La géopolitique Soleimani un an plus tard
7 janvier 2021
Source de l’article:
http://www.informationclearinghouse.info/56145.htm
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
L’assassinat de Major General Qassem Soleimani, commandant de la force Al Quds (Jérusalem) du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI), avec à ses côtés Abou Mahdi al-Muhandis, commandant en second de la milice irakienne (chiite) des Hashd al-Sha’abi, par des missiles à guidage laser Hellfire tirés depuis deux drones MQ-9 Reaper, était un acte de guerre.
Non seulement cette attaque par drone sur l’aéroport de Baghdad, sur ordre direct du président Trump, fut unilatéral, non provoqué et totalement illégal, mais il fut aussi organisé comme une provocation éhontée afin de faire exploser une réaction iranienne, qui aurait été alors contrée par une réaction “d’auto-défense” américaine, présentée comme une “dissuasion”. Appelez ça si vous voulez une forme perverse d’attaque faux-drapeau inversée à double effet. Le puissant Wurlitzer impérial pirouetta l’affaire en un “assassinat ciblé”, une opération préventive tuant dans l’œuf la planification d’une soi-disante “attaque imminente” de Soleimani contre des diplomates américains et des troupes US de la région.
Faux. Aucune preuve de tout cela. Et puis, le premier ministre irakien Adil Abdoul-Mahdi, devant son parlement, offrit le contexte ultime : Soleimani était en mission diplomatique, sur un vol régulier entre Damas et Baghdad, impliqué dans de complexes négociations entre Téhéran et Ryad avec le premier ministre irakien faisant office de médiateur et ce… à la demande du président Trump.
Ainsi donc, la machine impériale, se moquant totalement des conventions et lois internationales, assassina un de facto envoyé diplomatique. Les trois factions principales qui poussèrent au crime de l’assassinat de Soleimani furent les nouveaux-cons(ervateurs) yankees, suprêmement ignorant de l’histoire, culture et de la politique de l’Asie du Sud-Ouest et les lobbies israélien et saoudien, qui pensent ardemment que leurs intérêts sont satisfaits à chaque fois que l’Iran est attaqué. Trump ne pouvait vraisemblablement pas voir l’image panoramique de l’affaire et ses ramifications fatales, mais ne voit seulement que ce que lui dicte son premier contributeur financier et fervent soutien du slogan Israel First, Sheldon Adelson (NdT: l’homme derrière “Donnie mains d’enfant” Trump, mafia juive en l’occurence magnat des casinos de Las Vegas, l’homme qui renfloua Trump trois fois après ses faillites… Le créancier en chef quoi…) et ce que Jared d’Arabie (NdT Jared Kushner, le beau-fils de Trump et son contrôleur rapproché, sioniste flamboyant et taupe du Mossad) lui souffla dans l’oreillette, le tout téléguidé par son proche poteau de la fine équipe saoudienne Mohammed bin Salman alias MBS (NdT: grand sioniste qui fait arrêter et torturer son opposition de la nomenklatura saoudienne, confisque les fortunes, fait arrêter et couper en morceaux des opposants dans ses consulats (Turquie), bref un chic type du Golfe de la mafia pétrolière…)
La cuirasse du “prestige” américain
La réponse iranienne mesurée à l’assassinat de Soleimani fut précautionneusement calibrée pour ne pas déclencher la “dissuasion” impériale vengeresse.
Des frappes de missiles de haute précision sur la base aérienne contrôlée par les Américains en Irak de Aïn al-Assad avec le Pentagone recevant une notification par avance des frappes.
De manière prévisible, la proximité du premier anniversaire de l’assassinat de Soleimani devait dégénérer en une litanie classique d’intimidations Etats-Unis / Iran qui, une fois de plus, se retrouvent à l’orée de la guerre.
