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Résistance politique: « Du Principe Fédératif » Pierre Joseph Proudhon (version PDF)

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Résistance 71

 

10 juillet 2018

 

Jo de JBL1960 nous propose un très bon pdf du grand classique de Pierre Joseph Proudhon publié en 1863 « Du Principe Fédératif ».

Si nous pensons que Proudhon n’avait pas été assez loin dans sa vision politique d’une société nouvelle, il n’en resta pas moins vrai que cet ouvrage à (re)lire et diffuser sans aucune modération, est une très bonne introduction à la voie de la « société des sociétés ».

PDF

Du_Principe_Federatif_Proudhon

3 textes essentiels de Proudhon en pdf

 

La voie du peuple: Une bonne partie de la solution au marasme étatique fut posée par la Commune de 1871… Actualisons son héritage !

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Des anarchistes et de la Commune de Paris

 

Joël Delhom

 

Mars 1996

 

Source:
http://dwardmac.pitzer.edu/Anarchist_Archives/pariscommune/anarsetcommune.html

 

Communication présentée au Colloque national du 125e anniversaire de la Commune de Paris

Université de Perpignan – 28-30 mars 1996. Les Actes paraîtront prochainement.

L’idée que la Commune de Paris a fait l’objet de diverses tentatives de récupération idéologique est tellement répandue que personne ne se soucie plus d’en vérifier le bien-fondé. Si La Guerre civile en France, rédigée par Karl Marx en 1871, constitue bien un revirement par rapport aux écrits antérieurs de l’auteur et réactualise certaines conceptions trop étatistes du Manifeste communiste de 1848[ (1)], il n’en va pas de même des analyses de Michel Bakounine et des continuateurs de sa pensée. Leurs réflexions sur la révolution parisienne étant largement méconnues, nous proposons ici une approche diachronique, non exhaustive, de textes produits par quelques-uns des plus éminents représentants de l’anarchisme, entre les années 1870 et 1930.

Il faut d’abord préciser que, d’un point de vue doctrinal, les Communes provinciales et parisienne n’ont pas pris les théoriciens anarchistes au dépourvu. Le Suisse James Guillaume (1844-1916) avait écrit en 1870 Une Commune sociale, où il présentait la thèse d’une commune libre à l’état initial. Avant lui, en 1865, puis à nouveau en 1868, Michel Bakounine (1814-1876) faisait de la commune autonome, définie comme la fédération des associations ouvrières de production agricole et industrielle, « la base de toute organisation politique d’un pays »[ (2)]. Il réaffirmait ainsi le principe fédératif, auquel Pierre Joseph Proudhon (1809-1865) avait consacré un ouvrage en 1863. A l’Etat centraliste, unitaire, bureaucratique et militariste devaient se substituer les fédérations libres des communes, des provinces, des régions et des nations, organisées « de bas en haut et de la circonférence au centre », ayant pour objet l’administration des services publics et non le gouvernement. Cette organisation politique reposait sur l’élection au suffrage universel direct des fonctionnaires et des représentants, investis de mandats impératifs, responsables et révocables à tout moment. Bakounine avait même imaginé ce que devait être la commune en pleine période insurrectionnelle :

« Pour l’organisation de la Commune, la fédération des barricades en permanence et la fonction d’un Conseil de la Commune révolutionnaire par la délégation d’un ou deux députés par chaque barricade, un par rue, ou par quartier, députés investis de mandats impératifs, toujours responsables et toujours révocables. Le Conseil communal ainsi organisé pourra choisir dans son sein des comités exécutifs, séparés pour chaque branche de l’administration révolutionnaire de la Commune »[ (3)].

Postulant la vitalité révolutionnaire des masses, cette conception anti-étatique, impliquait une condamnation définitive du socialisme « autoritaire » des jacobins et des blanquistes, soupçonnés de vouloir imposer une nouvelle centralisation de type dictatorial. Après avoir affirmé que ces deux groupes étaient devenus socialistes par nécessité, non par conviction, et que le socialisme était pour eux un moyen et non le but de la Révolution, Bakounine concluait : « Donc le triomphe des jacobins ou des blanquistes serait la mort de la Révolution. Nous sommes les ennemis naturels de ces révolutionnaires, futurs dictateurs, réglementateurs et tuteurs de la révolution […] »[ (4)]. Il pressentait donc le conflit qui allait diviser les communards deux ans plus tard. Bakounine estimait, en outre, que les révolutions ne pouvaient réussir qu’à condition d’être à la fois politiques et sociales et d’entraîner les masses des campagnes aussi bien que celles des villes dans un mouvement fédératif s’étendant au-delà des frontières. Lucide, il entrevoyait encore une des causes de l’échec de la Commune de Paris : « Mais restant isolée, aucune commune ne pourra se défendre. Ce sera donc une nécessité pour chacune de propager la révolution au-dehors, de soulever toutes les communes voisines et, à mesure qu’elles se soulèveront, de se fédéraliser avec elles pour la défense commune »[ (5)].

Arthur Lehning a montré que Bakounine s’attendait à une révolte sociale en France, en province d’abord, à Marseille et à Lyon principalement[ (6)]. Le révolutionnaire chevronné avait senti, dès juillet 1870, qu’elle serait la conséquence de la défaite contre les Prussiens et il exhortait les Internationaux à s’y préparer. Dans sa Lettre à un Français sur la crise actuelle (septembre 1870, 43 p.), Bakounine refusait toute collaboration avec un gouvernement de défense nationale qui ne pouvait avoir d’autre but que le maintien de l’ordre ; il préconisait de continuer la guerre, tout en menant une révolution sociale contre le régime républicain bourgeois. Contrairement aux hommes de la Première Internationale, aux blanquistes et aux jacobins, l’anarchiste russe craignait que la question nationale ne supplante la question sociale, car il voyait dans l’affaiblissement de l’Etat une opportunité pour la révolution. « Il est évident, écrit A. Lehning, que Bakounine fut seul, parmi les révolutionnaires de l’Internationale, à envisager ainsi la situation politique et les perspectives révolutionnaires »[ (7)].

La participation de Bakounine à la tentative avortée de soulèvement de Lyon (septembre 1870) est suffisamment connue pour ne pas y revenir ici[ (8)]. Si son action directe sur les événements fut très réduite, on ne peut nier, en revanche, l’influence globale de ses idées communalistes et fédéralistes qui imprègnent les proclamations de la Commune de Paris.

Voyons maintenant quel a été, a posteriori, le jugement de Bakounine sur l’insurrection. Dès avril 1871, il estime que « ce qui donne de la valeur à cette révolution, c’est précisément qu’elle a été faite par la classe ouvrière ». Juste après l’écrasement de la Commune, le 10 juin, il écrit une lettre à son ami James Guillaume où il énonce une ligne de conduite que suivront avec plus ou moins de fidélité les anarchistes de l’époque : « nous ne devons pas diminuer le prestige de ce fait immense, la Commune, et nous devons défendre à outrance, dans ce moment, même les jacobins qui sont morts pour elle »[ (9)].

Quelques jours plus tôt, Bakounine avait effectivement commencé sa défense de la Commune, qui sera publiée après sa mort dans une version très libre par Elisée Reclus (1878) et réimprimée ensuite sous le titre La Commune de Paris et la notion de l’Etat. On peut y lire : « Je suis un partisan de la Commune de Paris, […] surtout parce qu’elle a été une négation audacieuse, bien prononcée, de l’Etat », et aussi que Paris a porté « un coup mortel aux traditions politiques du radicalisme bourgeois ». La Commune est ainsi analysée comme la première concrétisation révolutionnaire du socialisme anti-étatique, auquel elle a donné « une base réelle »[ (10)]. Par conséquent, sa valeur ressortit davantage à sa signification idéologique qu’à ses réalisations concrètes.

Dans La Commune de Paris et la notion de l’Etat, Bakounine a donc cherché à justifier l’échec des communards et à exprimer sa propre opinion critique sans jamais accabler les révolutionnaires[ (11)]. Si la Commune, explique-t-il, n’a même pas élaboré théoriquement un programme radical, c’est en raison du faible nombre de socialistes (quatorze ou quinze). Ceux-ci ont fait ce qu’ils pouvaient, mais les circonstances étaient défavorables : il leur fallait mener une double guerre contre les Prussiens et les Versaillais, en plus d’une « lutte journalière contre la majorité jacobine ». Bakounine exprime des regrets : « pour combattre la réaction monarchique et cléricale, ils [les socialistes convaincus] ont dû, oubliant et sacrifiant eux-mêmes les premières conditions du socialisme révolutionnaire, s’organiser en réaction jacobine », mais il se démarque résolument de ceux qui leur reprochent de n’avoir pas été assez radicaux[ (12)]. En effet, pour éviter que la Commune ne devienne une révolution politique, Varlin et les siens ont préféré laisser l’initiative au peuple plutôt qu’imposer leurs propres personnalités. Ainsi, à la conception des « communistes autoritaires » d’une révolution décrétée et dirigée d’en haut, qui aboutit « au rétablissement de l’esclavage politique, social, économique des masses » au moyen de l’Etat, Bakounine oppose les vertus bienfaisantes de « l’action spontanée et continue des masses, des groupes et des associations populaires », qui exprime la diversité des intérêts, des aspirations, des volontés et des besoins. La révolution sociale, assure-t-il, doit chercher à détruire « une fois pour toutes, la cause historique de toutes les violences, la puissance et l’existence même de l’Etat ». C’est ce qu’ont essayé de faire les Parisiens.

Il est remarquable que Bakounine ait aussi fait l’éloge des jacobins de la Commune, qui, dit-il, furent « capables de sacrifier et leur unité et leur autorité bien-aimées aux nécessités de la Révolution. » Il rétablit ainsi habilement l’équilibre : les deux camps ayant été contraints de renoncer en partie à leur idéal, aucun ne peut prétendre l’avoir emporté sur l’autre ou avoir davantage sacrifié à la révolution. L’anarchiste voit dans les jacobins des « héros, les derniers représentants sincères de la foi démocratique de 1793 », et les oppose aux républicains tels que Gambetta, qui ont « livré la France populaire aux Prussiens, et plus tard à la réaction indigène ». Ce sont donc les hommes que Bakounine salue, abstraction faite de leur idéologie, ceux qui se montrèrent dévoués à la cause révolutionnaire jusqu’au sacrifice suprême, en particulier Delescluze, « une grande âme et un grand caractère ». Ils sont décrits comme des individus poussés malgré eux vers le socialisme, « invinciblement entraînés par la force irrésistible des choses, par la nature de leur milieu, par les nécessités de leur position, et non par leur conviction intime ». Tenaillés par une « lutte intérieure » qui eut pour conséquence d’entraver l’action de la Commune, les jacobins portent ipso facto une grande part de responsabilité dans son échec. Mais, magnanime, Bakounine, ne peut se résoudre à les condamner :

« Delescluze et bien d’autres avec lui signèrent des programmes et des proclamations dont l’esprit général et les promesses étaient positivement socialistes. Mais comme, malgré toute leur bonne foi et toute leur bonne volonté, ils n’étaient que des socialistes bien plus extérieurement entraînés qu’intérieurement convaincus, comme ils n’avaient pas eu le temps, ni même la capacité, de vaincre et de supprimer en eux-mêmes une masse de préjugés bourgeois qui étaient en contradiction avec leur socialisme récent, on comprend que, paralysés par cette lutte intérieure, ils ne purent jamais sortir des généralités, ni prendre une de ces mesures décisives qui eussent rompu à jamais leur solidarité et tous leurs rapports avec le monde bourgeois.

Ce fut un grand malheur pour la Commune et pour eux ; ils en furent paralysés et ils paralysèrent la Commune ; mais on ne peut pas le leur reprocher comme une faute. Les hommes ne se transforment pas d’un jour à l’autre, et ne changent ni de nature ni d’habitudes à volonté. Ils ont prouvé leur sincérité en se faisant tuer pour la Commune. Qui osera leur en demander davantage?

Ils sont d’autant plus excusables que le peuple de Paris lui-même, sous l’influence duquel ils ont pensé et agi, était socialiste beaucoup plus d’instinct que d’idée ou de conviction réfléchie »[ (13)].

La cruauté de la répression et le courage dont firent preuve les insurgés ne pouvaient qu’inciter le vieux combattant à de la bienveillance.

Début avril 1871, l’anarchiste jurassien James Guillaume tenait, lui aussi, l’anti-étatisme pour la caractéristique majeure de la révolution parisienne :

« La révolution de Paris est fédéraliste […]. Le fédéralisme, dans le sens que lui donne la Commune de Paris, et que lui a donné il y a bien des années le grand socialiste Proudhon […] est avant tout la négation de la Nation et de l’Etat […]. Il n’y a plus d’Etat, plus de pouvoir central supérieur aux groupes et leur imposant son autorité ; il n’y a que la force collective résultant de la fédération des groupes […]. L’Etat centralisé et national n’existant plus, et les Communes jouissant de la plénitude de leur indépendance, il y a véritablement an-archie« [ (14)].

Après la Semaine sanglante, deux acteurs de la Commune qui s’en firent les historiens, Arthur Arnould (1833-1895) et Gustave Lefrançais (1826-1901), partageaient le même point de vue que Bakounine et Guillaume. Ainsi, Arnould écrivait-il en 1872-1873 : « Pas d’Unité ! – Pas de Centralisation ! – Pas de Pouvoir fort ! – L’Autonomie du Groupe et l’Union des Groupes autonomes. Ces paroles, ce sont celles que la Commune vint proclamer à son tour pour la première fois, en essayant de les faire passer dans les faits ». Plus loin, il renchérissait :

« Le 18 mars, le peuple rompit définitivement avec la vieille tradition monarchique et jacobine, également affolée d’unité, également intoxiquée de l’idée empoisonnée d’un Pouvoir fort. Le 18 mars, le peuple déclara qu’il fallait sortir du cercle vicieux, couper le mal dans sa racine, non plus changer de maître, mais cesser d’avoir des maîtres, et avec une admirable vision de la vérité, du but à atteindre, des moyens qui pouvaient y conduire, il proclama l’autonomie de la Commune et la fédération des communes » [(15)].

