L’argument des nations chrétiennes du gouvernement des Etats-Unis dans l’affaire judiciaire des Indiens Tee-Hit-Ton vs Etats-Unis (1955)
27 août 2020
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~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Il y a soixante-six ans, en novembre 1954, le ministère de la justice américain a soumis une argumentation des plus bizarres au cours de l’affaire opposant les Indiens Tee-Hit-Ton et les Etats-Unis. Ceux-ci argumentèrent que les Indiens de la bande Tee-Hit-Ton de la nation Tlingit d’Alaska ne devrait pas recevoir de compensation financière pour la prise de bois de leur territoire. Pourquoi ? Parce que “les nations chrétiennes d’Europe” avaient affirmé leur “souveraineté” et “acquis la juridiction” sur les terres des païens et des infidèles durant l’époque dite de la “découverte”.
Les métaphores religieuses contenues dans le résumé légal du ministère de la justice, qui incluent des citations de la “Genèse” de la bible ainsi que des psaumes de l’ancien testament, nous disent que le ministère et le gouvernement des Etats-Unis contestaient sur la base de la religion chrétienne que les Indiens Tinglit devaient être payés pour la prise de bois sur leurs terres. Les Etats-Unis gagnèrent l’affaire à la majorité du vote de la Cour Suprême et un compte rendu fut écrit par le juge Stanley Reed et rendu public par la CS en février 1955. Je suis né deux mois après cette décision de justice. En tant que peuples et nations qui furent décimés par l’invasion des nations de la chrétienté occidentale, nous, peuples natifs, tentons constamment de comprendre cette décision et cette version de la “réalité” passée et présente. Pourtant, pour une raison qui nous échappe, les érudits de la loi sur les Indiens n’ont fait aucun effort pour comprendre le fait qu’en 1954, la même année où la CSEU renversa la décision dans l’affaire Plessy vs Ferguson et la doctrine différente mais égale, le gouvernement des EU a utilisé la bible et la religion chrétienne, avec des documents (bulles) pontificaux datant du XVème siècle comme base de ses arguments dans une plaidoirie judiciaire.
Malheureusement, avant 1955, la CSEU n’enregistrait pas les plaidoiries orales, sauf pour les cas très importants. Une recherche approfondie par un bibliothécaire de l’université du Massachussetts, Amherst, a révélé qu’aucune transcription écrite ne fut conservée de la plaidoirie du gouvernement des EU dans l’affaire Tee-Hit-Ton vs USA. Ce que nous avons en revanche, c’est l’original résumé légal de cette affaire. Et, comme je l’ai dit ci-dessus, je n’ai pas trouvé un seul exemple de praticien de la loi sur les Indiens ayant mentionné dans un livre ou un article, les métaphores religieuses utilisées par le gouvernement des Etats-Unis dans son argument à la CSEU dans l’affaire Tee-Hit-Ton vs USA.
Bible, Croix et Épée… La sainte trinité de la domination
Mais, quelques universitaires natifs ont réuni quelques métaphores qu’ils ont l’habitude d’utiliser et ce qu’ils ont pu discerner des archives écrites ou des interprétations des archives par d’autres universitaires. Les avocats de la loi fédérale sur les Indiens n’ont pas mentionné la dimension religieuse chrétienne dans cette loi dans leurs comptes-rendus passés. Le juge de la CS Stanley Reed, qui a écrit la vaste majorité de la décision de justice dans l’affaire Tee-Hit-Ton contre les USA, a exprimé son interprétation de la décision de Johnson contre M’Intosh (1823) dans une opinion dissidente en 1946 dans l’affaire de la bande Alcea de Tillamooks. Reed y a dit que la décision de Johnson était basée sur la théorie voulant que “la découverte par les nations chrétiennes leur avaient donné la souveraineté sur ces terres découvertes ainsi que le titre de propriété.” Il cita tacitement ce même point de vue dans la décision majoritaire de l’affaire Tee-Hit-Ton en citant le chapitre “Propriété” (chapitre 5) dans les Elements of International Law, de Henry Wheaton, qui exprimait un contraste entre la domination des nations chrétiennes d’Europe et la mise au pas, subordination des Indiens non-chrétiens.
