« Le refus de l’État est le refus de l’exonomie, de la loi extérieure, c’est tout simplement le refus de la soumission, inscrit comme tel dans la structure même de la société originelle. Seuls des idiots peuvent croire que pour refuser toute aliénation, on doit d’abord en avoir fait l’expérience: le refus de l’aliénation économique ou politique appartient à l’être même de cette société, cela exprime son conservatisme, sa volonté délibérée de demeurer indivisée. Delibérée de fait et pas seulement l’effet du fonctionnement de la machine sociale: les sauvages ne savent que trop bien que toute altération de leur vie sociale ou toute innovation sociale, pourrait se transformer en une perte de liberté. »
~ Pierre Clastres ~
« L’Homme n’est donc pas le descendant d’un ‘singe tueur’, la violence n’est pas inscrite dans ses gènes. Au contraire, il a développé très tôt des comportements altruistes à travers notamment, l’empathie dont il a fait preuve envers ses semblables. Nous sommes loin de la thèse girardienne, de l’existence d’une ‘violence primordiale’. En outre, celle-ci dédouane l’Homme de toute responsabilité: ce ne sont pas nos actions mais notre ‘nature’, sous entendu, ‘animale’, qui engendre la violence. Cette supposée ‘animalité en nous’ est l’éternel alibi à tous nos débordements ! La violence, liée aux structures économiques, politiques, sociales et religieuses des sociétés, est souvent un symptôme, notamment des injustices et non une cause… Combattre les comportements violents suscités et légitimés après coup par des idéologies qui tiennent que la violence est inhérente à l’Homme, telle doit être notre ardente obligation. »
~ Marylène Patou-Mathis ~
Violence et nature humaine
Howard Zinn
Ce texte correspond à de larges extraits du chapitre 3 du livre d’Howard Zinn “Declarations of Independance, cross-examining the American Ideology”, Harper Perennial, 1990 qui n’a pas été traduit en français à notre connaissance.
Traduit de l’anglais par Résistance 71, Mars 2016
Je me rappelle de trois incidents différents liés à la violence dans trois parties différentes de ma vie. Dans deux d’entre eux j’étais un observateur, dans un autre je fus le perpétrateur.
A l’automne de 1963, j’étais à Salma, Alabama et j’y ai vu deux jeunes activistes des droits civils noirs se faire matraquer au sol par des troupes de l’état d’Alabama (NdT: les State Troopers, qui sont des troupes existant dans chaque état aux Etats-Unis. Différent de la Garde Nationale. La Garde Nationale est un service volontaire, les State Troopers sont des professionnels mais n’ont de compétence que dans leur état d’origine. Ils sont souvent assignés à des missions de police et de maintient de l’ordre), puis se faire électriser au moyen de bâton électrique, parce qu’ils essayèrent d’apporter de l’eau et de la nourriture à d’autres noirs qui faisaient la queue dans l’attente de s’inscrire sur les lisres électorales.
En tant que jeune bombardier de 22 ans, j’ai participé à une mission durant les toutes dernières semaines de la seconde guerre mondiale, qui ne peut être vue que comme une atrocité. Cela consistait au bombardement au napalm d’un petit village français pour des objectifs qui n’avaient rien de gagner la guerre et ne laissant qu’une zone dévastée par la mort et l’horreur quelques 7km en dessous de nos avions. (NdT: Howard Zinn fait ici référence au bombardement au napalm de Royan par les Américains le 15 Avril 1945. Il a expliqué cette affaire en de multiples occasions.)
Des années avant cela, alors que j’étais un adolescent dans les rues de Brooklyn à New York, j’ai été le témoin d’une dispute entre un homme noir et un vieux juif qui semnlait être son employeur. C’était une dispute au sujet d’argent qui apparemment était dû à l’homme noir et celui-ci semblait désespéré de l’obtenir. Il plaidait et menaçait tout à tour, mais le vieil homme restait inflexible. Soudain, l’home noir attrapa un panneau en bois et en frappa le viel homme à la tête. Celui-ci, le sang coulant sur son visage, continua à pousser son chariot sur le trottoir et s’éloigna.
Je n’ai jamais été persuadé qu’une telle violence, celle d’un noir en colère, d’un policier haineux ou d’un personnel navigant de l’armée de l’air, fusse le résultat de quelque instinct naturel. Tous ces incidents, après y a voir réfléchi dans le temps, avaient une explication sociale par les circonstances dans lesquelles ils eurent lieu. Je suis en accord total avec le philosophe anglais du XIXème siècle John Stuart Mill lorsqu’il disait: “De tous les modes vulgaires d’échappatoire à la considération de l’effet des influences sociales et morales sur l’esprit humain, le plus vulgaire est celui qui attribut la diversité de conduite et de caractère humain à des différences naturelles inhérentes.”