  1. Lefrançais, encore plus radical, affirmait en 1871 que la Commune « n’avait pas seulement pour but de décentraliser le pouvoir, mais de faire disparaître le pouvoir lui-même »[ (16)].

D’une manière générale, les anarchistes de cette première époque se retrouvent dans l’aspiration à l’émancipation et à l’égalité sociale des insurgés ; ils partagent leur haine de l’Etat, de l’Eglise, de l’armée et du capital. Par son caractère collectiviste, fédéraliste et le recours à la démocratie directe, la Commune constitue pour eux, la première révolution authentiquement socialiste et prolétarienne. D’où un parti pris de montrer ce qui a uni les communards – leur désir de transformation sociale, leur courage – plutôt que ce qui les a divisés – leurs divergences doctrinales. Lors de son VII[e] Congrès universel (Bruxelles, septembre 1874), l’Internationale « antiautoritaire » adressa à tous les ouvriers un manifeste d’inspiration bakouninienne qui fait référence à la Commune (la troisième des quatre parties y est consacrée)[ (17)]. Ce texte, signé pour le Congrès par les secrétaires Adhémar Schwitzguebel et J. N. Demoulin, est totalement vierge de critiques. Cet esprit de conciliation est encore perceptible en 1897 dans un article de la célèbre propagandiste Louise Michel (1830-1905), où elle déclare : « A la Commune, majorité révolutionnaire, minorité socialiste, reconnaissant enfin le néant des discussions théoriques pures, s’étaient tendu la main et chacun, pour mourir, avait rejoint son quartier » [(18)].

Toutefois, l’éloignement dans le temps et peut-être le contexte idéologique d’opposition-concurrence entre marxistes et anarchistes[ (19)], a aussi permis l’émergence d’un discours plus ouvertement critique une dizaine d’années après l’événement. En 1880, le géographe Elisée Reclus (1830-1905), lui-même acteur de la Commune, a ainsi pu affirmer : « Jusqu’à maintenant, les communes n’ont été que de petits Etats, et même la Commune de Paris, insurrectionnelle par en bas, était gouvernementale par en haut, maintenait toute la hiérarchie des fonctionnaires et des employés. Nous ne sommes pas plus communalistes qu’étatistes, nous sommes anarchistes… » [(20)]. Pour éviter toute confusion, le congrès annuel de la Fédération jurassienne à la Chaux-de-Fonds, en octobre 1880, précisa donc ce qu’il entendait par la « commune », la cellule de base de la société future :

« Les idées émises sur la commune peuvent laisser supposer qu’il s’agit de substituer à la forme actuelle de l’Etat, une forme plus restreinte, qui serait la commune. Nous voulons la disparition de toute forme étatiste, générale ou restreinte, et la commune n’est pour nous que l’expression synthétique de la forme organique des libres groupements humains«  [(21)].

Le théoricien du communisme libertaire Pierre Kropotkine (1842-1921), s’est exprimé à la même époque dans deux articles complémentaires, « La Commune de Paris » (1881) et « Le gouvernement révolutionnaire » (1880-82). Avec les commentateurs de la première période, il convient que, « sous le nom de Commune de Paris, naquit une idée nouvelle, appelée à devenir le point de départ des révolutions futures » et qu’en raison des circonstances « la Commune de 1871 ne pouvait être qu’une première ébauche ». Il pense même qu’elle serait devenue une véritable révolution sociale si elle avait vécu. Cependant, Kropotkine en énonce les faiblesses sans le moindre artifice oratoire :

« […] elle n’osa se lancer entièrement dans la voie de la révolution économique ; elle ne se déclara pas franchement socialiste, ne procéda ni à l’expropriation des capitaux ni à l’organisation du travail ; ni même au recensement général de toutes les ressources de la cité. Elle ne rompit pas non plus avec la tradition de l’Etat, du gouvernement représentatif, et elle ne chercha pas à effectuer dans la Commune cette organisation du simple au complexe qu’elle inaugurait en proclamant l’indépendance et la libre fédération des Communes »[ (22)].

Comme c’était « une période transitoire, alors que les idées de socialisme et d’autorité subissaient une modification profonde », le peuple s’est laissé aller au « fétichisme gouvernemental »[ (23)] et :

« Enfermés à l’Hôtel-de-Ville, avec mission de procéder dans les formes établies par les gouvernements précédents, ces révolutionnaires ardents, ces réformateurs se trouvèrent frappés d’incapacité, de stérilité. Avec toute leur bonne volonté et leur courage, ils n’ont pas même su organiser la défense de Paris. Il est vrai qu’aujourd’hui on s’en prend pour cela aux hommes, aux individus ; mais ce ne sont pas les individus qui furent la cause de cet échec, c’est le système appliqué »[ (24)].

Kropotkine critique le système représentatif adopté par la Commune comme étant intrinsèquement inopérant, en situation révolutionnaire, pour guider les masses vers le but à atteindre : « La solution pratique ne se trouvera, ne se précisera que lorsque le changement aura déjà commencé : elle sera le produit de la révolution elle-même, du peuple en action, ou bien elle ne sera rien, le cerveau de quelques individus étant absolument incapable de trouver ces solutions qui ne peuvent naître que de la vie populaire ». Le suffrage universel, explique-t-il, éloigne de la population la minorité qui a les idées nettes et stérilise son action :

« Ces hommes, qui seraient si nécessaires au milieu du peuple, et précisément dans ces journées de révolution, pour semer largement leurs idées, pour mettre les masses en mouvement, pour démolir les institutions du passé, se trouvent cloués là, dans une salle, discutant à perte de vue, pour arracher des concessions aux modérés, pour convertir des ennemis, tandis qu’il n’y a qu’un seul moyen de les amener à l’idée nouvelle, c’est de la mettre à exécution »[ (25)].

Le système gouvernemental, fût-il révolutionnaire, conduit progressivement aux luttes intestines entre factions jalouses de leurs pouvoirs et à la tentation dictatoriale, donc à l’affaiblissement de la révolution elle-même. Gouvernement et révolution, conclut Kropotkine, sont incompatibles : « une vie nouvelle demande des formes nouvelles » et « en dehors de l’anarchie, il n’y a pas de révolution »[ (26)].

Il insiste aussi sur ce qu’il croit être l’erreur stratégique fondamentale des communards, imputable à leur manque de maturité idéologique. Trop timorés, ceux-ci tombèrent, d’après lui, dans une certaine inconséquence :

« L’indécision régnait dans les esprits, et les socialistes eux-mêmes ne se sentaient pas l’audace de se lancer à la démolition de la propriété individuelle, n’ayant pas devant eux de but bien déterminé. Alors on se laissa berner par ce raisonnement que les endormeurs répètent depuis des siècles. – « Assurons-nous d’abord la victoire ; on verra après ce qu’on pourra faire. » S’assurer d’abord la victoire ! Comme s’il y avait moyen de se constituer en Commune libre tant qu’on ne touche pas à la propriété ! […] On cherchait à consolider d’abord la Commune en renvoyant à plus tard la révolution sociale, tandis que l’unique moyen de procéder était de consolider la Commune par la révolution sociale ! Il en arriva de même pour le principe gouvernemental. En proclamant la Commune libre, le peuple de Paris proclamait un principe essentiellement anarchiste ; mais, comme à cette époque l’idée anarchiste n’avait que faiblement pénétré dans les esprits, il s’arrêta à moitié chemin et, au sein de la Commune il se prononça encore pour le vieux principe autoritaire, en se donnant un Conseil de la Commune, copié sur les Conseils municipaux« [ (27)].

Kropotkine cherche à déterminer clairement les causes de l’échec de la Commune, afin d’en tirer les meilleurs enseignements pour l’avenir. N’oublions pas que l’on croit alors imminente la grande Révolution et que l’on en perçoit des signes avant-coureurs, en Espagne notamment[ (28)]. Kropotkine définit d’ailleurs dans ce sens l’utilité des commémorations annuelles du 18 mars :

« Ils [les prolétaires réunis ce jour-là dans les meetings] discutent l’enseignement qu’il faut tirer de la Commune de 1871 pour la prochaine révolution ; ils se demandent quelles étaient les fautes de la Commune, et cela non pour critiquer les hommes, mais pour faire ressortir, comment les préjugés sur la propriété et l’autorité qui régnaient en ce moment au sein des organisations prolétariennes, ont empêché l’idée révolutionnaire d’éclore, de se développer et d’éclairer le monde entier de ses lueurs vivifiantes. L’enseignement de 1871 a profité au prolétariat du monde entier et, rompant avec les préjugés anciens, les prolétaires ont dit clairement et simplement, comment ils entendent leur révolution. Il est certain désormais que le prochain soulèvement des Communes ne sera plus simplement un mouvement communaliste. Ceux qui pensent encore qu’il faut établir la Commune indépendante et puis, dans cette Commune, faire essai de réformes économiques, sont débordés par le développement de l’esprit populaire. C’est par des actes révolutionnaires socialistes, en abolissant la propriété individuelle, que les Communes de la prochaine révolution affirmeront et constitueront leur indépendance« [ (29)].

Kropotkine met aussi l’accent sur un autre aspect fondamental de l’insurrection parisienne : l’abîme creusé entre bourgeois et prolétaires par la cruauté de la répression[ (30)]. Déjà en 1874, l’Internationale bakouniniste avait affirmé que les massacres et les déportations avaient rendu impossible toute conciliation entre ces deux classes irrémédiablement opposées[ (31)]. La même année, Gustave Lefrançais avait aussi pu noter : « Le caractère principal, en effet, du mouvement du 18 mars, c’est que ce mouvement aura été le point de départ d’une rupture complète et sans retour possible d’avec les divers partis politiques qui, à différents titres, avaient eu jusqu’alors la prétention de représenter la révolution »[ (32)]. Alors que les républicains radicaux avaient su gagner le soutien d’un grand nombre d’ouvriers sous l’Empire, le peuple pouvait maintenant constater que les antagonismes de classes sont irréductibles. L’anarchiste français Jean Grave (1854-1939) a clairement expliqué le lien qui unissait la Commune aux aspirations républicaines :

« Le mouvement qui, à Paris, avait abouti à la Commune, était dû, cela ne fait aucun doute, à un besoin de réaliser les espérances contenues dans le mot République. Car, à cette époque, République signifiait plus qu’un changement politique, signifiait, aussi, un changement économique quelconque, certainement plus de bien-être pour tous. Par quels moyens ces améliorations devaient-elles s’opérer ? Par quelles transformations devait passer l’Etat social pour produire ces résultats ? Cela, il faut l’avouer, très peu, dans ce que l’on est convenu d’appeler la « masse », en avaient une idée, et s’en étaient préoccupés. Et, parmi ceux qui la menaient, ils étaient peu ceux qui avaient quelques idées nettes là-dessus. […] Ce que les autres [les républicains] n’avaient su – ou voulu – faire, la Commune le ferait ! »[ (33)].

Comme le suggère le cas de l’Espagne, il est problable que le souvenir de la barbarie de la répression versaillaise ait joué un rôle, conscient ou inconscient, dans le basculement d’une partie du mouvement anarchiste vers le terrorisme.

  1. Grave, qui avait dix-sept ans lorsqu’il vécut la Commune parisienne, en avait plus de soixante quand il rédigeait ses mémoires, entre 1914 et 1920. Il y déplore le manque total de sens révolutionnaire du Comité central de la Garde nationale, puis adresse le même reproche aux membres de la Commune, avant de souligner les divergences qui opposaient ces deux groupes :

« Mais s’ils furent honnêtes, les hommes du Comité Central furent loin d’être à la hauteur de la situation. Tout le temps qu’ils gardèrent le pouvoir ils ne surent prendre aucune des mesures qu’exigeait la situation […]. Beaucoup de ces mesures, il aurait été encore temps de les prendre lorsque fut nommée la Commune, mais, celle-ci, tout aussi incapable que le Comité Central, ne sut pas réparer les bêtises de son prédécesseur. […] Parmi elle, il y avait trop de vieux jacobins qui en étaient restés aux vieilles formules de 93, et qui croyaient qu’en imitant le jargon des révolutionnaires de cette époque ils allaient renouveler la société. La Commune discourut, parlementa, légiféra, mais ne sut faire oeuvre utile. Même ceux qui avaient compris que la question devait sortir de la politique pour devenir économique, n’eurent que des aspirations, des intuitions, rien de précis, capable de se transformer en faits »[ (34)].

Comme Kropotkine, J. Grave place donc la « question économique », autrement dit la collectivisation, au centre du débat sur le mouvement révolutionnaire parisien.

