Archive pour pierre kropotkine « le mouvement communiste dans la révolution française »

Révolution française: 1789-1793, quand le peuple fut muselé pour le triomphe de la bourgeoisie… 3ème partie: La destructions des communes/sections par les nouveaux aristocrates « révolutionnaires »…

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« Il implique contradiction que le gouvernement puisse être jamais révolutionnaire et cela pour la raison toute simple qu’il est gouvernement. »
~ Pierre Joseph Proudhon ~

 

La fin du mouvement communiste et l’écrasement des sections

 

Extrait de “La Grande Révolution 1789-1793”

 

Pierre Kropotkine

1909

 

1ère partie

2ème partie

3ème partie

 

Chapitre LX

Avant le 31 mai, lorsque les révolutionnaires Montagnards voyaient la Révolution arrêtée par l’opposition des Girondins, ils cherchaient à s’appuyer sur les communistes et, en général, sur « les Enragés ». Robespierre, dans son projet de Déclaration des Droits, du 21 avril 1793, où il se prononçait pour la limitation du droit de propriété, Jeanbon Saint-André, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, etc., se rapprochaient alors des communistes, et si Brissot, dans ses attaques furieuses contre les Montagnards, confondait ceux-ci avec les « anarchistes », destructeurs des propriétés, c’est qu’en effet à cette époque les Montagnards ne cherchaient pas encore à se séparer nettement des « Enragés ».

Cependant, immédiatement après les émeutes de février 1793, la Convention prit déjà une attitude menaçante à l’égard des communistes. Sur un rapport de Barère, dans lequel il représentait déjà l’agitation comme l’œuvre des prêtres et des émigrés, elle vota d’enthousiasme, le 18 mars 1793 (malgré l’opposition de Marat), « la peine de mort contre quiconque proposera une loi agraire ou toute autre subversive des propriétés territoriales, communales ou individuelles. »

Tout de même, on fut forcé de ménager encore les Enragés, puisqu’on avait besoin du peuple de Paris contre les Girondins, et dans les sections les plus actives les Enragés étaient populaires. Mais, les Girondins une fois renversés, les Montagnards se tournèrent contre ceux qui voulaient « la Révolution dans les choses, puisqu’elle était faite dans les idées », et les écrasèrent à leur tour.

Il est malheureux que les idées communistes n’aient trouvé personne, parmi les hommes éduqués de l’époque, qui sût les formuler avec ensemble et se faire écouter. Marat aurait pu le faire s’il avait vécu ; mais en juillet 1793 il n’était plus. Hébert était trop sybarite pour s’atteler à une tâche pareille ; il appartenait trop à la société des jouisseurs bourgeois de l’école de d’Holbach pour devenir un défenseur de l’anarchisme communiste qui se faisait jour dans les masses populaires. Il put adopter le langage des sans-culottes, comme les Girondins en adoptèrent le bonnet rouge et le tutoiement ; mais, comme ceux-ci, il était trop loin du peuple pour comprendre et exprimer les aspirations populaires. Et il s’allia avec les Montagnards pour écraser Jacques Roux et les « Enragés » en général.

Billaud-Varenne semblait comprendre, mieux que les autres Montagnards, le besoin de profonds changements dans le sens communiste. Il avait entrevu, un moment, qu’une révolution sociale qui aurait dû marcher de front avec la révolution républicaine. Mais lui aussi n’eut pas le courage de devenir un lutteur pour cette idée. Il entra dans le gouvernement et finit par faire comme les autres Montagnards qui disaient : « La république d’abord, les mesures sociales viendront après. » Mais là ils échouèrent, et là échoua la République.

C’est que la Révolution, par ses premières mesures, avait mis en jeu trop d’intérêts pour que ceux-ci pussent permettre au communisme de se développer. Les idées communistes sur les propriétés foncières avaient contre elles tous les immenses intérêts de la bourgeoisie, qui s’était jetée à la curée pour s’approprier les biens du clergé, mis en vente sous le nom de biens nationaux, et en revendre ensuite une partie aux paysans plus ou moins aisés. Ces acheteurs qui, au début de la Révolution, avaient été les plus sûrs soutiens du mouvement contre la royauté, une fois propriétaires eux-mêmes et enrichis par la spéculation, devenaient les ennemis les plus acharnés des communistes qui réclamaient le droit à la terre pour les paysans les plus pauvres et les prolétaires des villes.

Les législateurs de la Constituante et de la Législative avaient vu dans ces ventes le moyen d’enrichir la bourgeoisie aux dépens du clergé et de la noblesse. Quant au peuple, ils n’y pensaient même pas.

En effet, l’Assemblée Constituante s’était même opposée à ce que les paysans s’unissent en petites compagnies pour acheter ensuite tel ou tel bien. Mais, comme on avait un besoin immédiat d’argent, « on vendit avec fureur », dit Avenel, à partir d’août 1790 jusqu’en juillet 1791. On vendit aux bourgeois et aux paysans aisés, même à des compagnies anglaises et hollandaises qui achetaient pour spéculer. Et lorsque les acheteurs qui n’avaient versé pour commencer que 20 ou 12 pour cent du prix d’achat, eurent à payer le premier terme, ils firent tout pour ne rien payer, et très souvent il y réussirent.

Cependant, comme les réclamations des paysans qui n’avaient rien pu acquérir de ces terres se faisaient toujours entendre, la Législative d’abord, en août 1792, et plus tard, la Convention, par son décret du 11 juin 1793 (voy. chap. XLVIII), leur jetèrent en proie les terres communales, c’est-à-dire l’unique espoir du paysan le plus pauvre [1]. La Convention promit en outre que les terres confisquées des émigrés seraient partagées en lots de un à quatre arpents pour être aliénés aux pauvres, par bail à rente d’argent, toujours rachetable ; elle décréta même, vers la fin de 1793, qu’un milliard de biens nationaux seraient réservés aux volontaires sans-culottes enrôlés dans les armées, pour leur être vendus à des conditions favorables. Mais rien n’en fut fait. Ces décrets restèrent lettre morte, comme des centaines d’autres décrets de l’époque.

