“Après 70 ans d’excavations et de fouilles extensives sur la terre d’Israël, les archéologues ont trouvé que les actions du patriarque sont des histoires de légende ; nous n’avons pas séjourné en Egypte, ni fait un exode, nous n’avons pas conquis la terre. Il n’y a pas non plus de mention de l’empire de David et de Salomon. Ceux qui s’y intéressent savent tout cela depuis des années, mais Israël est un peuple têtu et ne veut pas en entendre parler.”
~ Professeur Ze’ev Herzog, chef du département d’archéologie et d’études de l’ancien Proche-Orient à l’université de Tel-Aviv, dans un entretien avec le magazine Ha’aretz le 29 octobre 1999 ~
La connexion entre archéologie et idéologie au Moyen-Orient
Uri Avnery
Janvier 2015
Source:
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Ceci est la transcription du discours d’ouverture d’Uri Avnery à la conférence sur “La roche tarpéenne de notre existence, la connexion entre l’archéologie et l’idéologie” du Kinneret College
Avant toute chose, laissez-moi vous remercier de m’avoir invité à parler lors de cette conférence très importante. Je ne suis ni professeur ni docteur en quoi que ce soit, en fait mon plus haut niveau scolaire est celui de collège ; mais comme bien des gens de ma génération, je me suis profondément intéressé à l’archéologie dès mon plus jeune âge.
Je vais essayer d’expliquer pourquoi.
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En se demandant quelle est ma connexion avec l’archéologie, certains d’entre vous pourront bien penser à Moshé Dayan.
Après la guerre de juin 1967, Dayan fut une idole nationale et même internationale. Il était aussi particulièrement connu pour sa passion de l’archéologie, son obsession même. Mon magazine à l’époque “Haolam Hazeh” enquêta sur ses activités et trouva qu’elles furent hautement destructrices. Il commença à creuser seul et à collectionner des pièces antiques en provenance de tout le pays. Comme le but principal de l’archéologie n’est pas de sortir des objets de la terre mais aussi de les dater et ainsi de mettre en place une certaine cartographie des sites historiques découverts sur les siècles de leur existence, les fouilles sauvages de Dayan créèrent un certain chaos. Le fait qu’il utilisait aussi des ressources logistiques de l’armée n’arrangea pas les choses, bien au contraire.
Nous avons dans la foulée découvert que non seulement Dayan expropriait les objets qu’il découvrait (par la loi, tous les objets issus de fouilles appartiennent à l’état) et les entreposait chez lui, mais également qu’il était devenu une sorte d’agent de commerce international de ce types d’objets historiques ancien, s’enrichissant de la vente de ces pièces en provenance de “la collection personnelle de Moshé Dayan”.
Le fait d’avoir publié tout cela en d’en avoir parlé à la Knesset (parlement israélien) me distingua tout particulièrement. A cette époque, un institut de sondage de l’opinion publique identifiait chaque année “la personne la plus détestée en Israël”. Cette année là, l’honneur m’en incomba.
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Mais la question importante ne concerna pas la moralité de Dayan mais un problème bien plus profond: Pourquoi Dayan et tant d’entre nous furent si concernés à l’époque par l’archéologie, une science considéré par un grand nombre de personnes comme étant assez fastidieuse voire ennuyeuse ?
Elle nous fascinait profondément.
Cette génération sioniste fut la première née dans le pays (bien que je sois moi-même né en Allemagne). Pour leurs parents, la Palestine n’était qu’une terre abstraite, une terre dont ils avaient rêvé dans les synagogues de Pologne et d’Ukraine. Pour leurs filles et fils nés sur cette terre, cela constituait leur patrie naturelle.
Ils aspiraient à avoir des racines. Ils se baladaient dans tous les recoins du pays, passaient des nuits dans des camps dans le désert, parvinrent à en connaître chaque colline et chaque vallée.
Pour eux, le talmud et tous les textes religieux étaient d’un monstrueux ennui. Le Talmud et les autres écritures avaient entretenu la diaspora juive pendant des siècles mais n’avaient aucun intérêt ici. La nouvelle génération considérait et acceptait la bible hébraïque avec un très grand enthousiasme, non pas comme un livre religieux (la très vaste majorité d’entre nous étions athées), mais comme un chef-d’œuvre inégalé de la littérature hébraïque. Comme ils furent aussi la première génération pour qui l’hébreu rénové était leur langue maternelle, ils tombèrent amoureux avec la langue si vivante et concrète de la bible hébraïque. La langue bien plus ennuyeuse et sophistiquée utilisée dans le talmud et autres livres publiés plus tard les repoussait.