Hors d’Europe, un des plus illustres représentants de l’anarchisme latino-américain, l’intellectuel péruvien Manuel González Prada (1844-1918), voit lui aussi dans la sauvegarde de la propriété privée la principale faiblesse de la Commune. Dans un article publié probablement entre 1906 et 1910, il écrit :

« La Commune a commis l’erreur gravissime d’avoir été un mouvement politique plutôt qu’une révolution sociale ; et si elle n’était pas morte étouffée dans le sang, elle aurait peut-être sombré dans un coup d’Etat, comme il advint de la République de 48. Ses hommes, aussi redoutables et destructeurs qu’ils aient pu paraître aux habitants honnêtes, éprouvaient à l’égard des institutions sociales et de la propriété un respect véritablement bourgeois. N’osant pas provoquer une crise financière d’une ampleur colossale, ils se sont transformés en gardiens de la richesse entassée dans les banques, ils ont défendu ce Capital – inhumain et égoïste – qui excitait et lâchait contre eux la féroce soldatesque de Versailles » [(35)].

Et González Prada de conclure que la Commune, plus menaçante que dangereuse, a surtout péché par excès d’indulgence.

Après la Révolution russe, dans les années 1930, l’historien libertaire autrichien Max Nettlau (1864-1944) revient sur la dimension politique et porte des jugements encore plus sévères que les précédents[ (36)]. On peut estimer qu’ils sont excessifs ou injustes, puisque Nettlau va jusqu’à nier l’influence de l’esprit fédéraliste pour qualifier la Commune de « microcosme autoritaire », au sein duquel « il y avait des restes indélébiles de gouvernementalisme municipal, local, et une méfiance envers l’anarchisme. En somme, affirme l’auteur, de même qu’existait la théorie de l’Etat minimum, on croyait à la Commune minimum, gouvernée le moins possible, mais néanmoins gouvernée. Les libertaires qui combattaient avec ces communalistes furent attirés et à la fois repoussés par eux »[ (37)]. Cependant, ces appréciations ne sont pas dénuées d’intérêt quant au sujet qui nous occupe, le regard des anarchistes sur cette révolution. Elles sont d’autant plus pertinentes que Nettlau était un érudit qui avait connu personnellement bon nombre de militants de premier plan. « A cause de la fin héroïque de la Commune, écrit-il, ces faits furent souvent considérés comme secondaires par les libertaires qui les connurent pourtant bien et qui, du reste, pouvaient les contrôler de près au contact des nombreux réfugiés, à Genève par exemple ». D’après lui, chez Lefrançais, « l’antiétatisme était total » ; en revanche, Paul Brousse finit par se laisser absorber par le gouvernementalisme. Et l’historiographe poursuit :

« D’autres, comme Elisée Reclus (qui fut combattant et ardent partisan de la Commune et resta ami de ses défenseurs) ne se laissèrent pas séduire par le communalisme et devinrent toujours davantage des anarchistes clairvoyants. Louise Michel, la combattante la plus enthousiaste de la Commune, après avoir vu se développer les erreurs et l’autoritarisme chez ses meilleurs partisans, devint anarchiste […] quand elle put réfléchir à ce qu’elle avait vu. Une autre combattante, Victorine Rouchy, devint aussi une des premières anarchistes communistes de Genève. Bakounine ne fut pas absorbé, ni complètement fasciné par la Commune de Paris, comme tant d’autres dont le champ visuel resta limité par ce grand événement. En Italie et en Espagne on n’eut généralement pas cette limitation de vue, mais elle se fit ailleurs et, à mon avis, cela entraîna une certaine désagrégation de l’Internationale »[ (38)].

En ce qui concerne l’influence de la Commune sur l’Internationale, Nettlau fait ici référence au développement des sections de l’A.I.T. dans les deux pays latins, alors qu’ailleurs le mouvement s’affaiblissait. Il semble vouloir indiquer que les militants ouvriers y surent mieux tirer des enseignements de l’insurrection parisienne et se garder ainsi de la tentation purement politique du communalisme (cf. notre article sur la Fédération espagnole).

 

Loin de modifier les conceptions doctrinales des anarchistes, la Commune les a plutôt confirmées ou même renforcées. Cela est vrai à propos du pouvoir et de la propriété, mais aussi du parlementarisme et de l’antagonisme des classes, la cruauté de la répression ayant démontré aux travailleurs qu’ils n’avaient rien à attendre de la bourgeoisie, fût-elle républicaine, et que l’Etat – monarchie, empire ou république -, protègerait toujours les intérêts des privilégiés. L’essor et la radicalisation du mouvement libertaire au cours des deux décennies suivantes résultent, de manière indirecte, de l’échec de la révolution parisienne et de l’éclatement, peut-être prématuré, de l’Internationale[ (39)].

La Commune ayant été la preuve des « capacités ouvrières », comme aurait dit Proudhon, les anarchistes y ont logiquement vu la préfiguration d’une nouvelle forme d’organisation politique et sociale non étatique, fédéraliste, collectiviste, égalitariste et internationaliste. Mais ce n’est pas là une tentative d’appropriation idéologique. Tout de suite après les faits, les libertaires se sont employés à définir ce qui distinguait une véritable révolution anarchiste du communalisme, leurs critiques tournant autour de deux axes : l’un politique, suppression du pouvoir ; l’autre social, abolition de la propriété. Malgré ce point commun, on a pu constater qu’il n’y avait pas d’interprétation monolithique de la Commune, et encore moins de sacralisation, mais bien des appréciations différentes, dont la sévérité augmentait avec le temps. En somme, ni mythification, ni mystification de l’Histoire ; simplement liberté d’analyse.

Et aujourd’hui ? Difficile de dire ce que représente la Commune pour le mouvement anarchiste ou anarcho-syndicaliste. Pas un mythe, en tout cas. L’événement est salué pour ce qu’il est, « un jalon dans l’histoire de l’émancipation humaine », dont il faut savoir tirer les leçons[ (40)]. Certes, la Commune reste plutôt considérée comme la première révolution fondamentalement anti-étatiste, antiautoritaire, proudhonienne, porteuse de vraies transformations sociales et d’un immense espoir. André Nataf, par exemple, dans son livre La Vie quotidienne des anarchistes en France, analyse les mesures prises par la Commune comme étant « on ne peut plus libertaires dans l’ensemble ». Il écrit que l’« on réalise l’autogestion sans le savoir… » et affirme : « Mais, en 1871, qu’ont fait les ouvriers parisiens une fois au pouvoir ? Qu’ont-ils fait lorsqu’ils furent livrés à eux-mêmes ? Ils ont mis l’anarchisme en actes. D’instinct, leur action se situa du côté de Proudhon. Liberté, organisation de la vie économique et de la société du bas vers le haut, abolition de l’Etat… »[ (41)]. Mais, dans l’imaginaire collectif, un événement plus récent, la révolution espagnole de 1936, est probablement venu la détrôner.

Quoi qu’il en soit, pour un anarchiste ou un anarcho-syndicaliste, redonner vie à la Commune en restant fidèle à l’esprit qui l’animait, implique de lui faire quitter les chaires universitaires et les tables des colloques élitistes, pour la ramener là où elle a pris naissance et où elle conserve toute sa place, toute sa valeur exemplaire, toute sa modernité : dans les quartiers déshérités, au milieu des « exclus ». Là, nous ferons véritablement oeuvre éducative – à défaut d’être révolutionnaire – et nous démontrerons que la Commune peut encore nourrir notre action, questionner notre quotidien :

« D’ailleurs, écrivait Albert Ollivier il y a bientôt soixante ans, ce n’est pas en allant déposer des couronnes sur les tombes des communards, en allant discourir le long du mur des fédérés, que nous maintiendrons vivant l’esprit de la Commune. Trop facile de se donner de la majesté et un faux air de grandeur en allant s’incliner au-dessus des victimes ! La leçon est plus dure, elle exige davantage de nous. C’est par nos actes seuls que nous pourrons maintenir vivant l’esprit de la Commune, en quelque sorte la continuer »[ (42)].

Voilà le véritable défi que nous lancent les communards, n’en déplaise aux fossoyeurs !

 

1) Voir la « Préface à l’édition allemande de 1872 » du Manifeste du Parti communiste de Karl MARX et Friedrich ENGELS – Paris : Ed. Sociales, 1976, p. 75 ; l’introduction de Daniel Guérin, « Bakounine et Marx sur la Commune », in D. GUERIN : Ni Dieu ni Maître. Anthologie de l’anarchisme, tome II. – Paris : Maspero, 1976, p. 16-21, et l’extrait de La Guerre civile en France qu’il donne p. 28-33. Marx y célèbre « cette nouvelle Commune, qui brise le pouvoir d’Etat moderne » et déclare : « La Constitution communale aurait restitué au corps social toutes les forces jusqu’alors absorbées par l’Etat parasite qui se nourrit de la société et en paralyse le libre mouvement. Par ce seul fait, elle eût été le point de départ de la régénération de la France » (p. 31-32). Un an auparavant, dans une lettre du 20 juillet 1870, le philosophe allemand écrivait à son ami Engels ces phrases déplorables : « Les Français ont besoin d’être rossés. Si les Prussiens sont victorieux, la centralisation du pouvoir de l’Etat sera utile à la concentration de la classe ouvrière allemande. […] La prépondérance, sur le théâtre du monde, du prolétariat allemand sur le prolétariat français serait en même temps la prépondérance de notre théorie sur celle de Proudhon », cité par Jean MAITRON : Le Mouvement anarchiste en France, tome I. – Paris : Gallimard, 1992 (col. Tel ; 196), p. 54, note 39.

2) Dans les textes qui constituent les statuts et le programme de sa Société (ou Fraternité) internationale révolutionnaire, en particulier le Catéchisme révolutionnaire (1865), puis dans le programme de l’organisation secrète des Frères internationaux (1868). Cf. GUERIN : Ni Dieu ni Maître, tome I. – Paris : Maspero, 1974, p. 169 sq., notamment p. 190-191 et 224-225.

3) Ibid., p. 224-225.

4) Ibid., p. 223.

5) Ibid., p. 183.

6) Arthur LEHNING : « Michel Bakounine. Théorie et pratique du fédéralisme anti-étatique en 1870-1871 », in 1871. Jalons pour une histoire de la Commune de Paris ; publié ss. la dir. de Jacques Rougerie, avec la collaboration de Tristan Haan, Georges Haupt et Miklos Molnar. – Paris : PUF, 1973, p. 455-473.

7) Ibid., p. 460. Le Conseil général londonien, y compris Karl Marx, pensait que la paix républicaine faciliterait l’organisation de la classe ouvrière et était donc hostile à tout soulèvement. Le Conseil fédéral parisien, y compris Eugène Varlin, opta quant à lui pour la guerre avant la révolution dans sa circulaire aux Internationaux de province.

8) Cf. LEHNING, op. cit. et Jeanne GAILLARD : Communes de province, Commune de Paris, 1870-1871. – Paris : Flammarion, 1971, 186 p. (col. Questions d’histoire ; 26).

9) Cité par LEHNING, op. cit., p. 468-469.

10) In GUERIN, op. cit., t. II, p. 21. Notre analyse de La Commune de Paris et les citations renvoient aux p. 21-28.

11) L’historien Max Nettlau a noté que Bakounine avait pris la défense de la Commune « et celle de tout le socialisme contre Mazzini qui l’avait outragée. La défense de la Commune procura à Bakounine de nombreuses relations en Italie et l’Internationale fut enfin profondément implantée dans ce pays, conquis à fond par les idées du collectivisme anarchiste et par la tactique préconisée par Bakounine, et en août 1872, la Fédération italienne fut créée. La même année, Bakounine entra en contact plus étroit avec l’Espagne », Max NETTLAU : Histoire de l’anarchie ; traduction, annotations et commentaires de Martin Zemliak. – Paris : Artefact, 1986, p. 126.

12) « Je sais que beaucoup de socialistes, très conséquents dans leur théorie, reprochent à nos amis de Paris de ne s’être pas montrés suffisamment socialistes dans leur pratique révolutionnaire […] ; je ferai observer aux théoriciens sévères de l’émancipation du prolétariat qu’ils sont injustes envers nos frères de Paris ; car, entre les théories les plus justes et leur mise en pratique, il y a une distance immense qu’on ne franchit pas en quelques jours », in GUERIN, op. cit., t. II, p. 25.

13) Ibid., p. 23-24.

14) Extrait d’un article paru dans La Solidarité, organe des sections de la Fédération romande de l’Internationale, le 12 avril 1871. Cité par Jacques ROUGERIE : Procès des Communards. – Paris : Julliard, 1964 (col. Archives ; 11), p. 14.

15) Arthur ARNOULD : Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris [Bruxelles, 1878]. – Lyon : Ed. Jacques-Marie Laffont et associés, 1981 (col. Demain et son double), p. 285-286, souligné dans le texte. Dans les dernières pages de son livre, il compare la révolution de 1789 et la Commune en disant qu’elles ont toutes deux une portée universelle : « La première fois, en 1789, c’était la rupture avec le droit divin, – le ciel ! La seconde fois, c’est la rupture avec l’Etat, – l’oligarchie ! La première Révolution s’appela : la proclamation des droits de l’homme, – la THÉORIE ! La seconde s’appelle : la Commune, – la PRATIQUE ! L’une était politique, l’autre est sociale ! Sa formule se réduit à ces trois termes qu’on ne peut séparer : AUTONOMIE ; FÉDÉRATION ; COLLECTIVISME ! » (p. 295). Arnould, qui fut l’un des exécuteurs testamentaires de Bakounine, est aussi l’auteur d’un ouvrage sur le fédéralisme et l’idée communale publié en 1877, L’Etat et la Révolution.

16) Gustave Lefrançais, dans son Étude sur le mouvement communaliste à Paris en 1871 (Neuchâtel, 1871), p. 368. Cité par LEHNING, op. cit., p. 470. Lefrançais entra à la Fédération jurassienne en décembre 1871, puis il devint le collaborateur d’Elisée Reclus.

