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Résistance politique: Entretien avec l’historien Howard Zinn sur l’anarchisme

Posted in actualité, altermondialisme, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , on 28 février 2018 by Résistance 71

“Celui qui trahit une seule fois ses principes perd la pureté de sa relation avec la vie.”
~ Andreï Tarkovsky ~

“Je définirai la désobéissance civile de manière plus générale comme étant ‘le  viol  délibéré de la loi dans uns la réalistation d’un objectif social vital’…”
“Au XIXème siècle, nous avons dû aller au delà des limites de notre constitution pour mettre fin à l’esclavage.”
~ Howard Zinn ~

« On ne peut pas être neutre dans un train en marche »
~ Howard Zinn ~

 

Howard Zinn sur l’anarchisme

Entretien de l’historien américain H. Zinn avec Ziga Vodovnik

2008

Ziga Vodovnik: Depuis les années 1980 jusqu’à maintenant, nous assistons à un processus de mondialisation de l’économie de plus en plus marqué jour après jour. Au sein de la gauche,nombreux sont ceux pris dans un « dilemme » – soit travailler à renforcer la souveraineté des états-nations comme barrière défensive contre le contrôle par le capital étranger et international ; ou mettre en place une alternative non nationale à la forme actuelle de mondialisation mais qui serait aussi mondiale. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

Howard Zinn: Je suis un anarchiste, et selon les principes anarchistes, les états-nations sont des obstacles à une vraie mondialisation humaniste. D’une certaine manière, le mouvement de mondialisation, avec le capitalisme qui essaie de faire abstraction des frontières des états-nations, crée une sorte d’opportunité pour un mouvement, pour ignorer les barrières nationales et pour unifier les peuples globalement, au-delà des frontières nationales, en opposition à la mondialisation du capital, pour créer une mondialisation des peuples, opposée à la notion traditionnelle de mondialisation. En d’autres termes, utiliser la mondialisation – il n’y a rien de mauvais dans l’idée de mondialisation – d’une façon qui contourne les frontières nationales et qui n’implique pas, bien sûr, le contrôle par les grandes sociétés des décisions économiques concernant les peuples à travers le monde.

ZV: Pierre-Joseph Proudhon a écrit que: “La liberté est la mère, pas la fille de l’ordre.” Comment voyez-vous la vie après ou au-delà des états-nations ?

HZ: Au-delà des états-nations? (rires) Je pense que ce qui existe au delà des états-nations est un monde sans frontières nationales, mais avec des gens organisés. Mais pas organisés en tant que nations, mais en groupes, en collectifs, sans frontières nationales ou d’aucune sorte. Sans aucune sorte de frontières, passeports, visas. Rien de tout cela! Des collectifs de différentes tailles, selon la fonction du collectif, ayant des contacts les uns avec les autres. Il ne peut pas exister de petits collectifs auto suffisants parce que ces collectifs ont différentes ressources qui leur sont accessibles. C’est un point que la théorie anarchiste n’a pas résolu et peut-être qu’elle ne pourra pas résoudre à l’avance, parce qu’elle devra être mise en pratique pour cela.

ZV: Pensez-vous que un changement puisse survenir à travers des partis politiques institutionnels ou seulement par des moyens alternatifs – désobéissance, constructions de structures parallèles, médias alternatifs, etc. ?

HZ: Si vous travaillez au sein des structures existantes, vous serez corrompus. En travaillant au sein d’un système politique qui empoisonne l’atmosphère, y compris les organisations progressistes, comme on peut le constater aujourd’hui aux USA, où les gens de « gauche » sont tous englués dans la campagne électorale et sombres dans des argumentaires féroces pour savoir si il faut soutenir le candidat de ce tierce parti ou cet autre .C’est un petit exemple qui suggère que, quand vous travaillez au sein de la politique électoraliste, vous commencez à corrompre vos idéaux.. Par conséquent, je pense qu’une façon de faire est de ne pas penser en termes de gouvernement représentatif , d’élections, de politique électoraliste, mais de penser en termes d’organisation de mouvements sociaux, d’organisation sur les lieux de travail, d’organisation dans les quartiers, au sein de collectifs, de manière à être assez forts pour prendre le pouvoir à un moment donné — d’abord devenir assez fort pour résister à ce que les autorités leur font subir, et ensuite, plus tard, devenir assez fort pour réellement prendre le contrôle des institutions.

ZV: L’anarchisme est à cet égard fondamentalement opposé à la démocratie représentative , car elle est encore une forme de tyrannie —la tyrannie de la majorité . Les anarchistes s’opposent à la notion de majorité, objectant que les opinions de la majorité ne coïncident pas toujours avec ce qui est moralement juste. Thoreau a écrit que nous avions l’obligation d’agir selon ce que nous dicte notre conscience, même si cela va à l’encontre de l’opinion de la majorité ou des lois de la société. Êtes-vous d’accord avec cela ?

HZ: Absolument. Rousseau a dit: « si je fais partie d’un groupe de 100 personnes, est-ce que 99 personnes ont le droit de me condamner à mort, juste parce qu’elles représentent la majorité? ». Non, les majorités peuvent avoir tort, elles peuvent ignorer les droits des minorités. Si les majorités décidaient, nous connaitrions encore l’esclavage. 80% de la population a réduit en esclavage 20% de la population. Selon la loi de la majorité, cela serait donc acceptable. C’est une notion totalement erronée de ce qu’est la démocratie. La démocratie doit prendre en compte plusieurs choses — les revendications minoritaires des gens, pas seulement les besoins de la majorité, mais aussi ceux de la minorité. Elle doit prendre en compte également le fait que la majorité, spécialement dans des sociétés où les médias manipulent l’opinion publique, peut avoir complètement tort et être malsaine. Alors oui, les gens doivent agir selon leur conscience et non en suivant le vote majoritaire..

ZV: Quand situez-vous les origines historiques de l’anarchisme aux États-Unis ?

HZ: L’un des problèmes concernant l’anarchisme est qu’il existe beaucoup de personnes dont les idées sont anarchistes mais qui ne se revendiquent pas nécessairement anarchistes. Le terme a été utilisé d’abord par Proudhon au milieu du XIXème siècle, mais il existait des idée anarchistes antérieures à Proudhon, en Europe et aussi aux États-Unis Par exemple, quelques idées de Thomas Paine, qui n’était pas un anarchiste, qui ne se serait pas qualifié d’anarchiste, mais qui se méfiait des gouvernements. Henry David Thoreau, également. Il ne connaissait pas le terme anarchisme, et il ne l’utilisait pas mais ses idées étaient très proches de l’anarchisme. Il était très hostile à toute forme de gouvernement. Si nous recherchons les origines de l’anarchisme aux États-Unis, alors Thoreau est probablement celui qui apparaît comme le premier anarchiste américain.. On ne trouve pas réellement d’anarchistes jusqu’après la Guerre de Sécession, lorsque des anarchistes européens, notamment allemands, arrivèrent aux États-Unis Ils ont ensuite commencé à s’organiser. La première fois que l’anarchisme a disposé d’une force organisée et a été publiquement connu aux États-Unis, c’est à Chicago au moment des évènements de Haymarket.

ZV: Où situez-vous l’inspiration principale de l’anarchisme contemporain aux États-Unis ? Considérez-vous le Transcendantalisme —Henry D. Thoreau, Ralph W. Emerson, Walt Whitman, Margaret Fuller, etc—comme une inspiration dans cette perspective?

HZ: Le Transcendantalisme est, je dirais, une forme primitive de l’anarchisme. Les Transcendantalistes ne se qualifiaient pas d’anarchistes mais leurs pensées et leur littérature contiennent des idées anarchistes. De différentes manières, Herman Melville est un exemple de ces idées anarchistes. Ils se méfiaient tous de l’autorité. On pourrait dire que le Transcendantalisme a joué un rôle en créant une atmosphère de suspicion envers l’autorité et le gouvernement.

Malheureusement, il n’existe aujourd’hui aucun mouvement anarchiste réellement organisé aux États-Unis Il existe de beaucoup de groupes et de collectifs qui se revendiquent anarchistes, mais ils sont petits. Je me souviens que, dans les années 1960, il y avait un collectif anarchiste ici à Boston, avec une quinzaine de personnes, mais il a disparu. Ensuite, les idées anarchistes ont pris plus d’importance en lien avec les mouvement des années 1960.

ZV: La plupart de l’énergie créative dans les milieux radicaux provient aujourd’hui de l’anarchisme , mais peu de personnes seulement, engagés dans le mouvement, s’en revendiquent. Comment expliquez-vous cela ? Est-ce que les militants ont honte de s’identifier avec une tradition intellectuelle ou sont-ils plutôt logiques avec la croyance que toute émancipation demande l’émancipation par rapport à toutes les étiquettes ?

