« Sans la nature hiérarchique, hégémonique de l’État, qui monopolise l’usage de la force, l’économie, l’idéologie officielle, l’information et la culture ; sans les appareils de sécurité omniprésents qui pénètrent tous les aspects de la vie sociale, des médias à la chambre à coucher ; sans la main mise disciplinaire de l’État en tant que “dieu sur terre”, aucun système d’exploitation et de violence ne pourrait survivre. »
~ Dilar Dirik ~
A lire: « Le Confédéralisme Démocratique » (Abdullah Öcalan)
Patriarcat, fascisme et capitalisme (extrait)
Dilar Dirik
Avril 2017
Source: https://robertgraham.wordpress.com/2017/05/06/dilar-dirik-patriarchy-fascism-and-capitalism/
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Un produit de la modernité capitaliste
Il y a eu bien des tentatives pour expliquer le phénomène de l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant devenu “Etat Islamique”) et son attirance pour des milliers de jeunes gens, spécifiquement considérant la brutalité extrême des méthodes de l’organisation. Beaucoup en vinrent à la conclusion que ceux qui vivent sous l’EIIL servent souvent le groupe par peur ou à cause de généreuses récompenses d’ordre économique. Mais clairement, il y a des milliers de personnes venant du monde entier qui rejoignent volontairement ce groupe ignoble non pas malgré le fait, mais à cause de sa capacité de commettre des actes malveillants les plus atroces et impensables. Il semble que ce ne soit pas la religion, mais un sens cruel et sans pitié du pouvoir et ce même en risquant la mort, irradiant de l’EIIL qui attire des gens du monde entier à rejoindre ce groupe extrémiste.
Les théories à simple facteur échoue généralement à envisager le contexte politique régional et international, économique et social qui permet à une doctrine anti-vie comme celle colportée par l’EIIL d’émerger Nous devons reconnaître cet appel de l’EIIL aux jeunes hommes, privés de la chance d’être des êtres humains décents, adéquats, sans justifier l’agenda génocidaire et violeur fou à lier du groupe, ni de retirer quelque responsabilité que ce soit aux individus qui commettent ces crimes contre l’humanité. Il est crucial de contextualiser le sens de la gratification instantannée sous la forme d’un pouvoir autoritaire, d’argent et de sexe qu’offre l’EIIL dans une société cancérisée par le capitalisme patriarcal, qui rend la vie désespérée, vide et sans objectif.
Faire de la réponse à l’appel de l’EIIL un cas pathologique sur fond de soi-disant “guerre au terrorisme”, au lieu de la situer dans le contexte d’institutions de pouvoir bien plus larges et d’une violence qui, de manière inter-reliée, génèrent des systèmes autoritaires entiers, ne nous permettra pas de commencer à comprendre ce qui conduit “de braves garçons” d’Allemagne (ou d’ailleurs) à voyager vers le Moyen-Orient afin d’y devenir des bouchers. Et pourtant, l’EIIL est la seule manifestation extrême d’une telle tendance apocalyptique globale. Avec le glissement récent vers des politiques extrémistes de droite autoritaire dans le monde, un mot, considéré à un moment comme ne faisant plus partie du lexique de la société humaine, a refait son apparition dans nos vie quotidienne et notre lexique politique: le fascisme.
Il y a clairement une grande différence entre les contextes, les caractéristiques et les méthodes des mouvements fascistes variés ; mais lorsqu’on en vient à l’organisation hiérarchique, le processus de pensée autoritaire, le sexisme extrême, la terminologie populiste et les modes de recrutement intelligents, capitalisant sur des besoins perçus, des peurs ou des désirs parmi des groupes sociaux vulnérables, l’EIIL en bien des cas se fait le miroir de ses contre-parties internationales.
Peut-être peut-on penser au fascisme comme un spectre, dans lequel des états établis au sommet du système capitaliste mondial ont les moyens de reproduire leur autorité au travers de certaines institutions politiques, de politiques économiques, de commerce des armes, d’une hégémonie culturelle et médiatique, tandis que d’autres, en réaction, se reposent sur des formes plus “primitives” de fascisme, comme par exemple une violence extrémiste en appararence gratuite. Il y a de clairs parallèles sur le comment les fascistes partout, se reposent sur un régime de paranoïa généralisée, de manque de confiance et de peur afin de renforcer la poigne de fer de l’État. Ceux qui défient leurs ennemis sont étiquetés “terroristes” ou “ennemis de dieu” et alors toute action permettant de les détruire devient légitime.