17) Cf. Anselmo LORENZO : El Proletariado Militante. Memorias de un Internacional, tome II, Continuación de la Asociación Internacional de los Trabajadores en España. – Toulouse : Editorial del Movimiento Libertario Español-CNT en Francia, 1947, p. 149-159.

18) Cité par William SERMAN : La Commune de Paris (1871). – Paris : Fayard, 1986, p. 566. Dans sa fresque historique La Commune [1898], la « Vierge rouge » raconte qu’elle s’est convertie à l’anarchisme sur le bateau qui la conduisait en déportation en Nouvelle-Calédonie (Paris : Stock, 1970, p. 407) et elle affirme : « Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, c’eût été la Commune composée d’hommes d’intelligence, de courage, d’une incroyable honnêteté, qui tous de la veille ou de long temps, avaient donné d’incontestables preuves de dévouement et d’énergie. Le pouvoir, incontestablement les annihila, ne leur laissant plus d’implacable volonté que pour le sacrifice, ils surent mourir héroïquement. C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste » (p. 192).

19) Au congrès de La Haye, en septembre 1872, les socialistes « autoritaires », qu’on a appelé plus tard marxistes, avaient voté l’exclusion de Bakounine et de J. Guillaume de l’Internationale, ce qui provoqua la scission de l’organisation.

20) Le Révolté, ndeg. 17, du 17 octobre 1880, cité par MAITRON, op. cit., t. I, p. 84.

21) Ibid.

22) Pierre KROPOTKINE : « La Commune de Paris », in Paroles d’un révolté [1885]. – Paris : Flammarion, 1978 (col. Champ politique ; 52), successivement p. 103 et 106. L’auteur écrit aussi p. 109 : « La Commune enthousiasme les coeurs, non par ce qu’elle a fait, mais par ce qu’elle se promet de faire un jour. »

23) Ibid., p. 111-112.

24) KROPOTKINE : « Le gouvernement révolutionnaire », in Paroles d’un révolté, op. cit., p. 190. Tandis que Bakounine s’attache aux individus, Kropotkine juge les systèmes.

25) Ibid., p. 191.

26) Ibid., p. 192.

27) KROPOTKINE : « La Commune de Paris », op. cit., p. 110-111.

28) Kropotkine écrit : « Mais sachons aussi que la prochaine révolution qui, en France et certainement aussi en Espagne, sera communaliste, reprendra l’oeuvre de la Commune de Paris là où l’ont arrêtée les assassinats des Versaillais », ibid., p. 106.

29) Ibid., p. 113.

30) « Les massacres inouïs, lâches et féroces par lesquels la bourgeoisie a célébré sa chute, la vengeance ignoble que les bourreaux ont exercée pendant neuf ans sur leurs prisonniers, ces orgies de cannibales ont creusé entre la bourgeoisie et le prolétariat un abîme qui jamais ne sera comblé. Lors de la prochaine révolution, le peuple saura à qui il a affaire ; il saura ce qui l’attend s’il ne remporte pas une victoire décisive, et il agira en conséquence », ibid., p. 112.

31) Dans le manifeste du VII[e] Congrès à tous les ouvriers. Voir LORENZO, op. cit., t. II, p. 156.

32) Cité par LEHNING, op. cit., p. 470.

33) Jean GRAVE : Quarante ans de propagande anarchiste. – Paris : Flammarion, 1973 (col. L’Histoire), p. 111.

34) Ibid., p. 108-114.

35) Manuel GONZÁLEZ PRADA : Anarquía. – Santiago de Chile : Ed. Ercilla, 1940, 3[[ordfeminine]] ed. (col. Documentos sociales), p. 160. C’est nous qui traduisons. Sur cet écrivain, on pourra consulter notre thèse de Doctorat : Manuel González Prada et ses sources d’influence. De la philosophie à la politique. – Université de Perpignan, 1996, 697 p., 2 vol.

36) Il n’est pas exclu qu’ils aient pu être, en partie, déterminés par le contexte idéologique de l’époque. En effet, l’auteur devait avoir à l’esprit l’élimination physique des militants anarchistes par les bolcheviks, notamment de 1919 à 1921, et la suprématie de Staline.

37) NETTLAU, op. cit., p. 126-127. Nettlau écrit aussi : « Il y eut […] le regroupement des forces ouvrières et socialistes durant le siège, qui se termina en une sorte de dictature militaire du prolétariat armé, lequel s’opposait à la dictature féroce des généraux. Il y avait de tout, sauf l’esprit fédéraliste, et encore moins l’esprit franchement antiétatiste désireux de substituer à l’Etat français la Fédération des 40.000 communes que Elisée Reclus, dans son discours de Berne (1868) avait définies comme des satrapies […]. Considérée en elle-même, la Commune, contrariée et poussée vers l’autoritarisme dans sa défense désespérée contre des ennemis féroces qui l’étouffaient dans le sang, fut un microcosme autoritaire, plein des passions du parti, de bureaucratisme et de militarisme. »

38) Ibid., p. 127.

39) « La Commune de Paris, en renforçant Karl Marx dans sa conviction que le mouvement prolétarien international doit être centralisé, a indirectement été à l’origine de l’éclatement de la I[re] Internationale et a précipité la rupture entre le courant représenté par Marx et le courant qui se groupe autour de Bakounine », Jean TOUCHARD : Histoire des idées politiques, tome II. – Paris : PUF, 1962 (col. Thémis), p. 723.

40) Edward SARBONI : « Dossier histoire : La Commune, 1871 », Infos & analyses libertaires, Revue de l’Union Régionale Sud-Ouest de la Fédération Anarchiste, Perpignan, ndeg. 42, septembre 1996, p. 7-16.

41) André NATAF : La Vie quotidienne des anarchistes en France. 1880-1910. – Paris : Hachette, 1986, p. 52-58. Au mois de février 1996, nous nous sommes livré à un petit sondage, simplement à titre indicatif, dans le milieu anarcho-syndicaliste de la Confédération Nationale du Travail, affiliée à l’A.I.T. : sur douze personnes interrogées en France, une moitié jugeait que la Commune tenait une place importante dans leur imaginaire, l’autre moitié qu’elle occupait une place peu importante, mais personne n’a coché la case « aucune importance » ; ils étaient deux fois plus nombreux à considérer que la Commune avait été une expérience plutôt libertaire que ceux qui la trouvaient autant libertaire qu’autoritaire ; une majorité des personnes avait lu plus de deux ouvrages sur le sujet.

42) Albert OLLIVIER : La Commune. – Paris : Gallimard, 1939 (col. Idées, sciences humaines ; 95), p. 363.

Résistance politique: Un exemple progressiste… Le fédéralisme proudhonien

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Fouillant la toile, nous avons trouvé cette perle sur le fédéralisme comme le conçoit Proudhon. Ceci correspond à un concept de société sans doute plus accessible pour les citoyens.  Ce texte donne les fondamentaux d’un nouveau paradigme social plus qu’intéressant et réellement émancipateur…

— Résistance 71 —

 

Proudhon: Anarchisme ou Fédéralisme ?

 

 

Pierre Ansart

 

 

Janvier 2010

 

Les fondaments de l’anarchisme proudhonien

Le choix lexical de Proudhon

Quelles conclusions provisoires

 

Depuis le début des polémiques entre marxistes et anarchistes, l’œuvre complexe et foisonnante de Pierre-Joseph Proudhon a suscité de multiples jugements péremptoires et contradictoires. Notamment, se trouvent opposées deux interprétations globales de l’œuvre, – l’une majorant les thèmes anarchistes tels que Proudhon les a développés dans les premiers Mémoires sur la propriété, dans Les Confessions d’un révolutionnaire (1849) et l’Idée générale de la révolution au XIXème siècle (1851), – l’autre considérant comme plus synthétiques et significatives les œuvres de la maturité, tels l’ouvrage de 1863, Du principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le parti de la révolution et l’œuvre posthume, De la capacité politique des classes ouvrières.

Ces divergences d’interprétation conduisent à des lectures fortement différenciées, à des choix différents des œuvres tenues pour importantes ou secondaires. La lecture anarchisante met l’accent sur les dimensions les plus critiques dans la ligne de pensée du Premier mémoire sur la propriété(1840) ; la seconde, que l’on peut qualifier de fédéraliste, met l’accent sur les dimensions que Proudhon considérait lui-même comme plus constructives que critiques. En prolongeant quelque peu cette polarité des interprétations, on serait conduit à proposer l’image de deux Proudhon, ou, à tout le moins, l’image de deux œuvres, une œuvre de jeunesse portée par l’ardeur juvénile de la révolution, l’autre que l’on attribuerait à la modération de la maturité.

Les difficultés d’une telle polarisation sont trop nombreuses pour que l’on puisse la soutenir intégralement. Il est difficile, sinon impossible, de tracer une ligne de séparation évidente entre les textes de la période que l’on dirait anarchiste et les textes que l’on attribuerait à la période de la maturité. La tâche est irréalisable pour la plupart des articles destinés à des journaux, à partir de l’année 1847. Proudhon est alors amené, dans l’effervescence des années 48 à aborder de multiples sujets d’actualité qui échappent à une classification simplifiante. De plus, et plus gravement, l’hypothèse dualiste clôt la question des continuités, impose le schéma d’une rupture entre les deux périodes et les deux théorisations, celle de l’anarchisme et celle du fédéralisme.

Je souhaiterais reprendre ces questions en d’autres termes. Nous interroger sur le dynamisme, sur les raisons du mouvement intellectuel et affectif de Proudhon, nous interroger moins sur des formulations provisoires anarchistes ou fédéralistes, mais davantage sur les exigences, sur les aspirations, les intuitions et les passions qui soutiennent la créativité et les choix de Proudhon, et pas seulement sur les idées et leur formulation.

Les fondements de l’anarchisme proudhonien

Il nous faudra, tout d’abord, nous rappeler les principes fondamentaux de l’anarchisme spécifiquement proudhonien tels qu’ils sont exposés dans les textes antérieurs à la Révolution de 1848, puis suivre l’évolution de sa pensée dans les années 1850-1860, et, enfin confronter les positions de ces années et les textes de la maturité dans lesquels le fédéralisme fait l’objet d’une élaboration systématique. Au terme de ce parcours, nous tenterons de répondre aux questions initiales : y a-t-il bien deux constructions successives dans l’œuvre de Proudhon et deux périodes de création celle des Mémoires sur la Propriété et celle du « Principe fédératif »,- ou -, au contraire, approfondissement progressif d’une même théorisation ? Selon la réponse à cette interrogation, on ne pourra éviter de porter un jugement d’ensemble sur la cohérence de l’œuvre. Nous pourrons aussi en attendre une compréhension plus précise des deux concepts par leurs comparaisons.

Bien que les termes anarchie ou anarchisme ne soient guère présents dans le vocabulaire du Premier Mémoire de 1840, on ne manque pas d’y trouver les éléments critiques qui constituent l’essentiel de ce texte, trois critiques à caractère anarchiste qui se trouvent exprimées dès les premières pages. Proudhon résume, en une formule lapidaire et simpliicatrice, les liens étroits entre ces trois critiques :

« Puisque la propriété est la grande cause du privilège et du despotisme, la formule du serment républicain doit être changée. Au lieu de : Je jure haine à la royauté, désormais, le récipiendaire d’une société secrète doit dire : Je jure haine à la propriété1 »

C’est ainsi par une dénonciation virulente de la propriété privée que Proudhon aborde la critique de l’économie capitaliste. La propriété est bien, comme l’affirment les théoriciens conservateurs, le principe, la base de la société et donc la question la plus importante du problème social. Ce principe a été unanimement soutenu au cours de la Révolution de 1789, et les annnées qui l’ont suivie n’ont fait que l’aggraver avec l’expansion des activités commerciales et industrielles.

Proudhon, à partir de ce constat, associe directement ce rappel relevant de l’économie politique à la critique sociale et aux rapports de classes. Dès le Premier Mémoire, il établit un lien étroit entre le rapport d’exploitation qui sépare les propriétaires et les non-propriétaires, la bourgeoisie et la classe des travailleurs, les exploiteurs et les exploités. Thème qui sera amplement développé dans les textes ultérieurs et qui constitue, pouvons-nous dire, le deuxième niveau d’analyse de sa conception anarchiste.

Avant de poursuivre, posons la question du pourquoi de ces diatribes contre la propriété, et contre la guerre des classes. Proudhon pose la question préalable, celle de la violence, des guerres et des souffrances sociales :

« D’où vient, écrit-il dans Les Confessions d’un révolutionnaire, que la société est divisée en fractions ennemies, intolérantes, obstinées chacune dans son erreur, implacables dans leurs vengeances ? Où est la nécessité pour la marche du monde et les progrès de la civilisation, que les hommes se détestent et se déchirent ? Quelle destinée, quel satan a voulu, pour l’ordre des
cités et le perfectionnement des individus, qu’ils ne puissent penser, agir librement les uns à côté des autres, s’aimer au besoin, et, en tout cas, se laisser tranquilles ?2 »

La réponse à cette question, suggère Proudhon, sera donnée par l’analyse et l’explication de toutes ces violences, économiques, sociales, politiques.

Le troisième niveau d’analyse, celui de l’Etat, et du rejet de ses pouvoirs, trouvera, dans les textes des années 1849, Les Confessions d’un révolutionnaire, et 1851, Idée générale de la Révolution, des développementsconsidérables, mais ils trouvent leur première expression dans le Premier Mémoire qui fait aussi de la propriété un rapport politique en tant qu’elle génère des rapports de pouvoir et fonde ainsi, selon l’expresion employée, le despotisme.