HZ: Le terme d’anarchisme est devenu associé avec deux phénomènes avec lesquels les vrais anarchistes ne veulent pas être associés. L’un est la violence, et l’autre le désordre ou le chaos. La conception populaire de l’anarchisme est d’un côté les attentats à la bombe et de l’autre, pas de lois, pas de règlements, pas de discipline, chacun fait ce qu’il veut, la confusion, etc. C’est pourquoi certains répugnent à utiliser le terme d’anarchisme. Mais en réalité, les idées de l’anarchisme font partie des modes de pensée des mouvements des années 1960.

Je pense que le meilleur exemple en est le Student Nonviolent Coordinating Committee—SNCC dans le mouvement pour les droits civiques. Le SNCC, sans rien connaître de l’anarchisme comme philosophie, en incarnait les caractéristiques. Il était décentralisé. D’autres organisations pour les droits civiques, comme la Southern Christian Leadership Conference, étaient centralisées avec un dirigeant —Martin Luther King. La National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) était basée à New York, et avait aussi un genre d’organisation centralisée. Le SNCC, quant à lui, était totalement décentralisé. Il avait ce qu’ils appelaient des secrétaires de terrain [field secretaries], qui travaillaient dans des petites villes partout dans le Sud, avec une grande autonomie. Il avait un siège à Atlanta, en Géorgie, mais ce siège n’avait pas une forte autorité centrale. Les personnes qui travaillaient sur le terrain—en Alabama, en Géorgie, en Louisiane et dans le Mississippi—travaillaient principalement de façon autonome. Ils travaillaient avec les gens du cru, de la base. Et donc il n’y avait pas de dirigeants au SNCC, ainsi qu’une grande méfiance envers le gouvernement.

Ils ne pouvaient pas compter sur le gouvernement pour les aider, les soutenir, même si le gouvernement de l’époque, au début des années 1960, était considéré comme étant progressiste, libéral. John F. Kennedy particulièrement. Mais ils ont observé John F. Kennedy, ils ont vu comment il se comportait. John F. Kennedy ne soutenait pas le mouvement dans le Sud pour l’égalité des droits des afro-américains. Il nommait des juges favorables à la ségrégation dans le Sud, il laissait les ségrégationnistes faire ce qu’ils voulaient. Donc le SNCC était décentralisé, sans dirigeant , anti-gouvernement, mais il n’avait pas une vision de la société future comme les anarchistes. Il ne pensait pas à long terme, ne se demandait pas quelle société construire dans l’avenir. Il était seulement concentré sur le problème immédiat de la ségrégation raciale. Mais leur attitude, leur façon de travailler s’inscrivaient, peut-on dire, dans la lignée anarchiste.

ZV: Pensez-vous que l’utilisation péjorative du terme anarchisme est la conséquence directe du fait que l’idée que les gens pourraient être libres a effrayé et effraie ceux au pouvoir ?

HZ: Sans aucun doute! Il ne fait aucun doute que les idées anarchistes effraient ceux qui sont au pouvoir. Ils ne peuvent pas tolérer les idées libertaires. Ils peuvent tolérer les idées qui en appellent aux réformes mais ils ne peuvent tolérer l’idée qu’il n’y ait pas d’état, pas d’autorité centrale. Il est donc vital pour eux de ridiculiser l’idée d’anarchisme, de propager l’idée selon laquelle l’anarchisme est synonyme de violence et de chaos. Cela leur est utile, oui.

ZV: En sciences politiques, il est possible d’identifier analytiquement deux principales conceptions de l’ anarchisme —l’une dénommée anarchisme collectiviste limitée à l’Europe et un anarchisme individualiste limité aux USA. Êtes -vous d’accord avec cette distinction ?

HZ: Selon moi, il s’agit d’une séparation artificielle. Comme c’est si souvent le cas , les analystes se facilitent les choses, comme créer des catégories et classer les mouvements en catégories, mais je ne pense pas que l’on puisse procéder ainsi. Ici aux États-Unis, il y a bien sûr des gens qui croient à l’anarchisme individualiste, mais il y a eu aussi des anarchistes organisés à Chicago dans les années 1880 ou au SNCC. Je pense que dans les deux cas, en Europe et aux États-Unis, on peut trouver les deux conceptions, sauf que, en Europe peut-être, l’idée d’anarcho-syndicalisme est devenue plus forte qu’aux USA. Aux États-Unis vous avez l’Industrial Workers of the World (IWW) qui est une organisation anarcho-syndicaliste et qui n’est sûrement pas en phase avec le courant de l’anarchisme individualiste.

ZV: Quelle est votre opinion au sujet du « dilemme » sur les moyens—révolution contre évolution sociale et culturelle?

HZ: Je pense qu’il y a plusieurs questions ici. L’une d’entre elles est la question de la violence, et je pense que sur ce sujet, les anarchistes n’ont pas été d’accord. Ici, aux États-Unis, il y a divergence et cette différence, nous la retrouvons au sein d’une seule et même personne. Emma Goldman, qui, pourrait-on dire, a mis l’anarchisme au premier plan aux USA dans les année 1960, après sa mort, et qui est devenu subitement un personnage important. Mais Emma Goldman s’était prononcée en faveur de l’assassinat de Henry Clay Frick, puis a décidé ensuite que cela n’était pas la bonne manière de procéder. Son ami et camarade, Alexander Berkman, lui, n’a pas totalement abandonné l’idée de violence. D’un autre côté, vous avez des gens qui étaient anarchistes d’une certaine façon, comme Tolstoï et Gandhi, qui croyaient en la non-violence.

Il existe une caractéristique fondamentale de l’anarchisme sur la question des moyens et ce principe central est l’action directe—de ne pas entrer dans les moules que vous offrent la société, celui d’un gouvernement représentatif, des élections, de la législation, mais de prendre directement le pouvoir. Dans le cas de syndicats, d’anarcho-syndicalisme, cela signifie que les ouvriers se mettent en grève, et plus que cela, qu’ils mettent la main sur les usines dans lesquelles ils travaillent et les dirigent. Qu’est-ce que l’ action directe? Dans le Sud, lorsque les afro-américains se furent organisés contre la ségrégation raciale, ils n’ont pas attendus que le gouvernement leur donne le signal, ou ne se sont pas contentés d’intenter des procès, ou n’ont pas attendu que le Congrès vote des lois. Ils ont pratiqué l’action directe; ils se sont rendus dans des restaurants, où ils se sont assis et n’ont pas bougé. Ils sont montés dans des bus et ont mis en pratique la situation qu’ils voulaient voir exister.

Bien sûr, la grève est toujours une forme d’action directe. Dans le cadre d’une grève aussi, vous ne demandez pas au gouvernement de vous donner satisfaction en votant une loi, vous entreprenez une action directe contre l’employeur. L’idée d’action directe contre la situation que vous voulez changer est une sorte de dénominateur commun pour les idéaux et les mouvements anarchistes . Je pense que l’un des principes le plus important de l’anarchisme est qu’il est impossible de séparer la fin des moyens. Cela veut dire que si votre objectif est une société égalitaire, vous devez utiliser des moyens égalitaires, si c’est une société non-violente sans guerre, vous ne pouvez pas utiliser la guerre comme moyen. Je pense que l’anarchisme demande une cohérence entre la fin et les moyens. Je pense que c’est une caractéristique propre à l’anarchisme.

ZV: Un jour, quelqu’un a demandé à Noam Chomsky quelle était sa vision précise d’une société anarchiste et son plan pour y parvenir. Il a répondu que “nous ne pouvons pas prévoir les problèmes qui se poseront avant que de les avoir rencontrés”. Pensez-vous aussi que trop d’intellectuels gaspillent leur énergie dans des disputes théoriques au sujet des moyens et des fins nécessaires, sans même commencer à “expérimenter” une pratique?

HZ: Je pense que cela vaut la peine de présenter des idées, comme Michael Albert l’a fait avec son « Parecon », par exemple, même si vous gardez une flexibilité. Nous ne pouvons pas créer un modèle pour une société future maintenant, mais je pense qu’il est souhaitable d’y penser. Je pense qu’il est bon d’avoir un objectif à l’esprit. C’est constructif, utile, c’est sain de penser à quoi cette société pourrait ressembler, parce que cela vous guide un peu dans ce que vous faites aujourd’hui, mais seulement si ces discussions au sujet de la société future ne deviennent pas des obstacles pour travailler à l’élaboration de celle-ci . Sinon, vous pouvez passer tout votre temps à débattre d’une possibilité utopique contre une autre possibilité utopique, et pendant ce temps, vous n’agissez pas dans le concret.

ZV: Dans votre « A People’s History of the United States » vous montrez que notre liberté, nos droits, notre qualité de vie, etc., ne nous ont jamais été donné par la minorité riche et influente mais qu’ils ont toujours été gagnés de haute lutte par les gens ordinaires—par la désobéissance civile. Quel serait, à cet égard, nos prochains pas vers un monde différent, meilleur?

