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« Être ignorant de l’histoire, c’est comme être né hier. » (Howard Zinn)

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“L’histoire des Hommes nous montre aussi l’équivalent du premier mouvement de révolte, celui des esclaves. Là où l’esclave se révolte contre son maître, il y a un homme dressé contre un autre, sur la terre cruelle, loin du ciel et des principes.”

~ Albert Camus ~

“Celui qui contrôle le passé contrôle le futur ; celui qui contrôle le présent contrôle le passé.”

~ George Orwell ~

“Des relations, nouvelles par leur ampleur, se sont nouées entre historiens professionnels et grande entreprise privée ou publique, industrielle ou financière.”

~ Annie Lacroix-Riz ~

 

Pourquoi les étudiants devraient étudier l’histoire

 

Extraits d’un entretien de l’historien Howard Zinn avec Barbara Miner de “Rethinking School”, Milwaukee, 1994

 

Source: Chapitre 12 du livre “Howard Zinn on Democratic Education”, Paradigm, 2005.

 

Traduit de l’anglais par Résistance 71, Mai 2015

 

Emphase de texte de notre chef et non des auteurs.

 

Miner: Pourquoi les étudiants devraient-il étudier l’histoire aujourd’hui ?

Zinn: J’ai commencé à étudier l’histoire avec une seule idée en tête: chercher des réponses aux affaires et aux problèmes du monde qui m’entoure. Au moment où je suis arrivé à l’université pour étudier, j’avais déjà travaillé dans un chantier naval, je m’étais enrôlé dans l’armée de l’air et j’avais été à la guerre en tant que bombardier. Je suis arrivé dans les cours d’histoire en posant des questions sur la guerre, la paix, la richesse, la pauvreté et la division raciale. Bien sûr, cela peut-être très intéressant d’explorer le passé, cela peut-être amusant, comme une sorte d’aventure de détective. Je peux argumenter juste pour l’argument ou la connaissance que cela implique, pour ajouter quelque chose à votre vie. Si cela est bon en soi, cela est infime en relation d’un objectif plus large qui serait d’essayer de comprendre et de faire quelque chose au sujet des problèmes auxquels nous devons faire face dans le monde actuel.

Les étudiants devraient-être encouragés d’entrer en histoire afin d’en sortir et ils devraient être découragés de faire de l’histoire et de s’y perdre comme certains historiens le font.

Miner: Que pensez-vous que sont les problèmes majeurs quant à l’enseignement de l’histoire américaine ici dans ce pays ?

Zinn: Un des problèmes majeur a été la focalisation intense et extrême sur l’histoire américaine en isolation totale avec le reste du monde. Toutes les nations en fait ont leur focalisation nationaliste sur leur propre histoire et ceci mène à des extrémités complètement absurdes. Il y a même des états ici, aux Etats-Unis, qui requièrent un cour d’une année sur l’histoire de cet état particulier.

Mais si vous voulez voir les Etats-Unis en relation avec l’histoire du monde, vous faites alors face à un problème, qui est que nous n’avons pas regardé, étudié le monde d’une manière équitable. Nous nous sommes concentrés sur le monde occidental. De fait, sur l’Europe occidentale.

[…]

Un autre problème qui saute aux yeux est l’emphase sur l’enseignement de l’histoire des Etats-Unis vue au travers des yeux des gens importants et puissants, au travers des présidents, du congrès, de la cour suprême des Etats-Unis, des généraux de l’armée ou des industriels. Les livres d’histoire ne disent pas: “Nous allons vous raconter l’histoire de la guerre contre le Mexique du point de vues des généraux”, mais ils nous expliquent les grandes victoires militaires […] En fait, bien trop souvent l’histoire d’une guerre est dominée par l’historiographie et l’analyse des batailles et ceci est en fait une façon de faire diversion des facteurs politiques qui se trouvent derrière chaque guerre.

[…]

Une autre chose qui est négligée dans l’histoire des guerres, celle contre le Mexique par exemple, c’est le point de vue des soldats eux-mêmes. […] En fait beaucoup de ces soldats désertèrent, par exemple, sept régiments sous les ordres du général Winfield Scott désertèrent sur la route de Mexico City.

