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De l’origine de l’État, entretiens avec Pierre Clastres 1967, 1975, 1976 sur France Culture

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, démocratie participative, gilets jaunes, militantisme alternatif, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 11 juillet 2019 by Résistance 71

“Le marxisme en tant que théorie générale de la société et aussi de l’histoire, est obligé de postuler la misère de l’économie primitive, c’est à dire le très faible rendement de l’activité de production. Pourquoi ? Parce que la théorie marxiste de l’histoire (et il s’agit ici de la théorie même de Karl Marx) découvre la loi du mouvement historique et du changement social dans la tendance irrépressible des forces productives à se développer. […]
C’est pourquoi le marxisme comme théorie de l’histoire fondée sur la tendance des forces productives au développement, doit se donner, comme point d’appui, une sorte de degré zéro des forces productives: c’est exactement l’économie primitive, pensée dès lors comme économie de la misère, comme économie qui, voulant s’arracher à la misère, tendra à développer ses forces productives. […]
La société primitive pose à la théorie marxiste une question cruciale: si l’économique n’y constitue pas l’infrastructure au travers de quoi devient transparent l’être social, si les forces productives, ne tendent pas à se développer, ne fonctionnent pas comme déterminant du changement social, quel est alors le moteur qui met en marche le mouvement de l’Histoire ?…”
~ Pierre Clastres, “Recherches d’anthropologie politique”, 1977 ~

Clastres est essentiel pour comprendre que les sociétés humaines primordiales dont certaines se sont perpétuées, même si elles ont aussi évolué, jusqu’à nos jours, ne sont pas des sociétés en “voie de maturation politique, en voie de développement vers l’instance supérieure de l’organisation humaine que serait l’État”, mais des sociétés politiquement achevées, qui refusent leur déstructuration en entités séparées de ceux qui dirigent et ceux qui obéissent. En cela, il est tout aussi important de noter que l’Etat n’est pas inéluctable et encore moins ce qui serait arrivé de mieux à l’organisation sociale humaine. Il est au mieux une erreur de parcours contre-nature nécessaire à notre émancipation finale, au pire un outil dans la panoplie d’un vaste complot oligarchique n’existant que par la nécessité de la survie d’une classe minoritaire dominante autrement vouée à l’extinction.

Quoi qu’il en soit, Clastres et avec lui les Lizot, Jaulin, Sahlins, Scott, Graeber nous montrent que la voie de compréhension anthropologique du milieu, passant entre le structuralisme évolutionniste et le marxisme, est la voie permettant d’entrevoir le chemin de l’émancipation vers notre humanité enfin achevée. Ce que nous vivons depuis des siècles et qui est en train de se terminer dans un grand chaos organisé, n’est que la prime enfance de l’humanité, ce n’est que débarrassée de l’État et du capitalisme qu’elle maturera pour faire ses premiers pas libres. Il faut simplement constater que l’humanité de 2019 n’a pas encore appris à marcher, elle se tient à peine debout et vacille toujours. Le processus de maturation est toujours en cours.

Pensez-y, vous qui vous croyez si grands, si responsables et si en contrôle de vos vies…

~ Résistance 71 ~

 

 

Sur l’origine de l’État

Transcription d’extraits de conversations avec Pierre Clastres, compilées de France Culture et de son émission “Voix singulières”, collection “Terre humaine”.

55 minutes compilées d’entretiens avec Clastres en 1967, 1975 et 1976.

Nous encourageons les lecteurs bien entendu, à écouter l’ensemble de la bande audio, c’est particulièrement intéressant…

Le MP3:

Extraits transcrits par Résistance 71

Juillet 2019

Note: la première partie comporte un exposé de Clastres sur l’anthropologie et comment il est devenu ethnologue / anthropologue.

Entre 16:35 et 17:15:

“ […] La chefferie dans ces sociétés apparaît comme la rupture de l’échange, alors que l’échange c’est l’essence même de la société. Ainsi il apparaîtrait que la sphère du pouvoir soit la négation de l’échange, en l’instance, le pouvoir apparaîtrait comme la négation de la société.”