Pourtant, au début des discussions sur la violence humaine, spécifiquement de discussion sur les causes de la guerre, quelqu’un dira immanquablement: “Que voulez-vous, c’est dans la nature humaine !” Il y a un soutien intellectuel ancien et de poids pour soutenir cet argument commun. Niccolo Machiavelli dans son ouvrage “Le Prince”, exprime de manière confiante sa propre vision de la nature humaine, à savoir que les humains tendent vers le mal. Ceci lui donne une bonne raison, en étant “réaliste”, d’insister pour laisser de côté les scrupules moraux lorsqu’on doit gérer des situations humaines: “Un homme qui voudrait faire profession d’être bon en tout doit nécessairement être désappointé par la masse de ceux qui ne le sont pas. Il est donc nécessaire pour un prince désirant de maintenir, d’apprendre à ne pas être bon.”
Le philosophe du XVIIème siècle Thomas Hobbes a dit: “Je reconnais à toute l’humanité une inclinaison générale à un désir perpétuel du pouvoir pour le pouvoir qui ne cesse que dans la mort.” Cette vision de la nature humaine mena Hobbes à favoriser n’importe quel type de gouvernement, même autoritaire, qui maintiendrait la paix en bloquant, restreignant ce qu’il pensait être la proprention naturelle des gens à être violents envers les autres. Il parla de “condition dissolue d’hommes sans maîtres” qui demandait “un pouvoir coercitif pour leur lier les mains de toute rapine et de vengeance.”
Les croyances au sujet de la nature humaine deviennent ainsi des prophéties se réalisant d’elles-mêmes. Si vous croyez que les êtres humains sont naturellement violents et méchants, vous pourrez bien être persuadé de penser (bien que pas requis de penser) que c’est en fait “réaliste” d’être vous-même ainsi. Mais est-il en fait réaliste (c’est à dire “je regrette, mais c’est un fait…”) de blâmer la guerre sur la nature humaine ?
En 1932, Albert Einstein, déjà célèbre pour son grand travail en physique et en mathématiques, écrivit une lettre à un autre grand penseur de ce siècle: Sigmund Freud. Einstein était très troublé par le souvenir de la première guerre mondiale, qui ne s’était terminé que quatorze ans auparavant. Dix millions d’hommes étaient morts sur les champs de bataille d’Europe, pour des raisons que personne ne pouvait logiquement expliquer. Comme tant d’autres qui avaient vécu cette guerre, Einstein était horrifié par la pensée que la vie humaine pouvait être détruite à une si grande échelle et il était très concerné du fait qu’il pourrait bien y avoir une autre guerre mondiale. Il considéra que Freud, la sommité mondiale en matière de psychologie, pourrait faire la lumière sur la question du pourquoi donc les hommes font-ils la guerre ?
“Cher professeur Freud, y a t’il une façon quelconque de délivrer l’humanité de la menace de la guerre ?” Einstein parla de “ce petit groupe très déterminé, actif au sein de chaque nation, composé d’individus qui contemplent la guerre, la fabrication et la vente d’armes, simplement comme étant une occasion de faire avancer leurs intérêts particuliers et d’augmenter leur autorité personnelle.” Puis il demanda: “Comment est-il possible à cette petite clique de faire plier la volonté de la majorité, qui ne peut que perdre et souffrir du fait d’un état de guerre au service de leurs ambitions ?”
Einstein tenta d’y répondre: “Parce que l’Homme a en lui une soif de haine et de destruction.” Puis il posa cette question finale à Freud: “Est-il possible de contrôler l’évolution mentale de l’humain afin de le rendre étanche contre les psychoses de la haine et de la destruction ?”
Freud lui répondit: “Vous supposez que l’Homme a en lui un instinct actif pour la haine et la destruction et qu’il est prône à de telles stimulations. Je suis tout à fait d’accord avec vous… Le plus petit regard porté à l’histoire du monde montrera une série sans fin de conflits entre une communauté et une autre.” Freud mit en évidence les deux instincts fondamentaux de l’être humain: l’instinct amoureux ou érotique et son opposé, l’instinct destructeur. Le seul espoir qu’il entretenait pour que l’érotique triomphe de l’instinct de destruction était dans le développement culturel de l’humain, incluant “un renforcement de l’intellect, qui tend à maîtriser notre vie instinctive.”
