Archive pour howard zinn guerre juste

Réflexions (optimistes) sur l’histoire et son sens… (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, canada USA états coloniaux, colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 29 août 2017 by Résistance 71

Ce qui suit est la traduction par nos soins d’extraits de réflexions, d’interventions publiques et d’entretiens de l’historien américain Howard Zinn, publiés dans son livre “Failure to Quit, Reflections of an Optimistic Historian”, ouvrage paru en 1993 aux éditions CCP (Common Courage Press)

Nous laissons nos lecteurs absorber ces pertinentes réflexions d’un grand historien et nous nous éclipsons de nouveau jusqu’au 10 septembre prochain environ…

Les PDF à lire et partager sans modération

Bonne lecture et à bientôt !…

~ Résistance 71 ~

 

“Ne pas connaître l’histoire, c’est comme être né hier.”
 » On ne peut pas être neutre dans un train en marche. »
(Howard Zinn)

 

Quelques réflexions d’un historien optimiste (1972-1993)

 

Howard Zinn

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 (août 2017) ~

 

Extrait d’un entretien avec David Barsamian (DB), journaliste, hôte d’émission de radio alternative politique émettant depuis Boulder, Colorado, en 1992…

DB: Vous êtes très friand de citer souvent la fameuse phrase de George Orwell: “Qui contrôle le passé contrôle le futur. Qui contrôle le présent, contrôle le passé.”

HZ: […] Ce que je pense qu’Orwell veut dire est l’observation très importante que si vous pouvez contrôler l’histoire, le narratif, ce que les gens savent de l’histoire, si vous pouvez décider de ce qui sera (ou non) dans l’histoire des gens, alors vous pouvez ordonner leur façon de penser ; vous pouvez ordonner leurs valeurs. Vous pouvez de facto organiser les cerveaux en contrôlant la connaissance. Les gens qui peuvent faire cela, qui peuvent contrôler le passé sont de fait les gens qui contrôlent le présent. Les gens qui dominent les médias, qui font publier les livres scolaires et universitaires, qui décident de ce que sont et seront les idées dominantes de notre culture, ce qui sera dit et ce qui ne le sera pas.

DB: Qui sont-ils ? Qui sont ces “gardiens du passé” ? Pouvez commenter là-dessus…

HZ: Ils sont essentiellement riches et blancs. Parfois on réfère à l’histoire des riches hommes blancs. Il y a une histoire qui est faite, écrite par des hommes blancs riches. Non pas que les historiens soient riches et blancs, mais les gens qui font publier les livres le sont, les gens qui contrôlent les médias qui décident quel historien inviter sur les chaînes de grande écoute. Tous ces gens qui contrôlent les grands médias sont riches. […]

DB: Vous avez fait cet époustouflant commentaire disant que l’objectivité et l’érudition dans les médias et ailleurs ne sont pas seulement “dangereuses et trompeuses, mais qu’elles ne sont pas désirables”.

HZ: J’ai en fait dit deux choses à ce sujet que un, elles n’étaient pas possibles et deux elles n’étaient pas désirables.. Pas possible parce que toute l’histoire est une sélection d’un nombre infinis de faits. Dès que vous commencez à sélectionner, vous sélectionnez en rapport avec ce que vous croyez qui est important. Ce n’est déjà plus objectif. […]

Certaines personnes affirment être objectives. C’est la pire des choses à affirmer. Pourquoi ? Parce que vous ne pouvez pas l’être. […] Devant l’étendue des faits historiques, il n’est pas possible d’être objectif et quand bien même cela soit possible, ce n’est pas désirable. […] Nous devrions avoir l’histoire qui mette en valeur l’humain, les valeurs humaines et de fraternité, de paix, de justice et d’égalité. […]

DB: Comment filtrez-vous ces biais ? Le pouvez-vous ?

HZ: Comme je l’ai dit je possède mes propres penchants, ainsi si je parle ou écris quelque chose au sujet de Christophe Colomb, je vais essayer de ne pas cacher le fait que Colomb a fait une chose remarquable en traversant l’Atlantique et en s’aventurant dans des eaux et endroits inconnus. Cela demandait un grand courage physique à cette époque et de grandes qualités de marin et de navigation. L’évènement fut remarquable en bien des points. Je dois dire tout cela  afin de ne pas omettre ce que la plupart des gens voient de positif en Colomb, mais je dois aussi continuer pour dire et expliquer certaines choses à son propos qui sont bien plus importantes que ses qualités de marin, que le fait qu’il ait été très religieux. Je dois parler du traitement qu’il réserva aux gens qu’il trouva sur ce continent. La mise en esclavage, la torture, les exécutions, les assassinats gratuits, la déshumanisation de ces peuples. C’est aussi une chose très importante.

Il y a une façon très intéressante par laquelle vous pouvez formuler une phrase et qui va montrer ce sur quoi vous mettez plus d’importance et ceci aura deux résultats bien différents. Vous pouvez cadrer l’affaire Christophe Colomb de la façon dont l’a fait l’historien de Harvard Samuel Elliot Morison: Colomb a commis un génocide, mais c’était un marin extraordinaire. Il a accompli une chose absolument remarquable en trouvant ces îles de ce nouveau continent. Où est placée l’emphase ici ? Il a commis un génocide mais…. c’était un excellent marin. Moi je dis, il fut un bon marin, mais il a traité les autochtones avec la plus grande des cruautés et a commis un vaste génocide. Ceci représente deux façons bien différentes de narrer le même évènement. Tout dépend de quel côté du “mais” vous vous trouvez, vous montrez là votre penchant. Je pense qu’il est bon pour nous de mettre nos biais, nos penchants en direction d’une vision humaine de l’histoire.

