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De l’antagonisme à la complémentarité : Nietzsche et la tradition anarchiste 7ème partie « créer une humanité s’auto-dépassant » avec « Nietzsche le fou » (Hakim Bey)

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FN1a

2ème partie

1ère partie

3ème partie

4ème partie

5ème partie

6ème partie

7ème partie

Nietzsche le fou

Peter Lamborn Wilson (alias Hakim Bey)

Extrait du livre “I am not a man, I am dynamite”, 2004, compilé par John Moore

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Septembre 2021

Turin, January 4, 1889

[A Peter Gast:]

A mon maëstro Pietro, 

Chante-moi une nouvelle chanson : le monde est transformé et les cieux sont emplis de joie.

—Le Crucifié

Ceci est une des dernières folles lettres de Nietzsche, écrite après son effondrement mental de Turin, début janvier 1889, mais avant sa réclusion finale dans le silence. Sa lettre à Overbeck (dans laquelle il dit avoir ordonné “que tous les antisémites soient abattus”) est signée Dionysos ; et une autre à Cosima Wagner (qu’il n’a jamais cessé d’aimer) fut signée “Dionysos et le crucifié”. Il apparaît que la descente de Nietzsche dans la folie prit la forme d’une manie religieuse dans laquelle il tenta de réconcilier Dionysos et le Christ en devenant ces personnages. Dans une lettre à Burckhardt il dit : “Je suis le dieu qui a fait cette caricature”.

Que l’effondrement psychologique de Nietzsche ait été causé par la syphilis ou par l’insoutenable poids de sa pensée, les dernières lettres ne furent en rien des gribouillis insensés. La synthèse de Dionysos et du Christ représente une sortie du conflit entre Dionysos et Apollon qu’il explora d’abord en 1872 dans sa “Naissance de la tragédie” et qu’il amena à une note culminante avec son “Antéchrist” de 1888, qui dans un sens met en conflit Dionysos contre le Crucifié et aussi contre la raison en une fonction apollinienne. Il n’était pas spécifiquement “fou” de la part de Nietzsche de croire qu’il pourrait “dépasser” une telle dichotomie dans la forme d’une unification plus haute. Il avait déjà donné un sens religieux à sa philosophie dans son œuvre phare “Ainsi parlait Zarathoustra” (1882-85) ; une des solutions au problème de la mort de dieu est de devenir dieu. Le mythe de l’éternel retour constitue quelque part une déception théologique dans le contexte zarathoustrien, à cause de sa configuration statique. Il résout la crise stoïque / existentialiste, mais pas le problème de volonté et de devenir.

Éparpillé au gré des notes non-collectées de Nietzsche pour son dernier ouvrage “La volonté de puissance” (NdT: qui rappelons-le n’a jamais été fini par Nietzsche, encore moins publié. C’est sa sœur Elisabeth, qui collecta quelques écrits et finît le livre comme bon lui semblait en accord avec son idéologie propre s’avérant pro-nazie. “La volonté de puissance” n’est pas une œuvre de Nietzsche, mais une usurpation qui a sans aucun doute beaucoup contribué à la mauvaise interprétation de sa philosophie… La sœur de Nietzsche fut à la fois l’amie et la protectrice de sa pensée mais aussi à bien des égards sa pire ennemie), nous pouvons détecter la proposition pour une religion matérialiste ayant un potentiel dynamique. La brillante analyse scientifique de Nietzsche de la différence entre “survie” et “expression” écarte d’un réductionnisme déterministe vers un principe spirituel inhérent à ou identique à la Nature, la volonté d’expression, de puissance, que Nietzsche identifie à la créativité et au désir. On trouve aussi ici la tentative de Nietzsche de dépasser l’aliénation de l’individu dans le social, avec la découverte d’un principe de communitas. Même les notes étranges sur la mixité raciale comme solution au problème social peuvent être vues en une lumière “religieuse”, comme une proposition pour la création délibérée d’une humanité s’auto-dépassant (übermensch, le surhumain) au travers du désir et de la synthèse, presque un concept messianique.