Et lorsque Jacques Roux vint à la Convention, le 25 juin 1793, — moins de quatre semaines après le mouvement du 31 mai, — dénoncer l’agiotage et demander des lois contre les agioteurs, les interruptions furieuses, les hurlements des conventionnels accueillirent son discours. Roux fut chassé de la Convention, il en sortit sous les huées [2]. Cependant, comme il s’attaquait à la constitution montagnarde et qu’il avait une forte influence dans la section des Gravilliers et au club des Cordeliers, Robespierre, qui ne mettait jamais le pied dans ce club, s’y rendit le 30 juin (après les émeutes du 26 et du 27 contre les marchands de savon), accompagné d’Hébert et de Collot d’Herbois, et il obtint des Cordeliers la radiation de Roux et de son camarade Varlet des listes de leur club.

Robespierre ne se lassa pas depuis lors de calomnier Jacques Roux. Comme il arrivait au communiste cordelier de critiquer les résultats nuls de la Révolution pour le peuple, et de dire, en critiquant le gouvernement républicain (comme il arrive aussi aux socialistes de nos jours), que sous la République le peuple souffrait plus que sous la royauté, Robespierre ne manqua jamais l’occasion de traiter Roux, même après sa mort, d’« ignoble prêtre » vendu aux étrangers et de « scélérat » qui « voulut exciter des troubles funestes » pour nuire à la République.

Dès juin 1793 Jacques Roux fut voué à la mort. On l’accusa d’être le fauteur des émeutes à propos du savon. Plus tard, en août, lorsqu’il publiait avec Leclerc un journal, L’ombre de Marat, on lança contre lui la veuve de Marat, qui réclama contre ce titre ; et enfin, on fit avec lui ce que les bourgeois avaient fait avec Babeuf. On l’accusa d’un vol, — d’avoir soustrait un assignat reçu par lui pour le club des Cordeliers, — alors que, comme l’a très bien dit Michelet, « ces fanatiques marquaient par leur désintéressement », et que de tous les révolutionnaires en vedette, Roux, Varlet, Leclerc étaient certainement des modèles de probité. Sa section des Gravilliers le réclama en vain à la Commune, en se portant garante pour lui. Le club des femmes révolutionnaires fit de même, — et fut dissous par la Commune.

Révolté par cette accusation, Roux et ses amis firent, un soir, le 19 août, un coup de force dans la section des Gravilliers. Ils cassèrent le bureau et portèrent Roux à la présidence. Alors, le 21, Hébert le dénonça aux Jacobins et, l’affaire ayant été portée devant la Commune, Chaumette parla d’attentat à la souveraineté du peuple et de peine de mort. Roux fut poursuivi, mais la section des Gravilliers réussit à obtenir qu’il fût relâché sous caution. Ce fut fait, le 25 août, mais l’information continua, se compliqua encore d’une accusation de vol, et le 23 nivôse (14 janvier 1794), Roux était traduit devant le tribunal de police criminelle.

Le tribunal se déclara incompétent, à cause de la gravité des actes reprochés à Roux (coup de force dans la section), et le renvoya devant le tribunal révolutionnaire. Alors, Roux, sachant ce qui l’attendait, se frappa devant le tribunal de trois coups de couteau. Transporté à l’infirmerie de Bicêtre, il tentait « d’épuiser ses forces », rapportèrent les agents de Fouquier-Tinville, et enfin il se frappa de nouveau, se blessa au poumon et succomba à ses blessures. L’acte d’autopsie est daté du 1er ventôse, an II, 19 février 1794 [3].

Le peuple, surtout dans les sections centrales de Paris, comprit alors que c’en était fait de ses rêves d’« égalité de fait » et de bien-être pour tous. Gaillard, l’ami de Chalier, venu à Paris après la prise de Lyon par les Montagnards, et qui avait passé toute la durée du siège dans un cachot, se tua aussi, lorsqu’il apprit la nouvelle de l’arrestation de Leclerc, emprisonné avec Chaumette et les hébertistes.

En réponse à toutes ces tendances du communisme, à la vue du peuple prêt à déserter la Révolution, le Comité de salut public, toujours anxieux de ne s’aliéner ni « le Ventre » de la Convention (« le Marais »), ni le club des Jacobins, répondit, le 21 ventôse de l’an II (11 mars 1794), par une circulaire ronflante adressée aux représentants en mission. Mais cette circulaire, comme le fameux discours de Saint-Just qui la suivit deux jours plus tard (23 ventôse), ne savait aboutir qu’à de la bienfaisance, à de la charité — très maigre, après tout, de l’État.

« Un grand coup était nécessaire pour terrasser l’aristocratie », disait la circulaire du Comité. « La Convention l’a frappé. L’indigence vertueuse devait rentrer dans la propriété que les crimes avaient usurpés sur elle… Il faut que la terreur et la justice portent sur tous les points à la fois. La Révolution est l’ouvrage du peuple : il est temps qu’il en jouisse. » Et ainsi de suite.

La Convention, cependant, ne fit rien. Le décret du 13 ventôse an II (3 février 1794), dont parla Saint-Just, se réduisait à ceci : Chaque commune devait dresser l’état des patriotes indigents, et ensuite le Comité de salut public ferait un rapport sur les moyens d’indemniser tous les malheureux avec les biens des ennemis de la Révolution. Dans ces biens on allait leur découper un arpent en propre. Pour les vieillards et les infirmes, la Convention décréta plus tard, le 22 floréal (11 mai), d’ouvrir un Livre de la bienfaisance nationale [4].

Inutile de dire que cet arpent eut l’air, pour les paysans, d’une simple moquerie. D’ailleurs, à part quelques localités exceptionnelles, le décret n’eut même pas un commencement d’exécution. Ceux qui n’avaient rien saisi eux-mêmes des terres, ne reçurent rien.

