Archive pour gustav landauer « appel au socialisme »

Pour l’avènement de la société humaine véritable en corps et en esprit : Compilation PDF essentielle de textes et d’analyses de ce grand penseur spirituel, Gustav Landauer (Résistance 71 et JBL1960)

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Gustav Landauer, compilation pour une société des sociétés organique et spirituelle (PDF) :
Gustav_Landauer_Ultime_Compilation_pour_une_societe_des_societes

A lire et diffuser sans aucune modération

Résistance 71

13 janvier 2023

Nous espérons que les textes présentés dans cette compilation PDF ci-dessous vous feront comprendre à quel point le pensée pratique de Gustav Landauer résonne (raisonne) toujours si parfaitement quand il s’agit d’envisager la suite de notre histoire. Nous ne le répèterons jamais assez, et il est clair que la situation vécue par le monde dans cette ère de guerres par proxy et de génocide planétaire par armes biologiques ne fait que corroborer ce fait, qu’il n’y a pas et ne saurait y avoir de solution au sein du système. Nous devons en sortir, prendre cette tangente échappatoire du cercle vicieux mortifère étatico-marchand, pour enfin nous retrouver en humanité vraie, dans cette société des sociétés de la complémentarité bien comprise qui ne demande qu’à se réaliser dans cette bascule de l’histoire s’annonçant aussi nécessaire que définitive et si bien pressentie par Gustave Landauer.
L’heure est venue de cesser d’avoir peur et de lâcher prise de ces illusoires futilités présentes pour nous retrouver, frères et sœurs en humanité, de l’autre côté du miroir et des ponts du surhumain. Nous y sommes presque, il suffit de dire NON ! au cirque ambiant, de se tenir par la main et de les traverser pour que naisse enfin cette société des sociétés, réalité affirmée de notre nature ancestrale et universelle la plus profonde. Gustav Landauer avait compris il y a plus d’un siècle, que la nouvelle société, cèle de l’avènement ultime de notre humanité vraie et profonde, sera une société spirituelle. Regardons autour de nous, regardons ces évènements tous plus iniques les uns que les autres pour comprendre que le monde a totalement perdu sa spiritualité. Landauer expliquait il y a plus d’un siècle, que cet esprit, ce « Geist » de la société, quand il est évincé de la société, est remplacé par l’État et ses institutions rigides, violentes et dominatrices. L’esprit de la société ne demande qu’à être ravivé et il suffit de regarder alentour pour comprendre que son heure est venue… Vive la Commune Universelle de notre humanité enfin réalisée.
~ Résistance 71 ~

GL_le visionnaire

Landauer est pour moi celui qui se sera le plus approché de la philosophie amérindienne que les Natifs de l’Île de la Grande Tortue et Nations premières pratiquent au quotidien et même enseignent aujourd’hui un anarcho-indigénisme qui explose complètement le narratif officiel des colons de papier de l’Amérique moderne ; Comme l’a parfaitement analysé Steven Newcomb : « Le style de vie américain est fondé sur un “rêve américain” impérialiste fait de richesses et de fortune obtenues au moyen d’un système de domination qui est utilisé pour abuser et profiter de la Terre, des territoires et des eaux de nos nations originelles. »
Aussi après avoir lu, intégré et conscientisé, l’essentiel de Landauer, il est totalement impossible de laisser dire que l’esclavagiste George Washington ou l’instigateur de l’Indian Removal Act / Loi sur la déportation des Indiens ; Andrew Jackson ou plus près de nous Bill Clinton, Barack H. Obama, Joe Biden tous Présidents du Parti Démocrate qui désigne la Gauche américaine auraient quelque chose à voir avec le socialisme comme exploré par Gustav Landauer.
De la même manière, nous avons ainsi les moyens de démontrer que le National-Socialisme qui porta Hitler au pouvoir avait tout du Nationalisme et absolument RIEN à voir avec le Socialisme…
Enfin, il nous permet de comprendre la (de moins en moins) subtile manipulation des Zélites qui placent à des moments clefs des hommes liges et grandes figures de la Gauche étatique partout dans le monde et même dans le fauteuil élyséen, comme les derniers prétendus socialistes ; Mitterand, Hollande, Macron en alternance avec les hommes de partis ou d’appareils politiques dits de Droite, ce afin de se maintenir, le plus longtemps possible, au sommet de la pyramide.
Nous sommes arrivés à la croisée des chemins, soit continuer de les laisser-faire et c’est fin de partie pour l’Humanité ; Soit réaliser que la société future sera spirituelle et non plus religieuse ou ne sera tout simplement pas ; Soit se rejoindre ICI et MAINTENANT puisque NOUS sommes TOUT COMMENCE
~ JBL1960~

Gustav Landauer, compilation pour une société des sociétés organique et spirituelle (PDF) :
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Sortir du marasme mortifère étatico-marchand par la société des sociétés : la voie du changement relationnel de Gustav Landauer 2/2 (Anarqxista Goldman)

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GL1
et la société organique…

“Une vie alors est comme un délai au cours duquel l’homme peut, et a le devoir, de mettre son esprit en accord avec la compréhension qu’il a du but de l’existence humaine.”
~ Andreï Tarkovski ~

“En ce monde, le bonheur n’existe pas, mais il existe la paix de l’âme et la libre volonté.”
~ Alexandre Pouchkine ~

“Nous sommes crucifiés dans une seule dimension, alors que le monde est multidimensionnel. Nous le sentons et nous souffrons de l’impossibilité de connaître la vérité. Mais il n’est pas nécessaire de connaître. Il faut aimer et croire. La foi est la connaissance acquise à l’aide de l’amour.”
~ Andreï Tarkovski ~

Gustav Landauer sur les relations anarchistes

Anarqxista Goldman

Chapitre 6 de son livre “Mini-manual of anarchists relations”, 2022

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71

Décembre 2022

1ère partie
2ème partie

Le texte complet en PDF mise en page de Jo :
Anarqxista_Goldman_Gustav-Landauer-sur-les-relations-anarchistes

De là, Landauer en vient avec son explication pour dire que quelques soient les libertés que nous avons pu avoir à un moment donné, elles nous ont été retirées et la servitude les a remplacées. Ceci est important pour Landauer qui pense que quoi que ce soit de mis en valeur et incité finira par l’emporter : “Le naturel peut être bon comme il est, mais il disparaît si on n’en prend pas soin. Nous sommes déterminés par ce dont nous prenons soin, quelque soit la forme prise et quelque soit notre nature.”, citant La Boétie. Le fait est que bon nombre d’humains “ne connaissent pas mieux que d’être soumis” car “ils ont toujours ainsi.” Ainsi, citant toujours La Boétie : “Ils se tournent en la propriété de ceux qui les oppriment, parce que le temps a rendu cela comme inévitable. En réalité, le temps ne corrige jamais une erreur, mais la multiplie une multitude de fois.

Ce que déduit ici Landauer de La Boétie est que “l’amour et l’amitié n’existent que parmi les gens de bien. Là où il y a cruauté, malhonnêteté, injustice, il ne peut pas y avoir d’amitié.” Il n’y a que l’attention au meilleur, s’occuper de soi-même avant tout, toujours regarder par dessus son épaule et s’inquiéter de savoir quand la prochaine coercition ou le prochain abus vont se produire. Tout est question de relations. Mais du point de vue individuel : “Nous n’avons besoin de rien… si ce n’est que du désir et de la volonté d’être libre. Nous souffrons de fait d’une servitude volontaire.” Nous avons besoin d’une conscience révolutionnaire, un esprit libre insurrectionnel et donc :

Le feu de la tyrannie ne peut pas être combattu de l’extérieur avec de l’eau. C’est sa source qui doit être éliminée. Les personnes qui l’alimentent doivent arrêter de le faire. Ce qu’ils sacrifient à ça, ils doivent le garder pour eux-mêmes.

Il cite de nouveau La Boétie pour marteler ce point toujours plus fort :

“Il n’est pas nécessaire de combattre le tyran, ni non plus de se défendre contre lui. Le tyran va éventuellement perdre de lui-même. Les gens doivent juste cesser d’accepter la servitude. Ils n’ont pas besoin de prendre quoi que ce soit du tyran, ils doivent simplement cesser de lui obéir. Ils n’ont pas besoin de changer, simplement d’arrêter d’entraver leur propre développement… Quand le tyran ne reçoit plus et qu’on ne lui obéit plus, il finit nu, sans force et sans pouvoir. Il finit par ne plus rien être. Il partage la destinée d’une racine qui est laissée sans eau et sas nourriture : il devient un vieux morceau de bois sec et mort.

A-ChristO

Ceci articule un point fondamental chez Landauer, quelque chose qui est à la base de sa pensée et essentiel à la construction de son anarchisme : ce point essentiel est que l’anarchisme vient DE L’INTERIEUR DE NOUS-MEMES [tout comme Jésus pensait au sujet du royaume de dieu, Luc : 17) Il écrit :

“Si les révolutions individuelles sont des microcosmes récurrents qui résument et précèdent les idéaux généraux de la révolution, alors l’essai de La Boétie est le plus parfait de tous les microcosmes de révolution. Il représente un esprit qui apparaît d’abord comme étant seulement négatif. Mais qui bientôt tire suffisamment de pouvoir de sa négativité pour proclamer le positif à venir même s’il ne peut pas être encore décrit. L’essai de La Boétie a déjà dit ce que d’autres diront plus tard en différentes langues : Godwin, Stirner, Proudhon, Bakounine, Tolstoï… Le message est : C’est en vous ! Pas en dehors. C’est vous. Les humains ne doivent pas s’unir sous la domination, mais comme frères, sans domination : an-archie…

La négation émise par les âmes rebelles est emplie d’amour ; un amour qui est force, dans le sens si bien formulé par Bakounine : ‘la joie de destruction est une joie créatrice.’ Les âmes rebelles savent que les humains sont frères et qu’ils doivent vivre en fraternité. Mais ils croient qu’il suffit de vaincre des obstacles externes des puissances externes ; ceci ne fera fraterniser les humains que quand ils luttent et peut-être renversent ces obstacles externes. Un esprit commun peut être ressenti durant une révolution, mais il ne prend pas vie. Une fois la révolution finie, il est parti. Nous pouvons entendre les gens dire : oui, mais l’esprit demeurera une fois que la révolution aura été couronnée de succès, quand le monde ancien ne pourra plus ressurgir ! D’après cette même logique, on pourrait dire : si je pouvais me rappeler de mes rêves et les fusionner dans ma mémoire et ma conscience, alors je serai le plus grand poète. La réalité et l’idée de la révolution la définissent comme une période de santé entre deux périodes de maladie. S’il n’y avait pas de maladie avant et après, alors elle ne serait pas ce qu’elle est.

Un véritable changement de l’humanité a besoin d’un supplément à la révolution, quelque chose d’une nature totalement différente. Nous pouvons ajouter une variation au slogan ci-dessus : sans domination, avec esprit ! Cela ne suffira pas de juste l’appeler esprit. L’esprit doit nous parvenir. Il a besoin d’une couverture et d’une forme. Personne ne connait son nom et ce qu’il est vraiment. Ceci crée une angoisse qui nous aide à nous impliquer à la transition et au progrès. Ne pas savoir à quoi s’attendre veut dire garder les idées en vie. Que voudraient dire les idées si elles étaient déjà réelle ?”

La formule de Landauer ici est donc “sans domination, avec esprit”. Mais cela est plus que nous et donc Landauer conçoit non pas seulement des gens d’esprit, mais des communautés de gens, hors de l’État, communautés d’esprit également. Ce ne “sont pas une somme d’atomes d’individus, mais une unité organique, un réseau de beaucoup de groupes.” Landauer pense que ceci n’est pas nouveau et “a existé depuis longtemps”. Landauer pense que “un esprit commun peut exister quand il y a quelque chose pour lui à remplir et duquel il peut s’étendre. Ainsi ces groupes de gens d’esprit doivent donner une forme à leur existence commune et leur “esprit commun”. Ceci nous ramène au point de vue de Landauer sur la révolution :

C’est la destinée de la révolution à notre époque : fournir un lac spirituel à l’humanité. C’est dans le feu de la révolution, dans son enthousiasme, sa fraternité, son agressivité que l’image et le sentiment d’unification positive s’éveillent ; une unification qui vient au travers d’une qualité de connection : l’amour comme force. Sans régénération temporaire nous ne pouvons pas continuer et sommes condamnés à nous noyer.

Ainsi donc Landauer voir l’amour dans la révolution, la joie et l’espoir fondus dans les cœurs et les esprits de beaucoup comme énergies régénératrices Il ne se fait pas d’illusion sur ce que les révolutions fonctionnent, même s’il concède qu’elles peuvent amener certains bénéfices qui peuvent être perdus par la suite, ou pas… mais cela n’a pas d’importance, car c’est la mise en mouvement de cet esprit qui est la chose la plus importante. Dans les temps révolutionnaires, les gens agissent et croient. Ils agissent pour eux-mêmes et ceux qu’ils aiment et invitent les autres à les rejoindre. Une solidarité de cause se crée avec d’autres êtres humains. C’est cet esprit, et tout ce qu’il peut générer et créer, dont nous avons besoin. C’est là que réside la véritable révolution, ainsi :

Certains essaient de nous convaincre en ces temps faibles et stériles, privés de sentiment et honteux de l’amour et de l’affection, que la fraternité n’est plus juste qu’un mot vide de sens. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité ; nous devons le déclarer haut et fort et sans hésitation : les êtres humains sont frères ! C’est ce que toutes les révolutions passées nous ont enseigné et ce que nous enseignerons aux futures révolutions. Il y a des mots dont les origines sont suffisamment fortes pour supporter toutes les adaptations les plus frivoles et les plus étriquées, ainsi que toutes les formes de ridicule. Nous devons ce mot de Fraternité à la révolution française. Il résume sa joie et son bonheur : les humains se sentirent comme des frères, et, ne l’oublions surtout pas, comme des sœurs aussi !

Ces mots sont prononcés dans l’intention de dire que le problème avec l’État est qu’il remplace l’esprit et cette fraternité avec “la domination, le contrôle externe et la mort.” Landauer pense cet esprit comme étant la “souveraineté intérieure” d’une façon très stinerienne / nietzschéenne et totalement compatible avec l’inservitude volontaire tant voulue par La Boétie. Ses communautés sont des communautés de ces personnes, c’est pour cela qu’elles sont aussi considérées comme des communautés d’esprit. Ainsi, “à la fin, la révolution sociale veut dire d’autre que la construction et l’organisation pacifique fondées sur un nouvel esprit et créant ainsi un nouvel esprit.” Landauer prévoit un “Bund de communautés économiques” [Bund en allemand voulant dire une alliance, une union ou une association] qui remplacera l’État. Mais ceci n’est pas comme dans les actions bibliques des apôtres, dans l’attente que l’esprit tombe sur nous. “Ce n’est pas l’esprit qui nous met sur la voie, c’est notre voie qui permet à l’esprit de naître.” Nous qui sommes conscients de cet esprit en notre sein, devons nous soulever et agir pour alimenter cet esprit en nous-mêmes.

Nous avons maintenant l’époque de la vie de Landauer où il s’est retrouvé impliqué à créer un tel Bund appelé le “Bund socialiste”. En conséquence, vers cette période 1909-1910, il écrivait plusieurs articles et pamphlets qui furent publiés pour en faire la promotion. Le premier d’entre eux que je considère est “Que veut le Bund socialiste ?” Et la question y trouve quasiment sa réponse dans sa première ligne : “Le Bund socialiste veut unifier tous les humains qui sont sérieux au sujet de vraiment réaliser le socialisme.” (C’est à dire l’anarchisme). Contrairement aux autres idées voulant que l’anarchisme ne soit qu’un rêve distant accessible après que la société ait été adéquatement préparée et éduquée, Landauer ajoute que “le socialisme ne viendra jamais si vous ne le créez pas.” A ceux qui disent que la révolution doit d’abord venir, Landauer répond “Mais comment ? Et de où ?” Le Bund de Landauer donc, et son idée, est de ne pas attendre, de ne pas se fixer sur des meta-narratifs d’apocalypse absolue et de changement du monde, mais de s’y mettre localement avec ce que ceux ayant le même esprit et la même volonté peuvent faire ici et maintenant.

Il est clair sur ce que “Nous disons que rout doit être renversé ! Nous refusons d’attendre la révolution afin de commencer la réalisation du socialisme ; nous commençons la mise en place du socialisme afin d’amener la révolution !” Une préoccupation ici est que les gens, y compris les révolutionnaires, créent des vies au SEIN DU CAPITALISME alors que ce dont on a besoin est de vies EN DEHORS DU CAPITALISME. Ceci semble être une distinction vitale, car le capitalisme est en lui-même une série de relations coercitives et donc comment l’anarchisme peut-il surgir si vous restez dedans ? Une coupure, une sécession définitive doit être entreprise. De nouvelles relations doivent commencer.

A cet égard, Landauer voit l’État comme jouant le rôle du gardien du capitalisme, en faisant juste assez ou juste ce qui est nécessaire, pour maintenir les gens dans le capitalisme :

Que fait l’État ? Il allège quelques unes des plus grandes souffrances, il sauve le capitalisme de se suicider en utilisant des assurances, la sécurité sociale et des interventions légales ; il maintient aussi le système de l’injustice, de la production inepte et de l’incompétence de distribution des biens et denrées. Le capitalisme avance. C’est le résultat des efforts de l’État et ceci inclut les efforts de la classe travailleuse et de ses représentants.

Le seul intérêt des capitalistes, qu’ils soient PDG ou Politiciens, est que le CAPITALISME AVANCE. C’est souvent avec l’accord et l’aide de gens qui, nominativement, seraient voués à le détruire [ce que La Boétie a décrit comme la “servitude volontaire”]. Mais le capitalisme se contre-fout de savoir si vous l’aimez ou pas, pourvu que, que vous le vouliez ou pas, vous allez dans son sens. Pourtant, le capitalisme n’est qu’un système relationnel que nous soutenons tous par notre participation. Oui, entreprises et gouvernements peuvent bien nous harceler ou nous cajoler afin de maintenir la relation capitaliste, mais, comme l’a suggéré La Boétie, nous pourrions tout aussi bien dire NON! Nous avons ce pouvoir du refus… Il y a bien sur des conséquences à cela [de bonnes conséquences d’un point de vue anarchiste égoïste, comme prendre la responsabilité de soi-même], mais il y a aussi des conséquences pour continuer à maintenir cette relation capitaliste, comme par exemple la destruction de l’environnement à l’échelle planétaire et une misère croissante sur cette planète (NdT: y compris de nos jours dans les pays dits “industrialisés”…)

Le capitalisme ne fait que prendre, exploiter et jeter ses déchets. Il ne fait pas grand chose d’autre et n’a que peu de préoccupation pour la vie. Pourtant même les travailleurs et les consommateurs jouent leur rôle dans ceci, comme je l’ai dit, ceci n’est pas grand chose d’autre qu’un système relationnel dans la réalité. Quelques soient les “réformes” toujours offertes dans un tel scenario par les politiciens, tout ceci n’est fait que pour maintenir le capitalisme en ordre de marche. Il y a une chose que tous ceux qui en profitent sur le court terme ne veulent pas, c’est que cela cesse d’être une façon d’organiser complètement les humains et leurs relations.

Comment arrêtons-nous le capitalisme ? En agissant et autres façons inter-relationnelles. Une idée de Landauer est “la grève générale active”, ce qui veut dire cesser de travailler pour les propriétaires et travailler pour nous-mêmes (NdT : ce que les anarchistes appellent aussi “la grève générale expropriatrice”, Landauer fut assassiné en 1919, les conseils ouvriers italiens de Lombardie la mirent en application acec succès en 1920, la trahison des communistes autoritaires d’état y mit un terme…) Landauer introduit l’idée ainsi : 

Nous demandons la grève générale active ! Cela ne veut pas dire que nous tournons immédiatement pour “combattre l’État et la capital”. On ne commence pas à la fin, mais au début ! Si rien n’a été fait pour le socialisme jusqu’ici, s’il n’y a aucun signe de lui jusqu’ici, alors pourquoi allons-nous combattre et couru ? Pour la domination de quelques leaders, qui nous diront toujours ce qu’il faut faire, que produire et comme le distribuer ? Ne serait-il pas beaucoup mieux si nous savions tout cela et le faisions nous-mêmes ? C’est pourquoi nous disons que l’action de la classe travailleuse est… le travail ! Dans la grève générale active, les travailleurs vont affamer les capitalistes, parce qu’ils vont travailler pour eux-mêmes et pour leurs besoins ! Vous les capitalistes, aurez toujours de l’argent, des documents et des machines bien entendu. Mangez-les ! Echangez-les ! Vendez-les ! Faites ce que vous voulez. Si cela ne vous aide pas… alors, travaillez ! Comme nous. Vous ne vous accaparerez plus notre travail, nous en avons besoin pour nous-mêmes et nous l’avons libéré de vos entraves. Nous l’utilisons maintenant pour la création du socialisme. Le jour où ceci se produira marquera le seul véritable commencement du socialisme.

heroisme

Un second article de Landauer publié en regard du Bund socialiste, et dans la publication “Le socialiste” qu’il éditait, fut “La voie socialiste” où il expliqua ouvertement qu’un anarchisme qu’il comprenait était un anarchisme qui laissait le terrain capitaliste où il se tenait pour d’autres terrains. Il l’a dit de manière simple comme étant “nous désirons des formes différentes de relations humaines”. En conséquence :                                                                                           

La première étape dans la lutte des opprimés et des classes qui souffrent, tout autant que pour l’esprit individuel en rébellion, est toujours l’insurrection, la rage, un sentiment sauvage. Si ceci est suffisamment fort, les actions et réalisations y sont directement connectées, à la fois les actions de destruction et les actions de construction… Dans une telle période, nous ne devons plus réfléchir sur la réalité qui nous entoure et les idées qui emplissent nos têtes. Nous devons trouver les gens qui ont la volonté de quitter cette réalité laide, corrompue et oppressive et désirent en créer une nouvelle. Nous devons poser la question de savoir qui sont les créateurs. Nous ne devons pas questionner les théories et les idées des personnes, mais leur force à ne plus vouloir participer.

Ceci mène Landauer une fois de plus à se référer à “la communauté par la séparation” comme son idéal, il concède de nouveau que les véritables révolutionnaires qui sont prêts à risquer leur vie sans et contre le capitalisme et préférant en lieu et place poursuivre une vie d’amour, de fraternité et de liberté, sont de fait très précieux. De telles personnes [dont Landauer lui-même ne fit jamais partie puisqu’il n’a jamais mis ces idées en pratique à l’encontre de quelqu’un comme Emile Armand qui suivit ses idées associées à la camaraderie d’amour.], sont perçues comme “des modèles et de brillants exemples à suivre pour le monde entier” et comme ceux de par leur propre mouvement, fournissent cette impulsion qui propulsent les autres. En cela, Landauer voit une miette d’égoïsme mais pas une miette vraiment détrimentale :

Les individualistes anarchistes ont toujours eu recours à la fierté, le respect de soi et la souveraineté de l’individu. Leur conseil habituel aux opprimés a été : si vous aviez eu autant d’égoïsme que vos maîtres, vous n’auriez pas de maîtres. En tant que simple calcul, ceci n’est pas totalement faux : l’égoïsme garde l’égoïsme en contrôle. Les individualistes ont toujours dit que le véritable égoïste respectera toujours les droits des autres parce qu’il se respecte lui-même ; de plus il sera suffisamment intelligent de ne pas attaquer les autres parce qu’il ne veut pas qu’on l’attaque, etc… Il y a toujours eu, de son début avec Mr (maître) Stirner, une certains de froideur de raison dans ces enseignements.

Cela ne surprendra donc pas tant que ça le lecteur quand Landauer en vient à dire que “personne n’est plus qualifié de maintenir une économie communiste que le véritable individualiste. De fait, une véritable économie communiste ne peut qu’être mise en place et maintenue par de véritables individualistes.” La notion ici de Landauer est que de telles personnes créent un nouveau groupe, c’est à dire un nouveau groupe de personnes qui est défini par de nouvelles relations entre ses membres, Ainsi dit-il :

Nous demandons qu’ils agissent, qu’ils fassent sécession et qu’ils s’unissent. Aucune théorie va leur dire quel genre de relation et quels systèmes ´´économiques seront possibles. Ils apprendrons du moment historique, de leurs nombres, de leurs valeurs, de leur détermination. Si possible, ils créeront des coopératives et des banques du peuple ainsi que leurs propres marchés. Ils formeront une alliance économique parce qu’ils sont peu nombreux, mais aussi parce qu’ils voudront expérimenter avec l’entraide et le respect, sachant pertinemment que l’économie dans ses rapports est une affaire collective, tout comme la spiritualité est une affaire individuelle.

Ceci en vient à évoluer dans un autre article du journal “Le Socialiste” intitulé “La mise en place” vers la description de communautés autonomes rurales que Landauer envisage comme le contexte de développement pour des groupes d’anarchistes à l’esprit approprié, déterminés de vivre en dehors du capitalisme. Landauer fonde l’idée en partie sur son observation d’autres communautés auto-établies, qu’elles soient strictement communistes ou qu’elles aient survécu en produisant des produits à vendre sur le marché capitaliste. Ce que Landauer voit de différent dans son idée néanmoins est que “nous voulons nous préoccuper des autres et nous voulons qu’ils se préoccupent de nous. Parmi notre pays, notre peuple, nous voulons planter un jalon, un poteau indicateur et dire à quiconque peut nous entendre  Regardez, voici le signe, suivez-le !” Les communautés imaginées par Landauer ne sont donc pas juste des refuges pour ceux qui veulent se séparer du capitalisme mais sont des centres sociaux d’extension, des noyaux d’action communautaire et des poteaux indicateurs d’une nouvelle société et d’un nouveau futur où les gens sont en r elation les uns avec les autres d’une manière totalement différente, articulée sur des valeurs nouvelles et différentes. A ce sujet, Landauer a beaucoup à dire :

Nos gens forment un nouveau peuple, ce sont les gens et la culture que notre esprit imagine et crée. Ceci veut aussi dire que dans un certain sens, nous faisons sécession et innovons pour notre propre vie, nous le faisons essentiellement pour l’amour du mode de vie, pour la satisfaction d’un désir profondément enraciné, pour ce que nous avons fait du cœur même de nos êtres. Nous ne nous séparons pas pour notre confort, nous le faisons pour nous tous, pour la révolution en autre terme.

Ce mot “révolution”, aide vraiment à tracer une ligne entre nous et les solitaires, ceux qui ne visent pas à la totalité et qui ne comprennent pas que notre mouvement doit avoir un impact historique, qu’il doit créer un nouvel esprit et de nouvelles conditions ; autrement, il ne peut pas être notre mouvement. Mais quand on parle de révolution, nous devons aussi tracer une ligne entre nous-mêmes et ceux qui s’appellent “révolutionnaires” même s’ils sont dormants ou semi-éveillés et ne font rien d’autre qu’imaginer et parler.

Cela n’a pas d’importance pour nous si dix, cinquante, cent ou cent cinquante personnes constituent et fondent une communauté, ou combien de nouvelles communautés vont s’établir dans un laps de temps donné. Notre mouvement a des siècles d’expérience et s’avance vers les siècles à venir. Quelques années ici ou là importent peu. Nous sommes suffisamment fiers et confiants pour demander un âge nouveau ; un âge où les gens vont vivre dans un monde superbe et joyeux. Nous voulons directement lier la production de produits aux besoins réels des gens. Nous voulons créer la forme de base d’une nouvelle société véritable, libre, socialiste et sans état, en un autre terme : une communauté. En revanche, nous aimerions l’aide de quiconque désire le socialisme, même s’ils ne sont pas capables de se séparer des conditions actuelles de vie de la même manière que nous le faisons.

Ils peuvent trouver des façons de nous soutenir, même s’ils restent, du moins pour l’instant, dans leurs partis (politiques), leurs syndicats et leurs coopératives. Ils peuvent nous aider à créer l’exemple que nous voulons créer et montrer. Ceci sera un défi et demandera des sacrifices.

Alors que Landauer continue son explication, cela ressemble de plus en plus aux idées de Pierre Kropotkine émises dans “Champs, usines et ateliers” ou dans “La conquête du pain” (ce bien que Kropotkine ne croyait pas en de petites communautés auto-suffisantes, car il concevait plus que TOUT LE MONDE allait se soulever et changer la société…), Landauer parle du “village socialiste” avec ses “ateliers et ses usines locales, ses prés, pâtures, potagers, cheptels, vous les prolétaires des grandes villes, habituez-vous à cette idée aussi étrange et bizarre qu’elle puisse paraître, ceci est la seule façon restante de mettre en place le socialisme. Le socialisme est le retour au travail naturel ; c’est une connexion naturelle et à multi-faces de toutes activités ; c’est l’union du travail intellectuel et du travail manuel, de l’artisanat et de l’agriculture, de l’éducation et du travail, du jeu et du travail.” (NdT : Ceci fut mis en place à Barcelone et dans les collectifs aragonais entre 1936 et 1939, ce ne fut éradiqué que parce que toutes les formes étatiques, y compris la pourriture marxo-stalinienne, se sont liguées pour les écraser…)

Landauer en vient à cette conclusion parce qu’il est le plus convaincu que cet anarchisme ne peut venir que s’il y a des anarchistes qui vivent un mode de vie différent, qui se sont séparés du capitalisme et offre un exemple visible et vécu que l’on peut interagir avec et que cela modèle l’arrangement alternatif des relations entre individus. L’anarchisme pour Landauer est une activité vécue. Ainsi :

Il y a bien des gens aujourd’hui qui ne voient aucune alternative à la vie que nous vivons. Ceci doit changer ! Une fois ce changement en place, il ne sera plus nécessaire de rendre vos heures de loisirs les plus longues possible, de vous accrocher à chaque d’entre elles. Travail et loisir, plaisir vont devenir parties intégrantes d’un flot naturel des choses. Chaque jour la vie sera transformée. Vos personnalités vont croître, comme des rochers, des montagnes, hautes et puissantes ! Une nouvelle vie va fleurir. Vous aurez des heures pour vous-mêmes et vous partagerez les heures qui appartiennent à tout le monde avec la communauté. Cette communauté doit être créée, pour vous-mêmes et pour les autres. Ceci ne veut en rien dire que quiconque va vous priver de votre solitude et de vos moments privés, mais que la solitude va retrouver son rôle de plénitude, que la religion va cesser d’être ce qu’elle est devenue aujourd’hui : une commodité.