Une coïncidence dionysiaque / chrétienne est parfaitement sensée sur un plan historique et philologique, comme Nietzsche l’a certainement su. Si le christianisme primordial doit tout à l’hellénisme, cela provint de sources orphiques / dionysiaques et même dans le symbole basique du vin, une identité peut-être tracée entre les deux sauveurs rivaux. Les aspects néo-platoniciens d’une telle synthèse aurait eu peu d’attirance pour Nietzsche j’imagine, mais les images de la transcendance, de l’extase, de la supra-rationalité et de la violence commune aux deux traditions l’auraient certainement intrigué. Les thèmes de l’immortalité et de la morale auraient été moins utiles à son projet que les thèmes plus immédiats de “royaume de ce monde” et d’enthéogénèse, de “naissance du dieu intérieur” (NdT: en cela très proche du concept d’illumination bouddhiste, du taoïsme, du nirvana ou du satori zen)

Si nous n’avons pas trop lu et trop sur-interprété les dernières folles lettres, il apparaîtrait que le prophète de la mort de dieu était en train d’être infusé par le divin., peut-être même en train de fonder une nouvelle religion. Qu’est-il donc advenu de ce penseur qui avait promis de construire son projet sur “rien” ? Il serait facile de dire que l’impossibilité d’un tel projet a fini par le conduire à la folie, mais dans ce cas nous devrions condamner à la fois son point de départ (“rien”) et son point d’arrivée (“religion”). Un tel jugement revient à dire que Nietzsche a toujours été fou. Nous devrions examiner d’autres hypothèses.

Nietzsche a dit du bien de l’islam, l’interprétant (et parfois en l’interprétant mal) en accord avec la tradition de la libre pensée, comme une sorte d’anti-christianité héroïque. bien qu’il critiqua le judaïsme en tant que source du christianisme, il loua aussi grandement ses éléments si évidemment “païens”, en partie pour énerver les antisémites, mais aussi avec une sincérité évidente. En cela, Nietzsche peut être comparé avec un déiste de la première heure comme John Toland, ayant ses racines dans un occultisme hérétique (Giordano Bruno), le panthéisme, la libre pensée maçonnique et l’anti-cléricalisme, plutôt qu’avec des philosophes rationalistes / athéistes / matérialistes plus tardifs. Toland admirait également l’islam et le judaïsme (et les druides païens !…). Le “Zarathoustra” de Nietzsche appartient en fait à cette vieille tradition de la Renaissance plutôt que de toute connaissance de l’actuel zoroastrianisme. En tout cas, il est clair qu’il n’était pas “contre la religion” au sens vulgaire du terme ; sa dialectique était bien plus complexe.

Le “rien” de Nietzsche constitue l’avancée définitive dans un univers sans réalisation de potentiel. Jusqu’à ce point nous avons de la métaphysique ; après cela non. Dans un sens nous avons maintenant de la physique dans laquelle l’expression prime sur la conscience. Mais dans un autre sens, il n’est pas du tout clair que la disparition de toute réalisation de potentiel doit être considéré comme “impossible” (ou n’être qu’un épiphénomène de la matière). Est-il possible que l’expression de la vie elle-même ait créé un sens, ou que cela puisse même être considéré comme un sens ? Et sommes-nous autorisés d’imaginer une conscience en harmonie avec son sens émergent, dénuée de dieu mais (pour des raisons pratiques) devenant elle-même le divin ?

Nietzsche est toujours et partout prêt à porter l’énorme et horrible poids du nihilisme, jamais il n’invoque un deus ex machina. Mais pour construire un projet sur rien cela ne nécessite pas de le finir avec rien. Il parle d’abord d ‘ “illusions nécessaires” par lesquelles la vie exprime sa volonté de puissance. Mais la tragédie personnelle de Nietzsche survint de sa propre incapacité à embrasser ces illusions (amitié, amour, la puissance elle-même). Sa philosophie demande une position anti-pessimiste, un “Oui à la vie”, mais il ne put pas localiser cela en psychologie ni en métaphysique. Sa pensée demandait une véritable transcendance et pas seulement un bond existentiel dans l’engagement. Il rechercha ce principe dans le dépassement et dans celui de l’éternel retour, une sorte d’absolu. Finalement, je pense, il dut faire face au problème du scepticisme.

