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Société, état, rébellion et insurrection… pensées critiques anarchistes organiques et hors moule… (Monkey Bars)

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, colonialisme, coronavirus CoV19, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, média et propagande, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , , on 17 mai 2023 by Résistance 71

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L’allure de l’insurrection

Monkey Bars

2009

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Mai 2023

Cet essai est une tentative de clarification de quelques incertitudes et affirmations au sujet des analyses insurrectionnelles comme étant incompréhensibles, ce espérons-le pour le bénéfice de ceux qui ont été critiques de cette tendance. Nous traiterons aussi ici de quelques sujets émanant des écrits anarchistes et des arguments souvent dogmatiques entretenus entre les factions anarchistes (NdT : ce que nous appelons ici les “guéguerres de clochers”, qui valent aussi pour une frange marxienne moins dogmatique que sa contre-partie autoritaire d’état, mais favorisant aussi une division qui n’a plus lieu d’être quand on s’accorde sur les conclusions et le chemin à emprunter, ce qui doit se faire par-delà toutes les factions politiques systémiques entretenues…). Pas besoin de dire ici que ceci est fait en solidarité de tous les exploités et discriminés, victimes de cette prison appelée “société”, ce sans exception.

Dans le milieu anarchiste souvent masochiste, certaines modes ont émergé invoquant l’insurrection et la guerre sociale. Bien que ces tendances aient été marginalisées et attaquées au sein du milieu, on oublie souvent que ceci n’est en rien nouveau. Beaucoup, si ce n’est tous les anarchistes dans l’histoire, ont été des insurgés croyant que c’était peine perdue pour une vie individuelle ou pour un groupe entier, de se dédier à la planification, l’attente, la trépidation d’une révolution, plus encore d’un révolution anarchiste et encore moins d’une qui aurait un quelconque succès. Une autre tendance, historiquement plus insignifiante mais apparemment prévalante aujourd’hui dans le milieu anarchiste, refuse toute suggestion de militantisme ou de conflit, cherchant simplement à diriger la société dans une direction libertaire jusqu’à ce que les institutions soient transformées. La critique vise la stratégie de ces notions, suggérant que de telles conditions (r)évolutionnaires ne peuvent pas venir du travail d’une poignée d’activistes et qu’il est prétentieux que de penser autrement. De la même manière, les institutions de la société ne vont pas se coucher tranquillement tandis que le peuple les “réforme”. Peut-être que la plus forte des réponses est la plus simple : qu’une vie passée à planifier, attendre la révolution ou elle “changement social” est voué à être insatisfaisant et frustrant, comme une vie de désir contenu voilée de célibat.

Mais, étant donné la fortification d’une éthique du travail occidentale masochiste, beaucoup trouvent du plaisir dans le boulot d’activiste et de travailler vers une révolution ou un changement social dont ils ne voient pas l’ombre. Tandis que de tels activistes (anarchistes, marxistes ou autres) poussent les autres radicaux à mettre de longues heures dans la construction d’institutions durables et de communication avec “le public”, il est évident que de par le petit nombre des mouvements radicaux gauchistes, pour la plupart des gens, un seul boulot est assez. Quand on donne le choix entre attendre une révolution ou travailler pour elle, je ne suis pas sûr de savoir quelle douleur auto-infligée est la meilleure… Ou bien puis-je les mélanger ? Ou devrais-je juste me suicider ?…

Cette critique de l’activisme et de la révolution sociale est bien connue, je vais donc me limiter à ça ici. Aussi, je ne veux pas dégrader les intérêts et les idées de radicaux différents, aussi loin qu’ils soient dignes d’intérêt et non pas des devoirs moraux ou des plateformes politiques. Je ne ferai pas non plus de critique de longue haleine de la sous-culture anarchiste, ces thèmes sont déjà abondamment discutés. Je ne désire en rien attaquer les sous-cultures, qui jouent un rôle intéressant dans l’exploration personnelle et la réalisation de vies plus sûres du malaise et de la grande dépression de la société de masse, moi-même inclus. Pourtant, je recherche les limites du mouvement anarchiste et de la sous-culture, ou de toute autre institution similaire. Ma préoccupation principale ici est d’écrire sur les tendances actuelles dans la pensée et l’écriture insurrectionnelles, dans l’espoir d’y amener une certaine clarté  pour ceux qui sont tombés dans leur mystification. Bien entendu, ceci n’est que ma perspective, et cela va sans nul doute entrer en conflit avec des aspects variés d’autres pièces insurrectionnelles. Ainsi soit-il…

La politique est dans les grandes largeurs un phénomène militaire, elle est gouvernée par la force, mais essentiellement une force de réserve, perçue, potentielle et les peurs et angoisses qu’elles instillent. Foucault a écrit sur l’utopie populaire d’une société démocratique populaire ayant toujours coexisté avec le rêve utopique militaire du contrôle total et de l’ordre, de la surveillance sans effort et de la punition imbriquée dans l’architecture (essentiellement urbaine) de la société. L’anarchisme en tant que philosophie politique n’est pas exempte de cela. La révolution est le moteur militaire de la politique anarchiste. La “société libre” est préservée dans le futur, de manière présumée, par la menace de plus de révolution. L’insurrectionisme met plusieurs pirouettes dans tout ça. D’abord, il veut souvent confronter la nature militaire de la société en général et de reconnaître la nature militaire du conflit au sein de ses institutions. Ceci est un degré de réalisme qui manque souvent à ceux qui échouent de voir le conflit dans la société comme plus que l’activisme. L’utilisation de Sun Tzu n’est ni frivole ni contre-productive. C’est amusant et poétique, mais c’est aussi un réveil pour considérer les véritables dimensions du conflit anarchiste.

Les bons textes insurrectionnels sont presque toujours des suggestions et des idées et non pas des plateformes ni des campagnes politiques. Une des notions clefs est de penser pour et par vous-même et de vraiment penser sérieusement au contexte en tant qu’individu, qu’anarchiste, que collectif et ce à quoi vous devez faire face. Si les gens pensent de manière créative et amène de nouvelles idées et de nouvelles tactiques, nous ne nous en porterons que mieux par rapport à ceux qui attendent que le boulot leur soit mâché par des leaders ou des organisateurs qui planifient tout pour eux ou que chaque action n’est qu’une resucée de la dernière. (Ndt : les manifs encore et encore, de A à B, encadrées par la flicaille qui passent et gazent sur la fin, encre et toujours, pourquoi voulez-vous que quoi que ce soit change ?…). Le problème avec les mobilisations de masse n’est pas le nombre, pas même le nombre de flics en contrôle. C’est leur orchestration de masse, leur nature de spectacle. La poésie et la joie d’une insurrection spontanée sont très rarement trouvées dans une action de masse pré-programmée et planifiée. Souvent donc, les gens retournent chez eux déçus et déprimés.

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Mais si les participants peuvent cesser d’être des participants, oublier la stratégie et la logistique qu’on leur annoncent et sortir du moule de la masse… alors tout un monde de possibilités s’ouvre devant eux. Les rôles sociaux et la division du travail inhérents à l’activisme institutionnalisé se dissocieraient. Pourtant cela ne pourra se produire que quand une action de masse cessera d’exister en tant qu’action de masse et deviendra un carnaval, une émeute, une insurrection. Ou alors cesse d’être quoi que ce soit et devienne mille différentes histoires, mille émotions. Voilà quelle allure doit avoir l’insurrection, vue le plus simplement. C’est un désir de sortir du moule, de faire péter les verrous, les murs de la norme, d’oublier tout acte social, de voir, d’entendre, de ressentir et de savoir des choses qu’on aurait jamais imaginées. C’est là qu’entre en jeu le désir, au grand dam du radicalisme occidental frustré, cette soif inextinguible d’expériences meilleures.

Le terme insurrection peut être mal compris. Autant une insurrection généralisée pour secouer les fondations mêmes de la société pourrait être superbe, elle ne pourrait pas être plus proche d’une révolution et ne peut certainement pas être planifiée. Pourtant, ce sont les moments, les actions ou même les périodes étendues dans lesquelles l’ordre social est suspendu, qui nourrissent nos âmes et nous donnent le goût des rêves. Ceci est similaire en bien des points à l’expérience que certains décrivent après une méditation et il y a sûrement un bon nombre de façon d’y avoir accès. Ceci n’est pas moins radical que de fétichiser une révolution utopique dans un futur distant dans nos esprits ; bien sûr nous seront là si cela se produit. Mais dans le même temps, puisons dans nos vies immédiates, avec toutes les joies et les peines qui vont avec.

La mythologie anarchiste prévalente est de planifier, de préparer et d’attendre la révolution et après celle-ci, parvenir à une liberté complète et débridée. Pourtant, peu de réflexion est donnée à ce que la liberté pourrait vouloir dire, quelles aventures et quelles extases pourraient être poursuivies. Sans suggérer quelque chose d’aussi ridicule qu’une “stratégie” d’apprentissage au sujet de ce que nous pourrions faire de notre liberté, ceci est toujours une préoccupation sensée. Sans expérience et peu de pensée données aux désirs personnels profonds et comment ils se manifestent dans nos relations, comment cette liberté se manifesterait-elle dans des vies émancipées de la société ? (NdT : ici il conviendrait de rajouter l’adjectif “aliénée” à notre sens car l’humain ne peut, de fait, pas vivre sa vie d’humain hors société…) Comment éviteraient-ils de recréer des relations d’aliénation, de domination et d’ennui ?

Ceci n’est pas une lamentation pessimiste sur la futilité de certains rêves libertaires. C’est simplement un avertissement contre l’estampillage non-créatif du terme “anarchiste” sur le même mode d’organisation socio-politique qui a construit les révolutions bourgeoises et “socialistes”. C’est un besoin vital de dépasser les idéologies politiques et de rechercher bien plus profondément ce que la souveraineté et l’auto-détermination pourraient bien signifier pour nous. Tout comme le conflit avec la société (aliénée) pourrait être amené dans le contexte de vie immédiat, ainsi le pourraient aussi nos rêves et nos désirs. On peut poursuivre l’aventure, l’épiphanie, la sagesse et l’extase dans la vie immédiate de manière aussi pressante qu’on poursuit une rupture avec cette société qui écrase ces sensations jusqu’à ce que nous les oublions. Écrire un poème ou grimper à un arbre peuvent mener à autant de joie, de bonheur et de perception qu’une émeute. Ceci ne veut pas dire d’abandonner la destruction créatrice et les actes physiques de rébellion, mais de dire simplement qu’il n’y a pas de dogme concernant ce qui compose une expérience anarchiste.

Ce n’est pas un secret que le milieu anarchiste est fréquemment et dogmatiquement divisé sur des problèmes variés, peut-être même sur chaque problème exprimé. Je ne préconise pas une forme d’harmonie muette ou de compromis pour créer une sorte d’unité insensée dans une sorte de “mouvement”. On peut simplement prendre une perspective différente dans la discussion et la critique des théories et propositions qui circulent. La pensée stratégique, élevée au rang de dogme, peut bien devenir le talon d’Achille des anarchistes. Tant de discussions se déroulent sur le thème de “ce qui est meilleur pour le mouvement”, “qu’est-ce qui est plus efficace ?” Et autre blablabla. Le débat sur l’hypothèse de créer des mobilisations de masse est un simple exemple de cela. Les arguments courants sont inutiles. Entre choisir une expérience de spectacle de masse de rue en une manifestation pré-planifiée et le boulot activiste fade et surfait dans “nos communautés”, la réponse et le choix sont évidents : aucun des deux !

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Heureusement, le non-débat est aussi simple que ses soi-disants deux faces. Beaucoup de bonnes expériences et de relations peuvent provenir de la vie dans une communauté. De la même manière, une action de masse (ou toute perturbation d’importance, que ce soit un festival de rue, une construction ou un blizzard) offre un moule duquel on peut sortir afin de poursuivre sa propre taquinerie, Il suffit de gratter le fin vernis de tout évènement pour voir les possibilités qu’il y a de l’autre côté. Mais même si la plus grande chance de succès réside à passer la mobilisation et à apparaître dans d’autres endroits, cela ne peut pas être élevé en une stratégie dogmatique.

La discussion demande une bonne dose d’hédonisme. S’il y a quelque chose que vous désirez pour une mobilisation, que ce soit des amis, une action spécifique ou de revisiter une de ces belles expériences que vous avez eu auparavant, alors faites-le. Et ne vous sentez aucunement coupable de le faire. Mais n’essayez pas de persuader les autres de le faire pour les mêmes raisons. De la même manière, si vous ne voulez pas y aller et bien n’y allez pas. C’est aussi simple que ça. Et si les gens faisaient ce qu’ils aiment le mieux et ne s’emmerdaient pas les uns les autres, alors peut-être qu’ils n’abandonneraient pas si vite le mouvement anarchiste. Peut-être voudraient-ils rester. La critique constructive est très utile et importante. Le désaccord est sain. Il est bon de penser à la stratégie à employer. Mais la critique ne devrait jamais devenir un dogme, un jugement et des attentes sur le comment les autres doivent se comporter. Nous ne devons jamais être les esclaves d’une stratégie.

Le même argument présenté ci-dessus est fait pour le mode d’écriture des insurgés. Souvent les anarchistes balaient ces écrits parce qu’ils sont soi-disant incompréhensibles. Peut-être que certains le sont, mais la plupart ne demandent pas une grande éducation. Ils peuvent généralement être compris sans lire Nietzsche, Tiqqun, Agamben ou quiconque ils citent. Je dis ça parce que je n’ai pas lu la plupart de ces auteurs / journaux et je comprends les essais que j’ai lus. Ils demandent juste un peu d’imagination pour les lire et y prendre plaisir. Pourtant, des gens peuvent écrire de la poésie cryptique en argot et c’est tout ce qu’ils veulent écrire. Une fois encore, la critique est utile. Mais porter un jugement sur le style d’écriture de quelqu’un est une connerie, spécifiquement si vous ne vous donnez pas beaucoup de chance d’entrer dedans. Ce que j’aime et d’autres personnes également dans ces styles d’écriture, est qu’ils sont décalés du style d’écriture idéologique et programmé de tant de propagande.

Juste parce que la personne moyenne peut lire une forme diluée d’un article sur un sujet donné, ne veut pas dire que cette personne voudra nécessairement le faire. J’aime lire des choses imaginatives, poétiques, marrantes, mystérieuses même, ce même si je ne comprends pas toujours tout. Mais cela ne concerne que moi. Si ce n’est pas votre style, ne le lisez pas. Ne mélangeons pas tout. Beaucoup de gens sont attirés par des lectures faciles avec lesquelles ils se trouvent des affinités, mais aussi qui apportent une intrigue, d’émerveillement et de magie. Si l’anarchie ne comporte pas quelques éléments mystérieux faisant que les gens veulent en savoir un peu plus à son sujet, alors ils retourneront regarder la chaîne 5 de leur télé pourrie.

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Et si le même style d’écriture devient normal et prévisible, alors ce que fut une épiphanie devient une corvée. Je veux être défié, entendre de nouvelles idées, rire, pleurer, sauter, jouer. Ceci ne s’applique pas seulement à l’écriture, la lecture, je veux la même excitation, la même curiosité dans l’art, les actions, les rassemblements, la communication, les informations et tout ce que je peux avoir. Une anarchie qui ne vous fasse pas impliquer votre âme : une anarchie sans politique. Et je ne veut pas juste en entendre parler, je veux la goûter, la savourer. Je veux une orgie dionysiaque de liberté et non pas un culte anarchiste monastique galvaudant le vie présente pour une utopie future. Et si je ne peux pas, alors comme tant d’autres personnes, je quitterai le navire. Beaucoup de personnes “rejoignent” l’anarchie parce qu’elle leur offre quelque chose dont elles ont besoin, ou satisfait quelques désirs pressants et beaucoup aussi la quittent parce qu’elle ne remplit plus aucune fonction. Plutôt que de penser “comment construire le mouvement”, pourquoi ne pas penser au comment nous satisfaire nous et ceux/celles qui nous entourent, au travers de nos relations et de nos actions ?… Arrêtons de penser comme des marchands de tapis et commençons à penser comme des amis et des camarades, compagnons.

Si vous pensiez critiquer ceci parce que “Foucault était maoïste” : Je ne suis pas Foucault. Faisons notre propre collage des choses et apprenons de qui nous voulons apprendre. Aussi, brûlons tous nos jugements, nos idées préconçues et nos idéologies rigides en un de ces grands potlach sauvages et embrassons, rions, luttons et, comme l’a dit un sage un jour, continuons sur le chemin de la grande et sublime conquête du Rien.

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Il n’y a pas de solution au sein du système ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

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Réflexion politique critique : Faux-sens sur l’anarchisme (Sam Dolgoff)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , on 23 avril 2023 by Résistance 71

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“Qu’est-ce que l’État ? C’est le signe achevé de la division dans la société, en tant qu’il est l’organe séparé du pouvoir politique: la société est désormais divisée entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. La société n’est plus un Nous indivisé, une totalité une, mais un corps morcelé, un être social hétérogène… »
~ Pierre Clastres ~

“Les deux grandes questions incontournables de l’anthropologie politique sont:
1- Qu’est-ce que le pouvoir politique, c’est à dire qu’est-ce que la société ?
2- Comment et pourquoi passe t’on du pouvoir politique non-coercitif au pouvoir politique coercitif, c’est à dire qu’est-ce que l’histoire ?”
~ Pierre Clastres, 1974 ~

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Faux-sens sur l’anarchisme

Sam Dolgoff*

1986

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Avril 2023

Ceci est un passage de son livre : “Fragments : A memoir”, 1986

(*) Sam Dolgoff (1902~1990) : né en URSS (Biélorussie), il émigre avec ses parents aux Etats-Unis en 1905. Peintre en bâtiment de profession. Devient socialiste révolutionnaire après sa rencontre avec Gregory Maximov, qui devient son ami et mentor. Il passe sa vie à la compréhension théorique et pratique de l’anarchisme. Son équivalent francophone serait Gaston Leval. Tous deux ont profusément écrits sur les expériences anarchistes au cours de la révolution espagnole de 1936-39. Dolgoff est l’auteur d’un excellent livre compilation “Les collectifs anarchistes, l’autogestion des travailleurs dans la révolution espagnole de 1936-39” (1974), il a aussi écrit sur “L’illusion du Parti socialiste” en 1960, sur la révolution cubaine (1974), sur l’anarchisme et la société moderne (1977) et sur l’anarchisme et la technologie (1986). Nous aimons particulièrement son style simple, efficace, ancré dans la réalité et s’adressant au commun des mortels et non pas à une “élite” intellectuelle “avant-gardiste”. A lire de paire avec Gaston Leval. Deux auteurs d’une actualité brûlante qui mettent en perspective réaliste et viable l’approche anarchiste organique de l’organisation sociale pour sortir du marasme absolu et terminal dans lequel nous sommes présentement engagés avec l’organisation sociale de la domination étatico-marchande.

L’anarchisme n’est pas un individualisme anti-social absolu

L’anarchisme ne connote pas une liberté individuelle absolue, irresponsable et anti-sociale, qui viole les droits des autres et rejette toute forme d’organisation et d’auto-discipline. La liberté individuelle absolue ne peut être atteinte qu’en isolation (dans la mesure où cela est possible : “Ce qui rend vraiment la liberté impossible et la supprime tout en rendant l’initiative impossible c’est l’isolation, qui nous rend impuissant.Errico Malatesta, Life and Ideas, Freedom Press, p. 87)

L’anarchisme est synonyme de termes comme “socialisme libre” ou “anarchisme social”. Comme l’implique le terme “social”, l’anarchisme est l’association libre de gens vivant ensemble et coopérant dans des communautés libres. L’abolition de l’État et du capitalisme, l’autogestion des activités de travail par les travailleurs eux-mêmes, la distribution en fonction des besoins, l’association libre, sont les principes qui, pour toutes tendances socialistes, constituent l’essence même du socialisme.

Pour se distinguer des différences fondamentales sur le comment et quand ces objectifs seront réalisés, ainsi qu’en provenance des individualistes anti-sociaux, Pierre Kropotkine et les autres penseurs anarchistes ont défini l’anarchisme comme “l’aile gauche du mouvement socialiste”. L’anarchiste russe Alexeï Borovoï a déclaré que la bonne base de l’anarchisme dans une société libre, est l’égalité de tous ses membres dans une organisation libre. L’anarchisme social pourrait être défini comme le droit égal à être différent.

L’anarchisme n’est pas la liberté illimitée ni la négation de la responsabilité

Dans les relations sociales entre les personnes, certaines normes sociales volontaires devront être acceptées, comme l’obligation de remplir les conditions d’un accord librement accepté. L’anarchisme n’est pas un “non gouvernement”. L’anarchisme est l’auto-gouvernement (ou son équivalent d’auto-administration). Ceci veut dire auto-discipline. L’alternative à l’auto-discipline est l’obéissance forcée de dirigeants sur leurs sujets. Pour éviter ceci, les membres de chaque association font eux-mêmes et librement les règles de leur association et s’accordent pour suivre les règles fixées par eux-mêmes. Ceux qui refusent de les honorer après les avoir librement acceptées et ne remplissent pas leur part de responsabilité dans cet accord volontaire se verront refuser les bénéfices que procurent l’association. (NdT : à terme, ces personnes n’auront plus d’autre choix que de partir pour trouver un accord qui leur conviendrait mieux, ou, comme on va le voir plus loin, si suffisamment nombreux, faire sécession…)

Le droit de faire sécession

Les sanctions pour violations de l’accord sont contre-balancées par le droit inaliénable de faire sécession. Le droit pour des groupes ou des individus de choisir leurs propres formes d’association est, d’après Bakounine, le plus important des droits politiques. L’abrogation de ce droit mène directement à la réintroduction de la tyrannie. Vous ne pouvez pas faire sécession depuis la cellule d’une prison. La sécession ne va pas paralyser l’association. Les personnes ayant un intérêt commun fort vont coopérer (NdT : observons l’oligarchie du système actuel, leurs intérêts financiers et politiques communs les font coopérer au plus haut degré malgré la concurrence de marché qui parfois les anime…), ceux qui risquent plus de perdre en faisant sécession vont compromettre leurs différences. Ceux qui ont peu ou rien en commun avec la collectivité ne vont pas blesser la communauté associative en faisant sécession, mais vont au contraire, éliminer une source de frictions internes, promouvant ainsi une meilleure harmonie générale.

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La différence essentielle entre l’anarchisme et l’État

La grande différence entre le concept anarchiste d’une autorité commune librement acceptée en échange de services et qui représente l’administration des choses, diffère fondamentalement de l’autorité de l’État, qui lui domine et dirige sur ses sujets, le peuple. Exemple : réparer ma télévision : l’autorité du technicien expert s’arrête lorsque la réparation est effectuée. La même chose se produit lorsque je suis d’accord pour repeindre l’atelier du technicien. L’échange réciproque de biens ou de services est une relation coopératrice limitée, non personnelle, ce qui exclut automatiquement toute forme de dictature. Au contraire de l’État qui est un appareil de gouvernement qui intervient en tout et pour tout et interfère dans tous les aspects de ma vie, ce, de ma naissance à ma mort et où je suis obligé d’obéir à toute loi, tout décret, de subir un harcèlement constant, une abrogation de mes droits (NdT : devenus à ce stade, de petits privilèges accordés temporairement et révocables à tout moment, c’est ce que nous constatons constamment de nos jours…), un emprisonnement potentiel voire même la mort en certains cas.

Des gens peuvent librement faire sécession d’un groupe ou d’une association, même organiser la leur. Mais ils ne peuvent pas échapper à la juridiction de l’État. S’ils arrivent finalement à s’échapper dans un autre état, alors ils sont immédiatement soumis à la juridiction du nouvel état où ils se trouvent.

Remplacer l’État

Les concepts anarchistes ne sont pas concoctés artificiellement par les anarchistes. Ils sont dérivés de tendance déjà au travail. Kropotkine, qui a formulé la sociologie de l’anarchisme, insista sur le fait que la conception anarchiste de la société libre est fondée sur “ces données qui sont déjà fournies par l’observation de la vie dans le temps présent.Les théoriciens anarchistes se sont limités à suggérer l’utilisation de tous les organismes utiles de l’ancienne société afin de construire une nouvelle. Que “les éléments de la nouvelle société se développent déjà dans l’effondrement de la société bourgeoise” (Marx), ceci est un principe fondamental partagé par toutes les tendances du mouvement socialiste.  L’écrivain anarchiste Colin Ward résume admirablement biien ce point : “Si vous voulez construire la nouvelle société, tous les matériaux nécessaires sont déjà disponibles”.