[…] Il y a aussi le fait que je pense que c’est une bonne idée de raconter l’histoire sous un angle que personne n’a jamais approché dans ce pays et qui est: dites l’histoire d’une guerre du point de vue de l’autre côté… de “l’ennemi”. Reprenons notre exempe de la guerre contre le Mexique. Se posez la question de la vision de la guerre du point de vue des Mexicains en revient à se poser la question de savoir comment les Mexicains prennent-ils le fait que plus de 40% de leur territoire (NdT: qui appartient là encore aux Indiens ne l’oublions pas, Zinn ne l’oublie pas mais ce n’est pas le sujet ici….) leur ont été dérobés suite à cette guerre.

[…]

Miner: Comment empêchez-vous les leçons d’histoire de devenir des récitations de dates, de batailles, de membres du congrès et de présidents ?

Zinn: Vous prenez un incident ayant eu lieu dans l’histoire des Etats-Unis, vous l’enrichissez et vous trouvez des parallèles à faire avec la vie d’aujourd’hui. Une des choses des plus importantes est de ne pas se concentrer sur l’ordre chronologique des faits mais d’aller et venir dans les faits et trouver des similarités et des analogies. Vous devez souvent demander aux étudiants si un évènement historique particulier ne leur rappelle pas quelques choses qu’ils ont lu ou vu dans la presse, dans les médias récemment.

Quand vous insistez afin que les étudiants fassent des connexions entre ce qu’ils apprennent et le monde d’aujourd’hui, de se sortir d’un évènement historique particulier et parfois unique et d’essayer de trouver quelque chose qu’il aurait en commun avec un autre évènement passé, récent ou totalement présent, alors l’histoire devient vivante, elle n’est plus dans le passé mais s’actualise. Bien sûr vous devez posez les questions controversives aux étudiants, comme par exemple: “Etait-il juste que nous saisissions le territoire du Mexique ? Devons-nous en être fiers ? Devons-nous célébrer cet évènement ?” Les questions sur ce qui est “bien” ou “mal” doivent-être posées très souvent, tout comme celle sur la justice. Quand on demande aux étudiants “Ceci est-il bien ou mal ?” alors cela devient intéressant, ils peuvent alors avoir un débat tout particulièrement s’ils apprennent aussi qu’il n’y a pas de réponse simple, absolue, universelle et sur laquelle tout le monde est d’accord.

[…] Les enseignants doivent aussi s’occuper du problème que les gens ont été mal éduqués pour qu’ils deviennent dépendants du gouvernement, de penser que leur action suprême de citoyen est d’aller voter tous les deux, quatre ou cinq ans. C’est ici que s’inscrit l’histoire des mouvements sociaux… Ainsi ils doivent insister sur les mouvements sociaux de protestation, ce qui donne un aperçu aux étudiants qu’eux en tant que citoyens sont en fait les acteurs les plus importants de l’histoire.

[…]

Miner: Mais alors comment pouvez-vous promouvoir un sens de justice et éviter le piège de la relativité du style “Bon, certaines personnes disent ceci et d’autres cela” ?

Zinn: […] Je ne donne jamais deux facettes d’un évènement pour les laisser comme çà. Je prends position. Si par exemple je suis en train d’enseigner sur Christophe Colomb, je dis: “écoutez, il y a ces personnes qui disent qu’on ne peut pas juger Colomb avec nos standards du XXème siècle. (NdT: argument dit de “l’anachronisme”) Mais mon point de vue est que les standards moraux de base sont les mêmes que ce fusse au XVème siècle ou au XXème. Je ne donne pas des éléments historiques sur un plateau pour ensuite dire: ‘je me fiche de ce que vous choisissez de croire, les deux arguments sont valides’ ; non je leur fait savoir: ‘je suis concerné par votre choix, je ne pense pas que les deux arguements soient valides, mais vous avez parfaitement le droit de ne pas être d’accord avec moi.’ Je veux leur faire comprendre que si personne ne prend position, le monde demeurera inchangé et qui désire cela ?

Miner: Y a t’il des façons spécifiques par lesquelles des profs d’histoire peuvent promouvoir une perspective antiraciste ?

Zinn: Dans une grande mesure, l’objectif moral n’est pas considéré lorsqu’on enseigne l’histoire. Je pense qu’on doit donner aux gens les faits concernant l’esclavage, la ségrégation raciale, les faits liant la complicité du gouvernement avec la ségrégation raciale, les faits de la lutte pour l’égalité.