DB: En plus d’annihiler la population indigène, les Européens ont dû mettre en place le marché des esclaves et amener des Africains pour travailler la terre.

HZ: Lorsque les Indiens furent décimés comme esclaves, c’est alors que le marché intercontinental prit place et qu’un autre génocide eut lieu, des dizaines de millions d’esclaves noirs furent amenés, mourant par millions dans le trajet au gré du temps, mourant aussi en grand nombre une fois à destination.

DB: Dans un article de l’intellectuel Alan Dershowitz, celui-ci parle de l’unicité de l’holocauste juif en termes de génocide, qu’il est la référence. Acceptez-vous cela ?

HZ: Chaque génocide est unique. Chaque génocide possède ses propres caractéristiques historiques. Mais je pense que c’est faux et nous devrions tous comprendre cela ; prendre un génocide et se concentrer dessus au prix de négliger les autres et agir comme s’il n’y avait eu qu’un seul grand génocide dans l’histoire du monde et que personne ne devrait rapporter les autres sous prétexte que c’est une pauvre analogie. […]

Il y a un point de vue qui perpétue une vision, une notion élitistes de l’histoire, l’idée que l’histoire est faite par le haut et que si nous voulons faire des changements, nous devons dépendre et faire confiance à nos présidents, à nos tribunaux, conseils d’état, notre congrès d’élus. Si l’histoire me montre quelque chose, c’est bien que nous ne pouvons en aucun cas dépendre de ces gens du haut de la pyramide pour qu’ils opèrent les changements nécessaires vers la justice, la paix ; non,  pour cela nous devons dépendre des mouvements sociaux, c’est ce que l’histoire nous enseigne.

Objections à l’objectivité (1989)

[…] Je ne pouvais possiblement pas étudier l’histoire de manière neutre. Pour moi, l’histoire a toujours été une bonne manière de comprendre et d’aider à changer ce qui n’allait pas dans le monde.

[…] Ainsi, le grand problème au sujet de l’honnêteté historique n’est pas le mensonge éhonté ; mais c’est l’omission ou la mise sous étiquette de trivialité de données importantes. Et là, de la définition du mot “important” va bien entendu dépendre des valeurs de chacun. […] Ainsi les historiens n’ont-ils pas été “objectifs” en regard de la guerre. […] Un bon nombre d’historien, dans l’atmosphère frigorifique de la guerre froide dans les années 1950, sélectionnèrent leurs faits historiques pour se conformer à la position du gouvernement.

[…] Ainsi, dans le cas des Etats-Unis, l’assassinat de plus d’un million de Vietnamiens et le sacrifice de la vie de 55 000 jeunes Américains furent perpétrés par des hommes hautement éduqués gravitant autour de la Maison Blanche, des gens qui auraient impressionné lors de l’examen du New York Times. Ce fut un Phi Beta Kappa McGeorge Blundy, qui fut un des chefs responsables du bombardement des civils en Asie du Sud-Est. Ce fut un professeur de Harvard, Henry Kissinger, qui fut le stratège derrière la guerre de bombardement secrète de pauvres villages paysans au Cambodge.

Arrières pensées sur le premier amendement de la constitution (1989)

Une des choses que j’ai vraiment tirée en lisant et étudiant l’histoire fut de commencer à être sérieusement désabusé par la notion de ce qu’est la démocratie. Plus je lis l’histoire, et plus il me semble que clairement quelque soit le progrès qui a été fait dans ce pays sur bien des points, quoi qu’il ait été fait pour le peuple, quelque droit qui ait été gagné, ceci n’a pas été fait par la délibération et la vision du congrès du peuple ni par la sagesse des différents présidents, ni des décisions ingénieuses de la Cour Suprême. Tout progrès accompli dans ce pays l’a été par les actions des gens ordinaires, par les citoyens, les mouvements sociaux. Pas de la Constitution…

En fait la constitution n’a eu aucune importance. Elle fut ignorée pendant plus d’un siècle. Le 14ème amendement (NdT: celui sur l’égalité des droits raciaux, qui n’existait pas dans la constitution originale puisque tous ceux qui l’ont écrite, à de très rares exceptions près, étaient blancs, riches et propriétaires d’esclaves…) n’a eu quasiment aucune signification jusqu’à ce que les noirs américains se soulèvent dans les années 1950 et 1960 dans le sud et créèrent des mouvements de masse dans les endroits les plus difficiles, plus durs, plus dangereux pour quiconque de se soulever, où que ce soit.

[…] En fait voilà ce qu’est la démocratie. C’est ce que des gens font au nom de besoins humains en dehors, parfois même contre la loi, même contre la constitution. Lorsque la constitution était en faveur de l’esclavage, les gens durent aller non seulement contre la loi mais aussi contre la constitution elle-même dans les années 1850 lorsqu’ils pratiquaient toute cette désobéissance civile contre la loi sur les esclaves fugitifs. Les gens doivent créer le désordre, ce qui va à l’encontre de ce qu’on nous a appris au sujet de la loi et de l’ordre dans la société  car “vous devez obéir à la loi” et “force reste à la loi”. Obéissez à la loi, obéissez à la loi. C’est une merveilleuse façon de contenir les choses n’est-ce pas ?…

[…] Au sujet de la liberté de parole (1er amendement de la constitution américaine), où allez-vous obtenir votre information ? Le gouvernement vous ment. Il dissimule l’information, la maquille, vous induit en erreur. Vous devez toujours avoir quelque chose à dire. Vous devez avoir des sources indépendantes d’information (NdT: Zinn écrivait ceci en 1989, si l’internet existait, il n’en était qu’à ses balbutiements et n’avait pas l’audience d’aujourd’hui. L’info indépendante était très rare. L’internet est la presse de Gütemberg 2.0, une seconde révolution de l’information…)

Il y a encore beaucoup à faire pour parler, dire ce que nous pensons… Nous avons besoin d’une information. Les gens doivent savoir, s’informer. Les gens doivent répandre l’information. C’est un boulot qui doit nous engager individuellement, tous autant que nous sommes, quotidiennement et non pas seulement de temps en temps.