Ajoutons encore que plusieurs représentants en mission, comme Albitte, Collot-d’Herbois et Fouché à Lyon, Jeanbon Saint-André à Brest et à Toulon, Romme en Charente, eurent en 1793 la tendance de socialiser les biens. Et lorsque la Convention fit la loi du 16 nivôse an II (5 janvier 1794) qui portait que, « dans les villes assiégées, bloquées ou cernées, les matières, marchandises et denrées de tout genre seraient mises en commun », on peut dire, observe Aulard, « qu’il y eut tendance à appliquer cette loi à des villes qui n’étaient ni assiégées, ni bloquées, ni cernées [5].»

La Convention, ou plutôt ses Comités de salut public et de sûreté générale, supprimèrent en 1794 les manifestations communistes. Mais l’esprit du peuple français en révolution y poussait néanmoins, et sous la pression des événements, une grande œuvre de nivellement et une forte éclosion de l’esprit communiste se manifesta un peu partout dans le cours de l’an II de la République [6].

Ainsi les trois représentants de la Convention à Lyon, Albitte, Collot d’Herbois et Fouché firent le 24 brumaire an II (14 novembre 1793) un arrêté, qui eut un commencement d’exécution, en vertu duquel tous les citoyens infirmes, vieillards, orphelins et indigents devaient être « logés, nourris et vêtus aux dépens des riches de leurs cantons respectifs », et « du travail et les objets nécessaires à l’exercice de leur métier et de leur industrie » devaient être fournis aux citoyens valides. Les jouissances des citoyens, disaient-ils dans leurs circulaires, doivent être en proportion de leurs travaux, de leur industrie et de l’ardeur avec laquelle ils se dévouent au service de la patrie. Beaucoup de représentants aux armées arrivaient à la même résolution, dit M. Aulard. Ainsi Fouché levait de lourds impôts sur les riches pour nourrir les pauvres. Il est aussi certain, comme le dit le même auteur, qu’il y eut un nombre de communes qui firent du collectivisme (ou plutôt du communisme municipal) [7].

L’idée que l’État devait s’emparer des fabriques délaissées par leurs patrons et les mettre en exploitation, fut énoncée à maintes reprises. Chaumette la soutenait en octobre 1793, lorsqu’il constatait l’effet du maximum sur certaines industries, et Jeanbon Saint-André avait mis en régie la mine de Carhaix en Bretagne, pour assurer du pain aux ouvriers. L’idée était dans l’air.

Mais si un certain nombre de conventionnels en mission prenaient, en 1793, des mesures d’un caractère égalitaire, et s’inspiraient de l’idée de limitation des fortunes, la Convention, d’autre part, défendait avant tout les intérêts de la bourgeoisie, et il y a probablement du vrai dans cette remarque de Buonarroti, que la crainte de voir Robespierre se lancer, avec son groupe, dans des mesures qui auraient favorisé les instincts égalitaires du peuple, contribua à la chute de ce groupe au 9 thermidor [8].

 

  1. La plupart des historiens ont vu dans cette mesure une mesure avantageuse aux paysans. En réalité, c’était priver les paysans les plus pauvres de l’unique patrimoine qui leur restait. C’est pourquoi cette mesure rencontra tant de résistance dans son application.
  2. Aller 
↑ « Ce sont les riches, disait Jacques Roux, qui, depuis quatre ans, ont profité des avantages de la Révolution ; c’est l’aristocratie marchande, plus terrible que l’aristocratie nobiliaire, qui nous opprime, et nous ne voyons pas le terme de leurs exactions, car le prix des marchandises augmente d’une manière effrayante. Il est temps que le combat à mort, que l’égoïsme livre à la classe la plus laborieuse, finisse… La propriété des fripons est-elle plus sacrée que la vie de l’homme ? Les subsistances doivent être à la réquisition des corps administratifs, comme la force armée est à leur disposition. » Roux reproche à la Convention de ne pas avoir confisqué les trésors acquis depuis la Révolution par les banquiers et les accapareurs, et il dit que, la Convention ayant décrété un emprunt forcé d’un milliard sur les riches, « le capitaliste, le marchand, dès le lendemain, lèveront cette somme sur les sans-culottes par le monopole et la concussion», si le monopole du commerce et de l’accaparement n’est pas détruit. Il en prévoyait très bien le danger pour la Révolution et disait : « Les agioteurs s’emparent des manufactures, des ports de mer, de toutes les branches du commerce, de toutes les productions de la terre, pour faire mourir de faim, de soif, de nudité les amis de la justice et les déterminer à se jeter dans les bras du despotisme. » (Je cite d’après le texte de Roux, retrouvé par Bernard Lazare et communiqué à Jaurès.)
  3. Aller 
↑ Jaurès, Histoire socialiste, la Convention, (pp. 1698, 1699).
  4. Aller 
↑ Les cultivateurs vieillards ou infirmes y seraient inscrits pour un secours annuel de 160 livres, les artisans vieillards ou infirmes pour 120 livres, et les mères et les veuves pour 80 et 60 livres.
  5. Aller 
↑ Histoire politique, chap. VIII, livre II.
  6. Aller 
↑ « C’est donc vainement que, dans cette période de compression, on chercherait des manifestations de théories socialistes. Mais l’ensemble de mesures partielles ou empiriques, de lois de circonstances, d’institutions provisoires qui forme le gouvernement révolutionnaire, amène un état de choses qui prépare indirectement les esprits, dans ce silence des socialistes, à une révolution sociale, et qui commence à l’effectuer partiellement. » (Aulard, l. c., p. 453)
  7. Aller 
↑ Voyez tout le paragraphe du chap. VIII, livre II : « Le socialisme » de l’Histoire politique d’Aulard ; André Lichtenberger : Le Socialisme et la Révolution française, pp. 179, 120 ; Actes du Comité de salut public, VIII et IX.

L’écrasement des sections

Chapitre LXIII

Deux puissances rivales se trouvaient en présence à la fin de 1793 : les deux Comités, de salut public et de sûreté générale, qui dominaient la Convention, et la Commune de Paris. Cependant la vraie force de la Commune n’était ni dans son maire Pache, ni dans son procureur Chaumette, ou son substitut Hébert, ni dans son Conseil général. Elle était dans les sections. Aussi voit-on le gouvernement central s’appliquer constamment à soumettre les sections à son autorité.

