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Guerre impérialiste en Syrie: Merdias, pressetituée, mensonges et omissions

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Les médias font l’impasse sur les révélations sur la guerre en Syrie (The Antimedia)

 

Darius Shahtahmasebi

 

3 mars 2017

 

url de l’article en français:

https://www.legrandsoir.info/les-medias-font-l-impasse-sur-les-revelations-sur-la-guerre-en-syrie-the-antimedia.html

 

Quand un magicien vous montre un tour de magie avec sa main droite, il faut toujours observer ce que fait la main gauche. Lors d’un conflit armé, il faut toujours se méfier d’un gouvernement qui bat les tambours de la guerre contre un autre gouvernement ou entité. Posez-vous la question : Pourquoi maintenant, pourquoi cette entité là, et pour quels enjeux ?

Un bon exemple est l’Afrique. Depuis 1998, près de 6 millions de personnes ont été tuées en République Démocratique du Congo en raison de la lutte pour le contrôle des ressources minérales, dont beaucoup sont utilisées dans les téléphones cellulaires à travers le monde. Les grands médias n’en parlent pratiquement pas. En revanche, on nous a dit que la Libye, le pays dont le niveau de vie était le plus élevé de toute l’Afrique, devait être bombardée dans le cadre d’une « intervention humanitaire » pour empêcher un massacre qui allait peut-être, ou peut-être pas, se produire. Bien qu’il y ait des différences de nature évidentes entre ces deux conflits, le fait est que le gouvernement des États-Unis et les médias ont priorisé l’un sur l’autre en fonction de préoccupations géopolitiques.

Par exemple, les courriels de Hillary Clinton confirment que la Libye a été détruite en 2011 non pas par un élan humanitaire, mais en partie parce que l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait l’intention de lier l’approvisionnement en pétrole de la Libye avec ses réserves d’or et de créer une monnaie africaine unifiée, ce qui aurait remis en cause la structure de pouvoir actuelle des marchés financiers.

On peut en dire autant de la Syrie. Comme l’indique AlterNet, les médias ont ignoré un certain nombre de documents gouvernementaux américains et des audios concernant le conflit syrien qui ont été divulgués. Ian Sinclair écrit :

« En discutant des rapports occidentaux sur la guerre en Syrie, le correspondant vétéran du Moyen-Orient, Patrick Cockburn, a récemment noté [texte en français- NdT] que « dans le cas syrien, les nouvelles fabriquées et les reportages unilatéraux ont dominé les informations à un degré probablement jamais vu depuis la Première Guerre mondiale ». Le Professeur Piers Robinson, maître de conférences en politique, société et journalisme politique à l’Université de Sheffield est acquiesce : « Nous devons désormais sérieusement envisager la possibilité que la guerre en Syrie ait connu des niveaux de manipulation et de propagande semblables, sinon plus élevés, que ceux qui se sont produits lors de la Guerre en Irak en 2003. » »

Un bon exemple de fuite qui aurait dû faire la Une de tous les journaux à travers le monde (mais ne l’a pas fait) est l’enregistrement audio de l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry lors d’une réunion avec les groupes d’opposition syriens, en Septembre de l’année dernière. Kerry a admis à ces groupes que les États-Unis savaient que Daesh gagnait du terrain en Syrie, et les États-Unis, à leur tour, espéraient que cela amènerait le président syrien Bashar al-Assad à la table de négociations. Pourtant, en 2014, l’administration Obama avait dit que les États-Unis mèneraient des opérations en Syrie avec l’intention expresse de « faire reculer et de détruire » Daesh – et non pas d’utiliser les groupes terroristes contre le dirigeant du pays qu’ils ont longtemps cherché à renverser.

Néanmoins, selon Kerry, leurs plans concernant Daesh et le gouvernement syrien ont été déjoués par la Russie qui est intervenue ouvertement dans le conflit syrien en 2015 pour soutenir Assad.