Comme l’a dit Landauer dans de précédents essais, ce qu’il voulait c’était des pionniers préparés à être les premiers à s’engager dans de nouveaux “styles de vie anarchistes”, ruptures définitives d’avec ceux du capitalisme et qui modèlerait de nouvelles relations humaines. Ils devraient “établir la base d’une nouvelle vie communale, un terreau duquel de nouveaux riches, beaux et nouveaux individus émergeraient.” Il était franc et direct à ce sujet car il concédait que de telles personnes “devraient commencer de rien.” Pourtant, ce fut aussi nécessaire car “personne n’a essayé de commencer jusqu’ici ; de faire du socialisme une réalité.” Il termine ensuite cet essai avec ces impératifs : “Saisissez ! Poussez “ Agissez ! Faites de la vie un plaisir à vivre !

L’article suivant de cette série faisant la promotion d’un nouveau mode de vie anarchiste est intitulé “Début socialiste”. Il s’intéresse aux moyens et aux fins et au Bund socialiste que Landauer essayait d’attiser en une flamme novatrice. Dans le premier sujet abordé, Landauer nous dit que :

Les moyens et les fins ne doivent pas être distinguées si on poursuit une vie réelle, c’est à dire la réalisation de pensées. C’est une vieille erreur d’imposer un idéal inventé, un imaginaire aveuglant. C’est une vieille erreur que de nommer un but pour ensuite demander avec résignation : ‘que pouvons-nous faire pour le réaliser ?’ Aucun but utile ne peut résider dans un futur lointain. Nos buts doivent être derrière nous et nous pousser de l’avant. Ils doivent nous conduire et nous motiver. Nous devons nous libérer de la notion d’apparence et schématique qu’il puisse jamais y avoir de socialisme complet et que tout ce qu’il y a à faire et de faire disparaître cette ligne fine entre les conditions sociales d’aujourd’hui et les conditions sociales que nous souhaitons . “L’Amérique est ici, ou nulle part !” Le socialisme n’est pas un but qui demande des moyens. Le socialisme est ACTION qui porte ses buts en lui-même !

Ce raisonnement va très bien avec les idées de Landauer pour des “villages socialistes”, car il dit que nous devons vivre maintenant le comment nous imaginons que tout le monde devrait vivre. (NdT : le “devenez ce que vous voulez que le monde soit”, de Gandhi…) C’est en ce sens, une question de performance anticipée, préfigurée [utilisant une pensée socialiste anarchiste] ou du plus égoïste !nous sommes libres en agissant librement”. Quant à la violence discutée auparavant, Landauer ne pense jamais que vous pouvez obtenir ce que vous voulez en agissant ou en se reliant de telles façons qui ne soient pas déjà des manifestations de cela dans l’ici et maintenant.

Ainsi, dans ce court essai, Landauer parle d’aller au delà d’appeler pour une sympathie et un soutien pour les buts et idéaux du Bund socialiste et de devenir de gait un Bund socialiste vivant, respirant et actif. Il dit : “Il suffit que ceux d’entre nous qui sont les plus motivés, déterminés et supporteurs se mettent au centre de ceux qui veulent quitter le vide, la confusion et la misère de la production de commodités aléatoire capitaliste afin de parvenir à la raison et à l’unité.” Le point important ici est que ceux qui sont le plus motivés ayant l’esprit nécessaire CRÉENT LES RÉALITÉS plutôt que de rechercher inutilement un soutien ou rechercher ceux qui ont de la sympathie pour une réalité faite de relations maternelles que personne en fait ne crée vraiment. Seul l’organisme vivant, respirant est réel, tout le reste n’est que discours plus ou moins creux. Créons-nous de véritables réseaux de vie communale et d’entraide d’attaque insurrectionnelle contre la coercition systématique et l’exploitation, ou ne faisons-nous qu’en parler en “essayant de battre les tambours du rassemblement et du soutien” ? Ce que Landauer veut dans son écrit est que ces idées prennent vie et cette vie ne peut être qu’incorporée dans ces idées lorsqu’elles se manifestent dans de véritables relations humains, réelles et vécues.

Cette vision est réfléchie plus avant dans ce très court article “Faibles hommes d’état, peuples encore plus faibles” de juin 1910, dans lequel Landauer, de manière mémorable et probablement pour son texte le plus cité, définit l’État comme “une relation sociale, une certaine façon dont les gens interagissent les uns avec les autres” et qui est détruit tout simplement en interagissant d’une autre façon. Cette pensée est en fait facile à comprendre et à voir comme modelée d’après les réflexions de La Boétie sur la servitude où il imaginait que la façon de vaincre la servitude qui était acceptée était simplement de dire NON ! Ainsi donc ici, Landauer exhorte les masses à comprendre qu’elles doivent “fuir l’État et le remplacer” et qu’elles doivent “construire une alternative”. Ceci est basé exactement sur penser comme La Boétie dans lequel il dit que “le système disparaîtra sans laisser de traces si les gens commencent à se constituer en peuple séparé de l’État.” Ceci est un raisonnement que j’accepte facilement bien ´´vivement et donc, nous devons accepter notre responsabilité :

Le monarque absolu a dit : L’État, c’est moi. Nous, qui nous sommes emprisonnés dans l’état absolu, devons réaliser la vérité : C’est nous qui sommes l’État ! Et nous serons l’État aussi longtemps que nous ne sommes rien de différent, aussi longtemps que nous n’ayons pas créé les institutions nécessaires pour une vraie communauté, une vraie société d’êtres humains.

Jusqu’ici, j’ai relayé tout ça sans faire de référence à l’œuvre majeure de Landauer sur l’anarchisme : son texte de 1911 “Appel au socialisme”. Mais pour dire vrai, ce texte n’ajoute pas grand chose à ces idées de base déjà élaborées auparavant par Landauer. Dans la préface de la seconde édition par exemple (NdT : 1919, celle que nous avons traduite il y a plusieurs années…), écrite juste quelques mois avant son assassinat par les Frei Korps (Corps Francs) fascistes, Landauer parle une fois de plus de “la transformation des institutions sociales, des relations de propriété, du type d’économie” et dit que “le socialisme doit être construit, érigé, organisé depuis un nouvel esprit.” Ce qu’il désire achever  sont “des résultats permanents”, ce qui semble vouloir dire un état permanent de relations humaines nouvellement créées, vécues et pratiquées.

Ainsi, “La seule rédemption est le travail, le véritable travail effectué, fait et organisé par un esprit altruiste et fraternel. De nouvelles formes de travail doivent être développées, libérées de ce tribut à payer au capital, créant dans cesse de nouvelles valeurs et de nouvelles réalités, moissonnant et transformant les produits de la nature pour satisfaire les besoins humains. L’âge de la productivité du travail commence, car nous avons atteint le bout de la ligne.” Landauer est ici clair que ces nouvelles relations qu’il souhaite voir se construire sont à la fois le début de quelque chose de nouveau mais aussi la destruction du capitalisme, car il souhaite rien de moins que les gens trouvent inconcevable de devoir louer leur force due travail en des termes capitalistes. Ainsi donc :

Parce que le socialisme doit débuter et parce que la réalisation de l’esprit et de le vertu n’est jamais quelque chose qui provient de la masse mais plutôt le résultat du sacrifice d’un petit nombre et la nouvelle entreprise de quelques pionniers, le socialisme doit se libérer de la ruine par la pauvreté et se réjouir dans le travail. Nous devons donc retourner à la vie rurale et à l’unification de l’industrie, de l’artisanat et de l’agriculture afin de nous sauver et d’apprendre, dans la pratique, les notions de justice et de communauté.

En conséquence, Landauer conclut :”Rien ne vit si ce n’est ce que nous faisons de nous-mêmes, de ce que nous faisons par nous-mêmes. La création vit, pas la créature, seulement le créateur. Rien ne vit et ne perdure si ce n’est l’action de mains honnêtes et la gouvernance d’un esprit pur et véritable.” Landauer conçoit cela comme l’association de personnes, d’hommes et de femmes, dans un “esprit communal” qui est union et liberté, une association d’êtres humains qui :

[association] qui sera un peuple, une culture, une joie de vivre. Qui sait aujourd’hui ce qu’est la joie ? L’amant qui contemple son aimée avec ce sentiment, clair ou indistinct, qu’elle/il est la quintessence de tout ce qu’est la vie et crée la vie ; l’artiste créateur dans une heure rare avec un ami ou quelqu’un comme lui, ou quand dans son esprit, son travail, il anticipe la beauté et la plénitude qui vivra un jour dans le peuple ; l’esprit prophétique, qui qui voit si vite des siècles en avance et qui est certain de l’éternité. Qui d’autre connaît la joie aujourd’hui ? Qui sait combien la joie est superbe, complète et captivante ?…”

Qui donc. Par dessous tout, Landauer parle d’un appel à l’amour et à la joie dans la construction d’une nouvelle société émergeant de nouvelles relations entre les hommes et qui remplit les objectifs de ceux qui s’y engagent depuis une contrainte arbitraire étouffante ou coercitive. A la fin de son “Appel au socialisme”, Landauer appelle donc à :

J’en appelle à tous ceux voulant faire tout ce qu’ils peuvent pour construire le socialisme. Seulement le présent est réel et ce que les gens ne font pas maintenant, ne commencent pas à faire immédiatement, ils ne le feront pas dans toute l’éternité. Le but est le peuple, la société, la communauté, la liberté, la beauté et la joie de vivre. Nous avons besoin de personnes pour lancer le cri de ralliement ; nous avons besoin de tous ceux emplis de ce désir créateur ; nous avons besoin de gens d’action. Cet appel au socialisme s’adresse aux gens d7action qui veulent faire acte de commencement.

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Je termine ici cette discussion sur l’anarchisme relationnel de Landauer en citant les 12 articles (dans leur seconde version de 1912) qu’il écrivait pour son Bund socialiste et qui fonctionnait comme son programme et qui donnait un résumé des plus compacts de l’anarchisme de Landauer. Ensuite, je présenterai quelques réflexions concises de ce que j’ai partagé des idées de Landauer.

1. Le socialisme est la création d’une nouvelle société.

2. La société socialiste est un Bund de communautés économiquement indépendantes qui échange leurs produits équitablement. Les individus de ces communautés sont libres dans leurs affaires personnelles et unifiés de manière volontaire pour tout ce qui concerne le bien commun.

3. Le Bund socialiste est destiné à remplacer l’État et le capitalisme. Il ne peut devenir une réalité que lorsque des socialistes actifs organisent leurs vies quotidiennes de manière commune et sortent de l’économie capitaliste aussi loin que les circonstances le permettent.

4. Les établissements socialistes seront préparés par la consommation commune et en remplaçant l’économie monétaire par un crédit mutuel. Ceci permettra aux travailleurs de communautés indépendantes de produire et d’échanger les produits d leur travail sans la médiation de parasites profiteurs et spéculateurs.

5. Dans le Bund socialiste, le capital d’aujourd’hui sera remplacé par deux facteurs sociaux : A) des institutions fondées sur un esprit de connexion garantissant la satisfaction des besoins des travailleurs (à la fois en regard de la production et de la consommation). Ces institutions et l’esprit mutuel remplaceront l’usure et le vide de l’´´économie monétaire. B) la terre : la terre est un requis nécessaire pour toute économie, capitalist ou socialiste ; celle-ci appartient à la nature de la même manière que les institutions appartiennent à l’esprit de la société.

6. Les requis pour une création réelle et globale du socialisme parmi les gens sont l’expropriation et la redistribution de la terre parmi des communautés indépendantes ; ceci doit se faire sur des principes de justice et des besoins réels des gens et dans la compréhension qu’il ne puisse pas y avoir de propriété permanente de la terre.

7. Pour rendre la transformation des droits à la terre possible, les travailleurs doivent mettre en place le plus de socialisme que leur nombre et leur énergie le permettent. Ils doivent fournir des exemples d’une réalité socialiste. Ceci doit se produire sur la base d’un esprit commun (notre capital à nous, socialistes).

8. Aussi longtemps que des exemples de socialisme ne peuvent pas être constatés et vécus, l’espoir pour une transformation des relations sociales et des droits de propriété demeure futile.

9. Le socialisme n’a absolument rien à voir avec une politique d’état, la démagogie ou la classe travailleuse luttant pour conquérir le pouvoir. Il n’est pas non plus réduit à la transformation des conditions matérielles. Il est avant tout un mouvement de l’esprit.

10. L’anarchie est juste un autre nom pour le socialisme. Le véritable socialisme est l’opposé à la fois de l’État et de l’économie capitaliste. Le socialisme ne peut émerger que de l’esprit de liberté et de l’union, association volontaire ; il ne peut surgir qu’au sein des individus et leurs communautés.

11. Plus le socialisme s’étend et plus il exprime la véritable nature des êtres humains, et plus vite les hommes se détournent de ces institutions dénuées d’esprit qui ont amené à l’oppression, à la stupidité et à la paupérisation. Un contrat social englobant tout va remplacer la violence de l’autorité et le Bund des communautés libres et des associations, ce que nous appelons la société, remplacera l’État..

12. La création du Bund socialiste demande le départ des prolétaires des villes industrielles et leur rétablissement en zones rurales, où l’agriculture, l’industrie et l’artisanat se réuniront et la distinction entre le travail Manuel et le travail intellectuel sera abandonnée. Le travail sera joyeux et tout le monde aura un sens profond d’appartenance ; ceci nous permettra en tant qu’individus de former à la fois des communautés et un peuple.

L’anarchisme de Landauer me semble être une sorte de “kropotkisme pour égoïste” ou mieux, un “anarchisme social pour nietzschéens”. Ses idées combinent l’individu et le social comme dualité nécessaire, chacun nourrissent l’autre dans une relation complète (NdT : ce que nous appelons le “complémantarisme”, qui fait que rien ne s’oppose, tout se compose..) et ses idées organisationnelles sont essentiellement une théorie de l’association qui est appropriée au problème posé.

Landauer recherche à initier un mouvement pionnier pour de nouvelles relations sociales et il semble être à la fois une conclusion et une assertion pour lui, que cela ne sera nécessairement pas un mouvement de masse ou une idée meta-narrative pour un très petit nombre ; en cela je compare l’application de la pensée de Landauer des premiers suiveurs de Jésus dans les évangiles, attendus d’errer en prêchant le royaume de dieu mais sans argent, sans possession etc… Jésus a aussi initialement mis en place de nouvelles relations, tout comme Landauer le suggère ici…

Que Landauer soit un pacifiste et fortement orienté vers la non-violence est important car Landauer n’est pas un penseur qui ne focalise que sur la question de l’immédiat. Il demande ce que la trajectoire doit être et où nous voulons aller. Pour lui, l’équation devient simple : vous ne pouvez pas faire votre chemin vers l’anarchie à coup de bombes et de pistolets (en cela, le propagandiste par le fait, Alexandre Berkman, compagnon d’Emma Goldman, le reconnaîtra dans la dernière partie de sa vie lorsqu’il écrira son tract sur l’anarcho-communisme) et en fait, le lancer de bombe et le flinguage ne sont à terme que l’expression d’une frustration exprimée au travers de la destruction. Ceci n’est en rien un mede systémique de parvenir à ce que vous désirez en termes relationnels.

Je suis d’accord avec Landauer sur cela et ai toujours été hésitante à me précipiter sur le flingue ; mais je ne suis pas d’accord avec Landauer quand il dit qu’il n’y a jamais de justification de la violence. Est-ce que les gens qui sont attaqués doivent se laisser faire et aller au sacrifice ? Ceci ressemble à un suicide. Ainsi, je vois toute la motivation possible pour une violence de défense, d’auto-protection. Ce qui constitue la défense et ce qui est au-delà et débouche sur autre chose.

NdT : ici Anarqxista fait la confusion entre “violence “ (construction sociale) et “agressivité” (partie de l’instinct de préservation naturel). Landauer parle de “violence” dans sa construction sociale pour l’essentiel, c’est à dire l’expression d’un pouvoir absolu de vie ou de mort sur autrui… La violence est acquise socialement et est nocive, l’agressivité fait partie de notre nature et est un mécanisme de défense, c’est à dire que la nature fournit un mécanisme intégré de préservation, d’auto-defense pour la survie. La réaction agressive faisant suite à une attaque est un phénomène naturel et n’est pas “violence”. Sait-on quel était la position de Landauer sur ce point ?…

La violence appelle la violence et est sur le chemin de toujours plus d’abus d’autorité.

[…]

La pacifisme de Landauer doit, bien entendu, être mis dans le contexte de ses vues ainsi que de la culture et la politique de son époque, lorsque des gens utilisaient des pistolets et lançaient des bombes artisanales. Ceci fait réfléchir Landauer, comme il se doit, sur qui correspond le mieux à l’anarchisme. L’anarchie est-elle pour tout le monde (imaginée comme un ethos, un mode de vie) ? Les anarchistes doivent-ils entreprendre la tache “d’évangéliser” le monde entier à l’anarchie ? Voulons-nous une révolution mondiale et ceci est-il une ambition réaliste ou simplement un fantasme ? Est-ce que la tache de l’anarchisme est d’avancer jusqu’à ce que tout le monde soit devenu anarchiste ? Landauer ne semble pas le penser et est venu à la conclusion que, en tant qu’ethos, en tant qu’idée, séries de pratiques et de croyances, l’anarchisme ne sera que pour un groupe de personne, si ce n’est pour e “petit nombre”. Pour lui, c’est une question “d’esprit”, de conscience, d’ethos, qui , par définition, échappera à un certain nombre de personnes qui jamais n’y viendront.

Ainsi, Landauer semble vouloir trouver et motiver ces personnes pour qui cela est une réalité ou une possibilité future plus qu’autre chose. Pour Landauer, l’anarchisme n’est pas une “imposition bénévole” sur le monde et ne pourra jamais l’être [ceci étant une idée autoritaire et dictatoriale]. Il s’agit de la façon dont les gens interagissent entre eux, comment ils vivent et s’associent librement, quelque chose [devons-nous conclure] qe tout le monde ne pourra pas faire. C’est une “colonisation interne” et les gens “s’unifiant en de nouvelles formes de culture”, mais, quoi doit le dicter la logique, cela veut dire que cela est différent de ce que les autres font, peut-être même de ce qu’ils voudront faire. Après tout, les anarchistes peuvent-ils forcer leur mode de vie et leurs relations aux autres ? Ceci est une question très sérieuse.

Landauer distingue donc les gens par leur “esprit” [il préfère ce terme], qui est leur conscience, leur ethos (et aussi leur éthique), leur vertu. Son idée est que ces personnes, depuis leurs propres communautés (peu importe la taille, juste une question de choix d’association) font ces connexions matérielles d’esprit et d’ethos qu’ils partagent. Ces communautés deviennent ensuite des phares brisant dans le noir et sont faites pour attirer d’autres vers la lumière par leur énergie active et connexions sociales fondées sur la vie anarchiste. Il fonde cela, sur l’idée que les gens démontrent quelque chose d’analogue aux connexions familiales simplement en existant en commun, comme des exemples de la même espèce. C’est aussi fondé sur l’amour des autres, quelque chose qui peut être développé ou découragé par et dans les vies actuelles vécues. Ceci doit être communautés de vies nouvelles et de plaisir mutuel qui attire de manière naturelle l’intérêt des autres, parce qu’ils ne sont pas isolationnistes par conception, mais font toujours partie d’un monde plus vaste. (NdT : ce que nous appelons la “complémentarité dans notre diversité”…)

Pourtant, nous devons nous rappeler que pour Landauer, tout cela se trouve dans une fondation intellectuelle quasiment en territoire égoïste. Landauer conçoit certains types de personnes s’auto-organisant et qui sont capables de faire de telles choses. Son utilisation du texte de La Boétie par exemple, tend vers cette direction également. L’anarchisme pour Landauer, est une question de relations auxquelles nous consentons ou pas pour nous-mêmes. L’anarchisme, pour lui, comme le royaume de Dieu pour Jésus dans l’évangile de Luc : 17, est “en nous” [comme ce le fut également pour Tolstoï et son amalgame du christianisme et de l’anarchisme], comme un esprit, une vertu, une ´´éthique, une conscience”. Il semble presque, dans l’anarchisme spirituel de Landauer, que nos vies sont une question de la compréhension et de l’utilisation des conditions de notre existence lorsqu’il parle des êtres humains comme “frères est sœurs”, une relation constituée par et pour elle-même du fait de notre seule existence commune. Landauer veut que personne n’ignore ce fait et se concentre, imagine, ce que cela veut dire et implique.

C’est en fait à cause de tout cela que l’anarchisme de Landauer ne devient pas une activité qui attend une utopie future ou que le paradis vienne sur terre, mais une activité du MAINTENANT, un changement de relations MAINTENANT, l’imagination et la creation d’un nouveau MAINTENANT ! Sa conception que ce maintenant doit être totalement construit en dehors du capitalisme est, bien entendu, totalement juste. L’anarchisme doit être construit en dehors du capitalisme ou il n’est qu’une addition identitaire à celui-ci mis en place par des couards, pour des pouvoirs médiatiques et sociaux et ceux qui veulent passer pour “branchés” et “cool”. En d’autres termes, l’anarchisme doit être réel ou ce n’est juste qu’un mot. Il doit incorporer, personnifier l’anarchisme dans de véritables relations dans la vraie vie. Des idées comme celle de Landauer de “la grève générale active”, si mises en place, commenceraient à changer notre réalité. Il est donc tout a fait correct de dire, comme le fait Landauer  que ce qui compte vraiment par dessus tout est notre désir profond de changer, de vivre différemment  et de s’engager dans des relations autres avec les gens que celles dont nous sommes habitués. L’anarchisme est la CREATION DE NOUVELLES RELATIONS, CREER DE NOUVELLES REALITES MATERIELLES et il est AUTO-ORGANISE, AUTO-CREE ! C’est une action d’AUTO-EMANCIPATION. Pas étonnant donc, que Landauer semble penser que les égoïstes feraient en fait les meilleurs anarcho-communistes…

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Mais il y a une affaire dans tout cela, une qui se produisit avec son collègue allemand de la Bund socialiste Erich Mühsam. Comme déjà mentionné, Landauer était socialement assez conservateur. Il croyait en la famille et le pensait comme quelque chose sur laquelle ses idées devaient êtres construites. Ainsi, sur le sujet de “l’amour libre” et “la question de la femme”, qui circulaient à la fin du XIXème siècle et au début du XXème et qui vit des femmes anarchistes comme Emma Goldman et Voltairine de Cleyre s’y trouver très impliquées, il était du côté de ceux qui les trouvaient goujates si pas corruptrices des conditions sociales. Landauer semble avoir trouvé l’emphase sur la question du sexe dans l’émancipation humaine comme une corruption de la morale, du moins la sienne, et de la fabrique sociale nécessaire. Ainsi, Landauer écrivait des articles dans le journal “Le socialisme” qu’il éditait, critiquant l’amour libre comme étant facteur de destruction sociale, articles qui félicitaient par contre, la solidité donnée à la société par l’unité familiale, ce de la façon traditionnellement comprise.

Mais pas tout le monde, y compris parmi ses collègues et amis, était d’accord avec lui. Une personne qui était en désaccord avec lui était Erich Mühsam, auteur et dramaturge anarchiste, qui sera arrêté en 1919 alors que Landauer sera assassiné et qui fut interné 5 ans dans une prison bavaroise avant d’être relâché au cours d’une amnistie qui libèrera aussi un certain Adolf Hitler, incarcéré après son putsch de la brasserie de Munich en 1923. Mühsam passera les 10 ans suivantes de sa vie à être un agitateur politique pour un socialisme anarchiste très similaire de celui de Landauer, avant de succomber à la montée des nazis, qui l’arrêteront, le tortureront et le tueront dans un camp de concentration au nord de Berlin en 1934. Mühsam. Tout comme Landauer, était juif.

Le socialisme anarchiste de Mühsam avant cette époque, et spécifiquement vers la période du Bund socialiste promut par Landauer, semble avoir été très similaire à celui de ce dernier. Une des grandes différences entre les deux anarchismes reposait sur deux sujets : celui de la sexualité et la place des femmes dans la société.

Dans un curt article en réponse à un article de Landauer dans “Le socialiste”, Mühsam déclare :

Le socialisme ne peut avoir pour tache d’approcher la sexualité sur la base de la morale puritaine. Les sujets d’ordre sexuels sont par nature d’ordre intime, dépendant de la personnalité et des sentiments de chaque individu, qui ne peut jamais être décrit comme étant dépravé ou laid, ni non plus comme malade ou décadent. La relation et rapport sexuel est connectée aux sensations de plaisir. L’ambition de réduire l’activité sexuelle humaine au but de la reproduction ne peut jamais être justifiée. Ceux qui prennent un tel argument sérieusement doivent impérativement demander que toutes les femmes stériles deviennent sexuellement abstinente. De plus, nous ne devons jamais oublié, quand on aborde ce sujet difficile et délicat, que le partage de plaisirs sexuels entre êtres humains est l’expression la plus intime et forte d’amour entre des personnes. Et l’amour existe et s’exprime même lorsqu’une faible constitution (physique) ou d’autres raisons importantes ne recommandent pas la procréation.

Sur la monogamie, Mühsam argumente : “Il est complètement arbitraire que des personnes amoureuses l’une de l’autre doivent demeurer “fidèles” l’une à l’autre. Il n’y a pratiquement jamais eu de temps où le mariage fut une institution véritablement volontaire.” Mühsam suggérant ici que l’institution même du mariage pourrait bien être en contradiction avec une philosophie d’émancipation. Mühsam continue :

Il est certain que l’amour est libre. Il est aussi vrai que la liberté dans le domaine de l’amour doit toujours être gagnée, spécifiquement dans le cas des femmes. Ce qui rend “l’amour libre” un droit particulier des femmes, un droit qui semble plus important que tous les droits politiques qui n’aidât en rien. Obtenir l’indépendance dans des sujets les plus intimes, le contrôle sur son corps, non réprimé par les codes moraux sociétaux. Libération du contrôle public de la virginité. Observer un respect sans partage de l’humanité des femmes. Ce sont des droits pour les femmes pour lesquels nous socialistes devons nous battre ! Que cette augmentation de liberté des femmes ait un impact quelconque sur leurs vies sexuelles n’est en rien notre affaire.

[…] Je pense que ceci fut une erreur de la part de Landauer et qui constitue un chaînon manquant chez lui, chose qui est corrigé dans la relation sociale d’Emile Armand par exemple et sa notion de “camaraderie amoureuse”. Je suis aussi d’accord avec Mühsam lorsqu’il dit :

Que les femmes donnent naissance à autant d’enfants que leurs cœurs le désirent ! qu’elles vivent afin d’honorer le peuple avec de forts, sains, et intelligents enfants, heureux de vivre ! Et qu’elles choisissent comme père ou comme pères de leurs enfants, qui elles désirent !… Lorsque ceci sera le cas alors on pourra vraiment parler de liberté des femmes et des droits des femmes !

En d’autres termes, je rejette le conservatisme de Landauer entièrement et rejette l’idée traditionnelle de la famille sur laquelle il insiste et reste bloqué. La construction d’une société nouvelle ne peut pas être fondée sur de vieilles constructions sociales mais doit être réimaginé tout comme ce qu’est la relation sociale et la communauté. La liberté et l’émancipation du vieux monde doivent se produire de bas en haut, sur tout et pour tout. Ceci en fait, est le seul espoir de ne pas retomber facilement dans les travers du passé et de voir renaître les vieilles hiérarchies et les vieilles coercitions. Comme le dira Mühsam lui-même dans un article subséquent “Anarchie” dans sa propre publication “Caïn” :

L’anarchie est la liberté de toute coercition, violence, servitude, loi, centralisation et de l’État. Une société anarchiste repose sur le volontariat, la communication, le contrat, l’accord, l’alliance et le peuple… La vie politique des peuples civilisés est toujours limitée à la conception de toujours plus de rênes, de selles, de harnais, de mors et de cravaches/fouets. L’humain travailleur ne se distinguant du cheval de labeur qu’en aidant son maître à développer de meilleurs outils pour mieux l’entraver et en s’y ajustant volontairement… C’est pourquoi, le moyen de changer les conditions que vous savez être néfastes est l’action.

Cette action néanmoins, ne peut pas laisser des zones de relations humaines sans changement. Les relations humaines doivent devenir entières, complètes. Ceci inclut le problème de la famille, de la sexualité, des relations sexuelles. En fait, je suggérerais que nous prenions la solidarité fraternelle de Landauer, parce que nous existons ensembles comme des exemples de la même espèce (ce que répète Mühsam dans son texte “Anarchie”, comme référence, mais que, à l’encontre de Landauer, allions en ce sens jusqu’au bout du bout du banc, comme le dit Mühsam sans son “Anarchie” :

L’anarchie est la société des humains frères. Son alliance économique est appelée socialisme. Les humains frères existent. L’anarchie vient dès qu’ils se rassemblent. Ils n’ont pas besoin de domination ni de hiérarchie, mais ils ont toujours besoin de créer le socialisme. Ceci demande un effort, du travail. Ceux qui refusent d’aider, de créer et de s’engager dans un travail socialiste en communion fraternelle, ceux qui veulent attendre que les choses changent sans qu’eux-mêmes ne lèvent le petit doigt, peuvent continuer de réparer, de laver la vaisselle, ils peuvent continuer de se plaindre et de voter, mais ils ne peuvent pas se dénommer socialistes et en particulier, ils ne pouvant en aucun cas parler de l’anarchie ! L’anarchies est une question de cœur et ces gens ne connaissent rien à cela !

[…]

Pourtant, une question demeure et pas seulement pour Landauer : étant donné la construction d’un anarchisme relationnel de ceux qui mettent en place leurs propres communautés de relations, pourquoi cela n’a t’il pas marché ? La réponse est en fait comme Landauer l’avait diagnostiqué quand il écrivit là dessus (tout en ne mettant pas en pratique ses propres idées lui-même) : personne en fait ne le fait. Personne ne vit cette vie. Virtuellement personne n’est un anarchiste réel, vivant ce mode de vie (ou faisant partie d’une communauté anarchiste de relations sociales ou culture anarchiste). Tout le monde (il y aura bien sûr des exceptions) vit dans une sorte de relation volontaire et délibérée au capitalisme, peut-être même en disant aux autres de ne pas le faire…Donc, Landauer avait parfaitement raison ici : peu sont ceux qui marchent sur ce chemin. Ce fut son défi, c’est mon défi et celui de quiconque va lire cette phrase. Ne faites pas que le lire. Ne faites pas que le penser, le théoriser. FAITES-LE ! Incorporez-le ! Faites en une réalité, un fait réel et actuel !