Enfin, pour caractériser plus précisément l’anarchisme proudhonien, il conviendrait d’associer, à ces trois négations, l’ensemble des illusions, des affirmations mensongères, des sacralisations qui accompagnent ces trois piliers d’une société aliénée (par le Capital, la division entre les deux classes sociales, par l’Etat enfin et ses prestiges), mais les thèses anarchistes, trouvent dans ces thèses initiales, leurs arguments essentiels. La critique de l’Etat, telle qu’elle est exprimée dans le Premier Mémoire, annonce la théorie du dépérissement et du refus de l’Etat, la théorie de la disparition de l’Etat dans la Révolution démocratique et sociale. Les Confessions d’un révolutionnaire écrites dans une sorte de colère au lendemain de l’échec d’une révolution sociale espérée, développe ces thèses avec un virulence renouvelée :

« Qui donc osera dire enfin : Tout pour le peuple et tout par le peuple, même le gouvernement ?3»

Cette élimination de l’aliénation politique n’est pas seulement un vœu conforme aux exigences de la justice et de l’égalité, elle prolonge la division sociale qui s’approfondie à travers les révolutions successives et qui sé- pare deux sphères : celle des pouvoirs et de l’Etat, d’une part, et, d’autre part, le monde du travail, de la production, le monde des travailleurs. Dans Les Confessions d’un révolutionnaire, Proudhon emploie le mot de Constitution pour désigner ces deux réalités opposées :

« Je distingue en toute société deux espèces de constitutions : l’une que j’appelle la constitution SOCIALE, l’autre qui est la constitution POLITIQUE ; la première, intime à l’humanité, libérée, nécessaire, et dont le développement consiste surtout à affaiblir et écarter peu à peu la seconde, essentiellement factice, restrictive et transitoire. La constitution sociale n’est autre chose que l’équilibre des intérêts fondé sur le libre contrat et l’organisation des forces économiques qui sont, en général : le Travail, la Division du travail, la Force collective, la Concurrence, le Commerce, la Monnaie, le Crédit, la Propriété, l’Egalité dans les transactions, la Réciprocité des garanties, etc. La constitution politique a pour principe l’AUTORITE, ses formes sont : la Distinction des classes, la Séparation des pouvoirs, la Centralisation administrative, la Hiérarchie (…). Ces deux constitutions (…) sont de nature absolument diverse et même incompatible4 »

On voit comment l’anarchisme, en luttant contre l’aliénation politique, tend à libérer les forces sociales des pouvoirs aliénants, comment, aussi, l’anarchisme tend à expliquer les haines et les violences et projette de les dissiper. La révolution sociale, en détruisant l’aliénation politique aurait aussi pour effet d’écarter les haines liées aux inégalités de pouvoir, aux soumissions, aux dépendances et aux impuissances.

Ces pages des Confessions consacrées surtout au récit des événements politiques des années 48-49, retracent aussi, dans un tableau rapide, les révolutions antérieures, 1789 et 1830. Et c’est dans un passage consacré à la révolution de 1789, que Proudhon introduit le mot de FEDERATION dans un sens positif, pour évoquer notamment la fête de la Fédération du 14 Juillet 1790. Quelques lignes plus loin, il associe le mot de Fraternisation au mot de fédération, en ces termes :

En 1789, « Les fédérations ou fraternisations se formèrent spontanément de toutes parts ; elles prouvaient que la souveraineté du peuple n’est autre chose que l’harmonie des intérêts, résultant d’un libre contrat et que la centralisation des pouvoirs (…) est l’aliénation même des libertés5 ».

Phrase écrite en 1849 et qui annonce précisément les thèses qui formeront la trame théorique de celles qui seront exposées en 1863 dans Le Principe Fédératif.

Le choix lexical de Proudhon

Il s’agit là d’un moment important et révélateur dans le cheminement de Proudhon vers un certain fédéralisme. Il se produit, en effet, dans le vocabulaire de Proudhon et dans l’usage qu’il fait de ce mot, un choix original qui demande explication. Associer, rendre synonymes ces deux termes (fédération et fraternisation) annonce une rupture avec l’usage courant. En effet, dans la langue commune comme dans le vocabulaire juridique, la fédération désigne un type de régime politique, et n’implique nullement un régime socio-affectif particulier dont le modèle serait donné par les liens fraternels au sein d’une famille.

En désignant la fédération comme une communauté d’entente, il s’oppose au langage courant qui fait de la fédération l’un des régimes politiques et refuse la confusion entre le fédératif et l’aliénation politique. Si l’on prend en compte la vigueur de la dénonciation de l’oppression politique, on mesure l’importance de cette nouvelle définition des rapports fédératifs.

Pour mieux comprendre ce changement de vocabulaire, il est utile d’évoquer des événements qui se sont produits auparavant dans la Fédération suisse. En Septembre 1845, les sept cantons catholiques de la Confédération avaient formé une ligue – le Sondebund – pour protester contre une décision du Conseil fédéral. Celui-ci, en violation des droits des cantons en matière religieuse, avait décidé l’expulsion des Jésuites sur tout le territoire de la Suisse (Il s’agissait, en fait, d’un épisode dans le conflit qui opposait alors les tenants de la centralisation contre les défenseurs des libertés traditionnelles et fédérales).

En France, la majorité des journaux, des politiques, et la plupart des socialistes prenaient parti pour les centralisateurs suisses et contre le Sondebund.

Or, Proudhon ; (et c’est ce qui nous intéresse dans cet épisode), Proudhon, dès le début de cette querelle, s’insurge contre le coup de force du conseil fédéral, et prend la défense des Jésuites qu’il n’hésite pas à considérer comme, dit-il, « plus progressifs que leurs adversaires ». En aôut 47, il écrit à un ami suisse :

« Je déplore les dissenssions qui menacent sans cesse d’abîmer votre bonne et heureuse Suisse. Vous êtes aujourd’hui la nation la mieux placée pour tenter l’avenir, faire la leçon aux peuples et aux gouvernements ; est-il écrit que vous vous épuiserez dans une vaine imitation de nos utopies politiques, constitutionnelles et parlementaires6 ? »

Déclaration non rendue publique mais sans ambiguïté, favorable au fédéralisme et explicitement critique à l’égard des régimes centralisateurs. Or Proudhon ne poursuit pas, alors, ces réflexions et semble, tout au long de la période révolutionnaire de 1848, s’en désintéresser. On a ainsi une chronologie singulière de l’usage du mot : En 1840, en pleine période anarchiste, le mot de fédération n’apparaît pas dans son vocabulaire ; c’est plus tard, au cours de l’année 47 qu’il commence à s’en préoccuper et qu’il y consacre de nombreuses notes dans ses Carnets comme s’il poursuivait, pour lui-même, sa réflexion sur le sujet.

Mais, avec la Révolution de 48, l’intérêt pour le fédéralisme disparaît, sinon en de brêves allusions, comme on vient de le voir dans les Confessions. La question du fédéralisme revient en force après 1860 alors que Proudhon a quitté Paris en 1858 et s’est réfugié à Bruxelles pour échapper à la police et à sa nouvelle condamnation à 3 ans de prison. Tous les biographes sont d’accord pour attribuer la reprise de la réflexion sur le fédéralisme à la conjoncture politique (unification de l’Italie, projets d’unification en Allemagne …) mais cette conjoncture ne rend pas suffisamment compte de tout le cheminement de la pensée de Proudhon à ce sujet.

Comment expliquer ce long silence de Proudhon qui, en 1847 prend vigoureusement parti, dans son courrier, dans ses Carnets, pour le fédéralisme, contre la centralisation politique, et qui ne rend public ces positions politiques que 14 ans plus tard, en 1861 dans son gros volume, La Guerre et la Paix, et plus explicitement deux ans après, dans son ouvrage Du principe fédératif ?

Nous pourrions faire à ce sujet deux remarques, l’une sur les significations, sur les usages publics du mot, dans les années qui ont suivi la Révolution de 89 – l’autre sur le sens du mot dans le vocabulaire de Proudhon.

Avant la Révolution, l’ancien usage du mot latin foedus (union, être lié par alliance) est usité pour désigner l’union que les villages d’une vallée, par exemple, ou de villes voisines cotractent , se fédèrent, éventuellement contre une menace, contre le seigneur local par exemple. Mais le mot prend des significations nouvelles en fonction des évolutions politiques. A la veille de la Révolution, en 1788-89, à l’occasion de la rédaction des Cahiers de doléances, des fédérations se forment, des villes s’associent, la Fête de la Fédération, le 14 Juillet 179O couronne ce mouvement social qui sera magnifié par Jules Michelet. Mais lors des tensions entre Jacobins et Girondins ces derniers sont accusés de sympathie pour une république fédérative et soupçonnés de projets contre-révolutionnaires.

L’adjectif « fédéré » désigne aussi les gardes nationaux qui se réunirent au Champ de Mars en juillet 90 ; mais aussi les corps de volontaires enrôlés par l’Empereur pendant les Cent jours. Après tant de polémiques et de confusion, les mots de Fédération, Fédérés, Fédéralistes, étaient devenus suspects et, pour beaucoup, incompréhensibles. On peut penser que Proudhon, en 1850-1860, n’aie pas souhaité reprendre un terme si chargé de contradictions et de violences verbales, un terme si dévalué.

Aurait-ll, été inspiré, dans ces changements de vocabulaire, par l’ancienne tradition qui, depuis l’histoire des villes grecques, pouvait être source de réflexion sur les fédérations et leurs avatars ? On peut en douter : il n’évoque jamais la pensée de Montesquieu et, s’il fallait trouver des influences sur sa propre réflexion, il faudrait plutôt reprendre sa correspondance et ses échanges avec ses amis, tel Joseph Ferrari.

Ma deuxième remarque préalable concerne le mot de « Fédération » et la signification que Proudhon va privilégier. Ce terme peut désigner un régime politique établi comportant ses règles et ses hiérarchies, mais il peut aussi mettre l’accent sur les actions collectives conduisant à l’édification d’une fé- dération : sur le fait de « se fédérer ». Proudhon utilise ces deux significa- tions selon les situations et les conjonctures mais, dans la perspective  historique et dynamique qui est la sienne, c’est bien sur ce processus de création qu’il met l’accent et sur sa « spontanéité ». Lorsqu’il rappelle le mouvement collectif qui porta les citoyens, en 1788-89, à former des fédérations, c’est bien de ce processus actif et créatif qu’il s’agit : les citoyens se sont alors, eux-mêmes, fédérés. Dans Le Principe fédératif, il écrit, évoquant l’avenir : « ils se fédéreront… ».

Quelles conclusions provisoires

Quelles conclusions (provisoires) peut-on tirer de ces réflexions, pour ce qui concerne l’anarchisme et le fédéralisme ?

Proudhon a traité tant de sujets, évoqué tant de questions, que l’on pourrait dresser une liste impressionnante de sujets sur lesquels il n’a pas hésité

à rectifier ses affirmations. Il y était poussé par la diversité des questions posées par l’actualité révolutionnaire autant que par sa propre avidité à y répondre. Son propre penchant aux formules tranchantes (La propriété, c’est le vol… Dieu, c’est le mal) incitent le lecteur à la simplification d’une pensée, en réalité, complexe et nuancée.Mais ces changements ou rectifications ne doivent pas dissimuler les continuités sélectives depuis les premières affirmations anarchistes jusqu’aux thèses fédéralistes.

La dénonciation virulente de la propriété capitaliste qui constitue le premier thème de l’anarchisme ne donne pas lieu, dans les œuvres de la maturité, à des répétitions explicites. Cette critique est tenue pour acquise et surmontée dans la réalisation de la « Fédération agricole industrielle » placée à la base de l’édifice fédéral. La révolution sociale et économique, en suscitant ses multiples associations de production, dissiperait les possibilités d’accaparements financiers propres à un régime dépassé.

Il en est de même pour le deuxième thème de l’anarchisme, celui du « vol » capitaliste et de la division en deux classes qui en est la conséquence Ce ne serait qu’en cas d’échec de l’évolution vers la fédération que le retour à la division en classes rivales pourrait se renouveler.

Par contre, la généralisation du principe fédératif à la totalité du système social et politique remet en question la nature et les fonctions de l’Etat. Alors que l’Etat, dans les régimes de féodalité ou de démocratie traditionnelle tend à se saisir de tous les pouvoirs et à constituer ou reconstituer le despotisme, l’Etat d’un régime fédéral se trouve face à tous les contre-pouvoirs d’une société de liberté. Cette question de la délimitation du rôle de l’Etat est, écrit Proudhon, « une question de vie et de mort pour la liberté collective et individuelle7 »

« Le contrat de fédération, dont l’essence est de réserver toujours plus aux citoyens qu’à l’Etat, aux autorités municipales et provinciales plus qu’à l’autorité centrale pouvait seul nous mettre sur le chemin de la vérité. Dans une société libre, le rôle de l’Etat ou Gouvernement est par excellence un rôle de législation, d’institution, de création, d’inauguration ; – c’est, le moins possible un rôle d’exécution8 ».

Proudhon poursuit en donnant l’exemple de la monnaie. Dans un univers de fédérations, il entrerait, parmi les fonctions de l’Etat, de fixer les valeurs et les divisions des monnaies :

« C’est l’Etat qui fixe les poids et mesures, qui donne le module, la valeur et les divisions des monnaies9 »

écrit Proudhon dans le Principe fédératif. Mais le rôle de l’Etat se limiterait strictement à cette fonction d’initiation ; la fabrication des pièces ne relevant ensuite que des entreprises locales. En fait, le danger d’extension des pouvoirs, le danger d’expansion de l’emprise gouvernementale est permanent et c’est à l’esprit anarchiste d’exercer la vigilance nécessaire.