Il est donc intéressant de regarder ce qu’a dit à la télévision libanaise Al Manar le commandant de la force aérospatiale du CGRI, le general de brigade Amir Ali Hajizadeh,
https://www.tasnimnews.com/fa/news/1399/10/13/2423366/
“Les Etats-Unis et le régime sioniste n’ont amené aucune sécurité où que ce soit et si quelque chose se produit ici (dans la région) et que la guerre se déclenche, nous ne ferons aucune distinction entre les bases américaines et les pays qui les abritent..”
Ajoutant aux frappes de missiles de haute précision sur la base américaine l’an dernier, Hajizadeh a dit “Nous étions préparés à une réponse américaine et toute notre puissance de frappe par missiles était en état d’alerte totale. S’ils avaient répondu, nous aurions frappé et détruit toutes leurs bases militaire de la Jordanie à l’Irak en passant par le Golfe Persique, incluant même leurs navires de guerre dans l’Océan Indien.”
Les frappes de missiles de haute précision sur la base de Aïn al-Assad il y a un an représentait une puissance de frappe bien moyenne, affaiblie par des sanctions et faisant face à une grosse crise économique et financière, répondant à une attaque en ciblant des cibles logistiques impériales, faisant partie de l’empire des bases extérieures. Ceci fut une première mondiale qu’on n’avait pas vu depuis la seconde guerre. Ceci fut clairement interprété dans le vaste sud comme le perçage de la cuirasse hégémonique du “prestige” américain depuis des décennies.
Donc Téhéran ne fut pas particulièrement impressionné par deux B-52 à capacité nucléaire survolant le Golfe récemment, ni par l’US Navy annonçant l’arrivée du croiseur nucléaire lanceur de missiles USS Georgia dans les eaux du Golfe Persique la semaine dernière. Ces déploiements de force furent effectués en réponse à une accusation sans preuve que Téhéran était derrière l’attaque par 21 roquettes contre la vaste ambassade américaine dans la zone verte de Baghdad. Quelques roquettes de 107mm non explosées, aux inscriptions en anglais au passage et non pas en farsi, peuvent virtuellement être achetées par n’importe qui dans les souks de Baghdad comme je l’ai vu de mes propres yeux depuis environ 2010.
Ceci n’est certainement pas un casus belli ou une “auto-défense” fusionnant avec une “dissuasion”. La justification du Centcom ressemble en fait à un sketch des Monty Pythons : une attaque “… presque certainement menée par un groupe de milice soutenu par l’Iran.” Notez bien que l’expression “presque certainement…” est du code pour “nous n’avons aucune idée de qui a fait ça”…
Combattre la – véritable – guerre contre le terrorisme
Le ministre iranien des affaires étrangères, Javad Zarif, s’est fendu d’un avertissement à Trump qu’il était en train de se faire enfumer avec un faux casus belli et qu’un retour de boomerang serait inévitable.
Un cas de la diplomatie iranienne comme étant en parfait alignement avec le CGRI : après tout, la stratégie entière de cette ère post-Soleimani provient de l’Ayatollah Khamenei.
Et ceci mène à Hajizadeh du CGRI une fois de plus établissant la ligne rouge iranienne en termes de défense de la république islamique : “Nous ne négocierons plus sur le sujet de la puissance des missiles avec qui que ce soit”, prévenant ainsi toute action d’incorporer une réduction de capacité des missiles pour un retour éventuel de Washington dans le traité JCPOA. Hajizadeh a aussi insisté sur le fait que Téhéran a restreint la portée de ses missiles à 2000km.
Mon ami Elijah Magnier, sans aucun doute le top correspondant de guerre en Asie du Sud-Ouest ces quatre dernières décennies, a clairement détaillé l’importance de Soleimani. Tout le monde et pas seulement au sein de l’axe de la résistance Téhéran-Baghdad, Damas, Hezbollah, mais à travers de vastes étendues du grand sud, est parfaitement au courant de la manière dont Soleimani a mené le combat contre Daesh/EIIL en Irak en 2014 et 2015, et comment il fut instrumental dans la reprise de la ville de Tikrit en 2015.