Einstein avait un point de vue différent sur la valeur de l’intellect et sa maîtrise des instincts. Après avoir pointé “les psychoses de haine et de destruction”, Einstein conclût: “L’expérience prouve que c’est plutôt la soi-disante “intelligentsia” qui est la plus apte à mener à ces désastreuses suggestions collectives.”
Voici dont les deux des plus grands esprits du siècle, frustrés et sans espoir devant la persistance de la guerre. Einstein s’aventurant à suggérer que les instincts agressifs de l’homme sont à la racine de la guerre, demande à Freud, l’expert mondial sur les instincts et lui demande de l’aide pour trouver une solution. Notez néanmoins qu’Einstein a sauté de “l’homme ayant en lui une pulsion” à “des suggestions collectives désastreuses”. Freud ignore ce saut de l’instinct à la culture et affirme que “l’instinct destructeur” est la cause cruciale de la guerre.
Mais quelle est la preuve de Freud pour pouvoir affirmer l’existence d’un tel instinct ? Il y a quelque chose de curieux dans son raisonnement. Il n’offre aucune preuve depuis son champ d’expertise, la psychologie. Sa preuve est “le plus petit regard porté à l’histoire du monde”.
Faisons avancer la discussion, 50 ans plus tard, avec une école de pensée qui n’existait pas encore du temps de Freud: la sociobiologie. Le porte-parole le plus prominent de cette discipline est un professeur de l’université de Harvard: E. O. Wilson. Son livre “Sociobiology” est un traité impressionnant sur le comportement de diverses espèces dans le monde biologique et qui ont une inclinaison sociale, comme les fourmis, les abeilles ou les termites.
Dans le dernier chapitre de son ouvrage, Wilson se tourne vers les humains et ceci attira tellement d’attention, qu’il décida d’écrire un ouvrage complémentaire sur le sujet: “On Human Nature”. Il y a un chapitre sur l’agression. Il commence avec la question suivante: “Les êtres humains sont-ils naturellement agressifs ?” Deux phrases plus loin: “La réponse est oui.” (aucune hésitation ici) et dans la phrase suivante, il explique pourquoi: “Au travers de l’histoire, les guerres, représentant seulement la technique la plus organisée d’agression, ont été endémiques à toutes les formes de sociétés des bandes de chasseurs-cueilleurs aux états industriels.”
Voilà de nouveau une situation bien péculière. Le psychologue (Freud) ne trouve pas ses preuves de l’instinct agressif de l’humain dans son champ d’expertise qu’est la psychologie mais dans l’histoire. De même, le biologiest (Wilson) ne trouve pas ses preuves dans la biologie, mais aussi dans … l’histoire.
Ceci fait plus que suggérer le fait que la preuve en provenance à la fois de la psychologie et de la biologie n’est pas suffisante pour établir sans contestation de l’instinct agressif de l’humain. Ainsi donc, ces éminents penseurs de notre temps se tournent vers l’histoire. En cela, ils ne sont pas différents de la personne ordinaire, dont la pensée suit la même logique: l’histoire est remplis de guerres, on ne peut pas trouver un temps de l’histoire où il n’y en eut pas (NdT: 20 ans plus tard, il a été établi par de nombreuses recherches archéologiques paléonthologiques que la violence guerrière s’est établie avec la sédentarité du néolithique et sa “révolution agricole”. Il n’y a en effet pas de traces significatives de violence collective dans la période paléolithique, celle de l’homme de Néanderthal et début de Cro-Magnon, cf à ce sujet les recherches des professeurs Marylène Patou-Mathis et Jean-Paul Demoule) ceci voudrait donc dire que cela proviendrait de quelque chose de profondément ancré dans la nature humaine, quelque chose de biologique, une pulsion, un instinct d’agression violente.
Cette logique est très répandue dans la pensée moderne, dans toutes les classes de la société, que les gens soient hautement éduqués ou pas. Et pourtant, cela est sans aucun doute faux. De plus, cela est dangereux de penser de la sorte.
Faux, parce qu’il n’y a pas de preuve concrète de cela. Ni dans la génétique, ni en zoologie, ni en psychologie, ni en anthropologie, ni en histoire, ni même dans l’expérience ordinaire des soldats en guerre. Cela est dangereux parce que cela détourne l’attention des causes non biologiques de la violence et de la guerre.