Les évènements bibliques s’étaient déroulés dans le pays qu’ils connaissaient. Les batailles bibliques eurent lieu dans les vallées qu’ils connaissaient, les rois avaient été couronnés et enterrés dans des localités qu’ils connaissaient intimement.
Ils avaient contemplé la nuit, les étoiles de Mediggo, où les Egyptiens combattirent la première bataille enregistrée de l’histoire (et où, d’après le nouveau testament chrétien, la dernière bataille, celle de l’Armaguédon, aura lieu). Ils se tinrent au sommet du Mont Carmel où le prophète Elias avait massacré les prêtres du dieu Baal. Ils avaient visité Hébron, où furent enterrés Abraham et ses deux fils, Ismaël et Isaac, pères des Arabes et des Juifs.
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Cet attachement passionné au pays ne fut en rien pré-ordonné. En fait, la Palestine ne joua aucun rôle dans la naissance du sionisme politique moderne.
Comme je l’ai mentionné auparavant, le père fondateur du sionisme, Théodore Herzl, n’avait pas pensé à la Palestine lorsqu’il inventa ce qui allait devenir le sionisme. Il détestait la Palestine et son climat. Spécifiquement, il détestait Jérusalem, qui pour lui était une ville sale et puante.
Dans la première esquisse de son idée, qui fut adressée à la famille Rothschild, la terre de ses rêves était la Patagonie en Argentine. Là-bas, dans un passé récent, il y eut un génocide (NdT: des Indiens) et la terre était presque inhabitée.
Ce n’est que le sentiment des masses juives de l’Europe de l’Est qui influença Herzl à rediriger ses efforts vers la Palestine. Dans son livre fondateur du sionisme “Der Judenstaat” (“L’état juif”), le chapitre concernant ce point fait à peine une page et est intitulé “Palestine ou Argentine”. La population arabe n’y est aucunement mentionnée.
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Une fois que le mouvement sioniste dirigea ses pensées vers la Palestine, l’histoire ancienne de ce pays devint une affaire très chaude.
L’appropriation de la Palestine par les sionistes n’était essentiellement fondé que sur le passage de l’Exode décrit dans la bible, la conquête de Canaan, les royaumes de Saul, David et Salomon et tous les évènements qui se déroulèrent à cette époque. Comme quasiment tous les pères fondateurs du sionisme étaient des athées avoués, ils pouvaient difficilement se fonder sur le “fait” que dieu avait personnellement promis la terre à la descendance d’Abraham.
Ainsi, avec l’arrivée des sionistes en Palestine, une recherche archéologique frénétique commença. Le pays fut passé au peigne fin à la recherche de véritables et scientifiques preuves que l’histoire biblique n’était pas juste un ramassis de mythes, mais un narratif historique véridique. Les sionistes chrétiens vinrent même plus tôt.
C’est alors que commença une véritable attaque sur les sites archéologiques. Les couches supérieures des vestiges historiques ottoman, mamelouk, arabe et croisé furent excavés et enlevés afin de mettre à nu la couche plus ancienne des enfants d’Israël et de prouver que la bible disait la vérité.
D’énormes efforts furent dépensés. David Ben Gourion, un érudit biblique auto-proclamé, mena les efforts. Le chef d’état-major de l’armée, Yagael Yadin, le fils d’un archéologue et lui-même archéologue professionnel, fouilla les sites anciens pour prouver que la conquête de Canaan s’était réellement produite. Hélas, sans résultat, aucune preuve ne fut jamais dévoilée.
Lorsque des restes osseux des combattants de Bar Kochba furent découverts dans des grottes du désert de Judée, ils furent enterrés sur ordres de Ben Gourion, dans une grande cérémonie militaire. Le fait incontesté que Bar Kochba eut peut-être occasionné la plus grande catastrophe de l’histoire juive fut occulté.
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Pour quels résultats ?
Aussi incroyable que cela puisse paraître, quatre générations d’archéologues passionnées et dévoués ayant une énorme conviction et d’énormes ressources n’ont fait que produire une seule chose: RIEN.