C’est çà le boulot de la démocratie.

A quel point l’enseignement supérieur est-il libre ? (1991)

[…] L’environnement de l’éducation supérieure est unique dans notre société. C’est la seule situation où un adulte, qu’on regarde comme un mentor, est seul avec un groupe de jeunes gens pour une période de temps établie, définie, agréée et peut assigner n’importe quelle lecture qu’il ou elle choisit aussi bien que de discuter avec ces jeunes gens de quelque sujet que ce soit sous le soleil. Il est vrai que le sujet peut être défini dans le cadre d’un curriculum, par le catalogue de la description du cours et des prérogatives éducatives, mais ceci est bien peu de chose comme obstacle pour un enseignant direct et imaginatif, spécifiquement en littérature, philosophie et en sciences sociales comme l’histoire, qui offrent des possibilités illimitées de discussions libres sur des sujets d’ordre politique et social. Pourtant, c’est exactement cette situation, dans les salles de classe de l’enseignement supérieur, qui effraie au plus haut point les gardiens, les cerbères du statu quo.

Et pourtant, lorsque les professeurs utilisent de facto cette liberté, introduisant de nouveaux sujets, de nouvelles lectures, des idées folles, défiant l’autorité, critiquant la “civilisation occidentale”, perturbant la classification des “grands livres de la littérature occidentale” comme établie par certaines autorités éducatives du passé, alors les “gardiens de la haute culture” auto-proclamés deviennent des chiens enragés.

[…] Lorsque j’ai enseigné l’histoire américaine, j’ai ignoré les canons de l’orthodoxie, ces livres dans lesquels les personnes héroïques étaient systématiquement les présidents, les généraux, les industriels, les grands entrepreneurs. Dans ces manuels, les guerres étaient traitées comme des problèmes de stratégie militaire et aucunement des problèmes moraux. Christophe Colomb, Andrew Jackson et Theodore Roosevelt étaient vus comme des héros de la “démocratie” en marche, sans un mot sur les objets de leur violence.

J’ai suggéré que l’on approche Colomb et Jackson du point de vue de leurs victimes, que nous regardions plus en détail la réussite magnifique du chemin de fer transcontinental du point de vue des ouvriers irlandais et chinois, qui moururent par milliers en le construisant.

Commettais-je alors ce terrible pêché qui fait bouillir les fondamentalistes d’aujourd’hui: “politiser le programme d’histoire ?..” Y a t’il un seul rendu d’une loi constitutionnelle, une seule narration d’un fait historique ayant trait aux Etats-Unis, qui puissent échapper à être vu depuis un angle politique ?

[…] Dans mon enseignement, je n’ai jamais caché mes vues politiques: mon dégoût de la guerre et du militarisme, ma colère contre l’inégalité raciale, ma croyance en un socialisme démocratique, en une distribution juste de la richesse du monde. Prétendre à une “objectivité” qui soit à la fois impossible et indésirable me semblait être malhonnête.

Je disais le plus clairement du monde au début de chaque cours que je donnerai mon point de vue sur le sujet que nous discuterions, que je serai le plus équitable possible avec les autres points de vue et que je respecterai au plus haut point le droit des élèves d’être en désaccord avec moi…

L’éducation supérieure, bien qu’ayant quelques privilèges spéciaux, est toujours bien entendu partie intégrante du système américain, qui est un système de contrôle ingénieux et très sophistiqué. Il n’est pas totalitaire ; ce qui permet toujours de l’appeler une “démocratie” est qu’il permet des fenêtres de liberté sur la base établie que rien ne mettra en danger la forme générale que prend le pouvoir et la richesse dans la société… Et oui, il y a en fait une certaine liberté d’expression dans le monde universitaire et académique. Comment puis-je à l’université de Boston ou Noam Chomsky au MIT ou David Montgomery à Yale, nier que nous avons plus de liberté à l’université que n’en aurions jamais eu dans le monde des affaires ou toute autre profession ? Mais ceux qui nous tolèrent savent très bien que nous sommes peu nombreux, que nos élèves aussi excité(e)s soient-ils/elles par les idées nouvelles, sortiront de l’université pour affronter un monde fait de pression et d’exhortations à la prudence. Ils savent aussi qu’ils peuvent nous citer comme des exemples de l’ouverture d’esprit du monde académique et du système à toutes les idées possibles.

[…] Ai-je eu une liberté d’expression dans mes salles de classes ? J’en ai eu une parce que j’ai suivi le précepte d’Aldous Huxley: “Les libertés ne sont pas données, elles sont saisies.”

Guerres justes et injustes (1991)

[…] Ce qui souvent se cache derrière cette affaire du “on ne peut rien faire au sujet de la guerre…” et du “la guerre, soyez réalistes, acceptez-la, essayez juste de rester en périphérie…” Le plus souvent, quelques minutes dans une discussion au sujet de la guerre ou d’une guerre, quelqu’un va dire: “de toute façon, c’est dans la nature humaine.” N’entendez-vous pas cela souvent ? Vous mettez un groupe de gens à parler de la guerre et à un moment donné, quelqu’un va dire: “c’est la nature humaine.” Il n’y a de fait absolument aucune preuve de cela. Il n’y a aucune évidence, aucune preuve génétique, pas de preuve biologique. Tout ce que nous avons ce sont des faits historiques et ceci n’est en rien la preuve d’une quelconque “nature humaine”, par contre c’est la preuve de circonstances.