Le Dionysos qu’il avait approché (et le Christ auquel il avait reproché) finalement prit si souvent “deux pas vers lui” (comme disent les soufis) ; il reçût l’expérience de la transcendance déjà implicite dans son “Antéchrist” dans la forme explicite d’un matérialisme spirituel, un mysticisme de la vie en auto-expression en tant que mystère. Et cela le tua quelque part.

Au bout du compte, il semblerait qu’on ne puisse dépasser la religion que par la religion, peut-être dans une sorte de processus simultané de suppression/dépassement dans un sens néo-hégélien du terme Aufhebung (NdT: qui chez Hegel représente un dépassement d’une contradiction dialectique en une synthèse conciliatrice des antagonismes. Ce terme est très complexe en allemand et ne peut pas être traduit par un seul mot en français, il en va de même pour le terme si galvaudé utilisé par Nietzsche : “übermensch”, qui n’est pas un “surhomme” au sens d’un “superman”, le terme “Mensch” en allemand implique la notion d’humanité. “Menschlichkeit” est l’humanité, “übermensh” est plus un “surhumain” qu’un “surhomme”. Le terme implique la notion de dépassement de l’humain. L’Übermensch est au-delà de l’humain, par delà le bien et le mal dictés par notre décadence morale. Le surhumain est une “transmutation de toutes les valeurs” vers notre racine profonde. Le surhumain nietzschéen n’est pas l’avènement d’une “race supérieure”, mais le résultat d’une transformation sociale de toutes nos valeurs pour nous faire accéder au détachement, au lâcher-prise total et donc à l’aboutissement de notre humanité tant au plan individuel que par rayonnement, collectif…) Cette image est en relation avec le terme alchimique de sublimatio, dans lequel une substance disparaît (ou est dépassée) à un niveau pour réapparaître à un plus haut niveau sous une forme différente. Dans la mesure où un programme peut-être détecté dans les dernières folles lettres de Nietzsche, c’est de cela qu’il s’agit.

Un rejet de la religion basé sur l’expérience (du “rien”) sera infusé avec ce à quoi il s’oppose si le Rien soudainement apparaît comme vide dynamique ou comme Tao dans le sens chinois de ce terme. (Quel dommage que Nietzsche contrairement à Oscar Wilde, n’ait jamais lu Tchouang Tseu). Au-delà de la dichotomie entre l’esprit et la matière proposé par les religions et philosophies occidentales, il persiste quelque chose au sujet duquel rien ne peut être dit, un rien qui n’est ni esprit, ni matière.

La conscience dans un sens forme une barrière contre l’expérience positive de ce vide dynamique (ou “chaos”), mais en un autre sens (paradoxal), elle peut être accordée au Tao et même parler de son point de vue. Dans l’harmonie agnostique de Dionysos et du Crucifié se trouve une expérience dramatisée d’une telle dialectique taoïste. Dans un sens, Nietzsche était le premier nietzschéen, le premier converti à sa propre religion, les textes des lettres sanctifient ce moment et insistent sur sa capacité destructrice. Nietzsche a échoué à survivre sa plus authentique expression (en tout cas finale). “devenir dieu” n’est pas tout à fait la même chose qu’atteindre le Tao (ou peut-être l’est-ce puisque les taoïstes sont aussi dit être “fous”…). en tous les cas, la solution de Nietzsche semble avoir fait long-feu. Ou peut-être pas après tout, nous ne devrions pas fétichiser sa folie, qui a bien pu être purement physiologique et non pas morale. Peut-être que si Nietzsche avait vécu plus longtemps (autrement que sous la forme d’un légume dans les dernières années de sa vie), il aurait sans doute trouvé la solution. Mais sommes-nous maudits au point de devoir réussir là où il a échoué ?