Les anarchistes cherchent à abolir et remplacer l’État, non pas par le chaos, mais avec les formes naturelles spontanées d’organisation qui ont émergé à chaque fois que l’entraide et l’intérêt commun par la coordination et l’auto-gouvernement sont devenus nécessaires. Cela jaillit de l’inévitable interdépendance de l’humanité et la volonté d’harmonie. Cette forme d’organisation est le “fédéralisme”. Une société sans ordre est inconcevable. Mais l’organisation de l’ordre n’est pas le monopole exclusif de l’État. Le fédéralisme est une forme d’ordre social qui précéda l’usurpation de la société par l’État et qui lui survivra.

Il n’y a pratiquement pas de forme d’organisation qui, avant d’être usurpée par l’État, ne fut pas fédéraliste par nature. On pourrait remplir des volumes de la simple liste de vastes réseaux de fédérations et de confédérations locaux, régionaux, nationaux et internationaux, embrassant la totalité de la vie sociale. La forme fédérée de l’organisation rend pratique pour tous les groupes et fédérations de bénéficier de l’unité et de la coordination tout en exerçant l’autonomie au sein de leur sphère, étendant ainsi le champ de leur liberté. Le Fédéralisme, synonyme d’accord libre, est l’organisation de la liberté. Comme l’avait dit Proudhon : “Celui qui parle de liberté sans parler de fédéralisme, ne dit rien.”

NdR71 : Ceci dit, nous pensons que le fédéralisme à la sauce proudhonienne est très ambigu. Il suffit de lire le livre de Proudhon : “Du principe fédératif” pour comprendre que Proudhon demeure très proche, trop proche de fait, d’entités organisationnelles étatiques qu’il voudrait voir “réformées”. Sam Dolgoff est ici beaucoup plus clair et semble avoir mieux compris le principe fédératif. Nous avons dit par ailleurs et pensons toujours que Proudhon est le maillon faible de la chaîne anarchiste. Il se doit d’être lu et étudié, comme Marx, il n’a pas dit que des conneries, mais il en a dit pas mal quand même… Voir l’anarchisme et l’englober dans une sorte de “néo-proudhonisme” à la sauce “woke” XXIème siècle serait la pire des erreurs à faire ! C’est pourtant là que s’enferme et gesticule la “gauche bobo” collaboratrice du système à l’insu de son plein gré, tentant de mener le système dans cette dimension, toute pilotée qu’elle est par l’oligarchie en place…
A Résistance 71, nous n’employons jamais le terme de “fédéralisme” devenu ambigu et synonyme de confusion politique. Notre concept est emprunté à Gustav Landauer et sa société des sociétés organique.

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Après la révolution

La société est un vaste réseau de travail coopératif interconnecté et toutes les institutions profondément enracinées qui fonctionnent de manière efficace maintenant continueront de fonctionner pour la simple raison que l’existence même de l’humanité dépend de cette cohésion interne. Ceci n’a jamais été remis en question par quiconque. Ce dont on a besoin, est l’émancipation des institutions autoritaires sur la société et de l’autoritarisme au sein des organisations elles-mêmes. Par dessus tout, elles doivent être infuser d’un esprit révolutionnaire et de la confiance en la capacité créatrice des gens, du peuple. Kropotkine, en faisant émerger la sociologie de l’anarchisme, a ouvert une zone de recherche fertile qui a été largement négligée par les scientifiques sociaux qui passent leur temps à cartographier de nouvelles zones pour le contrôle d’état.

Les anarchistes furent principalement concernés par les problèmes immédiats de la transformation sociale auxquels on devra faire face dans chaque pays après la révolution sociale. Ce fut pour cette raison que les anarchistes ont essayé de faire émerger des mesures pour répondre aux problèmes pressants qui vont le plus probablement émerger pendant ce que le penseur révolutionnaire anarchiste italien Errico Malatesta a appelé “une période de réorganisation et de transition”. Un résumé de la discussion de Malatesta de quelques unes des questions les plus importantes suit.

Les problèmes cruciaux ne peuvent pas être évités en les repoussant aux calendes grecques, à cette époque aussi lointaine qu’aléatoire quand les masses auront totalement compris et seront convaincues de l’anarcho-communisme. Nous, les anarchistes, devons avoir nos solutions si nous ne voulons pas jouer le rôle de “vieux ronchons inutiles et politiquement impuissants”, tandis que des autoritaires moins scrupuleux mais plus réalistes saisissent le pouvoir. Anarchie ou pas, le peuple doit manger et avoir les nécessités de base de la vie. Les villes doivent être approvisionnées et les services vitaux ne peuvent pas être interrompus. Rien ne peut se faire en un jour.

L’organisation de la société anarcho-communiste sur une grande échelle ne peut se faire que graduellement, les conditions matérielles le permettant et avec les masses se persuadant elles-mêmes des bénéfices à être gagnés alors qu’elles deviennent graduellement psychologiquement accoutumées aux changements radicaux dans leur mode de vie. Comme le communisme libre et volontaire (le synonyme de Malatesta pour anarchisme) ne peut pas être imposé, Malatesta a insisté sur la nécessité de la coexistence de formes économiques variées : collectiviste, mutualiste, individualiste, sous condition qu’il n’y ait pas exploitation d’autrui. Malatesta fut confiant que l’exemple réussi des collectifs libertaires attireront les autres dans l’orbite de la collectivité.. en ce qui me concerne, je ne crois pas qu’il y ait “une” solution à la question sociale, mais sans doute mille solutions différentes changeantes, de la même manière que l’existence sociale est différente dans le temps et dans l’espace.

[Errico Malatesta, Life and Ideas, edited by Vernon Richards, Freedom Press, London, pp. 36, 100, 99, 103–4, 101, 151, 159]

L’anarchisme “pur” est utopie

L’anarchisme “pur” est défini par le penseur et écrivain anarchiste George Woodcock comme étant “le groupe d’affinité souple et flexible qui n’a pas besoin d’organisation formelle et qui propage les concepts anarchistes au moyen d’un réseau invisible de contacts personnels et d’influences intellectuelles.” Woodcock argumente que l’anarchisme “pur” est incompatible avec les mouvements de masse comme l’anarcho-syndicalisme par exemple parce qu’ils ont besoin d’organisations stables précisément parce qu’il bouge dans un monde qui n’est que partiellement gouverné par des idéaux anarchistes,,, et fait des compromis avec les situations au jour le jour…

[L’anarcho-syndicalisme] doit maintenir l’allégeance des masses [de travailleurs] qui ne sont que de très loin au courant du but final de l’anarchisme. [Anarchism, pp. 273–4]

Si ceci est vrai, alors l’anarchisme est une utopie, parce qu’il n’y aura jamais un temps où tout le monde sera un anarchiste “pur” et parce que l’humanité devra toujours faire “des compromis avec la situation au jour le jour”. Cela ne veut pas dire que l’anarchisme rejette les “groupes d’affinité”. En fait, c’est précisément parce que la variété infinie d’organisations volontaires qui sont formées, dissoutes et reconstruites en accord avec les fluctuations conjoncturelles et individualistes, reflètent les préférences individuelles, qu’elles constituent la condition indispensable d’une société libre.

Mais les anarchistes insistent sur ce que la production, la distribution, l’échange communicatif et autre indispensable qui doivent être coordonnés à une échelle mondiale dans notre monde moderne indépendant, doivent être fournis sans coup férir par des organisations “stables” et ne peuvent pas être laissés aux humeurs fluctuantes des individus. Il y a des obligations sociales que chaque individu sain de corps et d’esprit doit remplir si il ou elle s’attend à jouir des bénéfices du travail collectif. Ceci devrait être axiomatique que de telles associations “stables” indispensables, organisées de manière anarchiste, ne sont pas des déviations. Elles constituent l’essence de l’anarchisme pour qu’il soit viable en tant qu’ordre social.

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Cartographier le chemin vers la liberté

Les anarchistes ne sont pas des êtres naïfs attendant l’installation de a société parfaite composée d’individus parfaits qui auraient miraculeusement mué de leurs préjudices et biais induits et dépassés leurs habitudes dès le “jour d’après la révolution”. Nous ne nous préoccupons pas  de ce à quoi ressemblera la société dans un futur lointain lorsque le paradis sur terre aura enfin été atteint. Mais nous sommes concernés par dessus tout, par la direction que prend le développement humain. Il n’y a pas d’anarchisme “pur”. Il n’y a que l’application de principes anarchistes aux réalités de la vie sociale. Le seul et unique but de l’anarchisme est de propulser la société dans une direction anarchiste.

Vu de cette manière, l’anarchisme est un guide pratique viable et crédible de l’organisation sociale. Autrement vu, il est voué à demeurer dans les rêves utopiques et ne peut en aucun cas devenir une force vive, vivante et organique.

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“Là où cesse l’État, c’est là que commence l’Homme, celui qui n’est pas superflu : là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l’État — regardez donc mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?”
~ Friedrich Nietzsche, “De la nouvelle idole” ~

Lectures complémentaires :

Sam Dolgoff sur Résistance 71

“Le communisme anarchiste”, Sam Dolgoff, PDF

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Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

Cobra_peuple

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« Crise des retraites », manipulation marchande et les deux faces de la même pièce capitaliste : le fascisme brun et le fascisme rouge, toujours remis au goût du jour selon les besoins oligarchiques (Résistance 71 avec Errico Malatesta)

Posted in 3eme guerre mondiale, actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, guerres imperialistes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 4 avril 2023 by Résistance 71

Le_Reveil

Une fois de plus… la grande lucidité, simplement exprimée d’Errico Malatesta en 1924. L’anarchiste italien, grand incontournable de la pensée et de l’action anarchistes dont l’évolution politique demeure assez inégalée. Nous mettons sous ce texte une sélection d’écrits choisis en format PDF réalisé par Jo dont la mise en page est la preuve visible de l’inspiration qu’a exercée ces textes… Malatesta fut l’un des signataires du manifeste anarchiste contre la guerre de 1915. Il nous faut sortir du système, penser et agir hors du moule qui nous est imposé. Les manifs de 2023 sont nassées dans une impasse politique avant même que de l’être sur le terrain. Sortir des villes où l’oligarchie veut nous confiner et nous contrôler, redévelopper nos riches zones rurales dans un principe d’entraide et de coopération en associations libres hors marchandise et institutions, nous saisir des moyens de production que nous mettrons directement au service de tous. Refuser de jouer le jeu de la concurrence des privilèges dans une société exsangue de la dictature marchande et recréer nos vies hors cadre, par débordement et réappropriation associative, entraide et coopération volontaires et défense des nouvelles communautés indépendantes. 15% de la population adulte de ce pays représente quelques 7 millions de personnes, qui, réparties sur le territoires, solidaires et interconnectées en associations libres de communes émancipées, reformateraient les relations sociales pour vivre humainement, et non plus survivre en régime de domination et de coercition permanentes.

Il n’y a pas de solution au sein du système, cela doit maintenant être une évidence pour quiconque veut bien réfléchir cinq minutes de manière critique. Tant que nous pensons et agissons dans le carcan imposé nous ne pouvons pas sortir du « samsara politico-marchand » et de ses deux extrêmes, les deux faces de la même pièce : le fascisme brun et le fascisme rouge tous deux inféodés à la dictature marchande nihiliste en marche jusqu’à destruction complète… Conclusion ?…

~ Résistance 71 ~

fascisme_rouge

Communistes et fascistes (Comunisti e fascisti)

Errico Malatesta

1924

~ Traduction Résistance 71 ~

Avril 2023

Nous ne sommes pas scandalisés par la violence et les complots électoraux du fascisme. Les travailleurs doivent y faire face. La conception communiste des tactiques électorales et parlementaires n’exclut logiquement pas, même de notre côté, le… complot. Si nous pouvions fabriquer des complots et chasser les opposants électoraux des suffrages, ce serait réconfortant car nous serions plus près d’être capables de déployer des forces mûres pour l’offensive.

Ainsi parle l’ingénieur Bordiga dans le journal “l’Unita”, aspirant devenir le Lénine, en modèle réduit, d’une Italie communiste.

Et ceci est la raison fondamentale pour laquelle le fascisme a été capable de triompher et continue de faire des ravages.

Il y a eu, et pas seulement parmi ceux qui se nomment eux-mêmes communistes, un manque de révolte morale contre l’abus de la force brutale, contre le mépris de la liberté et de la dignité humaines, ce qui est la caractéristique du mouvement fasciste.

Trop de gens, même parmi les victimes, ont pensé : nous ferions la même chose si nous avions la force de le faire. Naturellement, beaucoup de ceux qui ont pensé ainsi se sont sentis attirés vers le côté où semblait être la force.

Alors, si les communistes avaient triomphé, quelle différence y aurait-il par rapport au fascisme ?

Les mêmes voyous, petits caïds qui maintenant tabassent, brûlent et tuent au nom de la grande Italie, se retrouveraient dans les rangs communistes et tabasseraient, brûleraient et tueraient au nom du prolétariat et l’ingénieur Bordiga se trouverait lui-même dans la même position dans laquelle semble se trouver Mussolini : après avoir incité la bête, il voudrait la limiter afin d’éviter la chute inévitable où mènent les excès, mais ne le pourrait pas.

La révolution devra être menée au nom de la justice, de la liberté et de la solidarité humaine et devra procéder par des méthodes inspirées par la justice, la liberté et la solidarité. Sinon, nous ne ferons que passer d’une tyrannie à une autre.

Nous avons déjà écrit ce commentaire sur ces lignes de Bordiga, que nous avons prises de “La Giustizia” de Reggio Emilia, lorsqu’on nous a dit que hors du contexte de l’article de Bordiga ces mots ont pris une autre signification.

Nous n’avons pas été capables d’obtenir le texte de l’article, mais laissons passer notre commentaire quoi qu’il en soit, parce que la signification de ces mots nous semble être bien trop claire pour qu’elle suscite quelque spéculation que ce soit.

Après tout, même si Bordiga n’a pas vraiment voulu dire ce qu’il a dit, nous avons entendu ces choses, pire même, dites explicitement par bien des communistes. C’est tout à fait dans le style et ligne de pensée d’une secte.

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NdR71 : Pas de solution au sein du système ! La révolution sociale se fera hors État, hors partis politiques, hors syndicats, hors institutions marchandes, hors marchandise, hors salariat… A bas toutes ces entités fabriquées qui enchaînent la justice, la liberté et la solidarité humaines et ainsi empêchent l’émancipation de la société humaine. Le slogan aujourd’hui dans les manifs ne devraient pas être « Non à la retraite à 64 ans ! », mais « A bas le salariat ! A bas le système étatico-marchand ! »
Quatre ans avant ce texte, en 1920, au moment de la révolution sociale des conseils ouvriers du nord de l’Italie à laquelle il participa activement et qui fut trahie, déjà et en prémisse de l’Espagne 1937, par la pourriture marxiste-léniniste et trotskiste, Malatesta publiait un texte où il disait ceci :

« La seule limite à l’oppression du gouvernement, c’est la force que le peuple se montre capable de lui opposer. Il y a toujours conflit, ouvert ou latent, car le gouvernement ne tient pas compte du mécontentement et de la résistance du peuple, jusqu’à ce qu’il sente le danger de l’insurrection. Quand les protestations sont vives, insistantes, menaçantes, le gouvernement cède ou réprime, selon son inspiration. Mais on en vient toujours à l’insurrection parce que si le gouvernement ne cède pas, le peuple finit toujours par se révolter. Il faut donc se préparer physiquement et moralement pour que la victoire aille au peuple lorsqu’éclatera la violence… »

Voyez-vous une quelconque relation avec ce qu’il se passe aujourd’hui en France et dans le monde occidental, partout ?… Pourquoi a t’on l’impression que ce texte aurait pu être écrit aujourd’hui ? réponse : parce que rien n’a fondamentalement changé. Les « changements »sont toujours « cosmétiques » pour qu’en fin de compte… rien ne change vraiment, surtout pas dans le fond et que les mêmes ordures puissent continuer de dominer et de se barrer avec la caisse.

Quelques lectures complémentaires à lire et diffuser sans aucune modération :

Errico Malatesta, ´´écrits choisis” (PDF)

« Le monde nouveau » Pierre Besnard, 1934

« Manifeste contre le travail », collectif Krisis

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

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Conjoncture politique : ras le bol, autodéfense et changement de paradigme politique… Quelques réflexions sur l’insurrection (collectifs Do or Die et Résistance 71)

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Texte intéressant publié il y a 20 ans. Nous commentons sous notre traduction. Le débat est on ne peut plus d’actualité par les temps qui courent de plus en plus vite …
~ Résistance 71 ~

Quand sera t’il temps pour l’insurrection ?

Do or Die (collectif)

2003

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

J’ai une théorie : à chaque fois que le gouvernement ou quelque corporation / entreprise commet un acte de destruction envers la nature ou l’humanité, si à chaque fois qu’un pétrolier pollue une côte, ou qu’une multinationale pille et détruit un endroit sauvage, si à chaque fois qu’ils le font, je prends ma colère et la place dans un certain compartiment de mon cerveau, alors lorsque vient le temps de l’insurrection, je serai capable d’accéder à ces morceaux de colère que j’ai stockés au fil du temps.

Ainsi, je passe mes journées à tenter patiemment et continuellement d’arrêter la folie qui dirige les gouvernements et les entreprises et chaque jour qui passe, j’entends de nouvelles atrocités commises. Je vais dans une énième manif encadrée d’un point A à un point B, crie quelques slogans, puis en fin de journée, j’ouvre de nouveau ce compartiment spécial et y range la colère de ces quelques nouvelles atrocités, tout cela dans l’anticipation qu’un jour, j’aurai besoin de cette colère pour mettre à bas l’Empire.

Mais une nouvelle peur m’a submergé. Je ressens ma colère m’appelant de l’intérieur de ce compartiment. J’entends les portes se déverrouiller de l’intérieur et cette nouvelle question terrible se fait jour :

Comment vais-je savoir quand sera venu le temps de l’insurrection ?

Sera-ce la prochaine fois qu’une rivière ou un lac sont détruits après avoir été inutilement pollués ? Ou lorsque les entreprises bûcheronnes auront détruit un nouvel-écosystème et chasser les peuples natifs de la terre ancestrale ?

Est-ce le temps de l’insurrection ?

Ou sera-ce lorsqu’un gouvernement ou l’OTAN ou l’ONU bombardent un pays et assassinent des dizaines de milliers de personnes ? Ou quand une autre multinationale est complice de l’assassinat de tribus indigènes pour que de nouvelles zones de la terre puissent être sauvagement pillées ?

Est-ce alors le temps de l’insurrection ?

Quand votre usine locale exporte une autre cargaison d’armes faites et destinées à tuer des gens comme vous et moi ? Si les entreprises continuent de polluer intensément, si l’écologie est mise de côté pour le seul profit ? Si certaines personnes œuvrent de façon à mettre en péril les vies d’une multitude de superbes animaux et de plantes de notre planète ? 

Est-ce alors le temps de l’insurrection ?

Ou alors continuons-nous à simplement faire des manifs, envoyer des pétitions en espérant que le système comprenne ses fautes et change de lui-même, ou en espérant une future révolution quand nous aurons les masses de notre côté et que nous pourrons corriger les choses ? Devons-nous espérer cela alors que le système, lui, continue son entreprise de destruction de tout, nous, la planète, jusqu’à un tel niveau qui verra le monde ne plus être un bon endroit pour vivre quand nous aurons enfin décidé de faire physiquement quelque chose à ce sujet ?

Devons-nous continuer à attendre et attendre encore jusqu’à ce que les choses viennent au point critique sans doute de non-retour ? Sera-ce alors temps pour l’insurrection ?

Ou sera t’il trop tard ?…

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Zomia.. des siècles d’insurrection pacifique…

NdR71 : le 1er janvier 1994, les Zapatistes du Chiapas au Mexique tracèrent la ligne dans le sable contre les gouvernements fédéraux et provinciaux mexicains et le système étatico-marchand dans sa phase destructrice finale appelée “néo-libéralisme”. Ils crièrent au monde un ¡Ya Basta! Ou “Ça suffit !” qui résonne toujours plus encore aujourd’hui 29 ans plus tard. Les Zapatistes ont montré au monde depuis cette date historique la manière, devant être adaptée selon besoins et circonstances et pour laquelle ils s’étaient préparés dans la clandestinité pendant 10 ans, de changer le paradigme politico-social, de fonctionner de manière horizontale, décentralisée et non-coercitive, tout en se protégeant d’attaques potentielles d’un système de plus en plus aux abois. Ils ont démontré depuis près de trente ans, la qualité d’un fonctionnement social où le peuple dirige et le gouvernement obéit.

« Chiapas, feu et parole d’un peuple qui dirige et un gouvernement qui obéit » (PDF)

« La Sixta » (PDF)

Zomia existe en Asie sur un très grand territoire traversant les frontières fictives de 7 pays entre la Thaïlande, la Laos, le Vietnam la Birmanie / Myanmar, la Chine méridionale, le nord de l’Inde et une partie du Pakistan dont elle se moque bien ; une zone grande comme à peu près l’Europe et où vivent plus de 100 millions de personnes hors état et hors institutions (cf les recherches de l’anthropologue James C. Scott traduites sur R71…), non pas des gens attendant “la civilisation”, mais les descendants de gens qui ancestralement, ont fui les basses-terres étatiques du servage, de la conscription et de la taxation pour vivre libre dans les hautes terres incontrôlables par l’État, quel qu’ils soit, chinois ou autre, en plus des peuples locaux des hauts-plateaux.

ZOMIA(PDF)

« L’art de ne pas être gouverné » et « Les formes quotidiennes de la résistance paysanne » (James C. Scott)

« Insurrection et Utopie » (Dr Bones)

« Du Chiapas aux Gilets Jaunes, unification de la rébellion contre le système étatico-marchand »

Tract Gilets Jaunes « Tout le pouvoir aux ronds-points ! » (PDF)

La question demeure : quand assez est-il assez ?… L’insurrection vient quand des groupes de personnes politiquement conscientes et convergeant complémentairement vers le même but, tracent la ligne dans le sable et disent ouvertement, irrémédiablement et durablement : ¡Ya Basta! / Ça suffit !
Ceci dit, nous ne voyons pas nécessairement l’insurrection comme étant un acte de violence. L’insurrection est un acte de négation de la voie nihiliste étatico-marchande et de sa relation de domination institutionnalisée, une poussée dans un changement radical de la relation sociale, d’un retour à nos racines humaines ancestrales et naturelles de coopération et d’entraide, de la mise en place d’une relation interconnectée des associations libres à l’échelle planétaire. Une fois mise en place et fonctionnelle, l’auto-défense des zones émancipées deviendra une nécessité temporaire. Les peuples du monde sous le joug et l’agression systémiques étatico-marchands sont en état permanent de légitime défense. La légtitime défense n’est pas une action de violence, elle est un réflexe  inhérent à la survie. Il est nécessaire de bien comprendre que l’État et la relation marchande sont élitistes par nature, fondés sur un rapport de domination et d’oppression nécessitant une coercition de tous les instants, coercition induite, organisée, institutionnalisée, cela constitue la construction sociale appelée “violence”. L’inversion accusatoire systémique disant que les manifestants mécontents sont “violents” fonctionne par lavage de cerveau sémantique, elle  montre une fausse réalité, celle d’institutions victimes. La réalité est inverse : les peuples ne font que se défendre contre l’agression permanente, plus ou moins intense selon les conjectures, menée contre eux. Ceci dit, en l’état actuel des choses, organiser des zones de combats de rues contre les chiens de garde du système, c’est aller au casse-pipe sans conscience politique. L’idée est d’organiser d’abord les associations libres localement et de manière interconnectée, de court-circuiter le rapport de domination étatico-marchand, pour enfin avoir réellement quelque chose à défendre de la violence institutionnelle tout en attirant toujours plus de sympathie des foules indécises. Comme toujours, la problématique est de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Lâcher prise de la fange systémique et créer l’alternative émancipatrice à défendre, une ZAD régional, puis “nationale”, puis planétaire, des dizaines de milliers de “Chiapas” du monde librement associés et connectés hors rapports étatiques et marchand, hors salariat et hors de cette imbécilité sans nom de la “valeur d’échange” totalement anti-naturelle. Tout part de l’individu conscient, de son association avec ses semblables, des associations libres communicantes et du rayonnement vers le collectif. Individu et collectif ne sont pas antithétiques, ils sont complémentaires. L’État soumet coercitivement l’individu à sa puissance collective fictive pseudo-légale, anti-naturelle, l’entreprise soumet coercitivement l’individu au “marché” et ses “lois” bidouillées et fictives et nous font croire que l’individu doit servir “la ruche”. L’individualiste forcené refuse et craint le collectif qui doit la personnalité dans sa coercition sociale. L’humain est grégaire, l’individu a besoin des autres, mais dans une relation harmonieuse d’entraide et de coopération, ce que nous avons fait durent des centaines de milliers d’années jusqu’à il y a environ 5000 ans où l’humanité a pris le mauvais virage. Une fois compris cela, corriger la course des évènements, par les individus conscients, passe de la possibilité à une nouvelle réalité. Rien n’est inéluctable, sauf la mort et tout ce qui est construit peut-être déconstruit. L’État, la marchandise, l’argent, le salariat ne le sont aucunement et ne sont en aucun cas “ce qu’on peut faire de mieux pour l’humanité”, bien au contraire ! Il suffit d’en prendre conscience pleinement pour agir…
Il suffit de dire NON ! Et d’agir en conséquence. Cela passe par dire NON ! Aux petites choses imposées du quotidien, ces choses qui nous mènent directement à la mise en esclavage dans la société dystopique de la dictature technotronique tant voulue par la clique d’oligarques psychopathes dégénérés du haut de la pyramide coercitive.
La véritable question n’est pas “quand est venu le temps de l’insurrection ?” Mais plutôt “Qu’est-ce que l’insurrection ?” Nous avons posé quelques bases et jalons que nous pensons solides de réponse dans ces quelques lignes. Qu’en pensez-vous ?…
Tout commentaire bienvenu !
Vive la Commune Universelle de notre humanité enfin réalisée !