[…] Il est très important que les étudiants apprennent les relations entre le gouvernement des Etats-Unis et l’esclavage et l’aspect racial. Il est très facile de tomber dans le travers de croire et de faire croire que l’esclavage et la ségrégation étaient des phénomènes des états du sud. […] Il est important de savoir qu’Abraham Lincoln n’était en rien un précurseur ou un initiateur du mouvement anti-esclavagiste, mais juste un simple suiveur du mouvement qui vit le jour plus de 30 ans avant qu’il ne devienne président en 1860. Ce furent le président et le congrès des Etats-Unis qui ignorèrent les 13ème, 14ème et 15ème amendements de la constitution lorsqu’ils furent votés. Dans les années 1960, ce n’est pas Johnson et Kennedy qui furent les leaders et les initiateurs du mouvement pour l’égalité raciale, ce fut le peuple noir-américain.

Miner: En plus de s’intéresser aux mouvements sociaux et d’avoir une plus grande conscience de la perspective antiraciale, quelles seraient quelques méthodes thématiques pour changer la façon dont l’histoire est enseignée ?

Zinn: Je pense que le problème de classe sociale et de conflit de classes doit être plus honnêtement adressé, parce qu’il est quasiment ignoré dans l’histoire traditionnelle nationaliste. Ceci n’est pas valable qu’aux Etats-Unis, mais partout ailleurs en occident… Il y a une trop grande tendance à sous-estimer ces conflits de classes pour ne se concentrer que sur la création d’une identité nationale.

Miner: Comment l’enseignant peut-il interagir avec l’intersection de race, de classe et de genre en termes de l’histoire des Etats-Unis, en considérant que la classe laborieuse blanche a été complice consciemment ou inconsciemment de quelques actions absolument impardonnables ?

Zinn: La complicité de la classe blanche pauvre dans le racisme ou des hommes dans le sexisme sont des problèmes importants.

[…] On doit aussi reconnaître les problèmes de la classe laborieuse pauvre blanche afin de comprendre pourquoi elle s’est rendue coupable de racisme, parce qu’on ne naît pas raciste.

Lorsqu’ils discutent de la guerre civile/de sécession, les profs doivent dire qu’un très faible pourcentage de blancs des états du sud étaient propriétaires d’esclaves. Le reste de la population blanche était pauvre, voire très pauvre et ces gens furent poussés à soutenir l’esclavage et à être racistes au gré des messages de ceux qui contrôlent la société, disant que “c’était mieux pour eux si les nègres étaient mis en position inférieure” et que “ceux qui appelaient pour l’égalité des noirs menaçaient de facta les vies des gens blancs ordinaires.”

Il est important de montrer comment dans l’histoire de la lutte sociale, les noirs et les blancs ont été montés artificiellement les uns contre les autres ; d’expliquer que les ouvriers blancs se mettaient en grève et que des ouvriers noirs, Ô combien désespérés d’avoir du travail, étaient amenés dans les usines (par le patronat) pour remplacer les ouvriers blancs, comment les syndicats ouvriers blancs excluaient les ouvriers noirs, tout ceci menant à d’énormes antagonismes raciaux parfois meurtriers. Ainsi les questions de classe et de race sont imbriquées l’une dans l’autre, tout comme l’est aussi celle du genre pour le sexisme.

Une des façons trouvée pour donner une satisfaction aux hommes exploités et humiliés sur leurs lieux de travail est de leur donner le contrôle de la famille (patriarcat). Ainsi, humiliés au boulot, ils peuvent rentrer chez eux et humilier et abuser leurs épouses et leurs enfants.

[…] En toute circonstance de mauvais traitement racial et sexuel, il est important pour les étudiants et les élèves de comprendre que les racines d’une telle hostilité sont avant tout sociales, environnementales et situationnelles et ne sont pas inévitablement dûes à la nature humaine. Il est de surcroit très important de montrer que ces antagonismes divisent les gens les uns d’avec les autres, rendant ainsi très difficile pour eux de solutionner les problèmes communs en une action unifiée.

Miner: Comment peut-on expliquer les racines de cette complicité dans le racisme et le sexisme de la part de la classe laborieuse blanche sans tomber dans le piège de la justifier ?