[…] Quand Wilson parle de gens qui sont “agressifs de manière innée”, il ne veut pas dire qu’ils sont nés avec une énorme propention à devenir violent, cela dépend de notre environnement. Et même si nous devenons agressifs, cela n’a pas besoin de prendre la forme de la violence.
[…] Il n’y a pas de gène connu de l’agression, de l’agressivité. De fait, il n’y a pas de gènes connus pour toutes les formes communes de comportement humain (je prends en considération le fait qu’un défaut génétique du cerveau pourrait laisser une personne plus violente que d’autres, mais le simple fait de dire qu’il s’agisse d’un défaut veut dire que cela n’est pas un trait normal…). La science de la génétique, l’étude des matériaux d’hérédité faite sur les quelques 40 et plus chromosomes de chaque cellule humaine et transmis d’une génération à l’autre, en sait long sur les gènes de caractéristiques physiques, très peu au sujet de gènes de capacité mentale et pratiquement rien sur les gènes de personnalité et de comportements (violence, concurrence, gentillesse, méchanceté, sens de l’humour etc…)
Le collègue de Wilson à Harvard, le scientifique Jay Gould, spécialiste de l’évolution, le dit très platement dans le magazine d’Histoire Naturelle en 1976: “Quelle est la preuve directe pour un contrôle génétique d’attitude sociale spécifique chez l’humain ? En ce moment la réponse est: absolument aucune !”
[…] Au printemps 1986, une conférence scientifique internationale se tenant à Séville en Espagne, publia une déclaration sur la question de la nature humaine et de la violence d’agression, concluant: “Il est scientifiquement incorrect de dire que la guerre est causée par “instinct” ou toute motivation singulière… La guerre moderne implique l’utilisation institutionnelle de caractéristiques personnelles comme l’obéissance, la suggestibilité et l’idéalisme… Nous concluons que la biologie ne condamne pas l’humanité à la guerre.”
Et la preuve psychologique ? Ceci n’est pas une science si “difficile” comme la génétique. Les généticiens peuvent examiner les gènes, même les découper en nouvelles formes. Ce que font les psychologues est de regarder et d’analyser ce que les gens pensent et comment ils se comportent., de les tester, de les psycho-analyser, faire des expériences pour voir comment les gens se comportent et essaient de parvenir à des conclusions raisonnables sur le pourquoi les gens se comportent de la façon dont ils le font.
Note de Résistance 71: Ici Zinn décrit la célèbre expérience de Milgram qui eut lieu à l’université de Yale dans les années 1960, où des sujets devaient infliger des chocs électriques bidons à des cobayes humains, complices des chercheurs, lorsque ceux-ci répondaient mal à une question. Les “tortionnaires” expérimentaux ne savaient pas que les chocs électriques étaient fictifs et les récipiendaires des décharges fictives, des acteurs. Cette expérience a été mise en scène au cinéma dans le film “I comme Icare” d’Henri Verneuil, 1979.
[…] Qu’en est-il des preuves en provenance de l’anthropologie, c’est à dire de l’étude du comportement des peuples “primitifs”, qui sont supposés être au plus proche de l’état “naturel” et donc de donner de bons indices au sujet de la “nature humaine”. Il y a eu bien des études sur les traits de personalité de tels peuples comme les Bushmen du Kalahari, les Indiens d’Amérique du Nord, les tribus malaises, les Tasaday encore à l’âge de pierre aux Philippines, etc… Les trouvailles peuvent être résumées assez facilement: Il n’y a pas de schéma simple d’attitude guerrière ou pacifique, les variations sont grandes. En Amérique du Nord les Indiens des grandes plaines étaient plus enclins à la guerre tandis que les Cherokee de Georgie étaient bien plus pacifiques.
L’anthropologue Colin Turnbull a conduit deux études différentes de terrain dans lesquelles il vécut un bon moment avec des autochtones. Dans son ouvrage “The Forest People”, il décrit les Pygmées de la forêt Ituri d’Afrique Centrale, un peuple des plus pacifique pour qui l’idée de punir quelqu’un est de l’envoyer méditer sur ce qu’il a fait de mal, seul en forêt. Lorsqu’il étudia les Mbuti du Zaïre, il les trouva pacifiques et coopératifs. Par contre lorsqu’il passa du temps avec le peuple Ik en Afrique orientale, peuple qu’il décrit comme le “peuple des montagnes”, il les trouva féroces et égoïstes.