En 2012, un rapport de l’agence de renseignement de la Défense US a prédit la montée de Daesh, chose activement encouragée par l’establishment américain. Le rapport indique :

« Si la situation évolue, il existe la possibilité d’établir une principauté salafiste déclarée ou non déclarée dans l’est de la Syrie … et c’est exactement ce que cherchent les puissances qui soutiennent l’opposition, afin d’isoler le régime syrien »

En octobre 2012, le New York Times a rapporté que :

« Selon des responsables américains et des diplomates du Moyen-Orient, l’essentiel des armes expédiées à la demande de l’Arabie saoudite et du Qatar pour approvisionner les groupes rebelles syriens qui combattent le gouvernement de Bashar al-Assad atterrissent entre les mains de la ligne dure jihadiste islamiste … »

Encore une fois, les courriels de Hillary Clinton montrent qu’elle savait parfaitement que ces fournitures d’armes bénéficiaient directement à Daesh. Dans un document de l’ancien secrétaire d’Etat, on lit ceci :

« Nous devons utiliser nos moyens diplomatiques et plus traditionnels de renseignement pour faire pression sur les gouvernements du Qatar et de l’Arabie saoudite, qui fournissent un soutien financier et logistique clandestin à Daesh et à d’autres groupes sunnites radicaux de la région ».

Selon le général quatre étoiles Wesley Clark, ancien commandant de l’OTAN, il a officieusement reçu un mémo qui détaille un plan que le Pentagone a adopté peu de temps après le 11 septembre pour renverser les gouvernements de sept pays, dont la Syrie.

Selon d’autres documents publiés par Wikileaks, l’ establishment américain voulait provoquer Assad à réagir de manière exagérée devant la menace d’extrémistes traversant la frontière en Syrie, semblable à ce qui a été fait à la Russie en Afghanistan dans les années 1980. Un rapport divulgué par Wikileaks en décembre 2006, rédigé par William Roebuck, chargé d’affaires à l’ambassade des États-Unis à Damas à l’époque, dit ceci :

« Nous pensons que les faiblesses de Bashar résident dans la façon dont il choisit de réagir face à des enjeux, perçus ou réels, tels que le conflit entre les mesures de réforme économique (aussi limités soient-ils) et les forces corrompues ; la question kurde et la menace potentielle pour le régime de la présence croissante d’extrémistes islamistes. Ce rapport résume notre évaluation de ces vulnérabilités et suggère qu’il peut y avoir des actions, des déclarations et des signaux que le Gouvernement des États-Unis pourrait envoyer, ce qui augmenterait la probabilité que de telles opportunités se présentent. »

Il est également intéressant de noter qu’un rapport secret des services de renseignements a révélé qu’en 1983, les États-Unis ont exhorté Saddam Hussein à entrer en guerre avec Hafez al-Assad, le père d’Assad, pour un simple litige autour d’un oléoduc.

De toute évidence, si les médias traditionnels avaient réellement la volonté de rapporter la vérité sur le conflit syrien, ils présenteraient ces faits plus souvent, au lieu de nous asséner le récit simplifié de « Assad + Russie = mauvais ; Rebelles syriens = bons » qu’ils nous servent depuis 2011.

Cependant, ce n’est que grâce aux médias alternatifs et aux fuites que certains secteurs du public sont au courant de ces éléments, car les médias indépendants ont tendance à les mettre en avant au lieu de simplement les mentionner en passant.

Darius Shahtahmasebi

Traduction « Décodex mon c… » par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

Média, mensonge et propagande: Les rouages du système médiatique… Entretien avec Michel Collon ~ 1ère partie ~

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L’information est trop importante pour la laisser aux seuls journalistes

 

Entretien avec Michel Collon

 

9 mars 2016

 

url de l’article:

http://www.michelcollon.info/L-information-est-trop-importante.html?lang=fr

 

2 ème partie

 

Pour nombre de nos collègues, Michel Collon, c’est l’horreur : hors de la bien-pensance médiatique, décryptant la manipulation de l’information organisée dans leurs journaux, télévisions ou radios pour égarer les citoyens, soulevant les lièvres sur la propagande de guerre, l’économie mondiale, les rapports de domination… Alors, c’est l’omerta.

Ce qu’il dit pourtant, notamment sur sa plateforme Investig’Action (1), est d’une pertinence redoutable. 

Ouvrier en usine à Liège, en Belgique, dans les années 1970, Michel Collon fait ses premières armes de journaliste en couvrant les grèves et luttes sociales pour Solidaire, hebdomadaire du Parti du travail de Belgique. En 1990, sa rédaction lui demande d’écrire sur la première guerre du Golfe. 