HZ: Je pense que le premier pas est de nous organiser et de protester contre l’ordre existant—contre la guerre, contre l’exploitation économique et sexuelle, contre le racisme, etc. Mais nous organiser de façon à ce que nos fins correspondent aux moyens, de façon à créer le type de relations humaines qui existeraient dans la société future. Cela signifie s’organiser sans autorité centrale, sans leader charismatique,de façon à reproduire en miniature l’idéal de la future société égalitaire. Ainsi, même si vous n’obtenez pas quelque victoire demain ou l’année suivante, vous avez au moins créé un modèle pendant ce temps. Vous avez mis en pratique comment pourrait être la société future et vous avez créé une satisfaction immédiate, même si vous n’avez pas atteint votre but ultime.

ZV: Quelle est votre opinion sur les différentes tentatives pour prouver scientifiquement l’hypothèse ontologique de Bakounine selon laquelle les êtres humains ont un “instinct de liberté”, donc non seulement une volonté mais un besoin biologique ?

HZ: Je crois vraiment en cette idée mais je pense qu’elle ne pourra jamais être prouvée biologiquement. Il faudrait trouver un gêne de la liberté ? Non. Je pense qu’un autre chemin possible est de passer par l’histoire du comportement humain. Elle montre ce désir de liberté; chaque fois que des peuples ont vécu sous la tyrannie, ils se sont révoltés contre.

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Lecture complémentaire:

Manifeste de la societe des societes

Résistance politique: Réflexions sur la politique et la société (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 1 décembre 2014 by Résistance 71

Politique et société

 

Howard Zinn

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Note: Ceci est une petite compilation de pensées de l’historien Howard Zinn sur la politique et la société.

 

“Ce fut la montée de l’état-nation moderne au XVIème siècle qui introduisit le gouvernement fort centralisé, afin de centraliser le système de l’impôt et ainsi lever suffisamment d’argent pour financer les nouvelles organisations de commerce qui sillonnèrent le monde, comme la Compagnie Hollandaise des Indes de l’Est et la Compagnie des Indes britannique. Ces deux entreprises reçurent des chartes royales vers 1600, leur donnant les droits monopolistiques de marauder autour du monde, de faire commerce de biens, produits et êtres humains et de ramener la richesse dans leur pays d’origine.”

“Ainsi la constitution des Etats-Unis mit en place un gouvernement fort et centralisé, suffisamment fort pour protéger les propriétaires d’esclaves contre la rébellion de leurs esclaves, d’attrapper ceux qui s’échappaient s’ils allaient d’un état à un autre, de payer les détenteurs de bons du trésor, de faire passer des tarifs en faveur des industriels, de taxer les pauvres agriculteurs afin de payer pour des armées qui les attaqueraient s’ils résistaient à l’impôt, comme cela fut fait lors de la rébellion de Whiskey en Pennsylvannie en 1794…

Le gouvernement défendrait ainsi les intérêts des classes riches. Il augmenterait les tarifs toujours de plus en plus afin d’aider les industriels, il donnerait des subsides pour les entreprises de transports et leurs intérêts et donnerait des centaines de milliers d’hectares gratuits aux compagnies de chemin de fer ; il armerait des forces répressives pour éliminer et chasser les Indiens de leurs terres, pour briser les émeutes du travail, pour envahir des pays des Caraïbes au profit des planteurs américains, des banquiers et des investisseurs de tout poil. Ceci fut un très gros gouvernement centralisé… Celui, comme le disait l’oratrice populiste Mary Ellen en 1890: “un gouvernement de Wall Street, par Wall Street et pour Wall Street !

“Les colons britanniques d’Amérique du Nord furent stupéfaits de la démocratie de la société iroquoise. Les nations (confédérées) qui occupaient alors les états de New York et de Pennsylvanie. L’historien américain Gary Nash décrivit la culture iroquoise en ces termes: ‘pas de lois ni d’ordonnances, ni de décrets, pas de shériffs, pas de policiers, pas de juges ni de jurés, pas de tribunaux ni de prisons, on ne trouvait pas cet appareil de l’autorité européenne et pourtant les limites d’une attitude acceptable et adéquate étaient établies fermement. Tout en se félicitant d’être eux-mêmes des individus autonomes, les Iroquois maintenaient un sens strict du bien et du mal.”

“Ceux qui clâment croire dans le ‘libre-échange’ ne croient pas en le libre-échange des idées, pas plus qu’ils ne croient en un libre-échange des biens et services. A la fois dans les biens matériels et les idées, ils veulent leur marché dominé par ceux qui ont toujours tenu les brides du pouvoir et de la richesse. Ils se soucient du fait que si de nouvelles idées finalement entrent dans le marché, alors les gens commenceraient à repenser les arrangements sociaux qui nous ont donnés tant de souffrance, tant de violence, tant de guerres ces 500 dernières années de ‘civilisation’… En repensant notre histoire, nous ne faisons pas que regarder le passé, mais aussi le présent en essayant de le regarder du point de vue de ceux qui ont été laissés pour compte. Nous avons besoin de faire cela alors que nous approchons du nouveau siècle (NdT: Zinn a écrit ceci en 1991…) et si nous désirons que ce nouveau siècle soit différent, si nous ne voulons pas qu’il soit un (autre) siècle américain,, ou un siècle blanc, ou mâle ou de quelque nation ou groupe que ce soit, mais un siècle véritablement de la race humaine.”

“L’éducation a toujours inspiré une grande peur parmi ceux qui veulent garder les distributions de pouvoir et de richesses existantes comme elles le sont…

Au bout du compte est-ce que j’ai instigué une liberté d’expression dans mes cours ? Oui, parce que j’ai toujours suivi le conseil d’Aldous Huxley qui disait: ‘Les libertés ne sont pas données mais prises.’ “

“L’idée que quelqu’un qui commet un ou plusieurs actes de désobéissance civile doit “volontairement” accepter la punition prévue est une notion idiote très, trop, souvent répétée… Ce n’est pas la communauté qui arrête et punit, mais les autorités légales. Ainsi la désobéissance civile ne dénote pas de mépris pour la société organisée, mais pour le gouvernement, surtout s’il agit mal et de façon irresponsable. La raison pour montrer son mépris au gouvernement, pour défier la loi, est précisément parce que la loi ne montre que mépris pour les vies et les libertés de la communauté.”

“Quel degré de confort ai-je lorsqu’on m’appelle un anarchiste ou un socialiste démocratique ? Cela dépend de qui utilise ces termes… Je me sens inconfortable lorsque je dois justifier les termes, que je dois clarifier parce qu’après tout, le terme ‘anarchiste’ pour bien des gens est associé à quelqu’un qui lance des bombes, quelqu’un qui croit en la violence. Bizarrement du reste, le terme ‘anarchiste’ ne s’applique pas aux gouvernements des états, qui eux utilisent des bombes à un niveau jamais égalé. Le terme ‘anarchiste’ est souvent associé, à tort, à la violence. Comme je ne crois pas en lancer des bombes, en le terrorisme ou la violence, je ne veux donc pas que cette interprétation de l’anarchisme s’applique à moi.

L’anarchisme est aussi souvent mal représenté comme étant un mode de société où il n’y a aucune organisation, aucune responsabilité, que c’est une sorte de chaos, une fois de plus sans réaliser à quel point le monde qui nous entoure est chaotique, que la société est très chaotique et pourtant, le mot ‘anarchisme’ ne s’y applique pas.

J’ai commencé à vraiment apprendre au sujet de l’anarchisme dans les années 1960 en lisant l’autobiographie d’Emma Goldman, en lisant les travaux d’Alexandre Berkman, de Pierre Kropotkine et de Michel Bakounine. L’anarchisme veut dire pour moi une société où vous avez une organisation vraiment démocratique de la société, des prises de décision, de l’économie et où l’autoritarisme du capitalisme n’existe plus et où l’autorité représentée par la police, les tribunaux et tous les instruments et institutions de contrôle des actions des gens, ne sont plus présents non plus. Les gens ont quelque chose à dire pour leur propre destinée, ils ne sont plus forcés de choisir entre deux partis politiques, dont aucun des deux ne représentent leurs intérêts. Ainsi je vois l’anarchisme comme un moyen réel de démocratie politique et économique dans le meilleur sens du terme…

Un monde équitable, un monde de la liberté de parole et des vrais droits civiques, un monde sans antagonisme politique ou religieux et où les différences inéluctables ne seront plus la cause d’actions violentes, de guerres et de divisions.

Ce serait un monde où les gens ne travailleraient que quelques heures par jour, ce qui est parfaitement possible avec la technologie et si cette technologie n’est pas utilisée, détournée pour faire la guerre ou toute autre activité néfaste et inutile, les gens pourraient bien ne travailler que 3 ou 4 heures par jour et produire largement suffisamment pour que tout le monde ait ses besoins bien satisfaits. Ce serait un monde où les gens auraient bien plus de temps à consacrer à leur famille, aux sports, aux arts et à simplement vivre, humainement, avec les autres.”

