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Anarchie, pouvoir et état : une vision post-moderne (Giorgio Agamben)

Posted in actualité, politique et social, politique française, militantisme alternatif, altermondialisme, autogestion, résistance politique, terrorisme d'état, pédagogie libération, société des sociétés with tags , , , , , on 21 mars 2023 by Résistance 71

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“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

De l’anarchie aujourd’hui

Giorgio Agamben

2023

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Si, pour les penseurs politiques, l’anarchie n’a jamais cessé d’être pertinente, considérant le fait qu’elle constitue le point de focale extrême, le point de fuite, cela l’est en plus aujourd’hui au vu de la persécution injuste et vicieuse à laquelle les anarchistes sont soumis dans le système carcéral italien. Mais, parler de l’anarchie comme on a du le faire sur le plan de la loi implique nécessairement un paradoxe, car il est contradictoire, c’est le moins que l’on puisse dire, de demander que l’État reconnaisse le droit de nier et de refuser l’État, tout comme si le droit de résistance devait être mené à ses conclusions ultimes, on ne peut pas raisonnablement demander que la possibilité de la guerre civile soit légalement protégée.

Pour penser à l’anarchie de nos jours, il est préférable de nous situer dans une perspective complètement différente et plutôt questionner la façon dont Engels la concevait lorsqu’il reprochait aux anarchistes de vouloir substituer une administration à l’État. Dans cette accusation réside un problème politique décisif, un problème que les marxistes sans aucun doute et peut-être même les anarchistes eux-mêmes, n’ont pas posé correctement. Un problème des plus urgents considérant que nous sommes confrontés aujourd’hui à une tentative de comprendre, de manière parodique, ce qu’était pour Engels le but avoué de l’anarchie, c’est à dire pas simplement la simple substitution d’une administration pour l’État, mais plutôt l’identification de l’État et de l’administration en un type de Léviathan qui assume et porte le masque bon enfant de l’administrateur.

C’est ce que Sunstein et Vermeulen théorisent dans leur livre “La loi et le Léviathan, sauver l’état administrateur”, où la gouvernance, l’exercice du gouvernement, excédant et contaminant les pouvoirs traditionnels (législatif, exécutif et judiciaire), met en pratique maintenant, au nom de l’administration et de manière discrétionnaire, les fonctions et pouvoirs qui lui appartenaient auparavant.

Qu’est-ce que l’administration ? Un “ministère”, minister, duquel ce terme dérive, est un serviteur ou un aide, en opposition à “magister”, le maître, le détenteur du pouvoir. Le mot provient de la racine “men” qui veut dire diminution et petitesse. L’idée de l’anarchie consisterait, selon Engels, en la tentative de penser à un minister sans magister, un serviteur sans maître. Sans aucun doute une tentative intéressante dans la mesure où il peut être tactiquement avantageux de jouer au serviteur contre le maître, le moindre contre le plus et de penser à une société dans laquelle tous seraient des ministères et personne des magisters ou leaders. Dans un sens, c’est ce qu’a fait Hegel, montrant dans sa tristement célèbre dialectique, que le serviteur termine par dominer le maître. Mais il est indéniable que les deux figures clefs de la politique occidentale demeurent de cette façon liées l’une à l’autre dans une relation perpétuelle, une de celles dont il est impossible de se débarrasser une fois pour toute.

Pour qu’une idée radicale de l’anarchie émerge de l’incessante dialectique du maître et de l’esclave, minister et magister, elle ne peut se situer résolument que dans l’intervalle qui les divise. Le tertium qui apparaît dans cet intervalle ne sera plus administration ou état, ni minus ni magis : il demeurera plutôt entre eux comme une réminiscence, exprimant l’impossibilité de leur coïncidence. Ainsi, l’anarchie est avant toute chose le déni radical pas tant de l’état ou simplement de l’administration mais plutôt de l’affirmation du pouvoir pour faire coïncider l’État et l’administration dans le gouvernement des humains. C’est contre cette affirmation que les anarchistes luttent, au nom finalement de l’ingouvernable, qui est le point de fuite de toute communauté parmi les hommes.

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Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

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