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Emiliano Zapata et le peuple en arme assumant son auto-défense

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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5 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

Société des sociétés organique avec Gustav Landauer

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Anarchie, Société des Sociétés, antidote à l’autoritarisme, voie vers la réalisation de notre humanité…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, documentaire, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et lobbyisme, politique et social, politique française, résistance politique, science et nouvel ordre mondial, sciences et technologies, société des sociétés, technologie et totalitarisme, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 22 décembre 2020 by Résistance 71

 

 

 

« Les anarchistes ont un tel désir d’ordre qu’ils n’en supportent aucune caricature. »
~ Antonin Artaud ~

 

Anarchisme, sciences sociales et autonomie du social

 

Julien Vignet

 

Source:
http://www.journaldumauss.net/?Anarchisme-sciences-sociales-et-autonomie-du-social

 

Julien Vignet est sociologue, CERReV, université de Caen Normandie

 

L’anarchie des anarchistes n’est pas le chaos, le désordre, ni le laissez-faire poussé jusqu’au bout des libéraux. Ils promeuvent en réalité une constitution sociale de la société, plutôt qu’une constitution politique ou religieuse. Ce sont les individus ordinaires, à la base, qui décident de se regrouper librement et dans les formes qui leur conviennent. Cette autonomie du social est aussi à la base des sciences sociales, qui émergent en même temps que l’anarchisme. Proudhon et Bakounine sont deux figures de l’anarchisme historique permettant de dévoiler les passerelles entre anarchisme et sciences sociales à partir de cette autonomie du social. En même temps, les anarchistes participent à remettre la science à sa place, mettant en garde contre le gouvernement des savants et développant des pratiques populaires pour entraver la spécialisation et l’émergence d’une élite séparée de scientifiques.

Les anarchistes portent une conception particulière de la vie sociale. En révolte aussi bien contre les structures hiérarchiques anciennes, comme la religion, que face à l’ordre capitaliste se mettant alors en place, ils et elles ont une détestation de la politique. C’est comme si la vie sociale était entravée par l’Etat, le capital et la religion.

Cependant, les anarchistes [1] ne promeuvent pas le laissez-faire à la manière des économistes libéraux. Ils et elles en sont de farouches opposants. L’anarchie est, à certains égards, une sorte de constitution sociale, par les gens eux-mêmes et leurs activités, plutôt qu’une constitution à partir de l’hétéronomie de la politique, de l’économie capitaliste ou de la religion. Or, cette autonomie du social n’est-elle pas aussi à la base des sciences sociales, qui émergent en même temps que l’anarchisme ?

Nous nous intéresserons à cette autonomie du social chez deux figures de l’anarchisme historique, à savoir Proudhon et Bakounine, qui ont par ailleurs appuyé leurs propositions révolutionnaires sur des analyses empruntant à la science de l’époque. Nous essaierons ensuite de creuser la question de savoir sur quel fondement les anarchistes font reposer cette sorte d’intelligence intrinsèque du social, avant d’évoquer les formes d’organisation sociale imaginées pour incarner l’anarchie. Enfin, nous verrons quel lien peut être tissé entre cette conception anarchiste et les sciences sociales, au-delà de la concordance de temps. En effet, de telles sciences ne reposent-elles pas elles aussi sur l’affirmation d’une irréductibilité, voire d’une autosuffisance du social ? En même temps, les anarchistes participent à remettre la science à sa place, mettant en garde contre le gouvernement des savants et développant des pratiques populaires pour entraver la spécialisation et l’émergence d’une élite séparée de scientifiques.

L’autonomie du social chez Proudhon

Le social contre la religion et la politique

Pierre-Joseph Proudhon est le premier à se définir anarchiste positivement en 1840. Il s’oppose à la propriété privée, à l’Eglise, au parlementarisme et au gouvernement en général. Il fait un lien étroit entre domination politique, domination économique et domination religieuse, considérées toutes comme des entraves à l’épanouissement de la justice.

Proudhon confiait ainsi dans ses Carnets de 1852 : « Je fais de la politique pour la TUER. EN FINIR AVEC LA POLITIQUE » [2]. Ce n’est alors pas seulement l’abolition de tous les gouvernements qui est visé, c’est aussi l’idée que la société peut se constituer d’elle-même, par la libre organisation des forces économiques et sociales. Il est encore plus clair dans Les confessions d’un révolutionnaire, où il distingue la constitution politique de la constitution sociale de la société. La seconde repose sur la libre association, l’égalité et la réciprocité et vise à affaiblir et écarter la première, fondée sur l’autorité et la hiérarchie.

« Je distingue en toute société deux espèces de constitutions : l’une que j’appelle la constitution SOCIALE, l’autre qui est la constitution POLITIQUE ; la première, intime à l’humanité, libérée, nécessaire, et dont le développement consiste surtout à affaiblir et écarter peu à peu la seconde, essentiellement factice, restrictive et transitoire. La constitution sociale n’est autre chose que l’équilibre des intérêts fondé sur le libre contrat et l’organisation des forces économiques qui sont, en général : le Travail, la Division du travail, la Force collective, la Concurrence, le Commerce, la Monnaie, le Crédit, la Propriété, l’Egalité dans les transactions, la Réciprocité des garanties, etc. La constitution politique a pour principe l’AUTORITE, ses formes sont : la Distinction des classes, la Séparation des pouvoirs, la Centralisation administrative, la Hiérarchie (…) » [3].

L’anarchisme de Proudhon vise explicitement à sortir de l’aliénation politique. Comme l’affirme Pierre Ansart, il « tend à libérer les force sociales des pouvoirs aliénants » [4], permettant ainsi d’instituer une société qui ne serait plus divisée en fractions ennemies et prise par un ensemble d’illusions.

Proudhon ne considère pas seulement l’exploitation capitaliste ou la domination étatique. Il est conscient qu’il existe des sacralisations qui empêchent la société de prendre conscience d’elle-même et de ses capacités. La refondation des rapports sociaux sans autorité révélée ou transcendante passe par la critique de la religion. C’est pourquoi Proudhon s’en prendra aussi à l’Eglise.

Il va plus loin en affirmant que politique et religion sont indissociables. Non seulement il fait alors de la religion un pouvoir politique, ne pouvant exister « qu’en s’appropriant la politique profane et les lois civiles » [5], mais il atteste du caractère sacré que prennent les institutions politiques pour se légitimer. Etat et Eglise, deux formes d’autorité instituées, utilisent les mêmes fondements pour justifier leur existence, et produisent les mêmes effets.

« Quoi qu’il en soit, il importe, pour la conviction des esprits, de mettre en parallèle, dans leurs idées fondamentales, d’un côté, le système politico-religieux, – la philosophie, qui a distingué si longtemps le spirituel du temporel, n’a plus droit de les séparer ; – d’autre part, le système économique.

Le Gouvernement donc, soit l’Église et l’État indivisiblement unis, a pour dogmes :

1. La perversité originelle de la nature humaine ; 

2. L’inégalité essentielle des conditions ; 

3. La perpétuité de l’antagonisme et de la guerre ; 

4. La fatalité de la misère. D’où se déduit : 

5. La nécessité du gouvernement, de l’obéissance, de la résignation et de la foi.

Ces principes admis, ils le sont encore presque partout, les formes de l’autorité se définissent elles-mêmes. Ce sont :

a) La division du Peuple par classes, ou castes, subordonnées l’une à l’autre, échelonnées et formant une pyramide, au sommet de laquelle apparaît, comme la Divinité sur son autel, comme le roi sur son trône, l’autorité ; 

b) La centralisation administrative ; 

c) La hiérarchie judiciaire ; 

d) La police ; 

e) Le culte » [6].

Il n’est pas étonnant que ce philosophe de l’immanence s’attache à critiquer les formes de transcendance productrices d’illusions, et dont l’Eglise est une incarnation de l’époque. L’antithéisme de Proudhon est pourtant peu rappelé, et parfois même mis en doute.

Proudhon se réfère régulièrement à Jésus, et ne cache pas son admiration pour la morale égalitaire et communautaire des évangiles [7]. Cela facilite probablement qu’il soit parfois assimilé à un spirituel finalement hanté par son enfance religieuse. Il y a certes pour Proudhon un mystère de l’existence et une inquiétude du sens. C’est pourquoi il ne balaie pas d’un revers de la main la question de la foi, si présente dans l’histoire de l’humanité. Cette sensibilité le fait respecter le questionnement religieux, associé dans le même temps à une critique virulente des institutions religieuses de son époque. Il n’en est pas moins clair sur ses positions contre l’Eglise et sur la nécessité de purger le socialisme de son arrière-fond religieux, présent notamment chez Fourier, Saint-Simon ou Leroux. C’est pourquoi il peut affirmer « je n’adore rien, pas même ce que je crois : voilà mon antithéisme » [8].

Probablement l’expérience sociale et politique de son époque, dans laquelle l’Eglise joue le rôle d’appui de la répression des révoltes populaires, influence-t-il son anticléricalisme. Il est difficile de ne pas malmener celui qui vous calomnie et attise les condamnations à votre égard.

Une science proudhonienne de la société à visée normative

Pour Proudhon, la société est immanente, traversée d’antagonismes, et faite par des forces collectives, toujours en mouvement. Il cherche donc une science de la société se promettant d’instaurer le meilleur état social par rapport à ce qu’est la société : une science à visée normative capable d’instaurer l’égalité et la justice. La société se fait en vertu de forces inconscientes, et les individus obéissent sans en avoir l’intelligence. La science ainsi promue doit permettre la compréhension de ses forces, et permettre à l’humanité en quelque sorte de prendre conscience d’elle-même [9].

Proudhon, ancien ouvrier typographe, se méfie de la métaphysique. Il rejette l’idée de savoir absolu. De la même manière, l’action est première par rapport aux idées : il met ainsi l’accent sur l’effort collectif, en opposition au déterminisme et à la providence ; la révolution est la manifestation la plus forte de cet effort collectif créateur. C’est en cela que la société est immanente : c’est l’action humaine qui produit non seulement le monde matériel, mais aussi les idées, les valeurs et les mentalités [10]. De fait, pour Proudhon, « la philosophie doit être essentiellement pratique

 » [11]. Elle n’a pas une fonction spéculative, et s’inscrit dans la vie quotidienne. De la même manière, elle n’est pas une pratique élitiste d’oisifs, mais a une finalité d’action à visée émancipatrice par les prolétaires. La science ne se perd pas dans les limbes de la théorie, elle reste ancrée dans la réalité ordinaire et liée à la recherche de l’amélioration des conditions humaines.

Conformément à cette position, la science promue par Proudhon ne peut être qu’empirique. Elle part de l’observation. Proudhon l’incarnera en étant attentif aux expérimentations sociales des classes populaires qui jaillissent à son époque : mutuelles, coopératives et sociétés secrètes. C’est probablement lors de son passage à Lyon, avec son effervescence portée par les canuts, que mûrira chez lui son mutuellisme. Il y restera entre 1843 et 1847, à la veille de la révolution associationniste de 1848, et y côtoie le socialisme le plus agité.

Dans La capacité politique des classes ouvrières [12], testament politique de Proudhon, il évoque et justifie les efforts des prolétaires pour affirmer leur autonomie politique et matérielle à travers des mutuelles, des coopératives et des syndicats. Il enjoint les ouvriers à l’abstention lors des élections. Leur capacité politique réelle réside dans l’organisation d’un mouvement social autonome. Un temps méfiant vis-à-vis de l’association, il devient l’un de ses plus ardents défenseurs. Pour lui, les gens de bras ne sont pas dépourvus de capacité politique, bien au contraire. Ils n’ont pas à être guidés par une avant-garde, mais créent ici et maintenant des expérimentations sociales sur le terrain économique, permettant d’affirmer immédiatement l’autogestion généralisée future. C’est ce que les socialistes « partageux » sont alors en train de faire. C’est en cela que l’analyse du social par Proudhon est profondément anarchiste : la société, qui est toujours autoproduite, peut se faire consciemment elle-même. Elle résulte de l’association de forces sociales, et non d’un principe organisateur transcendant, que ce soit la religion ou l’Etat. Or, l’anarchie est impossible si ce n’est pas le cas : s’il n’y a pas d’autonomie du social, il n’y a pas d’anarchie possible. L’anarchisme ne vise en ce sens rien d’autre que de favoriser l’autonomisation du social, notamment par rapport au politique dont il se défie.

La prédominance du social chez Proudhon repose sur le fait qu’il est une condition de l’humanité de l’être humain : « l’homme le plus libre est celui qui a le plus de relation avec ses semblables » [13]. L’être humain est un être sociable parce qu’il a besoin des autres, et ce non seulement pour assurer sa survie ou perpétuer l’espèce, mais surtout parce qu’il ne peut s’épanouir sans autrui ni culture partagée. La liberté ne trouve pas sa limite chez les autres. Elle n’est pas non plus un vide investi d’un pouvoir infini, qui fait que l’expérience radicale de l’existence humaine est d’abord angoisse absolue. La liberté est dans la relation. La plus grande liberté se développe à travers des formes d’activités mutuelles entre égaux. La politique, la religion, l’économie capitaliste empêchent ce développement, et c’est pourquoi il faut selon Proudhon les combattre en leur substituant graduellement d’autres pratiques sociales qui finiront immanquablement à créer d’autres formes de vie au sein d’une autre société. Ce ne sera pas pour autant un point d’arrivée ou une fin de l’histoire. La société est un mouvement de forces diverses, et l’anarchie n’est qu’une sorte d’équilibre en gestation continue, appuyé sur le plan politique par le confédéralisme, et sur le plan économique par le mutuellisme.

Précisons que Proudhon pose deux problèmes de principe aux anarchistes : il est antisémite et misogyne. L’antisémitisme de Proudhon est lié au fait qu’il considère que les Juifs sont à l’origine du capitalisme [14]. Cet antisémitisme, sous une forme différente et plus nuancée, on le retrouvera chez Bakounine à la fin de sa vie, suite à ses polémiques avec Karl Marx. Il ne faut pas les taire, comme il est souvent fait. Cependant, l’antisémitisme de Proudhon n’apparaît pas dans ses constructions théoriques. En revanche, il en est différemment de sa misogynie. Il fait du mariage un pivot de la société, et de la famille l’unité sociale de base.

Joseph Déjacque, l’inventeur du terme libertaire, publie un pamphlet en réponse à et en rupture avec Proudhon : De l’Être humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. PROUDHON. Exilé depuis la révolution manquée de juin 1848, il est sans doute le plus virulent contre Proudhon, ce « vieux sanglier qui n’est qu’un porc » [15]. Il y défend l’égalité homme-femme : « dites à l’homme et dites à la femme qu’ils n’ont qu’un seul et même nom comme ils ne font qu’un seul et même être, l’être-humain ». De même, il défendra l’émancipation de tous les êtres, quels que soient leur sexe, leur couleur de peau, leur âge. La révolution consiste en un combat dans les rues et dans les foyers contre un modèle social fondé sur la propriété et la famille. Depuis New-York et la Nouvelle-Orléans, il dénonce le massacre et le pillage des indiens d’Amérique ainsi que l’esclavage des noirs dans plantations. Joseph Déjacque est en ce sens bien plus anarchiste que Proudhon, qui aura pourtant été l’un de ses maîtres à penser.

L’autonomie du social chez Bakounine

Bakounine était un lecteur de Proudhon. Après 50 ans, il s’est lui-même déclaré anarchiste, et est devenu l’un des principaux théoriciens de l’anarchisme révolutionnaire. Il est alors somme toute logique de retrouver cette autonomie du social chez lui. Elle est clairement affirmée dans Fédéralisme, socialisme et antithéologisme, dont il termine la rédaction en 1868 :

« La société, c’est le mode naturel d’existence de la collectivité humaine indépendamment de tout contrat. Elle se gouverne par les mœurs ou par des habitudes traditionnelles, mais jamais par des lois. Elle progresse lentement par l’impulsion que lui donnent les initiatives individuelles et non par la pensée, ni par la volonté du législateur. Il y a bien des lois qui la gouvernent à son insu, mais ce sont des lois naturelles, inhérentes au corps social, comme les lois physiques sont inhérentes aux corps matériels » [16].

Bakounine l’antipolitique

Pour Bakounine, formé à l’hégélianisme, l’humanité a une nature sociale. Le social, régi par ses propres lois, préexiste même à l’individu et à la constitution politique. Il peut néanmoins se transformer par des efforts individuels. On retrouve ici à la fois la position antipolitique de Bakounine, sa conception fondée sur une philosophie de la nature de l’autonomie du social, et sa considération de l’action humaine comme productrice de la société. Ces trois éléments, que Bakounine peine parfois à concilier, constituent la base de sa pensée anarchiste, nourrie perpétuellement par son activité révolutionnaire. Si Bakounine appelle lui aussi, comme Proudhon, à s’appuyer sur la science, il considère toutefois que la connaissance rationnelle du monde – naturel et social – est insuffisante à l’émancipation. Il n’appelle pas au sentiment de révolte contre la science. Il n’associe pas non plus science et émancipation. Mais la science peut bien permettre de favoriser la conscience des individus des lois naturelles et des prescriptions sociales. Si les premières ne sont pas modifiables, les secondes peuvent être transgressées, et même bouleversées en vue de l’émancipation individuelle et collective. C’est le but de la révolution sociale. On retrouve donc chez Bakounine la même idée que chez Proudhon, celle de la possibilité d’une constitution de la société par le social lui-même, débarrassée du capitalisme, de la politique et de la religion.

Bakounine est célèbre pour sa polémique avec Marx, qui entraînera une rupture au sein de la Première Internationale, celle de l’Association Internationale des Travailleurs. Il a à la fin de sa vie une défiance absolue envers le pouvoir, qu’il soit bourgeois ou populaire : la lutte n’est pas politique, dans les couloirs des palais et les délégations parlementaires, mais strictement sociale. C’est pourquoi il refuse d’utiliser l’appareil d’Etat et la mise en place d’une dictature du prolétariat, contrairement aux communistes – qu’il nomme « autoritaires ».

Bakounine prophétise d’ailleurs ce que deviendra le bolchévisme. Dès le 19 juillet 1866, dans une lettre à Alexandre Herzen et Nicolaï Ogarev [17], Bakounine écrivait : « Toi qui es un socialiste sincère et dévoué, assurément, tu serais prêt à sacrifier ton bien-être, toute ta fortune, ta vie même, pour contribuer à la destruction de cet Etat, dont l’existence n’est compatible ni avec la liberté ni avec le bien-être du peuple. Ou alors, tu fais du socialisme d’Etat et tu es capable de te réconcilier avec ce mensonge le plus vil et le plus redoutable qu’ait engendré notre siècle : le démocratisme officiel et la bureaucratie rouge ». Il annonce les dérives que contiennent les positions sur la participation au jeu politique et sur la prise de l’appareil d’Etat dans une phase transitoire. Il pressent que la mise en place d’un Etat populaire s’accompagnera inévitablement de l’émergence d’une nouvelle classe privilégiée, celle des directeurs et des fonctionnaires, c’est-à-dire de la bureaucratie.

Suite à l’éclatement de la Première Internationale [18], il participe à la fondation de l’Internationale antiautoritaire à Saint-Imier en 1872, avec entre autres Carlo Cafiero, Errico Malatesta et James Guillaume. Celle-ci regroupe les sections espagnoles, italiennes, françaises, jurassiennes et américaines, et est alors l’organisation révolutionnaire la plus nombreuse. Son orientation, influencée par les idées de Bakounine, est clairement antipolitique. Elle déclare que « la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat » dans sa troisième résolution. Conformément à l’orientation anarchiste des carnets proudhoniens de 1852, il s’agit de faire de la politique pour détruire la politique.

Bakounine a bien conscience que son activité révolutionnaire comporte une composante politique. Il critique d’ailleurs l’indifférence à la question politique. Contrairement à ce que déclareront ces détracteurs à l’époque, il ne s’agit pas d’apolitisme, mais d’une position antipolitique – donc d’une affirmation de l’autonomie du social.

Le conflit avec Marx sur la question politique ne se situe pas seulement sur la prise de l’appareil d’Etat en vue de sa décomposition future – option de Marx – ou la lutte immédiate pour le dépérissement de l’Etat – option de Bakounine. Il y a chez Bakounine l’intuition d’une part maudite du pouvoir. 

« Je ne craindrai pas d’exprimer cette conviction, que si demain on établissait un gouvernement et un conseil législatif, un parlement, exclusivement composé d’ouvriers, ces ouvriers, qui sont aujourd’hui de fermes démocrates socialistes, deviendraient après-demain des aristocrates déterminés, des adorateurs hardis ou timides du principe d’autorité, des oppresseurs et des exploiteurs. Ma conclusion est celle-ci : il faut abolir complètement, dans le principe et dans les faits, tout ce qui s’appelle pouvoir politique ; parce que tant que le pouvoir politique existera, il y aura des dominants et des dominés, des maîtres et des esclaves, des exploiteurs et des exploités » [19].

La question n’est pas de savoir si tel ou tel dirigeant est corrompu, manipulateur, violent. Le pouvoir en lui-même pervertit. Le fait de se retrouver en position de pouvoir transforme l’individu et le place en situation où il ne peut qu’exercer une domination sur les autres.

Cette position antipolitique se confirme dans la Lettre à un français [20], au moment de la guerre franco-prussienne, où il déclare que l’émancipation sociale et économique du prolétariat entraînera son émancipation politique, ou plutôt son émancipation de la politique. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y aurait pas de décisions collectives à prendre, bien au contraire. Bakounine considère que c’est une nécessité. Ce qui est rejeté, c’est la séparation d’une instance décisionnelle du corps social, et son institutionnalisation qui finit par la consacrer théologiquement.

Suffrage universel ou censitaire, là n’est pas la question pour Bakounine. L’élargissement du suffrage ne supprime en rien le mensonge qu’est la représentation. Le pouvoir corrompt, et se trouver en position de représentant ne peut que couper des aspirations populaires. Les assemblées centralisatrices favorisent le passage des « palpitations vivantes de l’âme populaire » vers des abstractions [21]. Ce n’est pas pour cela que Bakounine n’admet pas la représentation des sections au sein de l’A.I.T., via des mandats impératifs. Mais cette représentation n’intervient alors pas au sein d’un petit Etat en gestation – c’est du moins le sens de son engagement et de ses polémiques avec les tenants du centralisme – mais dans une fédération qui préfigure celle qu’il appelle de ses vœux.

Cette critique du pouvoir, il va jusque la formuler à destination des organisations ouvrières risquant de se bureaucratiser. De son expérience au sein de l’A.I.T., entre 1868 et son éviction en 1872, il en tire plusieurs leçons. Il note d’abord la tendance à la constitution d’une élite militante, qui se considère indispensable. Mécaniquement, elle s’habitue à décider à la place des autres, et les délégués se coupent de leur base. L’autonomie des sections et des individus doit justement venir empêcher cette dégénérescence, de même que les assemblées générales des membres.

Antithéologisme et philosophie de la nature chez Bakounine

L’anarchisme a, on l’a vu, dès son origine mis en avant une critique radicale tant du capitalisme et de l’Etat, que de l’Eglise. La domination n’est pas seulement matérielle, elle est aussi idéologique, et la religion vient couvrir la conscience d’un voile tout en légitimant les dominations existantes. Bakounine ne déroge pas à la règle. Il a très bien synthétisé cette pensée dans Dieu et l’Etat, ouvrage posthume recomposé par son ami Elisée Reclus en 1882. Il y proclame que « si Dieu existait, il n’y aurait pour lui qu’un seul moyen de servir la liberté humaine, ce serait de cesser d’exister » [22].