Mais, puisque c’est un corollaire évident de ces impératifs, qu’en est-il du/des moyens ? Comment ? Landauer a offert quelques façons de procéder dans “la grève générale active” et “la communauté rurale autonome”. […] Je pense avant toute chose que l’anarchie est une AUTO-EMANCIPATION. Elle est de votre propre responsabilité, de votre propre autonomie et agencement. Ultimement, ceux qui veulent trouver une façon la trouveront. En conséquence, je ne fournit aucun schéma, encore moins de plan à suivre. Pour moi, l’anarchisme est la philosophie du “trouve ça par toi-même”.

Ceci n’est pas dit de manière j’en foutiste, mais afin d’insister sur le fait que l’anarchisme active votre action propre dans votre propre intérêt. Cela ne vous nie pas l’opportunité de rassembler vos talents et de joindre vos esprits avec ceux des autres. Comme l’a argumenté Landauer, l’anarchisme est par lui-même un phénomène social nécessaire. Mais cela veut aussi dire que cela ne veut pas dire de faire ce qu’on vous dit de faire car ceci n’encourage pas les valeurs que les anarchistes en sont venus à valoriser. Le seul véritable critère ici est que vous vous engagiez dans la création de nouvelles relations et de nouvelles cultures dans votre propre intérêt, des relations qui détruisent notre passé collectif coercitif socialement, politiquement, économiquement et moralement, à la poursuite d’émancipations présentes est futures toujours en évolution. Voilà ce que nous devons faire et je suis convaincue que pour ceux qui ont l’esprit de le faire, tout ce qu’ils ont à faire est de mettre tout ça en pratique effective dans leurs vies.

Gustav Landauer sur Résistance 71

Gustav Landauer en PDF :

Vie et œuvre de Gustav Landauer

Appel au socialisme (traduction partielle de R71)

Cobra_soleil
Et dans une aube nouvelle,
Le peuple se dressa…

Sortir du marasme mortifère étatico-marchand par la société des sociétés : la voie du changement relationnel de Gustav Landauer 1/2 (Anarqxista Goldman)

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GL1

“Une vie alors est comme un délai au cours duquel l’homme peut, et a le devoir, de mettre son esprit en accord avec la compréhension qu’il a du but de l’existence humaine.”
~ Andreï Tarkovski ~

“En ce monde, le bonheur n’existe pas, mais il existe la paix de l’âme et la libre volonté.”
~ Alexandre Pouchkine ~

“Nous sommes crucifiés dans une seule dimension, alors que le monde est multidimensionnel. Nous le sentons et nous souffrons de l’impossibilité de connaître la vérité. Mais il n’est pas nécessaire de connaître. Il faut aimer et croire. La foi est la connaissance acquise à l’aide de l’amour.”
~ Andreï Tarkovski ~

Gustav Landauer sur les relations anarchistes

Anarqxista Goldman

Chapitre 6 de son livre “Mini-manual of anarchists relations”, 2022

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71

Décembre 2022

1ère partie
2ème partie

“L’État est une relation sociale ; une certaine façon qu’ont les gens à se relier les uns aux autres. Il peut être détruit en créant de nouvelles relations sociales, par exemple en faisant que les gens aient des relations différentes entre eux.” — Gustav Landauer —

Gustav Landauer était un anarchiste allemand, juif, né en 1870. Personne de très bonne éducation, il devint un des leaders théoriciens allemands de l’anarchisme vers la fin du XIXème siècle, mais il avait une vision particulière de l’anarchisme auquel il préférait se référer (ce qui est confus pour le lecteur d’aujourd’hui) au socialisme. Sans doute parce que Landauer était un pacifiste et que l’anarchisme était associé souvent dans l’esprit des gens à force de propagande capitaliste, comme étant violent, ce qu’il condamnait et contre quoi il écrivait (il fut aussi contre la 1ère guerre mondiale de par ses vues pacifistes), alors que ses idées étaient profondément anarchistes, comme nous allons le voir.

L’anarchisme de Landauer a de nombreuses sources et trahit ses attachements aux idées philosophiques et intellectuelles de Nietzsche et de Stirner mais aussi aux idées sociales et communistes anarchistes de la réunion communale telle que prônée par Kropotkine. Il a mis en avant plusieurs théories novatrices auxquelles je reviendrai ci-dessous, et créa un ethos anarchiste très distinct fondé sur l’idée, comme l’indique la citation en début de ce chapitre, disant que la “société” ou “l’État” ne sont vraiment rien d’autre que des relations sociales créées et maintenues. En tant que diffuseur de ses idées, Landauer fut condamné à plusieurs reprises et mis en prison. Il écrivit à la fois pour éduquer et pour cajoler ses lecteurs, mais il écrivit aussi très sérieusement sur l’histoire, la critique et la construction théorique. Landauer était un conservateur social qui croyait en la famille et avait un certain dégoût pour la sexualité libre ou l’emphase mise sur la sexualité, il pensait que cela mettait en place une “pornocratie”.

Il fut assassiné pour ses croyances socialistes libertaires en mai 1919 dans une cour de prison bavaroise par des membres des Corps Francs (fascistes), qui furent envoyés en Bavière pour réprimer la révolution qui s’y tenait après l’abdication du roi de Bavière après la fin de la 1ère guerre mondiale. Rudolf Rocker a décrit Landauer comme “un des plus grands esprits et meilleur homme que l’Allemagne ait connus” et “sans aucun doute le plus grand penseur parmi les socialistes libertaires allemands.

Regardons donc les idées de Landauer plus en détail pour tenter de comprendre son anarchisme des relations. Dans les citations faites, je conserverai le plus de références au “socialisme” intactes aussi loin qu’il soit bien compris que lorsque Landauer parle de “socialisme”, il veut dire une conception socialement bien comprise de l’anarchisme… De la collection aujourd’hui classique des ´´écrits de Landauer dans le texte “Révolution et autres écrits : une lecture politique”, traduite, compilée et éditée par Gabriel Kuhn qui donne une présentation chronologique et annotée des idées de Landauer avec une très bonne introduction. Je me concentrerai ici sur plusieurs morceaux de ce livre visant à présenter des idées clefs de Landauer et de sa théorie philosophique anarchiste, qui ajoute de la substance à mes propres idées sur les relations anarchistes telles que je les ai présentées.

Mais ce faisant, ceci ne veut pas suggérer que Landauer aurait soutenu mes idées (mon insistance sur la sexualité par exemple aurait sans aucun doute été un sujet de désaccord entre nous), ce dont parlait Landauer était un anarchisme des relations qui nous parle grandement aujourd’hui.

Le premier morceau choisi de Landauer que je désire analyser date de 1895 et est intitulé “Anarchisme-Socialisme” et fut originellement publié dans le “Journal Anarchisme et Socialisme” de langue allemande. Ici, établissons-nous le point de départ de la première période de sa carrière de théoricien anarchiste. Il est clair depuis le début que la vision de Landauer est une vision hybride qui rassemble des branches diverses de pensée en une idée ainsi résumée :

L’anarchisme est le but que nous poursuivons : l’absence de domination et d’état ; la liberté de l’individu. Le socialisme est le moyen par lequel nous voulons atteindre et sécuriser cette liberté : solidarité, partage et travail coopératif.”

Subséquemment, ajoute t’il, au moment ou le parti politique allemand du SPD (social-démocrate), montait comme la voix orthodoxe du socialisme démocratique allemand :

Quiconque n’est pas aveuglé par les dogmes des partis politiques reconnaîtra que l’anarchisme et le socialisme ne sont pas opposés mais co-dépendant. Le véritable travail coopératif et la véritable communauté ne peuvent exister que là où l’individu est libre et les individus libres ne peuvent exister que là où nos besoins sont satisfaits en solidarité fraternelle.

Ici Landauer argumente que l’anarchisme et le socialisme ne sont en rien opposés mais complémentaire dans une situation ou le socialisme est pris pour la collectivisation forcée et le premier est imaginé comme un individualisme qui “veut dire atomisation et égoïsme”. Ainsi le quidam moyen est toujours amené à penser que ce sont des opposés incompatibles. Landauer ne le pense pas. Se décrivant au passage comme un anarchiste socialiste, Landauer, donnant une analogie de protection d’un endroit de la pluie, décrit sa vision de cette façon :

Lorsque c’est utile nous partageons un toit commun aussi loin qu’il puisse être retiré lorsque non nécessaire. Dans le même temps, tous les individus peuvent avoir leurs parapluies et pour ceux qui veulent être mouillés, et bien nous ne les forcerons en rien à rester secs…ce dont nous avons besoin est de ceci : des associations de l’humanité dans les affaires concernant l’humanité ; les associations de personnes particulières dans des affaires qui concernent les intérêts de gens particuliers, de groupes sociaux particuliers dans des affaires qui concernent des groupes ; associations de deux personnes dans des affaires concernant deux personnes, individualisation des affaires ne concernant qu’une personne.

Puis il ajoute que “nous, les anarchistes, voulons un ordre libre d’associations multiples, imbriquées les unes dans les autres et colorées… il n’y a aucun besoin d’avoir un parlement mondial ou quelque autre institution mondiale que ce soit…” A ce niveau, Landauer pense que les choses doivent être gérées par ceux qu’elles concernent, les problèmes globaux par la communauté mondiale, les affaires locales par les associations locales etc et qu’en aucun cas des institutions et régimes fixes ne jouent un rôle dans la gestion des affaires ; ceci représente un concept tout à fait anarchiste. Par essence, il pense que “cet ordre de gestion doit être fondé sur le principe que tous les individus sont plus proches de leurs intérêts” et que les gens doivent rester focalisés sur ces intérêts et sont ceux les mieux outillés pour les gérer sans interférence aucune de sources extérieures arbitraires. Landauer parle aussi ici d’un peuple “bien éduqué” où les “talents” des personnes sont “bien développés” comme bases d’une saine société. Il dit que “le principe d’entraide y sera central” et que “il sera impossible pour des individus d’accumuler des richesses menant à l’exploitation, car tout le monde dans une société anarchiste comprendra que l’usage commun de la terre et des moyens de production va dans le sens de leur intérêt particulier.

Il veut une société où “aucun groupe ne gagnera quoi que ce soit en devenant exclusif” car ils abandonneraient la bonne volonté de leurs compagnons et voisins ce faisant. Il ne veut pas d’un système social fondé sur la nécessité du travail car il pense que cela créera un nouveau système moral de ceux qui méritent leur existence et ceux qui ne la méritent pas (ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas travailler). Ainsi, il place “la contrainte de l’intérêt particulier” au dessus de la “contrainte morale”. Fondamentalement, Landauer est convaincu que “l’anarchie n’est pas un système dénué de vie fait de pensées toutes faites. L’anarchie est la vie, la vie qui nous attend après que nous nous soyons libérés du carcan qui nous restreint.

En 1897, on demanda à Landauer d’écrire quelque chose sur l’anarchisme pour un journal libéral berlinois qui faisait une série d’articles intitulée : “Les partis politiques de leurs propres mots”. Intitulé “Quelques mots sur l’anarchisme”, Landauer commença par réfuter sa tache car l’anarchisme n’est pas et ne peut pas être conçu comme un “parti politique”. Mais il utilisa cette opportunité pour parler à une vaste audience comme une occasion de réfuter la violence imputée à l’anarchisme et son association populaire avec des assassins et des lanceurs de bombe. Il écrit : 

On ne peut pas nier que des anarchistes ont été impliqués dans un certain nombre d’assassinats ces dernières décennies, mais par principe, l’anarchisme et la violence n’ont rien en commun. L’idée anarchiste est pacifique, opposée à l’agression et à la violence. Ceci ne veut pas dire que les anarchistes sont des moutons. Cela veut dire que nous voulons vivre pleinement et brillamment, entièrement comme personnalités matures…

Mais, retour aux assassins : ils ne sont pas motivés par les idéaux anarchistes et ne poursuivent pas une intention anarchiste : en fait, l’intention n’a rien à voir avec leurs actions. Ce sont des personnes froides, fermées, haineuses. Les vagues de leurs désirs se brisent sur les digues d’une côte déprimée : le présent. Ni leurs attentes de bonheur et de liberté ni leurs besoins les plus élémentaires ne peuvent être satisfaits. Toutes leurs émotions sont concentrées et comprimées. Ils contemplent la bonne vie de l’anarchie et la réalisation de leur être intérieur alors qu’ils ne peuvent pas se nourrir ni eux ni leurs enfants. Graduellement, bien des éléments de leur personnalité meurent : réflexion, considération, empathie, même leur sens de survie. Leur vie commence à être consumée par un seul et unique sentiment : la rage de la vengeance.

Finalement arrive le moment où tout ce qui est caché surgit à la surface, quand tout ce qui a été gelé commence à bouillir et mijoter, quand tout ce qui a été durci, fond et quand tout ce qui a été supprimé explose. Alors, le monde réagit avec force et met en place des lois d’urgence pour se protéger contre la bonne vie de l’anarchie et ses adhérents secrets. Le même monde qui ne considère jamais de prendre des mesures contre lui-même, qui ne considère jamais d’opprimer l’oppression. Bien sûr qu’il ne le fera pas. S’il le faisait, ce ne serait plus le monde : tout le monde (en français dans le texte), pas seulement les lundis mais tous les jours de la semaine…

Il est facile de condamner les assassins. Mais j’essaie de les comprendre psychologiquement et si j’étais un avocat, je les défendrais contre les limites de la “justice” bourgeoise. Mes mots de fin seront : abdiquez la violence autoritaire et la protection des privilèges et du vol et il n’y a aura plus de hors-la-loi et plus de violence rebelle !

Landauer prend ainsi une position publique contre la violence, mais il comprend aussi que ces gens réagissent à une cause et ne sont pas des monstres venus de nulle part. Landauer a en fait lu plusieurs plaidoiries de défense d’anarchistes assassins incluant celles de Ravachol, d’Auguste Vaillant et d’Emile Henry et il était familier avec leurs actions et leurs revendications. Landauer n’est pas lui même une personne de “la propagande par le fait”. Ses réflexions sur la violence ici mènent à ces conclusions :

De ce que j’ai dit jusqu’ici, il s’ensuit ceci : d’abord que l’anarchisme ne peut pas être un mouvement de masse à notre époque, mais seulement ceux d’individus de pionniers… Ensuite que nous sommes des optimistes invétérés malgré notre scepticisme principal. Nous ne sommes pas des individualistes de la vieille école. Nous croyons en la bonté de l’humanité et en ses immenses capacités. Nous voulons une société anarchiste où les individus peuvent vivre ensemble sur la base des associations libres et du respect mutuel, en un autre terme (économique) : en socialisme.

Ainsi, Landauer inscrit deux marqueurs précurseurs dans sa compréhension de l’anarchisme : ce n’est pas un mouvement de masse ni une collectivité populiste mais plutôt un mouvement de pionniers individuels rendus potent par le truchement de leur association libre et de leur respect commun. En d’autres termes, c’est un mouvement éthique de certaines personnes (relativement peu nombreuses).

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Landauer est enclin à écrire de nouveau sur la violence, mais de manière différente de celle d’Emma Goldman en la même occasion, l’assassinat du président américain McKinley par Leon Czolgosz. Ici, il se démarque rhétoriquement des “anarchistes” (semblant accepter l’association des anarchistes avec la violence, si ce n’est pour un effet rhétorique) et il commence maintenant à distinguer ses propres vues de l’anarchisme de celles des autres, sur le chemin de pouvoir décrire une construction spécifique de l’anarchisme comprenant sa propre compréhension de celui-ci. Dans cet essai “Pensées anarchiques sur l’anarchisme”, Landauer commence par trouver l’idée de “l’anarchisme par la violence” quelque peu bizarre, il écrit :

Il me semble que la déclaration de Mowbray correspond à l’expression de ce qui est presque devenu le dogme anarchiste, à savoir de percevoir l’assassinat de personnes au pouvoir comme un acte anarchiste. De fait, il est vrai que la plupart des personnes impliquées dans ce genre d’action ces dernières décennies, furent motivées par des croyances anarchistes. Tout observateur objectif dira que ceci est bizarre. Qu’est-ce qu’a à voir avec l’assassinat de personnes l’anarchisme, une théorie politique désirant une société sans gouvernement ni autorité coercitive, un mouvement contre l’État et la violence légalisée ? La réponse est : rien, rien à voir. Cependant, certains anarchistes tendent à penser que discuter et éduquer n’a pas jusqu’ici porté ses fruits. Ils pensent donc que la destruction doit aller de paire avec la construction et la promotion par la parole. Ils sont trop faibles pour faire tomber les frontières, alors ils se tournent vers la propagation de la propagande par le fait. Les partis politiques s’engagent dans l’action politique, alors certains anarchistes pensent qu’ils doivent individuellement s’engager dans des formes anti-politiques, une politique négative. Ces logiques expliquent leur “action politique” : la propagande par le fait et le terrorisme individuel.

Landauer accuse de telles personnes d’avoir des motivations égocentriques et d’agir comme les États dont ils veulent se débarrasser. Il pense “l’anarchisme de la violence” comme celui de ceux qui n’ont pas suffisamment anarchisé leur pensée et ne sont devenus que le reflet de miroir de ce qu’ils détestent et méprisent. Ainsi donc, il dit ouvertement : “Ces anarchistes ne sont pas assez anarchistes à mes yeux” et il les accuse de se conduire comme “des partis politiques” et d’être “simples d’esprit”. “Qu’obtient-on par la violence ?” Est son processus de pensée. Il appelle bien des anarchistes de simples dogmatistes dans leurs croyances et leur attachement à l’action violente. Quand on lit entre les lignes, on constate que Landauer critique la psychologie de la violence et demande quel est son but final. En tant qu’homme qui se révèlera être l’homme pour qui les moyens doivent être indistincts des fins, la violence ne peut jamais être une solution pour lui. La violence ne fait que mener à un cercle vicieux de haine, de guerre, de mort, de destruction, cycle sans fin de violence. Est-ce cela que les anarchistes veulent ? Ainsi donc :

Ceci est la fallacie de base des anarchistes révolutionnaires (fallacie que j’ai longtemps partagée avec eux…) : l’idée que l’on puisse atteindre l’idéal de non-violence par la violence et des moyens violents. Dans le même temps ils objectent fondamentalement à la “dictature révolutionnaire” que Marx et Engels appellent de leurs vœux dans leur “Manifeste du parti communiste”, comme une courte période de transition après la révolution. Mais tout cela n’est qu’auto-déception. Toute forme de violence est dictatoriale, à moins qu’elle soit volontairement endurée, acceptée par des masses subjuguées. Ceci n’est pas le cas dans les assassinats anarchistes, qui ne sont que sujet de violence autoritaire. Toute violence n’est que despotisme ou autorité.

Il est important de souligner ici la position de Landauer contre la violence, parce que cela ouvre de fait la porte à la question : “Si pas de violence, alors quoi ?…” Mais Landauer a une réponse à cette question et il commence à l’articuler dans ce passage :

Ce que les anarchistes doivent comprendre c’est q’un but ne peut être atteint que s’il est déjà réfléchi dans ses moyens. La non violence ne peut pas être atteinte par la violence. L’Anarchie existe là où on trouve de véritables anarchistes : des gens qui ne s’engagent pas dans la violence. Ce que je dis ici n’est pas nouveau. C’est ce que Tolstoï nous a dit depuis longtemps… Les anarchistes révolutionnaires vont objecter : si nous sommes non violents, nous permettons notre exploitation et notre suppression et nous ne serons donc pas libres mais esclaves. Quand nous parlons de non violence, affirment-ils, cela ne concerne pas l’attitude des individus mais de l’organisation sociale. Nous voulons la société anarchiste, mais nous devons d’abord récupérer ce qui nous a été volé et ce qu’on nous refuse.

Mais ceci n’est qu’une autre fallacieuse cruciale : celle disant qu’on peut ou qu’on doit amener l’anarchie au monde, que l’Anarchie est une affaire relevante de toute l’humanité ; qu’il y aura un jour de jugement suivi par une ère millénaire. Ceux qui veulent “amener la liberté au monde”, ce qui sera toujours leur vue de la liberté, sont des tyrans et non pas des anarchistes.

L’Anarchie n’appartient pas au futur, c’est une affaire du présent. Ce n’est pas l’affaire de demander, c’est l’affaire de la façon dont les gens vivent. L’Anarchie, ce n’est pas la nationalisation des résultats du passé, mais c’est un peuple niveau naissant d’humbles débuts dans de petites communautés qui se forment au sein de l’ancien : une colonisation interne. L’Anarchie n’est pas une lutte de classes, les dépossédés contre les possesseurs, mais c’est le mouvement d’individus souverains, libres, forts et motivés qui se libèrent de la culture de masse et qui s’unissent sous de nouvelles formes. La vieille opposition (NdT : antagonisme) entre destruction et construction commence à perdre de sa signification : ce qui est en jeu ici sont de nouvelles formes d’existence sociale qui n’ont jamais existé.

Si les anarchistes comprenaient que le cœur même de l’anarchie réside dans les profondeurs de la nature humaine et s’ils pouvaient suivre cela comme guide principal de leur conduite, alors cela les mènerait loin des masses et ils comprendraient avec effroi la distance séparant leurs convictions et leurs actions présentes et ils comprendront alors que cela devient bien trop banal et fade pour un anarchiste de tuer un McKinley ou de commettre de telles actions tragiques et stériles. Quiconque tue, meurt. Ceux qui veulent créer la vie doivent aussi l’embrasser et renaître de l’intérieur.

Ceci me semble venir en droite ligne des cogitations de Max Stirner, que Landauer connaissait et de sa distinction entre “révolution” et “insurrection”. Les insurgés, comme se le rappelle sans doute mes lecteurs, ne permettent pas d’être organisés, pour paraphraser Stirner. Les révolutionnaires veulent juste imposer leur ordre et Landauer accuse bon nombre d’anarchistes d’être des “révolutionnaires” plutôt que des “insurgés”. Ceci est une ERREUR. Pour Landauer, comme nous allons le voir, l’anarchisme est essentiellement quelque chose à votre sujet, de qui vous êtes, votre éthique, qui vous êtes intellectuellement, politiquement, ces choses qui irradient de vous à travers vos relations aux autres, de et à travers de nouvelles formes sociales. Ce n’est pas, ne sera jamais, un “anarchisme” dogmatique et forcé à imposer aux autres, même en le voyant comme une manière bienveillante d’agir “pour le bien de tous”. L’anarchisme pour Landauer n’est pas du tout quelque chose d’imaginer par analogie à la “fin des temps” chrétienne ou de la guerre pour en finir avec la guerre. Ce n’est pas au sujet de “tuer les méchants” afin que seuls demeurent les “bons”. Le comment Landauer termine cette réflexion nous instruit sur la façon dont il perçoit les conceptions anarchistes des choses qu’il pense être dans l7erreur et d’un ´´état d’esprit anarchiste” qu’il pense devoir être mis à jour :

Les anarchistes ont toujours été trop attirés par des systèmes et attachés à des concepts rigides et étriqués. Ceci en fait, est la réponse finale à la question du comment les anarchistes peuvent-ils trouver une valeur quelconque à tuer des êtres humains. Ils ont pris l’habitude de ne considérer que des concepts et non plus des personnes de la vie réelle. Ils ont divisé l’humanité en deux classes statiques et hostiles. Lorsqu’ils tuent quelqu’un, ils ne tuent plus une personne mais un concept, celui de l’exploiteur, de l’oppresseur, du représentant de l’État. C’est pourquoi ceux qui sont souvent les plus doux et gentils dans leurs vies privées, commettent les actions les plus inhumaines dans la sphère publique. Là, ils ne ressentent plus, ils sont isolés de leurs sens. Ils agissent comme des êtres exclusivement rationnels, qui, comme Robespierre, sont les serviteurs de la raison ; une raison qui divise et qui juge. Cette logique froide, spirituellement vide, et destructrice est celle utilisée par les anarchistes pour condamner à mort. Mais l’anarchie n’est ni facilement atteignable ni moralement si dure, elle n’est pas non plus si définie comme ces anarchistes le pensent. Ce n’est que quand l’anarchie devient pour nous un rêve sombre et profond et non pas une vision atteignable par des concepts, que notre morale et nos actions deviennent une.

Dans son essai “La communauté par la séparation”, Landauer ne répond pas à des évènements ou des idées, mais présente sa vision de l’anarchisme et le titre choisi représente de fait l’idée. Ici, Landauer explique plus précisément sa distinction entre les gens basée sur leur conscience ou esprit (certain on dit que Landauer était un mystique anarchiste, je pense qu’il est le pourvoyeur d’un “anarchisme spirituel” si nous comprenons cela dans le sens nietzschéen, de sens “d’esprit libre” et non pas dans le sens chrétien), d’une véritable conscience active, intelligente, spatiale, d’eux-mêmes et des autres dans a société. Par exemple Landauer commence dans cet essai à distinguer le fossé entre une “avant-garde” et “le reste de l’humanité”. Ce qui distingue les gens, c’est la façon dont ils réagissent à leur contextualisation sociale. Il dit :

Ce n’est pas une question de connaissance ou de capacité, mais de perspective et d’orientation. La position sociale de l’individu de la masse dérive d’un héritage qui détermine son existence à la fois de l’extérieur que de l’intérieur : il appartient à une certaine famille, à une certaine classe, il acquiert certaines connaissances et suit une certaine foi, il se tourne vers une certaine profession, il est catholique ou protestant, allemand ou anglais, français, patriote, c’est un commerçant ou un éditeur de presse. Autorité, habitude, coutume, moralité, temps et classe définissent son existence.

Mais comme il y a peu de gens qui réagissent à leurs circonstances en les ignorant pour gagner une nouvelle conscience d’eux-mêmes et des autels dans le monde (les médias de masse, la propagande politique et maintenant les réseaux sociaux s’assurent que cela ne se produise pas ou très peu…). Que doit faire un anarchiste ? Là-dessus Landauer est très clair :

Nos âmes ne peuvent plus tolérer plus longtemps cette confusion. La conclusion est que nous devons cesser de descendre vers les masses. Nous devons les précéder. Dans un premier temps, il peut paraître que nous nous en détachions ; mais nous ne pouvons trouver la communauté que nous attendons et dont nous avons besoin si nous, la nouvelle génération, nous séparons des vieilles communautés. Si nous opérons une séparation radicale et si nous, en tant qu’individus séparés, nous plongeons dans les profondeurs de notre être afin d’atteindre le cœur même de notre nature cachée, alors nous trouverons la plus ancienne et la plus complète des communautés ; une communauté qui non seulement comprend et englobe notre humanité mais aussi l’univers entier. Quiconque découvre cette communauté en lui-même sera éternellement heureux et joyeux et le retour à des communautés communes et arbitraires telles que celles d’aujourd’hui sera impossible.

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Ici, Landauer distingue trois types de communauté : une communauté individuelle (c’est à dire une communauté d’individus) ; les états et sociétés bourgeoises et une communauté anarchiste qu’il définit comme “les associations libres momentanées d’individus basées sur des intérêts communs”. Landauer dit : “J’essaie de me construire un nouveau monde sachant que je n’ai pas vraiment de terrain pour le construire ; tout ce que j’ai est un besoin.” Il voit la communauté à construire comme “notre ouverture à ce qui est au-delà de notre “je”, en utilisant notre “je”. Nous utilisons nos sens pour nous étendre sur ce qui est au-delà d’eux ; nous essayons de comprendre le monde avec toute la richesse de nos vies, avec nos passions, et avec notre contemplation la plus profonde.” Il suggère que “Nous devons comprendre que nous ne faisons pas que juste percevoir le monde, mais que nous sommes le monde.” Il demande que “nous retournions à nous-mêmes et qu’alors nous trouverons véritablement l’univers” dans une conception qui imagine que le monde est dans tout être vivant. Il fonctionne au sein d’une notion philosophique de l’infini qui fait de nous une partie d’un “courant, d’un ruisseau éternel” :

Clarifions tout ceci et nous savons maintenant ce que signifie de clarifier, c’est à dire de créer une disposition nécessaire, que le passé, le présent et le futur, ainsi que les notions d’ “ici” et de “là-bas”, ne sont qu’un ruisseau unique/unifié éternel qui s’écoule de l’infini vers l’infini. Il n’y a ni cause ni effet de ce monde.

Ceci paraît être de circonstance pour contre-carrer une compréhension du monde purement matérialiste (et souvent simplement économique) prévalent chez les marxistes, les communistes et les anarchistes de cette époque. Landauer imagine que nous pensons de toute façon avec “un langage psychologique métaphorique”. En fin de compte, il trouve que “la matière est rigide, ce n’est donc pas surprenant que les matérialistes le soit également”. Mais ce n’est pas pour la cause de spéculations religieuses que Landauer accepte les arguments de Stirner et ce qu’il décrit comme son agenda de détrônent permanent de tous les dieux et de toute pensée “sacrée”. Il écrit :

Le dernier grand nominaliste fut Max Stirner, qui, avec la plus radicale rigueur, a libéré nos esprits du fantôme de ce que les notions abstraites sont. L’essence de ses enseignements peut être résumée dans ces quelques mots paraphrasés : “Le concept de dieu doit être détruit. Mais ce n’est pas dieu qui est l’ennemi, c’est le concept.” Stirner a découvert que toute oppression vient en fin de compte, de concepts et d’idées qui sont acceptés comme sacrés. D’une main ferme et déterminée, il démonta des notions comme celles de dieu, du sacré, de la moralité, d’état, de la société et de l’amour et démontra de manière rigolarde leur vacuité.