« Dans la fédération, le principe d’autorité étant subalternisé, la liberté prépondérante, l’ordre politique est une hiérarchie renversée dans laquelle la plus grande part de conseil, d’action, de richesse et de puissance reste aux mains de la multitude confédérée, sans pouvoir jamais passer à celles d’une autorité centrale10.

La notion même de gouvernement change radicalement de sens. Il ne s’agit plus d’un « pouvoir » mais, l’autorité étant « subalternisée », les fonctions autrefois dominantes cèdent place à l’ensemble des fonctions générales d’administration des échanges entre les fédérations et les confédérations.

Ainsi, ne peut-on aucunement confronter et comparer les positions et critiques à caractère anarchiste et les développements exposés dans le « Principe fédératif ». Il s’agit, dans les Mémoires sur la propriété ou dans Les Confessions d’un révolutionnaire, de recherches critiques sur les réalités économiques et politiques des temps présents. Dans le Principe fédératif, tout au contraire, et comme l’indique bien le titre de l’ouvrage, il s’agit d’une réflexion résolument théorique sur ce que serait une logique socio-politique étendue à l’ensemble d’une société, et même à l’universalité des sociétés politiques. De plus, les oppositions entre ces sociétés, réelles et imaginées, ne sont aucunement secondaires ou de détail, mais en oppositions radicales. Proudhon ne cesse de confronter les régimes par les antinomies entre les régimes centralisateurs et les régimes décentralisés, entre les systèmes de classes antagonistes et les systèmes égalitaires.

Ces deux modes de raisonnement conduisent, éventuellement, à ce qui peut apparaître comme des contradictions. On le voit bien dans les réflexions concernant l’Etat au sujet duquel Proudhon peut, dans Les Confessions d’un révolutionnaire, affirmer que l’Etat est nécessairement porté à l’extension de l’emprise, de la répression et, dans le Principe fédératif, insister, tout au contraire, sur son action positive, dans le cadre des liens d’égalité dans l’administration des rapports de confédérations pacifiques.

La contradiction n’est cependant qu’apparente. Proudhon oppose, en effet, deux approches opposées. Il veut clairement démontrer qu’un Etat unitaire et centralisé est inéluctablement porté à poursuivre son expansion et à renforcer ses oppressions et que, d’autre part, un Etat fédéral et décentralisé sera porté, au contraire, à multiplier ses actions dans le sens des libertés individuelles et collectives.

Par delà ces contradictions apparentes, les deux approches se confirment l’une l’autre. Elles poursuivent le même but, celui de démontrer combien la révolution démocratique et sociale répondrait aux aspirations collectives.

Comme on l’a souvent évoqué, la Commune de Paris, en 1871, n’a-t-elle pas été, par la spontanéité des fraternisations, par la recherche des liens de fédérations et de confédérations, une confirmation historique des thèses et des intuitions proudhoniennes ?

 

Notes

1  Qu’est-ce que la propriété ? Premier mémoire, Ed. Marcel Rivière, p. 286

2  Confessions d’un révolutionnaire, p. 69.

3  Ibid., p. 83

4  Ibid,, p. 217

5  Ibid., p. 87- 88

6  Cor., t. III, p. 391

7 Du principe fédératif, p. 326.

8  Ibid

9  Ibid. p. 327

10  Ibid. p. 409

 

Pour citer ce document

 

Pierre Ansart, «Proudhon : Anarchisme ou Fédéralisme?», Les cahiers psychologie politique [En ligne], numéro 16, Janvier 2010.

URL : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1412

 

Crise économique et sociale: Le véritable fédéralisme libertaire comme solution au capitalisme décrépit…

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Le contrat politique proudhonien: la fédération

 

~ Compilé par Résistance 71 ~

 

Source: Monde Nouveau, Proudhon-Fédéralisme

http://monde-nouveau.net/IMG/pdf/Proudhon_Federalisme.pdf

… En résumé, le fédéralisme est un mode d’organisation dans lequel chaque instance constitutive de l’organigramme est autonome pour ce qui concerne les questions qui la concernent directement, et qui délègue, par l’intermédiaire d’un ou plusieurs représentants désignés, une parcelle de sa souveraineté dans les instances supérieures de l’organigramme pour les questions qui dépassent son propre champ d’intervention. Il n’y a donc ni captation de tout le pouvoir par le sommet (centralisme), ni éparpillement du pouvoir (autonomisme). Ce point sera au centre du débat qui opposera les deux tendances de la première Internationale, les « autoritaires » (centralistes) et les « anti-autoritaires » (fédéralistes).

Par ailleurs, la vision proudhonienne, comme celle de Bakounine et de Kropotkine, s’inscrit dans un cadre général réalisant le principe de mutualité, c’est-à-dire de démocratie économique dans lequel les moyens de production sont collectivement et solidairement entre les mains des producteurs associés.

[…]

La cellule à partir de laquelle se construit la société fédérative est double : l’atelier et la commune. Proudhon conçoit la société comme un regroupement d’ateliers en associations, puis à un regroupement des associations en branches de production. Mais plus tard, il envisagera ce même processus à partir de structures géographiques, les communes, qui suivraient le même processus. D’ailleurs, les communes elles-mêmes ne sont pas perçues autrement que comme une fédération d’ateliers… La notion clé reste tout de même celle d’autonomie, c’est-à-dire la capacité de se donner à soi-même ses propres lois, et la reconnaissance mutuelle de l’autonomie des autres groupes. Il n’est donc pas question de s’enfermer dans le particularisme, qui finirait par détruire l’autonomie. « Avec mon système, le Centre est partout, la circonférence nulle part. C’est l’Unité. » Cette idée revient souvent chez Proudhon.

[..] Dans Autour d’une vie, Kropotkine livre une anticipation de ce que serait une société libérée de l’Autorité et de l’Exploitation et esquisse schématiquement ce qu’il pense être une organisation fédéraliste.

« Cette société sera composée d’une multitude d’associations, unies entre elles pour tout ce qui réclame un effort commun : fédérations de producteurs pour tous les genres de production, agricole, industrielle, intellectuelle, artistique, communes pour la consommation, se chargeant de pourvoir à tout ce qui concerne le logement, l’éclairage, le chauffage, l’alimentation, les institutions sanitaires, etc. ; fédérations des communes entre elles, et fédérations des communes avec les groupes de production; enfin, des groupes plus étendus encore, englobant tout un pays ou même plusieurs pays, et composés de personnes qui travailleront en commun à la satisfaction de ces besoins économiques, intellectuels et artistiques, qui ne sont pas limités à un territoire déterminé. »

«Tous ces groupes combineront librement leurs efforts par une entente réciproque, comme le font déjà actuellement les compagnies de chemins de fer et les administrations des postes de différents pays, qui n’ont pas de direction centrale des chemins de fer ou des postes, bien que les premières ne recherchent que leur intérêt égoïste et que les dernières appartiennent à des États différents et ennemis ; ou mieux encore comme les météorologistes, les clubs alpins, les stations de sauvetage en Angleterre, les cyclistes, les instituteurs, etc., qui unissent leurs efforts pour l’accomplissement d’œuvres de toutes sortes, d’ordre intellectuel, ou de simple agrément. Une liberté complète présidera au développement de formes nouvelles de production, d’invention et d’organisation ; l’initiative individuelle sera encouragée et toute tendance à l’uniformité et à la centralisation combattue.

«De plus, cette société ne se figera en des formes déterminées et immuables, mais elle se modifiera incessamment, car elle sera un organisme vivant, toujours en évolution. On ne sentira pas le besoin d’un gouvernement parce que l’accord et l’association librement consentis remplaceront toutes les fonctions que les gouvernements considèrent actuellement comme les leurs et que, les causes de ces conflits devenant plus rares, ces conflits eux-mêmes, au cas où ils pourraient encore se produire, seront réglés par l’arbitrage 32. »

=  =  =

Source: “Du contrat fédératif”, Proudhon, 1863

“Fédération, du latin fœdus, génitif, fœderis, c’est à dire, pacte, contrat, traité, convention, alliance etc… est une convention par laquelle plusieurs chefs de familles, une ou plusieurs communes, un ou plusieurs groupes de communes ou Etats, s’obligent réciproquement et également les uns envers les autres pour un ou plusieurs objets particuliers, dont la charge incombe alors spécialement et exclusivement aux délégués de la fédération…

En résumé, le système fédératif est l’opposé de la hiérarchie ou centralisation administrative et gouvernementale par laqualle se distingue ex aequo, les démocraties impériales, les monarchies constitutionnelles et les républiques unitaires. Sa loi fondamentale, caractéristique, est celle-ci: dans la fédération, les attributs de l’autorité centrale se spécialisent et se restreignent, diminuent de nombre, d’immédiateté et si j’ose ainsi dire d’intensité, à mesure que la confédération se développe par l’accession de nouveau États.”

Note de Proudhon: Ainsi une confédération n’est pas précisément un État: c’est un groupe d’états souverains et indépendants, ligués par un pacte de garantie mutuelle. Une constitution fédérale n’est pas non plus ce que l’on entend en France par charte ou constitution et qui est l’abrégé du droit public du pays, mais c’est le pacte qui contient les conditions de la ligue, c’est à dire les droits et obligations réciproques des états. Ce que l’on appelle Autorité Fédérale enfin, n’est pas d’avantage un gouvernement, c’est une agence créée par les états, pour l’exécution en commun de certains services dont chaque état se déssaisit et qui deviennent des attributions fédérales.

~ “Toutes mes idées économiques, élaborées depuis 25 ans peuvent se résumer en ces trois mots: Fédération agricole-industrielle, Toutes mes vues politiques se réduisent à une formule semblable: Fédération politique ou Décentralisation”

~ “Les groupes qui composent la Confédération, ce qu’on nomme ailleurs: État, sont eux-mêmes des États, se gouvernant, se jugeant et s’administrant en toute souveraineté selon leurs lois propres.

La confédération a pour but de la rallier dans un pacte de garantie mutuelle.

Dans chacuns des États confédérés, le gouvernement est organisé selon le principe de la séparation des pouvoirs: l’égalité devant la loi et le suffrage universel en forment la base.

Voilà tout le système. Dnas la confédération, les unités qui forment le corps politique ne sont pas des individus, citoyens ou sujets, ce sont des groupes, donnés a priori par la nature et dont la grandeur moyenne ne dépasse pas celle d’une population rassemblée sur un territoire de quelques centaines de lieues carrées. Ces groupes sont eux-mêmes des petits états, organisés démocratiquement sous la protection fédérale et dont les unités sont les chefs de familles ou citoyens.”

~ “Que nous demande la justice exprimée par le contrat ? De remplacer  le principe de monopole par celui de mutualité dans tous les cas où il s’agit de garantie industrielle, de crédit, d’assurance, de service public…”

=  =  =

Fédéralisme et Confédéralisme:

Source Wikipedia:

La distinction entre les deux notions est parfois délicate comme dans le cas de la Suisse qui a conservé le nom de Confédération suisse même après qu’elle se fut dotée d’une constitution fédérale. Le droit international permet une distinction simple : les États membres d’une confédération demeurent des États du point de vue du droit international alors que seul l’État fédéral dispose de ce statut pour une fédération.

D’un point de vue juridique,

▪  une confédération d’États répond à une logique horizontale. Les États confédérés, tous égaux, vont s’associer sur certains points par le biais d’un traité international. Les États restent des États unitaires et conservent toute leur souveraineté, il ne s’agit que de transferts de compétences ;

▪  une fédération répond à une logique verticale, qui peut être :

▪  descendante, c’est-à-dire qu’un État unitaire va se scinder en plusieurs entités fédérées ;

ascendante, c’est-à-dire que des États unitaires vont créer, par le biais d’une constitution, un État qui leur est supérieur, l’État fédéral.

=

Commentaire de Résistance 71 :

Le politique moderne a complètement détourné le sens original du fédéralisme, qui d’un contrat politique induisant la “fédération” libre de groupes sociaux allant de quelques personnes à des communes fédérées entre elles et régies par un pouvoir local décentralisé, est devenu une notion de super état centralisé exacerbant les strates verticales et dans la pratique absorbant la souveraineté soi-disant garantie des sous-ensembles humains la composant, pouvant être des nations comme dans le cas de l’Union Européenne.

Des exemples modernes comme les Etats-Unis où le “pouvoir fédéral” ne laisse quasiment plus de liberté ou seulement une liberté d’apparat aux états qui le compose. La désintégration des libertés sous le joug fédéral s’y est accéléré depuis 2001.

Un autre exemple de la fumisterie fédérale oligarchique est l’Union Européenne, qui elle aussi devient de plus en plus envahissante, centralisée, tentaculaire et dictatoriale, les nations ayant perdu leur souveraineté.

La fédération ou le fédéralisme est le principe du contrat politique de mutualité qui unit des cellules socio-économiques librement fédérées qui dans la pratique deviennent les éléments d’une confédération par libre adhésion, régie par des assemblées populaires locales, qui peuvent envoyer des délégations temporaires, révocables et n’ayant aucun pouvoir exécutif, vers des assemblées temporaires et tout aussi révocables couvrant une plus grande région géographique. Le pouvoir vient des bases locales, les délégations et leurs délégués (affectés à cette tâche par roulement), ne sont que des rapporteurs sans pouvoir exécutif.

Voilà ce que devrait-être le véritable sens théorique et pratique du principe fédéraliste confédérant les communes libres.