Pour Bakounine, une religion, et particulièrement l’Eglise catholique, se constitue comme pouvoir politique et économique. L’idéalité divine s’appuie sur l’exploitation économique et l’oppression politique des masses, richesse et puissance s’autoalimentant l’un l’autre [23]. Les religions instituées transforment la spiritualité en s’accaparant le fruit du travail des autres, et tombent dans un matérialisme étroit de privilégiés. Bakounine peut ainsi renvoyer dos à dos idéalisme et matérialisme : l’idéalisme religieux se concrétise sur terre en servant les forces matérielles, tandis que le matérialisme scientifique appuie l’idéalisme pratiques des classes populaires et des laissés-pour-compte.

Il met aussi à jour le fétichisme contenu dans l’idée de dieu, qui vient écraser l’humanité. « Dieu est tout, donc l’homme et tout le monde réel avec lui, l’univers, ne sont rien » [24]. Ce qui est ordinaire et passager est ainsi traité avec dédain, alors que « toute la vie des hommes réels, des hommes en chair et en os, n’est composée que de choses passagères » [25]. Il faut ainsi rendre à l’humanité et la nature ce dont elles ont été dépouillées en s’opposant à la religion. Cette dernière est l’incarnation idéale de ce dépouillement, celui de la capacité à produire le monde. Bakounine fait alors de son antithéologisme l’un de ses trois piliers fondamentaux de son anarchisme, avec le fédéralisme et le socialisme.

Bakounine s’oppose donc à l’hétéronomie de la politique et de la religion. D’où vient pour lui l’autonomie du social ? Bakounine est matérialiste. Il considère donc que l’esprit n’est pas séparé du corps, et que l’individu, qui est d’abord un corps, est le produit de la nature, puis de la société. De la nature d’abord, règne de la nécessité. Il n’y a aucune échappatoire, et aucun projet bakouninien de la sortie des forces naturelles. Il faut au contraire les reconnaître et les faire sienne. Il les distingue des forces sociales, qui elles ne sont pas inhérentes à notre être, mais viennent de l’extérieur de soi-même [26]. Il n’en reste pas moins qu’elle constitue l’individu, être irrémédiablement social pour Bakounine.

L’être humain « naît dans la société comme la fourmi dans la fourmilière et comme l’abeille dans la ruche ; il ne la choisit pas, il en est au contraire le produit, et il est aussi fatalement soumis aux lois naturelles qui président à ses développements nécessaires, qu’il obéit à toutes autres lois naturelles » [27]. La société précède l’individu, et l’imprègne, tant « la pression de la société sur l’individu est immense, et il n’y a point de caractère assez fort ni d’intelligence assez puissante qui puisse se dire à l’abri des attaques de cette influence aussi despotique qu’irrésistible » [28]. C’est d’ailleurs cela qui prouve le caractère social de l’être humain, tant la culture propre à un individu donné se reflète jusque dans les détails de sa vie.

L’individu est comme happé par le social, en même temps qu’il permet la création de liens avec les autres, par la confiance, la routine et les habitudes. A tel point que l’humanité se fonde d’abord sur la sociabilité : il n’y a pas d’êtres humains qui à un moment se mettent d’accord afin de créer volontairement la société, comme chez Rousseau. L’individu ne la crée pas, il en hérite. Il ne peut donc qu’être façonné intimement par la situation sociale-historique dans laquelle il naît.

Les prescriptions sociales prennent presque la consistance des nécessités biologiques. D’ailleurs, Bakounine considère l’espèce humaine comme une continuité des espèces animales : « ce qui n’existe pas dans le monde animal au moins à l’état de germe, n’existe et ne se produira jamais dans le monde humain » [29]. Bakounine distingue le milieu naturel, celui des biologistes, du milieu social, celui des sciences sociales et de l’activité révolutionnaire, mais les pense en continuité. En dernière instance, c’est la nature qui fixe le devenir humain. Si Bakounine en restait là, ce serait une autonomie du social en réalité dépendante des lois naturelles de l’univers ; une autonomie qui n’en serait alors pas une. Dans tous les cas, il y aurait un déterminisme incapable de penser le changement social.

Mais il n’en est rien chez Bakounine, révolutionnaire bien avant d’être philosophe. La continuité chez lui ne veut pas dire qu’il n’y a pas une différence qualitative nette entre l’animalité et l’humanité. L’être humain a pleinement accès à l’abstraction. Il peut penser et parler – et donc transmettre. S’il concède que certains animaux ont des capacités troublantes, ce ne sont que des bribes de ce que l’humanité possède en termes de faculté. De cette capacité de penser, il en fait le second de ces trois fondements du développement humain, avec lesquels s’ouvre le Dieu et l’Etat reconstitué en 1882 par Elisée Reclus [30].

Bakounine et la liberté

L’individu est capable de s’élever à la conscience, et par là de se déterminer lui-même au sein du milieu qui lui préexiste. Il sait reconnaître le monde qui l’enveloppe et les forces qui le déterminent, étape nécessaire avant de pouvoir agir dessus.

« Grâce à cette faculté d’abstraction, l’homme en s’élevant au-dessus de la pression immédiate que tous les objets extérieurs ne manquent jamais d’exercer sur chaque individu, peut les comparer les uns avec les autres, observer leurs rapports. Voilà le commencement de l’analyse et de la science expérimentale » [31].

L’être humain est un individu parlant et pensant. C’est pour cela qu’il peut échapper à la fatalité et s’ouvrir au règne de la liberté. La connaissance, que la science doit développer, est ainsi un maillon essentiel chez Bakounine : c’est par elle qu’il est doué de volonté et peut s’affirmer.

Pour autant, l’être humain ne saurait s’ouvrir à la liberté sans dépasser ce moment de la pensée. L’être humain humanise la nature, à partir de ses idées, par ses activités. C’est bien par l’action dans ce monde qu’il peut réaliser sa liberté : la science ne permet que la conscience de la liberté, qui demande à se réaliser par des actes.

S’il n’y a qu’à faire siennes les lois naturelles, sommes-nous condamnés à toujours nous incliner face aux prescriptions sociales ? Une telle affirmation serait contradictoire avec la vie que Bakounine a menée. Issu d’une famille de l’aristocratie russe, son père l’envoie faire ses classes dans l’armée à 14 ans. Il supporte mal la discipline militaire, et en opposition avec sa famille quitte l’armée quelques années plus tard pour s’inscrire à l’université à Moscou, où il fréquente un cercle révolutionnaire. Il voyage en Allemagne et en France, où il rencontre des socialistes. En 1848, il prend une part active à la révolution qui se déroule alors en France. Il tente de la propager en Allemagne, puis en Pologne où il est l’un des meneurs de l’insurrection populaire de Dresde. Il est finalement arrêté par les prussiens et condamné à mort. Sa sentence est commuée en travaux forcés à perpétuité, avant d’être livré à la Russie. Incarcéré dans des conditions difficiles, il est finalement déporté en Russie en 1857. Il réussit à s’enfuir en 1861, à 47 ans, via le Japon et les Etats-Unis, avant de gagner l’Europe. Il renoue avec les milieux révolutionnaires et adhère en 1868 à l’A.I.T. En 1870, il participe à une insurrection à Lyon, qui proclame la Commune, préfigurant celle de Paris quelques mois plus tard. Le soulèvement échoue, et Bakounine se réfugie à Marseille, puis en Suisse. Après le massacre des communards en 1871, les tensions sont vives au sein de l’A.I.T. Bakounine en est exclu en 1872 avec d’autres membres, et participe à la fondation de l’Internationale antiautoritaire. En 1873, épuisé, il décide d’arrêter le militantisme. Malade, il prend part aux préparatifs d’une insurrection à Bologne, espérant mourir sur les barricades. L’insurrection tourne court, et il meurt en 1876. Toute sa vie, il n’a cessé de braver les déterminismes de la société, depuis sa rupture familiale jusqu’à ses engagements révolutionnaires, debout sur les barricades et armes à la main. Son existence ne colle pas avec l’idée d’une action humaine entièrement engluée dans le milieu social.

Sa théorie n’est pas non plus une théorie du déterminisme. Elle fait la part belle à la liberté, et donc à la capacité humaine de transformer la société. Pour Bakounine, il est possible d’extirper les mauvaises habitudes pour les remplacer par des bonnes. La société est ainsi en partie productrice d’elle-même.

Chaque chose et chaque être possèdent une individualité propre, certes née de circonstances antérieures et issue du milieu social au sens large, mais qui permet des capacités autonomes d’action. C’est une parcelle d’autonomie minuscule devant l’infini du monde et des forces qui façonnent l’univers. C’est néanmoins un pouvoir créatif et imaginatif qui permet à l’individu, au moins de manière abstraite ou en tous cas incomplète, de s’élever au-dessus de la pression immédiate des choses qui l’entourent comme de ses mouvements propres et de ses appétits.

S’il n’y a pas de libre-arbitre, il y a la liberté au prix d’efforts et d’une révolte en partie dirigée contre soi-même – la partie façonnée par le milieu social. L’individu est pourvu de volonté. Sinon, l’individu serait réduit à une machine ou à des instincts. L’individu, par ses expériences et ses actions, modifie non seulement le monde dans lequel il s’insère, c’est-à-dire la société actuelle comme l’humanité et les choses dans leur ensemble, mais aussi sa psychologie. Cette volonté n’est pas un mystère de la vie, elle est fondée dans la chair et le sang, et possède sa propre dynamique. Elle peut ainsi grandir par les efforts de l’individu, la pensée ou les conditions sociales favorables. Ce que Bakounine nomme un ruisseau dans le courant universel de la vie, peut se transformer en torrent. Jusqu’à un certain point, l’individu qui s’émancipe peut alors devenir son propre éducateur et le créateur de soi-même et de son milieu social. Cette auto-détermination reste relative, enchaînée au monde naturel et social comme tout être vivant, mais elle existe et participe à façonner le monde. Donc l’individu n’acquiert pas cette petite partie d’autonomie de manière isolée, en s’arrachant au milieu social, mais en agissant dessus, et donc en s’y mêlant encore plus. Même l’action individuelle est immédiatement sociale.

L’individu chez Bakounine n’est donc pas constitué entièrement par les rapports sociaux, comme chez Marx ; ou plutôt, s’il est constitué par ses relations sociales, il y a aussi une part de subjectivité, qui permet notamment les ruptures non seulement personnelles mais aussi collectives, et les arrachements à la voie tracée par ses conditions, y compris les révoltes. Il n’y a pas de sujet révolutionnaire, tel le prolétariat chez Marx, voué à transformer de manière mécanique et nécessaire la société. Pour Bakounine, il existe bien des classes sociales, mais pas de classe révolutionnaire en soi. Certaines classes sociales peuvent jouer un rôle temporairement révolutionnaire, mais elles sont toutes en rivalité pour le pouvoir. Or, il s’agit pour lui d’en finir par la volonté avec la domination, et donc avec la division en classes sociales, mais aussi avec l’Etat, la religion, la famille patriarcale, avec les mœurs qui ont pénétré profondément l’individu, « de sorte que chacun en est en quelque sorte le complice contre lui-même » [32]. Il n’y a pas de mécanique révolutionnaire chez Bakounine, mais des voies expérimentales et des tentatives créant des ruptures et des chocs modifiant non seulement le milieu social général, mais aussi les structures psychologiques des individus.

Ces ruptures sont d’autant plus possibles que l’une des manifestations de cette part de liberté chez l’humain est le sentiment de révolte. Si la pensée est la facette positive de la liberté, la révolte en est la composante négative. Mais cette dernière est puissante, et le véritable moteur du développement de la liberté – c’est-à-dire de la capacité des êtres humains à développer leurs facultés leur permettant d’intervenir sur le monde. Elle est inscrite dans la condition humaine, et même si elle est toujours située dans un contexte historique et culturel particulier, elle est en ce sens universelle. La révolte, que Bakounine considère comme instinctive, fonde des traditions et des capacités d’organisation contre l’autorité, qui se transmettent à travers les âges. Immédiatement, elle est socialisée et participe à une sédimentation historique, faisant de l’histoire (sociale) de l’humanité ce qu’elle est. Cet « instinct de révolte », déjà très social, est à encourager face à bien d’autres dispositions humaines moins reluisantes, pour devenir un élan révolutionnaire. De négative, la révolte dans toute son ambigüité, à la fois violence ravageuse et destruction créatrice, devient positive et émancipatrice, une force matérielle capable de triompher. La révolution sociale, avec les destructions qu’elle suppose, est évidemment le choc par excellence, la rupture qui transforme non seulement le monde et les rapports sociaux (l’union libre plutôt que la famille patriarcale par exemple) mais suscite aussi un autre type d’humain, plus libre.

Bakounine tire de tout cela une définition sociale de la liberté. La liberté d’autrui n’est pas une limite, au contraire elle confirme et étend la mienne à l’infini.

« Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres. La liberté d’autrui, loin d’être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. Je ne deviens libre vraiment que par la liberté d’autres, de sorte que plus nombreux sont les hommes libres qui m’entourent et plus profonde et plus large est leur liberté, et plus étendue, plus profonde et plus large devient ma liberté » [33].

Ce n’est donc pas une liberté du libre arbitre, avec un individu abstrait et atomisé. Il n’y a pas de liberté spontanée et isolée, indépendante du monde extérieur. Bakounine fournit ainsi des armes aux sciences sociales, dans les débats qui les animent avec les économistes étroits, tenants du libéralisme et de la liberté exclusive de l’individu contre la société. L’individu n’en est pas moins l’élément de base de l’anarchie, et donc de la société. Dans sa complétude, il est irréductible, singulier, vivant, bien plus qu’une simple incarnation du système institutionnel et social, et il convient de respecter absolument sa dignité.


Convergence des luttes…

L’anarchie et le fondement de l’intelligence intrinsèque du social 

Sur quel fondement se constitue le lien social pour les anarchistes ? Si l’équilibre ne repose ni sur la constitution politique, ni sur la nature humaine – égoïste pour les utilitaristes, altruiste pour Kropotkine – sur quoi d’autre peut-il reposer ? L’anarchisme semble parfois reposer sur une conception presque vitaliste de la société, où le mouvement de la vie aurait ses propres finalités qu’il conviendrait de ne pas entraver. C’est quelque chose que l’on retrouve en filigrane dans la pensée des anarchistes Bakounine ou Libertad, par exemple, et surtout chez Kropotkine.

Reprenant à son compte la morale sans obligation ni sanction de Guyau [34], Kropotkine considère quant à lui que la vie contient en elle-même le mobile de l’activité et de la morale. Le géographe russe va plus loin, et finit par fonder la morale sur une solidarité inscrite dans la nature – donc biologique [35].

Celui-ci fonde l’autonomie sur la biologie, ce qui est donc en réalité une négation de l’autonomie du social. Il publie en effet en 1902 L’entr’aide, un facteur d’évolution [36]. Il s’agit non seulement de montrer que la solidarité est un principe moteur tant de l’évolution animale que du changement humain, mais aussi de prendre le contrepied du darwinisme social mettant en avant la lutte concurrentielle pour la survie. L’entraide prime sur la lutte pour la survie des plus aptes. Kropotkine partage tout de même avec les socio-darwinistes l’idée qu’il y a une continuité absolue entre le naturel et le social. Cependant, contrairement à eux, il estime que l’entraide n’est pas simplement un comportement hérité, mais qu’il peut et doit se cultiver. Pour Kropotkine, il n’y a pas de principe biologique prédéterminant de l’entraide, mais des habitudes qui s’acquièrent et se modifient en fonction des situations et des milieux. C’est en fait une force réelle et importante dans le monde vivant, capable de contrebalancer la loi du plus fort. Il cède toutefois au même postulat consistant à reposer les comportements humains sur la biologie. Les sciences sociales comme l’activité révolutionnaire doivent se fondre dans une science de la nature. Qu’il y ait de l’altruisme dans la nature, et profondément ancré dans les sociétés humaines encore aujourd’hui [37], ne vient pas expliquer la socialisation et la transmission des pratiques les plus libertaires de la vie sociale.

L’évolutionnisme, qui considère que le changement est continuel, sans césures, intrinsèquement positif, est en réalité une négation du caractère immédiatement et intégralement social de l’humanité, et surtout des possibilités d’une action humaine libre, donc aussi transgressive et contestataire à l’issue incertaine. Le temps social n’est ni le temps biologique, ni le temps physico-cosmique [38]. Salvador Juan en élabore une critique systématique et précise dans son ouvrage Critique de la déraison évolutionniste (2006), dans lequel un chapitre est consacré au naturalisme anarchiste [39]. Un glissement des sciences de la nature vers les sciences sociales est à l’œuvre depuis la constitution de ces sciences, et les anarchistes s’essayant à la théorie reflètent aussi les travers de cette époque. Aujourd’hui, les prétentions de la biologie à expliquer le social s’appuient sur les nouveau

x développements des technosciences, comme la génétique. Comme l’affirme Salvador Juan, la constitution des sciences sociales passe pourtant par son dégagement d’un certain impérialisme de la biologie. A l’autonomie de la discipline – qui n’empêche aucunement des collaborations fructueuses [40] – correspond l’autonomie du social.

La recherche des continuités (au demeurant réelles [41]) entre humanité et le reste du vivant se fait par une négation des caractères distinctifs, et animalise du même coup l’humanité, donnant la part belle aux idéologies les plus réactionnaires et conservatrices, dont la génétique se fait aujourd’hui largement le relai. Il y a, rappelle Salvador Juan, bel et bien une distinction entre humanité et animalité – distinction ne veut pas dire meilleur, justifiant du même coup une domination possessive et ravageuse de la nature. Dès qu’il y a humanité, il y a immédiatement culture, c’est-à-dire symbole, outil, transmission. L’humanité est en ce sens beaucoup plus ancienne qu’on ne le considère habituellement [42].

Il est aisé de comprendre pourquoi un certain nombre d’anarchistes ont cédé à l’évolutionnisme de l’époque. Ils étaient aussi guidés par des motivations de rupture avec la religion, mais aussi par la volonté de remettre en cause la naturalité revendiquée des hiérarchies constituées. Bien souvent, la séparation radicale entre humanité et animalité s’intégrait parfaitement à l’évolutionnisme classique : les véritables humains étaient les blancs européens, les bourgeois, les êtres masculins… tandis que les autres étaient à des stades inférieurs encore marqués par l’animalité. Poser une continuité entre humanité et animalité permettait de désamorcer ces manières de légitimer l’ordre existant et les conquêtes coloniales. Cela ne remet néanmoins pas en cause son affirmation de l’autonomie du social. Il ne s’agit là que d’une contradiction initiale, en général corrigée par les anarchistes qui ont continué de s’inscrire dans ce mouvement.

Sans transcendance, le social livré à lui-même s’est parfois réfugié dans la biologie pour trouver son fondement. La reconnaissance entière de son autonomie ne peut pourtant passer qu’en prenant acte de sa dimension pleinement culturelle, produit d’une sédimentation historique qui pénètre les moindres détails de l’individu, ainsi que de l’action et de la contestation toujours situées. Peut-il y avoir autonomie du social sans s’inscrire finalement dans le mouvement de la vie sociale elle-même ? Il y aurait donc une sorte d’intelligence intrinsèque du social. Voilà un champ qui mériterait peut-être d’être exploré.

En réalité, les anarchistes ne fondent pas l’anarchie sur la biologie, mais sur l’action humaine. S’il n’y a pas constitution politique de la société pour les anarchistes, cela ne les empêche pas de promouvoir l’auto-institution par des individus conscients. 

Chez Proudhon, elle s’incarne dans des associations, mutuelles, coopératives des classes populaires et demain dans le confédéralisme associé au mutuellisme. Il promeut les liens contractuels directs entre égaux. Ce contractualisme peut cependant parfois être qualifié de « comptable », et reste enraciné chez lui dans un prisme économiste. Chez Bakounine se retrouve les mêmes ensembles sociaux, mais aussi les communes et les assemblées de base. Kropotkine, avec ses comparses anarchistes-communistes, vantera quant à lui les mérites de la commune, à la portée sociale plus large que les organisations économiques. Elle ne s’arrête pas à la production, et intègre les femmes, les enfants, les chômeurs, les anciens, les paysans, dans une optique d’élargissement par la solidarité, bouleversant sans cesse ses frontières et ses contours.

Au fondement de l’anarchisme, il y ainsi une distinction subtile entre instances séparées et social immanent. La religion est l’institution emblématique du dépouillement des capacités autonomes des personnes à produire leur société et à vivre leur vie librement. La constitution politique, incarnée par l’Etat et la législation, bénéficie de davantage de crédit, puisqu’il repose dans les sociétés contemporaines sur l’idée du contrat social. Pour les anarchistes, la politique est un lieu séparé, depuis lequel sont fixés les lois et les mœurs. Qu’elle soit monarchique, aristocratique ou démocratique, elle reste toujours surplombante et vient fixer les forces sociales. A l’inverse, l’anarchie peut se définir comme la situation où la société se fait elle-même, à la base, dans l’épaisseur du social : des lieux décisionnels non séparés, les mœurs, les usages et la sociabilité animés par l’éthique et la réciprocité. Les décisions communes prises dans les lieux institutionnels appropriés ne se substituent pas à un système de règles informelles gérant la vie collective, dans lequel les discussions directes de voisinage sont essentielles et des marges de manœuvre laissées aux individus. L’anarchie, fondée sur les principes de l’entraide, ce sentiment de solidarité conscient et volontaire, et de l’auto-organisation entre égaux, n’est pas le chaos. C’est une société sans dirigeants ni dirigés, où les accords et les règles ne sont pas figés mais définis librement et réciproquement au sein de structures collectives souples. Il n’y a pas de forme adéquate qui préexisterait au contenu – il est possible d’autogérer en capitaliste ou de discuter sans oppression d’une invasion – mais un souci permanent de maintenir vivant les raisons rendant l’anarchie désirable. D’où l’importance que tous les anarchistes accorderont à l’éducation, la transmission et la culture.

Anarchisme et sciences sociales

Les anarchistes ont creusé avec force le sillon d’une reconnaissance de l’autonomie du social. Cette dernière, on la retrouve dans les sciences sociales émergentes. N’est-ce pas ce qu’affirme Durkheim, pourtant très éloigné de l’anarchisme, quand il affirme en 1895 que l’objet de la sociologie se trouve entièrement dans les faits sociaux, et que les faits sociaux doivent être expliqués par d’autres faits sociaux [43] ? Mauss renforcera cette affirmation par la notion de « fait social total », en montrant notamment que les dimensions économiques ne sont pas dissociables des dimensions sociales et culturelles, cet ensemble venant façonner l’individu jusque dans son corps. La socio-anthropologie considère à sa suite le concept d’institution comme central. C’est alors « une création humaine dont personne n’est l’auteur et qui s’impose à tous mais que chacun adapte et peut participer à changer » [44].

L’autonomie du social s’affirme au sens d’une sphère séparée des autres sphères sociales, qui viendraient la pervertir. Cela ne pose pas seulement l’existence d’une sphère qui serait le social, à côté de la sphère politique, économique, techno-scientifique, culturelle, religieuse, mais le fait que cette sphère est celle qui constitue réellement la société, et qui peut être source d’émancipation. La réalité de la société, c’est le social, qui s’engendre par lui-même et pour lui-même, de manière anarchique donc. A l’autonomie du social correspondrait ainsi une exigence à l’autonomie des sciences sociales.

La reconnaissance de l’autonomie du social est à la base d’une théorie des sciences sociales débarrassée de la politique et de l’économie. Aujourd’hui plus qu’hier, elles sont largement instrumentalisées et orientées par les objectifs économiques fixés par l’Etat et les grandes industries stratégiques. Il suffit pour s’en convaincre d’observer la plupart des programmes de recherche financés. De manière moins reconnue, les sciences sociales viennent aussi appuyer les modes d’administration et de gouvernement des populations, dont les statistiques sont nécessaires. N’est-ce pas ce que soufflait Foucault avec son concept de biopouvoir ?

Michel Foucault a approfondi ses réflexions sur les sociétés disciplinaires avec son concept de biopouvoir [45]. A l’enfermement succède un nouveau type de normativité. Il ne s’agit plus seulement de dresser les corps, mais d’organiser la vie, c’est-à-dire de se constituer comme une force de régulation. Le pouvoir est de plus en plus gestionnaire et bureaucratique : inciter, contrôler, surveiller, normaliser y sont des prérogatives essentielles. Il catégorise et il prescrit des modes de vie et des manières d’agir et de penser. Il investit la vie pour mieux être à même de l’administrer, s’inscrivant dans le corps, et venant gouverner les corps. Or, un tel pouvoir exige de nouvelles attentions : taux de croissance, taux de natalité, taux de mortalité, analyses sociodémographiques et socioéconomiques. Dès lors, les sciences sociales deviennent un outil pour gouverner.