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Ainsi, Landauer localise la source de notre oppression dans nos idées et nos croyances, celles que nous acceptons intellectuellement et que nous justifions moralement. Mais Landauer ne s’arrête pas en si bon chemin et accuse Stirner de fabriquer une nouvelle sorte de sacré : “l’individu concret et isolé”. Landauer désire abolir aussi cela et suggère “il n’y a pas d’individus, seulement des affinités et des communautés” ; il n’y a que “vie immanente” et “forces présentes”. Un être humain n’est jamais seul mais il est un être ayant plus ou moins de connexions actives avec et envers les autres, qui ne sont pas moins vivants que lui, tout existe d’un seul coup et vous faites partie du tout :

Nous faisons partie d’une chaîne indestructible qui vient de l’infini et va vers l’infini, même si de petits segments peuvent se déchirer et avoir des complications. Tout ce que nous faisons durant notre existence nous connecte avec l’univers et même notre corps mort, sans vie, est un pont qui est utilisé pour continuer notre voyage dans l’univers.

Ainsi, le monde est un “complexe ruisseau d’âmes” et “notre monde ne peut être compris que si nous comprenons quelques parallèles, perspectives supplémentaires par lesquelles nous l’avons créé”, une sorte d’intersection anarcho-sprituelle. Vous pouvez bien vous demandez maintenant qu’est-ce que tout ce blablabla philosophico-spirituel a à faire avec l’anarchisme, mais voilà le but : “l’efficacité est réalité…ce qui est réel, ce sont les connexions et les communautés”. Donc :

Les corps individuels qui ont vécu sur terre depuis le début ne sont pas la somme d’êtres individuels isolés ; ils forment une véritable grande communauté, très réelle, un organisme ; un organisme qui change en permanence, qui se manifeste toujours en de nouvelles formes individuelles. Aussi peu que notre conscience ne connaisse habituellement au sujet de la puissante et réelle vie de nos désirs supposément inconscients, de nos désirs, nos réflexes et nos automatismes physiques et aussi peu connaissons-nous de la vie de nos ancêtres en nous-mêmes. Et pourtant leur existence est indéniable. Si nous ne reconnaissons pas cela, le sens de la vie et du monde demeurera un mystère pour nous, ils seront tous composés de matière, toute perception et fantôme. L’humanité n’est pas une abstraction, ce n’est pas un mort mort pour nous ; l’humanité est réelle et vivante et les individus le sont aussi, ainsi que leur conscience, les individus changent, ils émergent individuellement, changent et ne sont que des ombres qui disparaissent, un autre changement.”

Ainsi, Landauer voit une connexion avec les autres en chacun de nous, simplement par le vertu du fait que nous existons. Nous ne sommes pas des êtres uniques ; nous ne vivons ni ne venons d’un vide. Nous sommes des particules d’un organisme ou une communauté de nos êtres propres. Là est la connexion, un indice de nos natures inter-connectées en nous-mêmes. Ainsi, Landauer se fait l’avocat de la communauté, imaginant chacun d’entre nous être un en miniature, nos connexions sociales constituant ce qui fait de nous ce que nous sommes. Mais nous ne parlons pas ici de “commodités arbitraires renforcées par l’autorité.” Ce sont, nous dit Landauer, “la superficialité de la mentalité de troupeau” [cette dernière expression trahissant l’intégration de la lecture de Nietzsche par Landauer]. Ce que veut dire Landauer est que “la véritable individualité est celle que nous trouvons au plus profond de nous-mêmes, c’est la communauté” et par là donc :

Lorsque les individus se sont transformés en communautés, ils sont alors prêts à former des communautés plus vastes avec des individus pensant de même. Ceci sera une nouvelle forme de communautés, établies par des individus ayant le courage et le besoin de se séparer de la fadeur de la superficialité.

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Pourtant, il y a une autre chose de mystique, de spirituel qui va avec ça, une façon de ressentir et de matérialiser cette nature de communauté. Cela s’appelle “amour” :

Il y a une autre façon de sentir l’infini, la plus splendide de toutes. Nous sommes tous familiers avec elle tant que nous ne sommes pas entièrement corrompus par la décadence et la superficialité égoïste de nos communautés arbitraires et déformées. Je parle ici de l’amour. L’amour est une chose tellement merveilleuse et universelle, un sentiment qui nous chavire et nous élève jusqu’aux étoiles, parce qu’il est ce cordon ombilical qui connecte notre enfance avec l’univers. Là se trouve un sens plus profond du fait que le nom et l’expérience de la communauté, le sentiment qui nous connecte avec l’humanité : l’amour, l’amour humain, est le même terme que nous utilisons pour l’amour entre les sexes qui nous connecte avec les générations suivantes. Maudit soit le sans-âme qui ne frémit pas quand il entend parler d’amour ! Maudit soit ceux pour qui la satisfaction sexuelle n’est rien d’autre qu’un plaisir sensoriel ! L’amour illumine le monde et envoie des étincelles au travers de nos êtres. Il est le moyen le plus profond et le plus puissant pour comprendre ce que nous avons de plus précieux.

Un amour pour l’humanité”, suggère Landauer, “fait partie de notre être le plus profond. Mais attendez… Landauer n’a t’il pas commencé par dire qu’il y avait un vaste fossé de conscience entre les anarchistes et le reste ? Il n’est pas inconscient de cela :

J’ai parlé de ce fossé qui nous sépare, les nouveaux êtres humains et les masses et au sujet de la nécessité de nous séparer de ceux unifiés par l’État. Ceci pourrait sembler contredire ma pensée qu’un amour pour l’humanité fait partie de notre être le plus véritable. Laissez-moi expliquer : d’un côté, il semble clair que tous les êtres humains contemporains, les civilisés et les autres, sont si reliés à nous qu’il est difficile de ne pas les aimer comme nous aimons quiconque est plus proche de nous. D’un autre côté, la relation est difficile, aussi difficile que celle parfois avec nos proches : ils sont très proches de nous dans leurs êtres et leurs caractéristiques et nous ressentons ce lien de sang et nous les aimons, mais nous ne pouvons pas vivre avec eux. La plupart de nos contemporains ont déformé leur humanité à cause de leur étatisme et de leur bassesse sociale ainsi que leur stupidité ; ils ont aussi déformé leur animalité par leur hypocrisie, leur fausse moralité, leur couardise et leur anti-naturalisme. Mais durant les quelques occasionnelles heures de clarté ou de désespoir, ils ne peuvent pas retirer leur masque. Ils ont bloqué leur chemin vers l’univers ; ils ont oublié qu’ils peuvent se transformer en dieux. Nous voulons pourtant être tout : humains, animaux et dieux ! Nous voulons être des héros !

Ainsi, la proposition de Landauer est que ceux qui ont cette conscience anarchiste, ces esprits libres, ces “nouveaux êtres humains”, se séparent de la société et créent leurs propres et nouvelles communautés. Il justifie ceci non pas seulement par la nécessité mais “pour l’amour de l’humanité”. Ces personnes doivent vivre une nouvelle vie pour l’intérêt général et créer des “centres de nouveaux êtres” et il lance cet appel à tous ceux qui veulent entendre, qui veulent vivre une nouvelle vie anarchiste selon des valeurs et des principes différents, vivre selon une nouvelle ´´éthique et de nouveaux idéaux :

Pour l’amour de l’humanité qui a perdu son chemin, pour l’amour de ceux qui viendront après nous, pour finalement l’amour du meilleur en nous, nous voulons quitter ces gens, nous désirons notre propre compagnie et nos propres vies ! Loin de l’État, aussi loin que nous le puissions ! Loin de la marchandise et du commerce ! Loin des Philistins ! Laissez-nous, nous qui nous sentons les héritiers du millénaire, nous qui nous sentons simples et éternels, qui sommes des dieux, laissez-nous former une petite communauté de joie et d’activité. Laissez-nous nous créer comme êtres humains exemplaires. Laissez-nous exprimer tous nos désirs : le désir de quiétisme et d’activisme , le désir de réflexion et de célébration, le désir de travail et de loisir. Il n’y a pas d’autre voie pour nous ! Cette croyance intime est née du chagrin : nous voulons ressentir la plus grande joie de la création parce que nous sommes désespérés. Ceux qui en ont déjà fait l’expérience savent que la seule façon de réveiller les gens est par le génie religieux, c’est à dire par la vie exemplaire de ceux qui font tout pour se hisser hors de l’abîme. Ces individus savent que toutes ces questions sont de très sérieuses questions existentielles.

Voilà ce que veut dire Landauer par “la communauté par la séparation”

NdT: Cette conception de Landauer a été mis sous forme romanesque par l’excellente écrivaine de science-fiction Ursula K. Leguin dans son roman “The Disposessed”, “Les dépossédés” (prix Nebula du meilleur roman de science-fiction, 1974, publié en français en 1975), qui met en scène la visite sur une planète, organisée comme la nôtre, de représentants d’une communauté anarchiste s’étant “séparée”, retirée de la vie de la planète en créant, il y a des générations, une communauté séparée sur la lune, satellite naturel de cette planète, le choc des civilisations est conséquent. Excellent bouquin aux grandes ramifications anthropologiques existentielles. A lire…

Le morceau suivant que je vais considérer est l’essai historique d’amplitude écrit par Landauer en 1907 : “Révolution”. Cet essai analyse la révolution dans différentes ères historiques afin de proposer une compréhension de la révolution, ses buts et ses utilisations. Il ne devrait pas être surprenant que la conclusion ici ne peut pas être un évènement catastrophique qui change les circonstances du monde pour toujours et pour le meilleur comme une sorte d’apocalypse anarchiste, comprise de manière matérielle. Nous devons savoir maintenant que pour Landauer, les choses ne peuvent pas se dérouler de la sorte. Cela ne nous fait donc pas ici révéler la fin avant le début lorsque Landauer conclut que “aucune révolution ne remplira jamais ses buts. La révolution est un moyen en soi : elle sert la revitalisation d cela force et de l’esprit.” Ici, Landauer ne suggère pas que la révolution physique n’a pas de sens, simplement si c’est là tout ce qu’elle est, alors elle loupe complètement le coche de ce qu’il veut dire. Mais alors, qu’est-ce que la “révolution” pour Landauer ?

La révolution concerne la communauté dans toutes ses dimensions. C’est à dire pas seulement l’État, les propriétés de ce monde, les institutions religieuses, la vie économique, la vie intellectuelle, les écoles, les arts ou l’éducation, mais une combinaison de tout ceci, une combinaison qui, durant une certaine période de temps, reste dans un état relatif de stabilité autoritaire.

Ici, Landauer révèle le coté conservateur de sa société, il ira jusqu’à dire “peuple d’esprit, l’esprit étant l’amour et création de communauté, a besoin de la famille, du troupeau, de la nation (langage, coutumes, arts). Ces formes sociales sont les ponts de lumière qui connectent nos mondes différents. Ils créent aussi de nouvelles formes de communautés qui dépassent les formes rigides de la communauté créée et construite sur la haine, le manque d’esprit, et la méchanceté.” Je ne suis pas d’accord avec ceci, mais Landauer veut construire sa révolution sur ces fondations et qu’elles soient bonnes ou pas pour la révolution et l’esprit est juste la question. Ainsi, plus loin dans l’essai, il dit ceci :

Pendant une révolution, les gens sont emplis d’un esprit et sont complètement différents de ceux qui n’en ont pas. Les gens sont emplis de cet esprit qui est autrement réservé aux personnes exemplaires ; tout le monde est courageux, sauvage et fanatique, plein d’attention et d’amour dans le même temps. Une fois l’esprit parti, ils veulent tous Panem et Circenses, du pain et des jeux, une fois de plus.”

Ici, j’espère que vous pouvez voir pourquoi j’ai parlé de “conscience” en référence à Landauer car cela semble analogique à ce à quoi le mot “esprit” semble vouloir se référer. Dans les temps révolutionnaires, les gens sont possédés par une conscience, un esprit révolutionnaire. Mais en des temps non révolutionnaires, Landauer semble se référer à l’esprit en des termes plus restrictifs, plus élitistes peut-être, puisqu’il pense que ce une sont que les êtres exemplaires qui le possèdent.

Landauer cite La Boétie pour répondre à la question de savoir pourquoi les gens se laissent-ils abuser, torturer et opprimer :

Comment le tyran peut-il avoir tant d’yeux afin de vous contrôler si vous ne lui prêtez pas les vôtres ? Comment peut-il avoir tant de mains pour vous frapper si vous ne leur fournissez pas ? Comment peut-il avoir du pouvoir sur vous si ce n’est au travers vous ? Comment peut-il vous persécuter si vous ne le lui permettez pas ? Que peut-il vous faire si vous n’êtes pas le receleur des voleurs qui vous volent et l’aide des meurtriers qui vous assassinent ? Que peut-il vous faire si vous n’êtes pas votre propre traître ?

A suivre…

Gustav Landauer sur Résistance 71

Gustav Landauer, PDF :

Vie et œuvre de Gustav Landauer

Appel au socialisme (traduction partielle de R71)

RIEN ne s'oppose TOUT se compose

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En 1994, ils ont dit : ¡Ya Basta! et ils continuent !…

Comprendre pour changer de paradigme politique: revue du livre de Gustav Landauer « Appel au socialisme », 1911

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GL1

“Oui, il a été inventé là une mort pour les multitudes, une mort qui se vante d’être la vie: en vérité un fier service rendu à tous les prédicateurs de mort. J’appelle État le lieu où sont tous ceux qui boivent du poison, qu’ils soient bons ou méchants… État le lieu où le lent suicide de tous s’appelle… la vie.”

“Là où cesse l’État, c’est là que commence l’Homme, celui qui n’est pas superflu : là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l’État — regardez donc mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?”
~ Friedrich Nietzsche, “De la nouvelle idole” ~

L’état n’est pas quelque chose qui peut être détruit par une révolution, mais il est un conditionnement, une certaine relation entre les êtres humains un mode de comportement humain, nous le détruisons en contractant d’autres relations, en nous comportant différemment.
~ Gustav Landauer ~

“La terre et l’esprit [Geist] sont donc la solution du socialisme… Les socialistes ne peuvent en aucune manière éviter le combat contre la propriété foncière. La lutte pour le socialisme est une lutte pour la terre ; la question sociale est une question agraire !”
~ Gustav Landauer ~

Plus nous lisons et pensons Landauer et plus nous le voyons comme le penseur le plus important et le plus pertinent théoriquement et pratiquement pour la réalisation de la société des sociétés, celle de notre humanité enfin réalisée, hors État, hors marchandise, hors argent et hors salariat…

L’analyse ci-dessous ne fait que confirmer ce que nous pensons depuis bien des années. Plus à venir sur Landauer avec une traduction originale que nous avons faite sur l’anarcho-mysticisme de Landauer et la critique fondamentale de la théologie politique. Nous publierons ce texte en septembre.
~ Résistance 71 ~

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Gustav Landauer : Un appel au socialisme

Renaud Garcia (revue de livre)

Janvier 2020

Source : https://www.revue-ballast.fr/gustav-landauer-un-appel-au-socialisme/

Gustav Landauer est l’une des voix majeures du socialisme libertaire allemand. Face aux dégâts provoqués par l’industrialisation, il a fait l’éloge des communautés fédérées ancrées dans le monde rural et villageois ; face à la guerre mondiale, il a appelé, en non-violent, à la grève générale ; face au parlementarisme, il a loué la démocratie directe et les conseils ouvriers auto-administrés. En 1919, celui qui tenait le socialisme pour « l’expression de la véritable et authentique union des hommes » s’engagea dans la Révolution allemande, jusqu’à devenir commissaire du peuple et tomber, quatre mois après la marxiste Rosa Luxemburg, sous les coups de l’armée. Les éditions La lenteur ont récemment traduit et publié son Appel au socialisme : le philosophe Renaud Garcia l’a lu, et livre ici ses impressions.

Il est peu de textes alliant au même degré profondeur philosophique, acuité politique et beauté stylistique. Joyau de la littérature socialiste, l’Appel au socialisme de Gustav Landauer est de ceux-là. Né en 1870 à Karlsruhe, en Allemagne, Landauer fut un révolutionnaire sa vie durant, toujours à contretemps des tendances idéologiques de son époque. Lecteur de Spinoza, Schopenhauer et Nietzsche, il est exclu de l’université à 23 ans et considéré par les services de l’empire comme l’« agitateur le plus important du mouvement révolutionnaire radical ». Il collabore à plusieurs journaux, participe à la fondation de théâtres populaires, essuie des peines de prison au tournant du siècle pour incitation à l’action révolutionnaire — temps pendant lequel il se livre notamment à la traduction des écrits du mystique médiéval Maître Eckhart. Par la suite, il se fera passeur décisif en langue allemande de textes de Proudhon, Kropotkine, Mirbeau, La Boétie, avant d’être à l’origine de multiples expérimentations (notamment le journal Der Sozialist) et groupements socialistes, dont le plus connu fut l’Alliance socialiste (qui aurait compté à son apogée une quinzaine de groupes de 10 à 20 membres chacun). Commissaire à l’Instruction publique et à la Culture fortement impliqué dans la révolution des conseils de Bavière, Landauer meurt lynché par un groupement de corps francs en mai 1919.

Publié en 1911, l’Appel au socialisme est plus précisément une réécriture de deux allocutions prononcées en 1908, qui marquèrent la fondation de l’Alliance socialiste. Landauer lui-même le tenait pour le meilleur de ses écrits, rédigé dans une langue s’efforçant de conserver les marques de l’oralité. Il était donc grand temps que le lectorat francophone dispose d’une édition à la hauteur de la complexité du texte1. Comme on l’apprend du reste à la lecture de la monumentale thèse de doctorat qu’Anatole Lucet a consacrée au penseur allemand2, l’œuvre de Landauer, correspondance comprise, est composée d’innombrables volumes auxquels l’accès en France était alors encore fort limité3. La présente traduction de l’Appel au socialisme confirme d’une manière éclatante la pertinence actuelle de la pensée du révolutionnaire allemand. Qu’y a‑t-il donc de si novateur dans ce texte vieux de plus de 100 ans ? Voici quelques éléments susceptibles d’attiser la curiosité des lecteurs.

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L’anarchisme : un socialisme culturel

Landauer appartient clairement à la tradition anarchiste par son rejet de l’État, un attachement au modèle fédéraliste d’organisation de la société ainsi qu’une critique constante de la propriété privée, au premier chef celle de la terre. La figure sans nul doute la plus importante pour lui reste Proudhon, qu’il considère dans La Révolution comme « le plus grand de tous les socialistes ». Précisément, le terme « socialisme » est dominant dans le registre lexical employé par Landauer. L’anarchie, dit-il dans le dixième des douze articles de l’Alliance socialiste4, n’est « qu’un autre nom pour le socialisme, moins bon du fait de sa négativité et de son équivocité particulièrement forte ». Or ce socialisme anarchiste, sans nier en aucune façon les questions économiques, est en grande partie culturel. Là réside sa première spécificité.

Pour Landauer, les grandes institutions de la modernité industrielle que sont l’État centralisé bureaucratique et le capitalisme induisent des formes de vie collective dénuées d’esprit. Elles ne constituent pour l’essentiel que des néants que l’on prend pour des choses et ne réunissent le séparé qu’en tant que séparé (pour le dire à la façon de Debord). Leur fait défaut ce que le penseur nomme donc « esprit », l’un des concepts les plus difficiles et exigeants du texte. Pour en approcher la définition, on notera que « l’esprit est quelque chose qui vit de la même manière dans les cœurs et dans les corps animés des individus ; quelque chose qui jaillit de tous comme propriété fédératrice avec une nécessité naturelle et les conduit tous à l’alliance. » Sans ce ciment communautaire, dont les germes résident dans les profondeurs de l’individualité se redécouvrant liée fondamentalement à la communauté humaine, il n’est pas de société viable : uniquement ses contrefaçons, ses succédanés. Pour Landauer, lorsque l’esprit fait défaut s’élève, depuis le vide ainsi creusé, son simulacre : l’État. En d’autres termes, une mise en commun forcée, artificielle, ne disposant d’aucun élan authentique vers la communauté (que l’État repose sur la force, l’habitude de la soumission ou un prétendu assemblage de libertés individuelles en fonction d’un contrat social, comme dans le mythe libéral, ne change rien à l’affaire).

Le révolutionnaire allemand fustige ici les formes de vie partagée appauvries qu’il décèle dans son époque. Sa critique du philistinisme, autrement dit de l’individu obtus, aux intérêts pragmatiques étroits, incapable d’élans spirituels et esthétiques, quelle que soit sa classe sociale d’appartenance, retravaille à l’évidence des motifs nietzschéens et retrouve les accents du dramaturge Ibsen (on songe par exemple à sa pièce Un ennemi du peuple, montée en 1883, qui inspira fortement Emma Goldman). Cette critique n’épargne personne, depuis la bourgeoisie dominante jusqu’au prolétariat industriel. À ce sujet, certaines outrances incommoderont sans doute quelques lecteurs, mais il convient de rappeler qu’elles procèdent du registre d’expression choisi, celui de l’appel : une exhortation puissante qui vise à provoquer un effet bouleversant. Ainsi, sans pour autant exclure le vocabulaire de la conscience de classe, de la pauvreté et de la lutte organisée contre l’exploitation, Landauer le subordonne à celui du déclin culturel des peuples, du malheur et de l’ennui au travail, lesquels ne pourront être contrés que par le réveil de la volonté d’incarner un idéal communautaire. D’où un ensemble de définitions proprement culturelles du socialisme, telles que celle-ci : le socialisme est un « mouvement de culture, une lutte pour la beauté, la grandeur et la plénitude des peuples ». C’est donc en visant l’idéal d’un mode de vie radicalement autre que celui qui, chaque jour, entretient le capitalisme, que la possibilité d’une transformation sociale restera ménagée.

Landauer va certainement le plus loin dans ce sens dans ses adresses au prolétariat, dont la potentialité polémique mérite d’être longuement méditée : « Il n’y a de libération que pour ceux qui se mettent intérieurement et extérieurement en état de sortir du capitalisme, qui cessent de jouer un rôle et commencent à être des humains. » Position grosse de controverses, en effet. En premier lieu face à tout discours prônant la centralité de la lutte des classes, aujourd’hui comme hier. À l’époque de Landauer, le marxisme « orthodoxe », celui de Karl Kautsky, est l’idéologie officielle du SPD [Parti social-démocrate d’Allemagne], le plus puissant parti socialiste en Europe au sein de la IIe Internationale. Cette doctrine, résumant les errements d’une science inféodée à une activité partisane, est soumise à un feu nourri tout au long de l’Appel. Les conceptions de Landauer s’en retrouvent précisées comme en creux, et avec elles celles de l’anarchisme dans son opposition à la philosophie de l’histoire marxiste.

Le marxisme, une philosophie de l’inaction ?

La vigueur des critiques adressées par Landauer au marxisme de son temps ne se comprend véritablement qu’à l’aune des bouleversements sociaux et économiques endurés par l’Allemagne dans les 40 années précédant la parution de l’Appel. Sous l’impulsion du chancelier Bismarck, l’Allemagne passe rapidement d’un État agraire à un stade industriel avancé, sous l’effet d’une modernisation accélérée des structures économiques. L’urbanisation explose, la marchandisation gagne de plus en plus de terrain, les inégalités de richesse se creusent, entraînant la dégradation des conditions de vie des classes pauvres. Dans ce contexte, alors que des auteurs comme Ferdinand Tönnies (Communauté et Société, 1887) ou Georg Simmel (Philosophie de l’argent, 1900) s’intéressent à ce qu’une civilisation mécanique fétichisant l’argent fait aux rapports humains (voire à l’« âme » humaine), la critique majoritaire à l’époque reste portée par la social-démocratie d’inspiration marxiste, dont Karl Kautsky est l’idéologue principal. Interprétation clé en main du marxisme (en dépit de la critique interne émanant du courant révisionniste porté par Eduard Bernstein), le programme socialiste propose à ses adhérents une vision du monde fondée sur l’antagonisme de classes et l’approfondissement historique des contradictions du capitalisme sous l’effet du développement des moyens de production.

Face à cette stratégie d’attente (la révolution n’adviendra que lorsque les conditions sociales et économiques seront mûres, tous les travailleurs se tenant alors en masse sur la même ligne de front), Landauer n’a pas de mots assez durs. On pourrait se contenter ici de quelques-unes de ses plus cinglantes imprécations et rejouer le vieux motif de l’opposition entre anarchisme et marxisme. Le marxisme serait, dit-il, « le sens philistin érigé en système », la « peste de notre temps » et la « malédiction du mouvement socialiste ». Ou encore la « fleur de papier sur la ronce adorée du capitalisme ». Marx lui-même ne sort pas indemne de tels feux, tancé pour sa fascination à l’égard du progrès technique : « Les vieilles femmes prophétisent à partir du marc de café. Karl Marx prophétisait à partir de la vapeur. » Mais il y a plus. En réalité, exprimer ce que le socialisme ne devrait pas être permet à Landauer de préciser sa propre conception. Il ne s’agira certainement pas, comme dans les théories des stades de l’Histoire, de s’en remettre à un quelconque déterminisme laissant libre cours à la destruction des vestiges du passé sous le rouleau compresseur du progrès des forces productives. Comme si, par une magie quelconque, devait se former ainsi la base matérielle du socialisme. À l’inverse, montre Landauer, un mouvement profondément soucieux du sort des travailleurs devrait les exhorter non pas à s’immerger plus avant encore dans l’antagonisme de classes (en demandant des droits, de meilleurs salaires, des conditions de travail protégées par l’État social), mais bel et bien à cesser de se penser et de se vivre seulement en tant que travailleurs.

On touche ici au point le plus difficile, et sans doute le plus passionnant, du discours de Landauer : les luttes syndicales, les revendications qui s’y font jour, s’avèrent absolument nécessaires et sont souvent défendues d’une façon héroïque éminemment respectable, dit-il. Pourtant, « tout cela ne conduit jamais qu’à faire tourner en rond dans les cercles contraignants du capitalisme ; cela ne peut jamais qu’approfondir le fonctionnement de la production capitaliste, jamais en faire sortir. » Actions syndicales, grèves, manifestations pour des hausses de salaire : tout cela peut être incarné avec bravoure par des travailleurs, des délégués sincères et combatifs ou encore des « cols blancs » en voie de précarisation, dont le rôle au sein des institutions du capitalisme demeure toutefois vil. À la lecture de tels développements, il est difficile de résister à leur actualisation sauvage, si l’on songe aux revendications les plus communes du mouvement contre la réforme des retraites : taxation des revenus financiers, relance de l’emploi pour préserver le « pouvoir d’achat », modifications du mode de cotisation. Le problème, d’un point de vue landauerien, tient à ce qu’en faisant dépendre le financement des pensions de retraite sur les gains de productivité, on entérine l’aliénation subjective, la dépossession des métiers et la destruction des milieux nécessaires au développement de la croissance.

Éloge des syndicats se portant au secours de l’État social, à l’intérieur du cadre. Mais appel résolu à sortir du cadre en sapant la soumission aux idoles économiques, en premier lieu le fétiche-argent, le « sens devenu insensé de notre vie ». Dans ces pages, Landauer semble articuler avec une étonnante acuité un discours que les théoriciens du courant de la critique de la valeur6 (Robert Kurz, Anselm Jappe) reprendront à partir des années 1990, en présentant quant à eux comme tout à fait novatrice une lecture d’un Marx « ésotérique » (critique du fétichisme de la marchandise et de la formation de la valeur par le travail abstrait) contre un Marx « exotérique » (philosophe déterministe des stades de l’Histoire et de la lutte des classes). Ce courant critique ne dit en effet pas autre chose : dans une société capitaliste pleinement développée, la lutte des classes ne se déroule pas entre une catégorie d’individus propriétaires du capital et une autre située en dehors du capital. En réalité, le capital devient un rapport social dans lequel tout le monde ou presque participe de la transformation globale du travail en argent, puis en capital accumulé. Si les rôles sont différents, il n’y a pas, aux yeux de Kurz par exemple7, de différence fondamentale entre les capitalistes, que Marx appelle les « sous-officiers » du capital, et les ouvriers, qui trouvent également leur intérêt à la reproduction de ce système.

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Terre et esprit !

Si Landauer appelle les prolétaires de son temps à rester cohérents dans leurs revendications pour de plus hauts salaires, c’est qu’il y voit une contradiction relativement à la critique du capitalisme. Encore une fois, la lutte pour de meilleurs revenus, autrement dit pour un partage plus équitable de la survaleur8, est tout à fait légitime à l’intérieur du capitalisme. Néanmoins, elle ne conduit pas au-delà, pour la simple et bonne raison que les ouvriers qui réclameraient d’être mieux traités en tant que producteurs se voleraient eux-mêmes en tant que consommateurs : la hausse des salaires entraînerait un renchérissement du prix des marchandises. En réalité, seule la combinaison d’une pression syndicale pour augmenter les salaires et de groupements de consommateurs réunis en coopératives serait en mesure de mettre en difficulté le système capitaliste. Comme Kropotkine avant lui9 mais sur des bases conceptuelles différentes, marquées notamment par la volonté de réadapter les institutions proudhoniennes (banque d’échange, crédit gratuit) à son époque, Landauer pense l’économie depuis la consommation. Les communautés doivent se ressaisir du sens de leur travail (car pour l’auteur il n’est pas de socialisme concevable sans travail, au sens de « faire avec les mains »), et le faire en fonction de leurs besoins. Dans cette mesure, le mouvement des coopératives a également pour charge d’amorcer un tournant culturel en ne « travaillant plus pour l’inauthentique, pour le profit et son marché, mais pour le besoin humain authentique, et lorsque la relation authentique et sous-jacente entre besoin et travail, la relation entre la faim et les mains, est rétablie ».

On laissera au lecteur le soin de découvrir sur tous ces points des pages denses et complexes. Deux points cruciaux méritent néanmoins d’être soulignés. Par ce changement d’accent depuis la production vers la consommation, Landauer est conduit à réviser fondamentalement le sens attribué à la notion de capital. Cessant de se loger dans la seule sphère de la production, le capital s’étend à la circulation et à la consommation. Il devrait ainsi lui-même constituer l’esprit au sein duquel le travail prend sens, au lieu d’être mécompris sous la forme d’un fétiche, le « fétiche-argent ». Dire cela, c’est pour Landauer replacer au centre du socialisme la question de la possession de la terre, en substituant le travail dans la joie sur une terre nôtre à la contrainte au travail sur une terre accaparée par un propriétaire. Affirmation fondamentale, qui montre combien l’économie ne saurait se soustraire sans funestes conséquences à son fondement physique (aux morceaux de nature physique retenus et possédés en commun), au risque de se transformer en pure spéculation abstraite, dépendante de néants que l’on prend pour des choses. La lutte pour le socialisme est donc lutte pour le foncier. Autrement dit, en des termes qui réactivent l’opposition traditionnelle entre anarchisme et marxisme sur la question paysanne, la question sociale est pour Landauer une question agraire. Au slogan de la révolution mexicaine — qu’il suit avec intérêt — « Terre et Liberté », le révolutionnaire allemand ajoute sa vision culturelle : « Terre et Esprit ! » sera le cri de ralliement socialiste.