« Je ne connaissais rien au Moyen-Orient, ne parlais pas l’arabe, n’avais jamais été en Irak. J’ai donc essayé de me documenter. » 

Il lit Le Monde, regarde TF1, Antenne 2 (ex-France 2) et leurs équivalents belges, Le Soir, la RTBF et RTL. Puis il téléphone, envoie des fax à des experts du Moyen-Orient. Et là, surprise : 

« Les faits qu’on me présentait ici étaient complètement différents de ceux que j’entendais de là-bas. Je parle des faits, et non des opinions. Chacun a son opinion, mais les faits sont noirs ou blancs. » 

À la fin de la guerre, en 1991, il s’entoure d’une dizaine de personnes mobilisées, « dont un certain Majed Nehmé », et procède à ce qu’il appelle un « test-médias ». 

Tous les articles du Monde et du Soir de cette période sont passés par une grille de lecture : nombre de lignes, temps employé (présent ou conditionnel) et aspects de censure.

Et que vous montrait ce test-médias ?

C’était hallucinant : s’étalait devant nous le cortège de tout ce qui est interdit dans les écoles et manuels du journalisme : des informations sans source, non vérifiées, fabriquées, des victimes d’un camp attribuées à l’autre, etc. Avant le lancement des premiers missiles, on a compris qu’une autre guerre avait préparé l’intervention en Irak : celle de l’information. J’ai constaté plus tard les mêmes phénomènes en Yougoslavie et dans d’autres pays. De cela, j’ai tiré un principe : chaque guerre est précédée et accompagnée d’une propagande poussant l’opinion publique à l’approuver, ou en tout cas à ne pas la désapprouver.

Les envoyés spéciaux du Monde et du Soir produisaient exactement les mêmes infos ?

En fait, l’envoyé spécial est généralement utilisé pour valider l’opinion dominante du journal. On appelle cela le « Hilton journalisme » : le rédacteur interroge un barman ou un chauffeur de taxi pour confirmer dans son papier deux ou trois infos qui ont été décidées à Paris ou Bruxelles. Mais, de temps en temps, il arrive que l’un d’eux, spécialement courageux, donne sa propre version des faits. Il voit alors son papier déformé ou retitré par la rédaction centrale. On a des exemples frappants de titres réécrits à Paris ou Bruxelles qui disent exactement le contraire du contenu des articles. Or, sachant que la plupart des gens ne regardent que les titres… Le journaliste américain Peter Arnett a rué dans les brancards lorsqu’il s’est rendu compte qu’il était exploité par sa chaîne. Je l’ai rencontré à Bagdad en 2002 et il était très en colère sur la couverture CNN de l’Irak (2).

Les sources sont-elles toujours accessibles ?

Absolument. Nul besoin d’être Superman ou de se transformer en plombier ou en espion pour accéder à l’info, car les sources sont là, à portée de main. Et elles sont souvent données par les pays eux-mêmes. Aux États-Unis par exemple, tout est écrit noir sur blanc sur les rapports du Congrès, des think tanks, etc. Les États-Unis disent toujours ce qu’ils font, pourquoi ils le font et comment ils le feront mieux la prochaine fois. Au sein de la presse occidentale, il suffit de lire les Américains contredire les Français, lesquels les désavouent à leur tour. Ou encore les Allemands ou les Italiens, jamais bien d’accord avec les guerres qui nuisent à leurs intérêts – en Libye par exemple –, qui n’hésitent pas à balancer des infos, via leurs services secrets, contre les Français, les Britanniques ou les Américains… 

Avec Internet, on trouve très facilement d’autres sources, parfois moins audibles, de l’autre camp par exemple. Dire qu’on n’a pas accès à l’info est donc un prétexte qui ne tient plus.

Mais les journalistes n’ont souvent pas les moyens d’exercer leur métier de façon indépendante et approfondie…

Je ne suis pas d’accord : les journalistes doivent justement aller chercher ce qu’on leur cache. Quand ils disent qu’ils n’ont pas eu l’info, cela veut dire qu’ils n’ont pas su ou voulu la chercher… Qu’on déforme les faits n’est pas nouveau. Lorsque Jules César écrit La Guerre des Gaules, il cache soigneusement ce qui le dérange. On ment aussi à chaque fois qu’on parle de questions économiques et sociales, parce que la politique économique et sociale est une guerre à part entière. On fait croire que des mesures prises défendent tout le monde, alors qu’elles n’avantagent que 1 % de la population.