Il est possible de croire que la religion est simplement une illusion infantile et que l’humanité va la dépasser, comme ce fut prédit par tous les grands matérialistes du XIXème siècle, Nietzsche inclus. Ce concept évolutionniste de la conscience humaine quoi qu’il en soit, peut-être questionné (aussi sur une base nietzschéenne). Et nous pourrions dire que la “religion” représente une actualité récurrente et émergente dans la conscience, qui ne peut pas être effacée mais plutôt seulement transformée. Les transformations sont inévitables, mais pas toujours déterministes par nature. La “volonté” joue un rôle, peut-être pas de causalité, mais elle est co-créatirice. La religion retourne, mais peut-être pas toujours comme la même chose (même les cycles récurrents spiralent). Du point de vue de l’histoire, la religion refuse de partir. Une hostilité envers ce processus est sans doute futile ; tenter de transformer sera plus judicieux et constructif. Cette tentative nécessiterait une certaine dose d’identité avec le processus en lui-même, ainsi donc l’apparence de Dionysos / Christ en 1889.

En regard de tout ce que nous avons appris au sujet de l’histoire des religions depuis la fin du XIXème siècle, nous pourrions suggérer bien de ces coïncidences, certaines peut-être même plus précises et efficaces que celles de Nietzsche. Quoi qu’il en soit, nous devrions hésiter à proposer un culte (toujours dangereux de s’aventurer sur ce terrain avec Nietzsche, qui était après tout un prophète). Quoi qu’il en soit je pense que quelqu’un pourrait au moins prendre sérieusement le projet de Nietzsche, malgré son apparence au moment même de sa “crucifixion” En tant que théologien, Nietzsche a la distinction de proposer une religion honnêtement fondée sur “rien”, sur ce même “rien”, qui est devenu notre propre monde théologique aux XIXème et XXème siècles. Au fond matériel si on peut dire. Le fond sans roches.

Nietzsche s’est signé “Nietzsche” dans ses lettres à Burckhardt, mais parle comme si divinement infusé : “Ce qui est désagréable et offense ma modestie est qu’au fond, je suit tout nom dans l’histoire… Je considère avec une certaine méfiance si ce n’est pas le cas que tout ce qui vient dans le royaume de dieu vient aussi de dieu… Cher professeur, vous devriez voir cet édifice : comme je ne suis pas du tout expérimenté dans les choses que je crée, vous avez droit à toute critique ; je suis reconnaissant sans être capable de promettre que je profiterai. Nous les artistes sommes incorrigibles.” Certainement une moquerie de dieu en ces paroles, matériel adéquat pour une liturgie.

Nous avons déjà imaginé le pire des résultats d’un culte du Dionysos / Crucifié  la possibilité que ceci ait conduit Nietzsche à la folie. Au delà de cet abysse particulier (si semblable à l’Abyssinie de Rimbaud), nous pouvons considérer les cas de quelques possibilités utopiques (tout en gardant à l’esprit que nous prenons le modèle Dionysos / Crucifié comme étant inspirateur plutôt que dogmatique). Les avantages d’un Nietzsche théologien furent explorés par le bref mais populaire, maintenant oublié “dieu est mort”, école de la théologie chrétienne, qui a eu quelques idées intéressantes, particulièrement dans le domaine de l’éthique. Parlant généralement, le modèle Dionysos / Crucifié comme enthéogénique est une religion “sans autorité”, radicalement antinomique, quelque part comme Toland envisionnait sa “renaissance druidique”, une foi pour les hommes libres. Et comme dans le panthéisme de Toland (il a introduit ce mot dans la langue anglaise), cela envisage le microcosme comme à la fois plein emblème et substance complète du macrocosme, immanence et transcendance.

Ceci explique le paganisme de Toland et de Nietzsche, leur tendance à accepter une diffraction infinie de la lumière divine, tout centre “comme le centre” (et ceci est le signe d’un hellénisme tardif que les deux penseurs partagent). Toland en imaginant le druide et Nietzsche en parlant du “rhapsodiste primitif”, ont déjà eu l’intuition d’une théorie du shamanisme comme une religion sans séparation, fondée sur l’expérience plutôt que sur l’autorité, une sorte d’auto-sanctification théologique. Le shamanisme est souvent fondé sur des pratiques enthéogéniques impliquant des plantes secrètes, qui (en combinaison avec un rituel valorisateur), fournit un sacrement efficace ou une démocratie de l’illumination.

