Silhouettes révolutionnaires
Juin 2022
Texte reçu par courriel de Kevin
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Vancouver: Mai 1974
Je venais juste d’avoir 18 ans lorsque j’ai rencontré Jack Thompson. Il travaillait comme gardien et agent d’entretien du Woodland Park, où, en ce jour particulier, se déroula une grosse manifestation des travailleurs. Quelque chose attira mon attention au sujet du vieil homme alors qu’il vaquait à ses fonctions, semblant insouciant et inattentif aux discours rauques et passionnés qui se produisaient et au bruit des applaudissements et des soutiens vocaux.
Un de mes potes du syndicat des postiers remarqua que je regardais avec attention cet ancien et il me dit avec un sourire :
“Tu n’en sais sûrement rien, mais le vieux Jack là-bas, était un vrai démon dans sa jeunesse. De la grande grève générale de Winnipeg à la longue marche sur Ottawa, quelque mouvement que ce soit, il en était au cœur même.”
C’était le printemps de ma dévotion et les premières graines de ma conscience politique se languissaient d’être arrosées. Après ma dernière incursion aux toilettes, je m’approchais de Jack, qui était en train de vider une poubelle.
“Avez-vous vu un de ces tracts ?” Lui demandais-je en lui en tendant un au sujet de la manif’, dont l’objectif était de s’opposer au programme de contrôle des salaires par le gouvernement de Trudeau (père).
Jack grogna.
“Tout ça c’est des conneries”, prononça t’il, balançant un sac poubelle dans son chariot. “Pas de cette manière qu’on arrête ces salopards.”
Jack avait des yeux perçants, clairs comme du cristal qui contrastait avec son apparence générale négligée. Son expression transpirait la sagesse et l’expérience bien au-delà de ce que je pouvais imaginer. Il pouvait voir que j’avais faim de savoir.
Jack avait immigré des bidonvilles de Birmingham quand il était enfant et avait fait tous les boulots de merde possibles et imaginables à travers le Canada. A mon âge, il avait déjà été battu, passé à tabac de nombreuses fois, jeté en prison et mit sur liste noire pour être un organisateur syndicaliste. Sous un faux nom, il trouva un emploi comme mécanicien aux chemins de fer de Winnipeg, juste à temps pour y rejoindre les 40 000 autres travailleurs de la grève générale de l’été 1919.
“Ils disent maintenant que c’était au sujet de la reconnaissance syndicale et l’augmentation des salaires, bien sûr que ça l’était, mais nom de dieu il n’y avait pas que ça !” Se rappelait Jack plus tard alors que nous entreprîmes de partager quelques bières au Waldorf sur East Hastings.
“La révolution était dans l’air frère, et pas à cause de la Russie et des bolchéviques. Tous ces anciens combattants de la première guerre mondiale voulaient obtenir quelque chose pour tous ces yeux, bras et jambes qu’ils avaient perdus. Nous savions tous qu’il fallait en finir avec le patronat ; mais seulement quelques uns d’entre nous savaient comment il fallait faire.”
Tous les rouges que j’avais connus jusqu’ici étaient de type universitaire qui auraient pu vous expliquer toutes les intrications de l’économie marxiste, mais n’avaient aucune expérience concrète de lutte. Jack était absolument authentique. Il portait les cicatrices personnelles qui montraient que le système n’était pas fait pour servir tout le monde, mais seulement les riches et les sans pitié. Il n’avait pas perdu un gramme de sa motivation radicale au cours de ces presque soixante dernières années.
“Le problème de nos jours, c’est que les gens sont trop gras, ils s’attendent à ce que ce soit toujours simple et facile. Chez les Wobblies (NdT : membres du syndicat anarchiste de l’IWW ou Industrial Workers of the World) on avait l’habitude de dire : vous ne pouvez pas faire la peau du capitalisme morceau par morceau, vous devez tuer la bête entière. Mais les temps faciles font que les gens oublient contre qui et quoi ils font vraiment face.”
Jack fut marié une fois, mais elle l’avait quitté il y a bien des années. Il n’avait pas d’enfants, pas d’amis, il était seul. Mais la solitude et le regret ne semblaient pas avoir de prise sur lui. C’était un roc de réalisme.
“Si tu t’attaques au système sans jamais fléchir, tu ne peut attendre aucune accolade, aucun bouquet et aucune pension. J’ai maintenant 74 ans, je vis avec le SMIC. Je n’ai rien à montrer de toutes ces années de lutte sociale ; je n’ai que la satisfaction d’avoir fait ce que je devais faire. Personne ne veut se rappeler des vrais révolutionnaires petit, ils ont bien trop peur de nous. Nous sommes toujours une sorte de menace permanente qui ne s’éteint jamais. C’est pourquoi jamais personne ne vient me voir pour me demander ce qu’était cette époque, pas même ces soi-disants “gauchistes”…”
“Mais moi je demande,” répliquais-je. Et durant le temps que nous avons eu ensemble, j’ai puisé de la vie de Jack une partie de l’inspiration qui me mena sur mon propre bon chemin rouge.
Ce n’est que plus tard que j’ai appris à quel point Jack Thompson fut une grande figure du mouvement ouvrier radical du Canada et fut clef dans les grandes victoires sociales qui ont nourri tant de personnes et sur les épaules desquelles nous, insurgés sans peur et sans reproche, nous nous juchons. Il a vécu sa vie exclusivement pour les autres et pour le plus haut idéal d’une humanité émancipée. Et pourtant, chaque nuit, il s’asseyait, seul, dans son tout petit appartement de Woodland Park à la lumière de sa flamme toujours brûlante et si riche de souvenirs et de buts, alors que le monde continuait cahin-caha dans la banalité imperturbable de l’assassinat officiel et de la folie consommée.
Je pense toujours plus à Jack Thompson ces jours-ci, alors qu’un autre demi-siècle vient de s’écouler. La vieillesse nous a tendu une embuscade à tous deux avec la compréhension qu’à la fin, tout ce qu’il nous reste est notre fibre propre et cet amour que nous avons démontré dans les batailles radiantes que nous avons perdues et gagnées et qui ont nourri les générations suivantes.
Jack mourut trois ans plus tard, seul, mais toujours présent à la mémoire d’un petit nombre. Sur sa pierre tombale est gravée la faucille et le marteau avec cette inscription :
“Une blessure à l’un est une blessure pour tous. Prolétaires du monde, levez-vous !”
Kevin Annett sur résistance 71 :
« Meurtre par décret, le crime de génocide au Canada »
« Le bouclier du lanceur d’alerte »
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Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)
Comprendre et transformer sa réalité, le texte:
Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »
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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:
Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être
Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche
Manifeste pour la Société des Sociétés
Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie
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Deux communiqués sur la guerre en Ukraine à diffuser sans modération :
Vive la Commune !…