Zinn: C’est toujours le problème semble t’il: comment expliquer quelque chose sans le justifier ? Ce problème est un problème théorique qui se doit d’être expliqué, parce qu’il mène souvent à la confusion. Vous devez impérativement dire et expliquer encore et toujours aux étudiants, qu’essayer de comprendre pourquoi les gens font telle ou telle chose ne veut pas dire que nous le justifions. Vous devez donner des exemples historiques spécifiques de ce problème ou comme je l’ai déjà suggéré, des exemples issus de la littérature.

Miner: Comment pouvez-vous enseigner à des étudiants blancs de prendre une perspective anti-raciste qui ne soit pas fondée sur la culpabilité par rapport aux mauvaises actions que des blancs ont faites à des personnes de couleur ?

Zinn: Si cette perspective est fondée sur la culpabilité, alors la fondation n’en est pas solide. Elle doit être fondée sur l’empathie, l’intérêt personnel qui en découle et sur la compréhension que la division entre les blancs et les noirs n’a pas seulement résulté en l’exploitation des noirs, bien qu’ils aient été les plus grandes victimes, mais que cela à empêcher les blancs et les noirs de s’allier afin d’amener un véritable changement social qui pourrait bien sûr leur être bénéfique à tous deux.

[…] De plus les gens devraient apprendre à ressentir de l’empathie pour les autres même s’il n’y a aucun effet ou intérêt personnel visible en prenière instance.

[…]

Miner: Est-il possible pour l’histoire d’être objective ?

Zinn: L’objectivité n’est ni possible, ni désirable.

Elle n’est pas possible parce que l’histoire est subjective, toute histoire, toute historiographie représente un point de vue. L’histoire est toujours une sélection parmi un grand nombre de faits et tout le monde fait cette sélection de manière différente, basée sur les valeurs de la personne et ce qu’elle pense être important. Comme ce n’est pas possible d’être objectif, il est nécessaire d’être honnête à ce propos.

L’objectivité n’est pas désirable parce que si nous voulons avoir un effet sur le monde, nous devons insister sur ces choses qui vont rendre les étudiants de plus actifs citoyens et des gens plus moraux.

[..]

Miner: Comment un professeur progressiste peut-il/elle promouvoir une perspective radicale au sein d’une institution bureaucratique et conservatrice ? Les enseignants poussent parfois les limites si loin qu’ils s’aliènent leurs collègues et se font virer ou ils ont si peur des conséquences qu’ils édulcorent ce qu’ils ont à dire. Comment un professeur peut-il/elle résoudre ce dilemme ?

Zinn: […] J’ai toujours pensé que le problème principal avec les profs d’université a été l’auto-censure (NdT: pour des raisons de carrières ou de fonds de recherche…). Je pense que la même chose doit être vraie pour les profs de Lycées, bien que nous devions être plus tolérants envers ces derniers car ils évoluent dans un environnement bien plus répressif que le notre. J’ai vue que bien des professeurs d’université n’ont pas de problèmes à utiliser mon livre “Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours” dans leur curriculum, ceci n’est pas vrai pour les profs d’histoires du secondaire. Ils ne peuvent pas avoir le bouquin officiellement adopté, ils doivent demander la permission de l’utiliser, ils doivent en photocopier des parties par eux-mêmes afin de les faire passer aux élèves, ils doivent se soucier des plaintes potentielles des parents et de ce que vont dire les chefs de leur département éducatif ou les directeurs/proviseurs des établissements.

[…] Les enseignants doivent prendre des risques. Le problème est de savoir comment minimiser ces risques. Une façon importante de le faire est de vous assurer qu’à chaque fois que vous présentez ces matériaux en classe, de dire et d’être clair sur le fait que ceci est subjectif, que c’est controversif, que vous n’établissez pas de lois pour les élèves. Une autre chose est aussi d’être extrêmement tolérant envers les élèves qui ne sont pas d’accord avec vous, vos vues ou envers des étudiants qui manifestent des propos ou attitudes racistes et/ou sexistes. Je ne veux pas dire tolérant au sens de ne pas défier ces idées, mais tolérant dans le sens de les traiter en êtres humains (NdT: Rappelons-nous qu’on ne naît pas raciste ni sexiste… On le devient par le jeu néfaste des circonstances sociales et politiques). Il est important de développer la réputation de ne pas donner de mauvaises notes aux élèves sur la base de leur désaccord avec vous. Vous devez créer une atmosphère de liberté dans la classe.