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Sources:

 

  • “Original Zinn, Conversations on History and Politics”, Harper Perennial, 2006
  • “Howard Zinn on History”, Seven Stories Press, 2001

Résistance politique: Entretien sur l’anarchisme avec l’historien Howard Zinn (2008)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique et social, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 22 octobre 2014 by Résistance 71

Nous avons déniché cette perle d’entretien qu’Howard Zinn a eu en 2008 et où pour la première fois (à notre connaissance), il déclare être anarchiste dans la première phrase de la première réponse. Zinn a toujours manifesté une sympathie non masquée pour les idées et les concepts de société anarchiste, mais ne s´était jamais ouvertement déclaré comme tel. C’est bien qu’il l’est finalement fait.

— Résistance 71 —

 

Rebelles contre la tyrannie un entretien sur l’anarchisme avec Howard Zinn

 

Mai 2008

 

Howard Zinn avec Ziga Vodovnik

 

url de l’article:

http://howardzinn.org/rebels-against-tyranny/

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Interview by Žiga Vodovnik

 

Ziga Vodovnik: Depuis les années 1980 nous assistons au processus de mondialisation économique qui se renforce jour après jour. Bon nombre de personnes de “gauche” sont prises dans un dilemme, soit travailler pour renforcer la souveraineté des états-nations comme barrière de défense contre le contrôle du capital étranger et mondial, ou pousser pour une alternative non-nationale à la forme présente de mondialisation et qui est tout aussi globale. Quelle est votre opinion là-dessus ?

Howard Zinn : Je suis un anarchiste et en accord avec les principes anarchistes, les états-nations deviennent des obstacles à une vraie mondialisation humaniste. Dans une certaine mesure, le mouvement pour la mondialisation où les capitalistes essaient de sauter au dessus de la barrière des états-nations, crée une sorte d’oppotunité pour un mouvement d’ignorer les barrières nationales et de rassembler les gens globalement, à travers les lignes nationales en opposition à la mondialisation et au capital, de créer la mondialisation des peuples, opposée à la notion traditionnelle de mondialisation. En d’autres termes, d’utiliser la mondialisation, dans un sens d’outre-passement des limites nationales et bien sûr qui n’impliquerait pas le contrôle corporatif des décisions économiques qui sont prises pour les peuples dans le monde.

ZV: Pierre-Joseph Proudhon a écrit un jour: “La liberté est la mère et non pas la fille de l’ordre.” Comment voyez-vous la vie après ou au-delà des états (nations) ?

HZ : Au delà des états-nations ? (rires) Je pense que ce qu’il y a au-delà des états-nations est un monde sans frontières, mais aussi avec un peuple organisé. Non pas organisé en tant que nations, mais organisé en tant que groupes, collectifs, sans aucune limite nationale et quelque frontière que ce soit. Sans frontières, sans passeports, sans visas. Rien de tout cela ! Organisation de collectifs de différentes tailles, dépendant de la fonction du collectif, ayant des contacts avec les uns avec les autres (NdT: Ce que nous appelons une “confédération de communes libres” !). Vous ne pouvez pas avoir de petits collectifs auto-suffisants, parce que ces collectifs ont différentes ressources disponibles. C’est ce que la théorie anarchiste n’a pas résolu, et qu’elle ne peut sans doute pas résoudre à l’avance, parce que tout cela devra s’établir dans la pratique.

ZV: Pensez-vous qu’un changement peut se produire au travers des partis politiques institutionalisés ou seulement au travers de moyens alternatifs avec la désobéissance civile, la construction de cadres parallèles, l’établissement de médias alternatifs, etc…

HZ: Si vous travaillez, fonctionnez au sein des structures existentes, vous serez corrompu. En travaillant au travers d’un système politique qui empoisonne l’atmosphère, même les organisations progressistes, comme on peut le voir même maintenant aux Etats-Unis, où les gens de la “gauche” sont englués dans la campagne électorale et s’engagent dans de sévères disputes au sujet de savoir s’ils doivent soutenir tel ou tel candidat. Ceci est une petite preuve qui suggère que lorsque vous travaillez au sein de la politique électorale, vous corrompez vos idéaux. Je pense donc qu’un moyen de bien se comporter n’est pas de raisonner en termes de gouvernemet représentatif, de vote, pas en termes de politique électorale, mais en termes d’organisation de mouvements sociaux, organiser les lieux de travail, organiser les voisinages, les collectifs qui peuvent devenir fort au point de prendre le dessus, d’abord suffisamment fort pour résister ce que l’autorité leur a fait et leur fera et secundo, plus tard, devenir plus fort pour remplacer les institutions.

ZV: Une question personnelle. Votez-vous ?

HZ: Parfois, cela dépend. Je pense parfois qu’il est préférable d’avoir tel candidat plutôt qu’un autre, même en sachant que cela n’est pas la solution. Parfois le moindre de deux maux, n’est pas le moindre, alors vous voulez ignorer cela, alors soit vous ne voter pas ou vous votez pour un tiers en forme de protestation contre le système de partis politiques. Parfois la différence entre deux canditats est énorme en elle-même, alors on peut comprendre le fait de vouloir mettre en place quelqu’un de moins mauvais, de moins dangereux (NdT: Les cas Obama ou Hollande sont la preuve que cela n’a aucun sens…). Mais il ne faut jamais perdre de vue que ce qui est important n’est pas qui est en fonction mais quel genre de mouvements sociaux avez-vous en place ? Nous avons vu dans le passé qu’il importe peu qui est au pouvoir si le contre-pouvoir social est fort. Qui que ce soit est à la Maison Blanche, si vous avez un contre-pouvoir social fort, cette personne devra plier en respect du pouvoir des mouvements sociaux. Nous avons vu cela dans les années 60-70 avec Richard Nixon dont l’administration n’est pas le moindre de deux maux, mais le pire, mais la guerre du Vietnam fut terminée grâce aux mouvements sociaux à la fois du mouvement anti-guerre aux Etats-Unis mais aussi du mouvement politico-social vietnamien. Si je vote c’est toujours avec la notion que ce qui est le plus important n’est pas de voter mais de s’organiser.

Lorsque des gens me demandent au sujet du vote, si je soutiendrais tel ou tel candidat, je réponds toujours: “Je soutiens telle ou telle personne dans l’isoloir au moment du vote, mais avant et après je m’assure que se concentrer sur l’organisation des gens est la vraie priorité et non pas d’organiser une campagane électorale.” (NdT: Nous sommes ici en désaccord avec Zinn, voter c’est cautionner le système, qui avec le temps a complètement muselé les mouvements sociaux à grand renfort de corruption et de société de consommation, même en 2008 lorsqu’il disait cela, l’affaire était déjà entendue… Il avait peut-être raison, en tout cas ce raisonnement avait une certaine validité jusqu’à la fin de la guerre du Vietnam, plus après, idem en Europe…)

ZV: L’anarchisme s’oppose grandement à la démocratie représentative puisque c’est une forme de tyrannie, la tyrannie de la majorité. Les anarchistes objectent à la notion du vote majoritaire, notant que les vues de la majorité ne coïncident pas toujours avec des idées morales. Henry David Thoreau a écrit que nous avons une obligation d’agir en accord avec ce que nous dicte notre conscience, même si celle-ci va contre la majorité ou les lois de la société. Seriez-vous d’accord avec cela ?

HZ: Absolument ! Rousseau a dit que si je fais partie d’un groupe de 100 personnes, 99 d’entr’elles ont-elles le droit de me condamner à mort juste parce qu’elles représentent la majorité ? Non, les majorités peuvent avoir tort, les majorités peuvent prévaloir sur les droits de minorités. Si les majorités règnent, nous pourrions bien toujours avoir l’esclavage en place. 80% de la population ont un jour réduit les 20% restant en esclavage. De par le règne de la majorité, cela serait donc acceptable. Ceci est une notion très pervertie de la démocratie. La démocratie doit prendre en compte pas mal de choses, les requis proportionnels des gens, pas seulement la majorité, mais aussi prendre en compte les besoins des minorités ou de la minorité. Aussi prendre en considération que dans une société où les médias manipulent les gens et l’opinion publique, la majorité peut en fait avoir complètement tort du fait d’être manipulée et être même du côté du mal. Donc oui, les gens doivent agir en accord avec leur conscience et non pas par le vote majoritaire.

ZV: Où voyez-vous les origines historiques de l’anarchisme aux Etats-Unis ?