Lorsque la Convention eut retiré aux sections de Paris « la permanence », c’est-à-dire le droit de convoquer leurs assemblées générales aussi fréquemment qu’elles le voulaient, les sections commencèrent à créer des « sociétés populaires » ou des « sociétés sectionnaires ». Mais ces sociétés furent très mal vues des Jacobins, qui devenaient à leur tour des hommes de gouvernement, et à la fin de 1793 et en janvier 1794 on parla beaucoup au club des Jacobins contre ces sociétés, — d’autant plus que les royalistes faisaient un effort concerté pour les envahir et s’en emparer. « Il est sorti du cadavre de la monarchie, disait un des Jacobins, Simond, une infinité d’insectes venimeux qui ne sont pas assez stupides pour en essayer la résurrection », mais qui cherchent à perpétuer les convulsions du corps politique [1]. En province, surtout, ces «insectes» ont du succès. Une infinité d’émigrés, continuait Simond, « gens de loi, gens de finance, agents de l’ancien régime », inondent les campagnes, envahissent les sociétés populaires et en deviennent les présidents et les secrétaires.

Il est évident que les sociétés populaires, qui n’étaient à Paris autre chose que des assemblées de sections organisées sous un autre nom [2], se seraient bientôt « épurées », pour exclure les royalistes déguisés, et elles auraient continué l’œuvre des sections. Mais toute leur activité déplaisait aux Jacobins qui voyaient avec jalousie l’influence de ces « nouveaux venus » qui les « dépassaient en patriotisme. » — « À les croire, disait le même Simond, les patriotes de 89… ne sont plus que des bêtes de somme fatiguées ou dépéries qu’il faut assommer, parce qu’ils ne peuvent plus suivre les nouveau-nés dans la route politique de la Révolution. » Et il trahissait les craintes de la bourgeoisie jacobine, en parlant de la « quatrième législature » que ces nouveaux venus auraient cherché à composer, pour aller plus loin que la Convention. « Nos plus grands ennemis, ajoutait Jeanbon Saint-André, ne sont pas au dehors ; nous les voyons : ils sont au milieu de nous ; ils veulent porter plus loin que nous les mesures révolutionnaires » [3].

Là-dessus, Dufourny parle contre toutes les sociétés de sections, et Deschamps les appelle de « petites Vendées. »

Quant à Robespierre, il s’empresse de reprendre son argument favori — les menées de l’étranger. « Mes inquiétudes, dit-il, n’étaient que trop fondées. Vous voyez que la tartuferie contre-révolutionnaire y domine. Les agents de la Prusse, de l’Angleterre et de l’Autriche veulent par ce moyen anéantir l’autorité de la Convention et l’ascendant patriotique de la Société des Jacobins. » [4].

L’hostilité des Jacobins contre les sociétés populaires est évidemment une hostilité contre les sections de Paris et les organisations de même genre en province, et cette hostilité n’est que l’expression de celle du gouvernement central. Ainsi, dès que le gouvernement révolutionnaire fut établi par le décret du 14 frimaire (4 décembre 1793), le droit d’élire les juges de paix et leurs secrétaires — droit que les sections avaient conquis dès 1789, — leur fut retiré. Les juges et leurs secrétaires devaient être nommés désormais par le Conseil général du département (décrets du 8 nivôse, 28 décembre 1793, et du 23 floréal, 12 mai 1794). Même la nomination des Comités sectionnaires de bienfaisance fut enlevée aux sections en décembre 1793, pour être remise aux Comités de salut public et de sûreté générale. L’organisme populaire de la Révolution était ainsi frappé à sa racine.

Mais c’est surtout dans la concentration des fonctions de police que l’on saisit l’idée du gouvernement jacobin. Nous avons vu (chap. XXIV) l’importance des sections comme organes de la vie de Paris, municipale et révolutionnaire ; nous avons indiqué ce qu’elles faisaient pour l’approvisionnement de la capitale, pour enrôler les volontaires, pour lever, armer et expédier les bataillons, pour fabriquer le salpêtre, organiser le travail, prendre soin des indigents, etc. Mais à côté de ces fonctions, les sections de Paris et les sociétés populaires de province remplissaient aussi des fonctions de police. Cela datait, à Paris, déjà du 14 juillet 1789, lorsqu’il se forma des Comités de districts qui se chargèrent de la police. La loi du 6 septembre 1789 les confirma dans ces fonctions, et en octobre suivant, la municipalité de Paris, encore provisoire à cette époque, se donna sa police secrète sous le nom de Comité des recherches. La municipalité, issue de la Révolution, reprenait ainsi une des plus mauvaises traditions de l’ancien régime.

Après le 10 août, la Législative établit que toute la police de « sûreté générale » passait aux Conseils des départements, des districts et des municipalités, et un Comité de surveillance fut établi, avec des Comités subordonnés à lui, dans chaque section. Bientôt, à mesure que la lutte entre les révolutionnaires et leurs ennemis devenait plus ardue, ces Comités furent débordés par la besogne, et le 21 mars 1793, des Comités révolutionnaires, de douze membres chacun, furent établis dans chaque commune et dans chaque section des communes des grandes villes, divisées, comme Paris, en sections. [5]

De cette façon, les sections, par l’intermédiaire de leurs Comités révolutionnaires, devenaient des bureaux de police. Les fonctions de ces Comités révolutionnaires étaient limitées, il est vrai, à la surveillance des étrangers ; mais bientôt ils eurent des droits aussi larges que ceux des bureaux de police secrète dans les États monarchiques. En même temps on peut voir comment les sections, qui étaient au début des organes de la Révolution populaire, se laissaient absorber par les fonctions policières de leurs Comités, et comment ceux-ci, devenant de moins en moins des organes municipaux, se transformaient en de simples organes subalternes de police, soumis au Comité de sûreté générale [6].