Il n’y a pas de preuve biologique, génétique ni anthropologique. Quelle est la preuve anthropologique ? Vous étudiez ces “tribus primitives” comme les anthropologues les appellent, regardez ce qu’elles font et dites: “ah ! ces tribus sont féroces”, ou “ah ces tribus sont gentilles et pacifiques.” Rien n’est clair.

Et l’histoire alors ? Et bien il y a une histoire des guerres et il y a aussi une histoire de la gentillesse et de la compassion, de l’empathie.

[…] On n’a pas besoin d´étudier longtemps l’histoire des Etats-Unis pour voir et comprendre qu’elle est une longue histoire d’agression. De fait, une longe histoire d’agression ouverte et sans fioritures. […]

Christophe Colomb, les Indiens et le progrès humain de 1492 à 1992

George Orwell, qui était d’une grande sagesse, écrivit: “Qui contrôle le passé contrôle le futur et qui contrôle le présent contrôle le passé.” En d’autres termes, ceux qui dominent notre société sont en position de faire écrire nos histoires. Et s’ils peuvent faire cela, ils peuvent alors décider de nos futurs. Voilà pourquoi l’histoire, le narratif de l’affaire Christophe Colomb est très important.

Laissez-moi faire une confession. J’en savais très peu au sujet de Colomb jusqu’à il y a environ 12 ans quand j’ai commencé à écrire mon livre “Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours”. J’avais un doctorat en histoire de l’université de Colombia, c’est à dire que j’avais l’entraînement et la formation adéquats d’un historien, mais ce que je savais de Colomb était grosso modo ce que je savais de lui depuis l’école primaire. Quand j’ai décidé d’écrire “Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours”, j’ai aussi décidé d’en savoir plus sur lui. J’avais déjà conclus que je ne voulais pas écrire un survol de plus de l’histoire des Etats-Unis, je savais que mon angle d’approche serait différent. J’allais écrire au sujet des Etats-Unis depuis l’angle de vue de ces gens qui avaient été largement négligés par l’histoire classique et ses livres d’histoire: les indigènes de l’endroit, les esclaves africains importés, les femmes, les ouvriers et paysans, qu’ils soient natifs ou immigrants.

Je voulais raconter l’histoire du progrès industriel de la nation non pas du point de vue des Rockefeller, Carnegie et des Vanderbilt, mais du point de vue de ces gens qui travaillaient pour eux, dans leurs mines, dans leurs champs pétroliers et qui ont perdu leurs membres, leur santé ou leur vie en construisant leurs chemins de fer.

[…] Ainsi donc, comment devais-je raconter l’histoire de Colomb ? J’en conclus alors que je devais la raconter vue des yeux de ceux qui étaient là lorsqu’il arriva, ces gens qu’on appela “Indiens” parce qu’il croyait qu’il était en Asie.

[à lire pour plus de détails, notre traduction d’Howard Zinn: “Christophe Colomb et la civilisation occidentale” en deux parties, publiées en Septembre 2012 ~ https://resistance71.wordpress.com/2012/09/12/howard-zinn-ou-lhistoire-sous-bonne-influence-christophe-colomb-et-la-civilisation-occidentale1ere-partie/ )

[…] Les expéditions de Colomb ont-elles marqué la transition de la sauvagerie à la civilisation ? Quid de la civilisation amérindienne qui s’est construite au cours des millénaires avant l’arrivée de Colomb (NdT: dans la période dite “pré-colombienne”…) ? Las Casas et autres se sont émerveillés de l’esprit de partage et de générosité qui marqua les sociétés indiennes, les bâtiments communaux dans lesquels ils vivaient, leur sensibilité esthétique, l’égalitarisme notamment entre les hommes et les femmes.

Les colons britanniques d’Amérique du Nord furent stupéfaits du niveau de démocratie de la confédération des nations iroquoises, qui occupaient les terres de ce qui est aujourd’hui les états de New York et de Pennsylvanie, (NdT: l’Ontario et le Québec dans leurs parties aujourd’hui canadiennes). L’historien américain Gary Nash décrit la culture iroquoise: “Pas de lois ni de décrets ni d’ordonnances, pas de sheriffs ni de policiers, pas de juges no de jurés, pas de tribunaux ni de prisons, cet appareil autoritaire des sociétés européennes, ne pouvaient être trouvés dans les forêts du nord-est avant l’arrivée des Européens. Et pourtant, des limites de comportement acceptable étaient bien établies. Bien qu’étant très fiers de l’autonomie individuelle, les Iroquois maintenaient néanmoins un strict sens du bon et du mauvais…

Au cours de son expansion territoriale vers l’Ouest, la nouvelle nation des Etats-Unis vola les terres indiennes, massacra les indigènes lorsqu’ils résistèrent, détruisit leurs ressources en nourriture et leurs abris, les poussa dans des sections territoriales de plus en plus petites et organisa la destruction systémique de la société indienne.

[…] Ainsi, regarder le passé et Colomb de manière critique, c’est lever toutes ces questions au sujet du progrès, de la civilisation, de nos relations les uns avec les autres, de notre relation avec le monde naturel.

Vous avez probablement déjà entendu, comme cela m’est souvent arrivé, qu’il est en fait mal pour nous de traiter l’histoire de Colomb de la façon dont nous le faisons. Ce qu’ils nous disent en substance est ceci: “Vous prenez Colomb hors de son contexte, vous le regardez et l’analysez avec vos yeux et votre pensée du XXème siècle. Vous ne devez pas superposer les valeurs de notre temps sur des évènements qui ont eu lieu il y a plus de 500 ans. C’est a-historique.