Il est par ailleurs clair qu’en renversant le sens de l’économie et en repartant de la nécessité de travailler pour des besoins, on se situe dans une perspective qui n’a plus rien de progressiste, si l’on admet comme Landauer que cette « poursuite neurasthénique et essoufflée du nouveau pour le nouveau » que constitue le progrès est le plus sûr indice de l’inculture qui se répand. Le socialisme ainsi présenté gardera alors nécessairement ses distances à l’égard du développement technique servant une production de masse sans fin assignable, et surtout en grande partie inutile. En de remarquables passages, l’auteur montre à quel point la rationalité capitaliste du « toujours plus » se confond avec une rationalité technique qui culmine en un monstrueux « auto-engendrement » de la technique (on ne peut que songer à Jacques Ellul à la lecture de ces lignes) — enserrant tout autant les ouvriers que les capitalistes dans sa logique absurde. En ce sens, il n’est probablement pas erroné de voir en Landauer un inspirateur possible pour les thèses les plus radicales du courant de la décroissance10.

Expérimentation et sécession

L’Appel au socialisme doit en définitive être lu comme un appel à commencer le socialisme ici et maintenant, à la mesure des possibilités de chacun, et après s’être assuré auparavant de l’égale prise de conscience, chez tous les individus concernés, de la nécessité de rompre avec le déclin culturel et l’esclavage économique. Face à l’attentisme marxiste, se manifeste donc un socialisme de la volonté, dont Landauer n’ignore en rien les difficultés de mise en œuvre, tout en ne renonçant jamais à l’idéal de transformation sociale. À ses yeux, le socialisme est tout à la fois possible et impossible partout et en toute époque. Il restera dans tous les cas impossible sans une résolution de faire sécession, sur le mode de l’expérimentation. Landauer, auteur révolutionnaire s’il en est, n’attend rien des révolutionnaires professionnels. Ce ne sont pas les révolutionnaires qui font les révolutions, mais les situations critiques. Lorsque des institutions dénuées d’esprit se voient rendues à leur inanité, alors seulement se forment des naturels révolutionnaires. Ainsi le socialisme culturel et communautaire de Landauer est-il fondé sur la formation de communautés par la séparation, où seront ménagés de nouveaux rapports humains à l’opposé des mécanismes d’aliénation capitaliste, du centralisme politique et de la bureaucratie.

Les coopératives de consommation fédérées, les expériences de monnaie fondante promues par l’économiste Silvio Gesell (bâties sur le principe d’une dévaluation de l’argent dès lors qu’il ne circule pas, afin d’éviter thésaurisation et spéculation), les banques d’échange, la reprise de terres possédées en commun afin de travailler en fonction des besoins, par la symbiose entre activité industrielle et activité agricole : tout un registre d’expérimentations sociales est concrètement présenté dans le texte principal de l’Appel et les trois tracts qui le suivent, afin de donner forme à une économie morale plutôt que purement marchande. Autrement dit, à un nouvel esprit social. On pourra néanmoins se demander comment de tels rapports, noués dans la séparation à petite échelle, pourraient avoir valeur d’exemple et faire retour vers de plus larges communautés. Comment pourraient-ils devenir les premières pierres d’une « commune de communes de communes » au lieu de s’achever dans un repli individualiste, à l’image de certaines tendances survivalistes de notre époque ?

C’est à ce point que joue à plein la dimension mystique (puisée chez Maître Eckhart) et inactuelle (au sens où elle se meut à contretemps et contre son temps) de la pensée de Landauer. Si les implantations communautaires doivent revêtir une valeur d’exemple et procurer un savoir qui « transporte avec lui l’envie, la passion et l’imitation », c’est parce qu’en son fond, lorsqu’il s’est détaché de la gangue des institutions déclinantes et du rôle qu’il est censé jouer en leur sein (un rôle de rouage), l’individu se rallie à la communauté elle-même : « À partir du caractère humain de l’individu, l’humanité reçoit son existence authentique, tout comme le caractère humain de l’individu singulier n’est que l’héritage des lignées infinies du passé et de toutes leurs relations réciproques. » Ce qui signifie, selon un énième paradoxe temporel, que le socialisme à venir ne sera jamais que la reprise dans la différence d’institutions communautaires anciennes (les communautés de foi jurée du Moyen Âge, l’obshchina russe, la marche villageoise allemande, l’allmend suisse11), ces mêmes institutions que la conception matérialiste de l’Histoire a sans cesse rejetées comme des manifestations d’arriération, au lieu d’y trouver les « germes et les cristaux de vie de la culture socialiste qui vient ».

Habitants des villes ou des campagnes, travailleurs de l’industrie ou paysans, artistes et intellectuels : à toutes celles et ceux qui désespèrent de ce monde-ci et du peuple, l’Appel au socialisme continue de s’adresser. Ce texte majeur oscille entre la destruction de toute illusion consolante et un élan joyeux vers l’idéal d’une liberté réalisée en commun. En certains passages provocateurs (rédigés dans une langue biologisante douteuse), Landauer assume, dès 1911, que, par rapport à d’autres époques historiques, « nous sommes le peuple de la décadence, au sein duquel les pionniers et les précurseurs sont dégoûtés de la violence imbécile, de l’abandon et de l’isolement infamants des êtres humains singuliers ». Mais, dans le même temps, à ce profond désespoir social et culturel se mêle l’enthousiasme le plus exalté pour les commencements qui, toujours petits au début, auront valeur de précurseurs et mettront le plus de gens possible en mouvement afin de vivre un autre genre de vie. Typique de ce balancement, un passage du texte laisse entendre que le commencement de l’humanité mondialisée auquel assiste le révolutionnaire allemand pourrait aussi bien signer sa fin. À l’heure où les discours sur l’effondrement ont le vent en poupe et proposent, majoritairement, d’apprendre à mourir à l’ère de l’Anthropocène (comme l’exprime le titre du best-seller outre-Atlantique du vétéran de la guerre d’Irak Roy Scranton12, l’Appel au socialisme se pose là encore en viatique : si effectivement « aucune époque n’a eu plus dangereusement sous les yeux ce que l’on se plaît à appeler la fin du monde », alors, montre Landauer, il faut rétorquer que « nous ne le savons pas et pour cette raison, nous savons que l’essai est notre tâche ».

Ce que le traducteur Jean-Christophe Angaut a résumé ainsi dans un article récent présentant le socialisme culturel et communautaire de Landauer : « Dire qu’il n’y a rien à attendre de l’Histoire, ce n’est pas seulement révoquer la tentation de s’en remettre à l’Histoire, c’est aussi ne pas abdiquer devant le catastrophisme ambiant13. »

Notes :

Ce que les éditions La Lenteur ont excellemment accompli à l’aide du travail de Jean-Christophe Angaut et Anatole Lucet, assistés par Aurélien Berlan.↑

Anatole Lucet, Communauté et Révolution chez Gustav Landauer, ENS de Lyon, 2018.↑

On disposait ainsi, chez Sulliver, de l’essai La Révolution (1907) et de deux recueils parus aux éditions du Sandre, La Communauté par le retrait et Un appel aux poètes — ces derniers ayant le mérite d’exister en dépit d’une traduction très approximative. Surtout, récemment, un regain d’intérêt pour le parcours et l’œuvre de Landauer s’est manifesté par la parution de l’excellent volume Gustav Landauer, un anarchiste de l’envers, coédité en 2018 par les éditions de l’Éclat et la revue À contretemps, qui mêlait études sur Landauer et traductions originales magistralement menées par Gaël Cheptou.↑

Un texte reproduit en fin de volume dans la présente édition.↑

Ce qu’avaient du reste déjà vu Matthieu Amiech et Julien Mattern lorsqu’ils écrivaient en 2004 Le Cauchemar de Don Quichotte : un livre qui, dans ses grandes lignes, n’a malheureusement pas pris une ride.↑

La critique de la valeur, ou wertkritik, entend aller au-delà de Marx en ce qui concerne la critique de l’économie capitaliste. Ce courant considère le capitalisme non plus seulement comme un rapport social mais comme « une forme historique de fétichisme ». L’acteur central du capitalisme y est le capital lui-même (et non le prolétariat ou la bourgeoisie), que nos rapports sociaux alimentent. Il importe dès lors non plus de libérer le travail du capital, tenu pour un « fait social total », mais de se libérer du travail [ndlr].↑

Voir la traduction récente de La Substance du capital, L’Échappée, 2019.↑

Ou plus-value [ndlr].↑

Voir Pierre Kropotkine, Agissez par vous-mêmes, Nada, 2019.↑

Voir le texte de présentation sur Landauer rédigé dans cette perspective par Anatole Lucet, dans l’ouvrage Aux origines de la décroissance, L’Échappée, Le pas de côté, Écosociété, 2017.↑

Un « allmend » désigne, pour la Suisse, une terre communale, exploitée collectivement par des paysans [Ndlr].↑

Learning to Die in the Anthropocene : Reflections on the End of a Civilization, City Lights Publishers, 2016.↑

Jean-Christophe Angaut, « Le socialisme culturel et communautaire de Gustav Landauer », Actuel Marx, n° 66, août 2019, p. 114.↑

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GL1

Gustav Landauer sur Résistance 71 : format PDF

“Appel au socialisme” (1911, réédité 1919), traduction de larges extraits par Résistance 71

Vie et œuvre de Gustav Landauer

Page Gustav Landauer société organique et société des sociétés

« Gustav Landauer et l’anarcho-mysticisme », Saul Newman

– Notre travail de synthèse : 

“Manifeste pour la société des sociétés” 

et

“Du chemin de la société vers notre humanité réalisée”

vive_la_commune!
Vive la Commune !

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Tout le pouvoir aux ronds-points !…

La société organique spirituelle pour un changement de paradigme politique avec Gustav Landauer et Saul Newman (2ème partie)

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L’anarcho-mysticisme de Gustav Landauer et la critique de la théologie politique*

Saul Newman

2020

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Juillet 2022

(*) théologie politique : croisée du chemin entre la philosophie politique et la théologie chrétienne, comment des concepts religieux, des croyances peuvent être sous-jacents à des modes d’organisation politiques, économiques et sociaux

1ère partie

2ème partie

Le texte de Saul Newman en format PDF made in Jo ;
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Esprit / Geist

L’esprit (Geist) est le référent central de la pensée anarcho-mystique de Landauer. Comme nous l’avons vu, des communautés d’esprit, fondées sur l’association volontaire et les affinités naturelles, sont opposées aux communautés artificielles sans esprit, comme l’état-nation par exemple. L’esprit est ce qui cimente la communauté en un tout de manière non-coercitive et ce qui permet la rédemption de l’humanité de la forme appauvrie dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. De plus, comme nous l’avons vu, l’esprit est totalement différent de la théologie, qui implique l’obéissance à une révélation divine et qui, selon les termes de Schmitt, se transcrit directement en obéissance politique. Comment devons-nous donc comprendre cette notion, de concept d’esprit, de Geist ? Alors que la façon dont Landauer déploie parfois le terme est peu clair, il a l’intention de se référer à cette sorte de force non-coercitive qui, à certains moments et sous certaines circonstances, ravive les peuples et les cultures. C’est quelque chose qui fournit à la vie son sens et sa sacralité et imbibe le présent de joie, de force et de vitalité.

Il associe l’esprit de manière diverse avec le raffinement culturel, avec une vitalité intérieure qui unifie un peuple ou une communauté, avec une disposition vers la liberté, l’amour et la solidarité ; avec aussi, comme on l’a vu, la théologie mystique chrétienne par laquelle l’âme parvient à s’unifier avec dieu. Landauer parle de la grande époque de l’esprit, moments de l’histoire et de la culture humaines où cette vitalité était évidente, comme dans le moyen-âge chrétien. Alors qu’aujourd’hui, sous les conditions exploiteuses et oppressives du capitalisme et de l’état, l’esprit est dans un état de dissipation et de déclin, jusqu’à ce que soit latent chez les gens, comme une sorte de principe évolutionnaire, comme un héritage biologique de générations précédentes ; il peut être réveillé.

Le socialisme pour Landauer, offre l’opportunité d’un renouveau spirituel. De fait, dans un ouvrage tardif, “Appel au Socialisme” (1911), il argumente que le socialisme doit être vu comme uns disposition spirituelle, une nouvelle façon de vivre le présent. En ce sens, l’anarchisme, comme politique préfiguratrice et le socialisme sont très étroitement reliés. En fait, Landauer décrit le socialisme comme “anarchie et fédération”. Le socialisme et l’anarchisme ne sont pas deux systèmes sociaux distincts, mais se réfère à un mode de vie autonome, libre et coopératif. Le socialisme de Landauer est définitivement non-marxiste. Pour Landauer, le marxisme est autoritaire, centraliste et étranger au véritable esprit du socialisme. Le marxisme est non-spirituel parce qu’il tente de transformer le socialisme et une science et un parti politique, finissant comme une idéologie étriquée et doctrinaire, qui n’a rien à voir avec le socialisme véritable.

Les anarchistes du XIXème siècle et spécifiquement Bakounine, rejetèrent aussi les prétensions du marxisme, affirmant que cela mènerait à de nouvelles formes d’autoritarisme. La science est incapable de saisir les forces de la vie dans leur spontanéité et leur vitalité ou, pour le dire en termes de Landauer, leur esprit. Le problème du marxisme, aux yeux de Landauer,  était sa doctrine du matérialisme historique qui affirmait être capable de prédire les révolutions par une observation scientifique des lois du développement historique et du mode de production économique.

Prendre l’histoire de manière matérialiste et transformer toute l’existence humaine en une série de processus corporels c’était terminer dans un certain idéalisme : de fait pour Landauer, l’idéalisme n’est que le revers du matérialisme. La notion d’esprit (Geist) de Landauer est une alternative à la fois au matérialisme et à l’idéalisme. L’esprit résiste à la tendance du matérialisme à tout réduire au corporel ; tandis qu’il est la célébration de la spontanéité et de la richesse de la vie, il ne peut pas être enfermé dans des abstractions métaphysiques ni des tendances rigides d’une philosophie idéaliste. Alors que le socialisme est bien entendu associé à certains idéaux éthiques, le problème est que de ne voir le socialisme que comme un idéal, un état de perfection auquel parvenir, cela veut dire qu’il est constamment repoussé dans le futur, alors que Landauer lui est intéressé par ce qui peut être fait dans “l’ici et maintenant”. Ici réside l’esprit du socialisme, par opposition à l’idéal socialiste, c’est quelque chose de très présent, un potentiel qui peut être réalisé dans les relations quotidiennes, dans l’ici et le maintenant.

Allant de paire avec cette notion positive et affirmative d’esprit, nous devons aussi considérer sa dimension “négative”. Je veux dire par là la façon dont l’émergence d’un véritable esprit dépend d’abord du nettoyage du terrain de toutes fausses idées, illusions, abstractions métaphysiques ; ce que Landauer appelle, citant Stirner, des “fantômes”. Nous avons été bernés par tous ces fantômes sur dieu, l’état, le capital et l’individu : ainsi donc, comme nous l’avons vu, l’insistance de Landauer sur ce que nous devions nous retirer de ce monde d’illusions et nous engager dans une auto-destruction métaphorique. Ici, Landauer crédite le nominalisme de Stirner avec la destruction des abstractions métaphysiques, qui ne sont qu’un résidu de la religion.

A la fois Landauer et Stirner s’engagent dans une pensée négative et même une “théologie négative”, au centre de laquelle est le désir d’obtenir un centre de vide au-delà des illusions du monde et des catégories conceptuelles qui nous ont trompé et desquelles une nouvelle réalité pourrait émerger. La maxime de Stirner “Toutes choses ne sont rien pour moi”, trouve un écho distinct dans la pensée de Landauer. De plus, nous observons dans le travail de Landauer sur le linguiste Fritz Mauther, une pensée sceptique qui appelle au questionnement de la fonction représentative du langage lui-même.

Le langage crée une série de concepts et d’abstractions qui obscurcissent et aliènent la réalité. Afin d’avoir un contact plus direct et sans intermédiaire avec la réalité, nous devons d’abord contourner cette illusion. Il y a un désir, puis,  pour connecter avec une expérience mystique au-delà des noms et des concepts , ce n’est qu’en comprenant le néant au cœur de ces structures que nous pouvons y parvenir.

Landauer et le tournant impolitique

Un examen de la pensée mystique de Landauer trouve d’importants parallèles avec quelques approches récentes en philosophie politique continentale, particulièrement avec ce qui a été nommé la “pensée italienne”. D’après Roberto Esposito, la “pensée italienne”, se référant a divers penseurs italiens comme Agamben, Cacciari, Negri, Tronti at autres, est largement concernée par le problème de la théologie politique, cherchant à étendre les termes de l’analyse au delà des confinements du paradigme schmittien. Ce qui est commun à cette approche est la tentative de penser au delà des représentations et, en particulier, de penser la politique au delà la représentation théologique du pouvoir, c’est à dire au delà la souveraineté. Rappelons-nous que pour Schmitt, la fonction de la souveraineté est de représenter la société, de lui donner sa forme, un ordre et un sens en établissant en endroit transcendant et sacré pour l’autorité dans un monde autrement d’immanence sécularisée.

Pour Esposito, le problème avec ce type de théologie politique, est que bien que cela réponde à la neutralisation du politique que Schmitt vouait comme la tendance centrale de la modernité, dans sa tentative de contenir le politique au sein d’un ordre souverain, cela se termine en une nouvelle forme de dépolitisation : “une théologie politique, mais dont la politique est une politique de dépolitisation. Cette contradiction insolvable ou ce paradoxe, “théologise” la dépolitisation en une nouvelle forme politique. Nous trouvons une préoccupation similaire chez Massimo Cacciari et sa discussion de katechon, la mystérieuse figure théologique qui retarde et restreint la venue de l’Antéchrist mais qui, ce faisant, retarde aussi l’évènement que l’Antéchrist précède toujours : la seconde venue du Christ.

Pour Cacciari, le katechon, central à la théologie politique et que Schmitt associe à la souveraineté et l’empire chrétien, est une figure bien ambigüe : bien qu’elle ait pour intention de retenir ou de restreindre l’anomie qui sera amené par le règne de l’Antéchrist, en association avec la forme politique de souveraineté et d’empire, il va sans dire, dans sa fonction représentative ou politico-théologique, il est impossible d’éviter l’incarnation de cette même anomie qu’il est supposée maintenir à l’écart. Le problème de la théologie politique, selon Cacciari, est qu’elle est enfermée dans un conflit entre un point singulier unifié d’autorité et sa fonction de médiatrice et de représentante d’une multiplicité.

Cette critique de la théologie politique, suivant les termes du débat Schmitt-Peterson, a aussi été poursuivie par Agamben, qui a recherché à déplacer la souveraineté au travers de la notion d’oïkonomie, dérivant de la doctrine trinitaire et en montrant que ce n’est qu’un côté de la machine de gouvernement économique, dont les effets sont dispersés, dont l’autorité est déléguée (du Père au Fils aux Anges) et qui n’a pas de centre souverain unifié.

Pourtant, ce qui est curieux dans toutes ces approches, visant à être contre l’idée de souveraineté et sa capacité de représentation, est qu’elles rejettent, ou contournent, la question de l’anarchisme, qui, comme je l’ai défendu, est le rejet le plus radical de la souveraineté. Au lieu de cela, leurs analyses tendent se référer à “l’anarchie”, mais pour signifier, pour Agamben par exemple, la fondation ontologiquement anarchique non fondée de gouvernement économique ou, pour Cacciari, simplement le désordre, le chaos.

Alors qu’il y a de vagues allusions à une lecture alternative de l’anarchie, ainsi pour Agamben, l’anarchisme est invoqué de manière biaisée comme une possibilité de rédemption cachée derrière les voiles de la machine gouvernementale anarchique, la possibilité de ce qu’il appelle “l’ingouvernable”, il reste un petit espace pour une lecture plus positive et émancipatrice de l’anarchisme et leur traitement de cette question de manière générale demeure totalement ambigu et inadéquat.

Si, comme je l’ai suggéré, une rencontre avec l’anarchisme est nécessaire pour toute critique réelle de la théologie politique de la souveraineté, et pourtant si c’est aussi le cas que l’anarchisme révolutionnaire du XIXème siècle est tombé dans son propre piège politico-théologique, alors nous devons considérer ce que l’alternative, l’anarchisme mystique de Landauer a à offrir quelques unes de ces approches critiques contemporaines de la théologie politique. Il y a deux parallèles clefs que je voudrais adresser ici.

Premièrement, je pense que l’idée de Landauer d’une expérience mystique peut nous aider à comprendre l’idée “d’impolitique”, qu’Esposito contraste avec les déterminations de souveraineté de la théologie politique. Esposito définit l’impolitique comme l’horizon négatif de la politique : c’est ce qui résiste la fonction de représentation souveraine. Mais en même temps, l’impolitique n’est pas une simple négation du politique, mais en constitue plutôt sa limite : “L’impolitique est le politique, vu comme sa limite la plus extérieure.” Ceci n’est pas la même chose que l’apolitique ou l’anti-politique : cela ne réfère pas à une sorte d’espace utopique en dehors du politique, en dehors des relations de pouvoir. Mais plutôt, en regardant le politique depuis un autre espace qui lui est hétérogène, il essaie de le saisir, d’appréhender au sein de cette dimension ce qui est plus politique que lui-même, ce qui dépasse sa propre limite et catégories représentatives ; une intensité qui ne peut pas être exprimée au sein de ses catégories existantes.

La tentative de Landauer de parvenir à une expérience mystique au delà du pouvoir représentatif du langage et des concepts, en tant qu’expérience négative de détachement, est une façon de capturer exactement ce moment d’intensité. De plus, comme j’ai essayé de le montrer, ce détachement des institutions politiques et sociales existantes, et même d’une vue prescrite socialement du soi, n’est pas un désengagement des luttes politiques et de la véritable communauté de vie mais, plutôt, leur pré-condition. En s’effaçant des formes établies de la politique, cela ouvre un espace pour des formes autonomes d’engagement, d’organisation et d’association.

L’importance de la pensée mystique de Landauer ici devient même encore plus apparente lorsque nous la comparons avec deux autres penseurs qui sont souvent invoqués comme ayant une influence clef sur le “virage impolitique” : Simone Weil et Georges Bataille. Avec Weil, mystique chrétienne, qui a aussi pas mal d’affinités avec l’anarchisme, il y a une certaine emphase sur l’expérience mystique, comme l’attention de l’âme envers dieu. De manière similaire, à Landauer, cette expérience mystique est comprise dans un sens négatif en termes de détachement, du vide de l’âme et des pensées de tout attachement aux mots et au langage afin de permettre à la vérité de pénétrer. (NdT : nous sommes ici très proche des concepts de “vide interstitiel” et de lâcher-prise que l’on trouve dans le Zen et ses principes méditatifs…)

Cet acte de “dé-création”, que Weil assimile à la mort, nous rappelle de la notion de Landauer de l’auto-destruction métaphorique qui devient la pré-condition pour une plus grande connectivité avec le monde et les autres. De fait, les deux penseurs sont concernés, bien que de manière différente, par la connexion individuelle à la communauté au travers d’une forme de communion spirituelle. L’étude de Weil sur la condition moderne du “déracinement” qui voit les individus aliénés d’un travail qui a du sens et spirituellement enrichissant, de leur passé, de leur culture et par dessus tout, de la vie en communauté, semble refléter directement la préoccupation de Landauer sur la condition contemporaine de”non-esprit”.

Pour les deux penseurs, il y a une préoccupation pour un renouvellement spirituel au travers de l’établissement d’une nouvelle signification du terme d’enracinement dans la vie de la communauté et même avec les traditions et cultures passées qui autrefois donnèrent un sens et de la vitalité au peuple.

Une emphase similaire sur la communion mystique peut être trouvée chez Georges Bataille. Ici, l’expérience mystique est comprise en termes d’une transgression extatique du moi au travers de moments d’excès “souverain”, comme par exemple l’érotisme, l’auto-sacrifice et la mort. Bien qu’abordé en termes plus violents que la notion de détachement mystique de Landauer et de Weil, il y a toujours le même point de focalisation sur la transcendance des limites de l’individu en tant que figure séparée, discontinue, vers une plus grande fusion ou continuité avec les autres.

La notion de communion mystique de Bataille a été reprise par des penseurs continentaux plus récents, bien que d’une perspective plus critique. Jean-Luc Nancy argumente que la communauté, dans le sillage de l’effondrement du communisme (d’état, NdT), ne peut plus être un retour à quelque idée organique ou essentielle de communauté basée sur la nostalgie de traditions partagées, de culture et d’identité. De telles communautés d’immanence risquent toujours de nouvelles formes de totalitarisme, dans lequel la différence est éclipsée par l’unité, dans laquelle les individus sont avalés dans des collectifs aliénants.

Pourtant, tandis que cette critique du communautarisme et de la communauté organique pourrait paraître jurer avec l’intérêt de Landauer dans les traditions et cultures locales, je pense qu’il y a une bien plus grande résonance ici dans la tentative de penser l’individu et la communauté ensemble de telle façon qu’aucun des deux ne soit effacé, Ici, l’idée de singularité, plutôt que celle d’individualité, devrait être déployée pour un meilleur effet. La communauté pourrait de fait être pensée en termes de relation d’ouverture, ce qui rend des identités fermées et souveraines impossibles. Ceci serait comme l’idée de Landauer sur la communauté mystique sans frontières et sans état souverain.

Aussi, et malgré certaines réserves que Landauer exprima au sujet de l’individualisme de Stirner, un parallèle peut être fait entre la communauté mystique sans souveraineté et l’idée en apparence paradoxale de Stirner sur “l’union des égoïstes” : une association volontaire libre, acéphale, sans forme et décentralisée, une sorte de groupe d’affinité, qui, à l’encontre des communautés établies comme “l’État” ou “la société”, n’impose aucune obligation de lien sur ceux qui y participent. Le plus important pour les deux penseurs (Landauer et Stirner), c’est que ces opportunités ne sont pas composées d’identités pré-définies comme les “citoyens” ni même les “individus”, mais plutôt de formes ouvertes de subjectivité en mouvement, en flux, devenant une auto-constitution, ce que l’on pourrait appeler des “singularités”.

Une préoccupation similaire de repenser la communauté au delà de la souveraineté, en termes de relations d’ouverture et de co-appartenance plutôt que d’identité et de frontières, peut aussi être trouvée chez Esposito et Agamben. Esposito tente de penser au delà de la logique “immunitaire” de l’état bio-politique, où le désir profond de protéger et de sécuriser la vie et l’identité du corps social de ce qui pourrait le contaminer ou le menacer, est transcendé par des compréhensions alternatives de communalité définie par le don et même la dette, impliquant la réciprocité, la mutualité et l’obligation.

Agamben d’un autre côté, parle de la “communauté à venir” formée de “singularités”, une nouvelle sorte de figure politique post-souveraineté, qui ne peut pas être assimilée au sein des structures représentatives de l’état et dont l’apparence dans des réunions spontanées et des manifestations suggère la possibilité d’une toute nouvelle forme de post-identité de la politique. Ceci est une sorte de communauté ouverte, amorphique, sans identité ni frontières, quelque chose qu’il associe particulièrement avec les réfugiés et les gens apatrides, mais qui peut aussi s’appliquer à d’autres formes autonomes et sans état, c’est à dire des communautés anarchistes, aussi loin que de telles communautés de singularités ne puissent pas être représentées au sein de catégories normales politiques ou identitaires, comme une nation, une ethnie, une religion, ou même une classe, elles sont une menace inacceptables pour l’État. Nous pouvons alors parler d’une nouvelle politique de “désidentification” ou, dans les termes de Landauer, de “séparation”, dont le but est non pas la reconnaissance d’identités existantes, mais plutôt la tentative de créer de nouvelles manières d’être, de nouvelles formes de vie autonome et de communauté.

Un geste de désidentification peut être observé dans le port de masques et le camouflage d’identité qui l’on voit souvent dans les manifestations de nos jours, essentiellement associé avec les “Black Blocs” anarchistes. Ceci est plus qu’une mesure de contre-surveillance, mais plutôt un abandon symbolique de son identité et l’affirmation de l’anonymat dans un espace de liberté dans lequel on crée de nouvelles formes d’affinité et d’appartenance en opposition à l’état et sa souveraineté. Agamben prédit alors que, “la nouveauté de la politique à venir est telle que ce ne sera plus une lutte pour la conquête ou le contrôle de l’État, mais une lutte entre l’État et le non-État (l’humanité), une dislocation insurmontable entre quelque singularité que ce soit et l’organisation de l’État.” (NdT : voir aussi les travaux de l’anthropologue politique James C. Scott et notamment son travail sur Zomia et “l’art de ne pas être gouverné” que nous avons traduits sur Résistance 71…)

Conclusion

Aujourd’hui, cette lutte entre l’État et le non-État semble se jouer sous la forme de manifestations de masse qui se déroulent dans le monde et dans lesquelles les gens retirent collectivement leur servitude volontaire et refusent de reconnaître la légitimité symbolique non seulement de leur gouvernement, mais de plus en plus, de tout le système politico-économique qui affirme représenter leurs intérêts. La question qui demeure pour nous est le comment interpréter au mieux un tel phénomène. Aussi loin qu’ils remettent en question le pouvoir représentatif de la souveraineté et personnifient en lieu et place des formes alternatives d’organisation autonome et de vie politique, ils invoquent, je dirais, un nouveau type d’attitude politique qui possède une orientation anarchiste.

Et c’est ici, comme je l’ai affirmé, que la pensée “impolitique” de Landauer, inspirée par ce que j’ai appelé l’anarcho-mysticisme et caractérisé par des idées de retrait mystique, de pensée négative et de nouvelles formes de communauté et d’association, nous donne une véritable vision intérieure interprétant la réalité. Que la pensée politique de Landauer puisse être considérée, ou pas, comme une nouvelle formule de théologie politique radicale, se tenant aux côtés d’autres articulations radicales comme la théologie de la libération, l’athéisme chrétien, l’anarchisme chrétien, la théologie écologique ou toute autre approche émancipatrice des temps millénaristes post-séculiers dans lesquels nous nous trouvons, l’anarcho-mysticisme est, au bas mot, une voie de penser politiquement sans et en dehors de la souveraineté.