Les Comités de salut public et de sûreté générale les détachaient de plus en plus de la Commune, — leur rivale, qu’ils affaiblissaient de cette façon, — et en les disciplinant à l’obéissance, ils les transformaient en rouages de l’État. Enfin, sous prétexte de réprimer des abus, la Convention en fit des fonctionnaires salariés ; elle soumit en même temps les 44.000 Comités révolutionnaires au Comité de sûreté générale, auquel elle accorda même le droit de les « épurer » et d’en nommer lui-même les membres.

L’État, cherchant à tout centraliser en ses mains, comme la monarchie l’avait essayé au dix-septième siècle, et enlevant successivement aux organes populaires la nomination des juges, l’administration de la bienfaisance (certainement aussi leurs autres fonctions administratives), et les soumettant à sa bureaucratie en matière le police, — c’était la mort des sections et des municipalités révolutionnaires.

En effet, après cela, les sections à Paris et les sociétés populaires en province étaient bien mortes. L’État les avait dévorées. Et leur mort fut la mort de la Révolution. Depuis janvier 1791, la vie publique à Parie était anéantie, dit Michelet. « Les assemblées générales des sections étaient mortes, et tout le pouvoir avait passé à leurs comités révolutionnaires, qui eux-mêmes, n’étant plus élus, mais simples fonctionnaires nommés par l’autorité, n’avaient pas grande vie non plus. »

Lorsqu’il plut au gouvernement d’écraser la Commune de Paris, il put le faire maintenant sans craindre d’être renversé.

C’est ce qu’il fit en mars 1794 (ventôse an II).

 

 

Révolution française: 1789-1793, quand le peuple fut muselé pour le triomphe de la bourgeoisie… 2ème partie: La répartition de la terre

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Idées sur la socialisation de la terre, des industries, des subsistances et du commerce

 

Extrait de “La Grande Révolution 1789-1793”

 

Pierre Kropotkine

1909

 

1ère partie

2ème partie

3ème partie

 

Chapitre LIX

 

La pensée dominante du mouvement communiste de 1793 fut, que la terre doit être considérée comme un patrimoine commun de toute la nation, que chaque habitant a droit à la terre, et que l’existence doit être garantie à chacun, de façon que personne ne puisse être forcé de vendre son travail, sous la menace de la faim.

L’« égalité de fait », dont on avait beaucoup parlé dans le courant du dix-huitième siècle, se traduisait maintenant par l’affirmation d’un droit égal de tous à la terre ; et l’immense mobilisation des terres qui se faisait par la vente des biens nationaux réveillait l’espoir de pouvoir mettre cette idée en pratique.

Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, où les grandes industries commençaient seulement à se former, la terre était l’instrument principal d’exploitation. Par la terre, le seigneur tenait les paysans, et l’impossibilité d’avoir son lopin de terre forçait le paysan indigent à émigrer en ville, où il était livré, sans défense, au fabricant industriel et à l’agioteur.

Dans ces conditions, nécessairement, la pensée des communistes se portait vers ce que l’on désigna sous le nom de « loi agraire », c’est-à-dire vers la limitation des propriétés terriennes à un certain maximum d’étendue et à la reconnaissance du droit de chacun à la terre. L’accaparement des terres, qui se faisait alors par les spéculateurs pendant la vente des biens nationaux, ne pouvait que renforcer cette idée. Et, tandis que les uns demandaient que chaque citoyen qui voudrait cultiver la terre ait le droit de recevoir sa part des biens nationaux ou, du moins, d’en acheter une part à des conditions faciles de paiement, — d’autres, qui voyaient plus loin, demandaient que la terre fût rendue propriété communale, et que chacun ne fût nanti que d’un droit temporaire de possession du sol qu’il cultiverait lui-même, et tant qu’il le cultiverait.

Ainsi, Babeuf, évitant peut-être de trop se compromettre, demandait le partage égal des terres communales. Mais lui aussi voulait « l’inaliénabilité » des terres, ce qui voulait dire le maintien des droits de la société, de la commune, ou de la nation, sur le sol — la possession foncière, et non la propriété.

D’autre part, à la Convention, lors de la discussion de la loi sur le partage des terres communales, Julien Souhait combattit le partage définitif, proposé par le Comité d’agriculture, et il eut certainement avec lui les millions de paysans pauvres. Il demanda que le partage des biens communaux — à parts égales, entre tous — fût seulement temporaire, et qu’il pût être refait à certaines époques. L’usufruit seul eût été concédé en ce cas, comme dans la commune russe.

Dans le même ordre d’idées, Dolivier, le curé de Mauchamp, établissait, dans son Essai sur la justice primitive, « deux principes immuables : le premier, que la terre est à tous en général et n’est à personne en particulier ; le second, que chacun a un droit exclusif au produit de son travail ». Mais, comme la question de la terre dominait les autres à cette époque, il s’y attacha de préférence.

« La terre, disait-il, prise en général, doit être considérée comme le grand communal de la nature », — la propriété commune de tous ; « chaque individu doit y trouver son droit de partage au grand communal ». « Une génération n’a pas le droit de faire la loi à la génération suivante et de disposer de sa souveraineté ; à combien plus forte raison n’a-t-elle donc pas le droit de disposer de son patrimoine ? » Et plus loin : « Les nations seules et, par sous-division, les communes sont véritablement propriétaires de leur terrain » [1].