Je trouve cet argument bizarroïde. Veut-il dire que la cruauté, l’exploitation, la veulerie, la mise en esclavage, la violence systémique contre des peuples sans défense ou presque, sont des valeurs péculières au XVème et XVIème siècles ? Que nous au XXème siècle sommes bien au-delà de tout çà ?… N’y a t’il pas certaines valeurs qui sont communes de l’époque de Colomb et de la nôtre ? La preuve de cela est que de son temps comme du nôtre, il y a eu des esclavagistes, des exploiteurs, de son temps comme du nôtre, il y a aussi eu ceux qui ont protesté contre ces ignominies, au nom de la dignité et des droits humains.

[…] Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour regarder le monde et son histoire d’un autre point de vue que celui sans cesse proposé. Nous devons le faire si nous voulons ce nouveau siècle qui vient être différent, si nous ne voulons pas qu’il soit un siècle américain, ou un siècle occidental ou un siècle blanc, ou un siècle mâle ou celui de quelque nation ou quelque groupe que ce soit, mais enfin un siècle de l’humanité.

Refus d’abandonner (1990)

Je peux comprendre le pessimisme, mais je n’y crois pas. Ce n’est pas simplement une affaire de croyance, mais de preuve historique. Juste suffisamment pour donner espoir, car pour l’espoir nous n’avons pas besoin de certitude mais seulement de possibilité.

[…] Il est certain que l’histoire ne recommence pas avec chaque décennie qui passe. Les racines d’une ère poussent et fleurissent dans des ères subséquentes. Des êtres humains, des écrits, des transmissions invisibles de toutes sortes, portent des messages au travers des générations. J’essaie d’être pessimiste pour faire comme certains de mes amis. Mais je pense aux décennnies passées et regarde autour de moi et là il m’apparaît que si le futur n’est pas certain, il est néanmoins possible.

= = =

Repose en paix Howard Zinn, grand historien de notre temps, ton héritage de pensée critique et humaniste est intarissable. 

Résistance 71

“Ce que l’histoire révisionniste nous enseigne est que notre inertie de citoyens à abandonner le pouvoir politique à une élite a coûté au monde environ 200 millions de vies humaines entre 1820 et 1975. Ajoutons à cela la misère non dite des camps de concentration, des prisonniers politiques, de l’oppression et de l’élimination de ceux qui essaient de faire parvenir la vérité en pleine lumière… Arrêtons le cercle infernal du pillage et des récompenses immorales et les structures élitistes s’effondreront. Mais pas avant que le majorité d’entre nous trouve le courage moral et la force intérieure de rejeter le jeu frauduleux qu’on nous fait jouer et de le remplacer par les associations volontaires ou des sociétés décentralisées, ne s’arrêteront le pillage et le massacre.”

~ Antony Sutton, historien, et professeur de sciences politiques, Stanford U, 1977 ~

Résistance politique et désobéissance civile: Guerre juste… vraiment ? (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, média et propagande, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, résistance politique with tags , , , , , , , , , , , , , on 3 janvier 2014 by Résistance 71

Extraits de deux discours d’Howard Zinn: “Juste guerre” donné à Rome en Italie en Juin 2005 et “Surmonter les obstacles”, donné à l’université du Colorado en novembre 2006

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~ Janvier 2014 ~

 

1ère partie

 

Guerre juste

Howard Zinn

(larges extraits du discours fait à Rome le 23 juin 2005)

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~ Décembre 2013 ~

 

[…] Je viens d’un pays qui est en guerre et qui l’a pratiquement toujours été depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis n’ont pas été envahis depuis près de 200 ans, pas depuis la guerre de 1812, mais ils ont envahi d’autres pays encore et toujours, tout comme ils continuent de le faire à présent en Irak et pour cela je me sens particulièrement honteux.

[…]

Nous devons reconnaître le fait que nous ne pouvons pas dépendre des gouvernements du monde pour abolir la guerre, parce que ceux-ci ainsi que les intérêts économiques qu’ils représentent bénéficient grandement de la guerre. Donc, nous, les peuples du monde, devons relever ce défi et bien que nous ne commandons pas d’armées, que nous n’ayons pas de grands trésors de richesses, il y a néanmoins un fait crucial qui nous donne un grand pouvoir: les gouvernements du monde ne peuvent pas s’engager dans la guerre sans la participation des peuples. Albert Einstein avait compris ce simple fait. Horrifié par le carnage de la première guerre mondiale durant laquelle dix millions de personnes moururent sur les champs de batailles d’Europe, Einstein avait dit: “Les guerres s’arrêteront lorsque les hommes refuseront de se battre.”

Ceci est notre défi, d’amener le monde à un point où les hommes refuseront de se battre et les gouvernements seront sans pouvoir à mener les guerres. Est-ce utopique ? Impossible ? Seulement un rêve ?

Les hommes entrent-ils en guerre parce que c’est dans leur nature ? Si c’est le cas alors ceci devrait être considéré comme impossible, impossible d’arrêter les guerres. Mais le fait est qu’il n’y a aucune évidence que ce soit biologique, psychologique ou anthropologique d’un instinct naturel de l’Homme pour la guerre. Si cele était du reste le cas, nous trouverions des évidences de poussées spontanées des gens , des peuples pour se battre et entrer en guerre continuellement. Ce que nous trouvons en fait est quelque chose de bien différent: Nous trouvons que les gouvernements doivent déployer d’énormes efforts pour mobiliser des populations entières à la guerre. Ils doivent soudoyer les soldats avec des promesses de récompenses, d’argent, de terres, d’éducation et si ces incentifs ne marchent pas, alors le gouvernement fait usage de la coercition. Il établit la conscription des jeunes adultes, les force au service militaire, les menace de prison s’ils n’obéissent pas.