Émancipation sociale: L’autogestion est la voie de la sagesse…

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Excellente présentation du Groupe Louise Michel, qui reconfirme s’il en était besoin, que l’autogestion dans les communes libres fédérées est la voie du futur pour une société égalitaire et donc libre. Sans égalité (sociale et politique), ni fraternité (entr’aide mutuelle, compassion et coopération), aucune liberté n’est possible, jamais !

Voici ce que dit Proudhon dans son ouvrage à redécouvrir de 1863: « Du principe fédératif »: « Voilà tout le système, dans la confédération, les unités qui conforment le corps politique ne sont pas des individus, citoyens ou sujets; ce sont des groupes, donnés a priori par la nature et dont la taille moyenne ne dépasse pas celle d’une population rassemblée sur un territoire de quelques centaines de kilomètres carré. Ces groupes sont eux-mêmes de petits états, organisés démocratiquement sous la protection fédérale et dont les unités sont les citoyens. »

En conclusion de ce fascinant petit livre, Proudhon, visionnaire, nous dit ceci (en 1863 ne l’oublions pas !…):

« Ainsi, la réduction et la péréquation de l’impôt ne peuvent pas être obtenues sous un pouvoir à haute pression, puisque pour réduire et égaliser l’impôt, il faudrait commencer par le décentraliser ; ainsi la dette publique ne se liquidera jamais, elle augmentera toujours plus ou moins rapidement aussi bien sous une république unitaire que sous une monarchie bourgeoise ; ainsi le débouché extérieur, qui devrait apporter à la nation un surcroît de richesse, est annulé par la restriction du marché intérieur, restriction causée par l’énormité des taxes; ainsi les valeurs, prix et salaires ne se régulariseront jamais dans un milieu antagonique où la spéculation, le trafic et la boutique, la banque et l’usure l’emportent de plus en plus sur le travail. Ainsi enfin, l’association ouvrière restera une utopie, tant que le gouvernement n’aura pas compris que les services publics ne doivent être ni exécutés par lui-même, ni convertis en entreprises privées et anonymes, mais confiés à forfait et par baux à terme à des compagnies d’ouvriers solidaires et responsables. Fini l’immixtion du pouvoir dans le travail et les affaires, plus d’encouragements au commerce et à l’industrie, plus de subventions, plus de concessions, plus de prêts et d’emprunts, plus de pots-de-vins, plus d’actions de jouissances ou industrielles, plus d’agiotage: de quel système pouvez-vous attendre de pareilles réformes si ce n’est du système fédératif ? »

La gestion directe des communes est partie prenante d’un système fédératif ou quelque soit le nom qu’on lui donne. C’est l’avenir incontestable de l’humanité, commençons ensemble à bâtir une société égalitaire et libre…

— Résistance 71 —

 

Gestion directe de nos communes

Pour que personne ne décide à notre place

 

Groupe Louise Michel de la Fédération Anarchiste

 

L’alternance politicienne entre la droite et la gauche, avec leurs alliés de tout le spectre de la « démocratie » parlementaire, nous a clairement démontré combien les politicards font preuve d’efficacité, lorsqu’il s’agit de favoriser les profiteurs qui s’engraissent sur notre dos.

Au nom d’une gestion réaliste de notre vie commune, ils nous imposent une économie de plus en plus libérale où la société est cogérée par les « décideurs » : représentants des multinationales, du patronat, leaders d’opinions, responsables des partis dit politiques et de certains syndicats. Ceux-ci tiennent bien serrées dans leurs mains les rênes de l’économie, gèrent le capital, et cherchent à travers la « politique » à contrôler totalement notre existence. On veut nous faire croire que ce mode de gestion est le seul possible et qu’à défaut de pouvoir lutter contre le capitalisme, il faut se contenter de le gérer le mieux possible.

Attention !

La globalisation croissante de l’économie est en train de dissoudre les intérêts des populations locales dans ceux des cartels financiers internationaux. Cette concentration du pouvoir économique mondial s’accompagne d’une centralisation du pouvoir politique qui amène de fait une nouvelle forme de totalitarisme qui, si nous n’y prenons garde, risque de balayer à terme toute forme de démocratie ! Oublier l’histoire, c’est se condamner à la revivre. Devrons-nous attendre en moutons résignés l’avènement d’une dictature souhaitée par certains aujourd’hui, ou choisirons-nous la voie de la responsabilité et de l’égalité ?

La lutte pour la gestion directe

Que personne ne décide à notre place ! Organisons la solidarité et l’entraide entre les habitants de nos communes contre les affairistes. Préparons-nous à remplacer l’État, institution parasite et étouffante, par une organisation fédéraliste des différents secteurs de la société. Demain, gérons nous-mêmes, directement, nos cités et notre travail. Supprimons les inégalités sociales et économiques.

Après l’échec à l’Ouest, à l’Est, au Sud et au Nord de toutes les doctrines autoritaires (coloniales, démocratiques, dictatoriales ou théocratiques), luttons pour une société libertaire ; débarrassons-nous des gouvernants et des patrons.

Les principes

Les principes de gestion directe communale telle que les libertaires la conçoivent sont clairs.

Ils supposent :

 

• Le fédéralisme, agent de coordination en remplacement de l’État, qui est un agent de coercition du système capitaliste.

• Des assemblées générales souveraines.

• Le mandatement impératif des délégués.

• La révocabilité des délégués élus.

• Des Comités de quartier et par thèmes transversaux (culture, éducation, transports…)

• Une socialisation des services avec des décisions prises par un collège comprenant :

– Les usagers de ce service.

– Les citoyens de la commune.

– Les personnes travaillant à faire fonctionner ce service.

Nous nous démarquons de cette démocratie participative mise à la mode – comme par hasard – à la veille des élections. Chrétiens progressistes, marxistes modernistes, et certains écologistes, ne vous proposent que d’améliorer l’information et la consultation des citoyens sur des décisions qu’ils auront déjà prises. L’utilisation du terme « gestion directe » indique clairement qu’il faut inverser complètement le processus d’élaboration des décisions afin que NOUS restions maîtres de notre avenir.

La gestion directe… Pour quoi faire ?

La participation à la gestion d’une commune n’a d’intérêt pour un citoyen que si elle transforme ses conditions d’existence. Gérer en commun une municipalité, alors que celle-ci conserve ses structures étatiques et les inégalités économiques, consisterait pour les citoyens à gérer eux-mêmes leur propre asservissement, leur propre misère. Ce qui caractérise les structures étatiques ce sont :

• La hiérarchisation des responsabilités et des décisions.

• L’assujettissement de tous à quelques-uns.

• Les inégalités sociales et économiques.

• L’existence d’une classe dirigeante privilégiée.

Demain, si dans la commune gérée directement, il reste des différences économiques ou sociales, il se reconstituera une nouvelle classe dirigeante, qui défendra par tous les moyens ses privilèges. Les anarchistes pensent contrairement aux marxistes avec leur période de transition, qu’il faut supprimer immédiatement tous les privilèges de classe sans exception.

Les citoyens se demandent ce qu’ils peuvent gagner à la gestion directe de leur commune. Ils pèsent les avantages et les inconvénients qui en résulteront pour eux et dont le principal est la responsabilité : c’est celui qui les fait le plus réfléchir car celle qu’ils assureront dans leur commune engagera celle de leurs conditions de vie.

Nous touchons ici au problème humain, celui des hommes et des femmes devant la responsabilité, celui de la quiétude qui résulte d’une certaine servilité, surtout lorsqu’elle s’assortit de conditions d’existence, morales et économiques, acceptables.

Il est possible d’avancer des raisons solides qui peuvent nous convaincre que les citoyens auraient intérêt à gérer eux-mêmes directement leur commune. Il y a la maîtrise de leur cadre de vie, de leur environnement ; une meilleure gestion des services au public, qui plutôt que d’être gérés en fonction de leur rentabilité financière ou électorale, le seraient réellement en fonction de leur utilité sociale déterminée par tous…

Agir au lieu d’élire

Nous ne pouvons pas nous contenter de dénoncer, de critiquer et d’émettre des principes, sans proposer des moyens concrets de mettre ces principes en œuvre.

Au niveau communal, il est possible d’organiser des contre-pouvoirs, en mettant en place des assemblées parallèles de citoyens élaborant des contre-propositions à la gestion municipale. Dès aujourd’hui nous nous battons pour :

• Les transports gratuits pour tous ;

• La gratuité de la santé de proximité ;

• Un accès libre et gratuit à tous les espaces et services culturels (bibliothèque, salles de réunion, de répétition…) ;

• La réquisition des logements vides et leur gestion directe par des représentants des habitants révocables ;

• Le contrôle de tous les projets d’urbanisme par des comités transversaux et de quartiers révocables ;

• Etc.

Nous pouvons aussi investir les réunions publiques des conseils municipaux issus du système électoral par des délégués révocables avec mandats impératifs, faisant valoir la volonté des habitants. Mais nous ne voulons pas reproduire l’erreur qui consisterait à se présenter sur les listes électorales pour se faire élire sans mandats impératifs et sans révocabilité, se serait essayer d’imposer nos principes par le haut.

Anarchistes, nous pensons que le seul pouvoir possible est celui de la base, et l’expérience nous a démontré que même les meilleurs d’entre nous ne peuvent exercer un pouvoir sur les autres sans se faire ronger et anéantir par celui-ci. Le pouvoir est maudit, c’est pourquoi nous sommes anarchistes !

Innover dans la continuité

Déjà les communes révolutionnaires qui nous ont précédées : Paris 1793 et 1871, Goulaï Polie 1917, Kronstadt 1921, Espagne 1936… se basant sur la gestion directe de la commune par ses citoyens, permirent l’éclosion d’idées d’organisation, que se soit sur le ravitaillement, la santé, l’éducation ou l’organisation du travail qui, si elles ont été pour la plupart reprises et accommodées par les dirigeants centralistes, n’ont pu dans le contexte étatiste, atteindre le degré d’efficacité qu’elles avaient dans ces communes. Ne citons entre autres que l’école publique laïque pour tous (Paris 1871), la réquisition et répartition des logements vacants (Kronstadt 1921), les systèmes de santé socialisés accessibles à tous (Espagne 1936)…

Tout cela nous montre que la gestion directe d’une commune, si ce n’est pas une idée nouvelle, c’est le moyen le plus efficace d’une politique dynamique portée vers l’avenir car conçue et appliquée par tous.

 

=  =  =

 

Groupe Louise Michel

dans Le Monde Libertaire

http://www.federation-anarchiste.org/ml/numeros/1228/article_10.html

L’illusion démocratique: Du principe d’autorité (Proudhon) en cinq épisodes – 2ème partie –

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, démocratie participative, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique française, résistance politique, santé, santé et vaccins with tags , , , , , , , , , , , on 13 mars 2012 by Résistance 71

Nous publions ici en cinq épisodes un texte essentiel de Pierre Joseph Proudhon et de la littérature anarchiste: « Du principe d’autorité ». Essai qui identifie les tenants du leurre démocratique et fait toucher du doigt les remèdes à ce fléau.

Le texte se divise en ces parties:

1– Le préjugé gouvernemental

2- Du pouvoir absolu à l’anarchie

3- Des lois et du système représentatif

4- Du suffrage universel et du gouvernement du peuple

5- Plus (la fin de) d’autorité

A lire et diffuser sans modération…

— Résistance 71 —

DU POUVOIR ABSOLU À L’ANARCHIE (Du principe d’autorité, 2ème partie)

Pierre Joseph Proudhon (1853)

(…) Toute l’idée s’établit ou se réfute en une suite de termes qui en sont comme l’organisme, et dont le dernier démontre irrévocablement sa vérité ou son erreur. Si l’évolution, au lieu de se faire simplement dans l’esprit, par les théories, s’effectue en même temps dans les institutions et les actes, elle constitue l’histoire. C’est le cas qui se présente pour le principe d’autorité ou de gouvernement.

Le premier terme sous lequel se manifeste ce principe est le pouvoir absolu. C’est la formule la plus pure, la plus rationnelle, la plus énergique, la plus franche et, à tout prendre, la moins immorale et la moins pénible, de gouvernement.

Mais l’absolutisme, dans son expression naïve, est odieux à la raison et à la liberté ; la conscience des peuples s’est de tout temps soulevée contre lui ; à la suite de la conscience, la révolte a fait entendre sa protestation. Le principe a donc été forcé de reculer : il a reculé pas à pas, par une suite de concessions, toutes plus insuffisantes les unes que les autres, et dont la dernière, la démocratie pure ou le gouvernement direct, aboutit à l’impossible et à l’absurde. Le premier terme de la série étant donc l’absolutisme, le terme final, fatidique, est l’anarchie, entendue dans tous les sens.

Nous allons passer en revue, les uns après les autres, les principaux termes de cette grande évolution.

L’humanité demande à ses maîtres : « Pourquoi prétendez-vous régner sur moi et me gouverner ? » Ils répondent : « Parce que la société ne peut se passer d’ordre ; parce qu’il faut dans une société des hommes qui obéissent et qui travaillent, pendant que les autres commandent et dirigent; parce que les facultés individuelles étant inégales, les intérêts opposés, les passions antagonistes, le bien particulier de chacun opposé au bien de tous, il faut une autorité qui assigne la limite des droits et des devoirs, un arbitre qui tranche les conflits, une force publique qui fasse exécuter les jugements du souverain. Or, le pouvoir, l’État, est précisément cette autorité discrétionnaire, cet arbitre qui rend à chacun ce qui lui appartient, cette force qui assure et fait respecter la paix. Le gouvernement, en deux mots, est le principe et la garantie de l’ordre social : c’est ce que déclarent à la fois le sens commun et la nature. »

À toutes les époques, dans la bouche de tous les pouvoirs vous la retrouvez identique, invariable, dans les livres des économistes malthusiens, dans les journaux de la réaction et dans les professions de foi des républicains. Il n’y a de différence, entre eux tous, que par la mesure des concessions qu’ils prétendent faire à la liberté sur le principe : concessions illusoires, qui ajoutent aux formes de gouvernement dites tempérées, constitutionnelles, démocratiques, etc., un assaisonnement d’hypocrisie dont la saveur ne les rend que plus méprisables.