Un des problèmes avec l’anarchisme est qu’il y a beaucoup de gens qui pensent et agissent en tant qu’anarchistes mais qui n’en revendiquent pas le nom. Ce mot fut utilisé par Pierre Joseph Proudhon en France au XIXème siècle, mais il y a eu en fait des idées anarchistes qui ont précédé Proudhon tant en Europe qu’ici aux Etats-Unis. Par exemple certaines idées de Thomas Paine, qui ne s’appellerait pas lui-même un anarchiste, étaient très suspicieuses de toute forme de gouvernement étatique. Bien sûr H.D. Thoreau, il ne connaît ni n’utilise le mot anarchisme, mais ses idées étaient très proches de l’anarchisme. Il est très hostile à toute forme de gouvernement. Si on trace les origines de l’anarchisme aux Etats-Unis alors Thoreau est sans doute ce qui se fait de plus proche du premier anarchiste américain. On ne rencontre pas l’anarchisme jusqu’à après la guerre civile, lorsque les anarchistes européens viennent sur le continent, spécifiquement des anarchistes allemands qui sont venus aux Etats-Unis. Ils ont commencé à organiser les gens. La première fois que l’anarchisme en tant que force organisée est devenu connu publiquement aux Etats-Unis, ce fut suite à l’affaire du Haymarket de Chicago.

ZV: Où voyez-vous la principale source d’inspiration de l’anarchisme contemporain aux Etats-Unis ? Quelle est votre opinion au sujet du transcendentalisme de Thoreau, Ralph Emerson, Walt Whitman, Margaret Fullet et al. en tant qu’inspiration dans cette perspective ?

Bien le transcendentalisme est, nous pourrions dire, une jeune forme de l’anarchisme, ils ne s’appellèrent pas eux-mêmes anarchistes, mais il y a des idées anarchistes dans leur mode de pensée et leur littérature. Dans bien des cas Herman Melville montre des idées anarchistes. Ils étaient très suspicieux de l’autorité. Nous pourrions dire que le transcendentalisme a joué un rôle de créateur d’une atmosphère de scepticisme envers l’autorité, envers le gouvernement.

Malheureusement auourd’hui il n’y a pas de véritable mouvement anarchiste organisé aux Etats-Unis. Il y a pas mal de groupes ou de collectifs qui se disent anarchistes, mais ils sont petits. Je me rappelle que dans les années 60 il y avait un collectif anarchiste ici à Boston qui consistait en 15 personnes (sic), puis ils se sont séparés. Mais dans les années 60, l’idée d’anarchisme devint plus importante en connexion avec les mouvements sociaux de ces années là.

La plupart de l’énergie créatrice en matière de politique radicale de nos jours provient de l’anarchisme, mais seulement peu de personnes sont impliquées dans le mouvement actuellement et se nommant “anarchistes”, Pourquoi cela à votre avis ? Les activistes sont-ils honteux de s’identifier avec cette tradition intellectuelle ou plutôt sont-Ils vrais avec l’engagement dont a besoin l’émancipation véritable pour s’émanciper de toute étiquette ?

Le terme d’anarchisme est devenu associé avec deux phénomènes auxquels le véritable anarchiste ne veut pas être associé. Le premier est la violence et le second est le chaos. La conception populaire (NdT: aidée en cela par certains faits marginaux certes, mais surtout une abondante propagande du système) de l’anarchisme est d’un côté celle du jeteur de bombe et du terrorisme et de l’autre celle du manque de règles, de discipline, tout le monde fait ce qu’il veut, la confusion etc… C’est pour cela qu’il y a une reluctance à utiliser le terme d’anarchisme. Mais en fait, les idées de l’anarchisme sont incorporées dans la façon dont les mouvements des années 1960 ont commencé à penser.

Je pense que peut-être le meilleur exemple de , fut le mouvement des droits civiques avec le Comité de Coordination Non-Violente des Etudiants le SNCC (sigle américain). Sans en connaître les idées, le SNCC personnifia les caractéristiques organisationnelles anarchistes. Il était décentralisé. D’autres organisations du mouvement étaient en revanche très centralisées avec un leader comme la Seven Christian Leadership Conference avec Martin Luther King. La National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) était basée à New York et avait aussi une forme d’organisation centralisée. Le SNCC en revanche était complètement décentralisé. Il y avait ce qu’on appelait des secrétaires de terrain, qui travaillaient dans les petites villes partout dans le sud des Etats-Unis et ce avec une très grande autonomie. Ils avaient un bureau à Atlanta en Georgie, mais ce bureau n’avait que peu d’autorité. Les gens qui travaillaient sur le terrain en Alabama, en Georgie, en Louisiane dans le Mississippi étaient en fait libres de faire comme bon leur semblait en rapport avec une ligne directrice. Ils travaillaient avec les locaux, avec les groupes de la base populaire. Il n’y avait pas de leader(s) dans le SNCC et il y avait une très grande méfiance vis à vis du gouvernement.

Ils ne pouvaient pas compter sur le gouvernement pour les aider, pour les soutenir, même si le gouvernement à cette époque au début des années 60, était considéré comme progressiste, libéral spécifiquement avec J.F. Kennedy. Mais ils observèrent JFK et virent comment il se comportait. JF Kennedy ne soutenait pas les mouvements noirs du sud pour l’égalité raciale. Il nommait des juges ségrégationnistes dans le sud, il permettait aux ségrégationnistes du sud de faire ce que bon leur semblait. Donc le SNCC fut décentralisé, devint anti-gouvernement, sans leadership, mais ils n’avaient pas une vision anarchiste du futur. Ils ne pensaient pas sur le long terme, ils ne se posaient pas la question de savoir quel type de société serait bonne pour le futur. Ils étaient vraiment 100% concentrés sur les problèmes du moment et ceux touchant à la ségrégation raciale. Mais leur attitude, la façon dont ils travaillaient, leur organisation étaient grandement sur des lignes anarchistes pourrait-on dire.

ZV: Pensez-vous que l’emploi de manière péjorative du mot “anarchisme” est une conséquence directe du fait que l’idée que les gens peuvent être libres était et est toujours terrifiant pour ceux qui détiennent le pouvoir ?

Sans aucun doute ! Aucun doute que les idées anarchistes sont terrifiantes pour ceux qui détiennent le pouvoir. Les gens du pouvoir peuvent tolérer des idées libérales (NdT: de gauche dans la terminologie américaine). Ils peuvent tolérer des idées qui appellent aux réformes, mais ils ne peuvent pas tolérer des idées qu’il n’y aura plus ni d’État, ni de pouvoir, ni d’autorité centralisés. Il est donc très important pour eux de ridiculiser l’idée de l’anarchisme de créer cette impression que l’anarchisme est violent et chaotique. Cela sert leurs intérêts bien sûr.

ZV: En science politique théorique, nous pouvons identifier analytiquement les deux conceptions principales de l’anarchisme: un soi-disant anarchisme collectiviste limité à l’Europe et un anarchisme individualiste limité quant à lui aux Etats-Unis. Etes-vous d’accord avec cette séparation analytique ?

Pour moi, ceci correspond à une séparation artificielle. Comme cela arrive souvent, les analystes peuvent rendre les choses plus faciles pour eux-mêmes, comme par exemple créer des allégories et classer les mouvements dans des tiroirs, mais je ne pense pas qu’on puisse faire cela. Ici aux Etats-Unis il est indéniable que des gens ont cru et croient encore à l’anarchisme individualiste, mais il y a aussi eu les anarchistes organisés de Chicago des années 1880 ou du SNCC. Je pense que dans ces deux cas, en Europe et aux Etats-Unis, vous avez ces deux manifestations du mouvement, mais peut-être qu’en Europe, l’idée d’anarcho-syndicalisme (NdT: CNT/AIT) y est plus forte qu’aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis vous avez l’Industrial Workers of the World (IWW) qui est une organisation anarcho-syndicaliste et qui n’est sûrement pas en phase avec le courant de l’anarchisme individualiste.

ZV: Quelle est votre opinion sur le dilemme des moyens: révolution contre évolution socio-culturelle ?

Je pense qu’ici il y a plusieurs questions différentes. L’une d’entr’elles est celle de la violence et je pense qu’ici les anarchistes se sont trouvés en désaccord. Ici aux Etats-Unis, vous trouverez un désaccord, et vous pouvez trouver ce désaccord en une personne, Emma Goldman. Vous pourriez dire qu’après sa mort, son œuvre amena l’anarchisme sur le devant de la scène politique aux Etats-Unis dans les années 1960, lorsqu’elle devint alors une figure politique très importane. Mais Emma Goldman était pour l’assassinat de Henry Clay Frock, puis elle décida que cela n’était pas le chemin à prendre. Son ami et camarade Alexandre Berkman, n’a pas totalement abandonné l’idée de la violence. D’un autre côté vous avez aussi des anarchistes qui étaient sur le chemin emprunté par des gens comme Léon Tolstoï et Mohanda Gandhi, qui croyaient en la non-violence.