L’école du “dieu est mort” a fait remarquer les conséquences logiques d’une situation de crise (la mort de dieu) en une éthique de situation. En termes traditionnels soufis on peut parler d’une éthique basée sur l’imagination, la Volonté et le risque, plutôt que sur une moralité catégorielle. Et là où il y a une éthique, il y aura une politique, ancrée dans le principe de l’élévation de l’humain au delà de tous les principes de base. De plus, la conscience agoniste du modèle Dionysos / Crucifié la prédestine au rôle antagoniste dans l’histoire millénaire, la religion comme révolution. Seulement dans la lutte peut le modèle Dionysos / Crucifié en venir à saturer sa propre identité, une saturation qui pointe directement au social (ou à l’harmonie comme Fourier l’appelait), pour la réalisation des désirs utopiques. En bref, alors que le Capital triomphe sur le Social comme contre toutes les spiritualités, la spiritualité elle-même se retrouve réalignée avec la révolution.

L’argent comme forme finale de la norme (l’ultime solide platonicien) a bougé en une étape gnostique numismatique dans laquelle 90% de tout l’argent ne réfère qu’à un autre argent, le solide est en fait une bulle mondiale. L’argent est totalement spiritualisé et retient tout le pouvoir du monde, quelque chose que même dieu n’a pas pu accomplir. La religion n’a maintenant plus aucune utilité pour le capital excepté d’être une maison de stockage d’images de la commodification et de la consommation. Sans une telle situation, la “religion” telle que nous la voyons ne peut que capituler ou résister, il n’y a pas de troisième voie.

La révolte de la religion pourrait bien prendre la forme d’une révolution conservatrice et ce danger doit être considéré dans tout imaginaire fondé sur une théologie nietzschéenne. Communitas peut virer en une communion extatique et le culte prométhéen de l’ego (cartésien). Mais il y a toujours eu des nietzschéens de gauche et je n’ai pas besoin de répéter leurs arguments, Nietzsche lui-même incendia de manière moqueuse ceux qui croient qu’ “au-delà du bien et du mal” veut dire de faire le mal. La liberté réside dans les ambigüités.

A Turin en 1889, Nietzsche vit un cocher fouetter violemment son cheval. Il se précipita et enlaça l’animal pour le protéger de son corps, puis il perdit connaissance. (NdT: ce qui est connu sous le vocable de “l’incident de Turin”…) Lorsqu’il reprit connaissance, il écrivit les dernières folles lettres. Ces images absurdes ont le pur pouvoir surréaliste d’un moment messianique, parfaitement adéquat pour des vitraux post-millénaire ou “un autel du livre”. La modernité récurrente de Nietzsche le révèle comme un prophète, un saint. Et en tant qu’écriture moderne, les dernières lettres de Nietzsche se devaient bien sur d’être folles.

—NYC, November 1996

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lI n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

JZ3
Ex nihilo nihil est…

Au sujet de l’organisation (morale et mensongère) d’une meilleure humanité… (Friedrich Nietzsche)

Posted in actualité, altermondialisme, pédagogie libération, philosophie, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , on 29 janvier 2020 by Résistance 71

 

 

Ceux qui veulent rendre l’humanité “meilleure”

 

Friedrich Nietzsche

7ème chapitre du “Crépuscule des idoles”, 1888

 

1.

On sait ce que j’exige du philosophe : de se placer par-delà le bien et le mal, — de placer au-dessous de lui l’illusion du jugement moral. Cette exigence est le résultat d’un examen que j’ai formulé pour la première fois : je suis arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas du tout de faits moraux. Le jugement moral a cela en commun avec le jugement religieux de croire à des réalités qui n’en sont pas. La morale n’est qu’une interprétation de certains phénomènes, mais une fausse interprétation. Le jugement moral appartient, tout comme le jugement religieux, à un degré de l’ignorance, où la notion de la réalité, la distinction entre le réel et l’imaginaire n’existent même pas encore : en sorte que, sur un pareil degré, la « vérité » ne fait que désigner des choses que nous appelons aujourd’hui « imagination ». Voilà pourquoi le jugement moral ne doit jamais être pris à la lettre : comme tel il ne serait toujours que contresens. Mais comme sémiotique il reste inappréciable : il révèle, du moins pour celui qui sait, les réalités les plus précieuses sur les cultures et les génies intérieurs qui ne savaient pas assez pour se « comprendre » eux-mêmes. La morale n’est que le langage des signes, une symptomatologie : il faut déjà savoir de quoi il s’agit pour pouvoir en tirer profit.