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Weil, Simone, Waiting for God, trans., Emma Craufurd, New York: Harper & Row, 1973.

Le texte de Saul Newman en format PDF made in Jo ;
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Saul_Newman

Saul Newman : 
Ph.D en Science Politique de l’université de Nouvelle-Galles-du-Sud (Australie) et co-directeur de l’Unité de Recherche sur la Théorie Politique Contemporaine de l’University of London (Goldsmiths). Il est spécialiste des théories politiques radicales et a extensivement publié sur le sujet (livres et articles), notamment sur le “post-anarchisme”, la théologie politique et des penseurs comme Max Stirner, Gustav Landauer.

Lire Gustav Landauer sur Résistance 71 (format PDF) :

L’appel au socialisme (traduction Résistance 71) et Texte complet

Vie et Œuvre de Gustav Landauer 

Notre page « Gustav Landauer et la société des sociétés organique »

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Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

SN_Postanarchisme

GL1

La société organique spirituelle pour un changement de paradigme politique avec Gustav Landauer et Saul Newman (1ère partie)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, documentaire, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 18 septembre 2022 by Résistance 71

Superbe essai du professeur Saul Newman que nous publions ici en deux parties et compilation PDF. La société future, celle de notre émancipation finale, la Commune Universelle de notre humanité enfin réalisée sera une société organique spirituelle (et non pas religieuse…), qui nous verra opérer un grand retour à la loi naturelle en tant qu’espèce humaine. Le système étatico-capitaliste se meurt, achevons-le et allons de l’avant… Comment, lisez la suite !
A bas l’État, à bas la marchandise, à bas l’argent et à bas le salariat, tout le reste n’est que pisser dans un violon !
~ Résistance 71 ~

gustav-landauer_biblio

L’anarcho-mysticisme de Gustav Landauer et la critique de la théologie politique*

Saul Newman

2020

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Septembre 2022

(*) théologie politique : croisée du chemin entre la philosophie politique et la théologie chrétienne, comment des concepts religieux, des croyances peuvent être sous-jacents à des modes d’organisation politiques, économiques et sociaux. Ceci peut également s’appliquer à d’autres religions comme l’Islam par exemple pour qui la théologie politique est inhérente.

1ère partie

2ème partie

Résumé

Cet article explore la pensée anarcho-mystique de Gustav Landauer comme réponse critique à la théologie politique centrée sur la souveraineté. Il a été disputé que la pensée politique de Landauer, centrale à tout ce qui est de retraite, retranchement mystique des institutions étatiques existantes et des relations sociales qui en résultent, effectue un déplacement radical du concept de souveraineté de l’État au travers l’émergence de nouvelles formes autonomes de subjectivité, d’affinité et de communauté. L’article commence avec une discussion de la réponse critique de Carl Schmitt à l’anarchisme, qui, j’argumente, est le registre par lequel nous devons interpréter sa version de la théologie politique. Je me tourne ensuite sur l’articulation originale de Landauer sur l’anarchisme, définie au travers d’une auto-transformation spirituelle ou micro-politique et de l’expérience mystique, comme manière de décentraliser la souveraineté. Finalement, je développe quelques parallèles entre Landauer et des interventions récentes dans la pensée (im)politique italienne, dans laquelle la fonction de la représentation souveraine de la théologie politique est radicalement mise en question. Je conclus en disant que l’anarcho-mysticisme, en tant qu’engagement avec la théologie politique, ne fait pas que seulement élargir cette catégorie, mais offre une manière d’interpréter de nouvelles formes d’activisme politique et de protestation dans lesquelles la représentation souveraine est fondamentalement délégitimisée.

[NdT : Nous nous focalisons ici sur ce qui est dit de la pensée de Landauer et n’avons pas traduit la première partie de ce texte sur Carl Schmitt]

Les pensées de Landauer sur l’anarchisme

Gustav Landauer était un penseur socialiste, anarchiste, juif, allemand et un activiste qui, en 1919, fut assassiné par des forces paramilitaires d’extrême-droite (NdT: les corps-francs) après l’écrasement de la république de Bavière. L’implication directe de Landauer dans la révolution communiste allemande de la fin de la première guerre mondiale aura représenté une des forces principales de la déstabilisation politique dont Schmitt voulait défendre l’ordre social contre. Ce qui revient à dire que Landauer, pour Schmitt, aurait sans doute été la figure emblématique de l’ennemi. Ici, je veux argumenter que l’anarchisme plus hérétique de Landauer, inspiré par une pensée mystique, est peut-être une réponse plus efficace à la théologie politique centrée sur la souveraineté, que la marque de fabrique révolutionnaire plus familière de l’anarchisme. En mettant face à face le “spirituel” plutôt que le matériel contre le théologique et en faisant la promotion de manières autonomes de vivre et de s’associer plutôt que de prôner un assaut direct sur l’État, Landauer évite de tomber dans le piège de la théologie politique qui attend quasiment toutes formes de politiques révolutionnaires.

Anarchiste avoué, Landauer avait en fait une relation ambivalente avec bon nombre d’anarchistes de son époque. L’assassinat par un anarchiste du président américain McKinley en 1901 mena Landauer à critiquer l’utilisation de la violence par les anarchistes en tant qu’outil révolutionnaire. Dans un essai intitulé “Pensées anarchistes sur l’anarchisme” (publié en 1901), Landauer argumentait que cette sorte de “propagande par les faits” n’était pas seulement contre-productive et même quelque peu vaniteuse et arrogante de la part de certains anarchistes, mais qu’elle allait contre l’orientation éthique de l’anarchie, qui est par essence non-violente et opposée à toute forme de coercition et de domination. Il était donc impossible, selon Landauer, de construire une société anarchiste sur la base de la violence. L’action révolutionnaire devrait plutôt refléter les principes éthiques et les idéaux de l’ordre social qu’on voulait créer, plutôt que de n’être qu’un moyen vers une fin : “Toute violence est soit despotisme soit autorité. Ce que les anarchistes doivent comprendre est que le but ne peut être atteint que s’il se reflète déjà dans son, ses moyens. La non-violence et la non-coercition ne peuvent pas être atteintes par la violence.

Ceci invoque l’idée de politique pré-figurative, qui est un ethos anti-instrumentaliste qui refuse de sacrifier ou de subordonner les moyens aux fins ; un refus qui peut mener certains à réfuter l’anarchisme de Landauer comme étant anti-politique mais qui, pourrais-je argumenter, mène à une expérience différente et plus intense de la politique. Les anarchistes “politiques” qui conseillèrent la violence comme moyen envers une fin qu’est la révolution “n’étaient pas suffisamment anarchistes”, selon Landauer.

En fait, pour Landauer, l’anarchisme ne devrait pas être vu du tout comme une fin, comme une certains sorte de société qu’on chercherait à établir, car ceci automatiquement impliquerait l’imposition d’une vision particulière de la société aux autres. “Ceux qui veulent amener la liberté au monde, ce qui sera toujours leur idée de la liberté, sont des tyrans et non pas des anarchistes.Plutôt que de rechercher l’anarchisme comme un but à atteindre, il devrait être quelque chose du présent ; c’est au sujet de la façon dont chacun vit dans l’ici et maintenant. L’anarchisme est une certaine forme de disposition, une façon d’être et de se conduire de se positionner aux autres. En fait, l’anarchisme implique une certaine forme de transformation spirituelle de soi-même et l’accomplissement d’un certain niveau de compréhension et de maîtrise de soi.Pour moi, quelqu’un qui n’a pas de maître, quelqu’un de libre, un individu, un anarchiste, est quelqu’un qui est son propre maître, qui est sorti des tréfonds, le désir lui disant qui il ou elle veut vraiment être. Ce désir est sa vie.

Pourtant cette maîtrise de soi demande une sorte d’auto-immolation en relation très étroite avec une expérience mystique. Pour Landauer, l’anarchisme est la rédemption spirituelle et la renaissance de l’humanité, mais qui passe au travers du tumulte de l’âme individuelle. L’éthique de la préfiguration, si importante dans l’anarchisme, est aussi spirituelle qu’un projet politique. C’est parfois obscur et seulement accessible par une expérience mystique, plutôt que quelque chose qui pourrait s’articuler comme une vision rationnelle des relations sociales : “Seulement lorsque l’anarchie devient pour nous, un rêve noir et profond et non pas une vision atteignable au travers de concepts, alors notre éthique et nos actions peuvent devenir UN.

Néanmoins, la concentration sur le soi ne doit pas être confondu avec un individualisme soliptique ou un désengagement de la politique. Au contraire, pour Landauer, nous devrions toujours agir dans le monde extérieur, nous impliquer dans des coopératives et des associations, construire des communautés et des organisations locales etc. Nous pouvons plutôt voir la forme individualiste, singulière de l’anarchisme en termes d’une sorte de micro-politique dans laquelle la transformation de la société et des institutions politiques au sens plus large, commence avec la transformation de l’individu et de ses relations immédiates avec les autres.

L’État en tant que relation

L’emphase sur la micro-politique est la base de la formulation originale de Landauer sur l’État, qu’il voit comme composé d’une série de relations individuelles : “L’État est une relation sociale ; une certaine façon pour les gens d’être en relation.” C’est ici que la pensée de Landauer représente une véritable césure de la théologie politique. Au lieu de voir l’État comme une institution simple, absolue, séparée de la société, comme Schmitt et les révolutionnaires anarchistes du XIXème siècle le voyaient, bien que de manière différente, Landauer le voit de la façon la plus ordinaire, en des termes quotidiens, comme une relation multiple entre des individus. Ainsi, l’État est désaffranchi de toute sacralité, de toute unité, de toue transcendance, il est démuni, en d’autres termes, de la dimension de souveraineté. La souveraineté n’est agitée que comme simplement une illusion pour masquer la banalité et l’inutilité déconcertantes de l’État.

C’est comme si Landauer dit que le pouvoir n’existe pas vraiment ou plutôt, s’il existe, c’est simplement une relation sociale produite par nos relations quotidiennes avec les autres. Notre sens de domination de l’état sur nous provient en réalité d’une sorte d’auto-domination, il en va de même en ce qui concerna la domination des autres, ce sont les deux faces de la même pièce. Ceci est un commentaire sur notre servitude volontaire, une idée que Landauer emprunte à l’écrivain humaniste français du XVIème siècle Etienne de la Boétie. Celui-ci affirmait que le pouvoir ne dépendait pas de la coercition mais de notre obéissance volontaire et de la soumission de notre propre pouvoir au sien. Ceci voulait dire que le pouvoir du tyran sur nous n’est en fait qu’une illusion et que cela n’était en fait que notre pouvoir sous une forme aliénée. Landauer fait exactement la même remarque dans son essai intitulé “Faibles hommes d’état, peuple encore plus faible !” (1910)

L’homme d’état, ou souverain, est de fait faible. Il est comparé à un compositeur, un individu singulièrement imparfait qui donne néanmoins l’illusion du pouvoir parce qu’il commande un orchestre, pourtant ce que l’audience, pour continuer dans cette métaphore, ne comprend pas c’est que son pouvoir provient vraiment de l’orchestre qu’il commande et non pas de lui-même. De la même manière, le pouvoir souverain dérive de l’obéissance de ceux qu’il gouverne. Il est, d’après Landauer et La Boétie, un individu faible et couard. Mais la véritable faiblesse réside dans l’obéissance volontaire, la docilité et le laisser-faire des masses qui permettent de se laisser gouverner. Dans l’analyse de Landauer, à la fois l’homme d’état et le public sont pris dans la spirale d’une illusion spéculative, l’homme d’état ne reconnaissant pas sa propre impuissance et le peuple ne reconnaissant pas son propre pouvoir. L’État n’a donc aucun pouvoir réel, aucune substance, aucun “esprit” [NdT: ce que Landauer appelle “Geist” en allemand, mot qui a cette consonance mystique qu’il n’a pas en français et est donc difficile à traduire…]. En fait, Landauer se réfère à l’État comme une “entité non spirituelle”, une coquille vide maintenu seulement par “l’ignorance et la passivité du peuple”. Voir l’État comme étant tout puissant, c’est s’engager dans un fétichisme qui finit par donner à l’illusion une forme réelle.

L’analyse de Landauer est une tentative de déloger la souveraineté en la désacralisant, en niant son esprit. Ceci est donc en contraste direct avec la théologie politique de Schmitt qui est concernée par revigorer cet esprit. De plus, le message de Landauer sur notre servitude volontaire est essentiellement émancipateur. Disant que nous sommes complice du pouvoir de l’État et que nous le produisons et le reproduisons dans nos relations et interactions quotidiennes. Nous pouvons aussi renverser la vapeur en nous comportant différemment, avec une relation différente envers les autres et envers nous-mêmes. “Ceci peut être détruit en créant de nouvelles relations sociales.En d’autres termes, c’est précisément parce que l’homme d’état dérive son pouvoir du peuple que son pouvoir est si précaire, qu’il peut-être renversé par le peuple formant des relations non dominantes et autonomes entre ses membres. C’est parce que la domination de l’État sur nous est simplement la réflexion de notre propre auto-domination que nous pouvons nous libérer de ce lien en nous détournant simplement de ce pouvoir. La révolution est moins un assaut direct et violent sur le pouvoir politique qu’un travail éthique conduit sur soi-même et qui résulte en une rédemption spirituelle dans laquelle la volonté d’être libre est réclamée par les individus.

Profondément influencé par l’idée de l’anarchiste individualiste allemand Max Stirner de l’insurrection ou du “soulèvement” [Empörung], Landauer pensait que toute forme de révolution commence d’abord avec un changement de soi. C’est comme si la révolution contre des institutions externes, contre un état souverain, doit d’abord commencer avec la mise à bas des institutions intérieures, intériorisées, d’un état d’esprit étatique ou autoritaire de cette, comme le dirait Landauer, disposition “non spirituelle” en chacun de nous qui mène à la création de nouvelles formes de pouvoir étatique dans le sillage de chaque révolution. L’État est plus dans nos têtes et nos cœurs, bien plus même, que dans le monde extérieur des relations sociales.

L’expérience mystique

Pour bien saisir cette notion de retrait de soi des institutions, nous devons comprendre l’anarchisme de Landauer comme une forme de mysticisme ; une façon de penser et une approche du monde qui dérivent en grande partie des traditions mystiques chrétiennes et, en particulier, du théologien des XIIIème-XIVème siècles, Maître Eckhart, dont les sermons radicaux et les écrits menèrent à des accusations d’hérésie. L’idée d’Eckhart de l’unité mystique de l’âme ou de l’UN avec Dieu fut d’une influence clef sur la compréhension de “l’esprit” par Landauer et de l’expérience mystique.

NdT : Si maître Eckhart était allemand, Gustav Landauer fut un de ceux qui firent la transcription des textes anciens d’Eckhart en allemand moderne. Il avait une profonde connaissance du sujet.

Il y a plusieurs éléments de la pensée mystique de Landauer auxquels je voudrais ici emprunter, avec pour but d’exciter au sujet des implications de son anarchisme pour la critique de la théologie politique. J’ai déjà fait allusion à l’idée de séparation ou de détachement des relations sociales existantes et particulièrement des institutions politiques, comme une manière de gagner une autonomie en rapport à celles-ci et de mettre en valeur des relations alternatives. Afin que l’individu puisse réclamer son autonomie, il ou elle doit se détacher du monde extérieur et retourner en lui ou elle-même. Ce retour à l’intérieur de soi implique même une sorte d’auto-destruction métaphorique, mais c’est cela, paradoxalement, qui permet qu’on ressente une connexion plus profonde avec le monde. Comme l’a dit Landauer dans un essai sur le mysticisme intitulé “De la séparation à la communauté” (1901) :

Je fais ceci afin de me sentir UN avec le monde dans lequel mon moi s’est dissout. Tout comme quelqu’un qui se jette à l’eau pour se suicider, je saute dans le monde, mais au lieu de la mort, je trouve la vie. Le moi se tue afin que le moi du monde puisse vivre. Ainsi, même si cela n’est pas absolu, ce qui veut vraiment dire “isolé”, la réalité que je crée, c’est la réalité qui est importante pour moi, née en moi-même, mise en place par moi-même et venant à la vie en moi-même.

Ce qui est important ici n’est pas seulement de quitter le monde extérieur, mais aussi de se quitter soi-même, de quitter une certaine conception pré-existante de soi-même. L’auto-annihilation spirituelle dont parle Landauer est, en même temps, une création d’un nouveau soi plus profondément connecté avec la vie et avec le monde. L’acte d’auto-rédemption ou d’auto-création, est nécessairement précédé d’un nettoyage du terrain, d’une destruction de soi pré-existant, qui demeure attaché aux conditions et aux relations sociales existantes. Nous trouvons une idée tout à fait similaire chez Maître Eckhart, qui conseille de se détourner du monde matériel externe et de se tourner vers l’intérieur de soi afin d’y trouver la liberté et de réaliser une connexion bien plus proche avec dieu. Mais ceci implique aussi un départ de soi : “Commencez par vous-même et donc quitter votre vous. Véritablement, si vous n’abandonnez pas votre vous-même, alors où que vous preniez refuge, vous y trouverez des obstacles et du tumulte et ce, où que ce soit.

De fait, pour Landauer, le désengagement ou le retrait de relations extérieurement définies, de rôles et d’identités du soi est la précondition à de nouvelles formes de communalisme pour qu’une véritable communauté émerge :

Mais nous ne pouvons trouver la communauté dont nous avons besoin et que nous désirons aussi loin que nous, la nouvelle génération, nous séparons des vieilles communautés. Si nous faisons de cette séparation, une séparation radicale et si nous, en tant qu’individus séparés, nous autorisons à couler au plus profond de notre être et d’y atteindre notre centre, celui de notre nature la plus cachée, alors nous trouverons la plus ancienne et la plus complète des communautés : une communauté qui englobe non seulement toute l’humanité, mais l’univers entier. Quiconque découvre cette communauté en lui-même sera éternellement béni et heureux et un retour aux communautés arbitraires et banales d’aujourd’hui deviendra impossible.”

Par cette séparation mystique, la grande distinction entre l’individu et la communauté est effacée. L’individu se découvre lui-même ou elle-même dans une communauté et la communauté se découvre elle-même dans l’individu. L’individu devient une sorte de conduit pour la communauté, mais pas dans le sens où il est éclipsé par celle-ci. C’est plutôt une expérience mystique de communion avec les autres, avec le monde, avec la nature, les individus deviennent comme le dit Landauer “L’étincelle électrique de quelque chose de plus grand, de quelque chose englobant tout.De plus, Landauer comprenait la communauté comme quelque chose étant supérieure à la somme de ses parties, plus qu’une collection d’individus. Nous avons plutôt une sorte de figure composée dans laquelle individu et communauté parviennent à une union extatique, dans laquelle chacun trouve un sens plus profond de soi-même.

Communauté mystique

La nouvelle communauté est mystique, une communauté impossible qui comprend, comme le dit Landauer, non seulement toute l’humanité mais aussi l’univers tout entier. Comment peut-on concevoir une telle communauté ? L’absence de véritables frontières bien définies et de limites ne rend-il pas une telle communauté impensable ? Il y a sans aucun doute un élément utopique dans cette communauté, une utopie qui est partagée par des penseurs juifs comme Martin Buber, pour qui la communauté est aussi définie par une profonde affinité spirituelle. (NdT : qui se caractérisera par le mouvement des khiboutzim, dont l’idée embrasse en apparence une telle vision de la communauté, mais qui en réalité, est un instrument de contrôle sioniste en “milieu hostile”, au service d’un état colonial et génocidaire… Landauer se rapprocha du concept mais s’en détacha, de la même manière qu’il se détacha du sionisme qu’il comprît dans sa vraie nature étatiste coloniale)

Mais la communauté mystique de Landauer doit en même temps être distingué de la communauté messianique. Pour Buber, seule la communauté messianique pourrait transcrire des idéaux religieux en forme politique et sociale, c’est à dire de devenir une “véritable” communauté, alors que la communauté mystique, quoi que réflexive sur les idéaux religieux, était essentiellement irréalisable. Jusqu’à ce que l’idée de Landauer de communauté résiste la politisation directe et ne prenne pas une forme distincte, ça n’est peut être pas du tout utopique du tout. Au moins et à l’encontre de Buber, elle ne peut pas être facilement assimilée en théologie politique parce qu’elle évite toute sorte de transcription directe de la théologie au politique.

La distinction entre anarcho-mysticisme et théologie politique devient plus nette si l’on contraste la notion de communauté de Landauer avec celle de Schmitt. La compréhension politico-théologique de la communauté de Schmitt est définie par la souveraineté, par un principe transcendant d’autorité politique qui maintient la communauté en place et définit ses frontières politiques conceptuelles. Et il en va de cette figure de souveraineté que les membres de cette communauté doivent leur allégeance et leur loyauté et pour ça ils doivent être prêts à se sacrifier eux-mêmes. (NdT : toujours cette notion de dette envers la “communauté-système”) Schmitt invoque l’idée d’une communauté politique cimentée par la foi et l’obéissance à l’autorité politique ainsi que par une animosité envers l’autre, l’étranger, l’outsider. Ceci fait parallèle à une communauté religieuse ancrée dans sa foi et son obéissance à une révélation divine.

Ceci est entièrement différent avec la communauté mystique anarchiste de Landauer dans laquelle il n’y a pas de souveraineté ou de forme centralisée d’autorité politique et dans laquelle un déterminant théologique est totalement absent. Au lieu d’une communauté tenue étroitement ensemble par l’obéissance et la foi aveugle, Landauer perçoit et pense à une forme totalement volontaire de participation. Comprise en ces termes, la notion de communauté de Landauer est complètement opposée à la communauté artificielle de l’état-nation. Bien que Schmitt et Landauer voient la communauté en terme “spirituel”, l’une définie théologiquement et l’autre mystiquement, elles ne pourraient pas être plus radicalement différentes l’une de l’autre. Pour Landauer, l’État en tant que communauté est le summum du “manque d’esprit / Ungeist” parce qu’il contraint les gens dans une fausse unification dans laquelle ils vivent une vie atomisée en isolation sans véritable esprit d’affinité. En ce sens, l’état-nation est une anti-communauté :Là où il n’y a pas d’esprit pas de compulsion interne, il y a une force externe, une régimentation, l’état. Là où il y a esprit, il y a société. Lorsque manque d’esprit il y a, l’état apparaît. L’État est un remplacement, un Ersatz de l’esprit.

Alors que Landauer rejette la communauté de l’état-nation, il évoque parfois l’idée de nation en tant que communauté de l’esprit, mais là il pense à la façon dont les racines partagées de traditions culturelles et les coutumes peuvent former la base d’une véritable affinité entre les gens. bien que ceci puisse paraître en porte-à-faux avec sa notion de communauté universelle mentionnée auparavant, son idée de la communauté nationale est sans état et donc par conséquent sans frontières et donc, complètement opposée à toutes formes de nationalisme, que Landauer déteste tout particulièrement : “L’État avec ses frontières et les nations et leurs conflits sont les substituts d’un manque d’esprit des membres de la communauté.

A suivre…

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Saul_Newman

Saul Newman : 

Ph.D en Science Politique de l’université de Nouvelle-Galles-du-Sud (Australie) et co-directeur de l’Unité de Recherche sur la Théorie Politique Contemporaine de l’University of London (Goldsmiths). Il est spécialiste des théories politiques radicales et a extensivement publié sur le sujet (livres et articles), notamment sur le “post-anarchisme”, la théologie politique et des penseurs comme Max Stirner, Gustav Landauer.

Lire Gustav Landauer sur Résistance 71 (format PDF) :

L’appel au socialisme (traduction Résistance 71) et Texte complet

Vie et Œuvre de Gustav Landauer 

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Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

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L’antidote en action : L’État est une relation sociale, qui ne peut être détruit que par l’instauration de nouvelles relations entre les individus (Gustav Landauer)

Posted in actualité, altermondialisme, crise mondiale, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , on 28 juillet 2021 by Résistance 71

jeanmoulin1

Faibles hommes d’état, plus faible peuple !

Gustav Landauer

“Der Sozialist”, juin 1910

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Un homme pâle, nerveux et malade est assis à son bureau. Il écrit des notes sur une feuille de papier. Il compose une symphonie. Il travaille rapidement, utilisant tous les secrets de son art qu’il a appris. Quand cette symphonie est jouée, cent cinquante musiciens jouent dans l’orchestre ; dans le troisième mouvement, il y a dix timpani, quinze instruments de percussion et un orgue ; dans le mouvement final, un chœur en huit parties de cinq cents choristes est ajouté ainsi qu’un orchestre supplémentaire de fifres et de tambours. L’audience est stupéfaite par l’énorme force et la vigueur imposante de l’œuvre.

Nos hommes d’état et nos politiciens et de plus en plus la totalité de la classe dirigeante, nous rappellent ce compositeur qui ne possède en rien un quelconque pouvoir, mais permet aux masses d’apparaître puissante. Nos politiciens et hommes d’état cachent également leur faiblesse réelle et leur incapacité derrière un orchestre géant désirant obéir à leur commandement. Dans ce cas précis, l’orchestre est le peuple en armes, l’armée.

Les voix coléreuses des partis politiques, les plaintes des citoyens et des travailleurs, les poings fermés dans les poches du peuple, rien de tout cela ne doit être pris au sérieux par le gouvernement. Ces actions manquent de force réelle parce qu’elles ne sont pas soutenues par les éléments qui sont naturellement les plus radicaux en chaque personne : les jeunes hommes de la tranche d’âge des 20-25 ans. ces hommes sont sous les drapeaux dans des régiments sous le commandement de notre gouvernement inepte. Ils suivent chaque ordre sans poser de questions. Ce sont eux qui aident à camoufler les véritables faiblesses du gouvernement, leur permettant de demeurer indétectées, à la fois dans et en dehors de notre pays.

Nous, socialistes, savons comment le socialisme, c’est à dire la communication immédiate des véritables intérêts, a lutté contre la règle des privilégiés et leur politique fictive depuis plus de cent ans. Nous voulons continuer et fortifier cette tendance historique puissante, qui mènera à la liberté et à l’équité. Nous voulons le faire en éveillant l’esprit et en créant des réalités sociales différentes. Nous ne sommes en rien concernés par la politique d’état.

Si les pouvoirs d’une politique de non-esprit et violente gardent suffisamment de force pour créer de grandes personnalités, comme de forts politiciens ayant vision et énergie, alors nous devons respecter ces hommes même s’ils sont dans le camp ennemi. Nous pouvons même concéder que les vieux pouvoirs garderont encore quelque temps la main. Néanmoins, il devient de plus en plus évident que l’État n’est pas fondé sur des hommes à l’esprit fort et sur le pouvoir naturel. Ceci est fondé sur l’ignorance et la passivité du peuple. Ceci vaut également pour les moins heureux d’entre tous, pour les masses prolétariennes. Celles-ci ne comprennent pas encore qu’elles doivent échapper à l’État et le remplacer, qu’elles doivent construire l’alternative. Ceci n’est pas seulement vrai ici en Allemagne, ceci est vrai partout dans n’importe quel pays.

D’un côté nous avons le pouvoir de l’État et l’impuissance politique des masses divisées en individus déconnectés et de l’autre, nous avons l’organisation socialiste, une société des sociétés, une alliance des alliances, en d’autres termes : un peuple et son esprit. La lutte entre les deux côtés doit devenir réelle. Le pouvoir des états, le principe de gouvernement et ceux qui représentent l’ancien ordre vont devenir de plus en plus faibles. Le système entier disparaîtrait sans laisser de trace si le peuple commençait à se constituer en tant que peuple hors de l’État. Mais les gens n’ont pas encore compris cela. Ils n’ont pas encore compris que l’État va remplir certaines fonctions et demeurer une nécessité inévitable aussi longtemps que son alternative, la réalité socialiste, n’existe pas.

On peut retourner une table ou casser une fenêtre. Mais ceux qui croient que l’État est aussi une chose ou un fétiche qui peut être renversé ou cassé sont des sophistes et des croyants en la Parole. L’État est une relation sociale ; une certaine façon par laquelle les gens se mettent en relation les uns avec les autres. Il ne peut être détruit que par la création de nouvelles relations sociales, c’est à dire par le fait que les gens changent leur relation les uns avec les autres.

Le monarque absolu dit : L’État c’est moi. Nous, qui nous sommes emprisonnés dans l’état absolu, devons comprendre la vérité : Nous sommes l’État ! Et nous le serons aussi longtemps que nous ne sommes pas quelque chose de différent ; aussi longtemps que nous n’ayons pas créé les institutions nécessaires à une véritable communauté, à une véritable société d’êtres humains.

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De l’antagonisme à la complémentarité : Nietzsche et la tradition anarchiste 4ème partie

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“Le socialisme vient des siècles et des millénaires précédents. Le socialiste englobe toute la société et son passé, sent et sait d’où nous venons et ensuite détermine où nous allons.”
~ Gustav Landauer ~

“La terre et l’esprit [Geist] sont donc la solution du socialisme… Les socialistes ne peuvent en aucune manière éviter le combat contre la propriété foncière. La lutte pour le socialisme est une lutte pour la terre ; la question sociale est une question agraire !”
~ Gustav Landauer ~

De l’antagonisme à la complémentarité : Nietzsche et la tradition anarchiste

2ème partie

1ère partie

3ème partie

4ème partie

Gustav Landauer, la révolte des consciences (1870-1919)

Second volet du chapitre des “Héritiers hérétiques” du livre de Max Leroy “Dionysos au drapeau noir, Nietzsche et les anarchistes”, 2014

“L’anarchie n’est pas une chose du futur mais du présent : elle n’est pas l’espérance mais la vie.” (Gustav Landauer)

On ne lit jamais mieux que sous les verrous. Goldman, Luther King et Gandhi plongèrent dans l’œuvre de Thoreau en prison ; Landauer, incarcéré pour avoir publié un article et, rapporta la police, incité à la “rébellion”, y dévora Nietzsche. Cela n’était toutefois pas une découverte : le jeune homme l’avait déjà étudié trois années plus tôt à l’université de Strasbourg. Ce qu’il en avait retenu ? La vivacité, la grandeur, la profusion, la fièvre… Nietzsche projette ses rayons sitôt ses livres ouverts : ceux-ci saisissent les lecteurs à la gorge et l’irradient durablement. Mais l’isolement carcéral lui permit d’affiner ses jugements : oui au vitalisme nietzschéen, non à son mépris des humains.