Depuis le début de ces efforts jusqu’à ce jour, pas une seule preuve tangible de l’histoire [biblique] ancienne n’a été trouvée ni produite. Il n’y a jamais eu aucune indication que le passage biblique dit de l’exode d’Egypte ait eut lieu, ce qui constitue il faut bien le dire, la base même de l’existence de l’histoire juive. Aucune preuve non plus de l’errance de 40 années dans le désert ; aucune preuve de la conquête de Canaan telle qu’elle est longuement décrite dans le livre de Joshua. Le royaume du puissant roi David, qui, selon la bible, s’étendait de la péninsule du Sinaï jusqu’au nord de la Syrie, n’a laissé aucune trace. Une inscription portant le nom de David a été récemment découverte, mais rien qui laisse supposer que celui-ci ait été roi.
Israël apparaît pour la première fois dans de sérieuses recherches archéologiques au gré d’inscriptions assyriennes et qui décrivent une coalition de royaumes locaux qui essayèrent d’arrêter l’avance assyrienne en Syrie. Entre autres, le roi Ahab d’Israêl est mentionné comme le chef d’un fort contingent militaire. Ahab qui régnait sur ce qui est aujourd’hui la Samarie (dans le nord de la Cisjordanie occupée) entre 871 et 852 AEC, n’était pas aimé de dieu, bien que la bible le décrive comme un héros de guerre. Il marque l’entrée d’Israël dans l’histoire vérifiable.
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Tout ceci constitue des pièces négatives à conviction suggérant que l’histoire biblique a été inventée. Comme pratiquement aucune trace de l’époque biblique ancienne n’a été trouvée, cela prouve t’il que tout ceci n’est que pure fiction ?
Peut-être pas. Mais une preuve existe.
L’égyptologie est une discipline scientifique séparée de l’archéologie de la Palestine. Mais l’égyptologie prouve de manière conclusive que l’histoire dite biblique jusqu’au roi Ahab est de fait pure fiction.
Jusqu’à maintenant des dizaines de milliers de documents anciens égyptiens ont été déchiffrés et le travail continue de nos jours. Après l’invasion de l’Egypte par le peuple Hyksos venant d’Asie en 1730 AEC, les pharaons d’Egypte se désolèrent de ce qui se passait en Syrie et en Palestine. Année après année, des espions égyptiens, des commerçants et des soldats rapportèrent dans le détail les évènements qui se produisaient dans toute ville de Canaan. rien n’a été trouvé dans les archives ressemblant de près ou de loin à quelque évènement tel que mentionné dans la bible. (unej simple mention d’”Israel” sur une stèle égyptienne est pensée se référer à un tout petit territoire au sud de la Palestine)
Même si on voulait penser que la bible en fait ne fait qu’exagérer de véritables évènements, le fait est que même pas une toute petite mention de l’exode, de la conquête de Canaan ou des royaumes de David et Salomon n’a été retrouvée.
Tout ceci ne s’est tout simplement jamais produit.
Est-ce important ? Oui et non.
La bible n’est pas histoire réelle. C’est un monument littéraire et religieux qui a inspiré des millions et des millions de gens au travers des siècles. Elle a formé les esprits de générations et de générations de juifs, de chrétiens et de musulmans.
Mais l’histoire per se est quelque chose d’autre. L’histoire nous dit ce qui s’est réellement produit.
L’archéologie est un outil de terrain de l’histoire, un outil de très grande valeur pour comprendre ce qui s’est passé.
Ce sont deux disciplines différentes et ne peuvent co-exister. Pour les religieux, la bible est une affaire de croyance, de foi. Pour les non-croyants, la bible hébraïque est une œuvre d’art, peut-être la plus grande de toute. L’archéologie est quelque chose de totalement différent: une affaire de faits réels, sobres, prouvés et dûment répertoriés.
Les écoles israéliennes enseignent la bible comme l’histoire réelle. Ceci veut dire que les enfants israéliens n’apprennent que ses chapitres, vrais ou fictifs. Lorsque je me suis plains un jour de ceci à la Knesset demandant que l’histoire complète du pays au travers des âges soit enseignée, incluant les chapitres de l’histoire impliquant les Mamelouks et les Croisés, alors le ministre de l’éducation commença à m’appeler “le Mamelouk”.
Je continue de penser que chaque enfant de ce pays, israélien et palestinien, devrait apprendre l’histoire réelle totale, depuis les temps anciens jusqu’à aujourd’hui, avec toutes les couches qu’elle comprend. Ceci est le fondement de la paix, la véritable roche tarpéenne de notre existence.
URI AVNERY (1923-2018) est un écrivain israélien, activiste de la paix avec Gush Shalom.
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