[…]

Miner: Les professeurs ne savent pas toujours où trouver ces autres perspectives, avez-vous des conseils là-dessus ?

Zinn: La perspective orthodoxe (Ndt: la doxa) est facile à obtenir et à suivre. Mais une fois que les enseignants commencent à regarder d’autres perspectives, une fois qu’ils commencent à quitter le “chemin”, ils vont très vite aller d’une chose à une autre.

Miner: Ce n’est donc pas si difficile et intimidant qu’on le pense ?

Zinn: Non. Tout est là. C’est dans la bibliothèque…

Résistance politique: Réflexions sur la politique et la société (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 1 décembre 2014 by Résistance 71

Politique et société

 

Howard Zinn

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Note: Ceci est une petite compilation de pensées de l’historien Howard Zinn sur la politique et la société.

 

“Ce fut la montée de l’état-nation moderne au XVIème siècle qui introduisit le gouvernement fort centralisé, afin de centraliser le système de l’impôt et ainsi lever suffisamment d’argent pour financer les nouvelles organisations de commerce qui sillonnèrent le monde, comme la Compagnie Hollandaise des Indes de l’Est et la Compagnie des Indes britannique. Ces deux entreprises reçurent des chartes royales vers 1600, leur donnant les droits monopolistiques de marauder autour du monde, de faire commerce de biens, produits et êtres humains et de ramener la richesse dans leur pays d’origine.”

“Ainsi la constitution des Etats-Unis mit en place un gouvernement fort et centralisé, suffisamment fort pour protéger les propriétaires d’esclaves contre la rébellion de leurs esclaves, d’attrapper ceux qui s’échappaient s’ils allaient d’un état à un autre, de payer les détenteurs de bons du trésor, de faire passer des tarifs en faveur des industriels, de taxer les pauvres agriculteurs afin de payer pour des armées qui les attaqueraient s’ils résistaient à l’impôt, comme cela fut fait lors de la rébellion de Whiskey en Pennsylvannie en 1794…

Le gouvernement défendrait ainsi les intérêts des classes riches. Il augmenterait les tarifs toujours de plus en plus afin d’aider les industriels, il donnerait des subsides pour les entreprises de transports et leurs intérêts et donnerait des centaines de milliers d’hectares gratuits aux compagnies de chemin de fer ; il armerait des forces répressives pour éliminer et chasser les Indiens de leurs terres, pour briser les émeutes du travail, pour envahir des pays des Caraïbes au profit des planteurs américains, des banquiers et des investisseurs de tout poil. Ceci fut un très gros gouvernement centralisé… Celui, comme le disait l’oratrice populiste Mary Ellen en 1890: “un gouvernement de Wall Street, par Wall Street et pour Wall Street !

“Les colons britanniques d’Amérique du Nord furent stupéfaits de la démocratie de la société iroquoise. Les nations (confédérées) qui occupaient alors les états de New York et de Pennsylvanie. L’historien américain Gary Nash décrivit la culture iroquoise en ces termes: ‘pas de lois ni d’ordonnances, ni de décrets, pas de shériffs, pas de policiers, pas de juges ni de jurés, pas de tribunaux ni de prisons, on ne trouvait pas cet appareil de l’autorité européenne et pourtant les limites d’une attitude acceptable et adéquate étaient établies fermement. Tout en se félicitant d’être eux-mêmes des individus autonomes, les Iroquois maintenaient un sens strict du bien et du mal.”

“Ceux qui clâment croire dans le ‘libre-échange’ ne croient pas en le libre-échange des idées, pas plus qu’ils ne croient en un libre-échange des biens et services. A la fois dans les biens matériels et les idées, ils veulent leur marché dominé par ceux qui ont toujours tenu les brides du pouvoir et de la richesse. Ils se soucient du fait que si de nouvelles idées finalement entrent dans le marché, alors les gens commenceraient à repenser les arrangements sociaux qui nous ont donnés tant de souffrance, tant de violence, tant de guerres ces 500 dernières années de ‘civilisation’… En repensant notre histoire, nous ne faisons pas que regarder le passé, mais aussi le présent en essayant de le regarder du point de vue de ceux qui ont été laissés pour compte. Nous avons besoin de faire cela alors que nous approchons du nouveau siècle (NdT: Zinn a écrit ceci en 1991…) et si nous désirons que ce nouveau siècle soit différent, si nous ne voulons pas qu’il soit un (autre) siècle américain,, ou un siècle blanc, ou mâle ou de quelque nation ou groupe que ce soit, mais un siècle véritablement de la race humaine.”