Il y a une caractéristique centrale de l’anarchisme sur le plan des moyens, et ce principe central est celui de l’action directe, de ne pas céder aux formes que la société vous offre, celles du gouvernement représentatif, du vote, de la législation, mais de directement prendre le pouvoir. Dans le cas des syncicats, de l’anarcho-syndicalisme, cela veut dire que les travailleurs ne se mettent pas seulement en grève générale, mais ils exproprient les industries, et les font fonctionner en auto-gestion. Qu’est-ce que l’action directe ? Dans le sud, lorsque les noirs s’organisaient contre la ségrégation raciale, ils n’ont pas attendu que le gouvernement leur donne le feu vert, ni n’ont été devant les tribunaux après avoir déposé des plaintes ou attendu que le congrès passe des lois. Ils ont pris les affaires en main, directement, ils sont allés dans les restaurants, s’y assirent et refusèrent d’en sortir. Ils montèrent dans les bus et agirent de la façon dont ils voulaient que cela se passe.

Bien sûr la grève est toujours une forme d’action directe. Avec une grève, vous ne demandez pas au gouvernement de vous faciliter les choses en passant une loi, vous prenez une action directe contre l’employeur. Je dirai qu’aussi loin que les moyens sont concernés, l’idée d’une action directe contre le mal que vous voulez éradiquer est une sorte de dénominateur commun de l’action anarchiste, de ses idées et de ses mouvements. Je pense qu’un des plus grands principes de l’anarchisme est que vous ne pouvez pas séparer les fins des moyens ; donc si vous pensez que votre objectif est une société égalitaire, vous devez utiliser des moyens égalitaires. Si votre but est une société non-violente sans guerre, vous ne pouvez pas utiliser la violence pour parvenir. Je pense que l’anarchisme requiert des moyens et des objectifs pour être en ligne les uns avec les autres. Je pense que cela est en fait une des caractéristiques très spéciales de l’anarchisme.

ZV: Noam Chomsky a dit une fois alors qu’on lui demandait au sujet de sa vision spécifique de la société anarchiste et de son plan détaillé pour y parvenir, que “nous ne pouvons pas nous représenter quels problèmes il y aura sans expérimenter avec eux”. Avez-vous le même sentiment que beaucoup d’intellectuels perdent leur temps et leur énergie au sein de disputes théoriques au sujet de la fin et des moyens et qu’ils ne pensent même pas à “expérimenter” ?

Je pense que cela vaut le coup de présenter des idées, comme Michael Albert l’a fait avec son “Parecon” par exemple, tout en maintenant la flexibilité. Nous ne pouvons pas créer un modèle de société du futur maintenant, mais je pense qu’il est bon d’y penser. Je pense qu’il est bon d’avoir un but en tête. C’est constructif, cela aide, c’est sain, de penser à quoi pourrait ressembler la société du futur, parce que cela vous guide en quelque sorte dans ce que vous faites aujourd’hui, mais il ne faut pas que ces discussions deviennent des obstacles à construire et à travailler ardemment à cette société. Il est facile de passer son temps à discuter ce type de société utopiste plutôt que celle-là et se perdre en conjectures en oubliant d’agir de façon à s’en rapprocher au mieux.

ZV: Dans votre livre “Une histoire populaire des Etats-Unis” vous nous montrez que notre liberté, no droits, nos standards d’environnement etc ne nous ont jamais été donnés par les riches et les influents, mais que cela a toujours été le résultat des luttes des gens ordinaires, au moyen de la désobéissance civile. Quel serait à cet égard, nos tous premiers pas vers un monde meilleur ?

Je pense que la première étape est de nous organiser et de protester contre l’ordre existant, contre la guerre, contre l’exploitation économique, sexuelle, contre le racisme etc, mais de s’organiser de telle façon que les moyens correspondent aux fins, de nous organiser de façon à créer le genre de relation humaine qui serait celle de la société à venir. Cela veut dire nous organiser sans autorité centralisée, sans leader charismatique, d’une façon qui représente en miniature la société idéale d’une société égalitaire. De cette façon, même si vous ne gagner pas demain ou l’an prochain, vous avez quoi qu’il en soit créé un modèle, Vous avez agit en façonnant une société future satisfaisante, vous en avez une vision pratique à petite échelle même si vous n’avez pas encore atteint le but ultime de la société égalitaire(NdT: L’exemple des Zapatistes du Chiapas au Mexique est très adapté à ce dont parle ici Zinn…)

ZV: Quelle est votre opinion sur les différentes tentatives de scientifiquement prouver l’hypothèse ontologique de Bakounine que les êtres humains ont “l’instinct de la liberté”, pas seuleemnt la volonté mais aussi le besoin biologique ?

En fait j’y croit ; mais je pense que vous ne pouvez pas avoir une preuve biologique de cela. Vous devriez trouver un gène de la liberté ? Non. Je pense que l’autre façon est de fouiller l’histoire du comportement humain. L’histoire du comportement humain montre ce désir de liberté, montre qu’à chaque fois que les gens ont vécu sous la tyrannie, les gens se sont rebellés contre.

Ziga Vodovnik est assistant professeur de sciences politiques à la facultév de sciences sociales de l’université de Loubjana (Slovénie), où il enseigne et recherche sur la théorie et la praxis des mouvements anarchistes et sociaux sur le continent des Amériques.

Published at CounterPunch • May 12, 2008

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Howard Zinn sur Résistance 71:

https://resistance71.wordpress.com/howard-zinn/

Illusion démocratique: Ce que nous enseigne l’histoire… (Howard Zinn)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, ingérence et etats-unis, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 17 juillet 2013 by Résistance 71

La révolte prochaine des gardes

 

Howard Zinn

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Note de Résistance 71:

Ce texte correspond à des extraits du chapitre 23 du livre d’Howard Zinn “Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours”, réédition en langue anglaise de 2005 (1ère édition, 1980) que nous avons traduits.

La version française du livre existe aux Editions Agone (2008) et nous ne pouvons qu’encourager nos lecteurs à se procurer ce livre, car il constitue une véritable mine d’or d’information afin de vraiment comprendre pourquoi le monde d’aujourd’hui est ce qu’il est et sous domination américaine. En politique et donc en histoire, rien n’arrive vraiment par hasard et comprendre la véritable histoire des Etats-Unis, c’est comprendre comment l’empire en est arrivé là et pourquoi nous sommes au bord de la 3ème guerre mondiale aujourd’hui.

 

~ Le titre de ce chapitre n’est pas une prédiction mais un espoir, que je m’en vais vous expliquer…

Toutes les histoires de ce pays centrées sur les pères fondateurs de la nation et de ses présidents pèsent oppressivement sur la capacité d’agir des citoyens ordinaires. Elles suggèrent toujours qu’en temps de crise, nous devons chercher quelqu’un pour nous sauver: les pères fondateurs dans la crise révolutionnaire, Lincoln dans la crise de l’esclavage, Roosevelt dans la crise de la grande dépression, Carter dans la crise du Vietnam / Watergate et qu’entre ces crises occasionnelles, tout va bien et qu’il est suffisant pour nous d’être restaurés à cet état normal des choses. Elles nous enseignent que l’acte suprême de la citoyenneté est de choisir parmi les sauveurs en nous isolant dans un bureau de vote tous les quatre ans environ afin de choisir entre deux hommes blancs anglo-saxons, riches et de personnalité inoffensive possédant des opinions orthodoxes.

L’idée même du sauveur a été construite dans toute la culture, bien au-delà de la politique. On nous a appris à regarder les vedettes, les leaders, les experts dans chaque domaine, comme des dieux, nous forçant à abdiquer nos propres forces, à ne plus croire en nos propres capacités, à nous annihiler nous-mêmes. Mais de temps en temps, les Américains rejettent cette idée et se rebellent.

Les rebellions ont jusqu’ici été contenues, car le système américain est le système de contrôle le plus ingénieux de l’histoire du monde. Dans un pays si riche en ressources naturelles, en talent, et en force de travail, le système peut se permettre de distribuer juste assez de richesse à juste suffisamment de personnes pour limiter le mécontentement à une minorité à problèmes.

[…]

Il n’y a pas de système de contrôle avec plus d’ouvertures, d’apertures, de flexibilité, de récompenses pour ceux qui ont été choisis et de tickets gagnants à la lotterie. Il n’y en a aucun qui disperse son contrôle de manière plus complexe à travers le système électoral, la situation de l’emploi, l’église, la famille, l’école, les médias de masse, aucun ayant plus de succès à assouplir l’opposition avec des réformes, isoler les personnes les unes des autres, à créer une loyauté patriote.

Un pourcent de la population possède un tiers de la richesse (NdT: depuis c’est bien pire… 1% détient plus de 40% de la richesse nationale). Le reste de la richesse est distribué de telle façon que cela crée une opposition au sein des 99% restant: les petits propriétaires contre ceux qui n’ont rien, les noirs contre les blancs, les citoyens “de souche” contre ceux d’ascendance étrangère, les intellectuels et éduqués contre les manuels et les ignares. Ces groupes se sont détestés et se sont combattus l’un l’autre avec tant de véhémence et de violence que cela a obscurci leur position commune de partageurs des miettes dans ce qui est un pays très riche.