Au fond, Dolivier ne reconnaissait de droit, transmissible par héritage, que sur les propriétés mobilières. Quant à la terre, personne ne devait être admis à posséder, du fonds commun, que ce qu’il pouvait cultiver lui-même, avec sa famille, — et cela en possession viagère seulement. Ce qui n’empêcherait pas, bien entendu, la culture communiste par la commune, à côté des fermes cultivées séparément. Mais, connaissant bien le village, Dolivier détestait les fermiers, autant que les propriétaires. Il demandait « l’entière dissolution des corps de ferme », « l’extrême division de la terre entre tous les citoyens qui n’en ont point, ou qui n’en ont pas suffisamment. Voilà l’unique mesure adéquate qui ranimerait nos campagnes et porterait l’aisance dans toutes les familles qui gémissent dans la misère, faute de moyen de faire valoir leur industrie. La terre, ajoutait-il, en serait mieux cultivée, les ressources domestiques plus multipliées, les marchés, par conséquent, plus abondamment pourvus, et l’on se trouverait débarrassé de la plus détestable aristocratie, celle des fermiers. » Il prévoyait qu’on arriverait ainsi à une si grande richesse agricole, que l’on n’aurait jamais plus besoin de la loi sur les subsistances, « nécessaire dans les circonstances actuelles, mais qui n’en est pas moins un inconvénient ».

La socialisation des industries trouva aussi des défenseurs, surtout dans la région lyonnaise. On y demanda que les salaires fussent réglés par la commune, et que le salaire fût tel qu’il garantît l’existence. C’est le living wage des socialistes modernes anglais. En outre, on y demandait la nationalisation de certaines industries, telles que les mines. Et l’idée fut aussi lancée que les communes devraient saisir les industries désertées par les contre-révolutionnaires et les exploiter pour leur compte. En général, cette idée, de la commune se faisant productrice, fut très populaire en 1793. La mise en culture maraîchère communale des immenses terrains incultes dans les parcs des riches fut une idée très populaire à Paris, et Chaumette s’en fit l’apôtre.

Il est évident que l’industrie intéressa, à cette époque, bien moins que l’agriculture. Cependant le négociant Cusset, que Lyon avait élu membre de la Convention, parla déjà de la nationalisation des industries, et L’Ange développa un projet de phalanstère où l’industrie s’unirait à l’agriculture. Depuis 1790, L’Ange avait fait à Lyon une sérieuse propagande communiste. Ainsi, dans une brochure, datée de 1790, il développait les idées suivantes : « La Révolution, disait-il, allait être salutaire : un renversement des idées l’a pestiférée ; par le plus affreux des abus des richesses, on a métamorphosé le souverain » (le peuple). « L’or… n’est utile et salutaire qu’entre nos mains laborieuses ; il devient virulent quand il s’accumule dans les coffres des capitalistes… Partout, Sire, où Votre Majesté portera ses regards, elle ne verra que la terre occupée que par nous ; c’est nous qui travaillons, qui sommes les premiers possesseurs, les premiers et les derniers occupants effectifs. Les fainéants qui se disent propriétaires ne peuvent que recueillir l’excédent de notre subsistance. Cela prouve du moins notre co-propriété. Mais si, naturellement, nous sommes co-propriétaires et l’unique cause de tout revenu, le droit de borner notre subsistance et de nous priver du surplus est un droit de brigand. » [2] Ce qui représente, à mon avis, une façon très juste de concevoir la « plus-value ». Et, raisonnant toujours sur les faits réels — sur la crise des subsistances, traversée par la France — il arrivait à proposer un système d’abonnement des consommateurs pour acheter à des conditions déterminées l’ensemble de la récolte, — le tout, au moyen de l’association libre, s’universalisant librement. Il voulait, en outre, le magasin commun, où tous les cultivateurs pourraient porter leurs produits pour être vendus. C’était, on le voit, un système qui niait, dans le commerce des denrées, le monopole individualiste, et le régime étatiste de la Révolution ; il anticipait le système moderne des fruitières coopératives, associées pour écouler ensemble les produits de toute une province, comme on le voit au Canada, ou de toute une nation, comme c’est le cas au Danemark.

En général, c’est surtout le problème des subsistances qui passionna les communistes de 1793 et les amena à imposer à la Convention le maximum et à énoncer ce grand principe : la socialisation des échanges, la municipalisation du commerce.

En effet, la question du commerce des grains domina partout. « La liberté du commerce des grains est incompatible avec l’existence de notre République », disaient les électeurs de Seine-et-Oise, en novembre 1792, à la Convention. Ce commerce se fait par une minorité dans un but d’enrichissement, et cette minorité a toujours intérêt à produire des hausses artificielles des prix, qui font toujours souffrir le consommateur. Tout moyen partiel est dangereux et impuissant, disaient-ils ; ce sont les moyens termes qui nous ruineront. Il faut que le commerce des grains, que tout l’approvisionnement soit fait par la République qui établira « la juste proportion entre le prix du pain et la journée de travail ». La vente des biens nationaux ayant donné lieu à d’abominables spéculations de la part des gens qui affermaient ces biens, les électeurs de Seine-et-Oise demandaient la limitation des fermes et le commerce nationalisé.

« Ordonnez, disaient-ils, que nul ne pourra prendre à ferme plus de 120 arpents, mesure de 22 pieds par perche ; que tout propriétaire ne pourra faire valoir par lui-même qu’un seul corps de ferme, et qu’il sera obligé d’affermer les autres. » Et à cela ils ajoutaient : « Remettez ensuite le soin d’approvisionner chaque partie de la République entre les mains d’une administration centrale, choisie par le peuple, et vous verrez que l’abondance des grains et la juste proportion de leur prix avec celui de la journée de travail rendra la tranquillité, le bonheur et la vie à tous les citoyens. »

Ces idées n’étaient tirées, on le voit, ni de Turgot ni de Necker. La vie même les inspirait.

Ce qui est surtout à noter, c’est que ces idées furent acceptées par les deux comités, d’agriculture et de commerce, et développées dans leur rapport sur les subsistances présenté à la Convention [3], et qu’elles furent appliquées, sur les insistances du peuple, dans quelques départements du Berry et de l’Orléanais. Dans l’Eure-et-Loir, le 3 décembre 1792, on manqua d’assommer les commissaires de la Convention, en leur disant que « les bourgeois avaient assez joui, que c’était le tour des pauvres travailleurs. »

Plus tard des lois pareilles furent violemment exigées de la Convention par Beffroy (de l’Aisne), et la Convention — nous l’avons vu en parlant du maximum — fit une tentative, sur une immense échelle, pour toute la France, de socialiser tout le commerce des objets de première et de seconde nécessité, par le moyen de magasins nationaux, et l’établissement, dans chaque département, des prix « justes » des denrées.