2.

Voici, tout à fait provisoirement, un premier exemple. De tout temps on a voulu « améliorer » les hommes : c’est cela, avant tout, qui s’est appelé morale. Mais sous ce même mot « morale » se cachent les tendances les plus différentes. La domestication de la bête humaine, tout aussi bien que l’élevage d’une espèce d’hommes déterminée, est une « amélioration » : ces termes zoologiques expriment seuls des réalités, — mais ce sont là des réalités dont l’ « améliorateur » type, le prêtre ne sait rien en effet, — dont il ne veut rien savoir… Appeler « amélioration » la domestication d’un animal, c’est là, pour notre oreille, presque une plaisanterie. Qui sait ce qui arrive dans les ménageries, mais je doute bien que la bête y soit « améliorée ». On l’affaiblit, on la rend moins dangereuse, par le sentiment dépressif de la crainte, par la douleur et les blessures on en fait la bête malade. — Il n’en est pas autrement de l’homme apprivoisé que le prêtre a rendu « meilleur ». Dans les premiers temps du Moyen-âge, où l’Église était avant tout une ménagerie, on faisait partout la chasse aux beaux exemplaires de la « bête blonde », — on « améliorait » par exemple les nobles Germains. Mais quel était après cela l’aspect d’un de ces Germains rendu « meilleur » et attiré dans un couvent ? Il avait l’air d’une caricature de l’homme, d’un avorton : on en avait fait un « pécheur », il était en cage, on l’avait enfermé au milieu des idées les plus épouvantables… Couché là, malade, misérable, il s’en voulait maintenant à lui-même ; il était plein de haine contre les instincts de vie, plein de méfiance envers tout ce qui était encore fort et heureux. En un mot, il était « chrétien »… Pour parler physiologiquement : dans la lutte avec la bête, rendre malade est peut-être le seul moyen d’affaiblir. C’est ce que l’Église a compris : elle a perverti l’homme, elle l’a affaibli, — mais elle a revendiqué l’avantage de l’avoir rendu « meilleur ».

3.