Ainsi le gouvernement, dans la simplicité de sa nature, se présente comme la condition absolue, nécessaire, sine qua non, de l’ordre. C’est pour cela qu’il aspire toujours, et sous tous les masques, à l’absolutisme : en effet, d’après le principe, plus le gouvernement est fort, plus l’ordre approche de la perfection. Ces deux notions, le gouvernement et l’ordre, seraient donc l’une à l’autre dans le rapport de la cause à l’effet : la cause serait le gouvernement, l’effet serait l’ordre. C’est bien aussi comme cela que les sociétés primitives ont raisonné.

(…) Mais ce raisonnement n’en est pas moins faux, et la conclusion de plein droit inadmissible, attendu que, d’après la classification logique des idées, le rapport de gouvernement à ordre n’est point du tout, comme le prétendent les chefs d’État, celui de cause à effet, c’est celui du particulier au général. L’ordre, voilà le genre ; le gouvernement, voilà l’espèce. En d’autres termes, il y a plusieurs manières de concevoir l’ordre : qui nous prouve que l’ordre dans la société soit celui qu’il plaît à ses maîtres de lui assigner ?

On allègue, d’un côté, l’inégalité naturelle des facultés, d’où l’on induit celle des conditions ; de l’autre, l’impossibilité de ramener à l’unité la divergence des intérêts et d’accorder les sentiments.

Mais, dans cet antagonisme, on ne saurait voir tout au plus qu’une question à résoudre, non un prétexte à la tyrannie. L’inégalité des facultés ? la divergence des intérêts ? Eh ! souverains à couronne, à faisceaux et à écharpes. Voilà précisément ce que nous appelons le problème social : et vous croyez en venir à bout par le bâton et la baïonnette ? Saint-Simon avait bien raison de faire synonymes ces deux mots, gouvernemental et militaire. Le gouvernement faisant l’ordre dans la société, c’est Alexandre coupant avec son sabre le noeud gordien.

Qui donc, pasteurs des peuples, vous autorise à penser que le problème de la contradiction des intérêts et de l’inégalité des facultés ne peut être résolu ? que la distinction des classes en découle nécessairement ? et que, pour maintenir cette distinction, naturelle et providentielle, la force est nécessaire, légitime ? J’affirme, au contraire, et tous ceux que le monde appelle utopistes, parce qu’ils repoussent votre tyrannie, affirment avec moi que cette solution peut être trouvée. Quelques-uns ont cru la découvrir dans la communauté, d’autres dans l’association, d’autres encore dans la série industrielle. Je dis pour ma part qu’elle est dans l’organisation des forces économiques, sous la loi suprême du contrat. Qui vous dit qu’aucune de ces hypothèses n’est vraie ?

À votre théorie gouvernementale, qui n’a pour cause que votre ignorance, pour principe qu’un sophisme, pour moyen que la force, pour but que l’exploitation de l’humanité, le progrès du travail, des idées, vous oppose par ma bouche cette théorie libérale : trouver une forme de transaction qui, ramenant à l’unité la divergence des intérêts, identifiant le bien particulier et le bien général, effaçant l’inégalité de nature par celle de l’éducation, résolve toutes les contradictions politiques et économiques : où chaque individu soit également et synonymiquement producteur et consommateur, citoyen et prince, administrateur et administré; où sa liberté augmente toujours, sans qu’il ait besoin d’en aliéner jamais rien ; où son bien-être s’accroisse indéfiniment, sans qu’il puisse éprouver, du fait de la société ou de ses concitoyens, aucun préjudice, ni dans sa propriété, ni dans son travail, ni dans son revenu, ni dans ses rapports d’intérêts, d’opinion ou d’affection avec ses semblables.

Quoi ! ces conditions vous semblent impossibles à réaliser ? le contrat social, quand vous considérez l’effrayante multitude des rapports qu’il doit régler, vous paraît ce que l’on peut imaginer de plus inextricable, quelque chose comme la quadrature du cercle et le mouvement perpétuel. C’est pour cela que, de guerre lasse, vous vous rejetez dans l’absolutisme, dans la force.

Considérez cependant que si le contrat social peut être résolu entre deux producteurs – et qui doute que, réduit à ces termes simples, il ne puisse recevoir de solution ? -, il peut être résolu également entre des millions, puisqu’il s’agit toujours du même engagement, et que le nombre des signatures, en le rendant de plus en plus efficace, n’y ajoute pas un article. Votre raison d’impuissance ne subsiste donc pas : elle est ridicule et vous rend inexcusables.

En tout cas, hommes de pouvoir, voici ce que vous dit le producteur, le prolétaire, l’esclave, celui que vous aspirez à faire travailler pour vous : Je ne demande le bien ni la brasse de personne, et ne suis pas disposé à souffrir que le fruit de mon labeur devienne la proie d’un autre. Je veux aussi l’ordre, autant et plus que ceux qui le troublent par leur prétendu gouvernement; mais je le veux comme un effet de ma volonté, une condition de mon travail et une foi de ma raison. Je ne le subirai jamais venant d’une volonté étrangère et m’imposant pour conditions préalables la servitude et le sacrifice.

A suivre…

Solutions au marasme sociétaire: un exemple viable… Le fédéralisme libertaire.

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique française, résistance politique, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 13 octobre 2011 by Résistance 71

Nous avons traduit ce texte de l’anarchiste suisse James Guillaume, texte écrit de manière contemporaine à la Commune de Paris de 1871. Nous le publions pour donner un exemple de ce que pourrait être une société libertaire fédéraliste, en réponse à la très intéressante participation de certains lecteurs sur notre billet récent de traduction du programme de la FAI.

Le fédéralisme proudhonien, énoncé par Pierre Joseph Proudhon dans son ouvrage de 1863 « Du principe fédératif », a évolué depuis lors et a été repris par plusieurs mouvements anarchistes dont le plus récent, celui du municipalisme libertaire de Murray Bookchin, qui a adapté le modèle fédératif proudhonien aux temps modernes.

L’histoire nous a démontré depuis l’aube des sociétés humaines (qui précèdent l’état) que l’hégémonie des propriétaires et des rentiers tant religieux que séculiers a induit la création d’une entité sociale de contrôle: l’état-nation. Le principe de fédéralisme des communes librement associées auto-gérées sans pouvoir central coercitif s’avère être une option non seulement viable mais parfaitement réalisable dans le contexte du marasme destructeur généré par les états obsolètes inéluctablement inféodés au grand capital financier et industriel transnational.

Nous devons nous rendre compte qu’il n’y a pas de solutions au sein du système, qu’il faut en sortir, radicalement, car celui-ci est bien au-delà de toute rédemption. Le pouvoir doit se diluer dans les peuples par le truchement d’une société « plate » (par opposition au modèle pyramidal oligarchique dans lequel nous vivons depuis plus de 3000 ans…) et égalitaire. Pour ce faire, nous devons adresser les problèmes fondamentaux qui sont à la racine de la très très grande majorité du « mal vivre » humain: la propriété qui induit l’inégalité sociale et bloque l’émancipation humaine et l’avènement de la liberté sur cette planète.

Il ne peut pas y avoir de Liberté sans égalité. Il ne peut pas y avoir de « démocratie » (littéralement le pouvoir du peuple) sans liberté. La liberté par l’égalité sociale est le droit de toutes et tous et non pas celui d’une « élite » arrogante auto-proclamée.

Il nous faut abolir l’Institution et ses sous-ensembles afin de redonner une valeur à la nature humaine faite de solidarité, de compassion, de créativité et d’élan progressiste. Toutes ces choses sont des hérésies pour le dogme oligarchique prévalent et doivent être éliminées, mises au pilori, dénoncées comme « utopiques », alors que l’oligarchie en place nous fait prendre des vessies pour des lanternes à grand renfort de propagande et de pseudo-science doctrinaire depuis l’origine de la supercherie.

Il est temps de dire NON ! En masse et solidairement, reprenons le pouvoir et diluons le dans ce qui est son essence même: les peuples.

— Résistance 71 —

 

 

Le fédéralisme

 

Par James Guillaume

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

La véritable nature de la révolution qui s’est accomplie à Paris a été mise en exergue de telle façon que même les esprits les moins familiers avec les théories politiques, puissent maintenant en percevoir la teneur le plus clairement possible.

La révolution de Paris est fédéraliste.

Les Parisiens désirent avoir la liberté de s’organiser comme ils l’entendent, sans que le reste de la France n’intervienne dans les affaires parisiennes, et de la même manière, ils renoncent de leur côté à toute interférence dans les affaires des départements, en les encourageant à s’organiser comme bon leur semble et ce dans la plénitude de l’autonomie communale.

Les organisations différentes qui seraient ainsi librement constituées, pourraient se fédérer librement afin de garantir mutuellement leurs droits et leur indépendance.

Il est ici important de ne pas confondre le fédéralisme comme il est compris par la commune de Paris avec les soi-disant fédéralismes qui existent en Suisse (NdT: James Guillaume était Suisse, jurassien…) et aux Etats-Unis d’Amérique.

La Suisse est simplement un  état fédéraliste, et ce simple mot explique déjà toute la différence entre ces deux systèmes. La Suisse est un état, ce qui veut dire une unité nationale et ce faisant et malgré les apparences fédératives, la souveraineté est accordée à une nation, dans son entièreté. Les cantons, au lieu d’être considérés comme des individualités distinctes et souveraines par nature, ne sont en fait que des fractions d’un tout qui est appelé la nation suisse. Un canton n’a pas la libre disposition de lui-même; il peut parfois en certains cas, gérer ses propres affaires, mais il ne possède pas d’autonomie réelle, ses facultés législatives sont limitées par la constitution fédérale et cette constitution fédérale n’est pas un contrat au sens propre du mot car il n’a pas été accepté individuellement par chacune des parties en cause: il a été imposé aux cantons par le vote de la majorité. Un canton n’a pas le pouvoir, ni le droit d’en finir avec le contrat fédéral, il lui est interdit de quitter la fédération; il est même interdit, comme nous le voyons en ce moment avec l’affaire du Tessin, de se diviser afin de former de nouveau canton. Le plus petit mouvement politique ou socialiste, un grève par exemple, peut amener la troupe dans le canton.

Ainsi, la fédération en Suisse, n’est que vain mot. Ce n’est pas la fédération qui est le véritable nom du système suisse, c’est la décentralisation. La Suisse se rapproche du sytème qui a été établi en France par la constitution de 1791, et que l’assemblée de Versailles, “inspiré des grands principes de 1789”, propose de restaurer afin de faire semblant de se donner des aspirations fédéralistes.

Le fédéralisme, dans le sens qui lui a été donné par la commune de Paris et celui qui lui fut donné il y a des années par le grand socialiste Proudhon, qui fut le premier à énoncer scientifiquement la théorie, le fédéralisme donc est au dessus de toute négation d’une nation ou de l’état.

Pour le fédéralisme, il n’y a plus de nation, plus d’unité nationale ou territoriale. Il n’y a qu’une agglomération de communes fédérées, une agglomération qui a pour principe de détermination les seuls intérêts des parties contractantes et qui en conséquence n’a absolument aucune vue sur les questions de territoire ou de nationalisme.

De la même manière, il n’y a plus d’État, plus de pouvoir central supérieur aux groupes et leur imposant son autorité: il n’y a que la force collective qui résulte de la fédération volontaire des groupes et cette force collective, qui agit comme garantie et force de maintien du contrat fédéral, véritable contrat cette fois-ci, qui a été stipulé individuellement par chaque partie intéressée, cette force collective disons-nous, ne peut jamais devenir quelque chose de prévalent et de supérieur aux groupes fédérés, quelque chose qui ressemble à ce qu’est l’état aujourd’hui en regard de la société et des communes. L’état national centralisé n’existe donc plus et les communes apprécient enfin la plénitude de leur indépendance, il y a donc un véritable sens an-archique en l’absence d’autorité centrale.

Ne croyons néanmoins pas qu’après avoir supprimé les états et le nationalisme, le fédéralisme mènera à l’individualisme absolu, à l’isolation et à l’égoïsme. Non, le fédéralisme est socialiste et en cela sa solidarité est inséparable de la liberté. Les communes, tout en restant totalement indépendantes et autonomes, se sentent elles-mêmes, par la force des choses, solidaire l’une de l’autre et sans sacrifier aucunement à leur liberté ou pour le dire mieux, afin de mieux assurer leur liberté présente et future, s’unissent étroitement entr’elles par contrats fédératifs, où elles stipulent tout ce qui touche à leur intérêt commun: les services publics, les échanges de produits, la garantie des droits individuels et une aide mutuelle en cas d’agression.

Laissons le peuple français, finalement éveillé à leur mauvaise fortune, ouvrir ses yeux à la lumière de la vérité: laissons les en 1871, être les initiateurs de la république fédéraliste et sociale, comme ils le furent en 1793 et proclamateurs des droits des hommes; en Europe, préservés de la restauration gothique dont l’empire allemand la menace, elle fera briller dans le futur les jours glorieux de l’égalité et de la liberté.

Source: Retrieved on September 14, 2011 from http://libertarian-labyrinth.blogspot.com/2009/09/james-guillaume-on-federation.html