On voit germer ainsi pendant la Révolution cette idée que le commerce est une fonction sociale ; qu’il doit être socialisé, comme la terre elle-même et l’industrie, idée qui sera développée plus tard par Fourier, Robert Owen, Proudhon et les communistes des années quarante.

Il y a davantage. Il est évident pour nous que Jacques Roux, Varlet, Dolivier, L’Ange et des milliers d’habitants des villes et des campagnes, agriculteurs et artisans, comprenaient, au point de vue pratique, infiniment mieux que les représentants à la Convention, le problème des subsistances. Ils comprenaient que la taxation, seule, sans la socialisation du sol, des industries et du commerce, resterait lettre morte, alors même qu’elle serait armée de tout un arsenal de lois répressives et du tribunal révolutionnaire. Le système de vente des biens nationaux adopté par la Constituante, la Législative et la Convention ayant créé ces gros fermiers que Dolivier traitait avec raison de pire aristocratie, la Convention s’en aperçut bien en 1794. Mais alors elle ne sut que les faire arrêter en masse, pour les envoyer à la guillotine. Cependant les lois draconiennes contre l’accaparement (telles que la loi du 26 juillet 1793, qui prescrivait de fouiller les greniers, les caves, les hangars des fermiers), ne faisaient que semer dans les villages la haine contre la ville et surtout contre Paris.

Le tribunal révolutionnaire et la guillotine ne pouvaient pas suppléer à l’absence d’une idée constructive communiste.

Révolution française: 1789-1793, quand le peuple fut muselé pour le triomphe de la bourgeoisie… 1ère partie

Posted in actualité, autogestion, documentaire, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , on 27 décembre 2015 by Résistance 71

La vision anarchiste de la grande révolution française amène à réfléchir sur ce que cette révolution aurait pu être si celle-ci était passée dans les mains du peuple. La révolution française n7eut rien de populaire. Le peuple ne fut qu’un pion, un outil dont se servirent tous les messieurs Jourdain de France pour faire triompher l’argent roi, le commerce monopoliste et l’usure. Le peuple fut écarté très tôt et nous vivons aujourd’hui les soubresauts de l’agonie de la révolution bourgeoise de 1789.

Pierre Kropotkine éclaire ce qui aurait pu (dû) être… Nous pensons que l’ouvrage rédigé par Kropotkine en 1909 sur la « grande révolution 1789-1793 » est une des meilleurs analyses politico-sociales sur la révolution française jamais écrite avec « Les deux révolutions 1789-1792 et 1792-1794 » de Henri Guillemin.
Il est important de se poser une question essentielle en ce qui concerne ce grand épisode de l’histoire de France et du monde: Pourquoi l’histoire officielle escamote t’elle ou du moins diabolise t’elle le passage concernant les « sections communales », ceux que l’ont appelaient « les enragés », les Jacques Roux, Varlet, Sylvain Maréchal, Chalier, Rose Lacombe etc… Pourquoi Marat, « L’ami du peuple »,  fut et est toujours tant diabolisé également par le narratif officiel et l’agent royaliste Charlotte Corday quelque peu idéalisée ?

— Résistance 71 —

 

Le mouvement communiste dans la révolution française

 

Extrait du chapitre LVIII de “La Grande Révolution 1789-1793 ”

 

Pierre Kropotkine

1909

 

1ère partie

2ème partie

3ème partie

 

[..] Cependant, c’est surtout en dehors de la Convention, — dans les milieux populaires, dans quelques sections, comme celle des Gravilliers, et au Club des Cordeliers, — certainement pas chez les Jacobins, — qu’il faut chercher les porte-parole des mouvements communalistes et communistes de 1793 et 1794. Il y eut même une tentative de libre organisation entre ceux que l’on nommait alors les « Enragés », c’est-à-dire ceux qui poussaient à la révolution égalitaire dans un sens social. Après le 10 août 1792, il s’était constitué, apparemment sous l’impulsion des fédérés venus à Paris, une espèce d’union entre les délégués des 48 sections de Paris, du Conseil général de la Commune et des « défenseurs réunis des 84 départements ». Et lorsque, au mois de février 1793, commencèrent à Paris les mouvements contre les agioteurs, dont nous avons déjà parlé (chap. XLIII), des délégués de cette organisation vinrent demander, le 3 février, à la Convention des mesures énergiques contre l’agiotage. Dans leurs discours on voit déjà en germe l’idée qui fut plus tard la base du mutuellisme et de la Banque du Peuple de Proudhon : l’idée que tous les profits qui résultent de l’échange dans les banques, si profit il y a, doivent revenir à la nation entière, — non pas à des particuliers, — puisqu’ils sont un produit de la confiance publique de tous à tous.

On ne connaît pas encore assez tous ces mouvements confus qui se manifestaient dans le peuple de Paris et des grandes villes en 1793 et 1794. On commence seulement à les étudier. Mais ce qui est certain, c’est que le mouvement communiste, représenté par Jacques Roux, Varlet, Dolivet, Chalier, Leclerc, L’Ange (ou Lange), Rose Lacombe, Boissel et quelques autres, avait une profondeur que l’on n’avait pas aperçue tout d’abord, mais que Michelet avait déjà devinée [6].

Il est évident que le communisme de 1793 ne se présente pas avec l’ensemble de doctrine que l’on trouve chez les continuateurs français de Fourier et de Saint-Simon, et surtout chez Considérant ou même chez Vidal. En 1793, les idées communistes ne s’élaboraient pas dans le cabinet d’études ; elles surgissaient des besoins du moment. C’est pourquoi le problème social se présenta pendant la Grande Révolution surtout sous la forme de problèmes de subsistances et de problème de la terre. Mais là aussi c’est ce qui fait la supériorité du communisme de la Grande Révolution sur le socialisme de 1848 et de ses descendants. Il allait droit au but en s’attaquant à la répartition des produits.