Que pensez-vous des journalistes qui renoncent à consulter des sources au motif qu’elles pourraient nuire à la ligne de leur journal ?

Je fais une distinction entre médias et journalistes, car les journalistes n’ont pas de pouvoir dans leur média. Cela étant dit, les journalistes se divisent en trois catégories : 5 à 10 % représentent le haut du gratin, vivent très bien, mentent et le savent ; 5 à 10 % travaillent courageusement et difficilement, cherchent à donner la parole aux deux camps, respectent une déontologie. Et le reste : 80 ou 90 % de journalistes qui font leur boulot mais ont aussi une famille à nourrir. Ils ne sont pas forcément malhonnêtes, mais sont placés dans une situation de prolétaires de l’info. On ne leur demande plus d’aller sur le terrain, de faire des enquêtes, de vérifier leur information. Pis : on les en empêche. 

Parce qu’avec la commercialisation de plus en plus forte des médias, jouer Tintin n’est pas rentable : il faut vendre de la pub. Rappelez-vous la fameuse citation de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » Le journaliste est juste bon à recopier les dépêches des gouvernements, administrations, entreprises, lobbys, armée. Lorsqu’il arrive au bureau, les informations qu’il doit transmettre sont déjà sur sa table. Il transforme une matière première – la dépêche, le communiqué – en un produit fini – une brève, un papier – qui permet d’engranger de la pub. Il est devenu un prolétaire non seulement mal payé, mais sciemment précarisé. La raison est toute simple : il doit impérativement rester dépendant de son média. 

Pas mal de journalistes prétendent que je les critique. C’est un réflexe purement corporatiste. Ce que je dénonce, ce n’est pas eux, mais le système des médias, c’est-à-dire les patrons, généralement bien placés et très riches. Regardez les grands médias en France. Ceux qui sont à la tête du Figaro, du Monde, de Libé ou de TF1 sont des milliardaires, la plupart liés à l’armement, à Israël et profitant généreusement des guerres menées par la France. Ce sont eux qui décident de ce que vous allez lire, qui désignent « les gentils » et les « méchants », etc.

Mais il existe des médias du service public qui ne dépendent pas principalement de la publicité…

Le service public subit aussi le filtre de la publicité. Comment pourrait-il dénoncer les crimes de Total alors que Total paie grassement ses passages à l’écran ? Comment peut-il appeler à une révolution des transports quand Renault et Peugeot assurent une partie du budget des médias ? Et il y a d’autres filtres. Par exemple les liens entre les dirigeants – ou les journalistes vedettes – des médias et les responsables des affaires et politiques. Ces gens viennent du même monde, et les vases communiquant entre eux biaisent tout accès à l’information. Enfin, il ne faut pas négliger une chose : l’idéologie dominante touche toute la société, et l’individu doit faire un très gros travail sur lui-même pour trier le vrai du faux… Les médias ne sont donc pas libres. La presse est dominée par le 1 % qui nous vend son point de vue.

Y compris en censurant les faits et opinions divergents ?

La censure de l’information est logique dans un système de propagande. Dans leur ouvrage La Fabrication du consentement, Herman et Chomsky expliquent que le but des médias n’est pas d’informer le citoyen, mais de lui faire approuver la politique de son gouvernement. Lorsqu’on est dans un système de propagande, on écarte complètement les principes de base enseignés dans les écoles de journalisme : écouter les deux parties, vérifier les faits, permettre aux lecteurs de se faire une opinion. Aujourd’hui, Le Monde est la voix du CAC 40, Libération celle de ses patrons… On assiste à un phénomène qui se développe de plus en plus : l’achat de médias par des patrons de multinationales. Ces opérations ne leur rapportent pas forcément de l’argent, mais elles leur permettent de contrôler l’opinion et de promouvoir leurs intérêts ainsi que leur guerre. Toutes les guerres sont économiques, je l’ai toujours affirmé. Le rôle des médias est de faire le service promotion de ces guerres. 