Les différences de comportement entre ces peuples n’étaient pas génétiques, elles n’étaient pas dans la “nature” de ces gens, mais s’expliquaient par leur environnement et leurs conditions de vie. La vie relativement facile des peuples des forêts façonna gentillesse et pacifisme ainsi qu’une générosité sociale. Les Ik par contre, furent chassés de leurs terres ancestrales par la création d’un parc naturel et furent envoyés dans une vie de désolation montagnarde et de famine dans des montagnes rases et arides. Leur tentative désespérée pour survivre amena cette agressivité et cette propention à la destruction dont fut témoin Turnbull.
[…] Dans le monde animal, aucune espèce autre que les humains ne fait la guerre. Aucune ne s’engage dans des activités violentes organisées au nom de quelque abstraction que ce soit. Ceci est un don spécial d’espèces aux capacités cérébrales et culturelles plus avancées. Les animaux commettent des actes de violence pour une raison spécifique et visible: le besoin de nourriture et l’auto-défense d’eux-mêmes ou de leur progéniture.
La génétique, la psychologie, l’anthropologie et la zoologie, aucun de ces domaines n’a pu prouver l’instinct humain pour une sorte d’agressivité violente qui caractérise la guerre. Qu’en est-il de l’histoire, à laquelle se référa Freud si promptement ?
Qui peut nier la fréquence des guerres dans l’histoire humaine ? Mais sa persistance ne prouve en aucun cas qu’elle est “partie intégrante de la nature humaine”. N’y a t’il pas des faits persistants dans la société humaine qui peuvent expliquer l’éruption constante de guerres sans avoir recours à ces mystérieux instincts que la science, même en essayant hardemment, ne peut pas trouver dans nos gènes ? Un de ces faits n’est-il pas l’existence d’une caste élitiste dans chaque culture, caste qui devient amoureuse de son propre pouvoir et cherche à l’étendre en permanence ? Un autre de ces faits n’est-il pas la veulerie, non pas des populations, mais de minorités puissantes au sein des sociétés qui recherchent toujours plus de matières premières, de débouchés de marché, de terres à posséder et de possibilités d’investissement ? N’y a t’il pas une idéologie nationaliste persistante, spécifiquement dans le monde moderne, un set de croyances mettant en avant l’amour de la mère-patrie ou du Vaterland, en faisant un objet de vénération pour lequel des gens sont capables de tuer et de se faire tuer ?
Nous n’avons certainement pas besoin de la “nature humaine” pour expliquer les guerres, il y a quantité d’autres explications. Mais se référer à une “nature humaine” belliqueuse est facile, cela demande très peu de réflexion. Par contre, analyser les facteurs politiques, sociaux, économiques et culturels qui au travers de l’histoire ont mené à tant de guerres, çà c’est plus dur et demande un travail plus acharné.
Mais nous devrions regarder de nouveau à la proposition qui dit que la persistance de la guerre dans l’histoire prouve que la guerre est dans la nature humaine. Cette affirmation requiert que les guerres soient non seulement fréquentes, mais perpétuelles, qu’elles ne se limitent pas à quelques nations, mais à toutes. Parce que si les guerres ne sont qu’intermittantes, s’il y a des périodes de guerres et des périodes de paix et s’il y a des nations qui vont en guerre et d’autres pas, alors il est irraisonnable d’attribuer la guerre à quelque chose qui serait aussi universel à l’humain que sa propre nature.
A chaque fois que quelqu’un dit “l’histoire nous prouve que…” puis cite une liste de faits historiques, nous devrions faire très attention. Nous pouvons toujours sélectionner des faits de l’histoire (et il y en a un sacré paquet en toute chose) pour “prouver” pratiquement tout ce qu’on voudrait au sujet de l’attitude humaine. Tout comme on peut sélectionner des évènements et des moments d’agressivité de la vie d’une personne et affirmer que par là-même cette personne est violente et agressive. Rien ne prouve qu’elle soit naturellement agressive et méchante. On pourrait tout aussi bien sélectionner de la même vie des moments de tendresse et d’affection, certainement plus nombreux pour prouver sa gentillesse naturelle.
[…] Les hommes que j’ai côtoyé et connu dans l’armée de l’air durant la guerre, les pilotes, navigateurs, bombardiers et mitrailleurs de ces équipages volant au dessus de l’Europe, largant des bombes et tuant beaucoup de gens, n’avaient aucune soif de tuer, n’étaient aucunement des enthousiastes de la violence et n’aimaient en rien la guerre. Ils, nous, étions engagés dans un massacre de masse, pour la plupart de non-combattants, de femmes, d’enfants et de personnes âgées qui habitaient dans les voisinages des villes que nous bombardions (qui étaient officiellement toutes des “cibles militaires”…) Mais ceci ne venait pas de notre “nature”, qui n’était pas différente de lorsque nous jouions calmement, étudions ou vivions les vies normales de jeunes gens américains à Brooklyn, New York ou Aurora, Missouri.