Nous sommes en 1900, Landauer, trente ans, rédige le texte “La communauté par le retrait” et déclare ne plus croire en la Révolution dans sa formule prométhéenne : il a vu puis en revint. Vu de près puisqu’il a derrière lui une intense vie de militant : il a animé des journaux socialistes, participé à des réunions politiques, assisté à des congrès, connu la prison pour ses idées, fondé une coopérative ouvrière, participé à des grèves… Tout ceci l’a conduit à repenser la question de la révolution. Il ne sert à rien de vouloir détruire l’appareil d’État et la classe possédante ni d’attaquer bille en tête le pouvoir capitaliste, les institutions et les structures politiques en place sont trop puissantes et les abattre (quand bien même cela relèverait du possible) n’extirpera pas l’inclination des hommes à la soumission. Il faut d’abord procéder à une révolte des consciences dans les cœurs de chacun, il faut d’abord lever les âmes de leurs penchants à la servitude volontaire.

Attaquer l’État ? Son armée massacrera aussitôt les insurgés. En revanche, il est possible de bâtir des réseaux de coopérative et d’organiser, ici et maintenant, la libération des classes laborieuses. Non plus la Révolution mais la révolution, celle qui préfère les minuscules de l’immédiat aux majuscules vendeuses d’espoir. La modestie n’invite pas au renoncement mais elle propose des chemins que Landauer estime plus praticables : ceux, déjà foulés par La Boétie, qui invitent à ne plus servir le pouvoir pour qu’il s’effondre de lui-même. Son texte écarte d’emblée deux tentations : exhorter en tribun fougueux, le peuple à se soulever et se replier dans le cynisme des dandys et des jouisseurs solitaires. Reste une troisième voie, la sienne, qui consiste à créer des communautés révolutionnaires composées d’individualités fortes. Non pas le troupeau mais l’association d’âmes isolées. Landauer refuse d’attendre plus longtemps l’accomplissement de quelque prophétie révolutionnaire : puisque les masses ne sont pas encore disposées à se soulever, ne nous morfondons plus pour élaborer l’idéal dont nous rêvons. Et c’est ainsi, seulement, qu’il sera donné à chacun de “s’élever vers les sommets, vers les lacs sauvages du possible et de l’imagination.”

Disciple de Tolstoï

Les textes de Landauer rejettent catégoriquement la violence, et plus précisément celle dont usent certains anarchistes. Les attentats, les assassinats, les bombes et les coups de feu, tout cela ne mène à rien. Pis, cela s’oppose à ce qu’ils tentent de construire. Landauer estime que la fin ne justifie pas les moyens : comment prétendre bâtir une société éprise de justice et d’équité si l’on emploie en amont des procédés abjects ? Comment élever de ses mains l’avenir tant espéré si celles-ci furent souillées de sang ? Fut-il celui d’ordures. “Une fin ne se laisse atteindre que lorsque le moyen est déjà peint aux couleurs de cette fin.” Absurdité, dit-il, que celle de croire que l’on peut viser la non-violence en ayant recours à a violence… Landauer perçoit dans les partisans de “la propagande par le fait”, des êtres en quête de reconnaissance ; ils existent, ou se sentent exister, à la seule condition de pouvoir s’affirmer, par la force, contre autrui. Pour le révolutionnaire allemand, ces anarchistes “ne sont pas assez anarchistes  leur langage naïf et primitif, n’honore pas l’idéal dont ils se disent, avec force fureur, les disciples. Leur sang est froid, le cœur amer. Leur ossature n’est qu’une abstraction, leurs nerfs des idées, leurs chairs des catégories. Une âme n’en est plus une lorsque l’on peut la classifier : vous croyez avoir devant vous un hominidé né d’un père et d’une mère et qui, comme vous, rit, pleure, geint et fait l’amour ? Erreur. Il s’agit là d’un suppôt de la classe bourgeoise qui opprime le Prolétariat. Vous n’abattez pas un humain et la balle qui déchire son lobe occipital n’a nul scrupule : comment s’émouvoir de la mort d’un concept ? Landauer affirme que “toute action violente est une dictature” et qu’elle porte en elle le despotisme ou l’autorité.

L’anarchiste réel se dispense du sang, c’est du moins ce qu’il écrit. Mais comme le fit savoir Erich Mühsam dans ses journaux intimes, Landauer revint sur sa position lorsqu’il participa, concrètement, à une révolution (celle de 1918 en Allemagne). “Landauer a toujours insisté sur le fait qu’il fallait tout à fait souhaiter que la révolution puisse si possible se développer sans répandre le sang, pourtant, je l’ai vu une fois vraiment en colère se déchaînant contre la phrase “aucune effusion de sang”. Il a déclaré à ce propos textuellement, je m’en souviens très nettement : “Aucune effusion de sang est un non-sens ! Qui veut la révolution, doit la vouloir en entier et s’accommoder de ce qu’elle porte en elle. Jusqu’à maintenant il n’y a a jamais eu de révolution non sanglante, nous devons viser à sacrifier le moins de vies humaines possible.” Et Mühsam de rappeler avec admiration, que son compagnon de lutte combattit alors les armes à la main.

Un socialisme de l’immanence

L’idéalisme philosophique plante ses lances dans les flancs de ce que Gustav Landauer nomme le monde vivant. Le monde des idées, de l’abstraction pure et des concepts livre un combat sans merci à la vie réelle, matérielle et terrestre. Landauer dénonce “la déduction morte, vide et désertique” qui calomnie l’existence tout comme il se réjouit de voir la vie se redresser afin de “tuer le concept mort”. Il mentionne le nom de Kant au détour d’une phrase assassine contre la conceptualisation du vivant mais ne prend pas la peine d’expliciter. Pourquoi Kant ? (NdR71: celui que Nietzsche appelait “le grand Chinois de Koënigsberg”…) Landauer vise ici le penseur idéaliste qui érigea le concept en outil d’accession à la connaissance, ce dernier expliqua dans sa “Critique de la raison pure”, qu’il n’y a “pas d’autre manière de connaître que par concepts.” (pour mémoire, rappelons que Nietzsche considérait Kant comme un “chrétien dissimulé”, un théologien et un faussaire coupable d’avoir mutilé la vie en la sacrifiant sur l’autel du “Moloch de l’abstraction”). Landauer oppose donc la vie immanente à toute espèce d’idéalisme et de transcendance, ou, en d’autres termes, il affirme que rien ne dépasse la matière et qu’il n’y a en fin de compte qu’une seule réalité.

Passe-temps d’intellectuels que toutes ces philosophies ? Débats incestueux de spécialistes ? Les idées produisent des effets sur le réel et la pratique politique anarchiste de Landauer procède de son refus de l’idéalisme philosophique : parce qu’il ne souscrit ni à la théorie pure ni à l’idée désincarnée, il ancre son projet révolutionnaire dans la vérité d’une terre qu’il sait imparfaite. D’où son appel à un “socialisme libre et non dogmatique” : un socialisme qui ne soit pas celui des slogans, du systématisme, de la pureté, de la sainteté. “Le socialisme a pour tâche de […] renouer avec les gens, avec la relativité, avec la totalité de la vie ordinaire”, précise t’il dans son texte “Dieu et le socialisme”. Plus loin, il ajoute : “La grandeur du socialisme est de nous mener hors de l’édifice des mots jusqu’à la demeure du réel.” La référence à l’ordinaire revient à plusieurs reprises sous sa plume, à l’instar de George Orwell, Landauer entend, en dernière instance, fonder son projet sur la base, le peuple, les hommes et les femmes du quotidien. Landauer reproche aux marxistes de nécroser le socialisme et de l’enkyster “dans une science”. Marx et Engels ont prophétisé l’avènement de la société communiste, certes, mais on oublie parfois qu’ils faisaient du capitalisme une étape nécessaire à la venue d’une humanité débarrassée de l’exploitation. Landauer se porte en faux : rien ne permet d’affirmer que le communisme (ou le socialisme) succédera mécaniquement au capitalisme, rien ne permet d’assurer que le capitalisme périra et rien, surtout, ne devrait empêcher le socialisme d’éclore quand bon lui semblera, c’est à dire lorsque les peuples, dans leur majorité, le voudront. Landauer fait entendre dans son essai “La révolution”, qu’il ne mord pas à l’hameçon du progrès : le messianisme marxiste relève de l’imposture car l’Histoire n’a ni sens ni fin !

En 1918, il se dresse contre le bolchévisme qui, après Robespierre et ses thuriféraires, n’aspire qu’à l’établissement d’un pouvoir fort, jacobin et centralisé. Le régime de Lénine va “établir un régime militariste, qui dépassera en atrocité tout ce que le monde a connu jusque là” annonce Landauer dans sa correspondance… Le lecteur connaît la suite.

Viser la joie 

Landauer rompt avec un certain courant aride, rugueux et faussement vertueux de la pensée révolutionnaire. La lutte pour l’affranchissement n’a aucune raison de passer par un militantisme austère et sec. Son socialisme en appelle à la joie et aux sens. Il faut rompre avec cette morale chrétienne qui désavoue la vie en conspuant le plaisir et la sensualité dans le seul objectif de porter aux nues l’âme immatérielle et l’esprit, purs, sains, éthérés et délestés de toutes attaches matérielles, terrestres et finalement humaines. Il incombe aux socialistes de “rendre l’esprit sensuel et corporel”, de descendre des cieux chastes de l’absolu pour gagner les terres, plus humbles, de la relativité charnelle.

Le christianisme exècre la chair. Deux millénaires de règne ont crucifié la sexualité. Éros patauge dans le sang, les épines et les clous. Les fidèles portent la mort au cou, la mort d’un homme que l’on dit mort pour eux. Haine des pulsions et du plaisir. Haine de la femme, vierge ou putain, Marie ou Madeleine. Il faudra choisir, somme Landauer, ou le christianisme, message de nuit, ou le socialisme, émissaire de vie… Les instincts croupissent, muselés et ligotés, dans les cages de la Raison. Gustav Landauer raille la vanité des Hommes à taire le mammifère en eux. Reste à “pénétrer avec joie et confiance dans l’animalité.”

Nietzsche n’est jamais bien loin…

La Nation n’est pas l’État

L’État ? Le plus froid des monstres froids. Landauer emprunte la formule de Nietzsche mais ajoute que la nation, en tant qu’entité historique, culturelle et civilisationnelle, n’est pas l’État. L’état est “un délire ou une illusion.”, une entité éphémère vouée à être surmontée.

La nation est une communauté liée par le passé, “une vérité belle et aimable”. Elle permet de défendre les singularités et la diversité des peuples. Le socialisme espère à raison améliorer l’humanité mais il ne doit pas chercher à l’uniformiser : un socialisme authentiquement démocratique n’arase pas les cultures et les particularismes mais travaille à une “union du multiple” (NdR71 : ce que nous appelons la complémentarité dans la diversité, hors de l’antagonisme induit). D’où notamment, l’affection de Landauer pour la décentralisation et le fédéralisme.

Notons que Bakounine avait opéré une distinction assez semblable lorsqu’il déclarait : “L’État n’est pas la patrie. C’est l’abstraction, la fiction métaphysique, mystique, politique, juridique de la patrie. Les masses populaires de tous les pays aiment profondément leur patrie ; mais c’est un amour réel, naturel. Pas une idée un fait et c’est pour cela que je me sens franchement et toujours patriote de toutes les patries opprimées.

La révolution de 1918

Grève générale, mutinerie… L’Allemagne, qui s’apprête à signer l’armistice dans la clairière de Rethondes est en proie à des soubresauts intérieurs. La révolte éclate à l’automne : l’empereur Guillaume II abdique, des conseils ouvriers se forment ici et là, le drapeau rouge est hissé au balcon du château royal de Berlin et la République Socialiste est proclamée. Mais les socialistes allemands sont plus que divisés. Quelle voie prendre ? Réformisme ou révolution ? Suffrage universel ou dictature du prolétariat ? Parlementarisme ou conseils ouvriers ? Les spectres de la révolution russe et de la guerre civile qu’elle déclencha hantent toutes les têtes…

A la demande de Kurt Eisner, premier ministre-président de la nouvelle république, Landauer revient dans l’arène politique et préconise l’instauration d’une démocratie radicale, décentralisée et constituée en républiques autonomes, puis il se présente comme candidat à l’USPD, un parti social démocrate. Au mois de janvier 1919, la Ligue Spartakiste (marxiste et socialiste révolutionnaire) se soulève pour instaurer un régime ouvrier. Le mouvement est écrasé par le gouvernement républicain et le cadavre de Rosa Luxembourg est retrouvé dans le canal Landwehr, une balle dans la tête. Au mois d’avril, un république des conseils, d’inspirations soviétique, est instaurée en Bavière et Landauer y participe en tant que commissaire du peuple à l’instruction publique. Le gouvernement essaie en vain d’écraser le mouvement révolutionnaire qui, très vite, se transforme en “Deuxième république des conseils” : les communistes l’administrent, Lénine les soutient, une armée rouge locale est créée et Landauer, suspecté d’anarchisme, est mis sur la touche. Il choisit de se retirer de l’action politique, refusant de prêter main forte à un pouvoir autoritaire.

L’assaut gouvernemental est donné le 23 avril : la zone autonome révolutionnaire est réduite à néant, les corps s’écroulent dans le sang par centaines, Gustav Landauer est arrêté le 1er mai puis massacré le lendemain à la prison de Münich-Stadelhelm (NdR71: par des membres du Freikorps ou Corps Franc, l’avant-garde du IIIème Reich nazi), il aura jusqu’au bout défié ses assassins.

C’est au même moment qu’un certain Adolf Hitler découvre ses talents d’orateur en propageant autour de lui ses diatribes anticommunistes…

*

L’anarchiste américain Hakim Bey, que l’on retrouvera plus loin dans le présent ouvrage, écrira dans son essai “TAZ” (Temporary Autonomous Zone) :

Landauer, qui avait passé des années dans l’isolement, pour travailler sur une grande synthèse de Nietzsche, Proudhon, Kropotkine, Stirner, Meister Eckardt, les mystiques radicaux et les volk-philosophes romantiques, savait depuis le début que le soviet [conseil] était voué à l’échec ; il espérait simplement qu’il durerait assez longtemps pour être compris. […] Landauer mérite qu’on se souvienne de lui comme d’un saint. Pourtant, même les anarchistes d’aujourd’hui ont tendance à ne pas le comprendre et le condamnent pour s’être “vendu” à un “gouvernement socialiste”. Si le soviet avait duré ne serait-ce qu’une année, on pleurerait en souvenir de sa beauté, mais avant même que les premières fleurs de ce printemps ne soient fanées, le Geist [Esprit, génie, en allemand] et l’âme de la poésie avaient été écrasés, et nous avons oublié. Imaginez le bonheur de respirer l’air d’une ville où le ministre de la culture vient d’annoncer que les écoliers vont bientôt étudier les œuvres de Walt Whitman…

= = =

”Aujourd’hui ! aujourd’hui vous vous rendez, une fois tous les cinq ans, au vote ! Rien ne vous est proposé, pas une loi, pas un projet, absolument rien. Vous entrez dans l’isoloir avec une enveloppe de scrutin officielle, y insérez délicatement un bulletin nominatif pré-imprimé, vous collez l’enveloppe, de façon à ce que personne ne voie ce que vous pensez et décidez, et jetez le pli dans un pot cadenassé. Ce qu’alors les hommes élus de cette manière ont à délibérer et comment ils se décident, cela ne vous regarde pas, vous n’y avez pas votre mot à dire. Et les hommes sont élus de la façon qui correspond à la majorité : quant au droit de la minorité à se séparer alors de la majorité, et à faire prévaloir ce qui lui est propre, ne serait-ce que par ce moyen follement perverti que vous appelez vote, ce droit n’existe pas. La majorité va tout les cinq ans dans l’isoloir pour abdiquer.”
~ Gustav Landauer ~

“La vaste majorité des humains est déconnecté de la terre et de ses produits, de la terre et des moyens de production, de travail. Ils vivent dans la pauvreté et l’insécurité. […] L’État existe afin de créer l’ordre et la possibilité de continuer à vivre au sein de tout ce non-sens dénué d’esprit (Geist), de la confusion, de l’austérité et de la dégénérescence. L’État avec ses écoles, ses églises, ses tribunaux, ses prisons, ses bagnes, l’État avec son armée et sa police, ses soldats, ses hauts-fonctionnaires et ses prostituées. Là où il n’y a aucun esprit et aucune compulsion interne, il y a forcément une force externe, une régimentation, un État. Là où il y a un esprit, il y a société. La forme dénuée d’esprit engendre l’État, L’État est le remplaçant de l’esprit.”
~ Gustav Landauer ~

Gustav Landauer sur Résistance 71 :

Notre page “Gustav Landauer”

Notre page : “Friedrich Nietzsche, l’intégrale en PDF”

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Gustav Landauer et Gilets Jaunes pour un retour à l’esprit de la société et l’éradication de l’État et du capitalisme

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« Si tu ne sais pas où tu vas, arrête-toi, retourne toi et regarde d’où tu viens. »
~ Proverbe africain ~

“Le socialisme est la tendance de la volonté d’Hommes unifiés de créer quelque chose de nouveau pour la réalisation d’un idéal.”
“Le socialisme vient des siècles et des millénaires précédents. Le socialiste englobe toute la société et son passé, sent et sait d’où nous venons et ensuite détermine où nous allons.”
~ Gustav Landauer ~

“La terre et l’esprit [Geist] sont donc la solution du socialisme… Les socialistes ne peuvent en aucune manière éviter le combat contre la propriété foncière. La lutte pour le socialisme est une lutte pour la terre ; la question sociale est une question agraire !”
~ Gustav Landauer ~

 


« La question sociale est une question agraire »

 

Gustav Landauer: L’appel au socialisme

 

Renaud Garcia

 

13 janvier 2020

 

Source:

https://www.revue-ballast.fr/gustav-landauer-un-appel-au-socialisme/

 

Gustav Landauer est l’une des voix majeures du socia­lisme liber­taire alle­mand. Face aux dégâts pro­vo­qués par l’in­dus­tria­li­sa­tion, il a fait l’é­loge des com­mu­nau­tés fédé­rées ancrées dans le monde rural et vil­la­geois ; face à la guerre mon­diale, il a appe­lé, en non-violent, à la grève géné­rale ; face au par­le­men­ta­risme, il a loué la démo­cra­tie directe et les conseils ouvriers auto-admi­nis­trés. En 1919, celui qui tenait le socia­lisme pour « l’expression de la véri­table et authen­tique union des hommes » s’en­ga­gea dans la Révolution alle­mande, jus­qu’à deve­nir com­mis­saire du peuple et tom­ber, quatre mois après la mar­xiste Rosa Luxemburg, sous les coups de l’ar­mée. Les édi­tions La len­teur ont récem­ment tra­duit et publié son Appel au socia­lisme : le phi­lo­sophe Renaud Garcia l’a lu, et livre ici ses impres­sions.

Il est peu de textes alliant au même degré pro­fon­deur phi­lo­so­phique, acui­té poli­tique et beau­té sty­lis­tique. Joyau de la lit­té­ra­ture socia­liste, l’Appel au socia­lisme de Gustav Landauer est de ceux-là. Né en 1870 à Karlsruhe, en Allemagne, Landauer fut un révo­lu­tion­naire sa vie durant, tou­jours à contre­temps des ten­dances idéo­lo­giques de son époque. Lecteur de Spinoza, Schopenhauer et Nietzsche, il est exclu de l’université à 23 ans et consi­dé­ré par les ser­vices de l’empire comme l’« agi­ta­teur le plus impor­tant du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire radi­cal ». Il col­la­bore à plu­sieurs jour­naux, par­ti­cipe à la fon­da­tion de théâtres popu­laires, essuie des peines de pri­son au tour­nant du siècle pour inci­ta­tion à l’action révo­lu­tion­naire — temps pen­dant lequel il se livre notam­ment à la tra­duc­tion des écrits du mys­tique médié­val Maître Eckhart. Par la suite, il se fera pas­seur déci­sif en langue alle­mande de textes de Proudhon, Kropotkine, Mirbeau, La Boétie, avant d’être à l’origine de mul­tiples expé­ri­men­ta­tions (notam­ment le jour­nal Der Sozialist) et grou­pe­ments socia­listes, dont le plus connu fut l’Alliance socia­liste (qui aurait comp­té à son apo­gée une quin­zaine de groupes de 10 à 20 membres cha­cun). Commissaire à l’Instruction publique et à la Culture for­te­ment impli­qué dans la révo­lu­tion des conseils de Bavière, Landauer meurt lyn­ché par un grou­pe­ment de corps francs en mai 1919.

Publié en 1911, l’Appel au socia­lisme est plus pré­ci­sé­ment une réécri­ture de deux allo­cu­tions pro­non­cées en 1908, qui mar­quèrent la fon­da­tion de l’Alliance socia­liste. Landauer lui-même le tenait pour le meilleur de ses écrits, rédi­gé dans une langue s’efforçant de conser­ver les marques de l’oralité. Il était donc grand temps que le lec­to­rat fran­co­phone dis­pose d’une édi­tion à la hau­teur de la com­plexi­té du texte1. Comme on l’apprend du reste à la lec­ture de la monu­men­tale thèse de doc­to­rat qu’Anatole Lucet a consa­crée au pen­seur allemand2, l’œuvre de Landauer, cor­res­pon­dance com­prise, est com­po­sée d’innombrables volumes aux­quels l’accès en France était alors encore fort limité3. La pré­sente tra­duc­tion de l’Appel au socia­lisme confirme d’une manière écla­tante la per­ti­nence actuelle de la pen­sée du révo­lu­tion­naire alle­mand. Qu’y a‑t-il donc de si nova­teur dans ce texte vieux de plus de 100 ans ? Voici quelques élé­ments sus­cep­tibles d’attiser la curio­si­té des lec­teurs.

L’anarchisme : un socialisme culturel

Landauer appar­tient clai­re­ment à la tra­di­tion anar­chiste par son rejet de l’État, un atta­che­ment au modèle fédé­ra­liste d’organisation de la socié­té ain­si qu’une cri­tique constante de la pro­prié­té pri­vée, au pre­mier chef celle de la terre. La figure sans nul doute la plus impor­tante pour lui reste Proudhon, qu’il consi­dère dans La Révolution comme « le plus grand de tous les socia­listes ». Précisément, le terme « socia­lisme » est domi­nant dans le registre lexi­cal employé par Landauer. L’anarchie, dit-il dans le dixième des douze articles de l’Alliance socialiste4, n’est « qu’un autre nom pour le socia­lisme, moins bon du fait de sa néga­ti­vi­té et de son équi­vo­ci­té par­ti­cu­liè­re­ment forte ». Or ce socia­lisme anar­chiste, sans nier en aucune façon les ques­tions éco­no­miques, est en grande par­tie cultu­rel. Là réside sa pre­mière spé­ci­fi­ci­té.

Pour Landauer, les grandes ins­ti­tu­tions de la moder­ni­té indus­trielle que sont l’État cen­tra­li­sé bureau­cra­tique et le capi­ta­lisme induisent des formes de vie col­lec­tive dénuées d’esprit. Elles ne consti­tuent pour l’essentiel que des néants que l’on prend pour des choses et ne réunissent le sépa­ré qu’en tant que sépa­ré (pour le dire à la façon de Debord). Leur fait défaut ce que le pen­seur nomme donc « esprit », l’un des concepts les plus dif­fi­ciles et exi­geants du texte. Pour en appro­cher la défi­ni­tion, on note­ra que « l’esprit est quelque chose qui vit de la même manière dans les cœurs et dans les corps ani­més des indi­vi­dus ; quelque chose qui jaillit de tous comme pro­prié­té fédé­ra­trice avec une néces­si­té natu­relle et les conduit tous à l’alliance. » Sans ce ciment com­mu­nau­taire, dont les germes résident dans les pro­fon­deurs de l’individualité se redé­cou­vrant liée fon­da­men­ta­le­ment à la com­mu­nau­té humaine, il n’est pas de socié­té viable : uni­que­ment ses contre­fa­çons, ses suc­cé­da­nés. Pour Landauer, lorsque l’es­prit fait défaut s’é­lève, depuis le vide ain­si creu­sé, son simu­lacre : l’État. En d’autres termes, une mise en com­mun for­cée, arti­fi­cielle, ne dis­po­sant d’au­cun élan authen­tique vers la com­mu­nau­té (que l’État repose sur la force, l’habitude de la sou­mis­sion ou un pré­ten­du assem­blage de liber­tés indi­vi­duelles en fonc­tion d’un contrat social, comme dans le mythe libé­ral, ne change rien à l’affaire).

Le révo­lu­tion­naire alle­mand fus­tige ici les formes de vie par­ta­gée appau­vries qu’il décèle dans son époque. Sa cri­tique du phi­lis­ti­nisme, autre­ment dit de l’individu obtus, aux inté­rêts prag­ma­tiques étroits, inca­pable d’élans spi­ri­tuels et esthé­tiques, quelle que soit sa classe sociale d’appartenance, retra­vaille à l’évidence des motifs nietz­schéens et retrouve les accents du dra­ma­turge Ibsen (on songe par exemple à sa pièce Un enne­mi du peuple, mon­tée en 1883, qui ins­pi­ra for­te­ment Emma Goldman). Cette cri­tique n’épargne per­sonne, depuis la bour­geoi­sie domi­nante jusqu’au pro­lé­ta­riat indus­triel. À ce sujet, cer­taines outrances incom­mo­de­ront sans doute quelques lec­teurs, mais il convient de rap­pe­ler qu’elles pro­cèdent du registre d’expression choi­si, celui de l’appel : une exhor­ta­tion puis­sante qui vise à pro­vo­quer un effet bou­le­ver­sant. Ainsi, sans pour autant exclure le voca­bu­laire de la conscience de classe, de la pau­vre­té et de la lutte orga­ni­sée contre l’exploitation, Landauer le subor­donne à celui du déclin cultu­rel des peuples, du mal­heur et de l’ennui au tra­vail, les­quels ne pour­ront être contrés que par le réveil de la volon­té d’incarner un idéal com­mu­nau­taire. D’où un ensemble de défi­ni­tions pro­pre­ment cultu­relles du socia­lisme, telles que celle-ci : le socia­lisme est un « mou­ve­ment de culture, une lutte pour la beau­té, la gran­deur et la plé­ni­tude des peuples ». C’est donc en visant l’idéal d’un mode de vie radi­ca­le­ment autre que celui qui, chaque jour, entre­tient le capi­ta­lisme, que la pos­si­bi­li­té d’une trans­for­ma­tion sociale res­te­ra ména­gée.

Landauer va cer­tai­ne­ment le plus loin dans ce sens dans ses adresses au pro­lé­ta­riat, dont la poten­tia­li­té polé­mique mérite d’être lon­gue­ment médi­tée : « Il n’y a de libé­ra­tion que pour ceux qui se mettent inté­rieu­re­ment et exté­rieu­re­ment en état de sor­tir du capi­ta­lisme, qui cessent de jouer un rôle et com­mencent à être des humains. » Position grosse de contro­verses, en effet. En pre­mier lieu face à tout dis­cours prô­nant la cen­tra­li­té de la lutte des classes, aujourd’hui comme hier. À l’époque de Landauer, le mar­xisme « ortho­doxe », celui de Karl Kautsky, est l’idéologie offi­cielle du SPD [Parti social-démo­crate d’Allemagne], le plus puis­sant par­ti socia­liste en Europe au sein de la IIe Internationale. Cette doc­trine, résu­mant les erre­ments d’une science inféo­dée à une acti­vi­té par­ti­sane, est sou­mise à un feu nour­ri tout au long de l’Appel. Les concep­tions de Landauer s’en retrouvent pré­ci­sées comme en creux, et avec elles celles de l’anarchisme dans son oppo­si­tion à la phi­lo­so­phie de l’histoire mar­xiste.

Le marxisme, une philosophie de l’inaction ?

La vigueur des cri­tiques adres­sées par Landauer au mar­xisme de son temps ne se com­prend véri­ta­ble­ment qu’à l’aune des bou­le­ver­se­ments sociaux et éco­no­miques endu­rés par l’Allemagne dans les 40 années pré­cé­dant la paru­tion de l’Appel. Sous l’impulsion du chan­ce­lier Bismarck, l’Allemagne passe rapi­de­ment d’un État agraire à un stade indus­triel avan­cé, sous l’effet d’une moder­ni­sa­tion accé­lé­rée des struc­tures éco­no­miques. L’urbanisation explose, la mar­chan­di­sa­tion gagne de plus en plus de ter­rain, les inéga­li­tés de richesse se creusent, entraî­nant la dégra­da­tion des condi­tions de vie des classes pauvres. Dans ce contexte, alors que des auteurs comme Ferdinand Tönnies (Communauté et Société, 1887) ou Georg Simmel (Philosophie de l’argent, 1900) s’intéressent à ce qu’une civi­li­sa­tion méca­nique féti­chi­sant l’argent fait aux rap­ports humains (voire à l’« âme » humaine), la cri­tique majo­ri­taire à l’époque reste por­tée par la social-démo­cra­tie d’inspiration mar­xiste, dont Karl Kautsky est l’idéologue prin­ci­pal. Interprétation clé en main du mar­xisme (en dépit de la cri­tique interne éma­nant du cou­rant révi­sion­niste por­té par Eduard Bernstein), le pro­gramme socia­liste pro­pose à ses adhé­rents une vision du monde fon­dée sur l’antagonisme de classes et l’approfondissement his­to­rique des contra­dic­tions du capi­ta­lisme sous l’effet du déve­lop­pe­ment des moyens de pro­duc­tion.