Ce communisme nous paraît sans doute fragmentaire, d’autant plus que différentes personnes appuyaient, chacune, sur ses différents aspects ; et il reste toujours ce que nous pourrions appeler un communisme partiel, puisqu’il admet la possession individuelle, à côté de la propriété communale, et que, tout en proclamant le droit de tous sur tous les produits de la production, il reconnaît un droit individuel sur « le superflu », à côté du droit de tous sur les produits « de première et de seconde nécessité ». Cependant les trois aspects principaux du communisme s’y trouvent déjà : le communisme terrien, le communisme industriel, et le communisme dans le commerce et le crédit. Et en cela, la conception de 1793 est plus large que celle de 1848. Car, si différents agitateurs de 1793 appuient de préférence sur un de ces aspects du communisme plutôt que sur un autre, ces aspects ne s’excluent nullement. Au contraire, issus d’une même conception d’égalité, ils se complètent. En même temps, les communistes de 1793 cherchent à arriver à la mise en pratique de leurs idées par l’action des forces locales, sur place et en fait, tout en essayant d’ébaucher l’union directe des 40.000 communes.

Chez Sylvain Maréchal on trouve même une vague aspiration vers ce que nous appelons aujourd’hui le communisme anarchiste, — le tout exprimé évidemment avec beaucoup de réserve, car on risquait de payer de sa tête un langage trop franc.

L’idée d’arriver au communisme par la conspiration, au moyen d’une société secrète qui s’emparerait du pouvoir — idée dont Babeuf se fit l’apôtre — ne prit corps que plus tard, en 1795, lorsque la réaction thermidorienne eût mis fin au mouvement ascendant de la Grande Révolution. C’est un produit de l’épuisement — non pas un effet de la sève montante de 1789 à 1793.

Certainement, il y eut beaucoup de déclamation dans ce que disaient les communistes populaires. C’était un peu la mode à l’époque, à laquelle nos orateurs modernes paient aussi un tribut. Mais tout ce que l’on sait des communistes populaires de la Grande Révolution tend à les représenter comme profondément dévoués à leurs idées.

Jacques Roux avait été prêtre. Extrêmement pauvre, il vivait avec son chien, presque uniquement de ses deux cents livres de rente, dans une sombre maison au centre de Paris [7], et il prêchait le communisme dans les quartiers ouvriers. Très écouté dans la section des Gravilliers, Jacques Roux exerça aussi une grande influence dans le club des Cordeliers, jusqu’à la fin de juin 1793, lorsque cette influence fut brisée par l’intervention de Robespierre. Quant à Chalier, nous avons déjà vu l’ascendant qu’il exerçait à Lyon, et l’on sait par Michelet que ce communiste mystique était un homme remarquable, — plus encore « ami du peuple » que Marat, — adoré de ses disciples. Après sa mort, son ami Leclerc vint à Paris et y continua la propagande communiste, avec Roux, Varlet, jeune ouvrier parisien, et Rose Lacombe, le pivot des femmes révolutionnaires. Sur Varlet on ne sait presque rien, sauf qu’il était populaire parmi les pauvres de Paris. Son pamphlet, Déclaration solennelle des droits de l’homme dans l’état social, publié en 1793, était très modéré [8]. Mais il ne faut pas oublier qu’avec le décret du 10 mars 1793 suspendu sur leurs têtes, les révolutionnaires avancés n’osaient pas publier tout ce qu’ils pensaient.

Les communistes eurent aussi leurs théoriciens, tels que Boissel, qui publia son Catéchisme du genre humain aux débuts de la Révolution et une seconde édition de cet ouvrage en 1791 ; l’auteur anonyme d’un ouvrage publié aussi en 1791 et intitulé De la propriété, ou la cause du pauvre plaidée au tribunal de la Raison, de la Justice et de la Vérité ; et Pierre Dolivier, curé de Mauchamp, dont l’ouvrage remarquable, Essai sur la justice primitive, pour servir de principe générateur au seul ordre social qui peut assurer à l’homme tous ses droits et tous ses moyens de bonheur fut publié fin juillet 1793 par les citoyens de la commune d’Auvers, district d’Étampes [9]. Il y eut aussi l’Ange, ou Lange, qui fut, comme l’avait déjà fait remarquer Michelet, un vrai précurseur de Fourier. Enfin Babeuf se trouvait en 1793 à Paris. Employé aux subsistances, sous la protection de Sylvain Maréchal, il y faisait en secret de la propagande communiste. Forcé de se cacher, parce qu’il était poursuivi pour un prétendu crime de faux — faussement poursuivi par les bourgeois, comme l’a démontré G. Deville qui a retrouvé les pièces du procès [10] — il se tenait alors dans une réserve très prudente [11].

On a rattaché, par la suite, le communisme à la conspiration de Babeuf. Mais Babeuf, à en juger par ses écrits, ne fut que l’opportuniste du communisme de 1793. Ses conceptions, comme les moyens d’action qu’il préconisait, en rapetissait l’idée. Alors que beaucoup d’esprits comprenaient à cette époque qu’un mouvement vers le communisme serait le seul moyen d’assurer les conquêtes de la démocratie, Babeuf cherchait, comme l’a très bien dit un de ses apologistes modernes, à glisser le communisme dans la démocratie. Alors qu’il devenait évident que la démocratie perdrait ses conquêtes si le peuple n’entrait en lisse, Babeuf voulait la démocratie d’abord, pour y introduire peu à peu le communisme [12]. En général, sa conception du communisme était si étroite, si factice, qu’il croyait y arriver par l’action de quelques individus qui s’empareraient du gouvernement à l’aide d’une société secrète. Il allait même jusqu’à mettre sa foi dans un individu, pourvu qu’il eût la volonté forte d’introduire le communisme et de sauver le monde ! Illusion funeste qui continua à être nourrie par certains socialistes pendant tout le dix-neuvième siècle, et nous donna le césarisme, — la foi en Napoléon ou en Disraéli, la foi dans un sauveur, qui persiste jusqu’à nos jours.