Les citations archivales du “passé” concernant le rapport chrétien / infidèle et païen sont filtrées et laissées hors des catégories de la loi fédérale indienne. Ceci devient certainement un facteur quand on en vient à la capacité de défier les schémas idéologiques que j’appelle typiquement maintenant “de la doctrine chrétienne de la découverte et de la domination”. Nous n’avons pas accès à une vérité non “filtrée” des anciennes archives historiques, spécifiquement depuis notre distant point d’observation dans cette seconde décennie du XXIème siècle. Ce que nous avons en revanche est une litanie d’interprétations largement contestées, qui demandent toutes une reconnaissance de vérité.
Pourtant ces silences, ce dont on ne discute pas, sont souvent plus importants que ce dont on discute. Prenez par exemple le professeur de science politique David Wilkins, dans un article sur la doctrine de la découverte il y a un an, il y dit que la décision majoritaire de Stanley Reed dans l’affaire des Indiens Tee-Hit-Ton “se classe parmi les plus évidentes et racistes mauvaises représentations de faits jamais émises par la Cour Suprême des Etats-Unis.” Wilkins n’a apparemment aucun problème à exprimer ce scandale en regard du racisme dans la loi américaine ; mais il n’est pas scandalisé de la même manière par l’utilisation par les Etats-Unis de la religion chrétienne et des termes catégoriels “païens” et “infidèles” contre nos nations et nos peuples dans la plaidoirie judiciaire de l’affaire des Indiens Tee-Hit-Ton ni par la reconnaissance par la CSEU de ce langage citant un langage religieux dans les Elements of International Law de Henry Wheaton ?
J’ai envoyé le langage pertinent du compte-rendu légal de l’affaire à un autre érudit de la loi fédérale indienne il y a quelques années. Quand je lui ai posé plus tard la question, il a répondu : “Je ne vais pas lire ça”. Aucune explication du pourquoi. Juste un refus direct à simplement lire ce langage religieux traitant de “païens” et “d’infidèles” dans ce compte-rendu légal, ainsi que les références à l’ancien testament biblique..
Je m’attendais à une réponse plus nuancée de Wilkins, mais il dit que “les archives historiques, à la fois écrites et orales, , montrent que le titre de propriété légal demeurait avec les nations tribales.” Pourtant, il négligea de reconnaître un présumé droit de domination de la part du gouvernement des Etats-Unis en regard des nations natives. Quant à ce que Wilkins veut dire par “droit de propriété légal” en application aux nations natives, il donne un indice lorsqu’il dit que la doctrine de la découverte “a affirmé que les nations tribales étaient ‘les occupants de droit de la terre’ et avaient ‘un droit légal et juste de garder la possession de la terre et de l’utiliser comme bon leur semble’”.
Pourtant, en 2014, le 9ème circuit de la cour d’appel a dit dans l’affaire White vs University of California que le “droit d’occupation des sols” n’est pas un “droit de propriété”, tout en citant Johnson vs M’Intosh et Tee-Hit-Ton vs USA en documentation. Nous pourrions demander au professeur Wilkins “Quel droit de “propriété des sols” demeure t’il avec les nations natives, prenant en compte qu’en 2014, le 9ème circuit de cour d’appel a déclaré que le titre indien “d’occupation aborigène’ est un ‘intérêt aborigène’ mais pas un “droit de propriété’” ?
Vous pouvez vraiment vous poser la question de savoir si les praticiens de la loi fédérale indienne vont un jour vraiment défier la base religieuse de la doctrine de la découverte dans l’affirmation par les Etats-Unis que l’occupation des terres indiennes n’est pas un “droit de propriété”, le tout fondé sur la distinction entre les nations chrétiennes d’Europe et leurs successeurs, et les nations “païennes” et “infidèles” ? Où est le scandale en Territoire Indien sur cette utilisation de la chrétienté par les tribunaux de justice américains pour affirmer leur droit de domination contre nos peuples et nations natives ?…
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5 textes pour comprendre et éradiquer le colonialisme
« Païens en terre promise, décoder la doctrine chrétienne de la découverte », Steven Newcomb, 2008
« Comprendre le système de l’oppression coloniale par mieux le démonter », Steven Newcomb
« Comprendre le système de l’oppression coloniale pour mieux le démonter », Peter d’Errico
« Effondrer le colonialisme », Résistance 71
« Nous sommes tous des colonisés ! », Résistance 71