Le fascisme repose fortement sur l’incapacité quasi totale de prise de décision de la communauté au sens large. Il est nourri par un climat dans lequel la communauté est incapacitée à pouvoir agir directement, à exprimer une forme de créativité et à développer ses propres alternatives. Toute forme de solidarité et de loyauté dirigée envers quoi que ce soit ou qui que ce soit autre que l’État doit être systématiquement éradiquée, de façon à ce que le citoyen / membre isolé et individualisé à l’extrême, soit totalement dépendant de l’État et de ses politiques institutionnalisées ainsi que des systèmes de connaissance inhérents.
C’est pourquoi ce qui constitue un des piliers les plus importants du fascisme est le capitalisme (NdT: dans sa forme privée ou sa forme de capitalisme d’état prenant alors une forme “brune” ou “rouge” selon l’idéologie totalitaire étatique employée…), en tant que système économique, idéologique et forme d’interaction sociale. Dans le système de valeur de la modernité capitaliste, les relations humaines ont besoin d’être réduites à de simples interactions économiques, calculables, mesurables par l’intérêt et le profit. Il est facile de déceler la capacité du capitalisme à disposer de la vie au nom d’intérêts plus larges comme se situant en parallèle du gâchis de vies humaines généré par l’EIIL au nom de son pseudo-califat du viol, du pillage et de l’assassinat de masse.
La plus vieille colonie d’entre toutes
Plus critiquemet peut-être, le fascisme n’aurait pas pu émerger sans la mise en esclavage de la plus vieille colonie d’entre toutes: les femmes. De tous les groupes opprimés et brutalisés, les femmes ont été soumises aux plus anciennes formes de violence institutionnalisée. Voir les femmes comme butin de guerre, comme outils au service des hommes, comme objets sexuels et de gratification associée et le site pour l’assertion du pouvoir ultime, persiste dans chaque manifeste fasciste. L’émergence de l’État, avec la fétichisation de la propriété privée, furent mis en place par dessus tout par la soumission des femmes.
De fait, il est impossible d’affirmer le contrôle sur des populations entières ou de créer des divisions sociales profondes sans opprimer et marginaliser les femmes, dont la promotion est faite dans l’écriture narrative historique à dominance mâle, une théorie de la production, et une administration politico-économique. L’État est modelé sur la famille patriarcale et vice versa. Toutes les formes de domination sociale sont à un moment donné, des répliques de la forme d’esclavage la plus intime, compréhensive, directe et nuisible, qui est la subjugation sexuelle des femmes dans toutes les sphères de la vie sociale.
Des structures et des institutions de la violence et de la hiérarchie différentes, comme le capitalisme et le patriarcat, ont des caractéristiques distinctes, mais le fascisme constitue la collaboration concentrée, inter-reliée et systématisée entre elles. C’est là que le fascisme et le capitalisme, alliés au mode le plus ancien de domination humaine, le patriarcat,, trouvent leurs expressions les plus monopolistes et systémiques au sein de l’état-nation moderne.
Des régimes préalables au cours de l’histoire ont eu des caractéristiques despotiques, mais se sont toujours fondés sur des codes moraux, des théologies religieuses, divines ou des institutions spirituelles, vues et perçues comme légitimes par la population. C’est une particularité de la modernité capitaliste que d’abandonner toutes prétentions et affirmations de moralité en relation de la loi et de l’ordre et d’exposer ses systèmes obscènement destructeurs juste pour la justification de l’État par et pour lui-même.
Sans la nature hiérarchique, hégémonique de l’État, qui monopolise l’usage de la force, l’économie, l’idéologie officielle, l’information et la culture ; sans les appareils de sécurité omniprésents qui pénètrent tous les aspects de la vie sociale, des médias à la chambre à coucher ; sans la main mise disciplinaire de l’État en tant que “dieu sur terre”, aucun système d’exploitation et de violence ne pourrait survivre. L’Etat Islamique est un produit direct des deux: des anciens modèles de hiérarchie et de violence, aussi bien que de la modernité capitaliste ayant son état d’esprit particulier, son économie et sa culture. Comprendre l’EIIL et d’une manière plus générale, le fascisme, veut dire comprendre la relation entre le patriarcat, le capitalisme et l’État.