Face à cette stra­té­gie d’attente (la révo­lu­tion n’adviendra que lorsque les condi­tions sociales et éco­no­miques seront mûres, tous les tra­vailleurs se tenant alors en masse sur la même ligne de front), Landauer n’a pas de mots assez durs. On pour­rait se conten­ter ici de quelques-unes de ses plus cin­glantes impré­ca­tions et rejouer le vieux motif de l’opposition entre anar­chisme et mar­xisme. Le mar­xisme serait, dit-il, « le sens phi­lis­tin éri­gé en sys­tème », la « peste de notre temps » et la « malé­dic­tion du mou­ve­ment socia­liste ». Ou encore la « fleur de papier sur la ronce ado­rée du capi­ta­lisme ». Marx lui-même ne sort pas indemne de tels feux, tan­cé pour sa fas­ci­na­tion à l’égard du pro­grès tech­nique : « Les vieilles femmes pro­phé­tisent à par­tir du marc de café. Karl Marx pro­phé­ti­sait à par­tir de la vapeur. » Mais il y a plus. En réa­li­té, expri­mer ce que le socia­lisme ne devrait pas être per­met à Landauer de pré­ci­ser sa propre concep­tion. Il ne s’agira cer­tai­ne­ment pas, comme dans les théo­ries des stades de l’Histoire, de s’en remettre à un quel­conque déter­mi­nisme lais­sant libre cours à la des­truc­tion des ves­tiges du pas­sé sous le rou­leau com­pres­seur du pro­grès des forces pro­duc­tives. Comme si, par une magie quel­conque, devait se for­mer ain­si la base maté­rielle du socia­lisme. À l’inverse, montre Landauer, un mou­ve­ment pro­fon­dé­ment sou­cieux du sort des tra­vailleurs devrait les exhor­ter non pas à s’immerger plus avant encore dans l’antagonisme de classes (en deman­dant des droits, de meilleurs salaires, des condi­tions de tra­vail pro­té­gées par l’État social), mais bel et bien à ces­ser de se pen­ser et de se vivre seule­ment en tant que tra­vailleurs.

On touche ici au point le plus dif­fi­cile, et sans doute le plus pas­sion­nant, du dis­cours de Landauer : les luttes syn­di­cales, les reven­di­ca­tions qui s’y font jour, s’avèrent abso­lu­ment néces­saires et sont sou­vent défen­dues d’une façon héroïque émi­nem­ment res­pec­table, dit-il. Pourtant, « tout cela ne conduit jamais qu’à faire tour­ner en rond dans les cercles contrai­gnants du capi­ta­lisme ; cela ne peut jamais qu’approfondir le fonc­tion­ne­ment de la pro­duc­tion capi­ta­liste, jamais en faire sor­tir. » Actions syn­di­cales, grèves, mani­fes­ta­tions pour des hausses de salaire : tout cela peut être incar­né avec bra­voure par des tra­vailleurs, des délé­gués sin­cères et com­ba­tifs ou encore des « cols blancs » en voie de pré­ca­ri­sa­tion, dont le rôle au sein des ins­ti­tu­tions du capi­ta­lisme demeure tou­te­fois vil. À la lec­ture de tels déve­lop­pe­ments, il est dif­fi­cile de résis­ter à leur actua­li­sa­tion sau­vage, si l’on songe aux reven­di­ca­tions les plus com­munes du mou­ve­ment contre la réforme des retraites : taxa­tion des reve­nus finan­ciers, relance de l’emploi pour pré­ser­ver le « pou­voir d’achat », modi­fi­ca­tions du mode de coti­sa­tion. Le pro­blème, d’un point de vue lan­daue­rien, tient à ce qu’en fai­sant dépendre le finan­ce­ment des pen­sions de retraite sur les gains de pro­duc­ti­vi­té, on enté­rine l’aliénation sub­jec­tive, la dépos­ses­sion des métiers et la des­truc­tion des milieux néces­saires au déve­lop­pe­ment de la croissance5.

Éloge des syn­di­cats se por­tant au secours de l’État social, à l’intérieur du cadre. Mais appel réso­lu à sor­tir du cadre en sapant la sou­mis­sion aux idoles éco­no­miques, en pre­mier lieu le fétiche-argent, le « sens deve­nu insen­sé de notre vie ». Dans ces pages, Landauer semble arti­cu­ler avec une éton­nante acui­té un dis­cours que les théo­ri­ciens du cou­rant de la cri­tique de la valeur6 (Robert Kurz, Anselm Jappe) repren­dront à par­tir des années 1990, en pré­sen­tant quant à eux comme tout à fait nova­trice une lec­ture d’un Marx « éso­té­rique » (cri­tique du féti­chisme de la mar­chan­dise et de la for­ma­tion de la valeur par le tra­vail abs­trait) contre un Marx « exo­té­rique » (phi­lo­sophe déter­mi­niste des stades de l’Histoire et de la lutte des classes). Ce cou­rant cri­tique ne dit en effet pas autre chose : dans une socié­té capi­ta­liste plei­ne­ment déve­lop­pée, la lutte des classes ne se déroule pas entre une caté­go­rie d’individus pro­prié­taires du capi­tal et une autre située en dehors du capi­tal. En réa­li­té, le capi­tal devient un rap­port social dans lequel tout le monde ou presque par­ti­cipe de la trans­for­ma­tion glo­bale du tra­vail en argent, puis en capi­tal accu­mu­lé. Si les rôles sont dif­fé­rents, il n’y a pas, aux yeux de Kurz par exemple7, de dif­fé­rence fon­da­men­tale entre les capi­ta­listes, que Marx appelle les « sous-offi­ciers » du capi­tal, et les ouvriers, qui trouvent éga­le­ment leur inté­rêt à la repro­duc­tion de ce sys­tème.

Si Landauer appelle les pro­lé­taires de son temps à res­ter cohé­rents dans leurs reven­di­ca­tions pour de plus hauts salaires, c’est qu’il y voit une contra­dic­tion rela­ti­ve­ment à la cri­tique du capi­ta­lisme. Encore une fois, la lutte pour de meilleurs reve­nus, autre­ment dit pour un par­tage plus équi­table de la survaleur8, est tout à fait légi­time à l’intérieur du capi­ta­lisme. Néanmoins, elle ne conduit pas au-delà, pour la simple et bonne rai­son que les ouvriers qui récla­me­raient d’être mieux trai­tés en tant que pro­duc­teurs se vole­raient eux-mêmes en tant que consom­ma­teurs : la hausse des salaires entraî­ne­rait un ren­ché­ris­se­ment du prix des mar­chan­dises. En réa­li­té, seule la com­bi­nai­son d’une pres­sion syn­di­cale pour aug­men­ter les salaires et de grou­pe­ments de consom­ma­teurs réunis en coopé­ra­tives serait en mesure de mettre en dif­fi­cul­té le sys­tème capi­ta­liste. Comme Kropotkine avant lui9 mais sur des bases concep­tuelles dif­fé­rentes, mar­quées notam­ment par la volon­té de réadap­ter les ins­ti­tu­tions prou­dho­niennes (banque d’échange, cré­dit gra­tuit) à son époque, Landauer pense l’économie depuis la consom­ma­tion. Les com­mu­nau­tés doivent se res­sai­sir du sens de leur tra­vail (car pour l’auteur il n’est pas de socia­lisme conce­vable sans tra­vail, au sens de « faire avec les mains »), et le faire en fonc­tion de leurs besoins. Dans cette mesure, le mou­ve­ment des coopé­ra­tives a éga­le­ment pour charge d’amorcer un tour­nant cultu­rel en ne « tra­vaillant plus pour l’inauthentique, pour le pro­fit et son mar­ché, mais pour le besoin humain authen­tique, et lorsque la rela­tion authen­tique et sous-jacente entre besoin et tra­vail, la rela­tion entre la faim et les mains, est réta­blie ».

On lais­se­ra au lec­teur le soin de décou­vrir sur tous ces points des pages denses et com­plexes. Deux points cru­ciaux méritent néan­moins d’être sou­li­gnés. Par ce chan­ge­ment d’accent depuis la pro­duc­tion vers la consom­ma­tion, Landauer est conduit à révi­ser fon­da­men­ta­le­ment le sens attri­bué à la notion de capi­tal. Cessant de se loger dans la seule sphère de la pro­duc­tion, le capi­tal s’étend à la cir­cu­la­tion et à la consom­ma­tion. Il devrait ain­si lui-même consti­tuer l’esprit au sein duquel le tra­vail prend sens, au lieu d’être mécom­pris sous la forme d’un fétiche, le « fétiche-argent ». Dire cela, c’est pour Landauer repla­cer au centre du socia­lisme la ques­tion de la pos­ses­sion de la terre, en sub­sti­tuant le tra­vail dans la joie sur une terre nôtre à la contrainte au tra­vail sur une terre acca­pa­rée par un pro­prié­taire. Affirmation fon­da­men­tale, qui montre com­bien l’économie ne sau­rait se sous­traire sans funestes consé­quences à son fon­de­ment phy­sique (aux mor­ceaux de nature phy­sique rete­nus et pos­sé­dés en com­mun), au risque de se trans­for­mer en pure spé­cu­la­tion abs­traite, dépen­dante de néants que l’on prend pour des choses. La lutte pour le socia­lisme est donc lutte pour le fon­cier. Autrement dit, en des termes qui réac­tivent l’opposition tra­di­tion­nelle entre anar­chisme et mar­xisme sur la ques­tion pay­sanne, la ques­tion sociale est pour Landauer une ques­tion agraire. Au slo­gan de la révo­lu­tion mexi­caine — qu’il suit avec inté­rêt — « Terre et Liberté », le révo­lu­tion­naire alle­mand ajoute sa vision cultu­relle : « Terre et Esprit ! » sera le cri de ral­lie­ment socia­liste.

Il est par ailleurs clair qu’en ren­ver­sant le sens de l’économie et en repar­tant de la néces­si­té de tra­vailler pour des besoins, on se situe dans une pers­pec­tive qui n’a plus rien de pro­gres­siste, si l’on admet comme Landauer que cette « pour­suite neu­ras­thé­nique et essouf­flée du nou­veau pour le nou­veau » que consti­tue le pro­grès est le plus sûr indice de l’inculture qui se répand. Le socia­lisme ain­si pré­sen­té gar­de­ra alors néces­sai­re­ment ses dis­tances à l’égard du déve­lop­pe­ment tech­nique ser­vant une pro­duc­tion de masse sans fin assi­gnable, et sur­tout en grande par­tie inutile. En de remar­quables pas­sages, l’auteur montre à quel point la ratio­na­li­té capi­ta­liste du « tou­jours plus » se confond avec une ratio­na­li­té tech­nique qui culmine en un mons­trueux « auto-engen­dre­ment » de la tech­nique (on ne peut que son­ger à Jacques Ellul à la lec­ture de ces lignes) — enser­rant tout autant les ouvriers que les capi­ta­listes dans sa logique absurde. En ce sens, il n’est pro­ba­ble­ment pas erro­né de voir en Landauer un ins­pi­ra­teur pos­sible pour les thèses les plus radi­cales du cou­rant de la décroissance10.

L’Appel au socia­lisme doit en défi­ni­tive être lu comme un appel à com­men­cer le socia­lisme ici et main­te­nant, à la mesure des pos­si­bi­li­tés de cha­cun, et après s’être assu­ré aupa­ra­vant de l’égale prise de conscience, chez tous les indi­vi­dus concer­nés, de la néces­si­té de rompre avec le déclin cultu­rel et l’esclavage éco­no­mique. Face à l’attentisme mar­xiste, se mani­feste donc un socia­lisme de la volon­té, dont Landauer n’ignore en rien les dif­fi­cul­tés de mise en œuvre, tout en ne renon­çant jamais à l’idéal de trans­for­ma­tion sociale. À ses yeux, le socia­lisme est tout à la fois pos­sible et impos­sible par­tout et en toute époque. Il res­te­ra dans tous les cas impos­sible sans une réso­lu­tion de faire séces­sion, sur le mode de l’expérimentation. Landauer, auteur révo­lu­tion­naire s’il en est, n’attend rien des révo­lu­tion­naires pro­fes­sion­nels. Ce ne sont pas les révo­lu­tion­naires qui font les révo­lu­tions, mais les situa­tions cri­tiques. Lorsque des ins­ti­tu­tions dénuées d’esprit se voient ren­dues à leur ina­ni­té, alors seule­ment se forment des natu­rels révo­lu­tion­naires. Ainsi le socia­lisme cultu­rel et com­mu­nau­taire de Landauer est-il fon­dé sur la for­ma­tion de com­mu­nau­tés par la sépa­ra­tion, où seront ména­gés de nou­veaux rap­ports humains à l’opposé des méca­nismes d’aliénation capi­ta­liste, du cen­tra­lisme poli­tique et de la bureau­cra­tie.

Les coopé­ra­tives de consom­ma­tion fédé­rées, les expé­riences de mon­naie fon­dante pro­mues par l’économiste Silvio Gesell (bâties sur le prin­cipe d’une déva­lua­tion de l’argent dès lors qu’il ne cir­cule pas, afin d’éviter thé­sau­ri­sa­tion et spé­cu­la­tion), les banques d’échange, la reprise de terres pos­sé­dées en com­mun afin de tra­vailler en fonc­tion des besoins, par la sym­biose entre acti­vi­té indus­trielle et acti­vi­té agri­cole : tout un registre d’expérimentations sociales est concrè­te­ment pré­sen­té dans le texte prin­ci­pal de l’Appel et les trois tracts qui le suivent, afin de don­ner forme à une éco­no­mie morale plu­tôt que pure­ment mar­chande. Autrement dit, à un nou­vel esprit social. On pour­ra néan­moins se deman­der com­ment de tels rap­ports, noués dans la sépa­ra­tion à petite échelle, pour­raient avoir valeur d’exemple et faire retour vers de plus larges com­mu­nau­tés. Comment pour­raient-ils deve­nir les pre­mières pierres d’une « com­mune de com­munes de com­munes » au lieu de s’achever dans un repli indi­vi­dua­liste, à l’image de cer­taines ten­dances sur­vi­va­listes de notre époque ?

C’est à ce point que joue à plein la dimen­sion mys­tique (pui­sée chez Maître Eckhart) et inac­tuelle (au sens où elle se meut à contre­temps et contre son temps) de la pen­sée de Landauer. Si les implan­ta­tions com­mu­nau­taires doivent revê­tir une valeur d’exemple et pro­cu­rer un savoir qui « trans­porte avec lui l’envie, la pas­sion et l’imitation », c’est parce qu’en son fond, lorsqu’il s’est déta­ché de la gangue des ins­ti­tu­tions décli­nantes et du rôle qu’il est cen­sé jouer en leur sein (un rôle de rouage), l’individu se ral­lie à la com­mu­nau­té elle-même : « À par­tir du carac­tère humain de l’individu, l’humanité reçoit son exis­tence authen­tique, tout comme le carac­tère humain de l’individu sin­gu­lier n’est que l’héritage des lignées infi­nies du pas­sé et de toutes leurs rela­tions réci­proques. » Ce qui signi­fie, selon un énième para­doxe tem­po­rel, que le socia­lisme à venir ne sera jamais que la reprise dans la dif­fé­rence d’institutions com­mu­nau­taires anciennes (les com­mu­nau­tés de foi jurée du Moyen Âge, l’obsh­chi­na russe, la marche vil­la­geoise alle­mande, l’all­mend suisse11), ces mêmes ins­ti­tu­tions que la concep­tion maté­ria­liste de l’Histoire a sans cesse reje­tées comme des mani­fes­ta­tions d’arriération, au lieu d’y trou­ver les « germes et les cris­taux de vie de la culture socia­liste qui vient ».

Habitants des villes ou des cam­pagnes, tra­vailleurs de l’industrie ou pay­sans, artistes et intel­lec­tuels : à toutes celles et ceux qui déses­pèrent de ce monde-ci et du peuple, l’Appel au socia­lisme conti­nue de s’a­dres­ser. Ce texte majeur oscille entre la des­truc­tion de toute illu­sion conso­lante et un élan joyeux vers l’idéal d’une liber­té réa­li­sée en com­mun. En cer­tains pas­sages pro­vo­ca­teurs (rédi­gés dans une langue bio­lo­gi­sante dou­teuse), Landauer assume, dès 1911, que, par rap­port à d’autres époques his­to­riques, « nous sommes le peuple de la déca­dence, au sein duquel les pion­niers et les pré­cur­seurs sont dégoû­tés de la vio­lence imbé­cile, de l’abandon et de l’isolement infa­mants des êtres humains sin­gu­liers ». Mais, dans le même temps, à ce pro­fond déses­poir social et cultu­rel se mêle l’enthousiasme le plus exal­té pour les com­men­ce­ments qui, tou­jours petits au début, auront valeur de pré­cur­seurs et met­tront le plus de gens pos­sible en mou­ve­ment afin de vivre un autre genre de vie. Typique de ce balan­ce­ment, un pas­sage du texte laisse entendre que le com­men­ce­ment de l’humanité mon­dia­li­sée auquel assiste le révo­lu­tion­naire alle­mand pour­rait aus­si bien signer sa fin. À l’heure où les dis­cours sur l’effondrement ont le vent en poupe et pro­posent, majo­ri­tai­re­ment, d’apprendre à mou­rir à l’ère de l’Anthropocène (comme l’exprime le titre du best-sel­ler outre-Atlantique du vété­ran de la guerre d’Irak Roy Scranton12, l’Appel au socia­lisme se pose là encore en via­tique : si effec­ti­ve­ment « aucune époque n’a eu plus dan­ge­reu­se­ment sous les yeux ce que l’on se plaît à appe­ler la fin du monde », alors, montre Landauer, il faut rétor­quer que « nous ne le savons pas et pour cette rai­son, nous savons que l’essai est notre tâche ».

Ce que le tra­duc­teur Jean-Christophe Angaut a résu­mé ain­si dans un article récent pré­sen­tant le socia­lisme cultu­rel et com­mu­nau­taire de Landauer : « Dire qu’il n’y a rien à attendre de l’Histoire, ce n’est pas seule­ment révo­quer la ten­ta­tion de s’en remettre à l’Histoire, c’est aus­si ne pas abdi­quer devant le catas­tro­phisme ambiant13. »

Notes:

  1. que les édi­tions La Lenteur ont excel­lem­ment accom­pli à l’aide du tra­vail de Jean-Christophe Angaut et Anatole Lucet, assis­tés par Aurélien Berlan.↑
  2. Anatole Lucet, Communauté et Révolution chez Gustav Landauer, ENS de Lyon, 2018.↑
  3. On dis­po­sait ain­si, chez Sulliver, de l’essai La Révolution (1907) et de deux recueils parus aux édi­tions du Sandre, La Communauté par le retrait et Un appel aux poètes — ces der­niers ayant le mérite d’exister en dépit d’une tra­duc­tion très approxi­ma­tive. Surtout, récem­ment, un regain d’intérêt pour le par­cours et l’œuvre de Landauer s’est mani­fes­té par la paru­tion de l’excellent volume Gustav Landauer, un anar­chiste de l’envers, coédi­té en 2018 par les édi­tions de l’Éclat et la revue À contre­temps, qui mêlait études sur Landauer et tra­duc­tions ori­gi­nales magis­tra­le­ment menées par Gaël Cheptou.↑
  4. Un texte repro­duit en fin de volume dans la pré­sente édi­tion.↑
  5. Ce qu’avaient du reste déjà vu Matthieu Amiech et Julien Mattern lorsqu’ils écri­vaient en 2004 Le Cauchemar de Don Quichotte : un livre qui, dans ses grandes lignes, n’a mal­heu­reu­se­ment pas pris une ride.↑
  6. La cri­tique de la valeur, ou wert­kri­tik, entend aller au-delà de Marx en ce qui concerne la cri­tique de l’é­co­no­mie capi­ta­liste. Ce cou­rant consi­dère le capi­ta­lisme non plus seule­ment comme un rap­port social mais comme « une forme his­to­rique de féti­chisme ». L’acteur cen­tral du capi­ta­lisme y est le capi­tal lui-même (et non le pro­lé­ta­riat ou la bour­geoi­sie), que nos rap­ports sociaux ali­mentent. Il importe dès lors non plus de libé­rer le tra­vail du capi­tal, tenu pour un « fait social total », mais de se libé­rer du tra­vail [ndlr].↑
  7. Voir la tra­duc­tion récente de La Substance du capi­tal, L’Échappée, 2019.↑
  8. Ou plus-value [ndlr].↑
  9. Voir Pierre Kropotkine, Agissez par vous-mêmes, Nada, 2019.↑
  10. Voir le texte de pré­sen­ta­tion sur Landauer rédi­gé dans cette pers­pec­tive par Anatole Lucet, dans l’ouvrage Aux ori­gines de la décrois­sance, L’Échappée, Le pas de côté, Écosociété, 2017.↑
  11. Un « all­mend » désigne, pour la Suisse, une terre com­mu­nale, exploi­tée col­lec­ti­ve­ment par des pay­sans [Ndlr].↑
  12. Learning to Die in the Anthropocene : Reflections on the End of a Civilization, City Lights Publishers, 2016.↑
  13. Jean-Christophe Angaut, « Le socia­lisme cultu­rel et com­mu­nau­taire de Gustav Landauer », Actuel Marx, n° 66, août 2019, p. 114.↑

 

Gustav Landauer sur Résistance 71 :

Gustav Landauer et la société organique

= = =

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 


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Changement de paradigme politique : « Appel au socialisme » de Gustav Landauer enfin traduit de l’allemand, à lire et diffuser sans modération…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, démocratie participative, gilets jaunes, militantisme alternatif, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 22 novembre 2019 by Résistance 71

Le livre cité dans cet entretien de décembre 2018, « Appel au socialisme » de Gustav Landauer (1ère édition 1911), est maintenant disponible au public francophone. Il y a plusieurs années, nous avions traduit de larges extraits de ce texte, mais nous l’avions fait depuis sa version anglaise. Jean-Christophe Angaut et Anatole Lucet, tous deux de Normale Sup Lyon, l’ont fait quant à eux de la meilleure manière qui soit: depuis la version originale allemande.
Notre motivation à rendre accessible ce grand texte de Landauer au public francophone provient du fait que nous pensons tout simplement qu’il est sans aucun doute un des textes politiques les plus importants à connaître et divulguer pour emprunter le véritable chemin de l’émancipation politico-sociale définitive. Nous nous sommes beaucoup inspirés de la pensée de Landauer, grand penseur et acteur politique du XXème siècle et notre « Manifeste pour la société des sociétés » (2017) lui rend un hommage non voilé.
Nous conseillons grandement la lecture complète de cet ouvrage incontournable et remercions Angaut et Lucet d’avoir entrepris cette œuvre essentielle pour le bien commun. Puisse la pensée de Landauer influencer le plus de gens possibles en cette période Gilets Jaunes.
~ Résistance 71 ~

 


« Appel au socialisme »
en français

 

Gustav Landauer et l’esprit du socialisme

 

Entretien avec les traducteurs d’”Appel au socialisme”, 1911

Pages de Gauche

 

Décembre 2018

 

Source:

https://pagesdegauche.ch/entretien-landauer-et-lesprit-du-socialisme%EF%BB%BF/

 

Peu connue des francophones, la pensée de l’anarchiste allemand Gustav Landauer mérite d’être redécouverte par celles et ceux qui ne conçoivent pas que le socialisme puisse advenir autrement que « par en bas ». Entretien avec Jean-Christophe Angaut et Anatole Lucet, auteurs d’une nouvelle traduction de son Appel au socialisme à paraître prochainement aux éditions de La lenteur.

Quel a été le parcours de Gustav Landauer ?

La vie de Gustav Landauer (1870-1919) est exactement contemporaine de l’Empire allemand. Issu d’une famille de commerçants juifs non pratiquants du Sud de l’Allemagne, il s’insurge dès l’adolescence contre une société bourgeoise sclérosée, étroite d’esprit et empreinte de logiques marchandes froidement calculatrices. Cette insurrection de l’esprit se transforme vite chez lui en un activisme politique effréné : après des études de philologie et de philosophie, il découvre le socialisme lors de son arrivée à Berlin. Âgé d’à peine vingt ans, il prend fait et cause pour un socialisme libertaire et s’engage auprès de ceux qui contestent le socialisme d’État prôné par le principal parti marxiste d’Europe : le Parti social-démocrate allemand (SPD).

En quelques années, Landauer est considéré par la police comme « l’agitateur le plus important du mouvement révolutionnaire radical en Allemagne ». Condamné à plusieurs séjours en prison du fait de son activité subversive, il est banni des universités. Son activité intellectuelle se déploie alors dans la somme d’articles qu’il rédige dans la presse anarchiste de son temps, notamment dans le journal Der Sozialist dont il prend rapidement la direction. Tout en participant aux Congrès socialistes internationaux et en prenant part aux grands mouvements de grève de cette époque, Landauer s’associe à la création d’un théâtre populaire (la « Neue freie Volksbühne ») et de la première coopérative de consommateurs berlinoise en 1895.

L’un de traits constants de son activité consiste à faire émerger chez ses contemporains cet « esprit » de solidarité qu’il conçoit comme le ressort de la communauté humaine et qui est mis à mal dans la période d’atomisation qu’il traverse et les succès d’une conception matérialiste du monde et de l’histoire.

Dépité par le peu de succès que rencontrent ses initiatives, il renonce à la fin des années 1890 à cette première phase d’activisme, et se concentre – notamment lors d’un autre séjour en prison – sur des travaux de traduction. Il traduit des anarchistes (Kropotkine, Proudhon, Bakounine, Reclus) mais aussi La Boétie, Oscar Wilde ou le mystique maître Eckhart. Il cherche dans les divers textes qu’il étudie cet appel à la communauté, indirect et profond, qui contribuera à modeler son « socialisme culturel » au cours des années suivantes. En 1907, lorsque paraît son ouvrage La révolution, Landauer œuvre à la fondation de l’Alliance socialiste (sozialistischer Bund), une fédération de groupes autonomes dont la vocation est de poser les premières bases de cette « société des sociétés » à laquelle il aspire. Modèle horizontal et décentralisé, la fédération se rassemble autour du journal Der Sozialist. Lors de son apogée, elle comprend une quinzaine de groupes de dix à vingt membres chacun.

En raison de son hostilité à la politique comme quelque chose mis en œuvre par l’État ou en vue de conquérir le pouvoir d’État, Landauer a qualifié sa propre activité d’ « antipolitique ». Il n’en est pas moins resté un activiste invétéré de la communauté, tâchant à travers toutes ses réalisations de faire naître chez ses contemporains cette aspiration effective à la création de nouveaux rapports.

Comment Landauer envisage-t-il le socialisme ?

Dès ses premiers écrits, Landauer se réclame du socialisme autant que de l’anarchisme (terme auquel il reproche cependant « sa négativité et de son équivocité particulièrement forte »), notions qu’il emploie comme des synonymes. Il rejette autant le socialisme du SPD (qui lutte pour conquérir des électeurs et attend l’effondrement du capitalisme sous l’effet de ses contradictions internes) que la « stratégie des attentats » brièvement adoptée par quelques anarchistes à cette époque. À une compréhension limitée de la « propagande par le fait », il substitue un « socialisme de réalisation » et de commencements. Landauer pense que « le socialisme n’adviendra pas du tout si vous ne le créez pas ». D’où l’idée de commencer, ici et maintenant, à créer de nouveaux rapports entre les êtres humains au sein de petites communes qu’il conçoit comme autant de cellules et de préfigurations du socialisme.

Comment définir cet « esprit de justice » dont Landauer fait découler le processus révolutionnaire ?

Contrairement aux théoriciens marxistes de son époque, Landauer ne pense pas qu’il soit nécessaire d’attendre que « les conditions soient mûres » pour qu’advienne une révolution, ni que celle-ci doive être mise en œuvre par le prolétariat industriel. Il faut en revanche qu’un nombre suffisant d’êtres humains se rassemble autour d’une aspiration commune à créer de nouveaux rapports sociaux, à remplacer les vieilles appartenances sclérosées par des liens plus authentiques, parce que directement nourris par leurs volontés respectives d’habiter le monde ensemble. Il donne le nom d’ « esprit (Geist) » à cette aspiration, présente en chacun, à faire communauté. Mais dans une période comme celle qu’il traverse, marquée par le règne de la séparation, l’esprit est comme sclérosé et étouffé par une multitude de structures fossiles qui font tenir les êtres humains d’une manière artificielle et les empêche de reconstruire de nouveaux rapports (l’État est par excellence l’un de ces substituts de l’esprit). Il faut alors compter sur la voix de ceux qui sentent encore en eux l’esprit de communauté pour le faire resurgir chez les autres, par leur parole et par leur exemple en montrant que d’autres rapports sont possibles et désirables.

Pourquoi traduire Landauer aujourd’hui ? Quelle actualité sa pensée garde-t-elle cent ans après sa mort ?

Il s’agit d’abord pour nous de rendre justice à cette figure centrale de la vie intellectuelle allemande, qu’on résume trop souvent à son martyre lors de l’écrasement de la République des conseils de Bavière en 1919 (il fut assassiné par les mêmes corps-francs qui avaient mis à mort Rosa Luxembourg). Cette focalisation sur les derniers instants de sa vie et sur sa participation à un éphémère gouvernement révolutionnaire (que certains ont vue comme un renoncement) a conduit à négliger cet Appel au socialisme qui est la justification théorique principale de son engagement. Il s’agit d’un texte important pour les critiques qu’il formule du socialisme et du marxisme de son époque, mais aussi pour les propositions qu’il avance.

Notre contexte n’est évidemment plus celui de ce texte publié en 1911. Néanmoins, qu’il s’agisse des mouvements de réappropriation d’espaces mobilisés par de « grands projets inutiles et imposés », de la grande vague de « retour au local » et de la recherche de nouveaux rapports de proximité, des contestations actuelles de la mécanisation du monde et de sa rationalisation par l’emprise croissante de la technologie, ces défis de notre temps résonnent avec sa réflexion. De même, son œuvre peut nous inspirer pour comprendre les prétendus « replis communautaires », ou pour donner un sens positif aux manifestations de défiance vis-à-vis des grandes institutions politiques et économiques de notre époque.Traduire ce texte majeur de Landauer, c’est donner accès à un auteur encore peu connu et dont la pensée peut nourrir les luttes du jour. Nous aurons l’occasion d’en reparler à l’occasion du colloque international que nous organisons à Lyon du 6 au 8 juin 2019, et aussi de la parution prochaine de cette traduction aux éditions La Lenteur.

Note de R71: Le livre est maintenant disponible. Voir ici

 


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Lecture complémentaire:

vie_et_oeuvre_gustav_landauer