Mais l’arme principale du gouvernement pour lever ses armées est la propagande, l’idéologie. Il doit persuader les jeunes adultes et leurs familles que bien qu’ils puissent mourir à la guerre, qu’ils puissent y perdre bras et jambes, que ceci est un sacrifice pour le bien commun, pour une noble cause, pour la démocratie, pour la liberté, pour dieu, pour le pays.

Les croisés du Moyen-Age se battait pour le Christ. Les SS nazis avaient la phrase “Gott mit Uns” (”Dieu avec Nous”) gravée sur les boucles de leurs ceinturons et les lames de leurs dagues. Les jeunes Américains d’aujourd’hui répondront à la question du “pourquoi allez-vous en Irak?” par “j’ai une dette envers mon pays”. Dieu, liberté, démocratie, nation, ne sont que des exemples de ce que le grand romancier Kurt Vonnegut appelait “des leurres”, des abstractions, des termes dénués de sens qui ne nous apprennent rien au sujet de l’être humain.

L’idée que “nous devons quelque chose” à notre pays remonte à loin, à Platon, qui mît ces mots dans la bouche de Socrate, l’idée que le citoyen a une obligation envers l’État, que l’État doit être révéré plus que père et mère. Il dit: “Dans la guerre, comme au tribunal, comme partout, vous devez faire ce que votre État, votre pays, vous demande de faire, ou vous devez les persuader que ce qu’il vous demande est injuste.” Il n’y a aucune égalité ici: Le citoyen doit utiliser la persuasion, rien que cela. Par contre l’État lui, peut utiliser la force (NdT: de fait l’État a communément le monopole de la violence, le monopole de la coercition…).

L’idée même d’obéissance à l’État est le fondement même du totalitarisme et nous ne trouvons pas cela seulement avec Mussolini et Hitler, mais aussi avec Staline en URSS et aussi dans les soi-disantes démocraties occidentales comme les Etats-Unis.

Ici, chaque année, à la fin du mois de mai, nous célébrons le jour de la commémoration, qui est dédié à la mémoires de tous ceux et celles qui sont morts dans les guerres de la nation. C’est le jour où le clairon sonne, où on déploie les drapeaux et où vous entendez les politiciens nous gargariser du sempiternel: “Ils ont donné leurs vies pour le pays”. Il y a un double mensonge dans cette phrase.

D’abord, ceux qui sont morts n’ont pas “donné leurs vies”… Leurs vies ont été prises par les politiciens qui les ont envoyés à la guerre, les politiciens qui maintenant inclinent la tête le jour de la commémoration.

Secundo, ils n’ont pas “donné leurs vies” pour le pays, mais pour le gouvernement du moment, comme en ce moment celui de Bush/Cheney et Rumsfeld et leurs exécutifs des entreprises Halliburton et Bechtel, qui profitent tous financièrement et/ou politiquement, de l’action militaire qui a tuée plus de 1700 soldats américains et un nombre incalculable d’irakiens. Non, ils ne sont pas morts pour leur pays. Les gens ordinaires de ce pays ne retirent aucun bénéfice du sang versé en Irak.

Lorsque les Etats-Unis sont nés de la révolte contre le joug britannique, ils ont adopté une déclaration d’indépendance, qui édicte les principes fondamentaux de la démocratie, qu’il y a une différence entre le peuple, le pays d’un côté et le gouvernement de l’autre côté. Le gouvernement est une création artificielle, établi par le peuple pour défendre le droit égal de chacun à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur sur terre et quand le gouvernement ne remplit pas ou plus cette obligation, il est alors du droit du peuple, des propres mots de la déclaration d’indépendance, “de changer ou d’abolir” le gouvernement.

En d’autres termes, quand le gouvernement agit contre la vie, la liberté et la poursuite du bonheur, la désobéissance au gouvernement est un principe nécessaire de la démocratie. Si nous nous soucions de la démocratie, nous devons constamment rappeler à nos jeunes ce principe, spécifiquement lorsqu’on leur demande d’aller en guerre.

C’est un attribut des instincts naturels de l’Homme que de préserver la vie, que de se préoccuper des autres et les gouvernements doivent utiliser tous les pouvoirs à leurs disposition comme la corruption, la coercition, la propagande, pour vaincre ces instincts naturels et persuader une nation qu’elle doit aller en guerre.

[…]

Je suis moi-même devenu bombardier navigant d’un B-17 durant la seconde guerre mondiale et j’ai effectué des missions de combat au dessus du continent européen. J’ai largué des bombes sur Berlin et sur d’autres villes en Allemagne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie et même sur une petite ville de l’Ouest de la France (Royan). Je n’ai à l’époque jamais rien questionné. Le fascisme devait être vaincu. J’ai effectué les toutes dernières missions de bombardement de la guerre, j’ai reçu mes médailles et ai été silencieusement fier de ma participation à la défaite du fascisme. Je n’avais aucun doute. C’était une guerre juste.