Les anarchistes ont contribué à l’essor des sciences sociales, non seulement par leur affirmation de l’autonomie du social, mais aussi en empruntant des analyses théoriques et en discutant de la société à la manière de praticiens de ces sciences. Déjà Bakounine, homme d’action davantage que théoricien, s’était employé à fonder un matérialisme scientifique, reposant sur les avancées dans les connaissances de la nature et de la vie aussi bien que sur les sciences sociales en cours d’élaboration. Il lit et commente notamment Auguste Comte, commence la traduction du Capital de Karl Marx en russe, s’intéresse à l’anthropologie. Il considère comme Comte que la sociologie vient couronner l’édifice scientifique, en la rattachant toutefois à un strict prolongement des autres disciplines. Si les sciences sociales ont une spécificité, elles sont néanmoins ramenées à une sorte d’extension des sciences de la nature et de la vie. On l’a vu, il y a pour lui une continuité entre les phénomènes physiques, intellectuels et sociaux.

C’est pour lui dans la matière que tout réside, aussi bien la vie que l’esprit. Il se méfie de la métaphysique, dans laquelle il perçoit une abstraction semblable au divin. La nature procède donc d’un « mouvement progressif et réel du monde appelé inorganique au monde organique, végétal, et puis animal, et puis spécialement humain ; de la matière ou de l’être chimique à la matière ou à l’être vivant, et de l’être vivant à l’être pensant » [46]. La matière est au départ, l’idée est à la fin.

Le monde naturel est déjà pour lui une esquisse de l’anarchie, incarnée dans sa conception du fédéralisme, allant du bas vers le haut, et de la périphérie vers le centre. L’émancipation de l’humanité s’inscrit dans la continuité avec le mouvement universel de la nature, mais la pensée – et donc l’étude du social – en est une condition. L’être humain comme l’ensemble du vivant est pris par les lois naturelles. Il est toutefois davantage encore pris par le milieu social, à l’aspect spécifique. Il peut néanmoins s’en défaire par l’exercice de la pensée et de la volonté, ce qui est une caractéristique de l’humanité et un cheminement progressif. La reconnaissance de ce qui détermine le monde et nous détermine en tant que nous en sommes une partie permet à l’être humain, de comprendre son environnement et de s’affranchir par la culture. La culture n’est pas pour autant pensée comme une guerre à la nature, fidèle au projet très moderne, et donc récent, du capitalisme et des techno-sciences.

Pour Bakounine, il y a donc tout intérêt à étudier les régularités sociales, les mœurs et les habitudes : il y a des régularités dans le social qui préexistent aux règles que les individus prétendent se donner, et surtout à la conscience qu’ils en ont. Pour que le ruisseau devienne un torrent capable de nager à contre-courant, il doit lever les barrages. Comprendre la réalité par l’étude du social est un dévoilement du monde permettant une conscience plus éclairée. Connaître les forces déterministes est une étape nécessaire pour s’en libérer et permettre à l’humanité de prendre possession d’elle-même – de devenir autonome, dirait Castoriadis [47].

La science, et les sciences sociales en particulier, a un rôle important dans la lutte pour l’émancipation chez Bakounine, et chez les anarchistes qui lui ont succédé. Il n’y aurait pour autant pas de sens à fonder une science sociale anarchiste, comme n’importe quelle autre discipline universitaire. L’anarchisme ne peut pas être bridé par les murs d’une institution par essence élitiste, ou fondu dans le moule de la pensée académique. Proudhon comme Bakounine se méfiaient d’ailleurs des intellectuels et des philosophes. Mais Proudhon participe à sa manière à l’avènement de la sociologie [48].

Bakounine distingue deux conditions à partir desquelles la science peut devenir émancipatrice. La première consiste dans la reconnaissance des lois naturelles et des régularités sociales, donc dans la connaissance de la réalité, comme nous l’avons vu. Il en affirme une autre qui sépare radicalement l’anarchisme de la conception académique des sciences modernes. Il n’y aurait ainsi pas de sens à fonder une science sociale anarchiste, comme n’importe quelle autre discipline universitaire. L’anarchisme ne peut pas être bridé par les murs d’une institution par essence élitiste, ou fondu dans le moule de la pensée académique.

Bakounine est aussi un critique de la science. Il met en garde contre le gouvernement des savants, qui serait « une monstruosité » [49]. Déjà la science, surtout quand elle s’applique aux sociétés humaines, est nécessairement imparfaite. Ensuite, ce serait une législation surplombante de la société, que les individus se verraient vénérer sans la comprendre. Les scientifiques, formant une caste à part, pourraient alors même être comparés aux prêtres. Une institution scientifique mise dans cette position, déclare Bakounine, se trouverait rapidement corrompue, perdant sa puissance de pensée, diluée dans la jouissance de ses privilèges. Conformément à son idée que le pouvoir pervertit, il affirme que « c’est le propre du privilège et de toute position privilégiée que de tuer l’esprit et le cœur des hommes » [50].

Bakounine ne remet pas en doute le changement de registre qu’opère la démarche scientifique avec la religion ou la métaphysique. La science fait autorité, mais ses représentants sont faillibles. Elle n’est qu’une projection mentale, une interprétation issue d’un corps humain. Il n’y a pas à sacrifier les individus sur l’autel des abstractions, quand bien même elles seraient d’une autre nature que celles émanant de la religion, de la politique ou de la législation. « La science, c’est la boussole de la vie ; mais ce n’est pas la vie » [51]. La vie est une force créatrice que la science se contente d’essayer de reconnaître. C’est pourquoi la science ne peut qu’éclairer la vie, et non la gouverner.

Décidément prophétique, Bakounine prévient que lorsque la science se mêle de création vivante dans le monde réel, il ne peut en sortir que quelque chose de pauvre et de dégradé [52]. Il n’imagine certes pas encore jusqu’où va aller la déraison scientifique, avec ses manipulations génétiques ou le développement de l’atome, entre autres innovations morbides. Il prévoit toutefois la capacité de la science à considérer l’humanité comme cobaye. La reproduction artificielle du vivant est pour lui vouée à l’échec. De fait, ce qui échappe à la science, c’est la singularité contenue dans ce qui est vivant. L’abstraction scientifique est incomplète et imparfaite, condamnée au général, incapable de saisir le mouvement spontané et singulier de la vie. Elle n’est que plus indifférente envers l’être humain fait de chair et de sang.

C’est pour toutes ces raisons que Bakounine est un critique du scientisme avant l’heure. Mais il n’est pas seulement un précurseur mettant en garde contre les excès de la science, il lui définit une place sociale modeste au potentiel émancipateur.

« Ce que je prêche, c’est donc, jusqu’à un certain point, la révolte de la vie contre la science, ou plutôt contre le gouvernement de la science. Non pour détruire la science – à Dieu ne plaise ! Ce serait un crime de lèse-humanité –, mais pour la remettre à sa place, de manière à ce qu’elle ne puisse plus jamais en sortir. […] Elle n’est elle-même qu’un moyen nécessaire pour la réalisation d’un but bien plus élevé, celui de la complète humanisation de la situation réelle de tous les individus réels qui naissent, qui vivent et qui meurent sur la terre » [53].

Le rôle de la science est finalement pour Bakounine d’être une sorte de conscience collective de l’humanité, contribuant aux efforts pour se défaire des illusions politiques, morales et religieuses qui la recouvrent. Les sciences sociales quant à elles ont pour vocation de révéler « les causes générales des souffrances individuelles » [54]. Elles peuvent alors éclairer la route de l’émancipation. Au-delà, elles s’égarent en instrument de pouvoir. C’est pourquoi la science doit être investie par les gens ordinaires et devenir populaire. Elle n’a pas à être une sphère séparée de spécialistes. La liberté humaine est inaccessible à la science, mais elle est à la portée de « l’action spontanée du peuple » [55].

Libertad était de son côté un ferme partisan de l’hygiène tant physique qu’intellectuelle. Il lisait d’ailleurs de la sociologie, certes « avec peine » [56]. Il n’hésite tout de même pas à en faire une critique détaillée dans son journal L’anarchie. Il a surtout développé les causeries populaires en réaction aux universités populaires, où la même séparation entre expert et profane instituait de fait une hiérarchie. On imagine comment il considérait les universités académiques. Libertad est sur ce point représentatif des mouvements anarchistes, à la fois critiques virulents de la science des salons et des instituts, liés aux autorités constituées, et inlassables vulgarisateurs des théories scientifiques. Le spécialiste cède sa place au profane revendiquant la non appartenance au cercle des savants. Bibliothèques, conférences, causeries, excursions, éditions, journaux, chansons, spectacles, sont quelques pratiques populaires visant non seulement à propager l’anarchie, mais surtout à affiner l’esprit critique et à établir une existence libre.

Ces anarchistes ont ainsi contribué à remettre la science à sa place, tant dans le contexte social que dans sa portée. Outre ces deux apports, celui de poser une autonomie du social et par la même de donner une place particulière aux sciences sociales dans la compréhension des sociétés humaines, ainsi qu’une contribution même modeste au développement de telles sciences, l’anarchisme donne une vision à l’activité scientifique. Cette dernière n’est jamais neutre. Elle s’inscrit dans des rapports sociaux. Tant pis pour les esprits étroits qui protesteront toujours sur les jugements et les pensées critiques : il y a bel et bien des valeurs dans les faits. Aujourd’hui, l’activité scientifique contribue surtout à la croissance économique, au développement des technosciences, et à l’administration étatique. Pour les anarchistes, la science devait servir l’élan de la révolution sociale – et non politique. La fièvre révolutionnaire est peut-être aujourd’hui difficilement partageable pour de nombreuses personnes sincères dans leur démarche scientifique. Disons que l’activité scientifique doit s’orienter vers l’émancipation, et donc la subversion. Elle n’a pas le choix : servir les pouvoirs, c’est s’affaiblir elle-même et venir obscurcir davantage le voile qu’elle se donne comme mission de lever.

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Voir nos textes anarchistes (Kropotkine, Landauer, Bakounine, Proudhon, Malatesta, Reclus, Voline, Makhno, Mühsam, Faure, Rocker, Magon, Pouget, Michel, Goldman, DeCleyre, Alfred, Clastres, Graeber, Scott, Sahlins, McDonald, Bey, Zinn, Zénon, R71, EZLN…) dans notre bibliothèque PDF

Ainsi que notre page « Anthropologie politique »

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 

De l’insurrection naturelle de l’Être contre l’Avoir (L’Internationale)

Posted in actualité, crise mondiale, documentaire, gilets jaunes, militantisme alternatif, pédagogie libération, philosophie, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , on 3 décembre 2020 by Résistance 71

“D’où vient cette force irrésistible qui attire vers le mouvement de 1871 les sympathies de toutes les masses opprimées ?… La réponse est facile : la révolution de 1871 fut un mouvement éminemment populaire. Faite par le peuple lui-même, née spontanément au sein des masses, c’est dans la grande masse populaire qu’elle a trouvé ses défenseurs, ses héros, ses martyrs et surtout, ce caractère “canaille” que la bourgeoisie ne lui pardonnera jamais.”
~ Pierre Kropotkine ~

“Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, c’eut été la Commune, composée d’hommes d’intelligence, de courage, d’une incroyable honnêteté, qui tous, de la veille ou de long temps, avaient donné d’incontestables preuves de dévouement et d’énergie. Le pouvoir, incontestablement, les annihila, ne leur laissant plus d’implacable volonté que pour le sacrifice, ils surent mourir héroïquement.
C’est que le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste.”
~ Louise Michel ~

Ci-dessous, reprise d’un texte de 2014 dont nous partageons bien des points de vue. Il est important de comprendre ce que nous vivons historiquement pour pouvoir mieux nous débarrasser des oripeaux dont on nous a affublé. Il n’y a plus de temps à perdre. Il est vital d’être prêts au grand chambard…
Devenons ce que nous sommes. Parvenons enfin à notre humanité vraie.
~ Résistance 71, décembre 2020 ~

De la permanence insurrectionnaire de l’Être de l’Homme contre la civilisation de l’Avoir…

L’Internationale

Aavril-mai 2014

Source:

http://guerredeclasse.fr/2020/11/16/de-la-croisade-communeuse-des-pastoureaux/

Pâques d’avril 1251; à l’heure où Louis IX de France se retrouve prisonnier en Égypte, se lèvent en tout lieu des terres du royaume, des bandes de paysans extrémistes qui font ainsi naître la croisade communière des Pastoureaux…

Le 28 mai 1871, au dernier jour de la Semaine sanglante, Eugène Varlin, ouvrier communard, est arrêté et amené à Montmartre où il est lynché par la foule de la dernière heure puis finalement fusillé par la troupe versaillaise…

« Tous les mouvements de masse au moyen-âge portèrent nécessairement une figure religieuse et ils apparaissaient toujours comme des restaurations radicales du christianisme primitif à la suite d’une corruption envahissante… »
Engels, Contributions à l’Histoire du Christianisme primitif

« La Commune ne fut donc pas une révolution contre telle ou telle forme de pouvoir d’État, légitimiste, constitutionnelle, républicaine ou impériale… Ce ne fut pas une révolution faite pour transférer ce pouvoir d’une fraction des classes dominantes à une autre, mais une révolution pour anéantir cet horrible appareil même de la domination de classe. »
Marx, La Guerre civile en France, 1871

Le corps unitaire et invariant de la tendance générique à retrouver la communauté de l’Être, à compter du moment où les sociétés de l’Avoir ont, à partir de la révolution néolithique des stocks échangés et des échanges stockés, disloqué les ancestrales organicités primordiales, se résume parfaitement dans le fil du temps insurrectionnaire de cette vérité immuable universellement confirmée par la totalité de l’arc historique humain : depuis que la séparation généralisée de l’homme et de sa production a abouti à la perte de tout point de vue unitaire sur l’activité accomplie, l’homme ne cesse cependant de vouloir révolutionnairement re-trouver l’acte d’une ex-istence non séparée de la vraie vie.

Sur ce terrain, les espaces vivants de la turbulence européenne ont fait surgir un continent spécifiquement in-subordonné, aboutissement dé-chaîné et dé-chaînant comme l’explicitèrent Marx et Engels, de la collision historique entre la décadence civilisationnelle romaine et l’archaïque propriété communiste germanique revivifiée par les invasions barbares. De la sorte, l’Europe fut bien toujours cet espace-temps permanent si particulier d’une propagation radicaliste qui généra partout la reviviscence ancestrale des communaux de la terre laquelle deviendrait ultérieurement par l’exaspération du déracinement capitaliste le mouvement théorico-pratique contemporain de l’insoumission communiste de l’internement urbain dénoncé…

C’est d’ailleurs pourquoi le Livre I du Capital a si bien pré-vu et détaillé à la source les mécanismes du grand remplacement démographique contemporain assis sur l’armée de réserve immigrée puisque la substitution d’un nouveau peuplement à histoire immobile et de conscience duplicative à l’ancien d’histoire remuante et de conscience déferlante, se présente aujourd’hui comme le cœur stratégique des manèges capitalistes destinés à éviter le retour des grandes grèves sauvages du type des larges réveils communards qu’a pu connaître l’Europe autour des années 1968.

La temporalité médiévale fut là un mouvement historique rythmé cardinalement par la dialectique des cheminements contradictoires où se posaient et s’opposaient de manière croissante la structure féodale de la propriété foncière rurale et la propriété corporative urbaine du métier. La division entre le commerce et l’industrie qui existait déjà dans des villes anciennes se développa plus tard dans des formes de plus en plus élaborées et ravageuses lorsqu’à partir de la révolution capitaliste médiévale des villes neuves italiennes émergea un premier marché d’importance. Alors quand les Cités entrèrent ainsi en rapport les unes avec les autres dans des extensions et des termes tels que la vieille rente foncière de l’avant dut finalement se plier toujours davantage aux exigences de présentation de la rente commerciale et fiscale, il se prépara peu à peu l’émergence de l’État royal moderne comme antichambre financière du devenir des lumières marchandes qui conduiraient inévitablement à la révolution mercantile de 1789.

Par delà la perte éminemment symbolique du Saint-Sépulcre par les chrétiens pourtant alors encore prédominants en terre d’Orient, les forces productives de la géo-politique particulière qui vont faire apparaître les croisades viennent indiquer très symptomatiquement que se formalise alors dorénavant une nouvelle donne considérable de l’économie et de la politique puisque la puissance de domestication des hommes qui était encore jusque là l’expression d’une domination essentiellement terrienne, tenue par la noblesse, laisse désormais indiquer qu’une domination nouvelle, expression d’une domestication essentiellement de nature commerciale, tenue par les marchands et les représentants des républiques italiennes, est en train de survenir et qu’elle va se répandre en un nouvel ordonnancement du monde.

Concomitamment au progrès déterministe du travail civilisationnel de la servitude qui allait faire passer l’assujettissement d’un stade essentiellement stable et auto-reproductif à une phase de bouleversement systémique constamment élargi, le devenir des marchés qui s’agrandissaient sans cesse allait faire peu à peu de chaque réalité humaine une simple valeur d’échange. C’est pourquoi à côté mais à l’envers des croisades étatiques réalisées avec la bénédiction du christianisme institutionnel papiste ou byzantin, se sont toujours levées des croisades sauvages et spontanées qui, au nom d’un regard christique révolutionnaire, n’entendaient point se perdre dans les réaménagements trans-continentaux générés par l’histoire des bourses de valeurs qui avait fait surgir les cités marchandes italiennes comme plate-forme centrale du bénéfice des pèlerinages armés.

Ainsi, de croisades des gueux en croisades des vagabonds, des paysans, des enfants ou des marginaux, tout l’espace-temps officiel de la machinerie étatique des croisades du pouvoir des aristocraties foncières et financières fut doublé en négatif radical par un espace-temps prohibé et parallèle continûment en récusation de toutes les machineries financières et foncières du pouvoir de l’État.

Alors que l’on embrigadait ainsi massivement les populations pour la défense économique et militaire des frontières physiques d’un Royaume de Jérusalem immobilier et mobilier où les républiques maritimes italiennes du Capital en expansion, à l’ombre des couronnes d’Europe, entendaient toujours investir davantage pour l’élargissement continu des rendements de leurs routes commerciales, il y avait toujours quelque part en contre-point factieux, un emplacement de parole frondeuse qui appelait ici et maintenant à la Jérusalem céleste de la communauté de vie contre toutes les puissances d’argent et en négation absolue du Temple de la marchandise.

Conséquemment, la croisade dite des Pastoureaux renvoie, à ce moment là, à deux insurrections paysannes de masse dont l’histoire se mêle originellement à celle des croisades populaires qui virent le jour non seulement hors des sphères des puissances politiques et religieuses d’alors mais même souvent et d’abord à leur encontre. Ces croisades eurent lieu en 1251 et 1320.

La première croisade des Pastoureaux surgit lors de la septième croisade lorsque Louis IX, plus connu sous le nom de Saint Louis, se trouva enlisé dans les effets de la bataille de Mansourah et qu’il finit par s’y retrouver emprisonné avec toute son armée. Lorsque la nouvelle du désastre parvient en terre de France, elle engendra – sur le terrain d’une crise sociale généralisée de la rente foncière féodale de plus en plus déficiente – scepticisme, défiance, ébullition et émeutes. Comment un roi si pieux avait-t-il donc pu être ainsi abandonné si visiblement de Dieu ?

L’explication, sur le terrain des luttes de classes réellement existantes, apparu très vite dans le parler incendiaire et radical des prédicateurs communeux, en particulier celui d’un moine hongrois cistercien extrémiste. Ce moine d’enthousiasme et de passion intransigeante, nommé Maître Jacques, soutint avoir été directement avisé par la Vierge Marie que les oppresseurs du pouvoir, les aliénés de la richesse et de l’orgueil ne pourraient jamais reprendre la Jérusalem du Christ puisque seuls pouvaient y parvenir les hommes de l’Être, les cœurs purs, les pauvres, les humbles, les bergers, dont il se devait, lui, d’être l’éclaireur. L’arrogance et l’insolence de la chevalerie, ajoutait le moine hongrois, avaient considérablement mécontenté Dieu et c’est pourquoi ce dernier appelait à une totale transformation incendiaire de l’administration des choses.

En ce temps, le terme de pastoureaux qui désignait d’abord les bergers, donna ainsi son nom à cette croisade maximaliste. Une alarme solennelle eut lieu pour la Pâques 1251. Alors, des milliers de bergers et de paysans prirent la croix et se mirent en marche vers la capitale du royaume, armés de haches, de piques, de faux, de couteaux et de bâtons. Partis à plus de 30 000 d’Amiens, ils dépassèrent rapidement les 50 000 puis approchèrent les 100 000 parvenus à Paris, où Blanche de Castille fut contrainte de les recevoir.

Dans un premier temps, la reine feignit de leur donner son approbation mais leur mouvement de sédition généralisée était bien trop dangereux socialement pour être toléré durablement par les puissances établis de la domestication politique et religieuse. En accusant nommément les marchands et les nobles, les abbés et les prélats, de vacuité et de cupidité, d’orgueil et de malfaisance, et en s’en prenant même frontalement à la Chevalerie, accusée de mépriser les pauvres et de tirer profit de la croisade, les pastoureaux se désignaient là eux-mêmes comme des indomptables inacceptables.

A mesure que se développait le mouvement de cette sédition inapprivoisable, des conflits de plus en plus violents et exacerbés ne cessaient partout de s’ensuivre en touchant aussi bien les campagnes que les villes et le mouvement qui s’étendait désormais de la Normandie à la Rhénanie jusqu’à aller toucher le nord de l’Italie, rendait hautement nécessaire que l’étouffement, l’intimidation et la répression fussent alors prestement mis en mouvement pour que l’ordre des traditions de soumission fut restauré.

Sous la pression du tumulte en mouvement, Jacques put cependant finalement obtenir l’autorisation de prêcher en chaire à Notre Dame de Paris. A la fin mai, au cours d’une homélie enragée, il réclama l’abolissement de toutes les pauvretés et la totale communauté des biens, aujourd’hui tout de suite et non pour plus tard après la mort, incitant ainsi directement les assemblées factieuses à l’in-soumission généralisée. Le prêche terminé, les insurgés se répandirent dans toutes les rues de la capitale, où, comme à Amiens au début du mois, elles s’en prirent aux clercs, aux bourgeois, aux nobles et à tous les agents du fiscalisme étatique. Malgré l’intervention des officiers du guet à la Sorbonne et dans le quartier de l’Université, les barricadiers demeurèrent les plus forts et de nombreux représentants de l’appareil de répression furent massacrés pour avoir tenté de s’opposer à l’escalade agitatrice.

Ce n’est donc qu’avec très grandes difficultés et multiples tergiversations que la classe dirigeante parvint finalement et péniblement à contraindre les pastoureaux à quitter Paris. Le mouvement se scinda alors en deux colonnes : l’une fit route vers Rouen pendant que l’autre plus imposante cheminait vers Orléans. Là, en cet endroit où se combina militairement la résistance acharnée et conjointe des milices communales de la bourgeoisie ascendante et des corps seigneuriaux de la féodalité déclinante, l’incendie put en fin de compte être contenu et ses restes continuèrent ensuite pour une partie vers Tours et pour l’autre vers Bourges. Blanche de Castille comprit alors finalement toute la gravité de ce danger impérieux que les rapports de ses intendants avaient souligné en lui rapportant les progressions inquiétantes de cette croisade d’en bas qui s’était progressivement transmuté en jacquerie fermement jusqu’au-boutiste.

Aussi, commanda-t-elle qu’on débarrasse le royaume de ce fléau dissident et d’abord de l’homme de Hongrie, qualifié désormais d’hérétique, d’égaré et de sorcier. Le 11 juin, à Villeneuve sur Cher, à la suite d’un nouvel engagement hautement violent, la troupe paysanne fut cette fois disloquée et celui que l’on dénommait Jacob capturé puis mis à mort. Leur animateur disparu, les assemblées de paysans combattants se dispersèrent d’elles-mêmes, et la grande révolte, confrontée aux massacres, exécutions, coercitions et chantages, finit insensiblement par se dissiper.

Néanmoins, l’on retrouve une nouvelle fois le nom et la trace de cet embrasement historique lors du grand soulèvement de 1320, connu sous le nom de seconde croisade des pastoureaux qui partie de Normandie à la Pâques de 1320 mit en branle des milliers de paysans rejoints par des masses fiévreuses de vagabonds, de bergers et de brigands. Ce flot grossissant se dirigea ensuite vers l’Aquitaine et le Périgord et ne fut finalement arrêté qu’en Aragon lorsque des milliers d’entre eux furent massacrés.

Il est aisé de la sorte de constater que le trouble social fort, aigu et incisif est une constante des pays d’Europe, plus notablement là d’ailleurs où la culture vivace des communaux de la terre et de l’âme revivifiée par les invasions germaniques a doté le malcontentement des hommes d’un puissant levier de résistance collective au mouvement oppressif des transformations agraires et de la fiscalité étatique.