Durant la guerre du Kosovo, des dizaines de journalistes grecs étaient sur place, mais la presse occidentale n’en a pas tenu compte : leurs dépêches ne correspondaient pas au scénario officiel. Le Monde a titré « 100 000 morts au Kosovo », ce qui était totalement faux… Le reportage à Pristina de Régis Debray a été donné à lire à Bernard-Henri Lévy avant même sa publication dans Le Monde (3), ce qui a permis à ce dernier d’aussitôt activer la propagande… Cette censure appelle deux commentaires. L’arrogance coloniale d’abord : l’idée de se référer à des journalistes grecs, mais aussi russes, chinois, palestiniens est impensable, car ils sont forcément suspectés de servir un camp… Contrairement à leurs confrères de Paris, Londres et Bruxelles qui, eux, ne font jamais de propagande ! L’ethnocentrisme des médias est terrible. Régis Debray avait écrit : « Ils ont enlevé le casque, mais dessous la tête est restée coloniale. » On en est exactement là. 

Deuxième remarque : les médias censurent en effet tout ce qui ne correspond pas à la ligne qu’ils défendent. Rappelez-vous Timisoara en 1989, au moment du renversement de Ceausescu. Un charnier de 4 630 cadavres – un chiffre dont la précision peut déjà étonner – est découvert. On affirme alors que ces victimes ont été éventrées à la baïonnette par la police politique du président roumain. À l’époque, quelques cadavres sont montrés à la presse, parmi lesquels une femme avec un bébé posé sur son ventre dont la photo fera le tour du monde… Le rédacteur en chef de Solidaire, qui était médecin (nous n’étions pas des professionnels du journalisme), a tout de suite vu l’erreur : primo, les corps étaient recousus bien droit du pubis jusqu’à la gorge. « Très fort quand on éventre à la baïonnette ! », m’a-t-il dit. Secundo : le cadavre de la femme était blanc alors que celui de son bébé avait noirci, marque d’une décomposition avancée du corps. Pour mon rédacteur en chef-médecin, ces morts avaient donc non seulement subi une autopsie, mais n’étaient pas morts à la même date.

Nous avons décidé de titrer en une de notre hebdomadaire « Timisoara : les images, c’est bidon », en communiquant l’article à toute la presse. Bien sûr, il y a eu un silence total. Trois semaines plus tard, un journal allemand titrait « Timisoara, c’est bidon » et publiait les mêmes analyses. En fait, Timisoara était une vaste mise en scène à laquelle ont adhéré les journalistes. Pas tous, heureusement. Colette Braeckman, envoyée spéciale du Soir, avait écrit qu’elle n’y avait rien vu. Ses patrons lui ont répondu qu’elle se trompait. Ils ont titré : « Charnier à Timisoara »…

Que peuvent faire les journalistes contre les détournements de leur direction ?

Colette Braeckman a eu le courage de dénoncer cette grande manipulation. Le fait est assez exceptionnel pour être rapporté, car les médias occidentaux ne font jamais leur autocritique ni ne procèdent à l’analyse de leurs erreurs. Il y a là un vrai syndrome du journaliste qui se prend pour Dieu, sait tout et ne s’excuse jamais. S’il commençait par se dire : « Je ne sais pas, je vais vérifier », s’il admettait après coup s’être trompé ou avoir été manipulé, il aiderait les citoyens à mieux appréhender l’information et à ne pas l’avaler comme une pizza. Mais cette posture est interdite par l’audimat, la concurrence, la rivalité. Aujourd’hui, il faut être les premiers, les meilleurs, ne pas subir d’autocritique… et surtout ne jamais admettre que de « petits » journalistes sur Internet ou dans un « petit » magazine font mieux qu’eux. Sinon ils perdraient totalement leur raison d’être. La loi du silence les protège.

 

Propos recueillis par Samy Abtroun, Jacques-Marie Bourget, Majed Nehmé, Corinne Moncel et Hassen Zenati

 

Notes :

(1) http://www.investigaction.net/

(2) Peter Arnett sera licencié par CNN en 1998 pour avoir mis en cause le comportement de l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam, puis en 2003 par la chaîne NBC pour avoir critiqué la stratégie américaine en Irak.

(3) Dans sa « Lettre d’un voyageur au président de la République », datée du 13 mai 1999, l’anti-guerre Régis Debray écrit notamment : « À Pristina, où vivent encore des dizaines de milliers de Kosovars, on peut déjeuner dans des pizzerias albanaises, en compagnie d’Albanais. » Le lendemain, l’interventionniste Bernard-Henri Lévy critiquera en une du Monde « l’hallucinante naïveté de ce maître médiologue, expert en soupçon et en pensée critique, que l’on voit gober sous nos yeux les plus énormes bobards de la propagande serbe ». 

Fin de la 1ère partie de l’interview (à suivre)