Contre la réalité de cette bataille amère et désespérée pour des ressources rendues rares par le contrôle de l’élite, je prends la liberté d’unifier ces 99% restant et de les nommer “le peuple”. J’ai écrit une histoire qui tente de représenter leur intérêt commun, submergé et dévié par la même élite. Insister sur la communalité des 99%, déclarer un profond conflit d’intérêt avec le 1%, c’est faire exactement ce que tous les gouvernemets des Etats-Unis et les élites richissimes qui leurs sont alliées, des pères fondateurs à aujourd’hui, ont essayé d’empêcher. Madison avait peur d’une “faction majoritaire” et espérait que la nouvelle constitution la contrôlerait. Lui et ses collègues commencèrent le préambule avec les mots “Nous, le peuple…” prétendant que le nouveau gouvernement représenterait tout le monde et espérant que ce mythe, accepté pour fait, assurerait la “tranquilité intérieure”.

[…]

Mais même avec tous les contrôles du pouvoir et les punitions infligées, les attractions et concessions, diversions et leurres, opérant au gré de l’histoire de la nation, l’establishment n’a pas été capable de se maintenir en sécurité de la révolte. Chaque fois qu’il a pensé avoir réussi, les mêmes gens qu’il pensait avoir réduits, séduits, soumis, sortirent de leur torpeur et se soulevèrent. Les noirs cajolés par les décisions de la cour suprême de justice et les statuts du congrès se rebellèrent. Les femmes, ignorées et villipendées, romantisées et maltraitées, se sont rebellées. Les Indiens, que tout le monde croyait morts, sont réapparus, défiants. Les jeunes, malgré les leurres de carrières confortables, ont déserté. La classe laborieuse, pensée calmée par les réformes, réduites par la loi, maintenue dans les lignes imparties par leurs propres syndicats, se mît en grève. Les fonctionnaires intellectuels, ayant juré silence et obéissance, commencèrent à fuiter des secrets d’état. Les prêtres passèrent de la piété à la protestation.

Rappeler ceci aux gens, c’est leur rappeler ce que l’establishement voudrait tant qu’ils oublient: cette énorme capacité qu’ont les gens en apparence sans défense de résister, et des gens en apparence contentés de demander le changement. Découvrir cette histoire, c’est trouver une forte impulsion humaine pour réaffirmer son humanité. C’est conserver et ce même dans des temps de pessimisme profond (NdT: comme la période historique que nous traversons depuis le tout début du XXIème siècle…), la possibilité d’une grande surprise.

Il est vrai que sur-estimer la conscience de classe, exagérer les succès de la rébellion, serait trompeur. Cela ne tiendrait pas compte du fait que le monde, pas seulement les Etats-Unis, mais partout, est toujours sous le joug des élites, que les mouvements populaires, même s’ils démontrent une énorme capacité de récurrence, ont été jusqu’ici soit défaits, soit absorbés, soit pervertis, que les “révolutionnaires socialistes” ont trahi le socialisme, que les révolutions nationalistes ont mené à de nouvelles dictatures. Mais la plupart des historiographies sous-estiment la révolte, insistent par trop sur l’étatisme et ainsi encouragent l’impotence et la résignation des citoyens. Lorsque l’on étudie de près les mouvements de résistance et même les formes isolées de rebellion, nous découvrons que la conscience de classe, ou toute autre prise de conscience d’une injustice, a en fait plusieurs niveaux. Elle a plusieurs niveaux d’expression, plusieurs manières de se révéler, ouverte, subtile, directe, cachée, détournée. Dans un système d’intimidation et de contrôle, les gens ne montrent pas tout ce qu’ils savent, leurs sentiments profonds,  jusqu’à ce que le sens pratique les informe qu’ils peuvent le faire sans être détruits.

[…]

Dans une société hautement développée, l’establishment ne peut pas survivre sans l’obéissance et la loyauté de millions de gens à qui on donne de petites récompenses pour maintenir le système en état de fonctionnement: les soldats et la police, les enseignants et les ministres, les administrateurs et les travailleurs sociaux, les techniciens et les travailleurs de production, les médecins, avocats, infirmières, travailleurs des transports et des communications, éboueurs et gens de voirie, pompiers ; tous ces gens, les employés, quelque part les privilégiés, sont attirés à faire alliance avec l’élite. Ils deviennent les gardes du système, les tampons entre les classes supérieures et inférieures. S’ils arrêtent d’obéir, le système s’effondre.

Ceci arrivera, je pense, seulement lorsque tous et toutes qui sommes un peu privilégiés et un peu mal à l’aise, commencerons à voir que nous sommes comme les matons de la prison d’Attica en révolte, de la chair à canon, que l’establishment, quelques soient les récompenses qu’il nous donne, nous tuera également, si cela est nécessaire pour maintenir le contrôle.

Certains faits nouveaux, dans notre époque, émergent de manière si claire, que cela peut mener à un retrait général de la loyauté au système. Les nouvelles conditions de l‘économie, de la technologie, et de la guerre, dans l’ère atomique, rend de moins en moins possible pour la garde du système, les intellecteuls, les propriétaires fonciers, les contribuables, les travailleurs qualifiés, les professionnels, les fonctionnaires, de rester immunisés contre la violence (physique et psychologique) infligée aux noirs, aux pauvres, aux criminels, aux ennemis étrangers…

Nous sommes tous devenus les otages de nouvelles conditions de la technologie de l’apocalypse, d’une économie à la dérive, de l’empoisonnement globalisé, de guerre incontenable. Les armes atomiques, les radiations invisibles, le chaos économique, ne font pas de distinction entre les gardes et les prisonniers et ceux en contrôle n’auront aucun scrupule de ne pas faire la différence. Gardons à l’esprit cette réponse de l’état-major des armées à la nouvelle en 1945 que des prisonniers de guerre américains pouvaient être stationnés à côté de Nagasaki, la réponse fut: “Les cibles déterminées au préalable demeurent inchangées”.

Il y a des preuves d’une insatisfaction grandissante parmi les gardes. Nous savons depuis un moment déjà que les pauvres et les ignorés du système constituaient la masse de ceux qui ne votent pas, aliénés qu’ils sont du système politique dont ils pensent ne pas être aimés. Maintenant l’aliénation s’est propagée bien au-delà de la ligne de pauvreté. Il y a ces ouvriers blancs, ni pauvres ni riches, mais en colère contre l’insécurité économique, mécontent de leur travail, inquiets au sujet de leur voisinage, hostile aux gouvernements, combinant des éléments de racisme et de conscience de classe, méprisant la classe inférieure et détestant les élites et donc ouverts à toute suggestion politique de droite comme de gauche.

[…]

Nous pourrions bien, dans les années à venir, nous retrouver dans une course pour le mécontentement de la classe moyenne (NdT: écrit dans les années 1990, ceci était visionnaire, car depuis le début de la crise de 2007, c’est ce qu’il se passe de fait…).

Le fait de ce mécontentement est clair. Les recherches en la matière depuis le début des années 1970, montrent que 70 à 80% des citoyens américains ne font confiance ni aux gouvernements ni à l’armée, ni au système entrepreneurial. Ceci veut dire que le manque de confiance va bien au-delà des noirs, des pauvres et des radicaux de tout poil. Il s’est propagé au sein même des travailleurs qualifiés, des cols blancs, des professionnels du service, et pour la première fois de l’histoire de cette nation, peut-être qu’à la fois les classes du bas et les classes moyennes, les prisonniers et les gardes, ont été désillusionnés par le système.

Il y a d’autres signes qui ne trompent pas: augmentation de l’alcoolisme, nombre de divorces plus important (de un sur trois on est passé à un sur deux couples qui divorcent…), augmentation des consommations de drogues et de tranquilisants, augmentation des dépressions nerveuses et maladies mentales. Des millions de gens ont désespérément cherché des solutions à leur sentiment d’impuissance, leur solitude, leur frustration, leur aliénation aux autres, au monde, à leur travail, à eux-mêmes. Ils ont adopté d’autres religions, ont rejoint des groupes, comme si une nation entière se retrouvait en thérapie de groupe. Ceci intervient dans une époque où la classe moyenne est de plus en plus insécure économiquement.

[…]

Le capitalisme a toujours été un échec pour les classes sociales inférieures, maintenant le capitalisme est en train d’échouer avec les classes moyennes. La menace du chômage, toujours présente dans les foyers des pauvres, s’est propagée aux cols blancs, aux professionnels. Un diplôme universitaire n’est plus une garantie contre le chômage et un système qui ne peut plus assurer un futur aux jeunes qui sortent des écoles et universités a de sérieux problèmes. Si cela ne se passe que pour les enfants des pauvres, la situation est gérable, il y a les prisons. Si cela arrive aux enfants de la classe moyenne, alors tout peut très vite devenir hors de contrôle. Le pauvre a l’habitude d’être pressé et de ne pas avoir d’argent. Mais ces dernières années, la classe moyenne également a commencé à sentir le vent du boulet de la hausse des prix et de l’augmentation des impôts.