Jacqueries, guerres de classe millénaristes et convulsions urbaines rappelaient sans cesse que le soulèvement de l’ancien monde paysan serait le frein principal à la naissance de la paysannerie propriétarienne moderne telle qu’elle naîtrait de la révolution capitaliste de 1789 en laquelle réside la négation accomplie de l’être de la communauté de terre propre aux communautés paysannes communières d’avant la modernité des échanges.

A mesure que les États nationaux du futur devenir-monde de la marchandise commençaient à se formaliser sur les décombres d’un monde féodal qui avait lui-même ouvert tout grand les portes de ses châteaux à la monnaie en croyant naïvement que le despotisme de la liberté de l’argent serait domptable, la vie communautaire du jadis non monnayé se heurtait aux exigences ravageuses d’une culture de plus en plus intensive et tributaire tout à la fois des normes du rendement et des dogmes du surplus agraire puis industriel.

Ce qui est essentiel ici c’est de saisir – en dépit des différences, discordances et contrastes – la continuité matricielle entre l’antériorité médiévale qui mènera à l’avènement de la grande monarchie classique telle qu’elle validera la mort du vieux rapport non mercantile à la terre et sa postériorité républicano-financière au sens où les agitations médiévales de 1251 et de 1320 qui conduisent à la grande jacquerie de 1358 puis aux embrasements de Guyenne en 1548, aboutissent aussi par la métamorphose des longues durées insurrectionnistes, aux Croquants et Nu-pieds et ce jusqu’à la Grande Peur de 1789, aux soulèvements chouans et vendéens qui annonceront la mort irrévocablement advenue au XIX° siècle de l’ancestrale communauté rurale désormais pleinement absorbée par le paysage agricole du destin capitaliste.

Le son multiséculaire des cloches proclamant, de paroisse en paroisse, le tocsin de la dés- obéissance a été l’écriture vivante et charnelle de dizaines et de dizaines de générations campagnardes qui s’obstinaient à ne point accepter de disparaître dans la tyrannie montante des attractions de l’abstraction capitaliste exercée par la civilisation des villes. Cette immense, abondante et constante lutte de classe qui a d’ailleurs traversé toute l’histoire européenne pour la défense de la joie du terroir contre l’anonymat et la solitude du citadisme du profit, a finalement échoué mais pour passer le flambeau à un type de soulèvement bien plus vaste, beaucoup plus corpulent et immensément plus dangereux ; celui de l’irréversible colère des prolétaires, c’est à dire de tous les hommes d’aujourd’hui privés de toute autorité sur leur propre vie par le spectacle démocratique de la dictature salariale de l’argent omni-présent.

En même temps que l’exode rural de la rentabilisation inévitable a vu l’appel de la ville faire partir les hommes de l’humus de la sensation vers l’urbanisme mental et physique du froid absolutisme du nombre, les vieux villages se vidaient de leur substance ardente pendant que la pathologie individualiste du narcissisme entrepreneurial devenait le commandement collectif de tous les territoires de l’urbanisation voulue par la croissance capitaliste de l’expansionnisme du marché.

C’est donc dans les villes que les héritiers prolétaires contemporains de tous ces remuements et transports de fourches et de faux venus de leurs lignages paysans allaient s’attaquer aux portes citadines de l’économie politique de l’exploitation et c’est pour cela qu’après les ébauches ensanglantées de 1830 et 1832, la République du progrès capitaliste sut réprimer publiquement et très ostensiblement dans la désolation et le carnage la révolution parisienne de 1848, en continuation du robespierrisme avancé qui avait simultanément conduit le populicide vendéen et l’écrasement de la sans-culotterie parisienne ultra.

En prolongement, répercussion et retentissement dialectiques, la Commune de Paris est cette période insurgée de l’histoire prolétaire qui voulait ouvrir le passage vers l’abolition de la condition prolétarienne et qui dura un peu plus de deux mois, du 18 mars 1871 à la Semaine sanglante , du 21 au 28 mai 1871. Bondissement d’in-discipline et de subversion contre le gouvernement de l’argent, la Commune ébaucha alors pour un futur de véritable qualité humaine une organisation qui s’essaya à se rapprocher de la communauté anti-mercantile de la nécessaire vie générique contre les errances de la recette et du pécule. Dans cette impressionnante fermentation crisique, Louis Eugène Varlin, né le 5 octobre 1839 à Claye en Seine-et-Marne se présente bien comme un militant radical majeur de l’époque, membre en même temps de la Commune de Paris et de la Première Internationale.

Eugène Varlin naît dans une famille de paysans très modeste. Il est d’abord apprenti peintre avant de devenir artisan relieur à Paris. Il découvre alors, dans ses premières luttes, les œuvres de Proudhon mais ne s’arrêtera pas à la vision étroite et illusoire d’une marchandise rééquilibrée réformistement par le crédit mutuel puisqu’il en viendra assez rapidement au point de vue communiste de la nécessaire liquidation révolutionnaire de la marchandise et du salariat. En 1857, il participe à la fondation de la société de secours mutuels des relieurs. En 1864-1865, il est l’un des principaux animateurs de la grève des ouvriers relieurs parisiens. En 1864 est créée l’Association internationale des travailleurs, plus connue sous l’appellation de Première Internationale. Varlin y adhère en 1865 et participe énergiquement à la première grève des relieurs, avec son frère Louis et Nathalie Lemel, militante maximaliste qui participera sur les barricades à la Commune et qui sera déportée en Nouvelle-Calédonie avec Louise Michel. Il se retrouve ainsi délégué en 1865 et 1866 aux premiers congrès de l’AIT, à Londres et à Genève. À la même époque, il encourage la création de la Société de solidarité des ouvriers relieurs de Paris. Son acharnement contribue à la création, le 14 novembre 1869, de la Fédération parisienne des sociétés ouvrières. Varlin, présent sur tous les terrains de la bataille sociale, contribue à la création d’une coopérative, La Ménagère, en 1867, et à l’ouverture, en 1868, d’un restaurant coopératif, La Marmite. Ce dernier comptera jusqu’à plusieurs milliers d’adhérents et ne fermera qu’après la Commune.

A la fin des années 1860, Varlin est arrêté et emprisonné plusieurs fois en raison des diverses grèves impulsées ou soutenues par l’AIT en France. En 1870, la section parisienne de l’AIT publie un manifeste contre la guerre. Eugène Varlin constitue des sections de l’Internationale à Lyon, au Creusot et à Lille. À la chute de l’Empire, en septembre 1870, Varlin fait partie, du comité central des Vingt arrondissements de Paris et il devient alors membre du comité central de la garde nationale au titre du 193e bataillon, dont il est le commandant.

Pendant l’hiver et le siège de Paris par les Prussiens, il s’occupe de l’alimentation des nécessiteux en fournissant les fameuses marmites de Varlin avec l’aide, notamment, de Nathalie Lemel et il devient secrétaire du conseil de l’AIT pour la France. C’est alors que va arriver le célèbre soulèvement du 18 mars 1871 qui est la riposte des Parisiens à la décision du gouvernement d’Adolphe Thiers de leur retirer leurs armes et leurs canons. C’est le début de la Commune de Paris. Lors des événements de ce 18 mars 1871, Varlin s’implique très activement dans la prise de la place Vendôme. Le 24 mars, il prend part à la rédaction du manifeste-programme des sections parisiennes de l’AIT. Il est élu le 26 mars au conseil de la Commune et nommé à la commission des finances. Il assure dès lors la liaison entre la Commune et les sociétés ouvrières.

Le 1er mai, Varlin, comme la majorité des internationalistes, s’oppose à la création du comité de salut public qui représente fondamentalement tous les vieux courants républicano-blanquistes qui s’imaginent que c’est la question militaire qui règlera la question sociale et il signe le manifeste de la minorité qui lui exprime a contrario l’idée que seules les mesures sociales de radicalisation auto- diffusée peuvent faire avancer le mouvement subversif. Pendant la Semaine sanglante, il tente en vain et valeureusement de s’opposer à une pitoyable exécution d’otages, rue Haxo, et participe audacieusement aux derniers combats de Belleville. La Commune est finalement vaincue durant la Semaine sanglante qui débute avec l’entrée des troupes versaillaises dans Paris le 21 mai pour s’achever par les derniers combats au cimetière du Père-Lachaise le 28 mai. La répression contre les communards est implacable. De nombreuses exécutions sommaires seront ainsi commises par les troupes versaillaises qui frapperont ainsi tous ceux dont les mains portent ou semblent porter des traces de poudre qui révéleraient ainsi l’emploi récent d’armes à feu.

Dans son Histoire de la Commune, Hippolyte Prosper Lissagaray, raconte ainsi la mort d’Eugène Varlin, ce dramatique 28 mai 1871, à la fin de la Semaine Sanglante : « Place Cadet, il fut reconnu par un prêtre qui courut chercher un officier. Le lieutenant Sicre saisit Varlin, lui lia les mains derrière le dos et l’achemina vers les Buttes où se tenait le général de Laveaucoupet. Par les rues escarpées de Montmartre, ce Varlin, qui avait risqué sa vie pour sauver les otages de la rue Haxo, fut traîné une grande heure. Sous la grêle des coups sa jeune tête méditative qui n’avait jamais eu que des pensées fraternelles, devint un hachis de chairs, l’œil pendant hors de l’orbite. Quand il arriva rue des Rosiers, à l’état-major, il ne marchait plus on le portait. On l’assit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coup de crosse. Sicre vola sa montre et s’en fit une parure. »

L’Hôtel de ville et un certain nombre de grands monuments officiels ont alors été incendiés par les communards à compter du 24 mai 1871. La bibliothèque de l’Hôtel de Ville et la totalité des archives de Paris furent ainsi anéanties, ainsi qu’une grande partie de l’état civil parisien. Les communards de la ville agirent là spontanément comme les chouans et vendéens du bocage et du marais le firent auparavant quand ils pénétraient dans les agglomérations de l’archivage esclavagiste. Ils brûlèrent de rage avant de périr tous ces papiers écrits qui témoignaient administrativement de leur dépendance en tant que la paperasse officielle représentait bien avant tout le récit gouvernementaliste des formalités de la domination.

Toutefois, pour com-prendre, il faut prendre en soi la dimension profonde du véridique en ad-venir, ceci en négatif des apparences premières. Les dizaines de milliers de fusillés désarmés ne sont point là que de simples cadavres entassés dans des charniers sordides, ils sont des flambeaux d’énergie et de courage dont le souvenir de radicalité se trouvera transfiguré par toutes les luttes de classe extrémistes à venir, en claire conscience de leur pro-venance historique la plus lointaine. Thiers a voulu supprimer la lutte des classes par un acte de boucherie industrielle tout aussi horrible qu’inefficace. Il lui aura en fait simplement offert la possibilité de prendre par d’autres voies, des démarches et des parcours de compréhension encore plus in-disciplinables… De même que les sociaux-démocrates allemands en assassinant les spartakistes de 1919 et les lénino-trotskystes en immolant les marins et ouvriers insurgés de 1921 crurent bannir de l’histoire le danger du feu social de la conscience réfractaire, l’exécution sordide de Varlin fut certes un moment tragique qui désigne l’horreur de la démocratie capitaliste cannibale mais cet épisode nauséeux s’auto-dépasse dans le fil du temps historique qui annonce bel et bien la fin de plus en plus rapprochée du système terrible des objets rampants.

Ce qui est mis en perspective par la défaite pratique de la Commune c’est aussi l’acquis théorique décisoire qui signale que tant que Le Capital n’est point parvenu à réaliser le procès de caducité de sa crise terminale, il continue à s’étendre en intégrant au procès de sa modernité tous les revers ouvriers qui étaient justement inévitables et qui sont là les leviers innovateurs à partir desquels il se débarrasse de ses vétustés inutiles. La Commune ne fut pas écrasée parce qu’elle ne sut pas se généraliser, elle fut balayée car elle était in-diffusable en un temps où la force encore neuve du Capital possédait, elle, toute la puissance de se généraliser jusqu’à atteindre les limites de sa dégénérescence présente. 

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Note de Résistance 71 : Ceci constitue un point particulièrement important. Le “timing” historique se fait respecter, ce qui nous a souvent fait dire que la Commune, comme les autres grandes insurrections populaires de l’histoire récente, ne furent que des brouillons menant à une seule grande (r)évolution sociale qui sera définitive. Pour cela, deux fenêtres d’opportunité historique doivent coïncider : celle du bout du chemin du mode de gouvernance étatico-capitaliste et celle de la conscience politique des peuples. Nous avons été historiquement confronté à plusieurs occurence de la seconde fenêtre, qui ne coïncidait pas avec la première. Aujourd’hui, en phase terminale du capitalisme et de l’État, la seconde fenêtre nous fait un peu défaut, mais les évènements en chaîne éduquent aussi une grande partie du public et ouvrent bien des yeux pour que bientôt ces deux fenêtres coïncident enfin. C’est pourquoi l’oligarchie, parfaitement au courant de cet état de fait et que le temps ne joue plus pour elle, tente de faire passer en force l’humanité à un stade mutant où le capitalisme et l’État n’ont plus de raison d’être et mutent en une gouvernance mondiale supranationale sous sa forme éclose de dictature technotronique de contrôle et de verrouillage planétaire. Le système retire les gants et montre son vrai visage, sans fioritures et gouverne plus que jamais par la peur, l’inversion et la répression. Ce que les “élites” autoproclamées de cette société de l’avoir appellent “le Nouvel Ordre Mondial” est en fait cette phase mutante du capitalisme en cours de métamorphose, c’est cela que la (r)évolution sociale doit balayer et éradiquer avant que la grille de contrôle ne soit mise en place et verrouillée sur les peuples du monde. Si nous permettons à ceci de se produire, alors nous repartirons dans un nouveau cycle oppresseurs / opprimés, cette fois-ci sous un système de contrôle planétaire. Ce système n’aura plus besoin ni de l’étatisme, ni du capitalisme en tant que rouages de domination

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A partir de l’expérience de Varlin qui pose les jalons jusqu’au boutistes de la Première Internationale en anticipant de manière subversive le nécessaire refus tranchant de tous les remodelages mystifiants du capitalisme, social-démocratique, bolchévique ou écolo- décroissantiste, nous savons que l’émancipation humaine est le mouvement conscient vers le communisme qui se définit comme mouvement révolutionnaire de critique de l’économie politique, face à la gauche du Capital stade suprême de la mystification démocratique de la marchandise et contre le gauchisme, imposture supérieure de la liberté de l’argent pour toutes les époques.

Le mouvement communier abouti est une affirmation négative totale (contre le salariat, l’État, les syndicats…), qui ne se dégagera d’ailleurs pleinement qu’après la Commune de Paris autour de maximalistes comme Gustave Lefrançais, compagnon survivant de Varlin, et il n’en est qu’une conséquence logique. Si l’on veut en effet détruire définitivement les racines objectives du capitalisme et non l’organiser autrement pour mieux en répartir l’abondance des richesses chosifiantes, on doit s’attaquer fondamentalement à tout ce qui fonde les fonctionnalités de son faire et surtout tend à l’améliorer et l’optimiser. A partir de la Commune de Paris, s’ouvre le cheminement qui va mener aux Communes de Berlin, Kronstadt, Barcelone… et qui positionnera toute l’ampleur anti-étatiste rampante du mai 68 contre les polices syndicales. Le communisme n’est pas un nouveau mode de production de l’aliénation et du travail mais avant tout le mode d’existence de la communauté humaine refondée autour de l’auto-produire humain dans un monde sans argent. Le communisme est d’abord activité cosmique de l’être générique communautaire. Il ne se construit pas avec des appareils politiques ou économiques mais surgit de l’auto-mouvement anti-politique et anti-économique de la jouissance humaine véridique liquidant enfin toutes les entraves capitalistes.

Comme Marx et Engels à la suite de Hegel l’ont toujours expliqué, c’est la souche communeuse de l’intentionalité historique profonde du spécifique mouvement réel propre à l’éco-système social et mental né à la fin de l’Antiquité, de l’entre-choquement entre l’écroulement économique de Rome et l’avancée de la vieille marche germanique qui a fait émerger l’Europe comme berceau de tous les agir les plus subversifs et de toutes les pensées les plus extrémistes. Alors que partout ailleurs les vestiges de la communauté première sombraient peu à peu dans les endormissements immobilistes d’un simple répétitif étatique, le cœur dynamique du vieux continent ne cessait, lui, de se produire comme endroit sulfureux où les hommes intrinsèquement accordés aux communaux ontologiques des vibrations de terre, n’interrompirent jamais leur combat pour la défense dynamique et constamment poursuivie de l’usage communier contre le développement économique progressif du système de construction de l’appropriation et de la valeur d’échange.

De la paysannerie communeuse à l’ouvrier communard, tout se tient parfaitement dans l’arc historique évident qui mena les derniers hommes de la terre communautaire de l’Europe rétive à devoir progressivement devenir les premiers hommes de la révolution agro-industrielle de la possession et de la valorisation capitaliste. C’est pourquoi de la première jacquerie rencontrée à la dernière lutte ouvrière rencontrable demeure cette constance irréductible qui veut que derrière toute lutte réformiste même la plus limitée pour mieux sur-vivre dans l’âge du contrefait et du mutilé, se profile pourtant l’aspiration générique et transcendante à retrouver, malgré tout, l’immanence de l’humaine communauté.

Le prolétariat est l’ensemble des hommes de la terre aspirés par l’urbanisme machinique de la ville et contraints d’y fournir salarialement le travail vivant dont la domination par les mécaniques du travail mort constitue le rapport de production réificateur appelé Capital.

Notre époque en tant que synthèse effectuée de toutes les précédentes est celle où le prolétariat, luttant en tant que classe contre le Capital de la domination réalisée de la capitalisation universelle, va devoir se remettre lui-même en cause et porte le dépassement révolutionnaire de sa propre condition par la production incandescente du communisme comme l’abolition de toutes les classes, comme le jaillissement générique de la communauté de l’Être.

La lutte de classe entre le prolétariat et le Capital cesse d’être réformiste et régénératrice du Capital lorsqu’elle s’arrête de s’annoncer comme une simple réaction, une défense du prolétariat face au Capital sur le terrain du Capital et qu’elle se retourne réellement en contradiction pleine et entière entre le prolétariat et le Capital sur le terrain de l’humain.

Le communisme, c’est à dire la communauté de l’Être est évidemment une réalité à venir, mais c’est au présent qu’il convient d’en parler car la communisation est déjà préparée dans les luttes actuelles chaque fois que le prolétariat se heurte à sa propre existence aliénée comme classe majeure de l’aliénation, dans son action en tant que classe soumise, contre le Capital, à l’intérieur du rapport d’exploitation de la soumission, dans le cours même de ces luttes qui restructurent simplement la valeur. Chaque fois que l’existence même du prolétariat est produite comme quelque chose d’étranger à l’humain et d’inhérent à l’argent, ce à quoi il se heurte dans sa lutte en tant que classe qui doit liquider les classes, c’est à une contrainte objective extériorisée dans l’existence même de l’économie politique et issue de son lui-même réifié contre son lui-même de vraie vie.

C’est l’aggravation illimitée de la crise de la domination réalisée du fétichisme de la marchandise qui produit la révolution sociale lorsque l’action du prolétariat dans la crise réalisée du fétichisme de la domination en vient à produire le communisme comme nécessité dialectique d’un spectacle de la production qui ne peut plus re-produire son spectacle. La défense de ses intérêts immédiatistes va dès lors amener le prolétariat au point où il sera conduit à agir pour la destruction du système de la marchandise quand il y a aura saut qualitatif radical et trans-croissance critique complète des luttes, c’est à dire relation d’auto-débordement à cette défense, conjugaison d’auto-suppression dans la forme et le contenu, c’est-à-dire articulation critique avec toutes les luttes antérieures de réforme jusqu’au brisement de tous les réformismes de l’antériorité.

Face aux délocalisations, c’est au cours de cette défense pourtant acharnée de l’outil de travail que la production de l’existence de classe comme contrainte extériorisée dans le travail outillé peut se changer en saut commencé d’une articulation qualitative critique telle qu’elle peut déboucher en un moment novateur à proprement parler révolutionnaire où la défense auto-surpassée de ses intérêts immédiats amène le prolétariat à passer à un autre monde, celui de la fin du travail et de l’argent.

Cela parce que positivement le prolétariat trouve ici en l’histoire ancestrale de son lui-même contradictoire enfin conscientisé, la capacité de se produire contre le Capital, à partir de ce qu’il est comme classe (c’est-à-dire, rapport contradictoire aux contradictions du Capital) mais alors en tant que dimension nouvelle anti-classiste pour balayer humainement le rapport–Capital.

Lorsque le prolétariat annihilera les moyens de production du spectacle du fétichisme démocratique de la marchandise, il le fera comme dia-lectique dont la forme et le contenu lui seront fournis par ce que la crise finale du mode production capitaliste aura rendu irrépressible l’impossibilisation pratique advenue de la valorisation, c’est à dire que l’abolition de l’échange, de la valeur, du travail et des classes deviendront la seule base objective de tout déploiement de vie.

La crise finale est avant tout la crise concrétisée de l’implication réciproque entre le travail et le Capital, la crise de l’auto-présupposition du Capital, intégrant tout ce qui fut l’histoire passée de l’avant-Capital qui contenait toutefois le Capital depuis le troc échangiste néolithique, en tant que la détermination future est toujours nécessairement pré-contenue dans le produire antécédent. La classe prolétarienne trouve alors, dans ce qu’elle est dans le Capital devenu infaisable, la capacité de trouver ce qu’elle est contre le Capital pour communiser le monde, au moment où, simultanément, le Capital cesse de pouvoir extérioriser la nature de classe des prolétaires comme vampirisation de leur nature humaine.

Le communisme est ce que produit le prolétariat, de par ce qu’il est dans sa contradiction avec le Capital, au moment où il abolit la capitalisation lorsque cette dernière devenue totalité du développement mondial ne parvient plus malgré l’orgie de manipulations monétaires et terroristes mises en mouvement par le gouvernement du spectacle mondial, qu’à accoucher de son auto- dissolution objective. La crise actuelle de sur-accumulation et de saturation mondiale des marchés est la crise du taux de profit qui se présente comme crise mondiale permanente de la reproduction des rapports capitalistes en train de déboucher sur la crise de légitimation du spectacle de la marchandise en tant que tel.

Le communisme est le mouvement contradictoire terminé du mode de production capitaliste, le procès de sa caducité achevée. L’exploitation comme contradiction dialectique entre le prolétariat et le Capital se définit simultanément comme implication réciproque de ces deux termes et production de la spécificité de chacun d’eux quant à sa place historique dans le cours de la lutte des classes. Et si le développement du mode de production capitaliste porte en soi son dépassement, il ne le porte que par la situation et l’activité spécifique du prolétariat comme classe révolutionnaire d’aujourd’hui issue des paysanneries communeuses d’hier et en tant qu’il est la seule classe révolutionnaire de la crise cataclysmique du mode de production capitaliste.

La contradiction entre le prolétariat et le Capital est simultanément la dynamique du développement du mode de production capitaliste, de ses crises et de son dépassement lors de la crise finale de la valeur. il en résulte que la révolution sociale se définit en totalité comme ce rapport spécifique entre, d’une part le cours quotidianiste de la lutte de classe et, d’autre part, la fin de l’argent et la communisation dans leur contenu historique ontologique d’émergence de la communauté de l’être générique quand la quotidianisation chosifiante échoue justement à pouvoir continuer de chosifier le quotidien.

Désormais, l’exploitation comme rapport de valorisation entre le prolétariat et le Capital est une contradiction devenue explosive en ce qu’elle est un procès en contradiction de plus en plus impossible avec sa propre reproduction matérialisée par la baisse croissante du taux de profit en tant que la transformation de la plus-value en capital additionnel est bien sûr de plus en plus problématique en ce temps où le poids du travail mort machinique étouffe sans cesse la part déclinante de travail humain productif.

La crise économique du chaos spectaculaire de l’indistinction généralisée et sa débauche de crédit hallucinatoire qui n’a pas eu d’autre effet que d’intensifier ce qu’il était censé réduire est d’abord la crise du rapport social d’exploitation. Les années qui viennent vont nous montrer que la restructuration planétaire actuelle est la dernière phase de la domination réalisée du travail sous le Capital. La crise de l’économie du crédit en se convertissant en crise du crédit de l’économie va signifier universellement que par delà tous les conflits géo-politiques où s’affrontent secondairement toutes les classes capitalistes intéressées par la course aux derniers débouchés solvables, le grand affrontement primordial sera celui qui les opposera toutes, ensemble et unitairement, au mouvement d’auto-émancipation inter-national du prolétariat car comme surent si bien le démontrer tous les Thiers et les Bismarck qu’a connus l’histoire, l’ensemble des rackets économiques et politiques de la terre se retrouvent toujours solidaires face au réveil de ces Communes où l’homme clame clairement son refus d’obtempérer à l’autocratie spectaculaire de la raison marchande de tous les États.