Zeinab Soleimani, l’impressionnante fille du general, a profilé l’homme, et les sentiments qu’il inspirait. Et le SG du Hezbollah Sayed Hassan Nasrallah, dans un extraordinaire entretien, a insisté sur la “grande humilité de Soleimani, ce “même avec le plus commun des gens, les gens du quotidien”.
Nasrallah raconte une histoire qui est essentielle pour placer le modus operandi de Soleimani dans la véritable, et non pas la fictive, guerre contre le terrorisme et il mérite d’être cité en entier :
“A ce moment, le Hajj Qassem s’est rendu de l’aéroport de Bagdad à l’aéroport de Damas, d’où il est venu (directement) à Beyrouth, dans la banlieue sud. Il est arrivé auprès de moi à minuit. Je me souviens très bien de ce qu’il m’a dit : « Il faut qu’à l’aube, tu m’aies fourni 120 commandants d’opération (du Hezbollah) ». Je lui ai répondu « Mais Hajj, il est minuit, comment pourrais-je te fournir 120 commandants ? » Il m’a dit qu’il n’y avait pas d’autre solution si on voulait lutter (efficacement) contre Daech, défendre le peuple irakien, nos lieux saints (5 des 12 Imams du chiisme duodécimain ont leur mausolée en Irak), nos Hawzas (séminaires islamiques), et tout ce qui existait en Irak. Il n’y avait pas le choix. « Je n’ai pas besoin de combattants. Il me faut des commandants opérationnels (pour encadrer les forces populaires irakiennes). » C’est pour cela que dans mon discours (commémorant l’assassinat de Soleimani), j’ai déclaré que durant les quelques 22 ans de notre relation avec le Hajj Qassem Soleimani, il ne nous avait jamais rien demandé. Il ne nous a jamais rien demandé, pas même pour l’Iran. Oui, il nous a demandé une seule fois (notre aide), et c’était pour l’Irak, lorsqu’il nous a demandé ces (120) commandants d’opérations. Il est donc resté avec moi, et nous nous sommes mis à contacter nos frères (du Hezbollah) un par un. Nous avons pu faire venir près de 60 commandants opérationnels, dont certains frères qui étaient présents sur les lignes de front en Syrie, et que nous avons envoyés à l’aéroport de Damas (pour y attendre Soleimani), et d’autres qui étaient au Liban, et que nous avons réveillés de leur sommeil et fait venir (immédiatement) depuis leur maison car le Hajj a dit qu’il voulait les prendre avec lui dans l’avion qui le ramènerait à Damas après la prière de l’aube. Et de fait, après avoir prié ensemble la prière de l’aube, ils se sont envolés pour Damas avec lui, et le Hajj Qassem s’est rendu de Damas à Bagdad avec 50 à 60 commandants libanais du Hezbollah, avec lesquels il s’est rendu sur les lignes de front en Irak. Il avait dit qu’il n’avait pas besoin de combattants, car Dieu merci, il y en avait abondance de volontaires en Irak. Mais il lui fallait des cadres pour diriger ces combattants, les entraîner, leur transmettre l’expérience et l’expertise, etc. Et il n’est pas parti avant de prendre mon engagement que d’ici deux ou trois jours, je lui aurais envoyé les 60 commandants restants.”
L’orientalisme encore et toujours
Un ancien commandant sous Soleimani que j’ai rencontré en Iran en 2018 m’avait promis ainsi qu’à mon collègue Sebastiano Caputo qu’il essaierait d’arranger un entretien avec le major-general qui n’avait jamais parlé de sa vie à des médias étrangers. Nous n’avions aucune raison de douter de notre interlocuteur, ainsi, jusqu’à la dernière minute de Baghdad nous étions sur sa liste d’attente sélective.
Pour Abou Mahdi al-Muhrandis, tué aux côtés de Soleimani dans l’attaque de drones de Baghdad, je faisais partie d’un petit groupe qui passa une après-midi avec lui dans une planque dans, pas hors, de la zone verte, en novembre 2017, mon rapport complet est ici : My full report is here.