“L’éducation a toujours inspiré une grande peur parmi ceux qui veulent garder les distributions de pouvoir et de richesses existantes comme elles le sont…

Au bout du compte est-ce que j’ai instigué une liberté d’expression dans mes cours ? Oui, parce que j’ai toujours suivi le conseil d’Aldous Huxley qui disait: ‘Les libertés ne sont pas données mais prises.’ “

“L’idée que quelqu’un qui commet un ou plusieurs actes de désobéissance civile doit “volontairement” accepter la punition prévue est une notion idiote très, trop, souvent répétée… Ce n’est pas la communauté qui arrête et punit, mais les autorités légales. Ainsi la désobéissance civile ne dénote pas de mépris pour la société organisée, mais pour le gouvernement, surtout s’il agit mal et de façon irresponsable. La raison pour montrer son mépris au gouvernement, pour défier la loi, est précisément parce que la loi ne montre que mépris pour les vies et les libertés de la communauté.”

“Quel degré de confort ai-je lorsqu’on m’appelle un anarchiste ou un socialiste démocratique ? Cela dépend de qui utilise ces termes… Je me sens inconfortable lorsque je dois justifier les termes, que je dois clarifier parce qu’après tout, le terme ‘anarchiste’ pour bien des gens est associé à quelqu’un qui lance des bombes, quelqu’un qui croit en la violence. Bizarrement du reste, le terme ‘anarchiste’ ne s’applique pas aux gouvernements des états, qui eux utilisent des bombes à un niveau jamais égalé. Le terme ‘anarchiste’ est souvent associé, à tort, à la violence. Comme je ne crois pas en lancer des bombes, en le terrorisme ou la violence, je ne veux donc pas que cette interprétation de l’anarchisme s’applique à moi.

L’anarchisme est aussi souvent mal représenté comme étant un mode de société où il n’y a aucune organisation, aucune responsabilité, que c’est une sorte de chaos, une fois de plus sans réaliser à quel point le monde qui nous entoure est chaotique, que la société est très chaotique et pourtant, le mot ‘anarchisme’ ne s’y applique pas.

J’ai commencé à vraiment apprendre au sujet de l’anarchisme dans les années 1960 en lisant l’autobiographie d’Emma Goldman, en lisant les travaux d’Alexandre Berkman, de Pierre Kropotkine et de Michel Bakounine. L’anarchisme veut dire pour moi une société où vous avez une organisation vraiment démocratique de la société, des prises de décision, de l’économie et où l’autoritarisme du capitalisme n’existe plus et où l’autorité représentée par la police, les tribunaux et tous les instruments et institutions de contrôle des actions des gens, ne sont plus présents non plus. Les gens ont quelque chose à dire pour leur propre destinée, ils ne sont plus forcés de choisir entre deux partis politiques, dont aucun des deux ne représentent leurs intérêts. Ainsi je vois l’anarchisme comme un moyen réel de démocratie politique et économique dans le meilleur sens du terme…

Un monde équitable, un monde de la liberté de parole et des vrais droits civiques, un monde sans antagonisme politique ou religieux et où les différences inéluctables ne seront plus la cause d’actions violentes, de guerres et de divisions.

Ce serait un monde où les gens ne travailleraient que quelques heures par jour, ce qui est parfaitement possible avec la technologie et si cette technologie n’est pas utilisée, détournée pour faire la guerre ou toute autre activité néfaste et inutile, les gens pourraient bien ne travailler que 3 ou 4 heures par jour et produire largement suffisamment pour que tout le monde ait ses besoins bien satisfaits. Ce serait un monde où les gens auraient bien plus de temps à consacrer à leur famille, aux sports, aux arts et à simplement vivre, humainement, avec les autres.”

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Sources:

 

  • “Original Zinn, Conversations on History and Politics”, Harper Perennial, 2006
  • “Howard Zinn on History”, Seven Stories Press, 2001