Dans la filiation communeuse de la croisade des Pastoureaux et de tous les Varlin inconnus ou anonymes des Commune de Paris et d’ailleurs, tous les mouvements de la conscience des racines de l’Être de la vie s’incarnent radicalement, en sachant que pour enfin devenir lui-même, l’humain doit se produire comme acte cosmique de subversion absolue vers la constitution de la communauté universelle pour un monde sans salariat ni argent ni État.

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Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

La société des sociétés comme évolution face au « progressisme » de la décadence étatico-capitaliste…

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« Ainsi, pratiquez et combinez l’entraide !
C’est le plus sûr moyen de donner à tous

la plus grande sécurité, la meilleure garantie d’existence 
et de progrès, corporellement, intellectuellement et moralement.
C’est ce que la nature nous enseigne et ce qu’ont fait ces animaux
qui ont atteint le plus haute degré dans leurs classes respectives. »
~ Pierre Kropotkine, « L’entraide facteur de l’évolution », 1910 ~

 

C’est l’anarchie qu’il nous faut !

IN UMANITÀ NOVA DU 10 MAI 2020, TRADUCTION DE TONI GROUPE GERMINAL DE MARSEILLE

 

24 mai 2020

 

Source: 

https://www.monde-libertaire.fr/?article=Cest_lAnarchie_quil_nous_faut

 

La crise sanitaire déclenchée par l’irruption de la pandémie du COVID19 exige dans les cas graves l’accueil aux services des urgences cardio-respiratoires . En submergeant les systèmes sanitaires de nombreux pays, en particulier ceux qui avaient le plus poursuivi les recettes néolibérales sur la santé publique, elle est devenue le sujet principal des discussions en public comme en privé. Maintenant que dans divers pays la peur de la mort, la sienne et celle des proches, s’atténue avec la diminution du nombre des nouveaux contaminés et des morts, et que peu à peu se libèrent des lits aux urgences qui ont été dépassés au moment du pic, nous voilà en train d’entrer dans une nouvelle peur : celle d’une crise économique sans commune mesure avec celles qu’a connues précédemment notre planète.

Durant cette période l’écroulement de la santé publique a imposé la ségrégation sociale pour éviter la catastrophe : cela a débouché, comme nous le savons tous, sur la cessation de presque toutes les activités de productions estimées non essentielles, ainsi que les souterraines (travail « au noir », voire illégales au sens strict) qui se déroulaient dans les secteurs considérés plus ou moins comme essentiels. Depuis, l’absence de revenus commence à se faire sentir : naturellement pour ceux qui ont dû interrompre totalement leurs activités, mais aussi, ce qui ne doit pas être sous-estimé, pour ceux qui ont conservé un certain revenu mais fortement diminué (chômages, pertes des heures supplémentaires qui habituellement amélioraient le revenu). Par ailleurs les promesses de divers aides annoncées par l’État sont relativement faibles et tardent à rentrer.

Aujourd’hui il n’est pas nécessaire de faire appel à Keynes et à son concept de multiplicateur / démultiplicateur [note] pour comprendre qu’on se trouve confronté à une crise qui s’annonce bien plus grave que celle de 2008 [note] qui se développa surtout dans un seul secteur, celui de la finance, avant de s’attaquer à tous les autres. Nous sommes dans une situation dans laquelle un très grand nombre de secteurs économiques – pratiquement tous – ont été atteints en même temps. Mais pas seulement : à la différence de toutes les crises précédentes qui ont suivi les guerres, l’étendue de la crise mettra probablement en difficultés même les pays qui ont réussi à affronter la crise en subissant moins de dégâts, parce que l’efficacité de leur système sanitaire a permis de limiter les restrictions ; en fait ces pays – l’Allemagne en est un exemple paradigmatique – dont l’économie était essentiellement tournée vers l’exportation, sont confrontés aux difficultés des pays importateurs, et leurs économies subissent par contre coup une chute drastique.

Il est difficile de faire des prévisions exactes sur de telles situations. Il est banal de proclamer que l’Histoire ne se répète jamais deux fois, et ceci vaut aussi pour l’Histoire économique. Cependant il ne s’agit pas de dire ce qui va arriver – vu que nous y sommes encore – mais sur la portée de cette crise qui, comme nous l’avons dit s’annonce majeure. Nous devons espérer qu’elle n’atteigne pas le niveau désastreux de celle de 1929 qui déboucha littéralement sur des famines ayant entraîné la mort au sein même des pays industrialisés de l’époque [note] . Il est pourtant très probable que l’avenir s’annonce avec un taux de chômage en croissance, une chute des salaires, et, pour beaucoup d’entre nous, de survie quotidienne, étant donné qu’au présent même nous voyions déjà dans nos pays des millions de familles, et des centaines de millions dans le Monde en général, en extrêmes difficultés du point de vue alimentaire. C’est déjà le scénario que nous devons affronter et qui risque de s’aggraver toujours davantage.

C’est dans de telles situations qu’on constate l’absence d’anarchie, et d’un communisme autogestionnaire, qui permettrait d’affronter la force meurtrière d’un système hiérarchique, de l’État, et du Capitalisme. Comme le disait Kropotkine dans La conquête du pain, l’économie politique de la bourgeoisie, sous couvert de science, cache un raisonnement idéologique erroné, à savoir que la référence de ses analyses et de ses agissements, repose sur le profit plutôt que sur la satisfaction des besoins des êtres humains. La crise qui est déjà la nôtre, et celle qui s’annonce, ne sont dues qu’aux contraintes de la législation de la propriété privée, du salariat et de la nécessité de faire du profit ; sans ces lois, sans les hiérarchies sociales, dans une société anarchiste, le problème ne se poserait absolument pas. Ni le matériel, et d’abord l’ensemble des machines, ni les compétences n’ont disparu. Ce sont les hiérarchies, la gestion étatique et capitaliste qui les rendent inexploitables. Sans celles-ci, les outils et les savoirs seraient disponibles pour une utilisation plus rationnelle afin de satisfaire les besoins de chacun et chacune.

C’est ce que nous ne devons pas perdre de vue pour affronter la crise actuelle et ses probables développements : la prise de conscience que le système hiérarchique produira des crises à répétition et, même dans des conditions normales, la misère pour la majorité et des richesses toujours plus démesurées pour une minorité toujours restreinte ; c’est ce système qui doit être surmonté pour le bien et la survie même de l’humanité.

Cependant, dans une situation de crise économique comme celle que nous sommes en train de traverser et qui pourrait s’aggraver vertigineusement, d’une part il faut certes revendiquer dans l’immédiat une redistribution de la richesse produite collectivement mais que le système hiérarchique détourne de la grande majorité de l’humanité à son seul profit, et pour cela privilégier, quand les rapports de force le permettent, l’accès direct aux biens et aux services plutôt qu’une compensation monétaire, et d’autre part développer le plus possible les actions de secours mutuels qui se sont spontanément créées partout dans le monde.

Les actions mutualistes, ont de fait de nombreux avantages. Avant tout elles préfigurent une société sans hiérarchies sociales et politiques, égalitaire et autogestionnaire, accoutumant les personnes à ce mode de rapports sociaux, et nous n’avions pas besoin de la pandémie pour le découvrir ; il représente notre seul espoir d’un futur à notre humanité. Par ailleurs elles habituent les personnes à ne compter que sur elles-mêmes, dans un engagement mutuel entre égaux, qui ignore l’aide malveillante des gouvernants et la logique mercantile.

Ce qu’il faudra faire concrètement dépendra naturellement des rapports de forces. Ce qui importe c’est qu’aujourd’hui nos actes contribuent à alléger les souffrances imposées par la crise capitaliste daSociété des sociétés, anarchiens le cadre d’une réflexion qui ne perde pas de vue l’objectif général et n’aille pas à contre-courant. Au fond, même dans le cas présent, le gradualisme révolutionnaire de Malatesta conserve toute son actualité : 

« Nous incitons les travailleurs à exiger et à imposer toutes les améliorations possibles et impossibles, et nous ne voudrions pas qu’ils se résignent à souffrir aujourd’hui dans l’attente d’un paradis futur. Et si nous sommes contre le réformisme ce n’est certes pas parce que nous ne nous soucions pas des améliorations partielles mais parce que nous croyons que le réformisme est un obstacle, non seulement à la révolution, mais aussi aux réformes. (…) Parce que sont atteints des gens qui s’étaient habitués à un certain bien-être et qui supportent mal sa dégradation, un accroissement de la misère, une grande crise industrielle et commerciale peuvent déboucher sur un mouvement insurrectionnel et engendrer une transformation sociale. Parce que, si l’avènement ne se produisait pas rapidement, et si on laissait passer le temps que le peuple s’habitue progressivement à un mode de vie inférieur, la misère qui s’est manifestée perdrait sa potentialité révolutionnaire et aboutirait à une dépression et à l’abrutissement. »

Ces paroles publiées il y a exactement cent ans, dans la situation du Biennio Rosso [note] et de la crise qui suivit la première guerre mondiale, doit demeurer aujourd’hui une référence non seulement pour nous, mais plus généralement, de tous ceux qui ne veulent pas que « tout revienne comme avant », voire, pire qu’avant.

Enrico Voccia, in Umanità Nova du 10 mai 2020, traduction de Toni

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Lectures complémentaires :

« Errico Malatesta, écrits choisis »

« La conquête du pain », Pierre Kropotkine

« L’anarchie dans l’évolution socialiste », Pierre Kropotkine

« Anarchisme et organisation », Rudolph Rocker

« Évolution et révolution », Élisée Reclus

« La société du spectacle », Guy Debord

« De la Commune à la pratique anarchiste », Louise Michel

« L’inévitable anarchie », Pierre Kropotkine

« Un monde sans argent », Ber Yann Tillemont

« Petits précis sur la société et l’État », Résistance 71

« Appel au socialisme », Gustav Landauer

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

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Manifeste pour la Société des Sociétés

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Gilets Jaunes et lutte émancipatrice… Petite réflexion sur les systèmes et les hommes (Résistance 71 )

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Gaulois réfractaire et penseur…

 

“Dès que l’État n’est plus à même d’imposer l’union forcée, l’union surgit d’elle-même, selon les besoins naturels. Renversez l’État, la société fédérée surgira de ses ruines, vraiment une, vraiment indivisible, mais libre et grandissant en solidarité par sa liberté même.”
~ Pierre Kropotkine ~

“Un ethnologue français, Pierre Clastres, a émis, pour les sociétés humaines en général, l’hypothèse que la tendance normale dans un groupe est la résistance collective aux excès du pouvoir. Dans une société encore peu complexe, les notables doivent s’attacher leurs obligés en redistribuant en permanence les richesses qu’ils réussissent à grand peine à accumuler. Dans une société guerrière où le prestige est lié aux prouesses de combat, les grands guerriers doivent remettre sans cesse leur titre en jeu, jusqu’au jour où ils finissent par être éliminés.
L’émergence de sociétés inégalitaires ne serait donc pas la norme, mais l’exception et le résultat d’un disfonctionnment de ces mécanismes de contrôle. Finalement, l’inégalité ne serait pas naturelle…”
~ Jean-Paul Demoule, archéologue, ancien directeur de l’INRAP, 2012 ~

“La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes.”
~ Pierre Clastres, directeur de recherche en anthropologie politique au CNRS, 1974 ~

 

 

Des systèmes et des hommes

 

Résistance 71

 

8 février 2020

 

Très récemment Raoul Vaneigem déclarait: “La vérité fait partout entendre le chant de la vie. La dimension humaine est une qualité, non une quantité…”

Aussi est-il devenu quasiment un cliché que de parler de “système”. Que n’entendons-nous dire: “Le système ceci, le système cela…”. Il est possible de disserter jour et nuit sur le sujet et le présent billet ne se veut en aucun exhaustif sur l’affaire, mais simplement, en tout cas nous l’espérons, un “amuse-gueule” ouvrant sur un plus vaste festin cognitif que nous laissons aux lecteurs le soin d’organiser à leur guise.

Dans “L’encyclopédie anarchiste”, il est dit ceci entre autre sur le mot “système”:

Ce mot peut s’appliquer soit aux objets de nos connaissances, soit à nos connaissances elles-mêmes. On parlera par exemple du système solaire, du système digestif, du système capitaliste, voulant désigner des réalités dont l’existence ne dépend pas de notre bon vouloir. On parlera aussi de système philosophique, religieux, scientifique, etc. pour désigner un ensemble de principes et d’idées que notre esprit lie entre eux et organise en un tout cohérent. Dans les deux cas, le mot système implique les notions d’assemblage, de coordination, de rapports plus ou moins heureux ; en conséquence, il garde un sens identique. N’en soyons pas surpris. Si l’intelligence humaine introduit un ordre déterminé dans ses concepts, c’est qu’elle suppose, à tort ou à bon droit, qu’un ordre semblable existe dans les choses. L’idéal serait que notre esprit introduisît, entre ses représentations, des rapports correspondant exactement à ceux que la nature impose aux êtres et aux objets. Mais, substituant une contrainte artificielle à l’harmonieux accord engendré par les lois naturelles, la société consacre l’existence de relations absolument anormales entre les humains. On le constate dans le système capitaliste, qui permet à des fainéants de dépouiller à leur profit les travailleurs des champs ou de l’usine. De même il arrive qu’en organisant ses idées et ses principes, l’intelligence se trompe complètement. D’où la multitude des faux systèmes religieux, philosophiques, politiques, etc. ; d’où tant d’hypothèses scientifiques, incapables de résister au contrôle de l’expérience et du calcul. […]”

Ainsi il est possible de distinguer deux sortes de “notions d’assemblage, de coordination”: une notion d’assemblage naturelle et une autre artificielle, construite, bref… humaine. S’il est indéniable que la nature a mis en place au fil du temps et de l’évolution des rouages d’assemblage et de coordination (cf les exemples cités plus haut), il est cependant très discutable que les “systèmes” mis en place par l’humain soient de fait le résultat d’un même processus évolutif, pour la simple raison citée plus haut mettant en évidence l’erreur toujours possible (qu’elle soit involontaire ou sciemment commise à des fins dogmatiques est une autre histoire…) de l’intelligence humaine.

Il nous est dit que notre évolution (celle de l’humain) nous a fait aboutir à ce système ultime de fonctionnement de nos sociétés : l’État et le capitalisme et que ces deux systèmes, de longue date combinés avec l’effet dévastateur que l’on constate au fil du temps, sont le stade ultime du développement humain, la “Raison” incarnée dans l’histoire à en croire le philosophe Hegel et la destinée inéluctable de notre espèce.

Depuis la fin du XVème siècle, puis de l’époque des “lumières” en Europe, le système de gouvernance humain n’a fait que renforcer la division et le rapport initial dominant / dominé, qui étaient inexistants durant les centaines de milliers d’années précédant l’avènement de l’ère de la spéculation marchande.

A la lumière d’une connaissance dans les domaines archéologique et anthropologique accrue ces dernières décennies, nous avons analysé en 2017 et en 2019, l’évolution depuis le moment initial de la division du système de gouvernance humain, qui revient toujours à la même notion cruciale : celle du pouvoir, de la capacité décisionnaire et de sa mise en application.

Ce qui est de nos jours communément appelé “système” est la combinaison de deux modes de gouvernance artificiels (puisqu’humainement créés) que sont l’État, ses rouages et ses institutions, outil du contrôle décisionnaire politique géré par une caste de privilégiés de la profession politique et de sa suite de bureaucrates, huilant la mécanique de contrôle et d’oppression et le “capitalisme”, dernier mode en date de contrôle de cette activité tout aussi artificiellement créée de contrôle de l’échange spéculatif marchand, devenu “modèle économique” ultime, géré quant à lui par une pléiade de rouages marchands, financiers et du contrôle monétaire spéculateur et exploiteur.

Ces systèmes ne tombent bien évidemment pas du ciel. Ils ont été créés par l’humain. Ils sont le résultat de siècles de perfectionnement du désir et de la réalisation dans le contrôle du pouvoir, centralisé entre les mains du plus petit nombre et exploitant sans vergogne le reste de l’humanité.

Les recherches archéologiques et les analyses anthropologiques modernes ont démontré que dans une période postérieure à la dite “révolution néolithique”, certaines sociétés humaines passaient, au fil des siècles, d’un système de pouvoir non-coercitif à un système de pouvoir coercitif et réciproquement, ce aux même endroits d’existence de ces sociétés importantes et organisées. Ces fluctuations de pouvoir étaient dues vraisemblablement aux fluctuations des conditions d’existence (géographiques, climatiques, sociales etc…). Le renforcement de la centralisation et d’un système étatique plus fort assurant la domination sans partage du plus petit nombre aurait pas à pas rendu beaucoup plus difficile le retour aux sociétés à pouvoir non coercitif. Il est plus que vraisemblable que l’État ait joué et joue toujours un rôle de verrou pour ce système, d’empêcheur de retourner à un mode égalitaire de gouvernance. De même, le système de contrôle politique renforcé aura aussi permis le passage surmultiplié à un système marchand spéculatif et de plus en plus lucratif, considérant le fait, comme l’a expliqué l’anthropologue Pierre Clastres, que la division politique prime la division économique et que celle-ci n’a pu voir le jour que parce qu’il y a eu une division préalable de la société humaine permettant au pouvoir de sortir du corps social pour s’exercer coercitivement en tant qu’entité devenue indépendante.

Ces deux systèmes, aujourd’hui et depuis plus de deux siècles, combinés en un système que nous pourrions étiqueter d’étatico-capitaliste, sont des créations artificielles humaines de contrôle et de domination. En ce sens, nous pouvons dire que l’Homme fait, façonne le système dans sa sphère d’influence, même si celui-ci est en interférence avec le processus naturel des choses.

A l’inverse, pourrions-nous dire que le système crée les Hommes ?

L’humain est intégré dans un grand système naturel, mais il est la seule créature sur cette planète dotée d’une intelligence le rendant capable du désir, de la volonté de contrôler la nature pour son profit, de fait pour le profit du plus petit nombre d’entre nous aux dépends du plus grand nombre, de ce fait nous avons créé des systèmes de gouvernance et de contrôle pour gérer pouvoir et richesses spéculatives. Ceux-ci deviennent des microcosmes artificiels dans l’existence naturelle que nous avons été forcés de renier et d’abandonner au fil du temps et affirment une certaine hégémonie culturelle sur notre destinée. Aujourd’hui, nous voyons parfaitement que les soi-disantes “élites” du système de gouvernance humain adoptent toutes une attitude prône à la perpétuation de ce même système et ainsi de leurs privilèges. Qu’il s’agisse de roitelets de monarchies autocrates ou parlementaires, d’élus d’états-nations dits “démocratiques” ou de tyrans religieux ou séculiers, nous constatons que tous ces gens agissent et réagissent selon les schémas d’un même moule, qu’ils sont eux-mêmes des produits du système de contrôle en place. Toutes et tous ne remettent jamais en cause les dogmes et les fondements du fonctionnement: maintenir la division politique, maintenir la division économique de “marché” par la coercition, l’oppression et la répression et ce y compris dans les systèmes dits “démocratiques” des états-nations de la grande mascarade de l’illusion démocratique, parvenant par la même occasion, à maintenir leur présence en haut de la pyramide du contrôle politico-social.

Ainsi, qui que ce soit arrivant au pouvoir dans le système est obligé de se plier aux lois et contraintes de la “politique et du marché”. Il se trouve que depuis sans doute à peu près les guerres napoléoniennes, le “politique” a cédé de plus en plus le pas à “l’économique” et sa dictature marchande phagocytant tout sur son passage. Depuis la 1ère guerre mondiale, on peut constater que la sphère économico-financière de l’activité humaine a totalement conquis la sphère politique (décisionnaire) pour finir par l’absorber totalement. En France et ailleurs, l’illusion de la mascarade démocratique “électorale”, tombe le masque jour après jour et nous voyons des “chefs d’état”, élus par une portion de plus en plus incongrue des populations en phase d’éveil à la supercherie, n’être soit que de purs produits de la finance et de l’affairisme criminel transnational (Trump, Macron et Pompidou avant lui en France, tous deux directement issus de la banque Rothschild), soit des marionnettes totalement inféodés aux diktats financiers et affairistes ayant acheté le pouvoir décisionnaire devenu d’apparat (Bush père et fils, Clinton, Obama, Blair, Sarkozy, Hollande, la liste est bien longue…).

En clair, si le système fonctionne grâce aux humains (qui l’ont créé), il forme aussi ceux-ci à le faire “fonctionner” et perdurer dans le temps en façonnant leur psychée, moyennant les privilèges d’usage prévus pour ceux opérant en haut de cette pyramide anti-naturelle de destruction et de mort ainsi que dans ses rouages. Tous les “politiques” qui ont eu quelques velléités que ce soit de changer en profondeur le “système” sont soit passés à la trappe politiquement soit, dans le pire des cas, ont été assassinés. Des guerres sont déclenchées pour l’accaparement des biens et des ressources, pour la destruction qui remplit les coffres des oligarques en amont et en aval des conflits et qui leur permet d’acheter toujours plus de ce “pouvoir” jusqu’à en avoir le monopole. 

Ainsi si l’État n’a pas inventé la guerre, il l’a sans aucun doute institutionnalisée pour sa survie, pour en faire son histoire et le capitalisme a rendu la guerre indispensable à sa survie, imprégnant les humains des stigmates de cette existence contre-nature. En ce sens pouvons-nous aussi dire que le système forme les humains à son image. Le système en place existe, le pouvoir existe depuis quelques 5000 ans de manière coercitive, il s’exerce et il formate les humains aux dogmes de sa perpétuation. Si tout système de gouvernance est une création humaine, celui-ci quelque soit sa forme, façonne également les humains pour le servir. La relation est réciproque, c’est ce qui fait sa force et c’est ce que nous devons briser.

D’aucun pourrait alors penser que la situation est vaine et désespérée car bloquée de tous côtés, cette idée est du reste renforcée par les idéologues du système clamant haut et fort depuis des siècles qu’il “n’y a pas d’alternative”, que notre destin est scellé dans le rapport étatico-capitaliste, développement ultime de notre évolution et que notre seul pouvoir ne serait que de le réformer de temps en temps en influant, par le vote, sur les personnes le régissant. Illusion supplémentaire insufflée dans cette supercherie organisée et institutionnalisée de longue date et ne laissant aucune place aux valeurs profondes de notre humanité.

Or, il suffit de garder présent à l’esprit que tout ceci est complètement artificiel, que ce système a été créé par nous les humains et qu’en conséquence il peut être défait à tout moment de son histoire. Il a eu un commencement et il aura une fin et que rien, de ce fait, n’est inéluctable. Il suffit simplement de dire NON ! individuellement et collectivement. C’est ce que nous avons analysé et expliqué dans notre “Manifeste pour la société des sociétés” en 2017 et dans sa suite de 2019.

Nous avons le pouvoir de dire NON ! individuellement d’abord puis dans un élan collectif coopératif salvateur et émancipateur. La réorganisation de notre société sur des bases profondément naturelles de solidarité est non seulement possible, mais elle ne tient en fait qu’à nous. Personne ne le fera à notre place et nous n’avons aucune aide ou espoir à attendre d’une énième réforme du système moribond existant. L’État et le capitalisme se meurent ! Aidons-les à mourir ! Comprenons et diffusons ce concept qu’il n’y a pas de solution au sein du système, qu’il n’y en a jamais eu et qu’il ne saurait y en avoir !

Il est important qu’au plus de gens comprennent que le système politico-social que nous subissons, qui nous est imposé depuis haut de la pyramide, est une construction sociale humaine, qui peut parfaitement être totalement déconstruite pour laisser enfin le champ libre à une société que nous,  les peuples, mènerons à notre guise pour le bien de toutes et tous. Nous n’avons aucune obligation de subir un système de gouvernance et de contrôle de nos vies les rendant au plus misérable jour après jour, semaines après semaine, mois après mois, année après année, certes à des degrés divers selon les endroits de la planète ; mais nous avons toutes les obligations de vivre humainement, sans division, sans haine et sans conflit imposés, de transmuter les valeurs et notre réalité pour ouvrir le véritable chemin à notre humanité réalisée, celui de la vie tout simplement.

Ainsi donc…

A bas le système de la division institutionnalisée !
A bas l’État !
A bas la marchandise !
A bas l’argent !
A bas le salariat !

Vive la commune (communion) universelle de la réalisation de notre puissance vitale… Devenons enfin qui nous sommes : des humains réalisés dans l’émancipation de toutes les impostures et supercheries systémiques artificielles qui nous sont imposées depuis près de 5000 ans.

Qu’on se le dise !