Prenons l’autre cas de ce que l’on appelle la morale, le cas de l’élevage d’une certaine espèce. L’exemple le plus grandiose en est donné par la morale hindoue, par la « loi de Manou » qui reçoit la sanction d’une religion. Ici l’on se pose le problème de ne pas élever moins de quatre races à la fois. Une race sacerdotale, une race guerrière, une race de marchands et d’agriculteurs, et enfin une race de serviteurs, les Soudra. Il est visible que nous ne sommes plus ici au milieu de dompteurs d’animaux : une espèce d’hommes cent fois plus douce et plus raisonnable est la condition première pour arriver à concevoir le plan d’un pareil élevage. On respire plus librement lorsque l’on passe de l’atmosphère chrétienne, atmosphère d’hôpital et de prison, dans ce monde plus sain, plus haut et plus large. Comme le Nouveau Testament est pauvre à côté de Manou, comme il sent mauvais ! — Mais cette organisation, elle aussi, avait besoin d’être terrible, — non pas, cette fois-ci, dans la lutte avec la bête, mais avec l’idée contraire de la bête, avec l’homme qui ne se laisse pas élever, l’homme du mélange incohérent, le Tchândâla. Et encore elle n’a pas trouvé d’autre moyen pour le désarmer et pour l’affaiblir, que de le rendre malade, — c’était la lutte avec le « plus grand nombre ». Peut-être n’y a-t-il rien qui soit aussi contraire à notre sentiment que cette mesure de sûreté de la morale hindoue. Le troisième édit par exemple (Avadana-Sastra I), celui des « légumes impurs », ordonne que la seule nourriture permise aux Tchândâla soit l’ail et l’oignon, attendu que la Sainte Écriture défend de leur donner du blé ou des fruits qui portent des graines, et qu’elle les prive d’eau et de feu. Le même édit déclare que l’eau dont ils ont besoin ne peut être prise ni des fleuves, ni des sources, ni des étangs, mais seulement aux abords des marécages et des trous laissés dans le sol par l’empreinte des pieds d’animaux. De même il leur est interdit de laver leur linge, et de se laver eux-mêmes, parce que l’eau qui leur est accordée par grâce ne peut servir qu’à étancher leur soif. Enfin il existait encore une défense aux femmes Soudra d’assister les femmes Tchândâla en mal d’enfant, et, pour ces dernières, de s’assister mutuellement… — Le résultat d’une pareille police sanitaire ne devait pas manquer de se manifester : épidémies meurtrières, maladies sexuelles épouvantables, et, comme résultat, derechef la « loi du couteau », ordonnant la circoncision pour les enfants mâles, et l’ablation des petites lèvres pour les enfants femelles. — Manou lui-même disait : « Les Tchândâla sont le fruit de l’adultère, de l’inceste et du crime (— c’est là la conséquence nécessaire de l’idée d’élevage). Ils ne doivent avoir pour vêtements que les lambeaux enlevés aux cadavres, pour vaisselle des tessons, pour parure de vieille ferraille, et les mauvais esprits pour objets de leur culte ; ils doivent errer d’un lieu à l’autre, sans repos. Il leur est défendu d’écrire de gauche à droite et de se servir de la main droite pour écrire, l’usage de la main droite et de l’écriture de gauche à droite étant réservé aux gens de vertu, aux gens de race. » —

4.

Ces prescriptions sont assez instructives : nous voyons en elles l’humanité arienne absolument pure, absolument primitive, — nous voyons que l’idée de « pur sang » est le contraire d’une idée inoffensive. D’autre part on aperçoit clairement dans quel peuple elle est devenue religion, elle est devenue génie… Considérés à ce point de vue, les Évangiles sont un document de premier ordre, et plus encore le livre d’Énoch. — Le christianisme, né de racines judaïques, intelligible seulement comme une plante de ce sol, représente le mouvement d’opposition contre toute morale d’élevage, de la race et du privilège : — il est la religion anti-arienne par excellence : le christianisme, la transmutation de toutes les valeurs ariennes, la victoire des évaluations des Tchândâla, l’évangile des pauvres et des humbles proclamé, l’insurrection générale de tous les opprimés, des misérables, des ratés, des déshérités, leur insurrection contre la « race », — l’immortelle vengeance des Tchândâla devenue religion de l’amour

5.

La morale de l’élevage et la morale de la domestication se valent absolument par les moyens dont elles se servent pour arriver à leurs fins : nous pouvons établir comme règle première que pour faire de la morale il faut absolument avoir la volonté du contraire. C’est là le grand, l’inquiétant problème que j’ai poursuivi le plus longtemps : la psychologie de ceux qui veulent rendre l’humanité « meilleure ». Un petit fait assez modeste au fond, celui de la pia fraus, m’ouvrit le premier accès à ce problème : la pia fraus fut l’héritage de tous les philosophes, de tous les prêtres qui voulurent rendre l’humanité « meilleure ». Ni Manou, ni Platon, ni Confucius, ni les maîtres juifs et chrétiens n’ont jamais douté de leur droit au mensonge. Ils n’ont pas douté de bien d’autres droits encore… Si l’on voulait s’exprimer en formule, on pourrait dire : tous les moyens par lesquels jusqu’à présent l’humanité devrait être rendue plus morale étaient foncièrement immoraux. —

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Friedrich Nietzsche sur Résistance 71:

Friedrich_Nietzsche_La_morale_ou_la_contre_nature

Friedrich-Nietzsche_L’Antéchrist_1888

Patrice_Sanchez_LA RELIANCE ET LA GUIDANCE QUANTIQUES

Patrice_Sanchez_MESSAGE HUMANI-TERRE A L’INTENTION DE LA COMMUNAUTE INTELLECTUELLE