Après la guerre, j’ai emballé mes breloques, mes carnets de navigation dans un dossier sur lequel j’inscrivis en grandes lettres sans même y penser: “PLUS JAMAIS”. Je ne suis toujours pas sûr au jour d’aujourd’hui pourquoi j’ai fait cela, je suppose que je commencais inconsciemment ce que je fis plus tard consciemment: questionner les motifs, la conduite et les conséquences de cette croisade contre le fascisme…

Peut-étre que les doutes ont commencé durant mes missions de bombardement avec des conversations que j’avais eu avec un mitrailleur d’un autre équipage. A ma grande surprise, il parlait de cette guerre comme d’une guerre impérialiste, combattue de chaque côté pour la puissance nationale. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ne s’opposaient au fascisme que parce qu’il avait menacé leur propre contrôle des ressources et des gens. Oui, Hitler était un dictateur psychopathe et un envahisseur d’autres pays, mais qu’en était-il de la Grande-Bretagne, de l’empire britannique et de sa longue histoire guerrière contre des peuples indigènes pour les soumettre au profit et à la gloire de l’Empire? Et l’URSS n’était-elle pas elle-même une dictature brutale qui n’était pas concernée par les classes travaillleuses du monde mais par son propre intérêt national ? Et quid de mon pays et de ses ambitions impérialistes en Amérique Latine et en Asie ? Les Etats-Unis étaient entrés en guerre non pas quand les Japonais avaient commis des atrocités en Chine, mais seulement quand le Japon avait attaqué Pearl Harbor à Hawaii, une colonie des Etats-Unis.

Ceci représentait des questions troublantes, mais je continuais mes missions de bombardement. Ironiquement, mon ami radical qui appelait cette guerre une guerre impérialiste fut tué au cours d’une mission au dessus de l’Allemagne dont son appareil ne revint pas et ce peu de temps après notre dernière conversation.

[…]

Quand vous larguez des bombes d’une altitude de 8km, vous ne voyez pas ce qu’il se passe en dessous. Vous n’entendez pas les cris (des civils), vous ne voyez pas de sang. Vous ne voyez pas les enfants déchiquettés par vos bombes. J’ai alors commencé à comprendre qu’en temps de guerre des atrocités sont commises des deux côtés, par des gens ordinaires, qui ne voient pas leurs victimes de près, ni même ne les voient comme êtres humains, mais ne les voient que comme “ennemis”, bien qu’ils ne soient peut-ietre âgés que de cinq ans.

Je pensais alors à un raid aérien auquel j’avais participé juste quelques semaines avant la fin de la guerre. A côté d’une petite ville de la côte atlantique française appelée Royan, se trouvait une garnison allemande. Ils ne faisaient plus rien, ils attendaient juste la fin de la guerre. Notre équipage et des milliers d’autres furent ordonnés de bombarder la zone de Royan et on nous a dit alors que nous allions utiliser un nouveau type de bombes appelées bombes à gel d’essence. C’était du napalm. Plusieurs milliers de personnes furent tuées, des soldats allemands certes, mais aussi des civils français et volant à haute altitude, je ne vis aucun être humain, aucun enfant brûlé par le napalm. La ville de Royan fut détruite. Je n’y ai pas pensé jusqu’à ce que j’ai lu plus tard au sujet des victimes d’Hiroshima et de Nagasaki. J’ai visité Royan, 20 ans après la guerre. Je fis quelques recherches et me rendis alors compte que ces milliers de personnes étaient mortes juste parce que quelqu’un voulait plus de médailles et d’honneur et que quelqu’un haut placé voulait tester le napalm sur de la chair humaine (NdT: comme ils ont voulu tester l’arme atomique sur des humains, tout en inspirant la peur de la destruction massive).

J’ai alors commencé à réfléchir sur les bombardements alliés des populations civiles durant la guerre. Nous avions été horrifiés lorsque les Italiens avaient bombardé Addis Abeba, lorsque les Allemands ont bombardé Coventry et Londres et Rotterdam. Mais quand les leaders alliés se sont recontrés en 1943 à Casablanca au Maroc, ils se sont mis d’accord sur de massifs raids aériens pour casser le moral du peuple allemand. Winston Churchill et ses conseillers, avec l’accord du commandement américain, décidèrent de bombarder les zones prolétaires urbaines allenmandes pour parvenir à la démoralisation du pays.

Ainsi commencèrent les campagnes de saturation par bombardements dont furent victimes les ville de Francfort, Cologne, Hambourg, tuant des dizaines de milliers de civils dans chaque ville en février 1945. Ce fut la terreur par les bombardements. L’aviation anglo-américaine attaqua la ville de Dresde durant un jour et une nuit sans discontinuer et quand la chaleur intense générée par les bombardements créa un vide, une tempête de feu gigantesque balaya la ville qui était pleine de réfugiés à ce moment là. Environ 100 000 civils furent tués, personne ne sait exactement.

J’ai étudié les circonstances des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki et en ait conclu, tout comme l’ont fait la plupart des universitaires sérieux qui ont étudiés ces incidents, que les excuses qui furent données pour justifier cette horreur étaient fausses. Ces deux bambardements atomiques n’étaient pas nécessaires pour abréger la guerre, parce que les Japonais cherchaient déjà à soumettre leur rédition. Il y avait une motivation politique pour commettre ce crime: Ils furent les premiers actes de la guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS, qui utilisèrent quelques centaines de milliers de civils japonais comme cobayes. Avant même les attaques nucléaires d’Août 1945, il y eut au printemps 1945, l’attaque de nuit de la ville de Tokyo qui fut mise en flamme. Il n’y avait aucunes cibles déterminées, les bombardements firent peut-être quelques 100 000 morts, hommes, femmes et enfants.

J’en vins alors à la conclusion que la guerre, toutes les guerres, mêmes les soi-disantes “guerres justes”, corrompent tous ceux qui y participent, c’est un poison de l’esprit de tout côté. J’ai compris alors qu’il y avait un processus qui rendait de simples gens ordinaires comme moi et bien d’autres, tueurs décérébrés. Une décision est prise qu début de la guerre disant que votre côté est le bon et que l’autre côté est le mauvais et qu’une fois cette décision prise, vous n’avez plus à y réfléchir, quoi que vous fassiez, même les pires atrocités, est acceptable.