Entre 37:35 et 43:25 :

“ […] La pensée marxiste, en tout cas celle d’Engels, veut situer l’origine de l’État, c’est à dire la relation de domination, c’est à dire l’aliénation politique ; elle veut en découvrir l’origine dans l’aliénation économique, c’est à dire dans l’existence antérieure des classes sociales. Le schéma d’Engels est celui-ci:
Il y a au départ société primitive, société non divisée, disons égalitaire, sans riches, sans pauvres, puis par une opération quelque peu mystérieuse, cette société se divise et à un moment donné elle devient complètement divisée et il y a des classes. Il y a des riches et il y a des pauvres, des exploiteurs et des exploités et à ce moment là, la classe des riches, pour consolider son pouvoir sur les autres, invente quelque chose qui est la machine d’état. Il y a, chez Engels en tout cas, une conception instrumentale de l’état. L’État, c’est l’instrument de la classe dominante sur la classe dominée…
A partir de l’ethnologie, à partir de la recherche sur les sociétés primitives, c’est à dire des sociétés sans état, ce ne sont pas les classes qui déterminent l’apparition de l’État, mais à partir du moment où il y a une relation de commandement par rapport à l’obéissance, c’est à partir de ce moment là que ceux qui détiennent le pouvoir peuvent inventer le travail aliéné, car il est bien évident qu’un pouvoir qui ne s’exerce pas, n’est pas un pouvoir. Le pouvoir n’existe que tant qu’il s’exerce. Par conséquent, que vont faire ceux qui détiennent le pouvoir : ils vont démontrer qu’ils le détiennent. Comment font-ils pour le démontrer ? C’est l’obligation de payer le tribut. Cela signifie que les gens qui obéissent vont consacrer une partie de leur temps non plus à travailler pour eux-mêmes, leurs familles comme dans les sociétés primitives, mais ils vont consacrer une partie de leur temps à leur maître à qui ils doivent le tribut. La forme moderne du tribut, entre autre, car il n’y a pas que ça, c’est l’obligation de payer l’impôt.
On a vu que dans le cas des sociétés primitives, le chef se trouve dans une obligation de dette par rapport à la société. Ainsi, le pouvoir n’est pas du côté du chef, mais du côté de la société. Le pouvoir est totalement rabattu sur le corps entier de la société. On peut donc dire que la société primitive exerce le pouvoir sur le chef et voire même contre le chef.
Dans les sociétés à état, il y a eu rencontre entre le chef et le pouvoir et c’est lui qui établit une relation de dette avec la société, une société qui est endettée par rapport au détenteur du pouvoir.
Dans la société primitive, il n’y a pas de raisons pour que se développent ce qu’on appelle les “forces productives”. Normalement, l’économie y est à peu près inerte. Y a pas de progrès ou très peu.
Lorsqu’on pense à l’origine de l’État, si la voie économique se trouve fermée, si c’est une impasse, alors il faut la chercher ailleurs ; c’est dans le champ politique que l’on voit enracinée la question de l’État. La division de la société en classes sociales opposées c’est une conséquence politique, c’est à dire une conséquence de l’émergence de l’État. C’est l’État qui détermine l’apparition des classes et non pas le contraire comme le dit la théorie marxiste avec laquelle je suis en total désaccord, puisque je pense exactement le contraire. […] “

La dernière partie des entretiens est un exposé sur la société des Indiens amazoniens où Pierre Clastres reprend et explique son chapitre “L’arc et le panier” de “La société contre l’état” (1974).

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Lectures complémentaires:

Manifeste pour la Société des Sociétés

L’anarchisme-africain-histoire-dun-mouvement-par-sam-mbah-et-ie-igariwey

40ans_Hommage_Pierre_Clastres

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Pierre_Clastres_Echange-et-pouvoir-philosophie-de-la-chefferie-indienne

Pierre_Clastres_De l’ethnocide