étudié l’histoire puis terminé mon doctorat (Ph.D) et que j’ai eu mon premier travail d’enseignant, ce fut à Atlanta en Georgie dans un collège (université) pour femmes noires, le Spelman College d’Atlanta et ma famille et moi-même y vécurent de 1956 à 1963. Je me suis impliqué dans le mouvement des droits civiques des noirs parce que mes élèves y étaient impliquées et je ne pouvais pas donner des cours de droits constitutionnels, de liberté et de démocratie et rester dans ma salle de classe pendant que mes élèves étaient dehors à manifester, se retrouvaient en prison etc.

[…] Une chose que j’ai apprise est que quand des injustices fondamentales doivent être corrigées dans ce pays (NdT: et partout ailleurs du reste…), elles ne le sont jamais de l’initiative du gouvernement, elles sont corrigées par l’initiative des citoyens, du peuple qui se rassemblent, qui s’organisent, qui prennent des risques, qui créent une situation telle que le gouvernement doit finalement faire quelque chose. C’est ce qu’il s’est produit avec le mouvement des droits civiques dans les états du sud des Etats-Unis. Le gouvernement fédéral n’allait pas appliquer les 14ème et 15ème amendements de la constitution. Pendant près d’un siècle aucun président n’a fait appliquer le 14ème et le 15ème amendements de la constitution. Chaque président des Etats-Unis pendant près de 100 ans a parjuré son serment de prise de fonction. Démocrate ou républicain, aucune importance. Tout le monde s’est parjuré de son serment de prise de fonction, parce qu’aucun n’a appliqué la constitution. Seulement lorsque les noirs ont pris les rues et ont manifesté et furent maltraités, battus, emprisonnés, certains furent même tués, alors seulement a t’on vu une commotion aux niveaux national et international, alors seulement le gouvernement a commencé à agir.

Alors j’ai appris quelque chose, quelque chose que les ouvriers participant aux luttes sociales ont appris il y a longtemps: Si vous voulez que quelque chose soit fait, vous ne pouvez pas vous fier à la politique, aux politiciens, vous ne pouvez pas vous fier au vote pour untel ou untel et penser que cela ira. Non. Ultimement, si vous voulez changer les choses socialement et politiquement, cela doit être fait au travers d’un mouvement citoyen. C’est çà la démocratie. C’est à ce moment là seulement que la démocratie vit !

Merci de votre attention.

(Longue acclamation debout de l’audience)