Les actes sanglants que nous fûmes appelés à commettre ne sont pas difficiles à tracer dans leur origine: nous avions tous été élevés pour croire que nos leaders politiques avaient de bonnes raisons et qu’on pouvait leur faire confiance pour faire le bien dans le monde ; on nous avait appris que dans le monde il y avait des bons et des méchants, de bons pays et des mauvais et que le notre était très bon. On nous avait entraîné à faire voler ces forteresses volantes, à tirer avec les mitrailleuses, à bombarder en utilisant les viseurs et à être fier de notre boulot et de nos missions. Nous avions aussi été entraînés a suivre les ordres lesquels n’avaient aucune raison d’être mis en doute parce que tout le monde de notre côté représentait le bien et que l’autre côté était le mal absolu. De plus, nous n’avions pas à voir les jambes d’une fillette se faire déchiquetées en résultat du largage de nos bombes, on opérait et larguait à 9 000m d’altitude et nous ne pouvions voir aucun humains au sol, nous ne pouvions pas entendre les hurlements des gens, ceci est sûrement suffisant pour expliquer pourquoi les hommes participent à la guerre. Aucun besoin de se cramponner au côté sombre de la nature humaine.
En fait, quand on regarde la guerre moderne, trouvez-vous des quantités de gens s’y précipitant avec cette volonté farouche de détruire et de tuer ? Pratiquement pas. Vous trouvez des hommes et quelques femmes qui s’engagent à la recherche d’une carrière, de l’aspect “glamour” de l’armée et une sécurité psychologique et économique. Vous en trouvez bien d’autres y étant conscrits sous peine de prison s’ils refusent. Soudain, tous ces gens se retrouvent envoyés à la guerre où l’habitude de suivre les ordres et le résonnement de la propagande à leurs oreilles leur certifiant la justesse de la cause, peuvent avoir raison de la peur ou des scrupules moraux de tuer d’autres êtres humains.
[…] Un autre exemple, lorsque le gouvernement des Etats-Unis décida d’entrer dans la première guerre mondiale, il ne trouva pas une armée d’hommes n’attendant que d’en découdre et de donner libre-court à leur colère et leur instinct “naturel” contre l’ennemi, de se repaître dans leur penchant “naturel” à tuer. En fait, il y eut de grandes manifestations contre la guerre, obligeant le congrès des Etats-Unis à passer une législation punitive contre le mouvement anti-guerre, plus de 2000 personnes furent arrêtés et déférées devant les tribunaux pour avoir critiqué la guerre. En plus de poursuivre en justice les activistes anti-guerre et de conscrire les jeunes gens dans l’armée, le gouvernement dût aussi organiser une large campagne de propagande en envoyant 75 000 harangueurs donner 750 000 discours dans des centaines de villes américaines juste pour persuader les gens que les Etats-Unis entraient dans une guerre juste.
Même avec tout cela, la résistance à la conscription fut importante. Dans la ville de New York, 90 des 100 premiers conscrits demandèrent une exemption. La résistance se propagea dans les états de l’Illinois, de la Floride, du Minnesota…
Il y eut plus de 350 000 hommes qui furent classifiés comme ayant refusé la conscription.
[…] Tandis que 2 millions d’hommes ont servi durant la guerre du Vietnam à un moment ou à un autre, 500 000 refusèrent la conscription et de ceux qui servirent, il y eu plus de 100 000 déserteurs, environ 34 000 GIs furent traduits en cour-martiale et emprisonnés. Si un instinct était à l’ouvrage, ce n’était pas celui de faire la guerre, mais bien celui de ne pas la faire !
[…] Quiconque a déjà participé à un mouvement social a vu et expérimenté le pouvoir de l’idéalisme à faire bouger les personnes vers la coopération et l’auto-sacrifice.
L’histoire, si diligente à enregistrer les désastres, est largement silencieuse sur le nombre impressionnant d’actes de courage perpétrés par des individus défiant l’autorité et défiant la mort.
La question de l’histoire, de son utilisation et des abus de son utilisation, mérite une discussion en elle-même.
Note de résitance 71 : qui est le chapitre suivant du livre et est intitulé:“Utilisation et abus de l’histoire”….