[…]

J’ai passé un peu de temps à parler de la seconde guerre mondiale parce qu’elle est l’exemple classique de ce qu’on appelle une guerre juste, une bonne guerre, une guerre humanitaire. J’insiste pour en parler parce que ses éléments immoraux n’ont pas été examinés et que si après examen nous trouvons des questions troublantes et dérangeantes au sujet de la meilleure des guerres, cette guerre la plus humanitaire de toutes les guerres, alors que pouvons nous dire pour justifier d’autres guerres ? […] L’idée d’une guerre juste, discréditée par la première guerre mondiale, a été ravivée par la seconde. Mais la Corée et le Vietnam ont une fois de plus donné une mauvaise réputation alors que toujours plus d’Américains se rendent compte qu’ils ont été trompés par le gouvernement et ont décidé qu’ils ne pouvaient plus justifier d’une guerre qui avait tuée plus de 58 000 Américains et des millions de Vietnamiens.

[…]

Les évènements du 11 septembre 2001, la destruction des tours jumelles de New York et la mort de près de 3000 personnes, ont donné au gouvernement Bush ce dont il avait besoin, une justification pour aller en guerre. Bush a annoncé de suite la “guerre contre le terrorisme” et ordonna immédiatement le bombardement de l’Afghanistan. La justification était qu’Oussama Ben Laden, considéré comme le responsable des attaques, y était abrité. On ne savait pas exactement où il se trouvait, mais le pays entier devint une cible. Bizarre façon de penser. Si vous savez qu’un criminel se cache dans un voisinage mais vous ne savez pas où, vous ordonnez la destruction de tout le voisinage…

Qu’est-ce qui pourrait être plus juste qu’une “guerre contre le terrorisme” ? Les horreurs du 11 septembre ont créé l’atmosphère propice aux Etats-Unis, celle de la peur. Ceci fut bien amplifié par les médias hystériques, qui empêchèrent les gens de réaliser la contradiction même de cette justification à la guerre: celle que la guerre elle-même est terrorisme. En fait, la guerre est la forme la plus ultime et achevée de terrorisme. Aucun groupe terroriste dans le monde ne peut avoir le pouvoir de destruction et la capacité de meurtre massif que celui des nations.

[Puis vint la guerre en Irak]… Le public américain a été tenu dans l’ignorance de ce que cette guerre a fait aux Irakiens. Peu de personnes savent que plus de 100 000 Irakiens sont morts dans cette guerre (NdT: discours fait en 2005). De temps en temps un flash de l’horreur transparaît dans les bulletins info.

[…]

De plus en plus d’Américains savent que le gouvernement Bush a menti et que ces mensonges sont exposés au grand jour, qu’il a menti au sujet de la connexion entre l’Irak et Al Qaïda, la couverture des plans secrets de Bush, avant le 11 septembre, de l’invasion de l’Irak. De plus en plus d’Américains sont au courant que l’Irak n’a pas seulement été envahi par des soldats américains mais pas des corporations, des entreprises américaines comme Halliburton, Bechtel, à qui on a rétrocédé des contrats de milliards de dollars pour soutenir l’occupation du pays. Les Américains comprennent que notre société est contrôlée par une classe de riches et que les guerres leurs ramènent de gros dividendes. Pendant la guerre du Vietnam, un des meilleurs posters du mouvement anti-guerre qui fut fait par un artiste connu disait ceci de manière clinique et cynique: “La guerre est bonne pour le business, investissez-y votre fils !”

[…]

Nous avons appris de l’Histoire et de son expérience que les gens peuvent changer dramatiquement leurs opinions s’ils ont une nouvelle information. Au début de la guerre du Vietnam 60% des Américains la soutenait. Quelques années plus tard, 60% s’opposaient à la guerre. La raison de ce renversement du tout au tout est que peu à peu la vérité a fini par faire surface… Les photos du massacre de My Lai où l’armée américaine massacra plus de 500 villageois pour la plupart des vieillards, des femmes et des enfants, firent leur apparition et la célèbre photo de la petite Vietnamienne courant nue sur la route, le corps brûlé au napalm.

Ceci nous suggère ce que nous devons faire si nous voulons nous débarrasser des guerres, pas seulement de celle en cours en Irak, mais de la guerre en général.. Nous devons, tous, devenir des enseignants, divulguer l’information. Nous devons mettre au grand jour les motifs et les buts des leaders politiques, mettre à jour leurs connexions avec la puissance entrepreneuriale de l’argent, dénoncer et montrer les bénéfices indécents qui sont faits de la mort et de la souffrance humaine. Nous devons enseigner l’histoire, parce que quand vous regardez l’histoire des guerres, vous voyez comment la guerre corrompt tous ceux qui sont impliqués, comment le soi-disant “bon côté” se comporte bientôt aussi mal que le soi-disant “mauvais côté” et comment tout ceci a été vérifié vrai depuis les guerres du Péloponèse à celles de nos jours…

Nous devons exposer une vision d’un monde différent, un monde duquel les frontières nationales seraient effacées et où nous serions une véritable grande famille, celle des Hommes, dans laquelle nous traiterions les enfants du monde comme nos propres enfants, ce qui voudra dire que nous ne pourrons plus jamais nous engager dans la guerre (NdT: Cette vision de Zinn est très proche du concept d’humanité reflété par les nations indiennes des Amériques)…

Il est toujours possible de faire de ce XXIème siècle un siècle bien différent du dernier, mais pour cela, nous devons tous jouer notre part.

=  *  =  *  =

Source:

Arnove Anthony, “Howard Zinn Speaks”, Haymarket Books, 2012, ch.14, pp 185-205