Résistance 71

Février 2020

“L’État n’a pas plus de réalité que n’en ont les dieux ou les diables. Ce ne sont que des reflets, des créations de l’esprit humain, car l’homme, l’individu est la seule réalité. L’État n’est que l’ombre de l’homme, l’ombre de son obscurantisme, de son ignorance et de sa peur.”
~ Emma Goldman ~

« La machine de l’État est oppressive par sa nature même, ses rouages ne peuvent fonctionner sans broyer les citoyens, aucune bonne volonté ne peut en faire un instrument du bien public ; on ne peut l’empêcher d’opprimer qu’en le brisant. »
~ Simone Weil ~

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

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Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 


La rage s’exerce avant tout… dans la réflexion 

Gilets Jaunes !… La révolution sociale ici et maintenant ! (Raoul Vaneigem)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, militantisme alternatif, pédagogie libération, police politique et totalitarisme, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, société libertaire with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 18 janvier 2020 by Résistance 71

 

Tout commence ici et maintenant

 

Raoul Vaneigem

 

17 janvier 2020

 

Source:

https://www.lavoiedujaguar.net/Tout-commence-ici-et-maintenant

 

À celles et ceux de Commercy,

Dans le désir d’apporter ma contribution personnelle au débat crucial sur la Commune et le communalisme, je prends la liberté de vous communiquer quelques réflexions. Faites-en l’usage qui vous plaira. Mon nom est de peu d’importance, seule l’efflorescence des idées est indispensable à la conscience d’un mouvement insurrectionnel qui peu à peu gagne le monde entier.

Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas altérer le sens de mes propos (mais cela va de soi) et de m’envoyer un simple accusé de bonne réception.

Merci. Bons débats.

¡Viva la revolución !

 

Jusqu’à présent le capitalisme n’a vacillé qu’en raison de ses crises de développement interne, de ses flux de croissance et de décroissance. Il a progressé de faillite en faillite. Jamais nous n’avons réussi à le faire tomber, si ce n’est en de très brèves occasions où le peuple a pris en main sa propre destinée.

Ce n’est pas jouer les prophètes que de l’affirmer : nous sommes entrés dans une ère où la conjoncture historique est favorable à l’essor du devenir humain, à la renaissance d’une vie ivre de liberté.

C’en est assez des murs de lamentations ! Trop d’hymnes funèbres minent en sourdine le discours anticapitaliste et lui donnent un arrière-fond de défaite.

Je ne nie pas l’intérêt d’observatoires du désastre. Le répertoire des luttes s’inscrit dans la volonté de briser la mondialisation financière et d’instaurer une internationale du genre humain. Je souhaite seulement que viennent s’y ajouter les avancées expérimentales, les projets de vie, les apports scientifiques dont la poésie individuelle et collective jalonne trop discrètement ses territoires.

Revendiquer les droits de la subjectivité est un acte solitaire et solidaire. Rien n’est plus exaltant que de voir les individus se libérer de leur individualisme comme l’être se libère de l’avoir. Il y faudra du temps ? Sans doute mais apprendre à vivre c’est apprendre à briser la ligne du temps et bannir du présent le retour au passé, où se creusent les abîmes du futur.

Un devenir maintenu au stade fœtal pendant dix mille ans resurgit comme on voit un objet du passé remonter des tréfonds de la terre.

C’est un brin de paille dans la charrette de foin de l’obscurantisme universel. Une étincelle infime y a mis le feu. Le monde entier s’embrase.

Voir s’affirmer dans cette insurrection plébéienne une radicalité, dont je n’ai cessé d’affiner la conscience, suffit à ma jubilation. Il en va de ma propre vie d’ajouter quelques gouttes d’eau à l’océan de solidarité festive qui bat sous mes fenêtres. Car le peuple n’est plus une foule aveugle, c’est un ensemble d’individus résolus d’échapper au décervelage individualiste, c’est un nombre d’anonymes que leur qualité de sujet prémunit contre la réification. Ils ont révoqué leur statut d’objet, ils ont déserté le troupeau quantitativement manipulable par les tribuns de droite et de gauche.

J’ai écrit un jour : « La vie est une vague, son reflux n’est pas la mort, c’est la reprise de son élan, le souffle de son essor. » Je manifestais par-là mon refus de l’emprise mortifère à laquelle nous acquiesçons si servilement. J’invite ici à réfléchir sur les implications que le propos revêt dans les pratiques d’autodéfense que met en œuvre la puissance poétique croissante des insurrections mondiales.

La terre est notre territoire. Ce territoire a les dimensions de notre existence personnelle. Il est local et il est global, car il ne s’écoule pas un seul instant sans que nous tentions de démêler, en nous et dans le monde, les bonheurs qui nous échoient et les malheurs qui nous accablent. Nous évoluons en permanence entre ce qui nous fait vivre et ce qui nous tue.

Il n’y a que chez l’individualiste (ce crétin converti de sujet en objet) que la préoccupation de soi devient nombriliste, que le calcul égoïste l’emporte sur la générosité solidaire, qu’une liberté fictive enrôle dans les cohortes de la servitude volontaire et de la résignation hargneuse.

Occuper le territoire de notre existence, c’est y apprendre à vivre, non à survivre. D’où la question : comment vivre sans briser le joug des multinationales de la mort ?

Prendre le loisir de l’insurrection permanente. Le temps de la vie n’est pas celui de l’économie. Le capitalisme s’est pris au piège de la rentabilité à court terme. Notre détermination vitale joue, elle, sur le long terme.

Tenir bon, frapper la finance à coups répétés, multiplier les zones de gratuité relèvent d’une guérilla de harcèlement qui réclame plus d’ingéniosité que de violence (ainsi que l’illustrent la levée des péages autoroutiers, le libre passage aux caisses de supermarché, le blocage de l’économie).

L’État hors la loi. Le capitalisme et son gendarme étatique ne nous feront pas de cadeau. Ils combattront l’émergence de zones d’où seront bannies oppression étatique et réification marchande. Ils savent que nous le savons et croient nous faire ramper chétivement sous la menace de leurs gros bataillons.

Leur jactance cependant les aveugle. Ce qu’ils nous délivrent est bel et bien un cadeau. Ils ne nous lèguent rien de moins qu’une raison qui annule la raison d’État. À réformer, à remodeler la démocratie à coups de matraque et de mensonges, le gouvernement tourne à la dictature. Il fait dès lors jouer contre lui le droit imprescriptible à la dignité humaine. Il justifie la désobéissance civile en recours attitré contre l’inhumanité.

Oui, notre droit de vivre garantit désormais la légitimité du peuple insurgé.

Ce droit met hors la loi l’État qui le bafoue.

L’autodéfense participe de l’auto-organisation. Elle nous place devant une alternative : la laisser sans armes est un acte suicidaire, la militariser la tue. Notre seule ressource est d’innover, de dépasser la dualité des contraires, l’opposition entre le pacifisme et la guérilla. L’expérience est en cours, elle ne fait que commencer.

L’armée zapatiste de libération nationale (EZLN) possède, comme toute armée, une structure verticale. Cependant sa fonction a pour but de garantir la liberté et l’horizontalité des assemblées où les individus prennent collectivement les décisions jugées les meilleures pour toutes et pour tous. Les femmes ont obtenu, par vote démocratique, la garantie que l’EZLN interviendrait uniquement à titre défensif, jamais dans un but offensif. La seule présence d’une force armée a suffi jusqu’à ce jour à dissuader le gouvernement d’écraser les zapatistes en recourant à l’armée et aux paramilitaires. Rien n’est joué, tout se joue en permanence.

La situation au Rojava est différente. La guerre menée par l’internationale du profit a condamné la résistance populaire à répondre sur le terrain de l’ennemi, avec ses armes traditionnelles. C’était un état d’urgence. Pourtant, la place prépondérante des femmes, la volonté de fonder des communes libérées du communautarisme, le rejet de la politique affairiste et la primauté accordée à l’humain laissent augurer un renouvellement radical des modes de lutte.

Évidemment, ces exemples ne sont pas un modèle pour nous, mais de leur caractère expérimental, nous pouvons tirer des leçons.

Fédérer les luttes. Ce qui manque le plus cruellement aux insurrections qui gagnent peu à peu notre terre menacée de toutes parts, c’est une coordination internationale. Si la naissance du mouvement zapatiste n’a pas été étouffée sur-le-champ, c’est en raison d’une mobilisation immédiate des consciences. Une onde de choc a secoué l’apathie générale.

Bien que le mouvement des gilets jaunes ait arraché l’intelligence populaire à une longue léthargie, la veulerie médiatique, le martèlement de la langue de bois, de la novlangue qui inverse le sens des mots ont repris le dessus et ont accru considérablement l’efficacité de la machine à crétiniser. On aurait pu supposer qu’une vague d’indignation et de protestations mondiales — un « J’accuse » universel — libère Julien Assange et protège les lanceurs d’alerte. L’épaisseur du silence a démontré que l’ère des assassins s’installe à pas feutrés. Le cimetière est le modèle social programmé. Allons-nous le tolérer ?

Ni triomphalisme ni défaitisme ! La vie a poussé un cri qui ne s’éteindra pas. Qu’il nous suffise d’en propager la conscience aux quatre coins du monde. Nous détenons une puissance créatrice inépuisable. Elle a le pouvoir de supplanter par les rythmes de la vie retrouvée l’ennuyeuse danse macabre où le vivant pourrit.

En nous dépouillant de nos moyens d’existence, l’État ne nous protège plus contre le crime, il est le crime. Notre légitimité, c’est de l’abattre. La défense de la vie, de la nature, du sens humain l’implique.

L’abattre ? Non. Ainsi conçu, le projet s’entache d’une connotation militaire et fanfaronne dont les exemples du passé incitent à se méfier. Ne convient-il pas plutôt de le vider par l’intérieur, de recueillir et de prendre en charge ce bien public dont il était censé garantir les acquis et qu’il a vendu aux intérêts privés ? C’est cela la Commune. Non ?

Libre à chacune et à chacun de décortiquer par le haut l’État et le système mafieux dont il est le bras oppressif. On a vu se multiplier sous le scalpel de la précision analytique nombre de dévoilements et de dénonciations dénudant le roi jusqu’à la carcasse de son inhumanité transhumaniste.

Ils pointaient du doigt les basses œuvres ourdies dans les coulisses dorées du théâtre élyséen. Ils montraient comment la réalité forgée par les exploiteurs tend par l’énormité de leur mensonge à se substituer à la réalité que vivent les exploités. Comment nous sommes enrôlés de force dans un monde à l’envers où nous ne sommes que des pions manipulés par des débiles.

Ce sont d’implacables réquisitoires contre l’État mais l’État les repoussera du pied, tant que, ce pied, nous ne l’aurons pas tranché.

Le gouvernement légifère au mépris des souffrances du peuple de la même façon que les aficionados de la corrida en éclipsent la douleur animale. Pour ma part, je ne puis m’insurger que devant l’innocence opprimée. J’ai toujours choisi d’éradiquer la misère du vécu — à commencer par la mienne — afin d’abolir, en l’attaquant par le bas, le système du haut qui en est cause.

Redescendons sur notre terre ! Le scandale n’est pas là-haut, où les sociologues et les économistes atterrés examinent l’amoncellement d’immondices, il est ici, au bas de la pyramide, il est dans le fait que nous abandonnons entre les mains d’incompétents et d’escrocs des domaines qui nous touchent de près : l’éducation, la santé, le climat, l’environnement, la sécurité, les finances, les transports, la détresse des déshérités et des migrants.

Notre paupérisation paie le prix des guerres pétrolières, des raids de prédation sur le cuivre, le tungstène, les terres rares, les plantes capturées par les brevets pharmaceutiques. Allons-nous continuer de financer de nos taxes et de nos impôts l’arrachement de nos ressources et l’interdiction d’en gérer l’usage ?

Les chiffres d’affaires et leurs gestionnaires se moquent des écoles comme des lits et des soins dont l’hôpital a besoin. Nous sommes là à béer devant la crapuleuse inhumanité que les gouvernants drapent dans le cilice ouaté de leur arrogance. Qu’avons-nous à faire de leurs discours contre la violence, le viol, la pédophilie alors que la prédation, base de l’économie, est prônée partout et assénée aux enfants avec la férule de la concurrence et de la compétition ?

À quel ignoble degré d’esclavage consenti un peuple doit-il descendre pour accepter que les riches gestionnaires de sa misère le dépouillent de cette existence, de cette famille, de cet environnement qu’il est capable de gérer lui-même ? La faillite de l’État est la victoire à la Pyrrhus des multinationales du « profit en pure perte ». C’est à nous de jouer, et jouer en faveur de la vie, c’est la laisser gagner.

Qu’avons-nous à faire de leurs ministères et de leurs bureaucraties qui ont pour mission de démontrer que l’enrichissement des riches améliore la condition des pauvres ; que le progrès social consiste à diminuer les retraites, les allocations de chômage, les gares, les trains, les écoles, les hôpitaux, la qualité de l’alimentation.

Quand allons-nous nous réapproprier ce qui appartient à l’humanité et est là à notre portée ? Car ce bien public est ce qui nous touche de plus près, il fait partie de notre existence, de notre famille, de notre environnement.

À l’encontre des institutions prétendument dirigeantes, nous érigeons en exigence absolue que la liberté humaine révoque les libertés du profit, que la vie importe plus que l’économie, que l’objet manipulé cède le pas au sujet, que le travailleur, produit et producteur de l’infortune, apprenne à devenir le créateur du monde en créant sa propre destinée.

Les pollueurs et les incendiaires de la planète usent de l’écologie comme d’un détergent pour laver l’argent sale. Pendant ce temps, au bar du mensonge quotidien, les consommateurs trinquent aux mesures en faveur du climat alors qu’à dix mètres de chez eux se livre le combat contre les pesticides, contre les industries Seveso, contre les nuisances du profit. Comment n’y voir pas la preuve que nos luttes sont locales et internationales ?

Le village, le quartier, la région n’ont pas besoin d’un ministère pour promulguer l’interdiction des entreprises toxiques dès l’instant qu’ils la fondent sur des pratiques et des expérimentations nouvelles, telles que la permaculture, la réinvention de produits utiles, agréables et de qualité.

Promouvoir des transports gratuits est une réponse plausible à la privatisation des chemins de fer et des réseaux autoroutiers par le biais de l’escroquerie gouvernementale.

L’autoconstruction est en mesure de battre en brèche la spéculation immobilière. Stimuler la recherche d’énergies non polluantes (centrale solaire ?) est de nature à nous débarrasser du pétrole, du nucléaire, du gaz de schiste. Quant au ministère de l’éducation concentrationnaire, il ne résistera pas aux écoles de la vie que les initiatives individuelles et familiales propagent partout.

Laissons l’affairisme sortir ou non de l’euro, ce n’est pas notre problème. La vraie question est de prévoir la disparition de l’argent et de concevoir des coopératives favorisant l’échange de biens et de services, par le recours, ou non, à une monnaie non cumulable. Que ces solutions, praticables dans de petites entités, soient ensuite fédérées régionalement et internationalement marquera d’un tournant décisif le cours de l’organisation traditionnelle des choses.

Jusqu’à nos jours, la quantité a été privilégiée. On ne raisonnait qu’en termes de grands ensembles. Le règne du nombre, du chiffre, des statistiques imposait aux foules grégaires un désordre où l’ordre répressif apparaissait illusoirement comme un facteur d’équilibre.

Vivre la Commune. La commune autogérée est le pouvoir du peuple par le peuple. De même que la structure patriarcale familiale fut la base de l’État, sacré ou profane, la Commune et ses assemblées autogérées feront battre le cœur de la générosité individuelle. De même que la religion avait jadis été le cœur factice d’un monde sans cœur, la vie humaine imprime désormais son rythme au monde nouveau. Elle abandonne l’ancien à l’épuisante tachycardie des spéculations boursières.

L’insurrection pacifique est une guérilla démilitarisée. Elle doit avoir pour base et pour but l’auto-organisation des communes autonomes. Notre ennemi le plus redoutable est moins l’autorité du maître que la résignation des esclaves. L’abolition de l’État, en tant qu’organe de répression, passe par le développement croissant de la désobéissance civile. La résistance, l’opiniâtreté et l’ingéniosité des Gilets jaunes m’a suggéré d’appeler « pacifisme insurrectionnel » ou « insurrection pacifique » la détermination d’affronter la violence de la répression étatique et de tenir bon sans verser dans le gauchisme paramilitaire, le rétrobolchévisme et autres palinodies guévaristes.

Éviter le face-à-face avec la puissance répressive de l’ennemi implique de nouveaux angles d’approche dans le traitement des conflits. Jusqu’à présent ce qui a fait preuve de la plus grande efficacité, c’est la résolution, à la fois ferme et fluctuante, des Gilets jaunes. C’est leur façon d’intervenir là où on ne les attend pas, de frapper, de harceler, d’apparaître, de s’éloigner et d’être omniprésents. Ce qui leur tient lieu de « couteau sans manche dont la lame a disparu », c’est une insolite et surprenante inventivité. Ainsi que l’exprimait poétiquement un insurgé : « Nous ne tirons pas avec une arme, nous tirons avec notre âme. »

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Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

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Manifeste pour la Société des Sociétés

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Lectures complémentaires:

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L’abbcedaire de Raoul Vaneigem

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James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Manifeste pour la Société des Sociétés

 

 

 

La Commune outil politique de l’émancipation de la dictature marchande: l’exemple de Pancha Vasquez, Venezuela…

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, écologie & climat, économie, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, militantisme alternatif, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés with tags , , , , , , , , , , on 20 décembre 2019 by Résistance 71


Société des Sociétés dans l’union des communes libres !

 

« La question sociale est une question agraire » disait à juste titre Gustav Landauer ; tout révolutionnaire doit manger… Gilets Jaunes, réaménageons nos campagnes en confédération de communes libres immunisée contre la dictature marchande. C’est une des clefs de l’émancipation à venir ! La commune de Pancha vasquez au Venezuela présentée ci-dessous n’est qu’un exemple viable parmi tant d’autres, même si l’émancipation de l’État n’est pas optionnelle : tout doit partir, état, marchandise, argent et salariat !
~ Résistance 71  ~

 

Commune: Pancha Vásquez Venezuela

 

Katrina Kozarek

 

17 décembre 2019

 

url de l’article: https://venezuelanalysis.com/video/14746

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

 

Merci à “Bernardo” pour nous avoir référé cet article

 

Ce chapitre de “En commune” explore la commune venezuelienne de Pancha Vasquez dans l’état d’Apure, où des communards travaillent main dans la main avec les paysans locaux pour lutter contre la contrebande et la spéculation dans des systèmes de troc autonomes et de marchés communaux.

La municipalité de Romulo Gallegos à Apure abrite Elorza, un quartier célèbre pour son festival hétéroclite de musique et de danse traditionnelles venezueliennes. On dit que Chavez a développé ses qualités de leader et de militant à Elorza durant ses premières années de formation et d’organisation politique dans les années 80. A part la riche histoire et culture d’Elorza, les zones rurales de la municipalité de Romulo Gallegos comptent aussi parmi les terres venezueliennes les plus importantes pour la production de lait et de viande.

En 2014, quatorze conseils communaux situés le long de la rivière Arauca se sont joints pour former la commune de Pancha Vasquez. Cette communes a réuni plus de 938 familles, 900 fermes familiales et s’étend sur plus de 100 000 Ha de terre sur la municipalité de Romula Gallegos ainsi que sur la municipalité voisine de Muñoz.

Bien que cette zone soit très productive, ses habitants ont aussi besoin d’avoir accès à des produits industriels provenant d’ailleurs comme du riz, du sucre et de la farine. La proximité de cette commune de la frontière avec la Colombie a contribué à rendre les prix inabordables et induire une rareté de ces denrées nécessaires.

La vague massive de spéculation et de contrebande en 2015 a eu un impact profond sur les résidents de la commune de Pancha Vasquez. Un des premiers défis relevé par la Commune fut de confronter cette situation au travers d’un réseau de distribution contrôlé par la communauté. L’expérience du Comité Populaire à la Nourriture renforça politiquement la commune de Pancha Vasquez et mena rapidement à des expériences plus dynamiques et plus complexes de distribution.

“Un autre problème auquel la commune doit faire face est celui d’un commerce différent de celui du mode capitaliste, une activité commerciale populaire, juste et solidaire, une qui ne vole pas vos voisins, ni le peuple. Parce que le capitalisme est un commerce sauvage qui gonfle les prix de tout. Non. Vous devez mettre en place des prix justes et solidaires… un nouveau système commercial, un nouveau système de production et de nouveaux moyens de production ou la terre, la machinerie pour la matière première… la connaissance sont entre les mains de la société, dans ce cas précis entre les mains de la commune.”
~ Hugo Rafael Chávez Frías
Álo Presidente Teórico N. 1
June 11, 2009 ~


... est une question agraire » Gustav Landauer

Le manque de routes goudronnées affecte profondément les agriculteurs de la commune pour pouvoir distribuer leurs produits. Ceci les a laissé à la merci des intermédiaires qui leur paient un prix très bas pour leurs produits et qui ensuite revendent ces denrées à haut prix dans les centres urbains.

Afin de résoudre ce problème, la commue de Pancha Vasquez a créé un nouveau système combiné qui garantit la distribution directe des produits locaux en échange de produits manufacturés. La commune ne possède pas de terres collectives comme c’est le cas pour d’autres communes, mais il existe une très forte confiance et solidarité entre les agriculteurs dans ce territoire. Cette forte relation a permis l’échange de produits locaux comme la viande et les produits laitiers comme le fromage contre des produits industriels avec les autres communes ainsi qu’avec les syndicats et ouvriers dans des entreprises d’état et entreprises mixtes et ce à une échelle nationale.

Toutes les fermes de la commune de Pancha Vasquez n’ont pas la possibilité d’élever du bétail, mais elles ne sont pas laisser hors du système de distribution. Lorsque les produits sont échangés, toutes les familles dans la communauté territoriale aussi bien que les communes voisines, ont la possibilité de les acheter. Cette expression de solidarité a joué un grand rôle dans la promotion de l’esprit révolutionnaire ainsi que de l’implication de la commune et du pouvoir populaire comme modèle du développement socialiste dans le territoire.

La commune Pancha Vasquez a aussi créé d’autres solutions locales au problème des intermédiaires. Depuis 2014, la commune a mis en place un marché communal de plein-air pour les petits paysans locaux. Tous les samedis sans exception, ces paysans locaux se rendent au marché, pour la plupart en canoë le long de la rivière Arauca, pour vendre directement leurs produits aux consommateurs d’Elorza. Un conseil composé d’agriculteurs locaux de la commune de Pancha Vasquez et des territoires voisins se réunit régulièrement pour analyser collectivement les coûts afin de garantir des prix justes et uniformes pour les producteurs et les consommateurs.

La capacité de la commune de Pancha Vasquez de contrôler la distribution de la nourriture dans une zone de production agricole si importante n’est pas un petit succès. Ceci leur a valu des ennemis puissants, certains mêmes au sein de l’état, cherchant parfois à saboter ses avancées.

La commune n’a pas laissé ces obstacles amoindrir sa ferveur révolutionnaire. Un porte-parole, Juan Fernandez, se rappelle que Chavez avait prévenu que ces “mesquineries politiques” pouvaient se produire, mais que “les communes ne pouvaient pas être des excroissances des bureaux des maires ou des partis politiques… que les communes appartenaient au peuple, au pouvoir populaire organisé…

La méticuleuse transparence, la solidarité extensive et le travail sans relâche de la commune de Pancha Vasquez ont permis aux communards de continuer à grandir malgré l’adversité. Ils sont en train en ce moment de développer des projets de macadamisation des routes et de créer une banque communale, qui au lieu de prêter et d’épargner l’argent, va prêter des machines et des produits agricoles. Ils se préparent aussi à récupérer les terres non productives environnantes afin de consolider l’économie locale avec une production agricole collective.

Juste cinq ans après avoir pris forme, la commune de Pancha Vasquez a démontré être une véritable force pour l’avancée d’une économie et d’un état communaux. Elle est devenue un point de référence en ces temps de crise, montrant que la commune est un espace d’organisation et de responsabilité qui peut progresser à pas de géant en termes d’amélioration des conditions de vie de tous aussi bien que de mettre en place les pierres d’édifice du socialisme.

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Lectures complémentaires:

3ri-et-societe-des-societes-du-chiapas-zapatistes-aux-gilets-jaunes-en-passant-par-le-rojava-fevrier-2019

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Pierre_Bance_Lheure_de_la_commune_des_communes_a_sonne

Chiapas-Feu-et-Parole-dun-Peuple-qui-Dirige-et-dun-Gouvernement-qui-Obeit

Ricardo_Flores_Magon_Textes_Choisis_1910-1916

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Louise-Michel_De-la-commune-a-la-pratique-anarchiste

Manifeste pour la Société des Sociétés

Entraide_Facteur_de_L’evolution_Kropotkine

Un monde sans argent: le communisme

6ème_déclaration_forêt.lacandon

Appel au Socialisme Gustav Landauer

 


Commune = Vie
État = Mort