Le professeur Mohammed Marandi de l’université de Téhéran, réfléchissant sur l’assassinat m’a dit “La chose la plus importante est que la vision occidentale de la situation est très orientaliste. Ils assument que l’Iran n’a aucune structure réelle et que tout dépend des individus. En occident, un assassinat ne détruit pas une administration, une entreprise ou une organisation.
L’ayatollah Khomeini est mort et ils ont dit que la révolution était finie. Mais le processus constitutionnel a produit un successeur en quelques heures. Le reste fait partie de l’histoire.”
Ceci peut en dire long pour expliquer la géopolitique de Soleimani. Il a peut-être été une super-star révolutionnaire, un grand nombre de gens du sud global le voient comme le Che Guevara de l’Asie du Sud-Ouest, mais il était avant tout un rouage particulièrement bien articulé d’une machine bien pensée et bien huilée.
Le président adjoint de parlement iranien, Hussein Amirabdollahian a dit à la chaîne iranienne Shabake Khabar que Soleimani, deux ans avant son assassinat, avait déjà envisagé l’inévitable “normalisation” entre Israël et les monarchies du Golfe.
Dans le même temps, il était particulièrement au courant de la position de 2002 de la Ligue Arabe, partagée entre autre par L’Irak, la Syrie et le Liban : une “normalisation” ne peut même pas commencer à être envisager sans un état palestinien indépendant et viable sous des frontières d’avant 1967 avec Jérusalem Est comme capitale. Tout le monde sait maintenant que ce rêve est mort, si pas encore totalement enterré. Ce qui reste est la routine rampante : l’assassinat américain de Soleimani, l’assassinat israélien du top scientifique nucléaire iranien Mohsen Fakhrizadeh, la guerre de basse intensité sans relâche d’israël contre l’Iran, l’occupation totalement illégale par Washington de parties du nord de la Syrie pour voler du pétrole, la poussée perpétuelle pour un changement de régime à Damas et la diabolisation non-stop du Hezbollah.
Au-delà du Hellfire
Téhéran a clairement indiqué qu’un retour à au moins une mesure de respect mutuel entre l’Iran et les USA implique que Washington rejoigne de nouveau le traité JCPOA sans conditions préalables et la fin des sanctions unilatérales de l’administration Trump. Ces paramètres sont non-négociables.
Nasrallah pour sa part, dans un discours à Beyrouth dimanche dernier a insisté “Un des principaux résultats de l’assassinat du general Soleimani et d’al-Muhandis sont les appels pour mettre fin à la présence et l’expulsion des forces américaines de la région. De tels appels n’existaient pas avant l’assassinat. Le martyr des leaders de la résistance a mis les troupe américaines sur la voie de sortie d’Irak.”
C’est peut-être prendre ses désirs pour des réalités parce que le complexe militaro-industriel et de la sécurité ne va jamais abandonner un havre privilégié de l’empire des bases.
Plus important est le fait que l’environnement post-Soleimani transcende Soleimani.
L’axe de la résistance Téhéran-Baghdad-Damas-Hezbollah, au lieu de s’effondrer va toujours plus se renforcer.
En interne, et toujours sous le coup d’une “pression maximum” par les sanctions, l’Iran et la Russie vont œuvrer ensemble pour produire un vaccin contre la COVID19 et la branche iranienne de l’Institut Pasteur va co-produire un vaccin avec une compagnie cubaine.
L’Iran est incroyablement renforcé comme node clef des nouvelles routes de la soie en Asie du Sud-Ouest : le partenariat stratégique Iran-Chine est constamment revitalisé par les ministres respectifs des affaires étrangères Zarif et Wang Yi, ceci incluant la turbo-charge de l’investissement géo-économique de Pékin dans South Pars, le plus grand champ gazier de la planète.
L’Iran, la Russie et la Chine seront impliquées dans la reconstruction de la Syrie, qui inclura aussi éventuellement, une nouvelle branche de la route de la soie : le chemin de fer Iran-Irak-Syrie-Méditerranée Orientale.
Tout ceci est imbriqué, un processus en devenir qu’aucun missile Hellfire ne pourra brûler.