[…]

Dans les dernières décennies, la peur d’un assaut criminel a été rejoint par une plus grande peur encore. Les morts par cancer ont commencé à se multiplier et les chercheurs médicaux semblaient impuissants à en connaître la cause. Il est devenu de plus en plus évident que la cause de ces morts provenait de l’environnement empoisonné par les expériences militaires et la gourmandise commerciale de l’industrie. L’eau que les gens boivent, l’air qu’ils respirent, les particules de poussière des bâtiments dans lesquels ils travaillent, ont été doucement contaminés au fil des ans par un système si avide de croissance et de profits que la santé et le bien-être des êtres humains ont été totalement ignorés. Un nouveau danger mortel apparût bientôt: le virus HIV donnant le SIDA, qui se répandit très rapidement chez les homosexuels et les drogués.

Au début des années 90, le faux socialisme du système soviétique tomba et le système américain senbla devenir totalement hors de contrôle, une fuite en avant capitaliste, une fuite en avant technologique, une fuite en avant militariste et du gouvernement qui clâme toujours représenter le peuple. Le crime, le SIDA, les cancers, étaient hors de contrôle, les prix et les impôts également, le pourrissement des villes et la cassure du système familial étaient aussi hors de contrôle et les gens s’en apercevaient grandement.

[…]

Ainsi, imaginons un instant et ce pour la première fois dans l’histoire de cette nation, ce que ferait une population unifiée pour un grand changement fondamental… Imaginons un instant ce qu’un changement radical nécessiterait de nous.

Note du traducteur:

Après les rappels historiques, Zinn explique maintenant sa vision d’une société radicalement différente, un modèle, qui sans en dire le nom, se rapproche énormément de la flexibilité du modèle anarchiste d’une société sans état, non-coercitive, autogérée, antiautoritaire, anticapitaliste et donc libre:

 

~ Les leviers du pouvoir de la société devront être retirés à ceux dont la conduite des affaires a mené au marasme présent: les entreprises géantes, l’armée (et son complexe militaro-industriel) et leurs politiciens collaborateurs. Nous aurons besoin, par un effort coordonné des groupes locaux partout dans le pays, de reconstruire l’économie à la fois dans un souci d’efficacité et de justice, produisant de manière coopérative tout ce dont les gens ont besoin le plus. Nous commencerions dans les voisinages, dans nos villes et villages, sur nos lieux de travail. Chacun devra avoir un travail et ce incluant ceux qui sont aujourd’hui maintenus à l’écart de la force de travail (NdT: le profit ne sera plus le but…), les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées (qui tous ont quelque chose à offrir). La société pourra utiliser cette énorme énergie qui est maintenant en veilleuse, les capacités et les talents qui sont maintenant inutilisés. Tout le monde pourra partager les travaux routiniers quotidiens mais pourtant nécessaires pour quelques heures par jour, cela laissera la plus grande partie du temps libre pour le plaisir, les activités créatives, les travaux de passion et d’amour tout en produisant suffisamment pour une ample distribution de biens et de denrées pour tous. Certaines choses de base seront très abondantes et pourront être obtenues sans échange monnétaire aucun et seront à la disposition de toutes et tous gratuitement, comme par exemple: la nourriture, le logement, la santé publique, l’éducation et les transports.

Le plus grand problème sera de réaliser cela sans la création d’une bureaucratie centralisée, sans utiliser les prisons et les punitions comme principe de la carotte et du bâton, mais d’utiliser les avantages issus de la coopération, qui viennent naturellement des désirs humains, qui ont été utilisés dans la passé par l’état dans les temps de guerre, mais aussi par les mouvements sociaux qui ont donnés quelques indices sur le comment les gens peuvent se comporter dans différentes situations. Les décisions seront prises par de petits groupes de personnes sur leurs lieux de travail, dans leurs voisinages, dans les réseaux coopératifs, en communication avec les autres, mettant en place un socialisme de voisinage évitant la hiérarchisation et de créer une classe de chefs comme dans le capitalisme et les dictatures qui ont pris le nom de “socialisme”.

Avec le temps, les gens, au sein de communautés amicales, pourront créer une culture plus diversifiée, non violente, dans laquelle toute forme de d’expression personnelle et de groupe serait possible. Les hommes et les femmes, les blancs et les noirs, les vieux et les jeunes, pourraient alors s’enthousiasmer de leurs différences en tant qu’attributs positifs d’une société et non pas comme une raison de domination. De nouvelles valeurs de coopération et de liberté pourront voir naissance dans les relations entre les gens, l’éducation et l’apprentissage des enfants.

Pour faire tout cela dans des conditions complexes de contrôle aux Etats-Unis, demanderait de combiner l’énergie de tous les mouvements précédents de l’histoire américaine: des insurgés du travail, aux rebelles noirs en passant par les luttes des nations natives, des femmes, de la jeunesse, ainsi que la nouvelle énergie d’une classe moyenne en colère.. Les gens devront commencer à transformer leur environnement immédiat, leurs lieux de travail, la famille, l’école, la communauté, par une série de luttes contre l’autorité absente, pour donner le contrôle de ces endroits aux gens qui y vivent et y travaillent.

Ces luttes impliqueront toutes les tactiques utilisées auparavant par les mouvements populaires: manifestations, marches, désobéissance civile, grèves, boycotts, grèves générales (expropriatrices), action directe pour redistribuer la richesse, pour reconstruire les institutions, pour revamper les relations, créant au passage une nouvelle culture musicale, littéraire, dramatique, de tous les arts et de tous les domaines du travail et des loisirs de la vie quotidienne, une nouvelle culture de respect, et une nouvelle joie dans la collaboration des gens heureux de s’aider les uns les autres.

Il ya aura de nombreuses échecs. Mais lorsqu’un tel mouvement se sera tenu dans des centaines de milliers d’endroit à travers le pays, il deviendra impossible de le supprimer, parce que les gardes sur lesquels le système dépend pour écraser un tel mouvement (NdT: comme cela a déjà été fait dans le passé: Commune de Paris 1871, mouvements populaires anarchistes de Cronstadt et makhnoviste ukrainien, mouvement ouvrier italien de 1920, révolution espagnole 1936-39, pour ne citer que les plus connus…) seront parmi les rebelles. Ce sera un nouveau type de révolution, la seule qui puisse se produire, je pense, dans un pays comme les Etats-Unis. Cela prendra une énergie énorme, un sacrifice, de la motivation et de la patience. Mais parce que cela sera un processus qui s’étalera dans le temps, le commencer sans retard il y aurait la satisfaction immédiate que les gens ont toujours trouvée dans les liens affectifs créés dans la lutte commune pour un but commun.

[…]

L’avenir verra des temps de troubles, de lutte, mais aussi d’inspiration. Il y a une chance qu’un tel mouvement puisse réussir en faisant ce que le système n’a jamais fait: amener un grand changement avec très peu de violence. Ceci est possible parce qu’un plus grand nombre des 99% commencent à se voir comme des partageurs de besoins, plus les gardes et les prisonniers voient leur intérêt commun et plus l’establishment devient isolé et inefficace. Les armes de l’élite, l’argent, le contrôle de l’information, seront inutiles face à une population déterminée. Les serviteurs du système simplement refuseraient de continer à servir le vieil ordre mortifère et commenceraient à utiliser leur temps, leur espace, toutes les choses que le système leur donne pour rester tranquilles, pour démanteler ce système tout en en créant un autre simultanément.

Les prisonniers du système continueront à se rebeller, comme avant, et de manière qui ne peut pas être établie maintenant ni en des temps qui peuvent être prédits. Le facteur nouveau de cette ère est qu’ils seront sans doute rejoints par les gardes du système. Nous, lecteurs et écrivains de livres, avont été pour la plupart parmi les gardes du système. Si nous comprenons cela et agissons en conséquence, non seulement la vie deviendra plus gratifiante, plus juste, mais nos petits-enfants, nos arrières-petits-enfants, pourront sans aucun doute comtempler un monde différent et merveilleux.

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Note de Résistance 71:

Nous tenons à dire ici, que les propos d’Howard Zinn dans ce chapitre correspondent grandement à notre vision de la société future et de la révolution à venir qui l’établira.

10% de la population, motivés et non influençables sont suffisants pour faire avancer des idées parfois vues marginales et en faire un consensus général.

Ceci est maintenant scientifiquement prouvé. L’oligarchie utilise cette évidence depuis des lustres pour nous manipuler.

Retournons l’arme de la persuasion contre les criminels en charge.

Ya Basta !

Les peuples prévaudront !…